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Le film « Possession » surgit dans les salles de cinéma en 1981, comme le diable derrière la fenêtre, sans que personne n’ait pu se préparer à un tel choc esthétique et visuel. Avec cette œuvre qui sent le soufre, on navigue entre miracle et hérésie. Et c’est avec sidération que l’on contemple comment tout, jusqu’à l’anecdotique, est utilisé et mis en scène. D’abord les personnages, qui deviennent devant la caméra de celui qui est à l’œuvre des pantins dont les fils ont été coupés, mais qui agissent brusquement et sans logique, dans cette nouvelle liberté acquise. Que se passe-t-il alors, lorsque les marionnettes deviennent maîtresses de leurs gestes et de leurs émotions ?

 

Et celui qui est à l’oeuvre derrière la caméra, justement, le réalisateur polonais de « Possession », Andrzej Zulawski, n’en est pourtant pas à son coup d’essai. À l’instar d’un Maurice Pialat ou d’un Abdellatif Kechiche, le réalisateur de « L’important c’est d’aimer » n’a jamais eu pour habitude de dorloter ses comédiens. Il en attend beaucoup, énormément, jusqu’à la folie. Il est de cette famille de cinéastes qui essorent leurs comédiens. Il en presse ainsi tout le jus pour les laisser, à la fin, exsangues. C’est amusant d’ailleurs, lorsqu’on pense à Sophie Marceau, malmenée par Pialat durant le tournage du film « Police » en 1985, et qui enchaînera la même année avec « L’Amour Braque » de Zulawski, dont elle deviendra en prime la compagne. Comme quoi, qui aime bien, châtie bien…

Chacun de ses films, Andrej Zulawski les conçoit comme des catharsis, des réceptacles pour ses propres démons, ses obsessions. « Possession » est pensé en réaction à un projet avorté juste avant, le film « Sur le globe d’argent » qu’il achèvera finalement en 1987. Mais ce que Zulawski va accomplir avec « Possession », c’est une forme de monstruosité impensable, innommable, et jamais, avec une œuvre pour le cinéma, on se sera approché aussi près des enfers et de la folie. L’œuvre du romancier H.P. Lovecraft n’aura d’ailleurs à aucun moment été ressentie avec autant d’écho, tant les motifs du film sont dépeints avec exactitude et similarités. Les pires représentations des fameuses abominations exprimées dans les écrits de l’auteur américain, se manifestent ici grâce à des images jumelles et troublantes.

Même si ce film date de 1981, il n’a en soi jamais perdu de sa superbe méphitique. On peut le voir également comme une extension de « Rosemary’s Baby », « Le Locataire » ou « Répulsion » de Roman Polanski, voire même « Chromosome 3 » de David Cronenberg ; des œuvres immersives où l’on vous plonge dans la psyché des protagonistes, avec la matérialisation physique des pires horreurs qui rôdent dans leurs esprits tourmentés.

 

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Plus que malaisant, « Possession » est un viol qui ira chercher très loin dans vos chairs ce que vous redoutez le plus. Isabelle Adjani, qui est le choix d’évidence dès le départ, refuse pourtant catégoriquement le projet, qu’elle juge trop sombre, trop dangereux pour elle. C’est Bruno Nuytten, directeur de la photographie, engagé pour nimber le film de cette lumière tour à tour grise, bleutée et orange, et également à l’époque l’époux d’Isabelle Adjani, qui parvient à convaincre l’actrice.

Rétrospectivement, l’ancienne pensionnaire de la Comédie-Française regrette ce film amèrement. Il en résultera un grand traumatisme et elle fustigera le réalisateur de lui avoir fait sortir des choses qu’elle ne soupçonnait pas. Des choses qu’elle n’aurait jamais voulu connaître…

En effet, ce qu’Isabelle Adjani déploie pour son rôle relève de la gageure. C’est dans un maelström d’émotion, de sang et d’injures que gicle, qu’éructe le long-métrage jusqu’à nous. La scène d’anthologie dite de la fausse couche dans les couloir du métro berlinois est à ce titre une expérience sensorielle et traumatique inégalée, à ranger sur la même étagère que celle de Romy Schneider dans « Le Vieux Fusil ». Quant à d’autres séquences du film, elles pourraient évoquer « Requiem pour un Massacre » ou encore « L’Exorciste ».

On peut interpréter ce film fou comme une œuvre politique, du fait déjà du décor dans lequel est plantée l’action (le Berlin d’avant la chute du Mur), avec ses vastes immeubles abandonnés et sinistres. On peut y voir aussi, à la façon de l’auteur de « La Fidélité », un pamphlet sur le mariage et la rupture, à base de couteau ménager électrique et de matérialisation monstrueuse de choses impies, soupirantes et humides. Le parti pris audacieux de cette histoire est de saisir à bras-le-corps la représentation de l’horreur que constitue l’autre, comme ce que Jean-Paul Sartre avait diagnostiqué, mais en pire, en indicible.

 

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« Une jeune femme enfermée entre les murs d’un Berlin assiégé par les forces du Mal, physiques et obscures, prend pour amant un hippie ridiculement attardé, produit d’elle-même et aime un monstre difforme qui prendra figure de son mari, embourbé et encanaillé dans une politique d’espionnage. Le Bien contre le Mal. Le Mal gagnera, mais la femme et l’homme retrouveront leur amour, tragique, futile et sans usage. Aux dernières images, la guerre éclatera. Il y a toujours une guerre. » (Andrzej Żuławski cité par Jérôme d’Estais dans son livre « Un testament écrit en français »)

 

Le personnage joué par Adjani entretient donc une relation amoureuse et sexuelle avec une ignoble créature qui se terre dans un appartement, où suintent la moisissure et la putréfaction, avant que celle-ci ne finisse par se muer en un Doppelgänger qui prendra peu à peu la place de son mari (interprété par Sam Neil). Anna aura elle aussi son double, Helen, afin d’exprimer toute une symbolique qui s’imbrique dans la narration et le cheminent tortueux de l’histoire. Un film donc hautement symbolique, où tout s’exprime agressivement, comme une réaction, celui d’un corps qui réagirait à la maladie. Laquelle ? Probablement l’être humain.

Pour la petite histoire, le concepteur de la créature à tentacules du film, Carlo Rambaldi, réalisera un an plus tard pour Steven Spielberg l’extra-terrestre le plus connu de toute la galaxie. On peut ainsi dire qu’avec la création de cet être messianique venu des étoiles, au long doigt lumineux, le peintre et sculpteur italien se sera ainsi évité un mauvais karma, en ayant donné jour à cet amant impie qui se répand sur Isabelle Adjani.

 

Film d’auteur horrifique

« Possession », malgré son ton halluciné et auteurisant, n’en demeure pas moins un vrai film d’horreur. Avec son manque d’humour revendiqué – l’humour qui n’a d’ailleurs jamais été caractéristique du cinéma de Zulawski – l’oeuvre affiche cependant une tonalité burlesque, grotesque, qui nous tétanise. En réaction à son divorce qui l’affecte profondément, le réalisateur de « La Note Bleue » peut se défouler et surréagir à ce qu’il est en train de vivre. Et on peut gager que la séparation à l’écran ne se passera pas dans la douceur et la diplomatie…

On peut tout à fait ne pas goûter aux sombres et hystériques visions du réalisateur polonais, tout en reconnaissant la maîtrise de son film et ses fulgurances, telles autant de gifles et de coups. « Possession » vient de ressortir en blue ray, bénéficiant d’une restauration méticuleuse de ses images. N’hésitez pas à redécouvrir cette œuvre remastérisée et apprécier un cinéma extrême et totalement libre. Une œuvre douloureuse, difficile, mais rare.

 

 

 

 

    Photographe, auteur, poète et machine à remonter le temps, avec une cape de mousquetaire toujours portée un peu de biais.

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