Catégorie : Fight

  • Luis Sepúlveda : « Raconter, c’est résister »

     

     

    « Raconter, c’est résister »… La vie de Luis Sepúlveda oscille entre ces deux actes, qu’il voulait aussi engagés l’un que l’autre. L’écrivain chilien, auteur du best-seller mondial « Le Vieux qui lisait des romans d’amour », est mort jeudi 16 avril du Covid-19, à l’âge de 70 ans.

     

    Il avait trouvé refuge à Gijon, paisible ville côtière des Asturies : vingt-trois ans que l’écrivain chilien y résidait avec son épouse, la poétesse Carmen Yanez, savourant ici plus qu’ailleurs, cette « tradition de lutte politique instaurée par les mineurs » et cet « esprit de fraternité » qui le rassérénait. Il rentrait d’un festival littéraire qui s’était tenu non loin de là, au Portugal, lorsqu’atteint d’une féroce pneumonie, le diagnostic est tombé, le 29 février dernier. A l’hôpital d’Oviedo, il a lutté pendant un mois et demi contre le coronavirus, avant de succomber à la maladie, jeudi 16 avril. Ce sera le dernier combat du révolutionnaire, qui avait arpenté d’autres terrains, autrement plus périlleux, minés ceux-là par les dictatures.

    De l’Espagne au Chili, on pleure « Le Vieux qui lisait des romans d’amour », titre de son premier succès planétaire, publié en 1992. Il n’était pas si « vieux », Luis Sepúlveda : il avait 70 ans. Et comme son héros, il avait vécu de bouleversantes découvertes : celle, dans sa jeunesse, de la forêt amazonienne et celle à ses vieux jours, de la lecture, puissant « antidote contre le venin de la vieillesse », assurait-il. Parce que « raconter, c’est résister », mantra emprunté au Brésilien Joao Guimaraes Rosa, des romans, il en écrira une vingtaine, traduits dans 50 langues et couronnés de prix, du Pégase d’or italien au prix chilien de la critique. En France, on l’avait nommé chevalier des Arts et des Lettres.

     

    La voix des oubliés

    Ses « romans d’amour », il les dédie d’abord à son pays, le Chili. Il a beau l’avoir quitté en 1977, contraint à l’exil, il ne perdra rien de son militantisme : menant des actions au sein de la Fédération internationale des droits de l’homme et portant dans ses romans la voix des oubliés. Toujours ces mêmes héros fragiles et vacillants, brisés par l’histoire et l’exil, des perdants ou des vaincus qui, épris de rêves collectifs, refusent la défaite. Leur destin, leurs combats et désillusions n’ont rien de romanesque : c’est son vécu qu’il nous conte, lui qui sera, comme tant d’autres, condamné et torturé par le régime de Pinochet.

    Sa peine ? Vingt-huit ans de prison en 1973, pour « trahison » et « conspiration ». Son crime ? S’être rangé du côté du président Allende, dont il appartenait à la garde rapprochée. On critique, dans ses romans, son sensationnalisme ? Il l’assume. Chez lui, ça fait partie du processus créatif : « Je suis entièrement ému par l’histoire que je raconte, j’aime être très fidèle à mes personnages, tomber amoureux d’eux, car je sais que le lecteur, en lisant, ressentira une émotion très similaire à ce que je ressens en écrivant. Pouvoir partager ses émotions et ses sensations, c’est ce qu’il y a de plus beau dans la littérature », confiait-il.

     

    Le sentiment de l’exil

    Le sentiment de l’exil, ce natif d’Ovalle, qui se disait « profondément rouge » et qui avait rejoint à 12 ans les Jeunesses communistes, l’a hérité d’un grand-père anarchiste qui avait fui avant lui l’Andalousie. Dans ses veines coulait aussi le sang d’un chef indien, auquel il dédiera un roman, « Histoire d’un chien Mapuche », pénétré par son esprit de rébellion. En 1977, Amnesty International le sort au bout de deux ans et demi des sordides geôles de Temuco. Pas question d’accepter en échange cet exil de huit ans en Suède ; il gagne les territoires reculés de l’Amérique du Sud : l’Equateur, d’abord, où il monte sa compagnie théâtrale, avant de s’immerger en 1978 dans la vie des Indiens Shuars, sur lesquels il scrute pendant un an pour l’Unesco l’impact de la colonisation.

    De ses recherches sur les ethnies, il découvre les idiosyncrasies régionales, « le plus grand trésor de l’esprit humain », dira-t-il. Et puis, le Nicaragua où en 1979, il passe à la lutte armée aux côtés des Sandinistes de la brigade Simon Bolivar. Depuis l’Allemagne où il devient grand reporter, il embrasse une autre cause : l’écologie. Et c’est à bord d’un bateau de Greenpeace, sur lequel il embarque dans les années 80, qu’il alerte sur les désastres qui menacent notre planète. Son Moby Dick à lui, ce sera cette « Histoire d’une baleine blanche » qu’il publie en 2019.

    Reste qu’au Chili, il n’y retournera qu’après la chute de la dictature. Dans son recueil « Histoires d’ici et d’ailleurs », il dévoile ce cliché, dont il ne s’est jamais séparé : celui d’une bande de gamins de La Victoria, banlieue pauvre de Santiago, qu’il s’était promis un jour de réunir. Avec l’avènement fragile de la démocratie, c’est un autre pays qu’il retrouve, ravagé par les macs qui charcutent les jeunes filles au scalpel et par ces parvenus de millionnaires, escroqués par des Madoff en série.

     

    La lutte contre le fléau de l’oubli

    Tout a changé, sauf les visages de ses camarades qui portent à jamais les stigmates de l’horreur. Le pire fléau ? L’oubli, pour ce révolutionnaire, habité par la nostalgie des combats d’autrefois, consacrés à la défense des idéaux et de ce temps qui ne sera plus. Dans « L’ombre de ce que nous avons été », il faut les voir, ces anciens militants de gauche, sexagénaires, prêts à renouer, 35 ans après le coup d’Etat de Pinochet, avec l’action révolutionnaire.

    Le secret des lendemains qui chantent ? Pour ce poète et conteur hors pair, il est dans notre capacité à croire aux rêves. Relisez donc son « Histoire d’une mouette et du chat qui lui apprit à voler », fable enchanteresse, vendue à 5 millions d’exemplaires et adaptée au cinéma. Il l’a écrite avec le cœur et les tripes, pour toucher, amuser et faire réfléchir.

     

    Article © Audrey Lévy pour Marianne

     

     

     

  • 1979, l’année qui changea le monde, Episode 16 : La Marseillaise by Gainsbourg

     

    [kleo_pin type= »circle » left= »yes » right= » » top= » » bottom= » »]          « FOCUS » : un article de fond sur un thème que nos rédacteurs ont sélectionné.

     

     

    L’année 1979 est définitivement une année-charnière, comme la fin d’un cycle. Elle scelle le sort des dernières utopies. Le monde prend une pelle et enterre à la hâte les cadavres encore fumants de nos illusions perdues. Après 1979, rien ne sera plus vraiment comme avant…

     

    Coincée à la fin d’une décennie qui paraît un peu creuse, durant laquelle les dirigeants politiques semblent manquer de charisme (le pâle Carter face au cowboy médiatique Reagan, VGE après De Gaulle et Pompidou), l’année 1979 n’attire décidément pas les flashes. Et pourtant… Que d’événements considérables ont eu lieu cette année-là, autant de tremblements qui ont marqué la face du monde et dont on ressent encore les répliques quarante ans plus tard.

    Révolution iranienne, arrivée de Saddam Hussein au pouvoir en Irak, début de la Guerre d’Afghanistan qui mènera à la chute de l’URSS et à l’apparition du terrorisme islamiste, second choc pétrolier et crise économique mondiale, paix entre Israël et l’Egypte, fin des Khmers Rouges… Il n’est pas insensé de penser que 1979 a en réalité été l’année la plus importante de l’après-Seconde Guerre Mondiale.

     

    Nous ne pouvions pas quitter cette année 1979 sans évoquer la Marseillaise version Reggae de Serge Gainsbourg… Parti à Kingston pour enregistrer son album « Aux Armes et Caetera » avec les plus grands musiciens jamaïcains, le chanteur français en rapporte un scandale fondateur.

     

    Ça n’est plus une offense que de passer en 2019 la Marseillaise Reggae de Serge Gainsbourg sur les ondes du service public. 40 ans après l’affaire « Aux Armes et Caetera », les passions se sont apaisées et ce bon Gainsbarre est désormais célébré jusqu’au sommet de l’état comme l’un des plus géniaux représentants de notre culture populaire. Si nous parlons aujourd’hui de cet enregistrement qui fit scandale en 1979, c’est justement pour tenter d’aller un peu plus loin que les grandes pétitions de principe qui, d’un bord et de l’autre, s’affrontèrent à l’époque.

    Une première remarque, tout d’abord : en 1979, lorsqu’il part à Kingston, en Jamaïque, enregistrer cet album reggae qui va véritablement révolutionner sa carrière, Serge Gainsbourg n’a guère connu le succès auparavant. En fait, à deux reprises uniquement. Une première fois, en 1969, avec « Je t’aime moi non plus » et une seconde fois en 1978 avec « Sea, Sex and Sun », 45T qui fut l’un des tubes de cet été-là.

    À l’époque où Serge Gainsbourg décide d’enregistrer « Aux Armes et Caetera », sa cote d’amour navigue donc à marée basse et ses derniers disques – « Rock Around the Bunker », « L’Homme à Tête de Chou » – furent autant d’échecs commerciaux. Seule sa maison de disques Philips semble encore croire en lui en tant qu’interprète.

    Et les musiciens qu’il va rencontrer en Jamaïque, Sly Dunbar, Robbie Shakespeare et quelques autres légendes du reggae, ne connaissent en fait rien de Serge Gainsbourg, si ce n’est cela… Eh oui, toujours « Je t’aime moi non plus », ici dans une version quelque peu salace du jamaïcain Judge Dread datée de 1974. Car « Je t’aime moi non plus » est la seule chanson de Gainsbourg qui ait traversé l’Atlantique en 1979…

     

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    Mais Gainsbourg, avec sa Marseillaise version Reggae, va aussi enseigner aux Français quelques singularités de leur hymne national. Par exemple, le dernier couplet de son « Aux Armes et Caetera »… Il n’est en fait pas de Rouget de Lisle, mais de l’abbé Antoine Pessonneaux, professeur de rhétorique à Vienne en 1792. L’abbé qui écrit ce que l’on appelle « le couplet des enfants », que Gainsbourg a réappris à des millions de Français.

     

    « Nous entrerons dans la carrière

    Quand nos aînés n’y seront plus

    Nous y trouverons leur poussière

    Et la trace de leurs vertus »

     

    D’ailleurs, lors de sa dernière tournée en 1988, Gainsbourg choisira de chanter encore un autre couplet à la fin de sa Marseillaise. Un couplet beaucoup plus patriotique, au premier degré.

     

    « Tout est soldat pour vous combattre,

    S’ils tombent, nos jeunes héros,

    La terre en produit de nouveaux,

    Contre vous tout prêts à se battre ! »

     

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    Mais il est vrai que Gainsbourg n’avait jamais exprimé de sentiments particulièrement opposés à la Nation Française en tant que telle, et appelons un chat un chat, il a toujours apprécié la fréquentation des militaires ou des policiers.

    Son anti-communisme était d’une virulence assez forte pour qu’il ne méfie pas assez des militaires… Et a-t-on vraiment prêté attention à ce qu’il dit au moment du célèbre incident de Strasbourg ? Cherchez bien, vous vous souvenez ? Les paras qui veulent empêcher le concert d’avoir lieu, les musiciens jamaïcains qui refusent de monter sur scène, Gainsbourg le point levé, et ça donne ça. Gainsbourg l’insoumis, le vrai, pas à la mode mélanchoniste…

     

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    Etats-Unis, Gabon, Bahamas… Serge Gainsbourg était autant artiste que voyageur. Les pérégrinations de cet iconoclaste l’ont même mené jusqu’en Jamaïque, La Mecque du renouveau musical. C’est ainsi dans la patrie de Bob Marley que Gainsbourg entre dans sa période Gainsbarre, s’inspirant de la force révolutionnaire et jusqu’au-boutiste du reggae. Un changement de cap symbolisé notamment par le fameux scandale de La Marseillaise… Retour sur la genèse du concert où Gainsbourg mit les « paras au pas ».

     

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    « C’était mon époque reggae, j’en avais marre de Londres, je suis parti après la mort des Sex Pistols… je me suis cassé et j’ai pris les musicos de Tosh et la femme de Marley. J’ai fait deux 33T avec eux, le premier à Kingston et le second à Nassau. » (Serge Gainsbourg)

     

    Lorsque Gainsbourg décide avec son producteur Philippe Lerichomme d’aller en Jamaïque, il prend contact avec Chris Blackwell, le boss du label Island Records, pour qu’il lui arrange le coup et lui trouve les meilleurs musiciens de l’île.

    Aujourd’hui, avec le recul, on peut dire que le casting organisé était parfait : Sly Dunbar à la batterie, Robbie Shakespeare à la basse, Robbie Lyn et Ansel Collins aux claviers, Mikey Chung et Dougie Bryan aux guitares, Sticky Thompson aux percussions et les I-Threes (Rita Marley, Marcia Griffiths et Judy Mowatt) aux chœurs.

    À signaler également, la présence du très regretté Geoffrey Chung derrière la console pour les prises de sons et le mixage.

     

    « Le reggae me branchait par son côté voyou, contestataire, plus proche de l’Afrique. Mais il y a aussi la religion rasta et le feeling. À cette époque, j’étais très fan du chanteur Leroy Smart. J’étais aussi persuadé que mon phrasé « talk over », parlé plutôt que chanté, allait parfaitement coller aux rythmiques reggae. » (Serge Gainsbourg)

     

    Pourtant, lorsque Serge Gainsbourg débarque dans les studios Dynamic Sound en janvier 1979, l’affaire est loin d’être gagnée : « Le premier jour, j’ai rencontré Robbie qui m’a dit : Je dois te prévenir, je ne parle pas. Donc, silence. Et puis on a dû attendre trois jours Geoffrey qui était à New York. C’était l’angoisse car je ne savais pas avec qui on allait enregistrer. »

    « Finalement, je me suis mis au piano du studio et ça les a snobés. Ils ont compris que j’étais l’auteur de « Je t’aime moi non plus », gros hit en Jamaïque. L’ambiance s’est dégelée. Pourtant, contrairement à ce que j’ai dit à mon label, je suis arrivé en Jamaïque sans avoir écrit un seul texte, j’avais juste les titres des différentes chansons ! Il y a eu d’abord deux jours de rythmique, une demi-journée avec les chœurs et ensuite une nuit blanche à écrire… Le lendemain, j’ai mis presque toutes les voix en boîte. J’ai même refait certaines paroles dans le studio. Tout ou presque a été enregistré en une prise. »

     

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    « J’ai toujours eu une affection pour ce genre de plan, Marley, Tosh, mais sur des harmonies trop sophistiquées, ça ne roule pas. Il faut deux harmonies maximum. Comme « Aux Armes et Caetera » et tout ce que j’ai fait sur mon premier album reggae. Il n’était pas question d’avoir plus de trois, quatre harmonies, c’était pas possible. Et c’est comme ça que ça roule avec les rastas… Shakespeare et Dunbar sont parmi les plus grands, mais ils se sont fait jeter par James Brown, faut pas oublier… parce qu’ils pouvaient pas assurer des harmonies trop… sophistiquées. Sur une ou deux harmonies, ils sont superbes… (il rythme), (rires)… autrement, ça va pas. »

     

    Malgré tout ce qu’a pu vivre Serge auparavant, il est tout de même impressionné par l’ambiance qui règne à Kingston : « faut être cool pour survivre là-bas. Quand on rentrait du studio à une heure du matin, certains coins faisaient vraiment peur. En fait, je ne suis resté qu’une semaine et je n’ai rien vu du reste de l’île. »

     

    Ce qui surprend surtout à l’écoute de l’album « Aux Armes et Caetera », c’est l’adéquation entre les versions instrumentales et la voix de Serge – que les musiciens ont surnommé le « Barry White français » – cette impression de fluidité et de légèreté : rarement la langue de Molière a aussi bien sonné en musique.

    Sur ce 33 tours, Gainsbourg revisite deux de ses anciens titres : « Pauvre Lola » [« Lola Rastaquouère »] et « La Javanaise » [« Javanaise Remake »). On y trouve également une adaptation de « Vieille Canaille », une chanson de 1931. Comme à son habitude, Serge s’amuse sur quelques titres, comme « Les Locataires » : « eau et gaz à tous les étages ». Sans oublier le texte « Brigade des Stups » qui prend tout son sens au pays de la ganja. Mais le reste des paroles est beaucoup plus sérieux, Serge maniant l’ironie et la dérision comme peu d’auteurs ont su le faire avant lui (« Des Laids des Laids », « Pas Long Feu » ou « Daisy Temple »).

    Cet album fait aussi beaucoup parler de lui à cause de la polémique sur sa réinterprétation de l’hymne national en version reggae. Le journaliste du Figaro, Michel Droit, reprochant même à Serge Gainsbourg de « propager inconsciemment l’antisémitisme en associant cette parodie scandaleuse avec notre hymne national ». On se souvient aussi de son concert à Strasbourg investi par des membres d’une association d’anciens parachutistes qui désapprouvent sa réinterprétation de « La Marseillaise ». Gainsbourg leur répond en chantant l’hymne national a cappella et le poing levé !

    Loin de lui porter ombrage, cette polémique porte le disque, une jeune génération s’entiche des 12 morceaux, et découvre Gainsbourg en même temps que cette musique venue tout droit de Jamaïque, le Reggae. « Aux Armes et Caetera » deviendra le premier album platine de Serge Gainsbourg et connaîtra une suite presque aussi réussie avec « Mauvaises Nouvelles des Etoiles ».

     

    En ce premier jour de l’année 2020, nous sommes ravis de clore ce 40ème anniversaire de l’année 1979 avec Serge Gainsbourg, car quel autre précurseur que lui aurait pu aussi bien symboliser cette année-charnière qui scellait le sort de nos dernières utopies… Après 1979, rien ne fut plus jamais comme avant.

     

    Sources : Musiq XXL / Bertrand Dicale / Sens Critique

     

     

     

  • Il y a vingt ans, Invader envahissait l’Amérique

     

     

    En 2018, le street artist français Invader fêtait ses vingt ans d’invasion de tous les murs de la planète en diffusant sur Instagram de petites vidéos de ses oeuvres réalisées en 2000 à Los Angeles. Des images rares…

     

    Il y a un an précisément, l’artiste français Invader, connu pour ses célèbres mosaïques apposées sur les murs du monde entier, organisait une exposition à Los Angeles, afin de fêter dignement ses vingt ans de street art. À cette occasion, il publiait sur son compte Instagram des archives vidéos de ses actions réalisées dans la ville californienne au début des années 2000. De son propre aveu, il s’agit là « d’archives incroyables » (« amazing archives » dans le texte d’une légende qu’il a postée). Et en effet, on a rarement eu l’occasion de voir l’artiste ainsi en action…

    Sur la première vidéo, on le retrouve donc le 31 décembre 1999, en train d’installer LA_11 (LA pour Los Angeles, et _11 signifiant qu’il s’agissait du 11ème Space invader apposé sur un mur de la Cité des Anges) sur la célèbre enseigne géante « Hollywood » qui surplombe la mégalopole américaine :

     

    https://www.instagram.com/p/BoHFPuQDZGg/

     

     

    Dans une seconde séquence publiée sur son compte Instagram, il indique dans la légende que parfois, les choses ne se déroulent pas tout à fait comme prévu… Sur ces images, datées de décembre 1999, on le voit installer un Space Invader, juste au moment où un homme un brin menaçant intervient et l’intime de cesser ce qu’il est en train de faire. L’artiste s’exécute en retirant la mosaïque encore fraîche et la mention « Game Over » apparaît à l’image :

     

    https://www.instagram.com/p/BoJGh8xjhPf/

     

     

    Enfin, sur une troisième archive assez brève, on le voit installer au moins quatre spécimens d’envahisseurs :

     

    https://www.instagram.com/p/BoMOR60j-zG/

     

     

    Des images rares qui ne sont pas sans nous rappeler celles tournées par Thierry Guetta – aka Mr Brainwash – et utilisées dans le film de Banksy, « Exit through the gift shop ». Cette astucieuse critique de l’intérêt soudain du grand public pour le graffiti était sorti en 2010 en France. Guetta s’y présente comme le cousin d’Invader et déclare vivre en Californie depuis (presque) toujours… Il y aurait tourné des milliers d’heures d’images, présentant des street artistes internationaux en action, dont Banksy. Sans que l’on sache d’ailleurs qui avait manipulé qui… Comme on peut le voir sur les images, Invader est finalement contrôlé par la police à l’issue de la pose du fameux LA_11…

     

    [youtube id= »71DI0ftYRbU » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    Pour mémoire, Invader célébrait le lancement de son projet artistique par l’invasion de Paris en 1998. Certes, deux ans plus tôt, le 1er mai 1996, le tout premier Space Invader, PA_001 (PA pour Paris, la suite vous l’avez ?) était installé passage de la Main d’Or dans le XIème arrondissement. Il aura fallu attendre ensuite deux années pour que PA_002 n’apparaisse à son tour sur un mur de la Rue Quincampoix en mars 1998. Ces deux premiers envahisseurs ont malheureusement depuis été détruits… Mais ces archives vidéos nous rappellent aussi que Los Angeles fut parmi les toutes premières villes à être envahies, après Paris.

    Alors aujourd’hui, 22 ans après ses débuts, ce sont pas moins de 3500 envahisseurs qui ont fleuri sur les murs des villes du monde entier. L’année dernière, à l’occasion de cette première exposition qui lui était consacrée à Los Angeles, après avoir reproduit des milliers de silhouettes pixelisées d’aliens tirées du célèbre jeu d’arcade Space Invader à travers le monde, l’artiste décidait de faire une entrée remarquée sur le marché de l’art. « Une majorité des oeuvres de l’exposition sont déjà vendues (trois jours après le vernissage) », assurait Lauren Every-Wortman, étonnée de la longueur de la file d’attente lors de l’ouverture.

     

     

     

    Répartie sur plusieurs salles, l’exposition « Into The White Cube » mettait en exergue les différentes pratiques artistiques d’Invader. On y retrouvait ainsi ses fameuses mosaïques représentant son monstre favori, sous la forme d’une pizza géante (dont l’original se trouve à New York) ou du Big Lebowski. « Ce sont quelques reproductions sur plexiglas de ce qu’il a fait dans les rues de Paris, Londres ou Los Angeles », détaillait Lauren Every-Wortman, fière de pouvoir présenter une réplique de la première oeuvre produite à Los Angeles, en 1999.

     

     

     

    Pour immortaliser ses oeuvres, avant qu’elles ne risquent d’être dérobées et vendues au marché noir, l’artiste prenait ainsi des photographies de chaque création le lendemain de leur installation, au petit matin. Une série de clichés était ainsi exposée dans la galerie, permettant de jouer à « où est Charlie ? » avec les oeuvres de l’artiste. « Certains fans font de la réactivation de ses oeuvres et recréent celles qui sont volées », raconte la commissaire.

     

     

     

    Mais le travail d’Invader ne s’est pas cantonné aux monstres pixélisés : « l’exposition présente des pièces en avant-première, comme des badges géants ou des pièces sur canevas ». Sur ces toiles, normalement réalisées sur ordinateur, l’artiste décide de revenir à ses premières amours pour la peinture, en créant des emojis pixelisés. Dans la dernière salle, on retrouvait une série plus ancienne de pages de catalogues de maisons d’enchères, sur lesquelles Invader a tagué son blase à la bombe. Enfin, le public pouvait découvrir une partie de son travail via une vidéo portant sur son travail de street-artist la nuit.

     

     

     

     

    En octobre 2018, Invader publiait d’ailleurs une nouvelle édition de son invasion de Los Angeles, intitulée « Invasion Los Angeles Updated Edition 1999 – 2018 », après avoir installé de nouveaux Space Invaders dans la Cité des Anges, parmi lesquels ceux-ci que l’on aime tout particulièrement… « Il a notamment envahi le Hollywood Sign, rappelle Lauren Every-Wortman. C’est un jeu de les trouver, même si certaines ont été volées depuis ».

     

    https://www.instagram.com/p/BiwrV3ojkGx/

     

    https://www.instagram.com/p/BixbaEAjmND/

     

     

    Et pour finir, nous rejoignons Invader dans son atelier, pour un petit cours de céramique dispensé par le maître himself…

     

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  • 1979, l’année qui changea le monde, Episode 09 : Les Radios Libres

     

    [kleo_pin type= »circle » left= »yes » right= » » top= » » bottom= » »]          « FOCUS » : un article de fond sur un thème que nos rédacteurs ont sélectionné.

     

     

    L’année 1979 est définitivement une année-charnière, comme la fin d’un cycle. Elle scelle le sort des dernières utopies. Le monde prend une pelle et enterre à la hâte les cadavres encore fumants de nos illusions perdues. Après 1979, rien ne sera plus vraiment comme avant…

     

    Coincée à la fin d’une décennie qui paraît un peu creuse, durant laquelle les dirigeants politiques semblent manquer de charisme (le pâle Carter face au cowboy médiatique Reagan, VGE après De Gaulle et Pompidou), l’année 1979 n’attire décidément pas les flashes. Et pourtant… Que d’événements considérables ont eu lieu cette année-là, autant de tremblements qui ont marqué la face du monde et dont on ressent encore les répliques quarante ans plus tard.

    Révolution iranienne, arrivée de Saddam Hussein au pouvoir en Irak, début de la Guerre d’Afghanistan qui mènera à la chute de l’URSS et à l’apparition du terrorisme islamiste, second choc pétrolier et crise économique mondiale, paix entre Israël et l’Egypte, fin des Khmers Rouges… Il n’est pas insensé de penser que 1979 a en réalité été l’année la plus importante de l’après-Seconde Guerre Mondiale.

     

    Mai 1981, les radios libres s’emparent des ondes. Presque quarante ans plus tard, il faut bien admettre que le concept de la bande FM est bien éloigné des premiers idéaux qui ont amené à sa libéralisation à l’époque. Retour sur ces années…

     

    Jusqu’en 1981, sept radios seulement émettent en France : trois de service public (France Culture, France Musique et France Inter) et quatre radios périphériques (Europe 1, RMC, RTL, Sud Radio) qui se partagent le territoire. Valéry Giscard d’Estaing veille instamment au respect de ce monopole, et tout piratage est sévèrement puni…

    Antoine Lefébure fut l’un des premiers à s’intéresser à la liberté des ondes en France. Il avait commencé à se pencher sur le sujet dès la fin des années 60, à l’époque des radios pirates, comme Radio Caroline ou Radio London, qui émettaient vers l’Angleterre à partir de bateaux amarrés en dehors des eaux territoriales. Après quelques premières expériences assez confidentielles, comme à la Fac de Jussieu, il fonda en 1974 avec Philippe Lorrain la revue « Interférences » consacrée à ces sujets.

    En 1977, il reçoit l’aide du magazine Actuel et grâce à une alliance pirates / écolos, il crée Radio Verte, dont la première émission historique date du 13 mai, diffusée avec l’aide de Brice Lalonde depuis le domicile de Jean-Edern Hallier (décidément dans tous les coups !). La voie était ouverte !

     

     

     

    L’idée de créer une radio libre trotte en fait dans la tête d’Antoine Lefébure depuis le début des années 70. Après une tentative avortée en 1975, le grand jour arrive à l’occasion des élections municipales de 1977.

    Le dimanche 20 mars 1977, Brice Lalonde annonce en direct sur le plateau d’Antenne 2 la naissance de Radio Verte. En réalité, ce qu’il fait entendre sur un transistor n’est qu’une émission factice, préenregistrée et diffusée à l’aide d’un émetteur FM compact dans un rayon de quelques mètres par son complice, Antoine Lefébure, présent en coulisses. Cette anecdote, maintes fois racontée, a surtout contribué à faire connaître auprès du grand public l’existence des radios libres et à encourager leur essor.

    La véritable première émission sera diffusée le 13 mai 1977, depuis l’appartement de Jean-Edern Hallier sur la fréquence 92 MHz, à l’aide un émetteur de 50 W bricolé par Sylvain Anichini et Jean-Luc Sendowski. Pour cette émission, Radio Verte devait d’abord émettre depuis les locaux du Nouvel Observateur, mais son directeur Claude Pedriel n’était pas favorable à cette idée. L’émission fut donc enregistrée et réalisée par Andrew Orr et Jean-Marc Fombonne dans les studios de France Culture, et sera ensuite diffusée intégralement et sans brouillage.

    Radio Verte émet ensuite de nouveau les 16 et 17 mai, puis le 18 juin 1977, subissant le brouillage implacable de TDF. Elle reprend ensuite l’antenne depuis les locaux du Matin de Paris du 12 au 14 juillet 1977, en direct cette fois-ci. Les dernières émissions seront diffusées quasiment sans discontinuer tous les jours du 7 décembre 1977 à la mi-mars 1978. Mais après les élections législatives de mars 1978, la radio devient muette. Elle ne réapparaitra qu’entre les deux tours de l’élection présidentielle de 1981.

    Radio Verte sera ensuite autorisée en partage de fréquence avec NRJ ; mais elle n’émettait déjà plus depuis longtemps. Une partie des membres de Radio Verte rejoindra plus tard Radio Nova.

     

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    Un autre de ces pionniers des premières radios libres fut Patrick Van Troeyen, influencé par Michel Lancelot et son émission « Campus » sur Europe 1 en 1969, un des rares espaces de liberté radiophoniques à l’époque. Il participa en 73 à la Fac de Jussieu à Radio Entonnoir (le surnom de Michel Debré, ministre de De Gaulle puis de Pompidou), avant de créer Radio Nid de Coucou en 1978 (toujours les asiles…).

    Radio Ivre, « La Radio-Pirate des Parisiens », une station locale parisienne d’expression, créée le 19 novembre 1978 par Jean-Marc Keller, Stéphane Billot et Patrick Leygonie, émet depuis une chambre de bonne située dans le 16ème. Elle existait déjà sous une première version et diffusait du reggae depuis Colombes, puis Courbevoie… Les trois compères sont vite rejoints par Jean-François Aubac, créateur de Radio Noctiluque, et Patrick Van Troeyen, créateur de Radio Nid de Coucou, deux autres pionniers de la diffusion FM pirate sur Paris.

     

    « Nous étions tous trois assis dans mon salon du 37 avenue Gambetta Paris 20ème, à l’automne 1978 : Patrick VanTroeyen, Claude Monnet, qui créera ensuite Oblique FM, et moi-même. s’ensuivirent 18 mois de cache-cache avec TDF (brouillages), les RG, etc… avant que nous rencontrions Patrick Leygonie et Jean-Marc Keller qui avaient lancé depuis peu une station exclusivement reggae appelée Radio Ivre, émettant depuis une chambre de bonne dans le 16ème. Je sais qu’Annick Cojean a pensé que ces 18 mois étaient anecdotiques, mais ils étaient le plus clair du temps passés à réellement faire de la radio pirate. » (Jean-François Aubac)

     

    En septembre 1979, Ivre, Coucou et Noctiluque fusionnent alors dans une association (ADRI), pour donner naissance à la nouvelle « Radio Ivre », qui émettra jusqu’au 10 mai 1981, dans un premier temps uniquement les nuits du vendredi et samedi. L’objectif était de « créer le média par le média », sans recours à la presse écrite comme les mouvements de radios libres politiques.

    L’équipe de Radio Ivre s’installe progressivement dans des émissions en continu, tandis que le studio change constamment d’endroit, pour des raisons évidentes de sécurité, parmi lesquels la Tour Eve, la tour de la CLT sur le front de Seine, l’immeuble au dessus de Montparnasse, le duplex chez Brigitte Rouan au Panthéon, avenue Gambetta, chez le fils Bécaud à la Défense, au Palace, l’appartement de la rue d’Hauteville (n°70 ?) chez Alain Blanc, autrement nommé « Bretzel Liquide » ou « Bretzel Gazeux », chez Alain Corrieras, 26 rue du Plateau, aux Buttes Chaumont (la radio n’avait jamais été aussi bien « captée »), chez José Gerson, le sculpteur de la place Léon Blum, chez Doumé, dans une ancienne usine rue de Palikao dans le 20ème, au Théâtre Noir dans le 12ème, et pour finir place du Tertre, après l’épisode de « Radio Liberté ». Patrick Van Troeyen en sera le leader et porte parole.

     

     

     

     

    Née avant l’abolition du monopole d’Etat de radiodiffusion, Radio Ivre est la première radio pirate parisienne à disposer de vrais programmes et d’un émetteur de qualité. Elle émet sur 98 MHz puis sur 88.8 MHz. Après 1981, Ivre se porte candidate à l’attribution d’une fréquence légale, qu’elle obtiendra en 1982 par l’intermédiaire du mariage avec le projet Radio Nova. le 14 juillet 1982, l’équipe de Radio Ivre célèbre ainsi la fin de sa diffusion pirate, en organisant un grand bal populaire place du Tertre.

    Elle revient sur les ondes en septembre 1982 sous le nom de Nova Ivre, pour devenir Radio Nova en 1983. Avec cette fusion, Radio Ivre perdit son âme dans une union contre nature entre l’une des radios les plus spontanées de l’histoire et une autre, à l’époque plus « expérimentale » et « robotisée », sous l’influence d’anciens de France-Culture (J.M. Fonbonne, Pierre Lattes, Andrew Orr), et où il était même mal vu de faire du direct ; c’était trop « commun »… Par la suite, la tendance s’inversa, et Nova devint la station de la « Sono Mondiale ». Il ne restait malheureusement déjà plus grand monde de l’équipe originelle de Radio Ivre. Mais ça, c’est une autre histoire…

     

     

     

    « A l’époque, je participais très activement à cette épopée en créant le 1er avril 1978 Radio Noctiluque. Nous étions nombreux à attendre de Giscard D’Estaing le droit d’émettre, mais le premier juillet de la même année, l’assemblée nationale en décida autrement. C’est à cette occasion que j’ai rencontré Patrick VanTroeyen et que nous avons décidé de fusionner nos « stations » et de continuer d’émettre alors que tous les autres s’arrêtaient. C’est ce que nous avons fait jusqu’en 1980 sous le nom de « Noctiluque-Nid de Coucou ». Pas facile à mémoriser, non ? » (Jean-François Aubac)

     

     

     

    Nous continuons à évoquer cette période bénie des radios libres avec Ici & Maintenant, et son site internet resté bien dans son jus. A visiter, c’est du roots ! Fondée en 1980 par Didier de Plaige, Gérard Lemaire et Guy Skornik, cette radio a depuis sa naissance joué la carte de l’interactivité : libre antenne aux auditeurs, qui pouvaient aussi composer des programmes et les diffuser par le réseau téléphonique.

     

    « A la suite de quelques discussions téléphoniques avec Skornik et Deplaige en 80, j’ai aidé à la première installation d’un studio stable pour la radio chez Guy (près du Trocadéro), en fournissant platine et table de mixage, lesquelles seront confisquées plus tard par les flics lors de leur descente sur I&M. Descente diffusée d’ailleurs pour partie en direct à l’antenne… » (Xavier « Gideon » Gentet)

     

    A signaler aussi qu’une solution originale avait été trouvée pour diffuser les programmes : ce n’étaient pas le studio et l’émetteur qui bougeaient ensemble de lieu en lieu dans Paris, comme pour Radio Ivre, mais l’émetteur seul qui voyageait entre cinq ou six hôtes équipés d’antennes, et une simple réception de ligne PTT venant du studio permettait à Ici & Maintenant d’émettre. Il est d’ailleurs arrivé que l’émetteur voyage seul en taxi d’un point à un autre ; c’est ainsi, pour un simple problème d’adresse, qu’il s’est perdu pendant 36 heures dans la nature…

    Un des animateurs historiques de cette radio est Jean-Paul Bourre, un personnage très intéressant et talentueux : il a écrit de nombreux livres, souvent en rapport avec l’ésotérisme, et fait des émissions passionnantes dans lesquelles il raconte ses souvenirs pendant des heures entières. Parmi ses thèmes favoris, les années psychédéliques, mais il parle tout aussi bien de Nietzsche, des débuts du Rock, des Blousons Noirs, de l’histoire de France, de l’Italie ou de l’Atlantide.

    Ici & Maintenant fut interdite par le CSA en 1995, sous prétexte de dérapages trop fréquents lors d’interventions d’auditeurs. Finalement, en 1997, le Conseil d’Etat lui donnait raison contre le CSA et les programmes pouvaient reprendre.

     

    Comment parler des premiers pas de ces radios libres sans évoquer évidemment Carbone 14. Au début des années 80, le monopole d’Etat sur la radiodiffusion explose et des centaines de radios libres investissent la bande FM. Le 14 décembre 1981, la radio Carbone 14 émet pour la première fois sur Paris. Elle va connaître un succès grandissant avant d’être interdite par l’Etat en 1983.

    « Carbone 14, le Film » rend compte de l’ambiance survoltée de cette radio hors-norme qui comptait parmi ses animateurs : Supernana, Jean-Yves Lafesse, David Grossexe, Robert Lehaineux, José Lopez… Radio irrespectueuse, devenue mythique, Carbone 14 était l’une des stations les plus inventives et drôles de sa génération.

    Sélectionné au festival de Cannes en 1983, ce film ovni constitue l’un des rares témoignages en images sur le mouvement des radios libres. Il sort de la clandestinité en 2011, à l’occasion des 30 ans de Carbone 14 et de la libération de la bande FM.

     

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    Parmi les autres radios pionnières, on pourrait également citer Radio Tchatch, fondée par Serge Kruger, l’une des premières stations à programmer essentiellement de la musique black, Salsa, Antillaise ou Africaine, Radio Onz’Débrouille 102 MHz fondée par Alain Léger, qui émit sur Paris tous les jours du 15 février 1978 jusqu’à la fin juillet 78, puis depuis la Fac de Vincennes, avec un grand direct lors de l’arrivée de la grande marche des paysans du Larzac, Gilda avec Patrick Fillioud, le fils du ministre, Radio Tomate (Bruno Guattari), Aligre FM, avec Philippe Vannini, Nova, La Voix du Lézard (devenue Skyrock), Carol FM, Oblique, Cité Future (Le Monde), NRJ, RFM, Boulevard du Rock, et bien d’autres…

     

    1979 : le Parti Socialiste se lance dans la bataille des radios libres, alors non autorisées, en lançant le 28 juin « Radio-Riposte », station pirate créée spécialement par le Parti socialiste pour dénoncer la mainmise sur les réseaux d’information par le président Valéry Giscard d’Estaing.

     

    Le 28 juin 1979, donc, sur Radio Riposte, François Mitterrand dénonce dans une allocution préenregistrée la situation scandaleuse de l’information et sa confiscation giscardienne. Le message est brouillé par les forces de l’ordre qui, vers 20 heures, donnent l’assaut au 12 de la cité Malesherbes, à Paris, annexe du siège du PS, d’où est  diffusée l’émission. Laurent Fabius et François Mitterrand seront inculpés pour infraction au monopole.

    Autant dire que le 10 mai 1981, soir de l’élection présidentielle, lorsque apparaît sur les écrans de télévision le visage de François Mitterrand, les ailes des candidats à la libération des ondes poussent à grande vitesse. En quelques heures à peine, dès la nuit venue, des centaines de radios se mettent à émettre dans toute la France. Une semaine plus tard, elles seront trois mille…

     

    Sources : SchooP / Wikipedia

     

     

     

  • Marlon Brando et Tetiaroa, sa seule histoire d’amour

     

     

    Il y a quinze ans, presque jour pour jour, disparaissait l’un des derniers monstres sacrés de Hollywood. Marlon Brando nous quittait le 1er juillet 2004. Portrait d’un acteur hors du commun, qui vécut un amour inconditionnel pour la Polynésie française.

     

    Marlon Brando fût sans conteste l’un des acteurs parmi les plus influents de toute l’histoire du cinéma, de l’aveu même de ceux qui sont aujourd’hui la référence en la matière : Dustin Hoffman, Robert de Niro, Al Pacino, Paul Newman, Jack Nicholson, Johnny Depp et bien d’autres encore.

    Au fil de sa longue carrière cinématographique, Brando n’a eu de cesse que d’évoquer sa rencontre avec le monde polynésien, qui servit d’ailleurs de cadre au tournage de la deuxième version des « Révoltés du Bounty » en 1962, sur les lieux mêmes de cette histoire rocambolesque mais authentique, à Matavai.

     

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    Il l’évoquait d’ailleurs dans son livre autobiographique « Les chansons que m’apprenait ma mère » paru en 1997 : « Je dois à Tahiti les plus beaux moments de ma vie. Si j’ai jamais approché la paix véritable, c’est sur mon île ». L’île de Tahiti le fascinait au point qu’il n’a pas hésité à refuser l’offre que lui faisait David Lean d’incarner « Lawrence d’Arabie » à l’écran en 1962, de peur d’être éloigné d’elle trop longtemps. Le réalisateur projetait en effet de tourner son film en Jordanie, sur une période de six mois, période jugée trop longue par la star qui avança le prétexte fallacieux de craindre de « s’évaporer comme un flaque ».

     

    Tetiaroa, l’île d’une autre vie

    De cette grande réalisation épique dont on lui fera porter la responsabilité de son coût exorbitant, Marlon Brando sortira avec cette image d’excentrique impossible à gérer. Une image qui lui collera à la peau jusqu’à la fin de sa vie. Francis Ford Coppola aurait pu lui aussi en faire les frais lorsqu’il a fallu présenter à La Paramount la candidature de l’acteur pour le rôle principal du « Parrain 1 ». Mais l’histoire en a décidé autrement et le rôle du Parrain parachèvera l’entrée de Marlon Brando au Panthéon des plus grands acteurs de sa génération.

     

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    Sur son atoll de Tetiaroa, payé 200.000 dollars en 1966, Marlon Brando se construit son monde à lui, pour mieux fuir la presse et l’univers d’Hollywood pour lesquels il ressent un profond dédain. Il y fonde une autre petite famille, avec sa femme Tarita et ses deux enfants, Tehotu et Cheyenne. Sa fille Cheyenne qui disparaîtra tragiquement en 1995, à l’âge de 25 ans.

    Son épouse tahitienne Tarita Teriipaia, rencontrée sur le plateau des « Révoltés du Bounty », qualifie sa vie avec la légende de « déchirure ». Pendant 42 ans, Brando interdira en effet à sa compagne de lui exprimer son amour. Un an avant sa mort, l’acteur brise enfin la carapace qui l’emprisonne depuis si longtemps et se met à marmonner comme dans ses films un silencieux « je t’aime » à l’adresse de Tarita…

    Les cendres de Marlon Brando furent dispersées à sa demande dans la Vallée de la Mort aux États-Unis et à Tetiaroa.

     

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    A deux pas de Tahiti, un hôtel hors normes est inauguré le 1er juillet 2014, dix ans jour pour jour après la disparition de la star. Ses 35 villas posées sur l’atoll de Tetiaroa où vécut Marlon Brando inventent un nouvel art hôtelier : prestations grandioses, nature magnifiée, écologie respectée. Robinson est enchanté…

     

    Tumi a 26 ans, la grâce d’une sirène née du lagon clair et un regard dans lequel volent les oiseaux de mer. Elle les connaît tous, ils sont sa passion. Aigrette sacrée, fou à pieds rouges, sterne fuligineuse, nodi noir, frégate du Pacifique… Elle suit chaque couple, veille sur les nichées, prière de ne pas déranger.

    Accompagnatrice d’excursions et formée aux sagesses de la nature, Tumi est princesse de Tetiaroa, l’atoll de six kilomètres carrés dont les 13 îlots, ici on dit « motu », flottent à 53 kilomètres au nord de Tahiti. Tous les Polynésiens savent que cette galette de corail coiffée de cocotiers et de filaos était jadis le refuge de la dynastie royale des « Pomare » (XVIIIème et XIXème siècles). Les souverains tahitiens venaient en famille y faire la pause, s’y ressourcer.

    En ces temps initiaux, le ciel était volontiers courtois et dispensait d’utiles conseils de gouvernement, désignait les traîtres à sacrifier sur l’autel (« marae ») des dieux « maho’i » autant que les jeunettes à épouser dès demain. Le « mana », l’esprit des îles, scellait alors une sensuelle harmonie entre une nature prodigue et la sérénité des hommes.

    Les rois ont filé, le mana est resté. Aujourd’hui, Tetiaroa brille de nouveaux feux. Tumi aussi, héritière des lumières de son peuple, d’un fil tendu entre ciel et lagon. Sûr qu’elle sait parler avec le vent, les fleurs et les étoiles. Exactement comme le faisait son grand-père, Marlon Brando. Il vécut ici, de 1970 à 1990, en Robinson magnifique : « Mon esprit s’apaise toujours quand je m’imagine la nuit, assis sur mon île du Pacifique », racontait-il.

    Le 1er juillet 2014, soit dix ans jour pour jour après la disparition du propriétaire des lieux, The Brando était inauguré à Tetiaroa. Un hôtel hors normes… Première bonne nouvelle : aucun bungalow sur pilotis comme on en trouve communément dans ce genre d’endroits, mais 35 villas pelotonnées au beau milieu des arbres, en harmonie totale avec ce lieu d’exception. Bref, une cachette dont on se confie le secret entre bonnes fortunes, un refuge à faire rêver tous les voyageurs en quête d’ailleurs.

     

     

     

     

    L’hôtel est né d’une folie. Celle de Marlon, d’abord. Venu ici en 1960 à l’occasion du tournage du film « Les Révoltés du Bounty », dans les eaux mêmes où Fletcher Christian déclencha la mutinerie contre le capitaine Bligh en 1789, il en repartit avec une épouse, Tarita, qui joue le rôle de Maimiti, sa conquête polynésienne à l’écran, et la ferme intention d’acquérir Tetiaroa : « C’est encore plus beau que tout ce que j’avais pu imaginer ».

    L’atoll appartient à la fille d’un dentiste qui n’y met jamais les pieds. 200.000 dollars plus tard et après avoir promis de n’abattre aucun arbre endémique, Brando tient son royaume polynésien. Tout à son euphorie, il veut en faire le paradis sur terre, son An 01 à lui, très loin des sunlights et des prétentions d’Hollywood. Il fait construire 14 « fare » (maison, en tahitien) grands ouverts sur le merveilleux bleu pâle du lagon, histoire de partager l’émotion, paréo et pieds nus dans le sable, avec quelques égarés de passage.

    A Tarita, à ses enfants, le géant éclaire son utopie : « Etablir à Tetiaroa une communauté autosuffisante où se trouveraient associés la recherche et la formation, l’agriculture, l’aquaculture et le tourisme, au sein d’un environnement préservé pour le bénéfice de tous. Et créer une communauté non polluante qui ne bouleverserait pas l’équilibre écologique du lagon. »

    Toutefois, du rêve à sa réalisation… Un mini-hôtel, un élevage de tortues puis de homards, des recherches menées sur l’atoll par la Fondation Cousteau, rien ne marche. En 1990, Brando quitte Tetiaroa. Il n’y reviendra pas…

     

     

     

    Heureusement, le mana veille… Et si le délire générait l’avant-garde ? Et si le rêveur croisait un entrepreneur ? Et si, d’une passion commune, ils inventaient ensemble l’impossible ? Richard Bailey, tout le monde l’appelle Dick, est également californien. Sa bobine d’étudiant cache une heureuse soixantaine. Francophile émérite capable de glisser dans la même phrase « paradigme » et « nonobstant », Bailey a construit, en trente années, le premier pôle hôtelier de Polynésie. L’enseigne Pacific Beachcomber brille à Tahiti, à Moorea, à Bora-Bora (deux adresses), ainsi que sur deux paquebots de croisières dont le fameux Paul Gauguin.

    A partir de 1999, il croise Brando ici, là-bas, ailleurs. Ensemble, ils parlent nature, hôtel, innovation, héritage polynésien. C’est décidé, son graal sera Tetiaroa.

     

    « Lorsque nous évoquions l’avenir de son atoll, nous avions la même vision : la protection absolue et non négociable de sa nature (14 espèces d’oiseaux, 158 espèces végétales dont 38 indigènes, 167 familles de poissons, etc.), son ouverture aux chercheurs et aux visiteurs, l’invention d’un site touristique à l’impact proche de zéro. Marlon avait mille idées sur la question. Je me suis engagé à en respecter l’esprit. » (Richard Bailey)

     

    Brando s’éteint le 1er juillet 2004, et une partie de ses cendres est dispersée sur l’atoll. Dick rentre à Tahiti avec le dossier The Brando ficelé et financé. Passons sur les embûches. Les neuf héritiers qui se chamaillent, les écologistes locaux qui hurlent à la trahison, l’absence de passe qui complique l’arrivée des engins de construction, l’évacuation des fosses dont Brando faisait ses décharges, la nécessité de rectifier l’angle de la piste d’atterrissage, les ministères tahitiens qui rechignent…

    Le 1er juillet 2014, dix ans jour pour jour après la mort de Marlon, Dick et Philippe Brovelli, son bras droit depuis toujours, avec Silvio Bion, nommé directeur, inaugurent l’hôtel The Brando. Mission accomplie.

     

     

     

    Deux des fils de la star sont présents. Teihotu, 46 ans, fils de Tarita et père de Tumi. Il est resté longtemps le seul habitant de Tetiaroa, préférant la chanson des vagues s’abattant sur le récif aux lumières de la ville. Et Miko, né d’une autre épouse, son contraire, adorant les micros, détaillant ses trente années passées à Los Angeles aux côtés de Michael Jackson.

    Il est venu avec un flacon d’Eau Sauvage, aussitôt donné à Dick Bailey : « Il a appartenu à Marlon. Tu asperges les différentes parties de l’hôtel, pour que papa soit encore là ». Tumi a souri. Elle préfère cette intimité familiale à l’idée hollywoodienne un temps caressée d’accueillir ici la caste du Parrain, avion piloté par Travolta avec à bord Brad et Angelina, de Niro et Nicholson, Madonna et Beyoncé, Barbra, Sean, Leonardo…

     

    Les paillettes, peut-être, mais l’héritage Brando exigeait aussi de la sincérité et de la profondeur. Bailey portait le devoir de bâtir un microcosme inspiré, pensé pour remporter la bataille de l’énergie. Trois sources ont été retenues afin d’alimenter le domaine et ses 35 villas servies par 150 membres du personnel.

     

    En premier, le SWAC (Sea Water Air Conditioning), une géniale idée de Brando. Son principe : puiser l’eau du Pacifique à grande profondeur (ici, 935 mètres) là où elle est à 4°C, grâce à un tuyau de 2,5 kilomètres de long, afin d’assurer la climatisation du domaine et d’alimenter le spa en eau à la pureté millénaire. Coût : 6,5 millions d’euros et zéro émission.

    Deuxième source d’énergie, le soleil. Quelque 2.400 panneaux solaires sont installés le long des 775 mètres de la piste d’atterrissage de l’atoll. C’est assez pour éclairer les villas, les lieux communs (deux restaurants, deux bars, des salons) et les logements du personnel.

    Enfin, par sécurité, une petite unité de transformation d’huile de coprah (extraite de la noix de coco). Sans oublier la récupération des eaux de pluie, une station de dessalement d’eau de mer et le recours parcimonieux à la nappe phréatique.

    Le diktat vert génère une répartition quasi militaire des ressources : la désalinisation est réservée aux salles de bains, le potager hors-sol est arrosé avec les eaux usagées retraitées, la buanderie puise dans la nappe, etc… Et, pour les déplacements, c’est  en mode voiturettes électriques à l’heure du ménage ou du service en villa et bicyclette quand les résidents veulent faire le tour de l’atoll en suivant le chemin glissé sous la cocoteraie ou bien juste se rendre au bar, au restaurant, au spa (2.000 m²) ou sur le court de tennis tapissé de moquette façon gazon anglais.

    A Tetiaroa, une seule règle de vie édictée par Philippe Brovelli et Silvio Bion : « L’envie du moment. Chacun mange quand il le souhaite, boit ce qu’il veut, fait ce qui lui plaît ». On ne saurait inventer plus belle équation du bonheur. Du coup, certains clients ne sortent jamais de leur villa. Avec 95 mètres carrés pour deux (chambre au lit de star, salle de bains et salon), une vaste terrasse solarium, une piscine privée, un kiosque idéal pour une dînette les yeux dans les yeux, un écran connecté au monde entier, le service permanent d’un majordome et un accès direct à la plage des Sirènes (généralement déserte) tapissée par un lagon au bleu unique. On les comprend…

    Pourtant, impossible de ne pas succomber au charme des installations du Brando. Le restaurant de plage et sa déclinaison gastronomique, « Les Mutinés », 20 couverts seulement, réservation obligatoire, une carte courte, un délice inclus dans le tarif de base et une cave aux références aussi grandioses qu’inattendues sous ces latitudes (en supplément). Guy Martin a délégué ici Antoine Gonzalez, un trentenaire passionné, pour réinventer la cuisine des îles avec le mahi-mahi, le thon ou la bonite, avec aussi des saint-jacques à peine saisies enveloppées de jus de yuzu et céleri, des crevettes rôties à l’huile de chorizo, bouillon aux saveurs de paella…

    Les bars ensuite, pieds dans le sable au milieu des pandanus ou bien perché sur la terrasse dominant la vaste piscine. Architecte et décorateur ont retenu l’idée du nid, joli tressage en alvéoles de bois locaux. Une réussite qui inspire Aurélien, chef barman inventeur d’une vingtaine de cocktails dédiés à Tetiaroa. Entre autres, le « Dirty Old Bob » (en hommage à l’assistant de Marlon) : bourbon, ananas, miel des ruches installées à l’abri de la cocoteraie, citron vert et bitter. Ou le « Tetiaroa Waters », référence au bleu unique du lagon : vodka dans laquelle ont infusé des fleurs de tiare, jus de pamplemousse, eau de coco glacée, trait de curaçao.

    Le « Spa Deep Nature », enfin, niché dans la palmeraie, à l’écart des villas. Un soin quotidien est inclus dans le séjour. Ses concepteurs promettent les recettes du bien-être telles que les inventa la tradition polynésienne.

     

     

     

    Brando avait exigé que ces basiques hôteliers soient complétés par une sorte d’université des îles, un centre d’études pour experts et scientifiques. Deux entités complètent donc le dispositif. La Tetiaroa Society, présidée par Hinano Bagnis, est l’organisme de recherche installé sur l’atoll. Son laboratoire high-tech peut accueillir une douzaine de chercheurs, qui travaillent aussi bien sur l’acidité de l’océan que sur la migration des baleines à bosse (juillet et août), le développement du corail, la nidification des sternes blanches, la population des requins et des raies manta.

     

     

     

    Quant à l’association Te Mana o te Moana, elle fait le lien entre la préservation de ce fragile écosystème et la clientèle. Sa présidente, la vétérinaire Cécile Gaspar, est une experte des tortues vertes. Ses observations montrent qu’elles font un périple de trois mois et 4.500 kilomètres, jusqu’aux îles Fidji, avant de revenir pondre à Tetiaroa, entre octobre et mars. Les hôtes du Brando peuvent accompagner les chercheurs, qui deviennent alors semeurs de savoirs. Pareillement, ils partent à la découverte des motus en compagnie des guides de Te Mana o te moana. Côté ciel comme dans l’eau, pour admirer les damzelles, ces mini-poissons bleu Klein qui bécotent les bouquets de corail. Approcher, oui ; admirer, certainement ; altérer, pas question.

    Quand elle accompagne les curieux jusqu’à Tahuna Iti, le motu aux oiseaux, Tumi raconte, jumelles à la main, le bulbul à ventre rouge, la frégate ariel, la marouette, la sterne à dos gris. Jamais elle ne révèle sa filiation, encore moins sa fierté d’être la gardienne d’un trésor. Son grand-père le promit un jour : « Si j’en ai le pouvoir, Tetiaroa restera toujours un endroit qui rappellera aux Tahitiens ce qu’ils sont et ce qu’ils étaient des siècles auparavant ». Tumi regarde le ciel, ouvre grands les bras pour s’offrir au vent du large et aux parfums d’océan. Elle est le mana de Tetiaroa.

     

    C’est bel et bien Marlon Brando lui-même qui a voulu Tetiaroa telle qu’elle est aujourd’hui, dans ses moindres détails. Car cette vision qu’il eut de son île correspond point par point à ses valeurs, à sa conception du positionnement de l’homme au sein de cette nature qu’il se doit de respecter, ainsi qu’aux positions fortes que l’acteur a toujours défendues, au risque de se mettre à dos une partie de l’industrie du film, comme ce fut d’ailleurs le cas.

    Mais Tetiaroa est aussi la preuve qu’un projet de cette ampleur nécessite la conjonction parfaite du rêve et du pragmatisme. Et lorsque ces deux visions cohabitent dans le respect, tout semble possible. 

     

     

     

    Source : Jean-Pierre Chanial pour Le Figaro