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Cela fait plus d’un demi-siècle que « The Body Snatchers » hantent les salles de cinéma, avec au total quatre films qui collent chacun à leur époque respective. De par le sujet commun et ce qu’il véhicule, chacun des producteurs ayant réalisé un des opus a pu y évoquer ses propres frayeurs et obsessions. C’est aussi pour cela que la richesse thématique de l’œuvre originelle reste inépuisable et fournira probablement encore dans vingt ans de nouvelles idées et d’autres angles à explorer, pour ceux qui voudront s’y frotter.

 

« The Body Snatchers » est d’abord un roman écrit par Jack Finney et paru en 1955, en pleine purge anti-communiste aussi dénommée « Peur Rouge », initiée par le tristement célèbre sénateur américain Joseph McCarthy. En France, le livre sort bien plus tard, en 1977, sous le titre de « Graines d’épouvante », mais trouve finalement son titre définitif lorsqu’il est réédité en 1994 aux Editions Denoël : « L’Invasion des Profanateurs ».

« The Body Snatchers » nous raconte donc l’histoire d’une invasion extra-terrestre dans une petite ville américaine. Alors que nous sommes en pleine mode de ces récits de Science-Fiction, où les attaques contre notre planète se font à grande échelle, avec soucoupes volantes et diverses créatures à l’aspect repoussant, l’auteur préfère traiter ici  cette aventure de façon plus intimiste, en mettant en avant surtout la paranoïa ambiante et en la plaçant au cœur de l’intrigue. En substance, un protagoniste, seul contre tous, remonte petit à petit le fil qui le conduira à une révélation finale radicale, mais il sera déjà trop tard…

Ici, point de vaisseaux spatiaux ni d’humanoïdes verdâtres dégoulinants… La menace d’outre-espace prend plutôt l’aspect de petites graines inoffensives, puis de cosses déposées sous votre lit. Lorsque vous êtes endormis, des sortes de racines, ou de veines, se connectent à votre corps. Un doppelgänger va être ainsi créé et vous remplacer. Ce que vous étiez sera ensuite réduit en poussière, avant que votre double ne s’en débarrasse.

La série chère au coeur des téléspectateurs de « La Une Est à Vous » dans les années 70, « The Invaders » (« Les Envahisseurs »), créée en 1967 par Larry Cohen, qui nous a quittés cette année, doit beaucoup à l’histoire de « The Body Snatchers », puisque là encore, un homme seul livre un combat perdu d’avance pour prouver au monde entier que le cauuuchemaaaar a déjà commencé… Pour l’anecdote, il est amusant de noter que l’acteur Kevin McCarthy qui tiendra le rôle du héros dans le premier film sorti en 1956, jouera dix ans plus tard un méchant envahisseur dans un des épisodes de la série.

 

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Il n’aura donc pas fallu longtemps pour que cette histoire soit convoitée par les studios, pour l’adapter au cinéma. En 1956, Don Siegel est le premier à s’y coller… Il adapte le livre et réalise ce qui deviendra un gros succès en salle. Les Etats-Unis sont en pleine guerre froide avec l’Union Soviétique, et même si la chasse aux sorcières instaurée par l’ancien sénateur est terminée, les scénaristes surfent sur la psychose ambiante en imaginant leurs histoires d’invasions extra-terrestres, métaphore à peine voilée de l’aversion des Américains pour les Russes et le communisme, ce dogme politique étrange qui promeut les valeurs du collectivisme, tout en bannissant l’individualisme et le concept de l’être humain comme étant un et indivisible.

Et c’est exactement ce que raconte en substance cette histoire qui nous dépeint la finalité du projet extra-terrestre, à savoir de nous rendre tous identiques. Ce cauchemar qui nous parle de « grand remplacement » durant notre sommeil, par des doubles identiques, comme autant d’avatars dénués de tout sentiment et de réaction, prend une résonance différente en fonction de l’époque et de ses mentalités. A chaque nouvelle décennie, les réalisateurs qui se sont emparés du matériau ont eu une totale liberté pour adapter ce thème à l’air du temps.

 

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Dans les années 70, Philip Kaufman adapte donc à son tour le roman et son film résonne différemment ; la peur hystérique des Russes est retombée et les phobies ont déplacé leurs enjeux. Nous ne sommes plus ici dans une petite ville de province mais à New York, et l’action va se dérouler cette fois-ci dans un milieu d’intellectuels et de psychanalystes.

La version livrée par Kaufman est beaucoup plus viscérale et effrayante, notamment avec certaines scènes aux visions bizarres et puissantes : le chien à tête humaine, le son qui sort de la bouche des infectés lorsqu’ils repèrent un humain et qu’ils veulent alerter leurs congénères, le ton du film plus réaliste et sa fin sans aucune issue possible. Nous sommes bien là dans ce cinéma des 70’s dit du « Nouvel Hollywood », dépressif et subversif à souhait.

Le réalisateur de « L’Insoutenable Légèreté de l’être » et de « L’Etoffe des Héros » pointe du doigt la déshumanisation programmée, dans cette époque de début de nouvelle crise, avec tout ce que cela sous-entend du mal-être et de l’état schizophrénique de notre société. Un film d’une noirceur absolue…

 

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C’est quinze ans plus tard que sort la troisième adaptation du livre « The Body Snatchers », sous la férule d’Abel Ferrara. Probablement une œuvre de commande pour ce réalisateur inclassable, mais il va pourtant y injecter sa vision toute personnelle sur le sujet. Nous sommes au début des années 90 et on a encore changé de paradigme. La société est bel et bien rentrée dans une crise structurelle partie pour durer, et tout le monde semble d’ailleurs s’être habitué à cette sinistre perspective. Nous n’avons plus une vision riante du futur et nous avançons tant bien que mal dans nos vies, sans réelle inspiration.

La très bonne idée de Ferrara ou de ses scénaristes, c’est d’avoir déplacé cette fois-ci l’histoire dans une base militaire. Des militaires, donc, qui deviendraient des clones, sans émotion aucune. Cette idée totalement ironique et de prime abord plutôt tordue, fonctionne pourtant dès le début. Toute la dimension paranoïaque est ici insérée presque sournoisement dans des espaces neutres, comme un ton sur ton ou du bleu marine sur du noir… Le film devient un pur objet filmique et esthétique, avec une photographie où un soleil n’en finit plus de se coucher.

Le réalisateur de « Bad Lieutenant » instaure un climat singulier et presque féerique. L’ambiance léthargique du film donne l’impression d’assister à un rêve ou une vision subjective de l’héroïne. Ferrara est probablement celui qui réussit le mieux à retranscrire cette peur de s’endormir, de s’abandonner et risquer de devenir à son réveil… un autre.

Ferrara nourrit ses marottes, tout en laissant de côté cette fois l’aspect religieux, qui est pourtant prédominant dans son cinéma, pour se concentrer juste sur le sujet : l’identité. Avec « Body Snatchers, l’invasion continue », Il nous livre une série B conceptuelle et ludique, pleine d’angoisse et de poésie. Une sorte de mauvais rêve éveillé et cette phrase finale, distordue et prophétique : « Où veux-tu fuir, où veux-tu aller… Il n’y a plus personne nul part comme toi ».

 

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Difficile de ne pas croire aux cycles, car ce sont encore quinze ans qui s’écoulent avant de découvrir une nouvelle adaptation de « The Body Snatchers », réalisée cette fois-ci par l’Allemand Oliver Hirschbiegel et produite par Joel Silver. Le tournage de cette relecture du roman de Jack Finney ne va pas bien se dérouler, car jugée trop lente par le producteur de « Piège de Cristal » ou de la trilogie « Matrix ». Silver va donc remercier sans ménagement le metteur en scène du film « La Chute », alors que le tournage n’est même pas terminé, et appeler à la rescousse une des sœurs Wachowski, pour rallonger le film inachevé de quelques scènes d’action, qui en manquait cruellement dans le premier montage.

Mais il faut bien reconnaître que cette 4ème proposition appelée « Invasion » est tout bonnement ratée. Alors que le réalisateur Oliver Hirschbiegel avait imaginé une approche beaucoup plus psychologique, en se concentrant sur les doutes et les questionnements des personnages, le résultat final s’avère n’être qu’une pâle resucée de la version de 1978 de Philip Kaufman, bien loin de l’enjeu fort et original des deux remakes précédents, qui étaient parvenus à parler de leur époque au travers du prisme de cette histoire de science-fiction.

Cette nouvelle variation sur le changement d’identité ne propose rien de neuf. Elle se contente simplement de piocher quelques idées déjà utilisées dans les précédents opus. Non pas que les acteurs principaux soient mauvais (Nicole Kidman et Daniel Craig), mais le scénario et les dialogues ne vont pas vraiment les aider à tirer leur épingle du jeu ; un jeu fort ou intriguant… Cette fois-ci, c’est un coup pour rien. Le film est un flop critique et public.

 

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En 2013, Jonathan Glazer réalise l’anxiogène « Under The Skin » avec Scarlett Johansson. Un film fantastique singulier, où l’on pourrait y voir quelques passerelles avec l’histoire originelle de « Body Snatchers ». L’actrice américaine, brune pour l’occasion, incarne une extra-terrestre agissant seule, malgré l’intervention épisodique d’un motard mystérieux. Elle a déjà l’apparence humaine (une sorte de peau en guise d’enveloppe corporelle) et parcourt en camion les rues d’une ville d’Ecosse, la nuit, à la recherche de potentielles victimes masculines qu’elle séduit, pour les plonger finalement dans un bain huileux dans lequel ces dernières seront impitoyablement dissoutes. A la fin, il n’en restera qu’une peau flottant à la surface de ce liquide amniotique létal.

Le réalisateur de « Birth » nous livre ici son interprétation de ce que pourrait être, selon lui, une invasion douce, intime, chuchotée, avec une vision du roman des années 50 ultra dépouillée, sans paranoïa ni questionnement, mais avec une terrible détresse humaine qui transpire à chaque plan.

 

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Il se peut qu’un producteur avisé ressente un jour l’envie irrépressible de mettre en chantier un 5ème film adapté du roman de Jack Finney, « The Body Snatchers ».  Notre époque se prêterait d’ailleurs plus que jamais à une nouvelle relecture de l’histoire originelle, entre règne de la technologie, emprise totale des smartphones, des réseaux sociaux sur notre vie quotidienne et la tyrannie absolue de la parole unique. Comme si nous refusions obstinément de prendre conscience de la perte programmée de notre humanité…

Ce nouveau « Body Snatchers » pourrait dépeindre parfaitement notre monde, et constituer la critique acerbe de ce que nous sommes devenus. Ce film pourrait d’ailleurs commencer par la fin, car si l’on devait tenter de mettre notre évolution terrifiante sur le dos de soi-disants extra-terrestres, on pourrait en déduire qu’ils ont déjà gagné…

 

 

 

    Photographe, auteur, poète et machine à remonter le temps, avec une cape de mousquetaire toujours portée un peu de biais.

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