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PARTIE II

 « Les corps amoureux »

 

 

CHAPITRE XV

Oups…

 

 

Je ne suis pas à proprement parler une petite connasse, mais plutôt une nunuche qui peut tomber amoureuse en deux secondes, sur un mot, un regard, un geste, qu’elle va  interpréter selon ses codes et ses définitions, qui s’avèrent, dans ce monde froid et hostile, assez souvent erronés.

L’amour, il ne faut pas le chercher ou tenter de le provoquer. Il vous tombe dessus sans que vous ayez à redire. C’est ce qui va se produire, mais un peu plus tard, comme une marque du destin, comme dans un film de Claude Lelouch, un peu cliché dans ses hasards ou ses coïncidences, et pourtant authentique, incroyable, évident.

En attendant, je m’entête dans mes sorties nocturnes où la drague est reine, mais aussi pendant la journée, en des lieux annexes où l’on peut rencontrer des garçons à la tonne. Un vaste choix de fruits et légumes, de produits frais, mais parfois aussi quelque peu périmés. Alors, au marché, il faut choisir avec soin les produits qu’on sélectionne.

Non loin de mon travail et de mon logement, se trouve la station de RER Auber. Si vous ne prenez ni les escalators ni les ascenseurs, vous avez la possibilité d’emprunter un escalier interminable où on trouve des surprises à chaque palier. Des garçons, des hommes de tous âges, attendent à n’importe quelle heure. Un regard, un arrêt, une hésitation et un embryon de dialogue pour arriver très vite sur des demandes fatalement d’ordre sexuel. Et vous en avez pour tous les goûts. Cela va du costume cravate en attaché case qui sort du bureau, du retraité nostalgique de ses années folles au plus classique jeune mec, regard fuyant et mèche à la Pierre Cosso période « La Boum 2 ».

Là encore, il faut être prudent et savoir distinguer les sollicitations réelles de celles qui émanent des imposteurs, qui en veulent plus à votre porte-monnaie qu’à votre corps. Pour l’instant, j’ai la chance d’avoir su éviter les pièges tendus par les prédateurs comme les incubes. Il faut croire que j’ai un ange protecteur qui même dans ces situations un brin sordides m’épargne pas mal de désagréments. A vrai dire, je n’ai jamais été au-delà d’une semi-conversation. Ma vision désuète du libertinage ou de l’art de la cour m’empêche de ramasser tous ces fruits tombés à terre. J’aurais d’ailleurs préféré les cueillir directement à l’arbre…

Sinon, il y a aussi la version « rencontre pour un moment de détente et de philatélie à l’air libre ». Vous pouvez vous rendre au Louvre. Vous y trouverez, devant l’entrée du musée, des jardins peu entretenus, comme une sorte d’espace fourre-tout de bosquets et d’arbres. Et c’est précisément là, quand vient la nuit, que les buissons s’agitent et que les branchages frétillent. On peut consommer sur place ou à emporter, avec la possibilité, si on le souhaite, de se faire enculer ou sucer, et ce à juste vingt mètres de la rue de Rivoli… C’est chic et tellement parisien. Mais ce petit côté clébard en rut ne me plaît guère plus. Je suis décidément trop attaché aux codes de maintien, au protocole et à l’étiquette.

Plus loin dans les jardins, sur l’aile droite du Louvre, en face cette fois du musée du Jeu de Paume et de la place de la Concorde, c’est la version diurne qui est proposée, où des individus peuvent passer des journées entières à attendre la providence d’une pipe en devenir, d’un baiser volé ou bien juste à mater. Personnellement, je suis plus à l’aise avec cette version de jour.

A force de fréquenter les lieux, je finis par sympathiser avec quelques habitués, discuter de tout et de rien ou commenter le ballet des autres hères, eux-mêmes à la recherche effrénée d’un peu de chair à aimer. On y rencontre parfois des gens très intéressants, avec qui vous n’aurez pas forcément d’accointance d’ordre libidinal, mais avec qui vous pourrez échanger sur des tas de sujets et apprendre. C’est par exemple dans cet endroit qu’on m’a conseillé d’écouter les « Lieder » de Gustav Mahler, interprétés par Kathleen Ferrier. Comme quoi, la botanique, ça mène à tout…

Je mets ainsi une vraie distance entre les autres et moi, au point que je ne laisse pas facilement les gens s’introduire dans mon cercle d’intimité. Je ne peux pour l’instant me résoudre à imaginer consommer de la viande, comme le feraient la plupart des autres carnivores qui se bâfrent tous les jours, sous prétexte que la vie est trop courte.

Car je veux rencontrer celui qui me fera chavirer, celui qui me fera remonter le cœur jusque dans la gorge et qui m’étouffera. Celui qui me fera pleurer juste en entendant le son de sa voix, qui me bouleversera à chaque fois qu’il posera ses mains sur moi.

Mais pour l’instant, ainsi posté dans mon coin sombre à observer, je tombe amoureux d’ombres et de regrets. Cela peut durer une heure, une minute ou quelques secondes. Parfois, c’est vraiment formidable, jusqu’au moment où le mec ouvre la bouche. J’entends sa voix et « pof », tout s’écroule. C’est la disgrâce. Cela m’arrive même de me projeter avec mon futur « fall in love » dans ma dimension, mon palais mental…

Ce sont toujours les autres qui viennent à ma rencontre. Je me contente de me faire draguer. Il s’agit d’une position fort confortable pour moi, telle la marquise cachée derrière son éventail, qui laisse tous les prétendants s’approcher et lui dérouler leur argumentaire. Et c’est souvent lamentable. Je leur adresse alors un regard en descente d’acide, pour ainsi mettre fin à leur discours amphigourique.

En revanche, lorsque j’ai affaire à un individu pour lequel je fonds, c’est une horreur absolue. J’éprouve alors les plus grandes difficultés à entamer un semblant de début de dialogue, sans que cela ne paraisse ni niaiseux ni bafouillant.

Lorsque je rentre en transe devant un être que je juge sublime, c’est en silence et dans l’anonymat. L’autre ne le saura jamais. Je me contente alors dans mon coin de lui écrire un poème et de le garder avec moi à chaque nouvelle sortie, en espérant le croiser de nouveau pour lui remettre. Mais je ne revois jamais l’ange concerné. Les poèmes s’accumulent. De temps à autre, je les relis mais ils ont tous l’air de mantras périmés.

 

L’immaculé
 
Un bruit d’ailes qui se froissent au-dessus de mon âme.
Mais serait-ce un ange que je viens de voir là-haut ?
D’abord une silhouette apparue tel un fantasme
Dont les atours seraient de chair, sensuels et beaux.
 
Oui, un séraphin s’il était de blanc paré.
Sa noirceur de peau est une réponse insultante
Aux péchés capitaux, l’évidence abhorrée,
L’incarnation de la tentation éclatante.
 
Ton visage est celui des chastes chérubins
Comme on en peignait sur les toiles du Caravage.
Dis-moi que non, que ton ivresse est celle du vin,
Des réjouissances païennes et du libertinage.
 
Manifestation aux éclats sombres, perle nacrée,
Dans quel trésor d’un insondable fond marin,
Sous le silence des ténèbres, t’a-t-on extirpé ?
Quel hémisphère, quelle latitude, est-ce lointain ?
 
Tes pensées sont fluides. Ce sont les sylphides de l’eau
Qui se dérobent à mes questions, à mes sourires.
Tes petits rires se glissent dans l’échine de mon dos,
Dans le creux de mes reins et ils me font souffrir.
 
Tes yeux taillés dans de la roche incandescente
Que j’ai vus malgré les hauteurs de ton balcon
Ont ouvert, déchiré en une plaie béante
Mon coeur sourd et aveugle. Je lui demande pardon.
 
Toi, déité, je veux connaître tes paters
Mais je ne veux ni te brusquer ni profaner
Ce qui serait notre secret, notre sanctuaire
Pour te garder précieux, aimé, immaculé.

 

 

D’où puis-je avoir hérité de telles considérations si désuètes, remontant au XVIème siècle, voire même avant, en des amours courtois ou, dans mon cas, secrets et non avoués ? Vivre avec cette douleur au cœur, s’en nourrir et en jouir… Le plaisir de souffrir des mots que l’on ne peut dire que sur le papier. Je suis une sorte de néo-romantique, sans doute trop infusé aux poèmes d’Alfred de Musset, de Rainer Maria Rilke ou de Charles Baudelaire.

Je n’ai sans doute pas choisi le bon siècle pour naître, ou peut-être tout simplement pas la bonne libido. La façon de m’habiller s’oriente également de plus en plus sur des tenues noires ou bleu marine, avec toujours une chemise blanche. Et je cultive avec délice et masochisme cette affliction que sont les chagrins et les peines chroniques.

C’est ainsi que je m’entiche de plusieurs garçons sans qu’aucun d’entre eux ne le sache. Pour certains, j’écris juste des sonnets, pour un autre, c’est carrément tout un livre dédié à sa gloire et à sa beauté. A la simple évocation de ses yeux noirs ou de sa bouche, je sombre dans un état proche de l’Ohio (merci Isabelle…).

Je m’essaie pourtant sur un garçon dénommé Jean et dont je me suis infatué une fois de plus, à tenter de le courtiser comme il le faut, dans les règles de l’art. Il s’agit d’un danseur ivoirien plutôt direct et toujours souriant, qui ne comprend hélas pas exactement où je compte en venir avec lui. A chacune de nos entrevues (toujours au Boy), je me contente de lui parler de tout et de n’importe quoi, sans oser un mot de plus qui pourrait paraître trop significatif.

Je dois me résoudre à concéder que dans le domaine de la drague, je suis une quiche, pas lorraine, car je ne suis pas fan des lardons, mais plutôt aux poireaux et chèvre. Mon syncrétisme confine finalement à un crétinisme patenté, celui des fats et des sots. Quant à Jean, il doit me prendre pour un hétéro qui n’assumerait pas son homosexualité refoulée et qui n’oserait pas sauter le pas…

Lui-même, ne devant pas être trop intéressé par ce que je représente, me laisse ainsi à chaque fois m’enfoncer dans ma vacuité. Malgré le malaise sans cesse grandissant et son attitude paradoxalement polie mais pas dupe, je persévère assez longtemps, jusqu’au moment où je vais le perdre de vue. Sans doute doit-il se cacher à chaque fois qu’il me voit arriver.

Le cœur d’artichaut que je suis pourrait y laisser toutes ses feuilles si je continue ainsi ma vie entière à me méprendre sur la véracité de mes sentiments et à croire à une quelconque malédiction. Heureusement, le cosmos décide pour nous ce qui doit être fait.

Et si vous ne croyez pas en Dieu, il reste les étoiles.

 

Noir

Certains laisseront des traces
de leur passage sur terre
mais à peine un sillon
 
Puis d’autres dont la grâce
comme autant de prières
ou de miracles, de dons
 
Bien qu’appelé race
tant de mots éphémères…
Éternels, ils seront.
 
Éclats iridescents
offerts par une lune
hésitante des naufrages
 
Ou des rêves flottants
sur le sable et ses dunes
C’est peut-être un orage.
 
Une pluie diluvienne
qui viendrait tout noyer
recouvrir notre monde.
 
Et si la race humaine
est ainsi effacée
et en quelques secondes.
 
Comme on agiterait
ses deux mains pour chasser
des pensées vagabondes.
 
Il n’en resterait qu’une
un éclat que la lune
nous avait tant promis.
 
Lumière noire aveuglante
force et beauté tranchante
et je meurs ébahi.

 

 

Pour aller plus loin

Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 11)

Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 12)

Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 13)

Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 14)

Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 15)

Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 16)

Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 17)

Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 18)

 

 

 

    Photographe, auteur, poète et machine à remonter le temps, avec une cape de mousquetaire toujours portée un peu de biais.

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