Fin septembre, c’est la période des vendanges en Anjou, le fameux pays rendu célèbre par le poème de Du Bellay que nous avons tous appris au lycée : « Heureux qui comme Ulysse a fait un long voyage… ». L’ardoise fine, les petits villages, la Loire et enfin, la douceur angevine. Richard Leroy est vigneron. Il possède trois hectares de vignes cultivées en biodynamie, uniquement en cépage chenin, un blanc d’Anjou qui peut donner des blancs secs comme le Savennières, le Saumur ou le Vouvray. Etienne Davodeau, lui, est dessinateur de BD, auteur entre autres des séries « Geronimo », « Max et Zoé », « Les Amis de Saltiel » et de « Lulu Femme Nue », adapté au cinéma en 2013 et interprété par Karine Viard. Etienne n’y connait rien en vin et Richard rien en bande dessinée. Alors pourquoi ne pas initier l’un à l’art de l’autre ?
Le livre est long et épais : 272 pages. Et pourtant, on reste sur sa faim. Une longue année de rencontres, de virées entre vignobles et imprimerie, entre vignerons et dessinateurs, entre domaines et salons et pourtant, le lecteur aimerait que ce soit encore plus lent pour en profiter davantage. Heureusement, en dernière page, on trouve une liste récapitulative de tous les vins dégustés et de toutes les BD lues, permettant ainsi de continuer le voyage dans les pas de Richard. On savoure toutes les dégustations qui nous apprennent à prendre du recul sur les grands vins, les bien notés, ceux qui coûtent cher et les vins qu’on aime pour tout un tas d’autres raisons. De même qu’on apprend à connaître l’univers de la BD en découvrant les intentions derrière l’image.
Ce qui est très intéressant, c’est l’idée même de départ du livre : une initiation croisée. D’autre part, le récit d’une année d’échanges dans la convivialité avec toutes ces rencontres que nous avons le plaisir de faire par personne interposée et qu’il nous hâte de rencontrer à notre tour. Et enfin, pour les amateurs de vin et de BD, la joie de voir traiter ces deux sujets dans un même ouvrage et de ressentir toutes ces sensations qu’on éprouve dans une vigne et à une table à dessins.
Le pari d’Etienne Davodeau est réussi : les habitants du coin, eux-mêmes, ne s’y sont pas trompés et raffolent de ce livre qui trône désormais dans toutes les maisons et les vitrines angevines tellement il est bien fait car les émotions, les couleurs, les saveurs, tout passe à travers l’encre et le papier. Y compris l’amitié entre les deux hommes, malgré les moments de fatigue ou d’incompréhension. Car le ton est sincère et honnête, les étapes sont retranscrites avec fidélité, ne masquant pas les propos ou postures défavorables. Cette odeur de « vrai » rend les personnages attachants à travers ce que Jean-Claude Loiseau qualifie dans Télérama « d’expériences humaines non trafiquées ». On aime l’humilité d’un auteur qui respecte en permanence le point de vue de l’autre et n’essaie à aucun moment ni de se mettre en avant, ni de lui voler la vedette, bien au contraire.
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Etienne Davodeau : « Les Ignorants » : récit d’une initiation croisée
(Editions Futuropolis – 2011 – 24,50 €)