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A l’heure des plateformes de streaming (Netflix, Canal+, OCS, Prime Video, Apple, HBO…), toujours plus compétitives en terme de contenu, où l’on nous propose des séries à la qualité qui dépassent souvent celle de certains longs-métrages de cinéma, « Lupin » tente le pari de réinventer le grand récit populaire, universel, en essayant de plaire à un maximum de spectateurs.

 

Là où le principe même de la série a été révolutionné dès la fin des années 90, avec des contenus conçus pour toucher tel ou tel public en particulier (« Oz », « Six Feet Under », « The Wire », « Sopranos »…), avec l’idée que chacun pouvait avoir sa propre série, pour « Lupin », les auteurs ont quant à eux imaginé conquérir la plus large audience possible, maintenant et tout de suite, sans même choisir une cible en particulier, non… Avec cette nouvelle version de Lupin remis au goût du jour, c’est comme la devise des supermarchés : « Tout doit disparaitre ! » et « Grandes remises au rayon fromages ! »

Arsène Lupin appartient au cercle de ces références emblématiques tirées de l’imaginaire collectif. Bien que les livres à la gloire du gentleman-cambrioleur n’aient jamais été ouverts par les plus jeunes, que la série avec Georges Descrières soit maintenant trop ancienne pour que la plupart d’entre nous s’en souviennent vraiment, ou que la chanson de Dutronc ne soit plus que rarement jouée à la radio ou à la télé, il y a malgré tout cette griffe, cette marque, qui est parvenue à traverser les décennies et évoquer encore aujourd’hui quelque chose au plus grand nombre. Et tout cela suffit à visualiser le personnage en frac et chapeau-claque, tour à tour élégant et sophistiqué, détroussant les baronnes de leurs bijoux tout en butinant leur cœur…

Ce qui aurait pu tout d’abord paraître audacieux et original, en utilisant l’image consensuelle et sympathique d’Omar Sy pour incarner ce Lupin 2.0, va finalement très vite s’avérer aussi le principal défaut de cette nouvelle version du gentleman-cambrioleur. Le comédien originaire de Trappes, vivant désormais à Los Angeles, est pourtant incroyablement fédérateur. Il est incontestablement très aimé des Français, avec cette image réconfortante et joviale qu’il se trimballe depuis le SAV, avec son copain et faire-valoir Fred Testot.

Seulement voilà, Omar Sy, n’est pas un très bon comédien. Et il ne l’a jamais été. C’est une nature. Il peut être drôle et il a le rire communicatif, l’oeil qui frise, certes, mais cela ne peut pas suffire quand il faut, tout au long d’une série, assurer des scènes plus dramatiques ; lorsque il est censé, par exemple, pleurer la mort d’un compagnon auquel il tenait particulièrement. Son jeu s’avère alors extrêmement limité. Ce qui semble être un comble, quand on sait quel héros emblématique il incarne, à savoir le maître du déguisement et du travestissement, celui qui peut être n’importe qui d’autre. Gênant…

Sans même oser évoquer un autre problème de taille qui a ici son importance. Une importance capitale… Il est noir et aussi assez grand. Ce n’est donc pas très évident à se figurer le héros originel dans un tel récit, lorsque le personnage doit, à l’insu de tous, se dissimuler derrière une simple moustache et une casquette, devant les caméras de surveillance et divers autres dispositifs de contrôle. C’est là justement où intervient la fameuse « suspension d’incrédulité ». Le spectateur devra tacitement accepter tout et n’importe quoi, jusqu’à ce non-sens total. On assiste alors à des scènes pour le moins ridicules, durant lesquelles on diffuse des portraits-robots de Lupin, mais que jamais personne ne parvient à reconnaître le coupable. Exactement comme lorsque Superman enlève son costume, chausse des lunettes et devient Clark Kent, sans que personne ne fasse le lien entre les deux.

Une autre maladresse qui plombe sacrément cette histoire de vol de collier et de vengeance larvée, c’est qu’en voulant cocher toutes les cases du progressisme, alors que la thématique du sujet ne demandait pas autant de zèle, l’intrigue et les protagonistes vont voir leur quête court-circuitée par des petits moments embarrassants, comme si on nous balançait, au moment le moins opportun, des spots télé contre le racisme, la violence faite aux femmes ou tout autre sujet lié à l’actualité sociétale du moment. Ainsi, à plusieurs reprises, on nous sert à la louche des sorties totalement hors sujet, liées à des revendications féministes ou, concernant le héros, à des interactions avec des protagonistes racistes comme on en fait plus.

Des allusions douteuses et grossières, voire des comportements ignobles, émanant de surcroît de personnages qui dans la vraie vie n’auraient jamais l’occasion de se comporter de la sorte. Ce commissaire-priseur, par exemple, ou encore cet homme d’affaire immensément riche et extrêmement cultivé, qui a forcément par son travail des relations professionnelles avec toutes sortes de nationalités. Et tout deux se permettraient de plaisanter sur sa couleur de peau ou sur son appartenance à telle ou telle espèce de primate ? Désolé mais ça ne fonctionne pas car c’est juste inconcevable. Les dialoguistes arrivent ainsi à mettre dans la bouche de leurs acteurs des allusions ou des formules dignes des pires beaufs racistes façon Dupont-La Joie, ou d’enfants dans la cour de récréation. Tout ceci rend finalement l’ensemble maladroit et stupide.

 

Alors, si on accepte avec mansuétude, comme postulat de départ, ces choix éditoriaux putassiers, pour se focaliser sur ce qu’on tente de nous vendre, à savoir le grand évènement Netflix du moment, la série popcorn et ultra-fun par excellence, le feuilleton qui pourrait même détrôner « La Casa del Papel »… Eh bien, comment dire… Oups…

 

Il résulte de ces choix pour le moins hasardeux qu’avec « Lupin », on a très vite l’impression de regarder une série policière TF1 sous anabolisants, croulant sous de multiples références mal recyclées (à commencer par « Thomas Crown » et « Le Prestige »…). Mais une série TF1 quand même… La réalisation est certes nerveuse et rythmée, avec des plans très courts, surtout pour éviter au spectateur de trop se concentrer sur la piètre qualité de la mise en scène comme de la photographie. Afin de donner une vague impression d’opulence et apporter à l’ensemble une ampleur « cinématographique », mais surtout pour masquer la pauvreté des décors, on saupoudre le tout de plans tournés avec un drone et de mouvements de caméra circulaires, trop systématiques pour être honnêtes.

Il y a bien quelques scènes d’action, surtout concentrées dans le premier épisode, avec le vol du collier au Louvre, mais qui là aussi paraissent au final bien cheap. Car tout est bien trop mécanique et terne. Le récit et les enjeux manquent quant à eux d’immersion. Quitte à tourner avec peu de moyens, on aurait pu imaginer une mise en scène plus organique, collant plus aux semelles des personnages. En l’état, on se contente de travellings inutiles, qui tentent de donner le change à des scènes toutes aussi statiques les unes que les autres.

Si la réalisation reste dans l’ensemble assez fluide et le rythme des épisodes sans temps mort, c’est d’abord lié au fait que les acteurs doivent débiter leur texte très vite, trop vite, probablement dans le but de ne pas ennuyer un spectateur ingrat, sevré au zapping intempestif, télécommande dans une main et téléphone portable dans l’autre.

Côté scénario, là encore, force est de constater que tout est téléphoné de bout en bout, en enfilant des coups de théâtre et des surprises émoussés, avant même qu’ils ne produisent l’effet escompté, comme avec un collier de nouilles. Peut-être un bon point pour les flash-backs et notamment le jeune acteur qui interprète le rôle-titre à 15 ans. Probablement les passages les plus réussis du programme, parce qu’ils apportent justement un peu de pose et de romantisme.

Si Omar Sy prodigue autant de sympathie et de chaleur autour de lui, malgré son jeu calamiteux, dans le registre du charme et de l’humour, qu’en est-il du reste de la distribution ? Il est évident que dans cette production, la direction d’acteur importe peu. Tous les comédiens font ce qu’ils peuvent pour faire exister leur personnage, mais là encore, on croit voir un feuilleton estampillé TF1. Les policiers, en tête, sont réduis à une somme de clichés et de lieux communs assez consternants. Alors, face à ce constat d’échec à renouveler le genre, où chercher d’autres pistes pour donner du relief  à tous ces rôles ?

Il y a bien Nicole Garcia (on se demande bien ce qu’elle vient faire dans cette galère, sinon cachetonner…) qui apporte un peu de grâce et de tact, avec sa classe habituelle. Une bonne histoire de ce genre, c’est aussi un antagonisme réussi. Ici, le salaud de service est totalement raté. Voilà un méchant tout droit sorti d’un épisode de « Joséphine Ange Gardien » ou de « Scoubidou » (mais pourquoi est-il aussi méchant ?… Pasqueeeeeuuu !!). Alors en effet, oui, Il est très très méchant, odieux, colérique, vociférant, sans une once de subtilité, affublé de tous les défauts de la terre et bien raciste, en prime. On a du mal à croire d’ailleurs qu’il ait pu rester marié tout ce temps avec son épouse incarnée par Nicole Garcia, qui semble plus mesurée, concrète, réelle.

Au final, c’est tout au plus embarrassant et grossier, car on sent tellement dans cette version de Lupin l’envie de caresser sans cesse le spectateur dans le sens du poil et de le placer évidemment du bon côté du manche. Des gens riches, cons et racistes. Des policiers débiles, au Q.I. pas plus élevé que celui d’une vache, et un héros qui touche à peine le sol. Parce qu’il serait noir et que ce genre de rôles est rarissime dans le paysage audiovisuel comme cinématographique, on devrait donc tous être cléments et juger du bien-fondé de l’entreprise, en fermant les yeux sur l’incurie de ce que l’on nous propose ? On y voit là une sorte de discrimination positive balourde, où on nous explique qu’importe si tout cela est intrinsèquement de qualité ou pas. Non, le héros est noir et ça c’est vraiment super !

Soit…

Régulièrement tartignole dans sa manière de voir notre époque, voulant coller à l’actualité et avec ce souci constant de tout aseptiser, « Lupin » loupe pas mal de coches et se vautre dans la veulerie la plus crasse.

Quant à l’histoire et ses péripéties, tout semble tellement simple et plié d’avance, pour ce héros bien falot et sans substance. Jamais on ne le voit préparer ses tours de passe-passe. On a beau nous le montrer dans son repaire de Fantômas, enfoncé dans son gros fauteuil design Habitat, avec tous ses écrans et ses costumes en fond, jamais on ne sait comment il parvient logistiquement à mettre au point ses coups seul, sans équipe ou presque. Il a bien un ami d’enfance, un brocanteur fadasse, mais très gentil.

A force de trop d’ellipses et de deus ex machina, toutes ces facilitées scénaristiques tuent l’histoire globale et donnent l’impression que l’on regarde une longue bande-annonce à la gloire de ce héros. Aucune difficulté ne semble le contraindre ou le mettre dans l’embarras. On devrait donc appeler cette série « Super Arsène », tant son héros semble sorti tout droit d’un Marvel, plutôt qu’inspiré des écrits de Maurice Leblanc.

Le Lupin de Netflix a toujours trois longueurs d’avance sur tout. Il a le don d’ubiquité, est passe-muraille ou peut encore changer la matière à sa guise. C’est Thanos, en fait. Le mot d’ordre ici, c’est « ta gueule, c’est magique, c’est comme ça et voilà, circulez ! ». À croire que le simple fait d’avoir hérité de son père cet « Arsène Lupin, gentleman-cambrioleur », qui va d’abord devenir le livre de chevet du jeune Assane Diop, va ensuite conférer au héros une somme de pouvoirs magiques qui lui permettront de réaliser tous les tours dont il nous gratifie tout au long de ces cinq premiers épisodes.

Bref, une série française de plus qui fait « sploutch » pour avoir voulu plaire au plus grand nombre, qui a tout misé sur le crédit sympathie de son acteur principal en faisant l’impasse sur tous les autres personnages. Des péripéties mal fichues et rarement excitantes. Le jeu binaire de la plupart des comédiens qui, hélas, n’ont pas grand chose à se mettre sous la dent en terme de développement psychologique. Quant au succès et à l’engouement que « Lupin » connaît, il faut admettre que c’est un sacré mystère, lorsque l’on sait que les mêmes fans qui crient ici au génie vont aller chipoter sur le final d’autres séries définitivement plus dingues.

Les moins convaincus se contenteront de trouver la série agréable, sympa, fraîche, malgré son avalanche d’improbabilités, de paresses scénaristiques et d’acteurs sous-employés… Bien, bien, bien… En tout cas, « Lupin » bénéficie un peu partout d’une incroyable bienveillance, pour ne pas dire d’un assentiment unanime. Comme quoi, les goûts et les couleurs…

 

 

 

 

    Photographe, auteur, poète et machine à remonter le temps, avec une cape de mousquetaire toujours portée un peu de biais.

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