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Contrairement à la première fois où j’ai dévoré « L’Amour et les Forêts » de l’esthète Eric Reinhardt, sorti en 2014 et couronné de nombreux prix, je n’ai pas pleuré comme une madeleine à la fin des quelque 500 pages.

 

Le sujet du roman « L’Amour et les Forêts » d’Eric Reinhardt n’est pas sans rappeler celui fort médiatisé des derniers Césars avec le film « Jusqu’à la Garde », qui a distingué la frêle Léa Drucker et salué la proposition de l’imposant Denis Ménochet. Pour autant, la fiction romanesque dépeinte par l’auteur évoque, avec force descriptions et adjectifs colorés, l’inexorable descente aux enfers de Bénédicte Ombredanne. Rien que le nom de cette jeune agrégée de lettres, mariée, deux enfants, vivant à Nancy, n’a pas été laissé au hasard…

En effet, il s’agit ni plus ni moins que d’une femme ordinaire, commune et humble, telle la voisine de palier parfaite, qui mène une vie sans histoires mais sait parfaitement exalter sa nature endormie en s’enthousiasmant sur les livres de l’auteur. Elle lui écrit son admiration. Contrairement à ses habitudes, il va la rencontrer et petit à petit, elle va s’ouvrir sur son quotidien morne, ses enfants à qui elle sacrifie tout… mais aussi et surtout son mari, qui a sur elle un ascendant morbide composé de vexations quotidiennes, d’humiliations verbales et de harcèlement moral, de jour comme de nuit.

De fil en aiguille, elle se rebelle contre ce carcan qui l’étouffe, va s’encanailler sur les sites de rencontre, poussée à bout par un homme qui la dévalorise tant qu’elle a l’impression de faire partie du décor. Il est obsédé par le budget du ménage, consigne le moindre détail ; il a également des problèmes relationnels avec ses collègues, mais elle couvre tout pour sauvegarder les apparences d’une famille unie.

Sa rencontre avec un antiquaire bourru mais délicat, un après-midi de février en lisière d’une forêt, va littéralement enflammer Bénédicte Ombredanne, mais elle devra en payer un lourd tribut durant les mois qui suivent. A la façon d’Emma Bovary, elle s’épanche avec passion, mais elle ne s’autorise pas le bonheur d’une nouvelle vie.

On en apprend plus sur son environnement familial et ses jeunes années, entachées d’une violente peine de coeur, qui a véritablement brisé son élan de jeune femme enjouée. Finalement, ce choix, celui de se mettre à l’abri pour moins souffrir, va l’offrir à la merci d’un homme qui ne s’estime pas assez bien pour elle, et lui fait subir mille outrages, non par les coups mais par les paroles, qui l’agressent et la blessent plus sûrement, en la dévalorisant complètement.

Cette vie, telle qu’aurait pu la décrire Maupassant à son époque, a été gâchée par un homme médiocre, sans ambition, alors que Bénédicte Ombredanne aurait pu avoir un magnifique destin. Ce qui touche particulièrement dans ce récit romanesque, qui a fait polémique pour cause de soupçon de plagiat à sa sortie, c’est qu’il dépeint précisément, comme s’il pénétrait dans l’intimité par un trou de souris, la vie de nos propres collègues ou de nos voisins.

Comment peut-on arriver à sombrer de la sorte, en bernant son entourage, pour sauver les apparences ? les violences faites aux femmes peuvent prendre de multiples formes, mais assurément le martel psychologique des pervers manipulateurs est le plus insidieux et le moins visible d’entre tous.

Comment combattre au quotidien, avec rage, ce qui marque et dévalorise durablement ? En étant plus à l’écoute, en alerte et toujours vigilant ? Mais est-ce suffisant, dans la mesure où il est impossible de quantifier le nombre des victimes ? Par peur du jugement méprisant de la société, ces personnes ne montrent rien, si ce n’est des stigmates qu’on appelle désormais la somatisation, signe que la fameuse charge mentale est au-dessus de leurs forces.

Le magnifique livre d’Eric Reinhard se termine par un dialogue poétique (et fantasmé, car il ouvre le champ des possibles avec son amant…) d’une Bénédicte Ombredanne libérée de toute entrave, prête à vivre, tout simplement…

 

Photo à la Une © Martin Bureau / AFP

 

 

 

 

 

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