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Après « Anaïs s’en va-t’en guerre » et « La Belle Vie », Marion Gervais nous donne à voir son nouveau documentaire « Louis dans la Vie », en replay sur France TV jusqu’au 4 août.

 

Louis fête ses 18 ans, l’entrée dans l’âge adulte et dans le monde du travail, comme apprenti en CAP peinture. Premier amour, premier appart, premier job, premier argent propre…  L’amorce d’une vie rangée, après les coups durs, la violence, les déviances. Mais ça cogne dans la tête de Louis. Il étouffe. Ces maisons vides dont il peint les murs pour un salaire de misère, c’est pas pour lui ! Louis rêve de tailler la route au volant de son camion, partir loin. Sans bien savoir où. Il se fait tatouer une boussole sur le torse. Mais le nord c’est où, c’est où le sud ?

Pendant un an, la caméra de Marion Gervais suit Louis qui avance dans la vie comme un funambule aux gestes brusques, sous le regard de sa mère, son amoureuse, sa tutrice… et Marion elle-même, qui ont peur pour lui.

 

Connais-tu Louis depuis longtemps ?

J’ai rencontré Louis avec « La Belle Vie », au Skate Park. J’ai tout de suite eu un rapport très fort avec ce môme. J’ai été saisie par sa puissance de vie et son énergie rare. Après « La Belle Vie », j’ai dit à Juliette (ndlr : Juliette Guigon, productrice, Squaw Productions) que j’aimerais tellement filmer Louis, sa façon d’être sur un fil, comme ça, sa façon de trébucher et de se relever. De chercher son issue… C’était un petit combattant de la vie, il n’avait que 15 ans à l’époque !

Son truc, c’était de jouer à piquer la casquette des flics, de voler une barre de Crunch au supermarché, ou un barbecue aux bonnes sœurs qu’il allait rendre après l’avoir utilisé. Il y avait de l’espièglerie, on n’était pas du tout dans la délinquance. Et puis, sa route a pris une voie plus dure. A un moment, je craignais pour sa vie, il a fait partie d’un gang. Il me semblait en danger, j’avais vraiment peur qu’il meure. Il allait avoir 18 ans. Il risquait la prison. Il m’a dit : « Marion, si je vais en prison, je deviens fou ! ». C’était le moment de prendre ma camera et d’accompagner Louis dans ce combat. Quand je lui ai demandé s’il voulait faire le film, il m’a dit « Pour toi, Marion, je le fais. Allez go go go ! ».

 

Tu filmes et tu es là pour tes personnages…

Ma caméra, c’est comme je suis aussi dans la vie. On est là les uns pour les autres. Cette caméra, elle prend, elle observe, elle enregistre, mais elle peut soutenir, elle peut aider. Louis vient chez moi régulièrement, comme les skateurs, comme Anaïs. Je ne vais pas filmer avec ma vie qui reste à côté. Tout est imbriqué, en définitive.

 

Quel lien fais-tu entre tes documentaires ?

Je filme les rites de passage, cette façon de passer d’une rive à une autre. Louis, il quitte l’adolescence pour devenir un jeune adulte, avec les choix et les renoncements que cela implique. Des choix cruciaux, dans un univers chaotique. Il renonce à l’argent facile de la délinquance et à l’adrénaline, pour devenir apprenti peintre chez Saint Maclou.

Alors se posent à lui des questions brutales : Comment faire pour rentrer dans ces clous, lorsqu’on rêve de surf, de mer et d’espace ? Au-delà de l’amour que je lui porte, je voulais être là pour Louis, pour comprendre, pour assister à cette transition. Comme « La Belle Vie », comme « Anaïs », le tournage creuse toujours le terrain fragile, fébrile, de ces êtres qui cheminent sur des sentiers caillouteux et pentus, à la recherche d’eux mêmes.

 

Et qui peinent à trouver leur place…

Oui, parce qu’en définitive, on a toujours de la peine à trouver sa place dans la société. Ce n’est pas au sein d’une société qu’on trouve sa liberté, c’est avec sa propre intériorité. Long cheminement… C’est à eux de trouver cette place, c’est beaucoup plus compliqué, mais plus vibrant. Ils cherchent, ils cherchent. Pour Anaïs, elle a réussi, grâce à sa détermination et sa rage, à se construire sa place. Pour Louis, le combat commence. Sortir de la délinquance, apprendre un métier pour gagner « de l’argent propre » puis partir, peut-être, avec son surf…

 

Ils y arrivent ?

Je ne sais pas encore pour Louis. Il doit s’apaiser. Il y a de la souffrance chez lui, mais sa puissance de vie est hors norme. Si « Anaïs » et les garçons de « La Belle Vie » finissent par réaliser leurs rêves, Louis se sert du rêve pour rester vivant. Je ne sais pas si Louis réussira à partir à l’autre bout du monde avec sa planche de surf… En tout cas, les cartes sont entre ses mains, mais il lui faut du temps, grandir encore. Son instinct est fort. Il me fait penser à l’un de mes héros, Neal Cassady, alter ego et compagnon de route de Jack Kerouac, qui lui inspira son héros de « Sur La Route » et qui avait cette énergie semblable. Ce sont des êtres qui ont la vie qui déborde de partout. Presque trop vivant pour les possibilités de ce monde.

A côté de Louis, les autres semblent être à l’arrêt, les piles à plat ! Les hyperactifs comme Louis sont des êtres condamnés au mouvement permanent, avec des crises d’angoisse qui montent. Il lui arrivait régulièrement de monter dans les tours. « Arrête avec ta camera, ça me casse les couilles ! ». Et quelques secondes après, c’est terminé, tout est effacé par le présent. Louis a des valeurs fortes. Il est romanesque, c’est une sorte de gentleman. Il est droit dans ses bottes.

 

Tu as une responsabilité énorme vis-à-vis de ce jeune homme dont la vie est rendue publique. Comment vit-il cela ?

On l’a fait venir à Paris pour le visionnage du film monté, avec Louis, Juliette, ma productrice, Ronan Sinquin, le monteur de mon film, son petit frère et moi. On était tous bouleversés. A la fin, Louis m’a regardée et m’a dit « C’est stylé Marion ! ». Il était content, mais il était aussi angoissé de la sortie du film. Il ne sait pas trop ce que tout cela veut dire. C’est pour cela que je ne veux pas l’exposer, l’emmener aux projections. C’est un sauvage, il a besoin de ses repères.

 

Louis est dans son monde mais il nous renvoie à nous mêmes…

Oui, il touche à quelque chose d’universel, qui est de l’ordre de l’humain dans cette société, cette brutalité du monde où l’on doit courber l’échine, où la place de l’homme passe par son asservissement, d’une manière ou d’une autre. Là où il travaille, dans le bâtiment, c’est très apparent, mais à plein d’autres endroits, cette soumission existe, plus édulcorée, moins visible mais bien là. Je trouve que Louis nous permet de réfléchir sur nos vies et je le remercie pour ça. C’est fort, notamment dans les scènes avec sa tutrice, sur les chantiers. Lui du haut de ses 18 ans, elle, de ses 50 ans. Avec cette question en toile de fond, « que faisons-nous de nos existences ? Ça veut dire quoi choisir sa vie ? ».

 

Ce film l’a-t-il changé ?

Ils sont très contents de lui dans sa nouvelle entreprise. Je ne sais pas si c’est lié au film, mais j’observe qu’il est plus posé, il donne des leçons aux gars de la bande du Skate Park maintenant, comme un grand frère. Il est en train de réparer les blessures d’une enfance… Louis est toujours accompagné de ses rêves, passer son permis, avoir son camion et partir. J’espère de tout mon cœur qu’il arrivera à les réaliser. Je lui ai dit l’autre jour « N’éteins pas ta flamme, Louis. Dans deux ans, avec un métier dans la poche, tu traces ta route ! ». Il a juré, craché !

 

Propos recueillis par Anne Rohou pour Instant City.

« Louis dans la Vie » de Marion Gervais, à revoir en Replay sur France-Tv jusqu’au 04 août

 

 

 

 

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