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« La Fantaisie des Dieux » est une excellente BD reportage sur le génocide rwandais de 1994. Elle figure dans le Top 10 des meilleures BD de l’année 2014.  Patrick de Saint-Exupéry est aux commandes du scénario et Hippolyte au dessin. Publiée en 2014 aux Editions « Les arènes », la BD raconte le génocide sous l’angle plus précis du rôle de la France. L’acteur principal en est le silence : celui des autorités françaises, celui des morts, celui des survivants qui se cachent ou de la nature privée à nouveau de toute présence humaine.

L’histoire : Patrick, journaliste raconte, 20 ans après, le déroulement du génocide rwandais à un ami (le dessinateur  Hippolyte) en l’emmenant sur les lieux où se sont déroulés les événements.

Le ton s’efforce d’être soft, objectif, de s’en tenir aux faits, sans partis pris. L’horreur suffisant à elle-même, il n’était en effet pas nécessaire d’en rajouter. Pas de femmes qui pleurent, pas de corps mutilés, on n’est absolument pas dans le voyeurisme ni dans le cru du réalisme. Le génocide, on en parle de manière journalistique, en exprimant les faits. Tout simplement.

Les dessins d’aquarelle relevés d’un trait d’encre de chine et les couleurs pastelles très diluées apportent une douceur au propos. L’humour permet de détendre l’atmosphère en relevant l’absurde de la situation, le décalage entre la beauté du paysage et le sordide des massacres, le déphasage entre les propos des assassins et l’infâmité de leurs actes.

Les mots sont rares mais choisis. On reconnaît l’oeil du photographe dans certaines prises de vues. Des photos noir et blanc sont d’ailleurs parcimonieusement distillées dans le texte montrant les lieux ou les personnages tels qu’ils sont aujourd’hui, 20 ans plus tard. C’est très émouvant. Cela donne du coffre à l’histoire, permettant au lecteur de bien prendre conscience qu’il s’agit de faits réels et pas d’une fiction,  que ces gens-là ont bien existé, démontrant une fois de plus que bien souvent, la fiction dépasse la réalité.

A moto, les deux personnages principaux remontent la chronologie des événements. Le ton des dialogues est bref, clair, allant à l’essentiel. Les aquarelles du lac Kivu sont magnifiques. Il y en a plusieurs, qui reviennent en leïtmotiv, comme un instant de pause, de méditation. Un temps nécessaire pour souffler et digérer les informations. Mais les pages bleues cassent parfois un peu le rythme. Elles nous réveillent trop brusquement de notre plongée dans l’histoire et on s’interroge parfois de leur utilité, même si l’on comprend qu’il s’agit d’une introspection.

La fin est comme le début : scotchante !… A peine croyable pour qui découvre l’envers du décor. La sidération causée par la révélation finale est extrêmement bien rendue à travers les dessins en zoom des yeux du gendarme adjudant chef au GIGN, Thierry Prungnaud.

Né en 1962, Patrick de Saint-Exupéry est un journaliste français ayant couvert de nombreux pays d’Afrique et du Moyen-Orient en tant que correspondant à l’étranger. Lauréat du Prix Albert Londres en 1991 pour ses reportages sur la guerre du Libéria et l’apartheid en Afrique du Sud, il a fondé sa propre revue de grand reportage appelée « XXI » en 2008. Présent au Rwanda lors de l’opération Turquoise, il écrit toute une série d’articles pour faire connaître les événements de Bisesero dont il fut l’un des témoins directs.

Hippolyte avait déjà réalisé dix BD reportage avant « La Fantaisie des Dieux » . C’était la première fois en 2013 qu’il se rendait au Rwanda.

Pour aller plus loin :

✓ « Silence Turquoise » Editions Don Quichotte, 2012, Laure Vulpian et Thierry Prungnaud

✓ « Complices de l’inavouable, la France au Rwanda », 2004 Patrick Saint Exupéry

 

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Pour Instant City, Patrick de Saint -Exupéry a accepté de répondre à nos questions :

iCity  : Bonjour Patrick de Saint-Exupéry, pourquoi une BD en plus des livres ?

PdSE : Parce qu’elle nous a semblé nécessaire, à Hippolyte et à moi-même. Hippolyte avait 18 ans au moment des faits. Lorsque nous avons discuté du projet, il me disait se souvenir des images alors passées à la télévision mais « n’avoir rien compris » à cette histoire dont il ne gardait en tête qu’une impression confuse d’extrême violence et d’effroi. Revenir vingt ans plus tard en bande dessinée sur le génocide des Tutsis du Rwanda, c’est offrir un nouveau point d’accès à cette page d’histoire qui nous concerne et nous interroge, tant sur les mécanismes du génocide que sur le rôle de la France..

iCity  : Pourquoi ce sujet est-il davantage présent dans vos écrits que d’autres (le Libéria ou l’apartheid ) ?

PdSE : Un génocide est un défi à la compréhension. Son marqueur n’est pas la furie, mais le silence qui s’ensuit. Ce silence n’est pas acceptable. Un génocide est un crime contre l’humanité. Ce crime et sa possibilité doivent être interrogés. C’est une exigence morale.

iCity  : Quelle technique Hipolpolyte utilise-t-il ? Est-ce bien de l’aquarelle + encre de chine ? Ce choix d’outils est-il délibéré par rapport à un objectif précis ?

PdSE : Oui, Hippolyte travaille en aquarelle avec des traits en encre de chine.

iCity  : Les pages bleues : pouvez-vous nous en parler ?

PdSE : Ces pages bleues sont une respiration. Elles nous ont semblé nécessaires, pour balancer le rythme et poser des éléments de réflexion. Entrer dans une compréhension des mécanismes du génocide suppose d’accepter de se confronter à sa propre humanité. C’est l’objet de ces pages qui sont des moments vécus par Hippolyte : tous les soirs, celui-ci éprouvait la nécessité de se « laver » dans les eaux du lac Kivu de ce qu’il avait entendu et compris dans la journée.

iCity  : Quel accueil avez-vous eu à la publication de vos articles en rentrant du Rwanda ? Avez-vous été menacé ? Moqué ?

PdSE : Ca n’a pas toujours été facile. Il a surtout fallu affronter une réticence générale au questionnement, à l’interrogation. En gros : « Pourquoi reparler de tout cela alors que c’est passé ? »…

iCity  : Top 10 de la meilleure BD en 2014, avec un sujet aussi dur et sensible, une vraie fierté ?

PdSE : Je ne sais pas si cela est motif à fierté. Je pense que cette BD était nécessaire. Qu’elle ait été bien accueillie est bien sûr une satisfaction. Hippolyte a réalisé un très beau travail et le public a bien compris la démarche. Mais il reste tant encore à faire…

iCity  : Le Rwanda est-il derrière vous maintenant, ou y aura-t-il une suite, peut-être un film ?

PdSE : Cela fait plusieurs années que je me dis que le Rwanda est maintenant derrière moi et, à chaque fois, je me trompe. Alors que vous dire ?… Peut-être, peut-être pas, je ne sais pas. Tout ce que je puis vous dire, c’est que cette histoire n’a pas fini de m’interroger.

iCity  : Merci à vous.

PdSE : Merci à vous également

 

 

 

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