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PARTIE II

 « Les corps amoureux »

 

 

CHAPITRE XI

 

Underground

Mais le Boy a aussi son pendant maléfique, le B.H., rue de l’Arbre Sec, à deux pas du BHV. Ici, on est vraiment dans la représentation homo « creepy », comme peuvent se l’imaginer les homophobes patentés qui régurgitent en même temps qu’ils fantasment sur les mœurs de cette libido convexe.

La faune du lieu y est extrêmement hétérogène. Tous les styles, les genres, les nationalités, les couleurs de peau y sont représentés. On peut y croiser par exemple un mec habillé en Geronimo, un autre entièrement nu, simplement « vêtu » d’une vague paire de baskets aux pieds. J’y vois également un sosie de Frank Zappa, toujours en slip sous un long manteau, portant des santiags rouges et arborant un bien curieux maquillage cabalistique, autour des yeux et sur le front.

Mais il existe encore plus extrême que ce lieu folklorique. J’ai testé une fois le « Transfert », qui se trouve derrière la rue Saint-Honoré. Un micro-bar où, à peine entré à l’intérieur, je me suis retrouvé presque nez à nez avec un homme à quatre pattes sur le comptoir en train de se faire gentiment mais sûrement… fister…

Ce qui m’a fait fuir, ça n’est pas tant l’acte prodigué devant une foule silencieuse et extatique, mais plutôt que le principal intéressé m’a regardé dans les yeux et m’a souri. J’ai senti à cet instant précis ma colonne vertébrale se raidir, comme si je venais moi-même de me sentir pénétré par un manche à balai qui me dépliait les intestins.

L’autre bar très fréquenté à cette époque par ce genre d’aficionados se trouve juste derrière Bastille, rue Keller, et s’appelle d’ailleurs sobrement « Le Keller ». Ce qui peut déjà mettre la puce à l’oreille, c’est de voir les clients du lieu rentrer ou sortir à n’importe quelle heure de la journée, arborant tenue de survêtement et crâne rasé. Ils ont tous avec eux un sac de sport, un peu comme celui de « Sport Billy ». J’imagine sans peine ce que ces petits bagages peuvent contenir.

Mon allure générale et ma coupe de cheveux du moment ne correspondent pas tout à fait au dress code de l’endroit. Dans le sas de l’entrée, on doit d’abord passer entre deux molosses, qui vous dévisagent comme le font les ogres avec les petits enfants. Je peux alors lire sur un panneau où les tarifs sont inscrits, que le prix de l’entrée comprend également, si bien entendu on le souhaite, un rasage intégral du crâne. Effectivement, l’un des deux golgoths a dans la main une tondeuse.

Et c’est précisément à cet instant que je réalise que le sol est vraiment moelleux, du fait de tous ces petits tas de cheveux fraîchement coupés. « Oups »… Je décline bien-sûr la proposition certes alléchante de la dernière coupe de cheveux du condamné : « non merci, mais j’essaie de les laisser pousser en ce moment… ». Et je pénètre dans cette antichambre des enfers.

Je ne reste pas plus de deux minutes entre ces murs qui suintent la testostérone et le pipi. Je ressors aussi sec quand je sens une main se poser sur mon épaule et me retenir avant que je n’ai pu franchir la porte de sortie. En me retournant, je constate avec effroi qu’il s’agit d’un des trolls de tout à l’heure ; « Tu nous quittes déjà ? ». Je balbutie quelque chose du genre « je n’ai pas vu l’ami que je devais retrouver… ». Et au tour du big foot de me répondre : « mais tu peux te faire tout plein d’autres amis, tu sais ?! ».

Et oui, je m’en doute bien… Peut-être pas des amis pour la vie, mais qui seraient sans doute plus intéressés par une exploration minutieuse de mon intestin grêle ou encore par la longueur de mes pieds et de mon gros orteil. « Mais non, en vous remerciant cependant ! ». En tout  cas, je suis très content d’avoir pu connaître, même fugacement, ces lieux pour messieurs très énervés. Merci, bravo à tous et spéciale dédicace à toute l’équipe !

Je m’en tiendrai donc juste au B.H., qui restera pour moi le bon compromis entre le Boy et ces autres repaires de joyeux drilles. L’endroit est petit et sans climatisation. La chaleur qui y règne est suffocante. Un air lourd, épais et quasi palpable, où tout semble évoluer au ralenti, dans une sorte d’apesanteur. On pourrait presque voir des particules de sperme coagulé, tournoyant dans l’air en petits flocons et venant s’écraser mollement sur les joues des convives.

Il faut jouer des coudes pour se frayer tant bien que mal un chemin jusqu’au bar. L’endroit comporte deux autres niveaux, qui se trouvent en sous-sol. Vous vous y rendez par des escaliers aux marches lumineuses, renvoyant une lumière étrange sur des silhouettes agglutinées tout le long de votre parcours. Et des regards gluants vous scrutent à votre passage.

Au B.H., la programmation musicale est beaucoup moins pointue que celle du Boy. La faune qui vient y traîner ses guêtres (et sa bite) n’est pas là pour ça, de toute façon. Non, l’idée du B.H., c’est de se répandre, de se mélanger, de se malaxer. Il y flotte ce parfum d’interdit, cette âcreté dispensée comme de l’encens sacré. Une potentielle dangerosité.

Un ou deux ans auparavant, le B.H. recevait d’ailleurs fréquemment la visite de ce psychopathe antillais qui défrayait la chronique à l’époque, Thierry Paulin. Ce brave garçon qui torturait, tuait et volait des vieilles dames seules, sous prétexte de les aider à monter leurs sacs de commissions jusque chez elles, et qui venait ici ensuite avec ses complices y dépenser son sinistre butin.

On raconte en outre que cette joyeuse bande aimait aussi s’adonner à un jeu très particulier sur la piste de danse. Munis de lames de rasoirs, Paulin et ses amis donnaient discrètement de petits coups au hasard dans la foule compacte tout en dansant ou en faisant des allers et venues dans la boîte de nuit. Leurs victimes ne se rendaient pas compte tout de suite qu’elles saignaient…

Heureusement pour moi, ces faits se sont déroulés juste avant que je ne fréquente l’endroit, qui bénéficiait désormais de cette sulfureuse publicité. Mais c’est aussi au B.H. que je découvre ce que l’on appelle la « backroom ».

 

Leçon de chose n° 3…

La backroom est un lieu de rencontre pensé et aménagé pour des gays un peu trop timides, qui n’osent pas faire le premier pas, ou simplement dire bonjour, avant de pouvoir directement baisser leur pantalon. Il est vrai que ce concept ne date pas d’hier. La timidité non plus, d’ailleurs. Ces mystérieuses pièces se trouvent, comme le signifie littéralement le mot « backroom », tout au fond des bars ou de certaines boîtes de nuit, mais aussi de saunas spécialisés.

Inventé aux États-Unis à la fin des années 60, le concept s’exporte très vite en Europe. On le voit fleurir dès 1973 à Paris, dans certains établissements gays de la rue Saint-Anne, ces petits endroits exigus où des messieurs viennent s’adonner anonymement au sexe, sans préliminaire ni présentation ; « Bonjour, moi c’est Jean-Paul… Ta gueule et suce ! »

Alors, toujours avec ce souci de ne pas apeurer toutes ces personnes souffrant de gros problèmes de communication, la backroom se doit d’être plongée dans l’obscurité. Les timides n’aiment pas se reconnaître entre eux. Et ce sont des gens extrêmement pudiques. La backroom peut s’appeler également « darkroom ». Aucun rapport cependant avec des seigneurs de Sith ou un quelconque côté obscur de la force qui sévirait en ces lieux.

Faut-il évoquer ici les risques conséquents que prennent toutes ces personnes sensibles en s’aventurant dans ces nids à H.I.V. et autres petits virus rigolos ? Il faut dire que premièrement, dans le noir total, personne ne vous entendra crier et deuxièmement, il est assez difficile, quand on a en plus la bouche pleine, de demander à son partenaire, inconnu de surcroît, qui vient de surgir par derrière, s’il a bien enfilé un préservatif en latex ou en panse de brebis…

Oui, ces lieux comportent en effet quelques risques qu’il serait hasardeux de minimiser. Quoi qu’il en soit, l’expérience semble être unique pour les participants, avec ce principe de la roulette russe qui vient pimenter encore un peu plus l’exercice… Il existe aussi des variantes, dans certains saunas, avec la possibilité de consommer du sexe sur place, anonymement et à toutes heures de la journée. Des rencontres éphémères, mais ici plus dans une ambiance claquettes, peignoir, vapeur et faïence.

Plus tard, en ce début des années 2000, ouvriront « Le Dépôt », une backroom géante qui deviendra mythique dans toute l’Europe, et le « Lab-Oratory » à Berlin ; tous deux deviendront des institutions où l’on célèbre le sexe de manière industrielle, comme ultime exutoire, en attendant la fin du monde. Le mot d’ordre qui les régit pourrait être : « Après moi, le déluge »…

 

 

Pour aller plus loin

Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 11)

Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 12)

Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 13)

Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 14)

Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 15)

 

 

 

    Photographe, auteur, poète et machine à remonter le temps, avec une cape de mousquetaire toujours portée un peu de biais.

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