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Etre né en 1969, c’est être un enfant dans les années 70, à pattes d’éph’, à sous-pulls et chemises col pelle à tarte. C’est regarder à la télé l’Ile aux Enfants, Christophe Izard, Isidor et Clémentine… Ensuite, c’est rêver devant Goldorack, Albator et devenir complètement dingue quand Star Wars débarque en 1977.

 

Etre né en 1969, c’est être un adolescent dans les années 80. Les premières sorties en boite, les bars avec un café qu’on fait durer trois plombes, les disquaires, les vinyles… Pas d’ordinateurs, de réseaux sociaux, de téléphones portables. On se crée nos mondes imaginaires par le biais du cinéma, des livres, des bandes dessinées et des groupes de musique que l’on écoute. Une jeunesse naïve, désuète, avec des têtes de chausson aux pommes. Il y a une douceur de vivre.

On entend bien pourtant un grondement au loin, parfois. Une complainte du monde. Quelque chose qui se trame, un glissement, mais pas encore chez nous, pas dans notre pays, la France, pas dans notre petite ville de province, Niort. Tout ça, les morts, les bombes, les enfants qui meurent, c’est uniquement à la télé, parce que pour les journaux, ce sont Starfix, Mad Movies, L’Ecran Fantastique qui font office de médiateur. Oui, on se construit un petit monde confortable mais autiste. On élude tous ces faits comme s’ils appartenaient à un monde parallèle.

Un jour pourtant, l’horreur, on l’a vu une fois. C’était dans le film « Le Vieux Fusil ». Des nazis qui carbonisaient Romy Schneider sans raison et abattaient sa fille d’une balle dans la tête tout en riant. On avait là l’exemple type de la représentation la plus extrême, la plus cauchemardesque de ce qu’était la mort donnée sans raison, juste au nom d’une idéologie haineuse, aveugle et sourde. Un film que j’ai toujours détesté, en me disant pourtant que cela de toute façon ne pourrait plus jamais arriver. Plus lâchement encore, je poussais le raisonnement en me disant que si toutefois cela pouvait encore se produire, c’était heureusement si loin de chez moi que je pouvais continuer à dormir douillettement dans mon lit en rêvant à mes chimères confites.

Les années et les décennies passent, comme des chapelets apportant chacun leur lot de révélations. Peu à peu, vous le voyez, ce monde anonyme qui commence à vous rattraper. Il était jusqu’à présent sur les côtés et là il glisse finalement jusque devant vos yeux.

1990-2000…

11 septembre, l’impensable et grand premier choc où vous comprenez que le mal, la bête, s’est relevée. Elle s’élance, grossit. Sa gueule grande ouverte, vous le sentez maintenant, son souffle, son haleine fétide. Il va être de plus en plus difficile de passer à côté et faire semblant de ne pas savoir, à défaut de ne pas comprendre. Le monde s’assombrit… Quand bien même on se bouche le nez, on plisse les yeux ou on se barricade les oreilles derrière des écouteurs, avec le son poussé au maximum de nos MP3. L’air se charge d’une densité de métal. Les gens, les comportements ont changé. Quelqu’un qui vous bouscule dans la rue ne va plus forcément s’excuser. Les regards deviennent fuyants. Les sourires sont rares comme l’or. On se presse désormais de rentrer toujours plus vite chez soi.

Alors on continue pourtant à faire comme avant. La même légèreté. Mais c’est de plus en plus dur. On se sent lesté de plomb. On résiste. On essaye. Toutes nos pires craintes irrationnelles petit à petit prennent forme et ce qui paraissait impensable il y a encore quelques années fait irruption chaque jour toujours un peu plus près. Le souffle du dragon se fait ressentir jusqu’aux calottes glaciaires.

Et un vendredi soir, un 13 novembre, ça a lieu. Notre 11 septembre à nous. C’est « Le Vieux Fusil » qui devient réel. Un sentiment d’horreur nouveau s’invite dans le panel de notre inconscient. Il y a des hommes qui massacrent des gens dans une salle de concert, sur des terrasses de bars et de restaurants, tirant au hasard sur n’importe qui se présente au bout de l’arme. Des gens vivants qui à la seconde d’après ne le sont plus.

Alors on nous montre les visages des bourreaux, des vidéos où ils paradent, rient dans un mélange d’arrogance et d’impétuosité presque enfantine. Tout cela est censé nous rendre encore plus fou de rage et ivre de vengeance. Même pas…

Anéanti, groggy, paralysé comme l’animal que l’on amène à l’abattoir.

Le monde est devenu absurde, sans repère et où plus rien ne fait sens. A partir de ce constat, la vie en soi ne signifie plus grand chose, relayée derrière d’autres priorités. Oui, ce monde semble être devenu une immense aire de jeux pour psychopathes. On tire des balles en guise de salutation. On dit bonjour pour donner la mort. Un monde devenu noir et opaque, mais où chaque jour il faut continuer à relativiser, à rire, s’amuser et jouir ?

Et tout cela au milieu de ces âmes soufflées, pleines de stupeur et de sidération, tout autour de nous. On vit au milieu des morts, de tous ceux encore là parce qu’ils ne le savent pas, ne comprennent pas. Personne ne comprend d’ailleurs, morts comme vivants. Le monde s’est inversé. L’effondrement qui s’accélère. Nous, au milieu de ce chaos rampant, visqueux. Magma tentaculaire qui choisit ses proies sans logique, au hasard de sa progression. Faim incoercible du néant devenu obèse et boulimique. Le mal triomphe tous les jours et nous l’avons accepté.

Quelle force pouvons-nous alors tirer de toutes ces horreurs perpétrées ? Quelle leçon, quelle sagesse à notre échelle, pouvons nous proférer derrière les sillons ensanglantés de ces nuées de psychopathes débarrassés de tout oripeau humain ?

Le bleu, c’était le ciel, certains regards, l’eau de la mer et des océans, un vêtement, une écharpe. Tout cela a été enseveli par le goudron de l’irrémédiable. Alors cramponnons-nous aux branches pour ne pas tomber. En dessous, le sol se dérobe.

Notre monde était bleu…

 

 

 

    Photographe, auteur, poète et machine à remonter le temps, avec une cape de mousquetaire toujours portée un peu de biais.

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