Catégorie : Cinéma

  • Alexandre Desplat, le plus hollywoodien des compositeurs français

     

     

    Avant de parcourir de manière éclectique et subjective la discographie d’Alexandre Desplat, on doit d’abord se demander pourquoi autant de talents, à l’instar de cet ancien élève du Conservatoire de Paris, préfèrent les collines hollywoodiennes aux verts pâturages français. Pour Alexandre Desplat, cette migration date de 2003, depuis que son travail pour le film « La Jeune Fille à La Perle » lui ouvrit des portes et des fenêtres sur un monde plus large et probablement plus reconnaissant.

     

    Tout comme les scénaristes, les compositeurs pour le cinéma ne nagent pas vraiment dans l’opulence, au pays de Molière et de Berlioz. Et même si ce flûtiste accompli croule désormais sous les sollicitations des réalisateurs étrangers, il faut bien reconnaître qu’outre-Atlantique, on prend bien plus au sérieux la discipline de la musique pour le cinéma. Sans compter que les projets proposés là-bas sont en général plus excitants que ceux qui peuvent se monter en France.

    Même si Alexandre Desplat collabore depuis longtemps avec Jacques Audiard ou Roman Polanski, avec la même fidélité que celle qui lie depuis toujours John Williams et Steven Spielberg, ou fut un temps Danny Elfman et Tim Burton, force est de constater que le cinéma français est bien trop étriqué pour satisfaire les ambitions du compositeur des bandes originales de « The Ghost Writer » ou « Un Prophète ».

     

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    Mais grand bien lui en prit, car depuis une vingtaine d’années, un nombre considérable de films américains auront vu leurs histoires enluminées de ses partitions raffinées et exigeantes.

     

    Même si Alexandre Desplat se revendique souvent des grands maîtres hollywoodiens, tels que John Williams ou Bernard Herrmann, il puise également ses influences dans un héritage bien français, de Ravel à Poulenc, en passant par Saint-Saëns et Debussy. Car c’est bien la sophistication des accords, des enchaînements ou des trouvailles purement formelles qui caractérise le mieux sa musique. En marge de ces illustres références, l’ancien collaborateur de Karl Zéro et Eric Morena a également étudié très consciencieusement les musiques brésiliennes et africaines.

    Mais il est vrai que nombre de ses compositions surfent sur le travail du grand John Williams. Nous pensons évidemment à la B.O. du film de David Fincher, « Benjamin Button », le plus williamesque de ses scores. C’est d’ailleurs en découvrant « Star Wars » dans une salle de cinéma en 1977 qu’il réalisa que ce qu’il voulait vraiment faire, c’était composer de la musique pour des films. La puissance symphonique au service d’images sur un écran déclencha cette vocation, comme une absolue évidence.

     

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    Mais plus encore qu’un Hans Zimmer, autre compositeur européen plébiscité et apprécié des réalisateurs américains ainsi que du grand public, Desplat sait sans cesse se réinventer et repousser à l’extrême les limites de ses inspirations. Il n’y a qu’à constater le travail accompli pour une autre grande collaboration qu’est celle avec Wes Anderson, pour se rendre compte de la richesse des thématiques de ce compositeur « Frenchy ».

    S’il aime avant tout l’ampleur orchestrale, Desplat aime aussi chercher, fouiner du côté des instruments du monde et leurs sonorités originales. Wes Anderson justement, et ses films comme « The Grand Budapest Hotel » ou « L’île aux Chiens », dans lesquels sont convoquées des sonorités traditionnelles, avec des instruments peu ou jamais utilisés dans des productions de ce type. Les Biwa, Koto, Konghou et Yamatogoto pour le Japon, ou encore l’Atabaque, le Conga, le Pandeiro pour l’Europe de l’Est.

     

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    Alexandre Desplat va donc au fond des choses, en ne se contentant pas simplement d’illustrer des séquences. Il a besoin de comprendre et d’aimer ce qu’il voit. De cette même nature intransigeante qu’un Ennio Morricone, avec cette même façon d’appréhender l’histoire, il va apporter une résonance, une vérité aux images. Sa propre imagination va ainsi se réapproprier le film en question, avec toute la profondeur nécessaire. Et sa musique va s’enraciner profondément, prenant parfois le pas sur l’image, en permettant au film d’exister encore plus.

    Avec ses œuvres les plus significatives, notamment « Un Prophète », « Birth », « Le Discours d’un Roi », « Rise of The Gardians » ou « Les Frères Sisters », Alexandre Desplat fait en sorte de ne jamais resservir le(s) même(s) (Des)plat(s)… [Humour] Avec plus de 150 œuvres composées pour le cinéma, la télévision ainsi que le spectacle vivant, celui qui est derrière le thème délicat de présentation des Studio Canal, avec cette flûte aérienne, parvient toujours à se renouveler et surprendre son auditoire.

     

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    En 2019, il crée son premier opéra dit de chambre, d’après un roman japonais intitulé non sans humour « En Silence ». Quelques dates seulement seront prévues pour découvrir un travail plus personnel et introspectif. Nommé huit fois aux Oscars entre 2007 et 2020, Alexandre Desplat est sacré à deux reprises, pour « The Grand Budapest Hotel » de Wes Anderson en 2015 et pour « La Forme de l’Eau » de Guillermo del Toro en 2018.

    Malgré le succès, Desplat a appris l’humilité à Hollywood et la gestion intransigeante de son égo. Il connaît sa place et sait d’où il vient. Ce travailleur acharné, ce stakhanoviste infatigable et digne héritier de George Delerue, insuffle sans cesse dans son œuvre ces ambiances lyriques et délicates qui font sa marque de fabrique, ce romantisme sans fausse pudeur pour ourler les histoires que l’on nous raconte.

    Même pour des partitions enlevées et spectaculaires, comme pour le dernier épisode de « Harry Potter », « Godzilla », « Syriana » ou « Argo », Alexandre Desplat impose toujours une douceur qui enrobe le tout, malgré le tumulte des coeurs et autres cuivres de circonstance. En tout cas, difficile de comprendre comment ce magicien s’y prend. C’est sans doute pour ses recettes secrètes que les Américains font si souvent appels à ses services, tant il possède cette faculté d’apaiser les moments les plus furieux de ses partitions, contrairement à un Jerry Goldsmith, pourtant grand mélodiste.

    Deux Oscars, trois Césars, un Ours d’argent, une pléthore de Grammy Awards, Golden Globes, Etoile d’Or et encore tant d’autres récompenses à la chaîne, viennent souligner sa maestria et son génie protéiforme. Car Alexandre Desplat a bel et bien cette façon à lui de concevoir la musique, afin de tapisser les univers qu’il explore, pour chaque nouvelle quête.

    A bientôt 60 ans, aussi à l’aise dans le film intimiste que d’action, en passant par le fantastique, la science-fiction ou le film historique, Alexandre Desplat est aussi prolifique qu’intransigeant, et n’a pas encore abattu toutes ses cartes. Gageons donc qu’il nous réserve encore quelques beaux moments musicaux dans les années à venir.

     

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  • Ghost in the Shell, quand le cyberpunk du Soleil Levant devient une référence mondiale – Partie 3

     

     

    « Ghost in the Shell » est le titre anglophone d’une œuvre de science-fiction de Masamune Shirow, publiée entre 1989 et 1991, et qui donna lieu par la suite à de nombreuses déclinaisons, le plus souvent réussies. Afin de célébrer dignement le trentième anniversaire de la franchise de cyberpunk nipponne qui a popularisé le genre dans le monde entier, au point de devenir la référence ultime du genre dans la pop-culture de science-fiction, un tour d’horizon de « Ghost in the Shell » ainsi que des thèmes qu’elle aborde s’impose…

     

    Ghost in the Shell: Solid State Society

    Ce téléfilm de 90 minutes datant de 2006 est en fait la suite de la seconde saison, et conclut les sujets mis en suspens lors de la saison précédente.

    On apprend dans ce film dont l’action se déroule en 2034 que le major Motoko Kusanagi a quitté la Section 9 et travaille désormais à son compte. « Solid State Society » relate une nouvelle enquête, entre usurpation d’identités, enlèvement d’enfants et vol de ghosts, impliquant un mystérieux hacker surnommé le Marionnettiste (Puppeteer ou Puppet Master en Anglais). Le major au visage de poupée de porcelaine rejoint finalement la Section 9 dirigée par Togusa, qui travaille sur la même affaire. Le téléfilm « ressuscite au passage les Tachikoma, dont la mémoire avait été sauvegardée (ou quand l’informatique permet des ficelles scénaristiques…).

    Le staff pour ce téléfilm à gros budget est le même que celui des deux saisons de « Stand Alone Complex » et Yōko Kanno en signe de nouveau la bande originale. A noter que les scénaristes profiteront de ce téléfilm pour faire résoudre des intrigues en suspens depuis la deuxième saison par leurs personnages, mais en amenant au passage de nouvelles interrogations et en faisant de nombreux clins-d’œil aux films de Mamoru Oshii.

     

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    Ghost in the Shell: Arise

    Cette série de 2013 se déroule en 2027, et il s’agit en fait d’une préquelle de toutes les saisons qui la précèdent. On y retrouve ainsi une Motoko plus jeune et plus nerveuse. Son physique la fait ressembler à une adulte à peine sortie de l’adolescence, et son caractère est encore « en construction », tout comme son corps cybernétique différent de sa version manga (et par extension de sa version dans « Stand Alone Complex »). Dans une série de cinq OVA d’une heure, on suit les aventures d’une Section 9 tout juste formée par le gouvernement. On assiste dans « Ghost in the Shell: Arise » à la construction progressive des relations entre les divers personnages. Par exemple, les décisions d’Aramaki y sont contestées par ses subordonnés, alors qu’il est au contraire très respecté dans les autres œuvres.

    On note toutefois dans cette série quelques incohérences, comme le fait de voir tous les membres de l’équipe déjà présents depuis un certain temps, voire un temps certain, tandis que Togusa était présenté comme un « bleu » dans « Stand Alone Complex ». De plus, pourquoi donner cet aspect « adolescent » à Motoko, alors que le postulat de base de la saga nous la présente comme une militaire accomplie et que, de surcroît, son passé avait déjà été dévoilé dans « Ghost in the Shell: The Stand Alone Complex, 2nd Gig », où elle avait déjà un corps d’adulte ?

    Pour cette nouvelle saison, le staff est différent, même si c’est toujours Production I.G qui est aux manettes. L’aspect graphique des dessins est toujours aussi bluffant, mais les réflexions métaphysiques sont moins présentes et le récit fait plus place à l’action et aux manœuvres politiques que dans les autres séries. Cela n’empêche cependant pas les morceaux de bravoure, comme l’affrontement entre la Section 9 et une horde de robots lancée à sa poursuite. Côté technologie, on découvre les prédécesseurs des Tachikoma, les Logikoma, de taille beaucoup plus imposante et moins sophistiqués, montrant la progression de la technologie entre les différentes séries.

     

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    Ghost in the Shell: The New Movie

    Ce film fait suite à « Ghost in the Shell: Arise » et tente de réinventer le contexte de la franchise, tout en conservant les fondamentaux, ce qui donne un sentiment de manque de continuité flagrant, même si Production I.G est de nouveau à la tête du projet, avec une animation toujours aussi bluffante.

    Malgré ses qualités graphiques indéniables, cet opus ne convainc pas le public. Motoko et l’équipe ne semblent pas être les mêmes et surtout, on note une rupture nette avec les scénarios aux histoires complexes auxquels « Ghost in the Shell » nous avait toujours habitués.

     

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    Ghost in the Shell, le film Live

    Dans ce nouvel opus-événement de la franchise, l’actrice Scarlett Johansson incarne le Major Kusanagi. Et l’histoire prend délibérément le contre-pied de l’œuvre originale, en nous présentant le Major comme le premier cyborg intégral, avec la volonté affichée de rendre le personnage unique (pour le rendre plus impressionnant ? Ou bien Hollywood serait-il tombé dans le piège du « Special Snowflake » ?), tandis que les cyborgs intégraux pullulent et sont fabriqués en série dans le Manga originel comme dans le film de 1995 ou les différentes séries.

    L’intrigue y est plus simple, voire simpliste, et certaines scènes ne font que reprendre ce que l’on avait déjà vu dans le film d’animation de 1995. Si vous attendez un scénario aussi peu manichéen que dans les séries et les films de Mamoru Oshii, alors passez votre chemin…

    Dans ce long-métrage sorti en 2017, Motoko Kusanagi lutte contre un terroriste qui s’en prend à une société en particulier, car cette dernière, qui avait déjà fabriqué le corps du Major, a ensuite fait du terroriste le premier cyborg intégral. Mais le prototype est raté, contrairement au Major. Notre antagoniste principal a désormais comme objectif sa vengeance, pure et simple, ce qui l’éloigne sensiblement du caractère du Puppet Master du Manga originel, retors et calculateur.

    Malgré cela, on notera une tentative assez maladroite, comparée à l’œuvre d’origine, de faire de notre Major préférée un personnage en quête d’identité. Elle apprendra qu’elle était à l’origine Japonaise (et s’appelait… Motoko Kusanagi), puisque cette fois l’action se déroule à Los Angeles, et que cette identité lui avait été cachée par la société qui en a fait une cyborg, après, bien-sûr, lui avoir lavé le cerveau.

    Et sa quête d’identité ne commence qu’au moment où elle a des flash-backs. Bref, on retombe dans le cliché de la méchante-corporation-qui-manipule-tout-le-monde, et le questionnement de Kusanagi sur son identité et son individualité est rapidement abordé, sans la profondeur du Manga originel, voire du film d’animation de 1995.

    Tout bien considéré, le scénario du film et la recherche d’identité du Major nous renvoient de manière assez évidente à l’intrigue du « Robocop » de Paul Verhoeven, sorti  trente ans plus tôt, en 1987. En effet, Le personnage de Murphy y est cybernétisé par une entreprise (l’OCP), afin de servir dans les forces de police. Mais Murphy finit par partir à la recherche de son identité, après avoir découvert qu’on lui avait lavé le cerveau. Ce qui donne malheureusement au film avec Scarlett Johansson un sentiment de réchauffé désagréable à voir, tant l’oeuvre originelle est peu respectée.

    La version 2017 de « Ghost in The Shell » ne rencontre finalement pas le succès escompté, malgré la présence de la star américaine, et certains n’hésitent pas à dire que pour une œuvre abordant les thèmes de l’âme et de la nature humaine dans un monde hyper-technologique, le film manque justement… cruellement d’âme, en passant à côté du sujet, pour simplifier l’histoire. Ce qui s’avère être l’erreur fatale des studios Paramount et Dreamworks, sachant que c’est la complexité de l’intrigue qui a fait la renommée du film de Mamoru Oshii et du Manga originel, avec une Motoko Kusanagi qui connaissait son identité depuis le début, même si elle doutait souvent d’elle-même. Tout ça passe à la trappe, pour donner ce bien pâle Robocop au féminin…

     

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    Ghost in the Shell SAC_2045, la série Netflix

    C’est la suite directe des séries « Stand Alone Complex » et du téléfilm « Solid State Society ». On y retrouve le même staff à la production, mais le dessin est désormais en 3D et les premières images que nous avons pu voir en 2020 étaient pour le moins décevantes, tant certains des personnages y sont méconnaissables. Les quelques extraits visibles l’année dernière dévoilaient aussi une animation au ralenti, là où la série 2D faisait des merveilles, en termes de fluidité comme de rapidité.

    On a quand même la crainte d’un traitement de cette franchise identique à celui que « Les Chevaliers du Zodiaque » ont subi, avec cet aspect « playmobil » des dessins.

     

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    Conclusion pour un océan de données pas si virtuelles

    Faire un article sur « Ghost in the Shell » est une tâche ardue, tant le contenu des histoires est riche et fouillé (qui a dit fouillis ?). Et il y a tellement à dire que le risque est de  finir par s’y noyer…

    « Ghost in the Shell » puise ainsi dans les poncifs du genre Cyberpunk, tout en y apportant ses propres codes visuels, techniques et narratifs, dans un genre de science-fiction dont l’un des enjeux est de concevoir de l’anticipation dans un futur proche, d’où une très grande maturité dans les thèmes abordés par les différentes adaptations de l’œuvre de Masamune Shirow.

    Mais la franchise-star démontre aussi que l’animation au Japon est désormais un média mûr et adulte, en abordant des sujets qui sont d’habitude propres aux histoires policières et d’espionnage. Car « Ghost in the Shell » ne se cantonne plus à la catégorie « œuvre pour enfants », au vu du sérieux des thèmes abordés. On peut ainsi constater que les fans occidentaux du Manga ont bien intégré cette réalité ; l’animation japonaise est dorénavant capable d’aborder tous les sujets, du plus enfantin au plus mature.

    Pour en revenir à l’œuvre, si dans le Manga originel de Masamune Shirow, l’action se passe dans un futur proche, en 2021, soit trente ans après sa première publication, on devrait à présent plutôt évoquer un futur très proche… Certes, aujourd’hui, on ne croise pas (encore…) dans la rue de cyborgs intégraux comme dans « Ghost in the Shell », la technologie pour greffer un cerveau dans un corps mécanique étant encore science-fictive.

    Il n’en reste pas moins que, d’un point de vue scientifique et technologique, il existe déjà depuis 2012 des prototypes de prothèses mécaniques commandées directement par les nerfs-moteurs des patients. Et la même année, une autre équipe de chercheurs avait réussi à redonner le sens du toucher à un patient amputé, toujours via une prothèse. Tout ça pour dire, ça n’est plus de la science-fiction.

    Aujourd’hui, les deux techniques sont associées pour d’autres prototypes, rendant une partie du corps de nouveau fonctionnelle à la personne équipée, même si le coût de ces prothèses artificielles reste encore prohibitif. Mais il ne serait pas impossible que dans dix ou vingt ans, ce type de prothèses soit de plus en plus répandu. Et c’est ce qui fait du genre Cyberpunk et de « Ghost in the Shell » en particulier des œuvres qui nous interpellent.

    Les mondes qui y sont décrits sont parfois bien proches du nôtre, notamment dans les relations entre entreprises et états, avec des sociétés devenues si puissantes qu’elles affichent un chiffre d’affaires parfois équivalent au PIB d’un état. Et ça, vous en conviendrez, ça n’est déjà plus de la fiction, avec les GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple).

    Avec l’évolution actuelle de la technologie et des réseaux d’information, particulièrement omniprésents avec Internet et les smartphones, on peut même se demander si le Web n’évoluera pas pour finir par ressembler au Net de « Ghost in the Shell ». Et on peut également se poser la question suivante : le Cyberpunk est-il un genre visionnaire ou ne fait-il qu’extrapoler, voire de broder sur ce qui existe d’ores-et-déjà ?

    En constatant aujourd’hui la montée en puissance du mouvement transhumaniste, avec comme but ultime, en tout cas pour ses membres les plus extrémistes, de faire fusionner l’Homme et la Machine, on peut revoir « Ghost in the Shell » à l’aune de l’interrogation suivante : quelle est le rapport actuel entre l’Homme et la Machine, ou avec la technologie ? Car c’est bien cette question centrale que pose l’œuvre, en se nourrissant des symboles du passé et des inquiétudes du présent sur l’avenir.

    Certes, il s’agit là d’un avis personnel, de surcroît à 200 % subjectif, mais s’il n’y avait qu’une seule œuvre à recommander dans le genre Cyberpunk, ça serait donc celle-là, tant l’univers décrit nous semble à la fois familier et éloigné. Et je recommanderais à tout fan de science-fiction de regarder la première saison de « Stand Alone Complex ». L’univers de Masamune Shirow y est parfaitement retranscrit par Kamiyama, même s’il y apporte sa propre touche. L’oeuvre du maître a offert au Cyberpunk la référence dont le genre avait besoin pour être connu d’un plus large public, en sortant du cadre strict des seuls fans de SF, et ce grâce à son approche de l’œuvre adaptée pour le petit écran, mêlant enquêtes policières et brigades d’intervention.

    « Ghost in the Shell » est ainsi devenue une œuvre de science-fiction parmi les plus incontournables, en inspirant par exemple les frères Wachowski pour leur trilogie « Matrix », ou en bluffant James Cameron, lui qui ne tarit pas d’éloge lors de la sortie du film de 1995, en qualifiant l’oeuvre de Mamoru Oshii de visionnaire.

    Alors, n’hésitons pas à nous plonger à corps perdu (ou nous replonger) dans l’univers de Masamune Shirow et les aventures de ces cyborgs, dans un monde entre chair et métal, entre traditions du passé et futur incertain, où l’individu se cherche, au coeur du flux de données réelles et informatiques.

     

     

    « Ghost in the Shell, quand le cyberpunk du Soleil Levant devient une référence mondiale », c’est fini… Retrouvez prochainement de nouveaux articles consacrés à l’univers du Manga dans le Magazine Instant City…

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Dans les Episodes Précédents » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Ghost in The Shell, la Saga – Partie 1 

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Ghost in The Shell, la Saga – Partie 2

     

     

     

  • Possession : La grande symphonie du mal

     

     

    Le film « Possession » surgit dans les salles de cinéma en 1981, comme le diable derrière la fenêtre, sans que personne n’ait pu se préparer à un tel choc esthétique et visuel. Avec cette œuvre qui sent le soufre, on navigue entre miracle et hérésie. Et c’est avec sidération que l’on contemple comment tout, jusqu’à l’anecdotique, est utilisé et mis en scène. D’abord les personnages, qui deviennent devant la caméra de celui qui est à l’œuvre des pantins dont les fils ont été coupés, mais qui agissent brusquement et sans logique, dans cette nouvelle liberté acquise. Que se passe-t-il alors, lorsque les marionnettes deviennent maîtresses de leurs gestes et de leurs émotions ?

     

    Et celui qui est à l’oeuvre derrière la caméra, justement, le réalisateur polonais de « Possession », Andrzej Zulawski, n’en est pourtant pas à son coup d’essai. À l’instar d’un Maurice Pialat ou d’un Abdellatif Kechiche, le réalisateur de « L’important c’est d’aimer » n’a jamais eu pour habitude de dorloter ses comédiens. Il en attend beaucoup, énormément, jusqu’à la folie. Il est de cette famille de cinéastes qui essorent leurs comédiens. Il en presse ainsi tout le jus pour les laisser, à la fin, exsangues. C’est amusant d’ailleurs, lorsqu’on pense à Sophie Marceau, malmenée par Pialat durant le tournage du film « Police » en 1985, et qui enchaînera la même année avec « L’Amour Braque » de Zulawski, dont elle deviendra en prime la compagne. Comme quoi, qui aime bien, châtie bien…

    Chacun de ses films, Andrej Zulawski les conçoit comme des catharsis, des réceptacles pour ses propres démons, ses obsessions. « Possession » est pensé en réaction à un projet avorté juste avant, le film « Sur le globe d’argent » qu’il achèvera finalement en 1987. Mais ce que Zulawski va accomplir avec « Possession », c’est une forme de monstruosité impensable, innommable, et jamais, avec une œuvre pour le cinéma, on se sera approché aussi près des enfers et de la folie. L’œuvre du romancier H.P. Lovecraft n’aura d’ailleurs à aucun moment été ressentie avec autant d’écho, tant les motifs du film sont dépeints avec exactitude et similarités. Les pires représentations des fameuses abominations exprimées dans les écrits de l’auteur américain, se manifestent ici grâce à des images jumelles et troublantes.

    Même si ce film date de 1981, il n’a en soi jamais perdu de sa superbe méphitique. On peut le voir également comme une extension de « Rosemary’s Baby », « Le Locataire » ou « Répulsion » de Roman Polanski, voire même « Chromosome 3 » de David Cronenberg ; des œuvres immersives où l’on vous plonge dans la psyché des protagonistes, avec la matérialisation physique des pires horreurs qui rôdent dans leurs esprits tourmentés.

     

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    Plus que malaisant, « Possession » est un viol qui ira chercher très loin dans vos chairs ce que vous redoutez le plus. Isabelle Adjani, qui est le choix d’évidence dès le départ, refuse pourtant catégoriquement le projet, qu’elle juge trop sombre, trop dangereux pour elle. C’est Bruno Nuytten, directeur de la photographie, engagé pour nimber le film de cette lumière tour à tour grise, bleutée et orange, et également à l’époque l’époux d’Isabelle Adjani, qui parvient à convaincre l’actrice.

    Rétrospectivement, l’ancienne pensionnaire de la Comédie-Française regrette ce film amèrement. Il en résultera un grand traumatisme et elle fustigera le réalisateur de lui avoir fait sortir des choses qu’elle ne soupçonnait pas. Des choses qu’elle n’aurait jamais voulu connaître…

    En effet, ce qu’Isabelle Adjani déploie pour son rôle relève de la gageure. C’est dans un maelström d’émotion, de sang et d’injures que gicle, qu’éructe le long-métrage jusqu’à nous. La scène d’anthologie dite de la fausse couche dans les couloir du métro berlinois est à ce titre une expérience sensorielle et traumatique inégalée, à ranger sur la même étagère que celle de Romy Schneider dans « Le Vieux Fusil ». Quant à d’autres séquences du film, elles pourraient évoquer « Requiem pour un Massacre » ou encore « L’Exorciste ».

    On peut interpréter ce film fou comme une œuvre politique, du fait déjà du décor dans lequel est plantée l’action (le Berlin d’avant la chute du Mur), avec ses vastes immeubles abandonnés et sinistres. On peut y voir aussi, à la façon de l’auteur de « La Fidélité », un pamphlet sur le mariage et la rupture, à base de couteau ménager électrique et de matérialisation monstrueuse de choses impies, soupirantes et humides. Le parti pris audacieux de cette histoire est de saisir à bras-le-corps la représentation de l’horreur que constitue l’autre, comme ce que Jean-Paul Sartre avait diagnostiqué, mais en pire, en indicible.

     

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    « Une jeune femme enfermée entre les murs d’un Berlin assiégé par les forces du Mal, physiques et obscures, prend pour amant un hippie ridiculement attardé, produit d’elle-même et aime un monstre difforme qui prendra figure de son mari, embourbé et encanaillé dans une politique d’espionnage. Le Bien contre le Mal. Le Mal gagnera, mais la femme et l’homme retrouveront leur amour, tragique, futile et sans usage. Aux dernières images, la guerre éclatera. Il y a toujours une guerre. » (Andrzej Żuławski cité par Jérôme d’Estais dans son livre « Un testament écrit en français »)

     

    Le personnage joué par Adjani entretient donc une relation amoureuse et sexuelle avec une ignoble créature qui se terre dans un appartement, où suintent la moisissure et la putréfaction, avant que celle-ci ne finisse par se muer en un Doppelgänger qui prendra peu à peu la place de son mari (interprété par Sam Neil). Anna aura elle aussi son double, Helen, afin d’exprimer toute une symbolique qui s’imbrique dans la narration et le cheminent tortueux de l’histoire. Un film donc hautement symbolique, où tout s’exprime agressivement, comme une réaction, celui d’un corps qui réagirait à la maladie. Laquelle ? Probablement l’être humain.

    Pour la petite histoire, le concepteur de la créature à tentacules du film, Carlo Rambaldi, réalisera un an plus tard pour Steven Spielberg l’extra-terrestre le plus connu de toute la galaxie. On peut ainsi dire qu’avec la création de cet être messianique venu des étoiles, au long doigt lumineux, le peintre et sculpteur italien se sera ainsi évité un mauvais karma, en ayant donné jour à cet amant impie qui se répand sur Isabelle Adjani.

     

    Film d’auteur horrifique

    « Possession », malgré son ton halluciné et auteurisant, n’en demeure pas moins un vrai film d’horreur. Avec son manque d’humour revendiqué – l’humour qui n’a d’ailleurs jamais été caractéristique du cinéma de Zulawski – l’oeuvre affiche cependant une tonalité burlesque, grotesque, qui nous tétanise. En réaction à son divorce qui l’affecte profondément, le réalisateur de « La Note Bleue » peut se défouler et surréagir à ce qu’il est en train de vivre. Et on peut gager que la séparation à l’écran ne se passera pas dans la douceur et la diplomatie…

    On peut tout à fait ne pas goûter aux sombres et hystériques visions du réalisateur polonais, tout en reconnaissant la maîtrise de son film et ses fulgurances, telles autant de gifles et de coups. « Possession » vient de ressortir en blue ray, bénéficiant d’une restauration méticuleuse de ses images. N’hésitez pas à redécouvrir cette œuvre remastérisée et apprécier un cinéma extrême et totalement libre. Une œuvre douloureuse, difficile, mais rare.

     

     

     

     

  • Lupin : du mainstream sinon rien

     

     

    A l’heure des plateformes de streaming (Netflix, Canal+, OCS, Prime Video, Apple, HBO…), toujours plus compétitives en terme de contenu, où l’on nous propose des séries à la qualité qui dépassent souvent celle de certains longs-métrages de cinéma, « Lupin » tente le pari de réinventer le grand récit populaire, universel, en essayant de plaire à un maximum de spectateurs.

     

    Là où le principe même de la série a été révolutionné dès la fin des années 90, avec des contenus conçus pour toucher tel ou tel public en particulier (« Oz », « Six Feet Under », « The Wire », « Sopranos »…), avec l’idée que chacun pouvait avoir sa propre série, pour « Lupin », les auteurs ont quant à eux imaginé conquérir la plus large audience possible, maintenant et tout de suite, sans même choisir une cible en particulier, non… Avec cette nouvelle version de Lupin remis au goût du jour, c’est comme la devise des supermarchés : « Tout doit disparaitre ! » et « Grandes remises au rayon fromages ! »

    Arsène Lupin appartient au cercle de ces références emblématiques tirées de l’imaginaire collectif. Bien que les livres à la gloire du gentleman-cambrioleur n’aient jamais été ouverts par les plus jeunes, que la série avec Georges Descrières soit maintenant trop ancienne pour que la plupart d’entre nous s’en souviennent vraiment, ou que la chanson de Dutronc ne soit plus que rarement jouée à la radio ou à la télé, il y a malgré tout cette griffe, cette marque, qui est parvenue à traverser les décennies et évoquer encore aujourd’hui quelque chose au plus grand nombre. Et tout cela suffit à visualiser le personnage en frac et chapeau-claque, tour à tour élégant et sophistiqué, détroussant les baronnes de leurs bijoux tout en butinant leur cœur…

    Ce qui aurait pu tout d’abord paraître audacieux et original, en utilisant l’image consensuelle et sympathique d’Omar Sy pour incarner ce Lupin 2.0, va finalement très vite s’avérer aussi le principal défaut de cette nouvelle version du gentleman-cambrioleur. Le comédien originaire de Trappes, vivant désormais à Los Angeles, est pourtant incroyablement fédérateur. Il est incontestablement très aimé des Français, avec cette image réconfortante et joviale qu’il se trimballe depuis le SAV, avec son copain et faire-valoir Fred Testot.

    Seulement voilà, Omar Sy, n’est pas un très bon comédien. Et il ne l’a jamais été. C’est une nature. Il peut être drôle et il a le rire communicatif, l’oeil qui frise, certes, mais cela ne peut pas suffire quand il faut, tout au long d’une série, assurer des scènes plus dramatiques ; lorsque il est censé, par exemple, pleurer la mort d’un compagnon auquel il tenait particulièrement. Son jeu s’avère alors extrêmement limité. Ce qui semble être un comble, quand on sait quel héros emblématique il incarne, à savoir le maître du déguisement et du travestissement, celui qui peut être n’importe qui d’autre. Gênant…

    Sans même oser évoquer un autre problème de taille qui a ici son importance. Une importance capitale… Il est noir et aussi assez grand. Ce n’est donc pas très évident à se figurer le héros originel dans un tel récit, lorsque le personnage doit, à l’insu de tous, se dissimuler derrière une simple moustache et une casquette, devant les caméras de surveillance et divers autres dispositifs de contrôle. C’est là justement où intervient la fameuse « suspension d’incrédulité ». Le spectateur devra tacitement accepter tout et n’importe quoi, jusqu’à ce non-sens total. On assiste alors à des scènes pour le moins ridicules, durant lesquelles on diffuse des portraits-robots de Lupin, mais que jamais personne ne parvient à reconnaître le coupable. Exactement comme lorsque Superman enlève son costume, chausse des lunettes et devient Clark Kent, sans que personne ne fasse le lien entre les deux.

    Une autre maladresse qui plombe sacrément cette histoire de vol de collier et de vengeance larvée, c’est qu’en voulant cocher toutes les cases du progressisme, alors que la thématique du sujet ne demandait pas autant de zèle, l’intrigue et les protagonistes vont voir leur quête court-circuitée par des petits moments embarrassants, comme si on nous balançait, au moment le moins opportun, des spots télé contre le racisme, la violence faite aux femmes ou tout autre sujet lié à l’actualité sociétale du moment. Ainsi, à plusieurs reprises, on nous sert à la louche des sorties totalement hors sujet, liées à des revendications féministes ou, concernant le héros, à des interactions avec des protagonistes racistes comme on en fait plus.

    Des allusions douteuses et grossières, voire des comportements ignobles, émanant de surcroît de personnages qui dans la vraie vie n’auraient jamais l’occasion de se comporter de la sorte. Ce commissaire-priseur, par exemple, ou encore cet homme d’affaire immensément riche et extrêmement cultivé, qui a forcément par son travail des relations professionnelles avec toutes sortes de nationalités. Et tout deux se permettraient de plaisanter sur sa couleur de peau ou sur son appartenance à telle ou telle espèce de primate ? Désolé mais ça ne fonctionne pas car c’est juste inconcevable. Les dialoguistes arrivent ainsi à mettre dans la bouche de leurs acteurs des allusions ou des formules dignes des pires beaufs racistes façon Dupont-La Joie, ou d’enfants dans la cour de récréation. Tout ceci rend finalement l’ensemble maladroit et stupide.

     

    Alors, si on accepte avec mansuétude, comme postulat de départ, ces choix éditoriaux putassiers, pour se focaliser sur ce qu’on tente de nous vendre, à savoir le grand évènement Netflix du moment, la série popcorn et ultra-fun par excellence, le feuilleton qui pourrait même détrôner « La Casa del Papel »… Eh bien, comment dire… Oups…

     

    Il résulte de ces choix pour le moins hasardeux qu’avec « Lupin », on a très vite l’impression de regarder une série policière TF1 sous anabolisants, croulant sous de multiples références mal recyclées (à commencer par « Thomas Crown » et « Le Prestige »…). Mais une série TF1 quand même… La réalisation est certes nerveuse et rythmée, avec des plans très courts, surtout pour éviter au spectateur de trop se concentrer sur la piètre qualité de la mise en scène comme de la photographie. Afin de donner une vague impression d’opulence et apporter à l’ensemble une ampleur « cinématographique », mais surtout pour masquer la pauvreté des décors, on saupoudre le tout de plans tournés avec un drone et de mouvements de caméra circulaires, trop systématiques pour être honnêtes.

    Il y a bien quelques scènes d’action, surtout concentrées dans le premier épisode, avec le vol du collier au Louvre, mais qui là aussi paraissent au final bien cheap. Car tout est bien trop mécanique et terne. Le récit et les enjeux manquent quant à eux d’immersion. Quitte à tourner avec peu de moyens, on aurait pu imaginer une mise en scène plus organique, collant plus aux semelles des personnages. En l’état, on se contente de travellings inutiles, qui tentent de donner le change à des scènes toutes aussi statiques les unes que les autres.

    Si la réalisation reste dans l’ensemble assez fluide et le rythme des épisodes sans temps mort, c’est d’abord lié au fait que les acteurs doivent débiter leur texte très vite, trop vite, probablement dans le but de ne pas ennuyer un spectateur ingrat, sevré au zapping intempestif, télécommande dans une main et téléphone portable dans l’autre.

    Côté scénario, là encore, force est de constater que tout est téléphoné de bout en bout, en enfilant des coups de théâtre et des surprises émoussés, avant même qu’ils ne produisent l’effet escompté, comme avec un collier de nouilles. Peut-être un bon point pour les flash-backs et notamment le jeune acteur qui interprète le rôle-titre à 15 ans. Probablement les passages les plus réussis du programme, parce qu’ils apportent justement un peu de pose et de romantisme.

    Si Omar Sy prodigue autant de sympathie et de chaleur autour de lui, malgré son jeu calamiteux, dans le registre du charme et de l’humour, qu’en est-il du reste de la distribution ? Il est évident que dans cette production, la direction d’acteur importe peu. Tous les comédiens font ce qu’ils peuvent pour faire exister leur personnage, mais là encore, on croit voir un feuilleton estampillé TF1. Les policiers, en tête, sont réduis à une somme de clichés et de lieux communs assez consternants. Alors, face à ce constat d’échec à renouveler le genre, où chercher d’autres pistes pour donner du relief  à tous ces rôles ?

    Il y a bien Nicole Garcia (on se demande bien ce qu’elle vient faire dans cette galère, sinon cachetonner…) qui apporte un peu de grâce et de tact, avec sa classe habituelle. Une bonne histoire de ce genre, c’est aussi un antagonisme réussi. Ici, le salaud de service est totalement raté. Voilà un méchant tout droit sorti d’un épisode de « Joséphine Ange Gardien » ou de « Scoubidou » (mais pourquoi est-il aussi méchant ?… Pasqueeeeeuuu !!). Alors en effet, oui, Il est très très méchant, odieux, colérique, vociférant, sans une once de subtilité, affublé de tous les défauts de la terre et bien raciste, en prime. On a du mal à croire d’ailleurs qu’il ait pu rester marié tout ce temps avec son épouse incarnée par Nicole Garcia, qui semble plus mesurée, concrète, réelle.

    Au final, c’est tout au plus embarrassant et grossier, car on sent tellement dans cette version de Lupin l’envie de caresser sans cesse le spectateur dans le sens du poil et de le placer évidemment du bon côté du manche. Des gens riches, cons et racistes. Des policiers débiles, au Q.I. pas plus élevé que celui d’une vache, et un héros qui touche à peine le sol. Parce qu’il serait noir et que ce genre de rôles est rarissime dans le paysage audiovisuel comme cinématographique, on devrait donc tous être cléments et juger du bien-fondé de l’entreprise, en fermant les yeux sur l’incurie de ce que l’on nous propose ? On y voit là une sorte de discrimination positive balourde, où on nous explique qu’importe si tout cela est intrinsèquement de qualité ou pas. Non, le héros est noir et ça c’est vraiment super !

    Soit…

    Régulièrement tartignole dans sa manière de voir notre époque, voulant coller à l’actualité et avec ce souci constant de tout aseptiser, « Lupin » loupe pas mal de coches et se vautre dans la veulerie la plus crasse.

    Quant à l’histoire et ses péripéties, tout semble tellement simple et plié d’avance, pour ce héros bien falot et sans substance. Jamais on ne le voit préparer ses tours de passe-passe. On a beau nous le montrer dans son repaire de Fantômas, enfoncé dans son gros fauteuil design Habitat, avec tous ses écrans et ses costumes en fond, jamais on ne sait comment il parvient logistiquement à mettre au point ses coups seul, sans équipe ou presque. Il a bien un ami d’enfance, un brocanteur fadasse, mais très gentil.

    A force de trop d’ellipses et de deus ex machina, toutes ces facilitées scénaristiques tuent l’histoire globale et donnent l’impression que l’on regarde une longue bande-annonce à la gloire de ce héros. Aucune difficulté ne semble le contraindre ou le mettre dans l’embarras. On devrait donc appeler cette série « Super Arsène », tant son héros semble sorti tout droit d’un Marvel, plutôt qu’inspiré des écrits de Maurice Leblanc.

    Le Lupin de Netflix a toujours trois longueurs d’avance sur tout. Il a le don d’ubiquité, est passe-muraille ou peut encore changer la matière à sa guise. C’est Thanos, en fait. Le mot d’ordre ici, c’est « ta gueule, c’est magique, c’est comme ça et voilà, circulez ! ». À croire que le simple fait d’avoir hérité de son père cet « Arsène Lupin, gentleman-cambrioleur », qui va d’abord devenir le livre de chevet du jeune Assane Diop, va ensuite conférer au héros une somme de pouvoirs magiques qui lui permettront de réaliser tous les tours dont il nous gratifie tout au long de ces cinq premiers épisodes.

    Bref, une série française de plus qui fait « sploutch » pour avoir voulu plaire au plus grand nombre, qui a tout misé sur le crédit sympathie de son acteur principal en faisant l’impasse sur tous les autres personnages. Des péripéties mal fichues et rarement excitantes. Le jeu binaire de la plupart des comédiens qui, hélas, n’ont pas grand chose à se mettre sous la dent en terme de développement psychologique. Quant au succès et à l’engouement que « Lupin » connaît, il faut admettre que c’est un sacré mystère, lorsque l’on sait que les mêmes fans qui crient ici au génie vont aller chipoter sur le final d’autres séries définitivement plus dingues.

    Les moins convaincus se contenteront de trouver la série agréable, sympa, fraîche, malgré son avalanche d’improbabilités, de paresses scénaristiques et d’acteurs sous-employés… Bien, bien, bien… En tout cas, « Lupin » bénéficie un peu partout d’une incroyable bienveillance, pour ne pas dire d’un assentiment unanime. Comme quoi, les goûts et les couleurs…

     

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  • Ghost in the Shell, quand le cyberpunk du Soleil Levant devient une référence mondiale – Partie 2

     

     

    « Ghost in the Shell » est le titre anglophone d’une œuvre de science-fiction de Masamune Shirow, publiée entre 1989 et 1991, et qui donna lieu par la suite à de nombreuses déclinaisons, le plus souvent réussies. Afin de célébrer dignement le trentième anniversaire de la franchise de cyberpunk nipponne qui a popularisé le genre dans le monde entier, au point de devenir la référence ultime du genre dans la pop-culture de science-fiction, un tour d’horizon de « Ghost in the Shell » ainsi que des thèmes qu’elle aborde s’impose…

     

    Ghost in the Shell, le film d’animation de 1995

    Film d’animation à gros budget pour le Japon à l’époque, il est réalisé, en coproduction avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni, par Mamoru Oshii qui avait déjà travaillé sur d’autres longs-métrages d’animation, comme « Patlabor 2 ».

    « Ghost in the Shell » garde l’intrigue principale du manga original sur le Puppet Master et se concentre d’ailleurs uniquement dessus. Pour la petite anecdote, le film a droit à une sortie française en 1996, dans quelques salles, et j’eus la chance de le voir à l’époque. Dès le générique, qui suit une scène d’action correspondant au premier chapitre du manga, on est frappé par le mélange des premières images de synthèse avec un dessin sur celluloïd particulièrement soigné, narrant la construction d’un cyborg, en l’occurence le major Motoko Kusanagi en personne.

    Mais ce n’est pas tout… Le film (et le générique) est servi par une bande-son signée Kenji Kawai, utilisant à la fois des instruments traditionnels (tambours, clochettes) et des chœurs japonais, le tout rehaussé par des instruments modernes, comme le synthétiseur, pour donner une impression de froideur se mélangeant à des chœurs aux voix plus chaudes et plus aiguës, en particulier sur le générique (intitulé « making of cyborg »). Et cette bande-son qui s’avère presque envoûtante se marie parfaitement bien à l’univers Cyberpunk de Masamune Shirow et le sublime, tant l’impression d’un conflit entre le Japon traditionnel et un avenir hyper-technologique transparaît dans le film.

    « Ghost in the Shell » met intelligemment en exergue le questionnement du major sur son individualité et l’importance d’être un individu unique à la personnalité bien définie, dans un monde ultra-connecté par un réseau internet complètement hypertrophié (réalité virtuelle et augmentée). Mais dans les scènes du film, on voit surtout des ruelles étroites et délabrées inspirées par Hong Kong, des musées désaffectés, des personnes aux souvenirs modifiés par le pirate nommé le Puppet Master, donnant l’impression que malgré une haute technologie, une partie du monde se délite sous les yeux cybernétiques des héros. On retrouve d’ailleurs principalement les personnages du major Kusanagi et de Batō, mais aussi de Togusa et Aramaki.

    Autre anecdote : on voit dans un passage du film de nombreux cyborgs ressemblant au major, montrant que le corps cybernétique qu’elle incarne est produit en série, ce qui accentue son besoin de se différencier en tant que personne vis-à-vis des autres. Cette scène n’est pas présente dans le manga, les corps cybernétiques étant « customisables » selon les désirs du cyborg.

    La fin du film est presque la même que dans le manga, à la seule différence qu’elle se déroule dans un ancien musée d’histoire naturelle, lorsque le major affronte un tank arachnoïde qui lui tire dessus, détruisant au passage une peinture murale représentant l’arbre de l’évolution jusqu’à l’homme, en accentuant cette impression que l’humanité se flingue elle-même, avec toute cette cybernétique incontrôlée.

    Lors de la scène finale, le corps cybernétique du major, qui a été particulièrement endommagé, est remplacé par un corps cybernétique d’apparence enfantine, pour lui permettre de survivre à l’assaut du tank et à sa fusion avec le Puppet Master, insistant sur l’idée d’un nouveau départ pour le major et d’une renaissance.

    Petite anecdote, la voix française de Batô n’est autre que celle de Daniel Beretta, qui double habituellement Arnold Schwarzenegger (mimétisme volontaire de la part de la société de doublage, avec l’apparence du personnage ?).

    Si le film est aujourd’hui une référence en matière de SF, en démontrant que l’animation est devenue un média à part entière, à maturité, ça a néanmoins bien failli ne pas être le cas. En effet, à sa sortie en 1995, le film marche mal au Japon, dont les habitants ne sont pas forcément les plus friands du genre Cyberpunk, mais il fonctionne en revanche très bien en Occident, malgré une distribution assez confidentielle. Les réflexions, le questionnement interne de l’héroïne, la maturité, mais aussi la musique et la beauté des images suscitent un excellent bouche-à-oreille chez les fans de science-fiction.

    De plus, les ventes de vidéos permettent à Mamoru Oshii de rentrer dans ses frais et sauve le film. Ce qui lui permettra finalement de réadapter l’œuvre en série télévisuelle de 26 épisodes, et c’est un protégé de Mamoru Oshii, Kenji Kamiyama, qui s’y colle, avec comme objectif de toucher le public hors de l’archipel du Soleil Levant.

     

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    Ghost in the Shell: The Stand Alone Complex, la première série

    Cette série produite en 2003 a toujours comme cadre l’univers Cyberpunk de Masamune Shirow, ce dernier étant consultant artistique et designer. Même si « Ghost in the Shell: The Stand Alone Complex » semble se dérouler avant le film, dont l’action se situe en 2030, cette première série se passe quant à elle en 2032. Ce qui en fait plus un remake qu’une préquelle, avec les mêmes personnages au générique que dans le manga.

    Le format étant plus long – 26 épisodes de 30 minutes chacun – les personnages sont plus fouillés que dans le film et le manga, permettant des scénarios variés aux intrigues policières solides, mettant parfois en avant un des membres de l’équipe en particulier. C’est au studio Production I.G. que la mise en scène des aventures des cyborgs de la Section 9 est confiée.

    Côté musique, c’est l’excellente Yōko Kanno, forte de son succès avec la série « Cowboy Beebop », qui nous délivre une bande-son éclectique, allant de la techno au jazz, et permettant à chaque personnage et à chaque scène d’avoir ses propres identité et saveur.

    La série bénéficie même d’un budget doublé, par rapport aux séries d’animation de l’époque (environs 300.000 dollars par épisode) et il faut bien admettre que cela se voit, même encore en 2020. Et le succès sera mondial…

    Dès le début de la série, on assiste à l’arrivée de Togusa, ancien policier, au sein de la Section 9. L’idée dans cette intégration, c’est de se servir de ce personnage pour introduire le spectateur à l’équipe de cyborgs de la Section 9. Togusa se révélera être le membre le plus humain de la section, et c’est un personnage auquel les spectateurs pourront plus facilement s’identifier.  De surcroît, Togusa est marié et père d’un enfant, tandis que les cyborgs comme Motoko et Batô ne peuvent se reproduire, même s’ils ne sont pas asexués, ni même dépourvus de sexualité.

    Après quelques épisodes d’introduction à la série, durant lesquels la Section 9 affronte espions et terroristes, on passe ensuite aux épisodes qui, comme dans le manga, vont entretenir un fil rouge. Un pirate informatique nommé « Le Rieur », cette fois bien humain, pirate les cyber-cerveaux de ses victimes pour dénoncer un scandale politico-financier, et la Section 9 essaie de tirer les choses au clair, dans cette affaire impliquant un ministère entier. Le complot sera dénoncé et le scandale mis au jour, non sans l’aide du Rieur, dont le nom et la phrase d’introduction – « I thought I had to pretend that I was one of those deaf-mutes » – sont inspirés d’un livre de Salinger.

    Dans la série, outre des scènes d’action très réussies et des histoires qui ne figurent pas dans le manga original, les scénaristes prennent le temps et la peine de donner un passé aux personnages principaux. Par exemple, Motoko Kusanagi est un cyborg depuis l’enfance, suite à la contraction d’une maladie dégénérative. Quant à Batô, il est un ancien soldat qui s’est battu dans les jungles d’Asie, et ce passé remontera à la surface lorsqu’il poursuivra un tueur en série.

    Contrairement au manga, chaque personnage a son Origin Story, et tous voient leur passé exploré et révélé, pour la plus grande joie du spectateur, en donnant aux personnages ce petit supplément d’âme caractéristique de l’œuvre.

    Si l’atmosphère de certains épisodes est parfois lourde (on parle d’exploitation, voire parfois de maltraitance…), la série passe aussi par des moments comiques, avec en particulier les robots arachnoïdes dits « Tachikoma », des intelligences artificielles s’exprimant comme des enfants, et découvrant le monde avec la Section 9. Même si les Tachikoma sont le « Comic Relief » de la série, ils n’hésitent pas à prendre part à l’action si besoin est, et ils évoluent au cours de la saison, en développant un ghost.

    Aujourd’hui, on peut raisonnablement affirmer que cette série est LA référence absolue en matière de Cyberpunk, tant le soin extrême apporté aux scénarios, à la musique ou aux dessins, semble définir l’oeuvre.

     

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    Ghost In The Shell 2: Innocence, le second film sur la franchise

    C’est en 2004 que la suite du film de 1995 sort sur grand écran, et sera même présentée à Cannes, démontrant à tous ceux qui en doutaient encore qu’on assistait à un début de reconnaissance de l’animation japonaise.

    Chose très importante à noter, c’est toujours Mamoru Oshii qui est aux commandes de ce nouvel opus, permettant ainsi une continuité évidente avec le premier film, « Ghost in the Shell 2: Innocence » en étant la suite directe. Et Batô en est cette fois le héros principal.

    Quant au scénario, il pioche dans plusieurs des histoires parallèles du manga, en particulier avec l’intrigue du Puppet Master, tout en les remaniant afin de rester dans la continuité du film de 1995. La Section 9 s’avère être très peu remaniée, et seule l’arrivée du personnage original d’Azuma apporte un léger changement à la constitution de l’équipe originelle.

    L’histoire de ce deuxième volet oppose donc la Section 9 à des robots qui se mettent soudainement à éliminer leurs propriétaires. Mais avant de s’en prendre à Batô, l’un des androïdes crie « aidez-moi », ce qui est somme toute assez inattendu. La Section 9 est sur le coup, car les androïdes défectueux s’avèrent être des « sexaroïdes », à savoir une classe d’androïdes qui répondent à tous les désirs de leur propriétaire. Nul besoin de deviner de quels désirs il s’agit…

    La piste suivie amène la section jusqu’à un Hong Kong futuriste, où l’on découvre que la chaîne de montage des robots-à-usage-intime copie le ghost de jeunes filles et le charge dans le processeur afin de rendre les robots plus « attachants » (même dans le futur, il y a des gens atteints…). Le sauvetage des jeunes filles entraîne la libération fortuite des androïdes, avant qu’ils n’attaquent Batô, qui ne devra son salut qu’à l’intervention du major Motoko Kusanagi. Celle-ci se télécharge dans une des sexaroïdes pour un assaut final, expliquant au passage qu’elle est désormais un esprit qui se balade dans le monde virtuel du Réseau et joue le rôle de l’ange gardien de Batô.

    Outre une animation encore plus peaufinée que sur le précédent opus, les détails fourmillent dans ce deuxième volet au cinéma, au point de nécessiter plusieurs visionnages, « Ghost in the Shell 2: Innocence » étant très dense, parfois trop… Il s’impose néanmoins comme un véritable festival de couleurs, où la 3D et les images entièrement générées par ordinateur s’incrustent dans le film de façon souvent très réussie, mais aussi de manière parfois trop évidente, sans parler d’un scénario mêlant références religieuses (Animisme et Christianisme), philosophiques et technologiques.

    Pour ce qui est de la musique, Kenji Kawai est de nouveau mis à contribution et nous livre une composition encore plus recherchée, notamment lors du combat final, volontairement très proche du générique du premier film, avec encore la fameuse utilisation des chœurs japonais (ainsi que des chœurs de chorale à l’occidentale, pour les oreilles les plus attentives).

    Comme dans le premier opus, cette suite n’oublie pas la métaphysique, comme nous l’évoquions plus haut, et est remplie de citations d’auteurs, notamment occidentaux (Descartes, pour ne citer que lui), mettant en exergue le blues de Batô, à qui le major manque finalement, laissant un vide pour le personnage comme pour le spectateur. Une fois l’affaire classée, Motoko Kusanagi retourne sur le net, telle l’ange-gardien une fois sa mission terminée, même si cette vision nous laisse entendre que l’on pourrait la revoir un jour…

    Il est parfois dit que Mamoru Oshii aurait mis ses inquiétudes et réflexions personnelles sur le futur dans ce film, d’où une oeuvre très dense et touffue, qui peut parfois perdre le spectateur, et nécessite qu’il soit extrêmement attentif, sous peine d’être rapidement désorienté, ne percevant plus la direction prise par le réalisateur.

    Les références mythologiques, ésotériques et littéraires abondent, dans un tourbillon parfois difficile à suivre (notamment sur le Golem, être artificiel issu des croyances juives). Les références cartésiennes (l’âme humaine est « placée » dans un corps qui fonctionne comme une machine) s’opposent à celles qui stipulent que l’âme humaine est le fruit de la complexité de son corps et de son cerveau. Mais néanmoins, ce film mérite une redécouverte, vu la densité et le nombre de thèmes abordés.

     

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    Ghost in the Shell: the Stand Alone Complex, 2nd Gig

    Derrière ce titre assez long se cache la seconde saison de la série d’animation, où l’on retrouve toute l’équipe de la saison 1, ainsi que les Tachikoma qui apportent toujours leur dose de réflexions comiques.

    Dans cette saison, suite au scandale que la Section 9 a révélé au grand jour, le gouvernement change et le premier ministre avec (madame la premier ministre devra même être protégée par la section dans un des épisodes). Suite à une prise d’otage réglée avec succès par le major et son équipe (à moins que ça ne soit Aramaki et son équipe), la Section 9 est réintégrée de manière officielle dans le ministère.

    Aux commandes de la saison, on retrouve le même staff que celui de la première saison et Yoko Kanno crée une bande-son tout aussi réussie que pour la précédente.

    De nombreux épisodes contiennent d’ailleurs des clins d’œil à d’autres œuvres, telles que « Taxi Driver », « Les Ailes du Désir » ou encore le manga « Cat’s Eye ».

    Cette fois, le fil rouge de la série mêle le thème du nationalisme au complot politique, tant à l’intérieur du pays qu’au niveau international, sur fond de crise migratoire (thème étonnamment actuel, alors que la série a été produite en 2004), avec un groupuscule nationaliste inspiré de celui qui avait tenté un coup d’état au Japon le 15 mai 1932.

    Là où l’intrigue devient plus dense et plus complexe, c’est que le complot se sert de fanatiques religieux (les 11 individuels) comme de pions. L’un des buts des fanatiques et de ceux qui les manipulent est l’anéantissement des réfugiés (d’origine asiatique) et du ghetto dans lequel on les a installés.

    La série aborde ainsi des sujets qui peuvent entraîner une certaine controverse, et on découvre d’ailleurs que chaque membre de l’équipe a un avis différent sur la question, ce qui ne les empêche pas d’agir avec professionnalisme. Dans cette seconde saison, la géopolitique revêt plus d’importance.

    Par exemple, on avait appris que les Etats-Unis d’Amérique étaient scindés en deux, les Etats-Unis à proprement parler et l’empire américain qui regroupe les états du Sud.  Au passage, cette seconde saison raconte également le « passé » de ce monde futuriste. Dans un épisode, on nous raconte comment Motoko, alors soldat, a recruté Saito, au coeur d’un conflit mondial. Cette saison permet de creuser un peu plus dans le passé des protagonistes, notamment celui de Paz, l’ancien Yakusa.

    Autre sujet abordé, la place d’un androïde (le nommé Proto), à l’intelligence artificielle suffisamment développée pour passer pour un être humain. En effet, ce dernier est un prototype qui essaie de se faire passer pour humain. Proto a peur de dévoiler sa vraie nature, craignant d’être rejeté par ses collègues de la section 9, ayant surtout affaire à des androïdes au comportement trop prévisible ou enfantin.

    Ce détail scénaristique fait écho au phénomène psychologique parfois controversé dit de la « vallée de l’étrange ». Un robot est accepté par les humains, soit s’il est d’apparence très éloignée de celle des humains, comme les Tachikoma ou R2-D2 de Star Wars, ou au contraire d’apparence très humaine comme Proto. Entre les deux, un robot n’ayant pas une apparence « assez » humaine peut provoquer, d’après les tests, un sentiment de rejet, voire de peur. L’endosquelette androïde du Terminator en étant un parfait exemple dans la fiction (même si c’est volontaire de la part des scénaristes et de James Cameron de lui donner cette apparence macabre).

    La série se referme sur une Motoko Kusanagi au cœur brisé (l’un des fanatiques était un amour de jeunesse). Quant aux Tachikoma, ils se sont sacrifiés pour permettre le succès de l’équipe et ils sont remplacés par les Fujikoma (un clin d’œil au manga)…

     

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    « Ghost in the Shell, quand le cyberpunk du Soleil Levant devient une référence mondiale – Partie 3 », à lire très prochainement dans le Magazine Instant City…

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Dans les Episodes précédents » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Ghost in the Shell – Partie 1

     

     

     

  • Jean Pierre Bacri : Toutes les nuances de la colère

     

     

    Et voilà, encore l’un de nos meilleurs acteurs et scénaristes qui nous quitte trop tôt, sans que l’on en ait entièrement fait le tour. Car le Batman de Luc Besson dans « Subway » ne semblait pas avoir encore abattu toutes ses cartes et il restait bien des zones d’ombre à éclaircir. On avait envie d’en savoir un peu plus quant à ses emportements feutrés dont il avait le secret, ses coups de sang (froid…) dans les quelques interviews qu’il distillait, toujours pince-sans-rire, toujours élégant.

     

    Tout d’abord, il serait trop facile de cataloguer Jean-Pierre Bacri dans la catégorie « Ronchons » ou de le cantonner au rôle d’éternel râleur patenté du cinéma français des années 80, 90 et 2000. Il avait certes des choses à dire – beaucoup, même – mais plutôt que de passer pour le donneur de leçons de service, telle la vedette engagée dans de nobles causes mais qui condamnerait à tout va, d’abord pour se donner bonne conscience et surtout pour avoir le beau rôle (en France, les comédiens et chanteurs de cet acabit sont légions…), lui préférait l’humour et la dérision, à la façon d’un Pierre Desproges. Certains allaient même jusqu’à le comparer à Bill Murray, pour cette moue placide qui lui était propre, le côté renfrogné en plus…

    Car Jean-Pierre Bacri s’est très vite imposé comme un acteur qui se rangerait dans une catégorie bien spécifique, celle de ces acteurs au tempérament bien trempé, à la nature cristalline et sans faux-semblant. À l’instar de Lino Ventura, Jean Gabin ou même Gérard Lanvin, l’ex-compagnon d’Agnès Jaoui a toujours mis en avant son caractère et qui il était vraiment.

    S’il s’est d’abord servi de cet élément pour composer des personnages de policier, maquereau, gangster ou homme de main, dans des tas de seconds rôles, toujours marquants, pour Arcady, Besson, Pinoteau, Santoni, Lelouch ou Deray, il a su également cultiver cet art funambulesque, pour exceller dans la peau de losers lunaires et flamboyants, les pauvres types à la solde des âpretés du monde (« Escalier C », « Cuisine et Dépendances », « Un Air de Famille », « L’été en pente douce »).

     

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    En effet, il n’aura eu de cesse que de casser son image en s’abîmant dans des rôles peu flatteurs, mais qui au final lui auront permis de toujours remporter l’adhésion et susciter l’empathie. Car Bacri, c’est surtout cette vision de l’homme qu’il a sans cesse voulu gratter jusqu’à l’os, avec tous les personnages qu’il a eu l’occasion d’incarner, au théâtre comme au cinéma. Toujours plus humain, toujours plus bouleversant, dans cette somme de petits détails et d’anecdotes.

    Les collaborations avec Agnès Jaoui, en tant que scénariste-dialoguiste ou acteur, ont pour la plupart d’entre elles été couronnées de succès et ont ainsi marqué durablement l’inconscient collectif (« Le Goût des Autres », « Comme une Image », « Place Publique »…). Mais peut-être auront-elles aussi nui à l’image de Jean-Pierre Bacri, avec ce sempiternel jeu de bougon devenu au fil du temps une marque de fabrique, une sorte de signature que l’acteur a fini par nous resservir tout au long des années 2000. Les spectateurs se déplaçaient dans les salles surtout pour voir et entendre Bacri asséner ses punchlines avec ce ton monocorde et cette expression de Droopy si caractéristiques.

    De ces neufs collaborations avec Agnès Jaoui, il reste cependant des réussites et des évidences. Parmi celles-ci, « Parlez-Moi de la Pluie » en serait l’exemple le plus marquant. Probablement parce ce film ne cherche plus à épater avec ses dialogues et ses échanges imparables entre acteurs, ce sens de l’orfèvrerie et des phrases ciselées. Non, c’est un film moins tapageur et beaucoup plus juste, sur les relations humaines et les faux-semblants, éternelles marottes du couple Bacri-Jaoui, au cinéma comme à la ville ; une sorte de lâcher-prise où les deux auteurs s’oublient un peu pour mieux saisir l’air du temps et la véracité des sentiments. Ça n’est d’ailleurs pas pour rien si ici, la réalisation est fluide, invisible. On n’est plus dans de la compétition de dialogues d’haltérophile et d’effet appuyés et ce cinquième film reste à ce jour le plus abouti, mais surtout le plus beau.

     

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    Les quelques films qui suivront ne seront plus que des bonus ou des variations sur le même thème. C’est en même temps hilarant et troublant de voir Jean-Pierre Bacri se concocter des rôles, toujours avec une certaine délectation masochiste, dans lesquels ses personnages sont le plus souvent des hommes faibles, parvenus, imbus d’eux-mêmes et égoïstes.

    Les autres rôles qui vont lui être proposés lui donneront une image plus baroque et parfois à la lisière de l’abstraction (« Cherchez Hortense », « La vie très privée de Monsieur Sim », « Tout de suite maintenant », « Grand Froid » ou le sublime et méconnu « Adieu Gary »). Preuve, s’il en fallait une, que Jean-Pierre Bacri fut un acteur complet, à sa façon et tout en nuance.

    Pour son tout dernier rôle au cinéma dans « Le Sens de la Fête » en 2017, rétrospectivement, lorsque l’on revoit le film de Olivier Nakache et Eric Toledano, on assiste à un baroud d’honneur ou une sorte de pot-pourri de tout ce qui fait Bacri, de tout ce qui donne envie de le voir et encore plus de l’entendre dans un film. Cette gourmandise à laquelle on adhère lorsqu’il va se moquer toujours avec tendresse de ses interlocuteurs ou comment il parvient si bien à nous parler des autres.

     

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    Ce n’est pas qu’il semble revenu de tout, qu’il soit cynique ou résigné, mais sûrement que Jean-Pierre dans la vraie vie et le Bacri dans les films voulaient nous parler de la douceur insoupçonnée qui pouvait aussi se nicher dans les dysfonctionnements du monde et dans les relations entre les personnes.

    Peut-être tout simplement de la pudeur…

     

    Photo à la Une : Georges Seguin (Fnac des Ternes 2007 – CC BY-SA 3.0)

     

     

     

  • Le cinéma de Jacques Demy : du rose, du bleu, du jaune et du noir aussi…

     

     

    Ce qui peut rendre l’adoration de Jacques Demy plus perverse encore, c’est d’écouter éructer tous ses détracteurs qui ne supportent pas ses films. Et c’est avec un amusement narquois qu’on peut les entendre vociférer sur les chants, la musique de Michel Legrand. L’aversion totale de tous ceux qui exècrent en général les comédies musicales et plus particulièrement les films les plus emblématiques de celui qui fut l’époux d’Agnès Varda…

     

    On pense tout de suite à des couleurs pastels, des chansons désuètes et des situations doucereuses. Mais c’est en fait mal comprendre ce que Jacques Demy veut nous dire. Le fait de cette détestation résulte souvent d’une méconnaissance de son art, de ses œuvres et de ce qu’elles nous racontent en creux.

     

    « Mais qu’allons-nous faire de tant de bonheur, le montrer ou bien le taire ? »

    Passé l’aspect léger, coloré et primesautier des « Demoiselles de Rochefort », de « Peau d’âne » ou « Lola », il reste surtout cette gravité, une certaine mélancolie sourde, une amertume qui donne à ces films toutes leurs saveurs. « La Baie des Anges », « Model Shop », « Les Parapluies de Cherbourg » ou « Une Chambre en Ville » sont quant à eux ces autres films de Jacques Demy qui ne cherchent pas à cacher leur âpreté. Les personnages qui se croisent ou se manquent, les amants éconduits, les mélancoliques qui esquissent de fausses euphories, des joies tristes, sont souvent tous au bord de la rupture.

    Les personnages créés par Jacques Demy, ces marins casaniers, ces femmes volages et émancipées, ces rois amoureux de leur fille, ces fées-marraines manipulatrices ou ces hommes qui acceptent leurs échecs ou d’autres encore qui partent à la guerre, sont autant de facettes du monde, tel qu’il est et pas comme il devrait être. Personne n’est dupe…

    C’est pour cela que même si le réalisateur de « Lady Oscar » a pu parfois utiliser des codes hollywoodiens pour obtenir ces formes et ces tons acidulés, il n’en a pas pour autant oublié le fond de ce qu’il voulait souligner, en définitive. Autant de personnages en adéquation avec leur temps. Ces années 60 et 70 où l’on remettait en cause l’ordre établi, les conventions et les usages, où l’on se trouvait fort à l’étroit dans une société pré-mâchée.

    Jacques Demy est bien un réalisateur français qui a su, à sa manière et avec tact, nous parler des affres du monde et de la place de l’homme, parfois plus perdu-perdant que valeureux triomphant. Même si beaucoup perçoivent encore Jacques Demy comme un artiste mineur, avec ses films-véhicules à niaiseries, c’est qu’ils en ont justement mal interprété le code couleur. Ce rose, ce bleu, ce jaune ne montrent pas forcément que de la béatitude. Tout dans le cinéma du fidèle collaborateur de Michel Legrand se décline en subtiles volutes, mais aussi en quelques petites piques bien placées. De l’acupuncture pour notre bien, notre guérison ? Non, car on ne guérit jamais vraiment, comme si on ne le souhaitait pas, finalement. On se complaît même dans cet état…

     

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    Pas comme les autres…

    Si Jacques Demy a commencé à tourner des courts-métrages vers la fin des années 50, puis des films de long-métrage, dans le sillon de Truffaut, Chabrol ou Godard, il n’a cependant pas vraiment contribué à ce renouveau du cinéma français qu’a pu constituer la Nouvelle Vague, même s’il s’en est sans doute servi. Bien que la forme de ses premiers films soit assez classique, ce qui l’était en revanche moins, c’était ses personnages et leur devenir.

    Son épouse, Agnès Varda, elle aussi cinéaste, va utiliser La Nouvelle Vague à sa manière, dès 1962, avec le fabuleux et tellement moderne « Cléo de 5 à 7 », puis en 1965 avec « Le Bonheur ». Stylisé, peut-être, mais en étant tout de même très proche de cette vision du monde, dans laquelle les hommes et les femmes semblent toujours seuls, malgré ces foules qui les entourent.

    Jacques Demy, quant à lui, ne craint pas le romantisme exacerbé, les chansons exaltées et les histoires d’amour échevelées. Plus imprégné par le cinéma américain des années 30 à 50, pour ce qu’il exprime de fantasme et de rêve, que d’une certaine réalité crue mise en exergue dans le cinéma italien de l’époque, ou encore les interrogations politiques de ses confrères français, Demy va tisser, tout au long de sa filmographie, une variation sur des individus qui rêvent de partir. Tous ceux qui souhaitent le mouvement et ne plus être là… Partir comme ultime étape, comme ultime sens à leur vie qu’ils ne maîtrisent pas trop, mais imaginent toujours que tout sera forcément mieux ailleurs.

    En ayant été durablement marqué par des orfèvres, tels Stanley Donen, Mark Sandrich ou Vincente Minnelli, et cet âge d’or hollywoodien, lorsque la comédie musicale rayonnait en reine sur grand écran, Jacques Demy va tenter avec succès (un certain temps…) de malaxer ce cinéma flamboyant et techniquement imparable, tout en y instillant les réalités de ces années 60.

    Anouck Aimé, Jeanne Moreau, d’abord, prêtent leurs charmes surannés à cette quête, puis Deneuve, sa sœur Françoise Dorléac, Delphine Seyrig. Des femmes aussi fragiles que fortes, autant rêveuses qu’avec les pieds sur terre. Une dualité dont elles se servent toutes pour autant charmer, manigancer, que s’affranchir de règles séculaires et rouillées. Des femmes-enfants qui sont les égales des hommes. Des hommes qui, chez Demy, sont encore plus paumés quand ils ne sont pas tout simplement des éternels perdants.

    Le temps d’une parenthèse de quelques années aux Etats-Unis, Demy réalise « Model Shop ». Le projet ne pioche plus dans la Nouvelle Vague française que quelques formes, mais anticipe à sa manière le courant à venir que l’on appellera rétrospectivement le Nouvel Hollywood.

    Un film où on retrouve également une certaine Lola, le personnage d’Anouck Aimé dans l’oeuvre éponyme. On se souvient d’ailleurs que dans le film de 1961, Lola rêvait justement de partir en Amérique pour vivre ses rêves, et on la retrouve finalement strip-teaseuse, comme modèle que des anonymes viennent prendre en photo dans des cabines quelque peu sordides.

     

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    C’est donc cela aussi, le cinéma du réalisateur du « Bel Indifférent », une ironie cinglante et une mélancolie comme baume apaisant, mais qui ne peut guérir les plaies. Quelque chose de doux et qui sent bon, qui entretiendra au contraire notre nostalgie, comme s’il s’agissait « d’une  écharpe de blanche laine ». À noter aussi que dans les « Demoiselles de Rochefort » qui se situe dans le temps entre « Lola » et « Model Shop », on évoque à un moment donné un sordide fait divers, avec une malle en osier qui a été retrouvée, contenant le corps démembré d’une ancienne danseuse qui s’appelait Lola-Lola. Humour noir et encore lien direct. Parle-t-on de la même Lola ?

    La filmographie de Jacques Demy s’avère particulièrement hétérogène, dans laquelle des films se répondent en miroir, avec ces petites passerelles secrètes qui les unissent tous les uns aux autres ; un fil invisible qui maintient de manière fragile tout cet univers, cette cosmogonie. C’est pour cela que l’on s’y retrouve toujours, au détour d’une situation, d’un mot ou d’une chanson. Les rêves se chantent et la réalité s’articule autour de bavardages uniformes.

    Les âmes frêles, les amoureux de l’amour, les pessimistes joyeux et les humanistes déçus s’y retrouvent toujours. Et ceux qui se croisent dans les films de Demy ne sont pas optimistes mais plutôt idéalistes. Ils ne croient pas à l’hubris des conquérants et aux tours de Babel. En revanche, ils croient aux rencontres et aux hasards de la vie, aux détails et aux petits gestes.

     

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    En 1964, « Les Parapluies de Cherbourg », ce sublime mélodrame qui obtient la Palme d’or à Cannes et qui rencontre un immense succès en France et à travers le monde, est l’exacte synthèse du cinéma de Jacques Demy en devenir. Un chef d’œuvre qui s’est dressé naturellement. Un état de grâce, un équilibre parfait. Un miracle.

    Trois ans plus tard, Demy réalise « Les Demoiselles de Rochefort ». Sans doute plus abordable, dans sa facture plus riante et colorée, il n’en demeure pas moins que l’histoire comporte tout autant de personnages aux destinées semées d’obstacles et de désillusions. À la différence de son prédécesseur, ici, pour la plupart des protagonistes, les résolutions à leurs arcs narratifs seront comblés par l’amour et le succès.

    L’histoire, qui se déroule dans ce Rochefort solaire et magnifié, repeint pour l’occasion en couleurs pastels, est une sorte de convalescence, après la noirceur des « Parapluies de Cherbourg ». Le rétablissement est complet, entre chansons imparables et chorégraphies virevoltantes. Voir ainsi Catherine Deneuve, Danielle Darrieux, Françoise Dorléac, Michel Piccoli et Gene Kelly dans le même film, c’est comme se retrouver enfermé toute une nuit dans une pâtisserie ou un glacier. Le film est une pure merveille, un enchantement créé de toute pièce. Ce n’est plus un sentiment, une impression, mais une réalité tangible, palpable.

    Encore trois ans plus tard, c’est au tour du film « Peau d’âne » de venir tenter de réitérer l’exploit, en épousant cette fois-ci le mode du conte, à la manière d’une fantaisie anachronique et loufoque. Les chansons ciselées de Demy et Legrand sont parfaites, inoubliables, comme autant de tubes intimes, un peu honteux, que l’on chantonne encore aujourd’hui, tels des mantras bienfaiteurs. Ce cinquième film est probablement le point d’orgue de la filmographie de Jacques Demy, l’ultime plaisir bourré de références et de symboles, de facéties et de clins d’oeil.

     

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    En 1973, c’est avec le film « L’événement le plus important depuis que L’homme a marché sur la Lune » que Jacques Demy surprend encore, avec une histoire dont le sujet aurait pu être là aussi un prétexte pour une comédie hollywoodienne. Avec Catherine Deneuve qui collaborera pour la dernière fois avec Demy et Marcello Mastroianni, le réalisateur nantais s’essaie à la satire sociale, comme aurait pu le faire Marco Ferreri, néanmoins sans la charge politique de l’auteur de « La Grand Bouffe ».

    Le sujet : un homme tombe enceinte et devient le porte-étendard mondial pour une nouvelle ère et peut-être un nouveau monde. On regrette juste que le film se cantonne à une comédie légère et distanciée, une farce qui désamorce toute polémique. Il y avait là pourtant une tentative de renouveler un genre et l’envie pour Jacques Demy de se défaire un peu de l’image qui lui collait à la peau.

    À partir des années 80, l’inspiration du réalisateur de « Lady Oscar » ne tolérera plus l’époque qu’elle va traverser. En 1982, il y a bien « Une Chambre en Ville » qui se voudrait le pendant plus actuel et plus gris des « Parapluies de Cherbourg », avec ses dialogues chantés et son fond social. Mais les années 80 ne possèdent décidément plus la légèreté et la magie picturale des années 60. Le sujet et l’ensemble se contentent d’essayer d’imposer uniquement leurs acteurs principaux. Sans plus d’entrain que ça… Le film paraît raide et peu aimable.

    C’est le début de la fin… En 1985, « Parking » avec Francis Huster, qui prétend revisiter le mythe d’Orphée, est une catastrophe industrielle. Que ce soit la transposition de l’histoire originelle dans des décors dépouillés et bétonnés (faute de moyens conséquents pour le projet), la direction artistique, les chansons, jusqu’aux acteurs, Francis Huster en tête, tout constitue un festival de mauvais goût et de moments gênants.

    En 1988, « Trois Places pour le 26 » avec Yves Montant et Mathilda May sera certes mieux préparé et tourné dans de bonnes conditions. Mais hélas, là encore, le film ne séduit pas plus le public, bien que la critique ait poussé le projet en avant. Les comédies musicales semblent avoir fait long feu et même si on s’intéresse toujours aux classiques d’antan, les nouvelles créations agacent plus qu’elle ne suscitent la curiosité et l’enchantement. Celui qui avait su charmer le public dans les années 60, voire dans les années 70, ne comprend plus rien à l’époque dans laquelle il évolue désormais, où tout semble aller de plus en plus vite. le goût des spectateurs peut changer du jour au lendemain, en fonction de l’offre plus que le demande.

     

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    Il ne faut plus chercher la cohérence, les envies, les désirs. C’est une période en pleine mutation, où la fragilité n’a plus lieu d’être. Les héros se doivent d’être forts et sans ambiguïté. Le cinéma de Jacques Demy est devenu désuet. Il va tomber malade et s’éteindra en 1990.

    Celui qui avait quelque peu perdu de sa superbe, va voir après sa disparition, et surtout grâce au travail acharné de sa défunte épouse Agnès Varda, son œuvre être remise en selle, avec moult anniversaires et événements commémoratifs. Certains de ses grands films, jadis conspués par une certaine presse comme par tous ceux qui pensent toujours être les garants de ce qui est bien ou de ce qui ne doit pas se voir, vont devenir des classiques impérissables, des pièces maîtresses du paysage cinématographique français.

    Le cinéma de Jacques Demy, c’est en fin de compte tout un espace de fantaisie immense et sans limite imposée, des bonbons au réglisse qui laissent dans la bouche ce goût si particulier, tout autant sucré qu’un peu amer.

    Tous ces films magiques, ces chansons précieuses, ces actrices, ces acteurs, tous ces noms, ces personnages qui se sont prêtés au jeu de l’amour ludique et rieur, de la fantaisie doucereuse mais mélancolique, tous ces ballets, ces élans et ces frasques orchestrés par un homme idéaliste, qui croyait au cinéma et ses conjurations, sont ce qu’il y a de plus précieux, qui nous requinque lorsque tout le reste est en train de s’effondrer.

     

    « Nous ferons ce qui est interdit, nous irons ensemble à la buvette, nous fumerons la pipe en cachette, nous nous gaverons de pâtisseries… Mais qu’allons-nous faire de tous ces plaisirs ? Il y en a tant sur terre. »

     

    C’est là la vraie définition du mot bonheur.

     

     

     

  • Six Feet Under : la mort, cette soeur, cette mère, cette amie…

     

     

    C’est dans la même veine que des séries télé telles que « Oz », « Deadwood », « The Wire » (« Sur Ecoute »), « Carnival Row », « The Sopranos » ou « Rome », toutes diffusées sur HBO et devenues des références en la matière, que se situe « Six Feet Under ». Il faut dire que dès 2000, la chaine câblée envoie du très lourd, avec tous ces programmes inventifs, audacieux et précurseurs, chacun dans son thème.

     

    Et il faut admettre que ses concurrentes directes auront bien du mal à donner le change. HBO va ainsi rayonner pendant au moins dix ans, sans aucune ombre au tableau ni adversaire digne de ce nom pour venir lui disputer sa place. Quant à Alan Ball, le créateur de « Six Feet Under », il avait fait sensation au cinéma deux ans plus tôt avec son film « American Beauty », une fable grinçante qui disséquait au microscope la société américaine et ses grands thèmes inusables, entre famille, sexe, argent et mort.

    Avec cette série en cinq saisons, Alan Ball souhaite approfondir encore ces mêmes sujets, mais en poussant au maximum tous les curseurs. Ce qui l’intéresse avant tout, cette fois-ci, c’est d’aborder plus particulièrement le thème universel de la mort. Alors quoi de plus logique pour cela que de situer l’histoire de « Six Feet Under » au sein d’une famille à la tête d’une entreprise de pompes funèbres. Tout va donc s’articuler autour du quotidien de la famille Fisher. Et chaque épisode obéira au même rituel, avec en ouverture le décès d’une personne différente.

    Dans « Six Feet Under », on assiste ainsi à un festival de morts atroces, voire absurdes ; cette grande roue de la fortune pour chacun de nous, et la mort qui la fait tourner. Cette dernière a en plus de l’humour à revendre. Avec cette série, en parallèle à l’évocation de la vie privée des divers personnages, nous découvrons tout ce qui tourne autour de l’activité de pompes funèbres, entre l’accueil des familles endeuillées, l’embaumement et les différentes étapes de la préparation des corps.

    Dès le premier épisode de la saison une, Alan Ball nous met à l’aise avec le sujet central de la série et il est donc hors de question pour lui d’édulcorer les aspects les plus durs de cette profession et de tout ce qui s’y rattache. Alors rien ne nous sera épargné. Il va nous falloir affronter la grande faucheuse droit dans les yeux…

    La force de cette histoire, racontée de façon « balsacienne », avec moult détails et une précision d’antomologiste, c’est qu’en même temps qu’elle nous saisit, nous foudroie, elle ne cherche jamais à nous intimider pour autant. On suit le parcours de chacun des personnages, dans tous les cas de figure, de l’insignifiant, du détail trivial aux grandes étapes de sa vie. On va ainsi les suivre jusqu’au bout, jusqu’à leur propre mort aussi.

     

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    C’est ce qui rend cette série si précieuse et bouleversante, finalement. Car jamais cela ne s’était produit, dans la trajectoire d’un récit conçu pour la télévision. On peut bien-sûr perdre tel ou tel personnage en route, ou nous laisser le bénéfice du doute concernant le destin de chacun. Mais ici, non. Chaque personnage est écrit, détaillé, de telle manière qu’il devient à la longue une extension de nous-même.

    Dès le tout début du premier épisode de la saison une, le personnage dont on peut raisonnablement penser qu’il est central, meurt dans un accident de voiture. Le ton est donné. Dès lors, on ne pourra plus s’appuyer sur aucun rempart ni aucune référence. Chacun des épisodes constituera une expérience immersive dans la vie de ces gens, avec leurs qualités, leurs défauts, et jamais rien ne nous permettra de penser que quoi que ce soit leur est acquis.

    Ce qui apporte également tout son sel à « Six Feet Under », ce sont ces morts qui parlent aux vivants, avant que ceux-ci ne trépassent à leur tour. Cette idée, qui n’est pas forcément originale, va pourtant servir, tout au long de la série, de passerelle entre les personnages et eux-mêmes, finalement. Quand on se ment en permanence, qu’on élude certaines questions, pour remettre à plus tard le moment où il faudra forcément les affronter, on prend le risque de se retrouver dans une impasse dont il sera impossible de s’échapper.

    Notre présence en ce bas monde est brève et la lisière entre vie et mort est aussi mince que du papier à cigarette. Il faut donc tâcher de regarder les choses en face le plus vite possible, pour éviter de souffrir aussi longtemps qu’il nous en sera possible.

    La famille Fisher, tout d’abord perçue comme dysfonctionnelle, va se révéler finalement bien ordinaire, à tel point que le mimétisme et l’empathie nous sautent à la figure très rapidement. Alan Ball et ses scénaristes prennent le temps d’exposer tous les sujets qui leur tiennent à cœur et rien n’est laissé au hasard. Tour à tour, on déteste chacun des personnages pour en préférer d’autres, avant que ceux-ci ne tombent également en disgrâce, pour finir par revenir sur le podium.

    Au final, on tremble pour chacun d’eux, tant il est clair qu’au fil des épisodes, ils deviennent des proches. Car cette famille pourrait être la vôtre, avec tout ce que cela comporte de mensonge, de lâcheté, d’hypocrisie, d’arrogance et de faux semblants. Et on se reconnaît aisément dans tous ces traits de caractère. Rarement une série aura aussi bien dépeint l’être humain dans ce qu’il a de plus organique. Et rien ne nous sera épargné jusqu’au final. Seule certitude à la fin : c’est de toute façon toujours la mort qui a raison.

    Avec « Six Feet Under », le créateur de la série ne se concentre pas seulement sur le scénario. Ce sont aussi des formes qui sont inventées. Et ces formes qui s’expriment, sont belles. À commencer par les fondus qui ne sont pas noirs mais blancs. Cela confère à l’ensemble un certain détachement, comme pour nous prévenir… « Attention, ne vous attachez pas trop à tout ce que vous vivez, que vous voyez ou que vous aimez. Votre passage sur terre est bref. Concentrez-vous alors sur l’essentiel. »

    Alan Ball instille également de la facétie dans ses récits, avec des ruptures de ton, des inserts étonnants, comme par exemple ces séquences de comédies musicales. Il y a bien-sûr la musique du générique et le son de la clarinette qui, là encore, apporte une certaine légèreté, voire une dissonance, au sujet qui va être traité. Dans ce générique, cette imagerie s’y matérialise sous la forme de symboles forts, à commencer par ces deux mains qui se lâchent en une gestuelle gracieuse et élégante, puis la représentation de la mort, avec la morgue, le cimetière, le cercueil, la pierre tombale et le corbeau, l’ultime témoin de tout cela…

    Ce qui prédomine finalement et qui rassure, c’est la douceur et la délicatesse avec lesquelles on nous explique que cela ne sert à rien de s’évertuer à trop vouloir se cramponner, et qu’il faut savoir lâcher prise, quand le moment l’exige. Certains diront que c’est la manière protestante de voir les choses et de les appréhender au mieux.

    Reste qu’arrivé à la conclusion des cinq saisons et de leur ultime épisode, on se sent triste de quitter des personnages qui nous ont semblé si familiers, mais en même temps apaisé, libéré d’un poids. Les derniers plans sont tellement magnifiques qu’on pleure, bien-sûr, mais probablement de soulagement. Claire quitte le foyer pour enfin partir vivre sa propre existence. Dans le rétroviseur de sa voiture, on voit un instant Nathaniel, en joggeur, courir sur le trottoir comme il le faisait si souvent, puis on le dépasse et sa silhouette s’estompe. Il disparaît.

    Apprendre à continuer à exister malgré tout, sans nos chers disparus, et vivre heureux, coûte que coûte, en attendant la mort. Cette ineffable, surprenante, irrévérencieuse et ponctuelle mort que l’on appréhende avec tant d’interrogations. La série « Six Feet Under » aura en tout cas tenté de répondre à toutes nos questions.

     

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  • The Mandalorian : que reste-t-il de nos… Star Wars ?

     

     

    C’est acté, confirmé, tamponné, on peut le dire aujourd’hui, la reprise de la licence Star Wars par Disney s’est soldée au cinéma par ce gâchis manifeste que nous connaissons. C’est en effet dans la précipitation et le souci de récupérer au plus vite les quatre milliards consentis à George Lucas pour acheter son bébé cosmique, que la firme aux grandes oreilles met en chantier une nouvelle trilogie dès 2013, juste après la coûteuse acquisition, et sans tenir compte pour autant du fameux adage : « il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs ».

     

    En ne prenant absolument aucun risque avec le matériau de base et afin de rallier à sa cause un maximum d’adeptes, on lisse au maximum, on ripoline, on ponce, pour que rien ne dépasse et que ces nouveaux épisodes soient en parfaite cohérence avec l’état d’esprit du moment. Ainsi, tous les choix artistiques et scénaristiques qui sont faits vont certes permettre à l’Episode VII (le premier épisode de cette nouvelle trilogie) de casser la baraque (à frites) lors de sa sortie, mais vont en revanche déboucher sur la gabegie des deux épisodes suivants.

    Car en fait, rien n’a jamais été maîtrisé dans cette histoire. L’Episode VIII contredit tout ce que son prédécesseur a cherché à déployer et l’Episode IX, quant à lui, tente désespérément de rattraper les aberrations de l’épisode précédent. Au final, on secoue tout ça et on obtient une nouvelle trilogie qui ne raconte rien, qui n’aboutit à rien et qui laisse dans son sillage un fumet nébuleux qui peut presque évoquer le pet contrarié. Et « sploutch » fit le bateau qui coule…

    Car le constat est bel et bien sans appel. Entre l’ennui poli de la presse et de quelques aficionados circonspects ou l’hystérie collective de tous les autres fans, se sentant une fois de plus trahis, bafoués, floués, sodom… (non quand même pas…), ces nouveaux Star Wars, loin des étoiles, mangent le bitume.

    Mais c’est mal connaître la souris obèse, gavée aux stéroïdes et divers anabolisants. En réaction à cette Bérézina, cette dernière dégaine en amont une série destinée à sa propre chaîne Disney+. Un programme qui promet de renouer avec l’esprit d’antan, ce fameux côté « Western » que certains aiment évoquer afin de définir la fable de George Lucas… Et c’est exaspérant.

    Tandis qu’au cinéma, les différentes tentatives (ersatz) et divers spin-off qui suivirent dans le sillage des trois épisodes de la nouvelle trilogie furent globalement conchiés, hormis peut-être « Rogue One », qui reste à ce jour le succédané préféré de toute cette nouvelle génération de films sans George Lucas aux manettes, « The Mandalorian », produit pour la chaîne de Mickey, va très rapidement prendre son envol et réussir à empapaouter les plus revêches des idolâtres, et même les plus hardcore. La magie (noire…) Disney a encore fonctionné…

    Toujours dans ce souci d’essorer jusqu’à la corde le moindre élément, personnage ou intrigue parallèle qui se rattacheraient à l’univers spatial, les studios ont dès le départ projeté de faire figurer à l’écran chaque personnage emblématique de la saga originelle. l’Episode VII cartonne, « Rogue One » marche très bien, il n’y a donc aucune raison que cela ne dure pas. Les executives semblent avoir le Mojo… Mais après le tollé contre « Le Dernier Jedi », et ce malgré ses excellents chiffres, c’est « Solo », le deuxième spin-off, qui trinque en se prenant méchamment le caniveau. En même temps, il faut admettre que ce film n’est franchement pas très bon…

    Branle-bas de combat, Disney va devoir sérieusement revoir la stratégie de gavage d’oies qu’elle avait mise en place, s’appuyant en principe sur la sortie d’un film par an. Pour ceux qui ne sont pas au fait de la nomenclature de la saga vieille de plus de quarante ans, il faut savoir que l’univers de George Lucas est si vaste que l’on peut sans problème imaginer pouvoir en exploiter le moindre recoin, afin d’en tirer de nouvelles aventures, et ce pendant encore une bonne centaine d’années.

    Mais la magie de « Star Wars » réside aussi dans l’attente. Avant, il fallait en général patienter trois bonnes années pour découvrir un nouvel opus dans les salles. En voulant désormais balancer du Star Wars à tout bout de champ, quitte à y proposer des histoires aussi peu innovantes, il y a forcément un risque de lassitude, voire même d’effondrement de l’édifice tout entier… Pourtant, « The Mandalorian » va s’évertuer à raviver cette flamme qu’entretenaient tous les déçus des pré et post-logies.

     

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    Premier constat après la fin de la première saison…

    Conçue comme un tube de pommade géant, cette première salve d’épisodes live, en s’élevant sur les ruines de ce que fut une part de notre enfance, va n’avoir de cesse que de nous caresser dans le sens du poil. Un bout de décor, un robot, un nom ou une des nombreuses créatures aperçues quelques secondes auparavant dans l’univers classique de Star Wars et hop, ça fait la blague et ça permet surtout de donner la matière à un épisode entier.

    Racoleuse telle une prostituée de la rue Saint-Denis, avant que tout le quartier ne s’embourgeoise, la série « The Mandalorian » va tenter de nous aguicher en brandissant de belles formes et de nombreuses promesses. Certes… Le public, conditionné sur plusieurs générations, en est arrivé à un tel niveau de fétichisme que c’est avec une facilité déconcertante que les scénaristes n’ont qu’à torcher vite fait bien fait sur un bout de nappe n’importe quelle intrigue digne d’un épisode de « Babylone Five », avec comme simple cahier des charges le principe de bourrer chaque épisode de tout ce qui avait servi dans les vieux « Star Wars » de l’époque. « Ah, je me souviens avant, c’était du latex, des maquettes et des décors en dur… C’était quand même autre chose ! », s’écrit le fan nostalgique et neurasthénique.

    Oui, « The Mandalorian » va vous resservir exactement ce que vous avez commandé à Noël, poussant même la putasserie jusqu’à faire apparaître à un moment un véhicule jamais vu dans aucun des films « Star Wars », et créé uniquement pour être ensuite vendu comme jouet (un transporteur de troupe impériale)… C’est donc ça, « The Mandalorian », un coffre à jouets d’où vous ressortez vos figurines et vos vaisseaux spatiaux, pour faire mumuse ; « pzzzziiichw, pzzzziiichw, tuuuuvzzz, tuuuvzzz ! ».

    Des scripts indigents, des péripéties tout droit sorties du cerveau d’un enfant en train de jouer dans sa chambre… On nous fait certes miroiter un semblant de cohérence dans le premier et les deux derniers épisodes, avec des morceaux de bravoure enthousiasmants, mais qui tombent hélas à plat, après que l’on se soit enquillé un long tunnel d’action et de péripéties forcées, archi-déjà vues et aussi captivantes que des séries des années 80. Tout n’est que remplissage et embouteillage de lieux communs.

     

    Et sinon, « The Mandalorian », ça raconte quoi, au juste ?

    Au départ, si tout se passait bien avec les productions pour le cinéma et si « Solo » se devait d’être en toute logique un carton au box office, il était également prévu que l’on mette en chantier un film consacré au célèbre chasseur de primes, Boba Fett, aperçu la première fois dans « L’Empire Contre-Attaque ». Mais vu l’accueil en salle pour le moins glacial du film « Solo », sur la genèse de notre vaurien préféré, les pontes de la firme, plus rats d’ailleurs que souris, ont finalement vite rétro-pédalé. Il en a d’ailleurs été de même pour un éventuel film sur Obi Wan Kenobi, qui lui aussi verra ses aventures narrées sur le petit écran.

     

    A moins que…

    Jon Favreau, d’abord acteur puis réalisateur et producteur, se revendique fan absolu de « Star Wars », un peu comme J.J. Abrams d’ailleurs, ou comme tous ceux qui s’approchent de cet objet et qui ont, à leur corps défendant, juré (voire craché par terre) avoir la sève « Star Wars » qui coule dans leur veine depuis toujours.  Bref, Jon Favreau tente à son tour de mettre en image cette lointaine galaxie, tout en nous faisant croire qu’il connaît et comprend mieux que quiconque ce qu’est Star Wars.

    Il va ainsi imaginer, cette fois-ci pour la télé, une mini-série, non pas autour de Boba Fett, mais de l’un de ses homologues casqué et résolument badass. Une totale création, puisque ce personnage n’apparaît nulle part ailleurs. Les fans sont sceptiques. Ils ne le seront pas longtemps. On leur promet de revenir aux fondamentaux, au Star Wars des origines, avec plein de sable et de poussière, et un petit plus en prime. Un supplément d’âme, peut-être ?

    C’est bien le mot d’ordre qui semble pourtant s’imposer comme ultime gage de qualité, afin de rassurer à coup sûr les réfractaires, à chaque nouvelle tentative de ressusciter la magie d’antan ; « être fan » et « comprendre ce qu’est Star Wars »…

    En effet, ce qui saute ici rapidement aux yeux, c’est le soin apporté aux détails, à la moindre référence, qui ne sert plus seulement de prétexte mais de vrai élément sociologique. Totalement immersif, avec le souci d’exploiter et de rendre tangible un écosystème, « The Mandalorian » peut parfois donner l’impression d’être tout bonnement un documentaire sur cette lointaine galaxie. En ne s’intéressant plus aux grandes figures de la saga, ces héros légendaires et les enjeux démiurgiques qui s’y rattachent, on se rapproche davantage d’une évocation de protagonistes moins ambitieux et de leurs petites existences insignifiantes. Admettons…

    Il aurait pourtant été plus audacieux de confier la production de ces nouveaux projets, à savoir les films ou les séries produites pour la télé, à des réalisateurs peu ou prou spécialistes de la question. Cela aurait permis d’apporter un regard résolument neuf sur cette vieille franchise, avec de nouvelles  idées, des concepts différents et d’autres directions. Cela aurait évité le sur-place, les redites et cette impression fâcheuse de voir encore et toujours le même film, avec les mêmes enjeux et les mêmes trucs de magicien essoufflé et bouffi… Or ici, la seule excuse exprimée, déguisée en fausse modestie, c’est que l’on ne nous servira pas cette fois de grandes figures au destin shakespearien, mais des protagonistes de « Plus Belle la Vie », mais dans les étoiles… Ok…

    L’idée maîtresse de « The Mandalorian » ne va donc pas être de révolutionner Star Wars. Oh La La, non, surtout pas… Car encore une fois, il ne va falloir surtout prendre aucun risque et rester bien sage dans son coin.

     

    Être Mandalorien ou ne pas être…

    Le concept de ce programme se résume donc à évoquer un personnage totalement inédit, mais affichant un look fort reconnaissable, et qui évoluerait dans des décors au premier abord évidents, pour tous les orphelins en manque de Starwarzeries, tels des junkies en manque de crack.

    Il va ainsi suffire aux scénaristes de tout bonnement recycler tout ce que l’on a vu auparavant, surtout dans la première trilogie et notamment sur la planète Tatouine. A savoir, des paysages désertiques, des Jawas, des hommes des sables et autres bars remplis de dangereuses créatures, le tout dans cette ambiance très « Western » qui n’est plus simplement appuyée, mais assénée au marteau-piqueur.

    Affublé également d’un baby Yoda, une mignonnerie que tous rêvent de posséder en porte-clé, le héros, sorte de rônin tout droit sorti du manga « Baby Cart », dont il reprend également tous les codes, poursuit une quête dont on ne connaît toujours pas les tenants et les aboutissants, arrivé au terme de la première saison. Avec ce mini Yoda (idée cadeau imparable pour les prochains Noël), on rajoute artificiellement un enjeu aux protagonistes, qui sans but véritable, se traînent d’épisode en épisode. Enfin, « se traînent », zigzaguent plutôt, puisqu’entre une énième planète-forêt puis une planète de glace, nos héros reviennent sans arrêt sur Tatouine. L’imagination débordante des scénaristes atteint vite ses limites…

    Quant aux premiers épisodes de la saisons 2, on nous en met plein les yeux, à grands coups de visuels et d’effets spéciaux. Tout est tellement léché qu’il ne manque pas une bandelette de cuir sur les masques des Tuskens (hommes des sables). Pourtant, une fois encore, malgré les somptueuses ballades dans ce monde familier et les scènes d’action qui vont à 200 à l’heure, tant au niveau du scénario que de l’intrigue principale, paradoxalement, on fait encore du sur-place.

     

    Retour sur la genèse du projet

    A l’origine, le chasseur de primes Boba Fett n’était pas censé devenir un personnage essentiel. Apparu dans « L’Empire Contre-Attaque », il devait juste servir de relais, malgré son look intrigant, pour finir par disparaître purement et simplement dans « Le Retour du Jedi ». Mais il est pourtant très vite devenu culte… Au point d’ailleurs qu’il revient successivement dans « L’Attaque des Clones » et « La Revanche des Sith », la prélogie de Lucas, dans laquelle sont évoquées ses origines comme le rôle prépondérant de son père, qui initiera la constitution d’une armée de clones, afin de servir les desseins du futur empereur Palpatine.

    Bref, tout cela est tiré par les cheveux, certes, mais Lucas veut avant tout faire plaisir aux fans, en faisant de nouveau appel à ce personnage, dont l’aura et le mystère grandissent d’année en année…

    Pour « The Mandalorian », on va donc découvrir un nouveau personnage, qui revêt le même accoutrement que son illustre homologue. Et on va en savoir un peu plus sur ce peuple et ses motivations, voué à l’art de la guerre et obéissant à une philosophie spartiate, où tout n’est qu’honneur et sacrifice. Fort bien…

    L’histoire qui nous intéresse se situe dans le temps juste après la bataille d’Andor et la chute de l’Empire, soit entre « Le Retour du Jedi » (Episode VI) et « Le Réveil de la Force » (Episode VII), avec l’avènement de la nouvelle république. On peut tout de même regarder sans trop de déplaisir ce programme, où on nous plonge dans un bain amniotique. Tout ici est conçu pour nous plaire, nous autres, vieux nostalgiques de ces films que l’on a plus imaginés que réellement vus.

    Mais reste que « The Mandalorian » est un objet mort, une dent dévitalisée. Au mieux, on a l’impression d’être dans un jeu vidéo, mais sans pouvoir pour autant y jouer, dans lequel le protagoniste avance de mission en mission, jusqu’au tableau suivant, avec toujours un « boss » à dégommer pour franchir le niveau. Chacun des épisodes est conçu de cette manière. Ça semble pourtant fonctionner, tant on entend partout que cette série est une pure réussite et s’avère finalement être exactement le Star Wars que l’on était en droit d’attendre. Soit…

    Avec les bouleversements économiques liés à la Covid 19 et le marasme qui s’est abattu (entre autres) sur l’industrie du cinéma, là encore, Disney l’a joué fine, personnel et  surtout en mode « après moi le déluge ». Disney a d’une part rapatrié sur sa chaîne, voire rendu disponibles en VOD, toutes ces productions initialement conçues pour le cinéma. Fort du succès de « The Mandalorian », le studio est en train de mettre un coup d’accélérateur à tous les futurs projets liés au concept « Star Wars », et ce uniquement pour le petit écran. Adieu, donc, les salles de cinéma. Quand on sait que Disney au cinéma, c’est 30 % du chiffre annuel global. Ouch, ça pique un peu…

    Il est même question de démultiplier désormais le format feuilletonesque, ce qui ne devrait d’ailleurs pas choquer les puristes, puisqu’à l’origine, en créant « Star Wars », George Lucas souhaitait rendre hommage aux serials de son enfance (« Flash Gordon », entre autres), des programmes diffusés à la télévision, justement.

    Oui, Star Wars va devenir un produit comme un autre, pas meilleur, pas pire que n’importe quelle série disponible sur une plateforme quelconque, que le spectateur va consommer placidement, sans trop se poser de questions. Finis, donc, l’événement, les recherches technologiques, les effets spéciaux inédits, l’exception, le sentiment d’assister à quelque chose de rare ou d’exclusif.

    La science-fiction n’a pourtant pas complètement été sabordée, puisque les espoirs sont désormais placés ailleurs. On a d’abord eu, début octobre, sous la houlette de celui que l’on croyait fini, sénile même, Ridley Scott, « Raised by Wolves », sa série en dix épisodes, parfois inégaux mais pleins de promesses, de visuels, d’images hallucinantes et d’idées tant folles que stimulantes. Et puis, en 2021, on attend avec impatience « Fondation », une série adaptée des livres d’Isaac Azimov, que l’on peut voir comme le nouveau « Dune ». Ces séries cossues  et spectaculaires viendront, on peut imaginer, rebattre les cartes, de par leur ambition et les enjeux qu’elles traitent.

    En ce qui concerne notre amour immodéré, voire irrationnel, pour ce que George Lucas a créé et mis au monde depuis « La Guerre des Etoiles » en 1977, ce qui est sûr, c’est que face à autant de contradictions de la part des fans en général, il ne sert à rien d’espérer davantage désormais de cette franchise. Il faut juste se contenter de fantasmer Star Wars, tel un mirage, une malédiction dont on est tous devenu fous. Car oui, Star Wars, c’est le tonneau des Danaïdes…

     

     

     

  • Happy 45, Monty Python Sacré Graal !

     

     

    Pour tous ceux qui seraient trop jeunes pour s’en souvenir, Monty Python, c’est une troupe britannique composée de six humoristes qui se sont rencontrés à la fac et se produisent dans des spectacles composés de sketchs, jusqu’à ce que la BBC leur propose de créer une série TV échappant à toute censure.

     

    Ainsi, durant 45 épisodes, de 1969 à 1974, les Monty Python travaillent leur style, comme les collages surréalistes dans les images d’animation. Chaque émission est une succession de sketchs unis par un fil conducteur qui lui donne son identité propre. En 1971, ils font leur première incartade au cinéma avec leur long-métrage « La Première Folie des Monty Python », une anthologie des meilleurs sketchs du show TV « Monty Python’s Flying Circus ». En France, la série a été diffusée pour la première fois dans l’émission « Continentales d’été » à partir du 1er août 1991 sur FR3, à l’époque où l’idée d’Europe faisait encore sens…

     

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    En 1975, avec la sortie de leur second long métrage,  « Monty Python : Sacré Graal ! », le succès est tel qu’il dépasse largement les frontières du Royaume-Uni. Suivront « La Vie de Brian » en 1979 et « Le Sens de la Vie » en 1983. Ils seront même invités à se produire dans un show à New-York qu’on peut voir en version filmée dans « Monty Python à Hollywood » (« Monty Python Live at the Hollywood Bowl ») en 1980.

     

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    Un temps séparés, ils suivront chacun leur chemin sur des projets différents avant de se retrouver en 2013, alors que l’un des membres de la bande de joyeux drilles, Terry Jones, annonce lors d’une conférence de presse à Londres la reformation de la troupe, en même temps qu’un nouvel et ultime spectacle. Les dix représentations données en juillet 2014 afficheront complet ; 20.000 tickets partis en 45 secondes pour la première. La troupe désormais à cinq (Graham Chapman est décédé en 1989) joue ses meilleurs sketchs pour son spectacle d’adieu. La dernière représentation sera rediffusée dans le monde entier (sur Arte pour la France).

    La seule parenthèse à leurs carrières solo respectives fut leurs retrouvailles en 2009, pour un reportage tourné à l’occasion des 40 ans de leur première apparition à l’antenne de la BBC. Pour fêter cet anniversaire, Bill Jones tourna un documentaire racontant en six épisodes l’histoire des Monty Python par eux-mêmes : « Monty Python, toute la vérité ou presque ».

     

     

     

    En 2015, c’est un autre anniversaire que fêtaient le distributeur Park Circus et Sony Pictures : les 40 ans de la sortie du film « Monty Python and the Holy Grail ». Pour un soir seulement, une version nouvelle, complètement musicale, était diffusée le 14 octobre 2015. Plus de 500 cinémas britanniques participaient à cette soirée unique avant la sortie par la suite d’une version DVD / Blue Ray dans les pays anglophones.

     

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    Une seconde vie pour ce film tourné avec des bouts de ficelle (et quelques noix de coco) et financé par des groupes de rock fans comme Led Zeppelin ou Pink Floyd (deux millions d’entrées pour seulement 250.000 dollars de budget de tournage). Terry Gilliam a souvent raconté que le National Trust leur avait refusé de tourner dans les châteaux, les accusant de ne pas respecter la dignité des lieux, ce qui avait obligé la troupe à découper de faux décors en carton peint et à tourner plusieurs scènes simplement dans un parc en plein centre de Londres. L’occasion de voir et revoir ces scènes tordantes, de se remémorer toutes ces anecdotes de tournage et de vérifier si Arthur et ses chevaliers ne trouvent finalement pas le Graal chez Harrod’s…

     

     

    Et en cadeau, « Monty Python and the Holy Grail » en Lego…

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    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Monthy Python Official

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] « Live at Aspen » (1998)