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  • Marie Pélissier : « #MeToo », premier extrait de son album « Résilience »

     

     

    En 2014, nous faisions la connaissance de Marie Pélissier, à qui nous consacrions, à l’époque, un article à sa peinture. Et nous gardons un souvenir nostalgique des premiers artistes que nous avions eu la chance de rencontrer, lorsque nous étions encore tout petits. Alors, le fait de garder contact, malgré le temps qui passe, nous remplit de joie et d’espoir. Et c’est ainsi que nous retrouvons Marie, après toutes ces années, avec de nouveaux projets, et c’est comme si nous nous étions quittés la veille.

     

    Tarnaise depuis quelques années, Marie Pélissier a pourtant fait ses premiers pas dans la vie et en musique en plein coeur de la campagne normande. Petite fille sensible à la nature et au monde qui l’entoure, elle apprend le piano et se lance dans l’écriture à seulement huit ans. Autant de passions qui ne la quitteront plus…

    Deux ans plus tard, elle foule avec détermination les planches d’une classe de théâtre, avant de rejoindre les bancs du prestigieux Cours Florent à Paris, dont elle sort diplômée à 20 ans. Parallèlement à sa carrière naissante de comédienne, qui lui vaut quelques rôles dans des courts-métrages, Marie poursuit inlassablement ses rêves…

    En coulisse ou dans la lumière des projecteurs, elle travaille sans relâche et s’épanouit dans son art, au sein de divers groupes musicaux ; de Baobab à Matty, Marie devient, au fil de son voyage initiatique, auteur, compositeur, interprète, et joue ses propres chansons à guichet fermé dans des salles parisiennes mythiques, comme le Gibus ou le New Morning.

    En 2014, c’est sa rencontre avec Julien David B, musicien et producteur arrivé tout droit d’Australie, qui l’encourage à explorer des terres inconnues. Le duo aux influences electro, baptisé M’Jay, sort quatre titres en Anglais et collectionne les vues sur YouTube, notamment avec son titre « Sensitive », diffusant un message altruiste sur le monde de demain, la nature et l’amour de l’être humain. Des valeurs que Marie partage également avec Fredo Volovitch, membre du célèbre groupe de chanson française Volo, qu’elle rencontre grâce à internet et qui la pousse à exaucer son souhait le plus cher : enregistrer un album solo.

    Sous le regard bienveillant de son mentor, tout en profitant du confinement pour peaufiner cet opus tant attendu et désiré, intitulé « Résilience », Marie a choisi, comme une évidence, la chanson « #MeToo » comme premier extrait de son album. Encouragée par l’émergence irrépressible d’un phénomène de société auquel elle se sent étroitement liée, Marie témoigne avec sensibilité, délicatesse et poésie sur son parcours pourtant chaotique de survivante d’inceste. Tout simplement pour que l’injustice cesse…

    Avec « #MeToo », elle nous raconte cette sale histoire qui est la sienne, avec beaucoup de dignité, de détachement, de recul et de classe. La prod de Julien B David est parfaite, minimaliste à souhait, dépouillée, avec juste ce qu’il faut là où il faut. A écouter d’urgence, pour les mots forts que cette chanson véhicule, avant de pouvoir découvrir prochainement l’album « Résilience », qui porte bien son titre, car il faut être taillée dans la plus dure des pierres précieuses, pour parvenir à traverser ce genre d’épreuves et en sortir indemne, en apportant la preuve qu’on n’est pas forcément condamnée à accepter la fatalité sans se battre…

     

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    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Marie Pélissier, du talent à revendre

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Marie Pélissier Peintre

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] M’Jay YouTube

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  • Ghost in the Shell, quand le cyberpunk du Soleil Levant devient une référence mondiale – Partie 2

     

     

    « Ghost in the Shell » est le titre anglophone d’une œuvre de science-fiction de Masamune Shirow, publiée entre 1989 et 1991, et qui donna lieu par la suite à de nombreuses déclinaisons, le plus souvent réussies. Afin de célébrer dignement le trentième anniversaire de la franchise de cyberpunk nipponne qui a popularisé le genre dans le monde entier, au point de devenir la référence ultime du genre dans la pop-culture de science-fiction, un tour d’horizon de « Ghost in the Shell » ainsi que des thèmes qu’elle aborde s’impose…

     

    Ghost in the Shell, le film d’animation de 1995

    Film d’animation à gros budget pour le Japon à l’époque, il est réalisé, en coproduction avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni, par Mamoru Oshii qui avait déjà travaillé sur d’autres longs-métrages d’animation, comme « Patlabor 2 ».

    « Ghost in the Shell » garde l’intrigue principale du manga original sur le Puppet Master et se concentre d’ailleurs uniquement dessus. Pour la petite anecdote, le film a droit à une sortie française en 1996, dans quelques salles, et j’eus la chance de le voir à l’époque. Dès le générique, qui suit une scène d’action correspondant au premier chapitre du manga, on est frappé par le mélange des premières images de synthèse avec un dessin sur celluloïd particulièrement soigné, narrant la construction d’un cyborg, en l’occurence le major Motoko Kusanagi en personne.

    Mais ce n’est pas tout… Le film (et le générique) est servi par une bande-son signée Kenji Kawai, utilisant à la fois des instruments traditionnels (tambours, clochettes) et des chœurs japonais, le tout rehaussé par des instruments modernes, comme le synthétiseur, pour donner une impression de froideur se mélangeant à des chœurs aux voix plus chaudes et plus aiguës, en particulier sur le générique (intitulé « making of cyborg »). Et cette bande-son qui s’avère presque envoûtante se marie parfaitement bien à l’univers Cyberpunk de Masamune Shirow et le sublime, tant l’impression d’un conflit entre le Japon traditionnel et un avenir hyper-technologique transparaît dans le film.

    « Ghost in the Shell » met intelligemment en exergue le questionnement du major sur son individualité et l’importance d’être un individu unique à la personnalité bien définie, dans un monde ultra-connecté par un réseau internet complètement hypertrophié (réalité virtuelle et augmentée). Mais dans les scènes du film, on voit surtout des ruelles étroites et délabrées inspirées par Hong Kong, des musées désaffectés, des personnes aux souvenirs modifiés par le pirate nommé le Puppet Master, donnant l’impression que malgré une haute technologie, une partie du monde se délite sous les yeux cybernétiques des héros. On retrouve d’ailleurs principalement les personnages du major Kusanagi et de Batō, mais aussi de Togusa et Aramaki.

    Autre anecdote : on voit dans un passage du film de nombreux cyborgs ressemblant au major, montrant que le corps cybernétique qu’elle incarne est produit en série, ce qui accentue son besoin de se différencier en tant que personne vis-à-vis des autres. Cette scène n’est pas présente dans le manga, les corps cybernétiques étant « customisables » selon les désirs du cyborg.

    La fin du film est presque la même que dans le manga, à la seule différence qu’elle se déroule dans un ancien musée d’histoire naturelle, lorsque le major affronte un tank arachnoïde qui lui tire dessus, détruisant au passage une peinture murale représentant l’arbre de l’évolution jusqu’à l’homme, en accentuant cette impression que l’humanité se flingue elle-même, avec toute cette cybernétique incontrôlée.

    Lors de la scène finale, le corps cybernétique du major, qui a été particulièrement endommagé, est remplacé par un corps cybernétique d’apparence enfantine, pour lui permettre de survivre à l’assaut du tank et à sa fusion avec le Puppet Master, insistant sur l’idée d’un nouveau départ pour le major et d’une renaissance.

    Petite anecdote, la voix française de Batô n’est autre que celle de Daniel Beretta, qui double habituellement Arnold Schwarzenegger (mimétisme volontaire de la part de la société de doublage, avec l’apparence du personnage ?).

    Si le film est aujourd’hui une référence en matière de SF, en démontrant que l’animation est devenue un média à part entière, à maturité, ça a néanmoins bien failli ne pas être le cas. En effet, à sa sortie en 1995, le film marche mal au Japon, dont les habitants ne sont pas forcément les plus friands du genre Cyberpunk, mais il fonctionne en revanche très bien en Occident, malgré une distribution assez confidentielle. Les réflexions, le questionnement interne de l’héroïne, la maturité, mais aussi la musique et la beauté des images suscitent un excellent bouche-à-oreille chez les fans de science-fiction.

    De plus, les ventes de vidéos permettent à Mamoru Oshii de rentrer dans ses frais et sauve le film. Ce qui lui permettra finalement de réadapter l’œuvre en série télévisuelle de 26 épisodes, et c’est un protégé de Mamoru Oshii, Kenji Kamiyama, qui s’y colle, avec comme objectif de toucher le public hors de l’archipel du Soleil Levant.

     

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    Ghost in the Shell: The Stand Alone Complex, la première série

    Cette série produite en 2003 a toujours comme cadre l’univers Cyberpunk de Masamune Shirow, ce dernier étant consultant artistique et designer. Même si « Ghost in the Shell: The Stand Alone Complex » semble se dérouler avant le film, dont l’action se situe en 2030, cette première série se passe quant à elle en 2032. Ce qui en fait plus un remake qu’une préquelle, avec les mêmes personnages au générique que dans le manga.

    Le format étant plus long – 26 épisodes de 30 minutes chacun – les personnages sont plus fouillés que dans le film et le manga, permettant des scénarios variés aux intrigues policières solides, mettant parfois en avant un des membres de l’équipe en particulier. C’est au studio Production I.G. que la mise en scène des aventures des cyborgs de la Section 9 est confiée.

    Côté musique, c’est l’excellente Yōko Kanno, forte de son succès avec la série « Cowboy Beebop », qui nous délivre une bande-son éclectique, allant de la techno au jazz, et permettant à chaque personnage et à chaque scène d’avoir ses propres identité et saveur.

    La série bénéficie même d’un budget doublé, par rapport aux séries d’animation de l’époque (environs 300.000 dollars par épisode) et il faut bien admettre que cela se voit, même encore en 2020. Et le succès sera mondial…

    Dès le début de la série, on assiste à l’arrivée de Togusa, ancien policier, au sein de la Section 9. L’idée dans cette intégration, c’est de se servir de ce personnage pour introduire le spectateur à l’équipe de cyborgs de la Section 9. Togusa se révélera être le membre le plus humain de la section, et c’est un personnage auquel les spectateurs pourront plus facilement s’identifier.  De surcroît, Togusa est marié et père d’un enfant, tandis que les cyborgs comme Motoko et Batô ne peuvent se reproduire, même s’ils ne sont pas asexués, ni même dépourvus de sexualité.

    Après quelques épisodes d’introduction à la série, durant lesquels la Section 9 affronte espions et terroristes, on passe ensuite aux épisodes qui, comme dans le manga, vont entretenir un fil rouge. Un pirate informatique nommé « Le Rieur », cette fois bien humain, pirate les cyber-cerveaux de ses victimes pour dénoncer un scandale politico-financier, et la Section 9 essaie de tirer les choses au clair, dans cette affaire impliquant un ministère entier. Le complot sera dénoncé et le scandale mis au jour, non sans l’aide du Rieur, dont le nom et la phrase d’introduction – « I thought I had to pretend that I was one of those deaf-mutes » – sont inspirés d’un livre de Salinger.

    Dans la série, outre des scènes d’action très réussies et des histoires qui ne figurent pas dans le manga original, les scénaristes prennent le temps et la peine de donner un passé aux personnages principaux. Par exemple, Motoko Kusanagi est un cyborg depuis l’enfance, suite à la contraction d’une maladie dégénérative. Quant à Batô, il est un ancien soldat qui s’est battu dans les jungles d’Asie, et ce passé remontera à la surface lorsqu’il poursuivra un tueur en série.

    Contrairement au manga, chaque personnage a son Origin Story, et tous voient leur passé exploré et révélé, pour la plus grande joie du spectateur, en donnant aux personnages ce petit supplément d’âme caractéristique de l’œuvre.

    Si l’atmosphère de certains épisodes est parfois lourde (on parle d’exploitation, voire parfois de maltraitance…), la série passe aussi par des moments comiques, avec en particulier les robots arachnoïdes dits « Tachikoma », des intelligences artificielles s’exprimant comme des enfants, et découvrant le monde avec la Section 9. Même si les Tachikoma sont le « Comic Relief » de la série, ils n’hésitent pas à prendre part à l’action si besoin est, et ils évoluent au cours de la saison, en développant un ghost.

    Aujourd’hui, on peut raisonnablement affirmer que cette série est LA référence absolue en matière de Cyberpunk, tant le soin extrême apporté aux scénarios, à la musique ou aux dessins, semble définir l’oeuvre.

     

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    Ghost In The Shell 2: Innocence, le second film sur la franchise

    C’est en 2004 que la suite du film de 1995 sort sur grand écran, et sera même présentée à Cannes, démontrant à tous ceux qui en doutaient encore qu’on assistait à un début de reconnaissance de l’animation japonaise.

    Chose très importante à noter, c’est toujours Mamoru Oshii qui est aux commandes de ce nouvel opus, permettant ainsi une continuité évidente avec le premier film, « Ghost in the Shell 2: Innocence » en étant la suite directe. Et Batô en est cette fois le héros principal.

    Quant au scénario, il pioche dans plusieurs des histoires parallèles du manga, en particulier avec l’intrigue du Puppet Master, tout en les remaniant afin de rester dans la continuité du film de 1995. La Section 9 s’avère être très peu remaniée, et seule l’arrivée du personnage original d’Azuma apporte un léger changement à la constitution de l’équipe originelle.

    L’histoire de ce deuxième volet oppose donc la Section 9 à des robots qui se mettent soudainement à éliminer leurs propriétaires. Mais avant de s’en prendre à Batô, l’un des androïdes crie « aidez-moi », ce qui est somme toute assez inattendu. La Section 9 est sur le coup, car les androïdes défectueux s’avèrent être des « sexaroïdes », à savoir une classe d’androïdes qui répondent à tous les désirs de leur propriétaire. Nul besoin de deviner de quels désirs il s’agit…

    La piste suivie amène la section jusqu’à un Hong Kong futuriste, où l’on découvre que la chaîne de montage des robots-à-usage-intime copie le ghost de jeunes filles et le charge dans le processeur afin de rendre les robots plus « attachants » (même dans le futur, il y a des gens atteints…). Le sauvetage des jeunes filles entraîne la libération fortuite des androïdes, avant qu’ils n’attaquent Batô, qui ne devra son salut qu’à l’intervention du major Motoko Kusanagi. Celle-ci se télécharge dans une des sexaroïdes pour un assaut final, expliquant au passage qu’elle est désormais un esprit qui se balade dans le monde virtuel du Réseau et joue le rôle de l’ange gardien de Batô.

    Outre une animation encore plus peaufinée que sur le précédent opus, les détails fourmillent dans ce deuxième volet au cinéma, au point de nécessiter plusieurs visionnages, « Ghost in the Shell 2: Innocence » étant très dense, parfois trop… Il s’impose néanmoins comme un véritable festival de couleurs, où la 3D et les images entièrement générées par ordinateur s’incrustent dans le film de façon souvent très réussie, mais aussi de manière parfois trop évidente, sans parler d’un scénario mêlant références religieuses (Animisme et Christianisme), philosophiques et technologiques.

    Pour ce qui est de la musique, Kenji Kawai est de nouveau mis à contribution et nous livre une composition encore plus recherchée, notamment lors du combat final, volontairement très proche du générique du premier film, avec encore la fameuse utilisation des chœurs japonais (ainsi que des chœurs de chorale à l’occidentale, pour les oreilles les plus attentives).

    Comme dans le premier opus, cette suite n’oublie pas la métaphysique, comme nous l’évoquions plus haut, et est remplie de citations d’auteurs, notamment occidentaux (Descartes, pour ne citer que lui), mettant en exergue le blues de Batô, à qui le major manque finalement, laissant un vide pour le personnage comme pour le spectateur. Une fois l’affaire classée, Motoko Kusanagi retourne sur le net, telle l’ange-gardien une fois sa mission terminée, même si cette vision nous laisse entendre que l’on pourrait la revoir un jour…

    Il est parfois dit que Mamoru Oshii aurait mis ses inquiétudes et réflexions personnelles sur le futur dans ce film, d’où une oeuvre très dense et touffue, qui peut parfois perdre le spectateur, et nécessite qu’il soit extrêmement attentif, sous peine d’être rapidement désorienté, ne percevant plus la direction prise par le réalisateur.

    Les références mythologiques, ésotériques et littéraires abondent, dans un tourbillon parfois difficile à suivre (notamment sur le Golem, être artificiel issu des croyances juives). Les références cartésiennes (l’âme humaine est « placée » dans un corps qui fonctionne comme une machine) s’opposent à celles qui stipulent que l’âme humaine est le fruit de la complexité de son corps et de son cerveau. Mais néanmoins, ce film mérite une redécouverte, vu la densité et le nombre de thèmes abordés.

     

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    Ghost in the Shell: the Stand Alone Complex, 2nd Gig

    Derrière ce titre assez long se cache la seconde saison de la série d’animation, où l’on retrouve toute l’équipe de la saison 1, ainsi que les Tachikoma qui apportent toujours leur dose de réflexions comiques.

    Dans cette saison, suite au scandale que la Section 9 a révélé au grand jour, le gouvernement change et le premier ministre avec (madame la premier ministre devra même être protégée par la section dans un des épisodes). Suite à une prise d’otage réglée avec succès par le major et son équipe (à moins que ça ne soit Aramaki et son équipe), la Section 9 est réintégrée de manière officielle dans le ministère.

    Aux commandes de la saison, on retrouve le même staff que celui de la première saison et Yoko Kanno crée une bande-son tout aussi réussie que pour la précédente.

    De nombreux épisodes contiennent d’ailleurs des clins d’œil à d’autres œuvres, telles que « Taxi Driver », « Les Ailes du Désir » ou encore le manga « Cat’s Eye ».

    Cette fois, le fil rouge de la série mêle le thème du nationalisme au complot politique, tant à l’intérieur du pays qu’au niveau international, sur fond de crise migratoire (thème étonnamment actuel, alors que la série a été produite en 2004), avec un groupuscule nationaliste inspiré de celui qui avait tenté un coup d’état au Japon le 15 mai 1932.

    Là où l’intrigue devient plus dense et plus complexe, c’est que le complot se sert de fanatiques religieux (les 11 individuels) comme de pions. L’un des buts des fanatiques et de ceux qui les manipulent est l’anéantissement des réfugiés (d’origine asiatique) et du ghetto dans lequel on les a installés.

    La série aborde ainsi des sujets qui peuvent entraîner une certaine controverse, et on découvre d’ailleurs que chaque membre de l’équipe a un avis différent sur la question, ce qui ne les empêche pas d’agir avec professionnalisme. Dans cette seconde saison, la géopolitique revêt plus d’importance.

    Par exemple, on avait appris que les Etats-Unis d’Amérique étaient scindés en deux, les Etats-Unis à proprement parler et l’empire américain qui regroupe les états du Sud.  Au passage, cette seconde saison raconte également le « passé » de ce monde futuriste. Dans un épisode, on nous raconte comment Motoko, alors soldat, a recruté Saito, au coeur d’un conflit mondial. Cette saison permet de creuser un peu plus dans le passé des protagonistes, notamment celui de Paz, l’ancien Yakusa.

    Autre sujet abordé, la place d’un androïde (le nommé Proto), à l’intelligence artificielle suffisamment développée pour passer pour un être humain. En effet, ce dernier est un prototype qui essaie de se faire passer pour humain. Proto a peur de dévoiler sa vraie nature, craignant d’être rejeté par ses collègues de la section 9, ayant surtout affaire à des androïdes au comportement trop prévisible ou enfantin.

    Ce détail scénaristique fait écho au phénomène psychologique parfois controversé dit de la « vallée de l’étrange ». Un robot est accepté par les humains, soit s’il est d’apparence très éloignée de celle des humains, comme les Tachikoma ou R2-D2 de Star Wars, ou au contraire d’apparence très humaine comme Proto. Entre les deux, un robot n’ayant pas une apparence « assez » humaine peut provoquer, d’après les tests, un sentiment de rejet, voire de peur. L’endosquelette androïde du Terminator en étant un parfait exemple dans la fiction (même si c’est volontaire de la part des scénaristes et de James Cameron de lui donner cette apparence macabre).

    La série se referme sur une Motoko Kusanagi au cœur brisé (l’un des fanatiques était un amour de jeunesse). Quant aux Tachikoma, ils se sont sacrifiés pour permettre le succès de l’équipe et ils sont remplacés par les Fujikoma (un clin d’œil au manga)…

     

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    « Ghost in the Shell, quand le cyberpunk du Soleil Levant devient une référence mondiale – Partie 3 », à lire très prochainement dans le Magazine Instant City…

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Dans les Episodes précédents » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Ghost in the Shell – Partie 1

     

     

     

  • Jean Pierre Bacri : Toutes les nuances de la colère

     

     

    Et voilà, encore l’un de nos meilleurs acteurs et scénaristes qui nous quitte trop tôt, sans que l’on en ait entièrement fait le tour. Car le Batman de Luc Besson dans « Subway » ne semblait pas avoir encore abattu toutes ses cartes et il restait bien des zones d’ombre à éclaircir. On avait envie d’en savoir un peu plus quant à ses emportements feutrés dont il avait le secret, ses coups de sang (froid…) dans les quelques interviews qu’il distillait, toujours pince-sans-rire, toujours élégant.

     

    Tout d’abord, il serait trop facile de cataloguer Jean-Pierre Bacri dans la catégorie « Ronchons » ou de le cantonner au rôle d’éternel râleur patenté du cinéma français des années 80, 90 et 2000. Il avait certes des choses à dire – beaucoup, même – mais plutôt que de passer pour le donneur de leçons de service, telle la vedette engagée dans de nobles causes mais qui condamnerait à tout va, d’abord pour se donner bonne conscience et surtout pour avoir le beau rôle (en France, les comédiens et chanteurs de cet acabit sont légions…), lui préférait l’humour et la dérision, à la façon d’un Pierre Desproges. Certains allaient même jusqu’à le comparer à Bill Murray, pour cette moue placide qui lui était propre, le côté renfrogné en plus…

    Car Jean-Pierre Bacri s’est très vite imposé comme un acteur qui se rangerait dans une catégorie bien spécifique, celle de ces acteurs au tempérament bien trempé, à la nature cristalline et sans faux-semblant. À l’instar de Lino Ventura, Jean Gabin ou même Gérard Lanvin, l’ex-compagnon d’Agnès Jaoui a toujours mis en avant son caractère et qui il était vraiment.

    S’il s’est d’abord servi de cet élément pour composer des personnages de policier, maquereau, gangster ou homme de main, dans des tas de seconds rôles, toujours marquants, pour Arcady, Besson, Pinoteau, Santoni, Lelouch ou Deray, il a su également cultiver cet art funambulesque, pour exceller dans la peau de losers lunaires et flamboyants, les pauvres types à la solde des âpretés du monde (« Escalier C », « Cuisine et Dépendances », « Un Air de Famille », « L’été en pente douce »).

     

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    En effet, il n’aura eu de cesse que de casser son image en s’abîmant dans des rôles peu flatteurs, mais qui au final lui auront permis de toujours remporter l’adhésion et susciter l’empathie. Car Bacri, c’est surtout cette vision de l’homme qu’il a sans cesse voulu gratter jusqu’à l’os, avec tous les personnages qu’il a eu l’occasion d’incarner, au théâtre comme au cinéma. Toujours plus humain, toujours plus bouleversant, dans cette somme de petits détails et d’anecdotes.

    Les collaborations avec Agnès Jaoui, en tant que scénariste-dialoguiste ou acteur, ont pour la plupart d’entre elles été couronnées de succès et ont ainsi marqué durablement l’inconscient collectif (« Le Goût des Autres », « Comme une Image », « Place Publique »…). Mais peut-être auront-elles aussi nui à l’image de Jean-Pierre Bacri, avec ce sempiternel jeu de bougon devenu au fil du temps une marque de fabrique, une sorte de signature que l’acteur a fini par nous resservir tout au long des années 2000. Les spectateurs se déplaçaient dans les salles surtout pour voir et entendre Bacri asséner ses punchlines avec ce ton monocorde et cette expression de Droopy si caractéristiques.

    De ces neufs collaborations avec Agnès Jaoui, il reste cependant des réussites et des évidences. Parmi celles-ci, « Parlez-Moi de la Pluie » en serait l’exemple le plus marquant. Probablement parce ce film ne cherche plus à épater avec ses dialogues et ses échanges imparables entre acteurs, ce sens de l’orfèvrerie et des phrases ciselées. Non, c’est un film moins tapageur et beaucoup plus juste, sur les relations humaines et les faux-semblants, éternelles marottes du couple Bacri-Jaoui, au cinéma comme à la ville ; une sorte de lâcher-prise où les deux auteurs s’oublient un peu pour mieux saisir l’air du temps et la véracité des sentiments. Ça n’est d’ailleurs pas pour rien si ici, la réalisation est fluide, invisible. On n’est plus dans de la compétition de dialogues d’haltérophile et d’effet appuyés et ce cinquième film reste à ce jour le plus abouti, mais surtout le plus beau.

     

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    Les quelques films qui suivront ne seront plus que des bonus ou des variations sur le même thème. C’est en même temps hilarant et troublant de voir Jean-Pierre Bacri se concocter des rôles, toujours avec une certaine délectation masochiste, dans lesquels ses personnages sont le plus souvent des hommes faibles, parvenus, imbus d’eux-mêmes et égoïstes.

    Les autres rôles qui vont lui être proposés lui donneront une image plus baroque et parfois à la lisière de l’abstraction (« Cherchez Hortense », « La vie très privée de Monsieur Sim », « Tout de suite maintenant », « Grand Froid » ou le sublime et méconnu « Adieu Gary »). Preuve, s’il en fallait une, que Jean-Pierre Bacri fut un acteur complet, à sa façon et tout en nuance.

    Pour son tout dernier rôle au cinéma dans « Le Sens de la Fête » en 2017, rétrospectivement, lorsque l’on revoit le film de Olivier Nakache et Eric Toledano, on assiste à un baroud d’honneur ou une sorte de pot-pourri de tout ce qui fait Bacri, de tout ce qui donne envie de le voir et encore plus de l’entendre dans un film. Cette gourmandise à laquelle on adhère lorsqu’il va se moquer toujours avec tendresse de ses interlocuteurs ou comment il parvient si bien à nous parler des autres.

     

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    Ce n’est pas qu’il semble revenu de tout, qu’il soit cynique ou résigné, mais sûrement que Jean-Pierre dans la vraie vie et le Bacri dans les films voulaient nous parler de la douceur insoupçonnée qui pouvait aussi se nicher dans les dysfonctionnements du monde et dans les relations entre les personnes.

    Peut-être tout simplement de la pudeur…

     

    Photo à la Une : Georges Seguin (Fnac des Ternes 2007 – CC BY-SA 3.0)

     

     

     

  • Le cinéma de Jacques Demy : du rose, du bleu, du jaune et du noir aussi…

     

     

    Ce qui peut rendre l’adoration de Jacques Demy plus perverse encore, c’est d’écouter éructer tous ses détracteurs qui ne supportent pas ses films. Et c’est avec un amusement narquois qu’on peut les entendre vociférer sur les chants, la musique de Michel Legrand. L’aversion totale de tous ceux qui exècrent en général les comédies musicales et plus particulièrement les films les plus emblématiques de celui qui fut l’époux d’Agnès Varda…

     

    On pense tout de suite à des couleurs pastels, des chansons désuètes et des situations doucereuses. Mais c’est en fait mal comprendre ce que Jacques Demy veut nous dire. Le fait de cette détestation résulte souvent d’une méconnaissance de son art, de ses œuvres et de ce qu’elles nous racontent en creux.

     

    « Mais qu’allons-nous faire de tant de bonheur, le montrer ou bien le taire ? »

    Passé l’aspect léger, coloré et primesautier des « Demoiselles de Rochefort », de « Peau d’âne » ou « Lola », il reste surtout cette gravité, une certaine mélancolie sourde, une amertume qui donne à ces films toutes leurs saveurs. « La Baie des Anges », « Model Shop », « Les Parapluies de Cherbourg » ou « Une Chambre en Ville » sont quant à eux ces autres films de Jacques Demy qui ne cherchent pas à cacher leur âpreté. Les personnages qui se croisent ou se manquent, les amants éconduits, les mélancoliques qui esquissent de fausses euphories, des joies tristes, sont souvent tous au bord de la rupture.

    Les personnages créés par Jacques Demy, ces marins casaniers, ces femmes volages et émancipées, ces rois amoureux de leur fille, ces fées-marraines manipulatrices ou ces hommes qui acceptent leurs échecs ou d’autres encore qui partent à la guerre, sont autant de facettes du monde, tel qu’il est et pas comme il devrait être. Personne n’est dupe…

    C’est pour cela que même si le réalisateur de « Lady Oscar » a pu parfois utiliser des codes hollywoodiens pour obtenir ces formes et ces tons acidulés, il n’en a pas pour autant oublié le fond de ce qu’il voulait souligner, en définitive. Autant de personnages en adéquation avec leur temps. Ces années 60 et 70 où l’on remettait en cause l’ordre établi, les conventions et les usages, où l’on se trouvait fort à l’étroit dans une société pré-mâchée.

    Jacques Demy est bien un réalisateur français qui a su, à sa manière et avec tact, nous parler des affres du monde et de la place de l’homme, parfois plus perdu-perdant que valeureux triomphant. Même si beaucoup perçoivent encore Jacques Demy comme un artiste mineur, avec ses films-véhicules à niaiseries, c’est qu’ils en ont justement mal interprété le code couleur. Ce rose, ce bleu, ce jaune ne montrent pas forcément que de la béatitude. Tout dans le cinéma du fidèle collaborateur de Michel Legrand se décline en subtiles volutes, mais aussi en quelques petites piques bien placées. De l’acupuncture pour notre bien, notre guérison ? Non, car on ne guérit jamais vraiment, comme si on ne le souhaitait pas, finalement. On se complaît même dans cet état…

     

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    Pas comme les autres…

    Si Jacques Demy a commencé à tourner des courts-métrages vers la fin des années 50, puis des films de long-métrage, dans le sillon de Truffaut, Chabrol ou Godard, il n’a cependant pas vraiment contribué à ce renouveau du cinéma français qu’a pu constituer la Nouvelle Vague, même s’il s’en est sans doute servi. Bien que la forme de ses premiers films soit assez classique, ce qui l’était en revanche moins, c’était ses personnages et leur devenir.

    Son épouse, Agnès Varda, elle aussi cinéaste, va utiliser La Nouvelle Vague à sa manière, dès 1962, avec le fabuleux et tellement moderne « Cléo de 5 à 7 », puis en 1965 avec « Le Bonheur ». Stylisé, peut-être, mais en étant tout de même très proche de cette vision du monde, dans laquelle les hommes et les femmes semblent toujours seuls, malgré ces foules qui les entourent.

    Jacques Demy, quant à lui, ne craint pas le romantisme exacerbé, les chansons exaltées et les histoires d’amour échevelées. Plus imprégné par le cinéma américain des années 30 à 50, pour ce qu’il exprime de fantasme et de rêve, que d’une certaine réalité crue mise en exergue dans le cinéma italien de l’époque, ou encore les interrogations politiques de ses confrères français, Demy va tisser, tout au long de sa filmographie, une variation sur des individus qui rêvent de partir. Tous ceux qui souhaitent le mouvement et ne plus être là… Partir comme ultime étape, comme ultime sens à leur vie qu’ils ne maîtrisent pas trop, mais imaginent toujours que tout sera forcément mieux ailleurs.

    En ayant été durablement marqué par des orfèvres, tels Stanley Donen, Mark Sandrich ou Vincente Minnelli, et cet âge d’or hollywoodien, lorsque la comédie musicale rayonnait en reine sur grand écran, Jacques Demy va tenter avec succès (un certain temps…) de malaxer ce cinéma flamboyant et techniquement imparable, tout en y instillant les réalités de ces années 60.

    Anouck Aimé, Jeanne Moreau, d’abord, prêtent leurs charmes surannés à cette quête, puis Deneuve, sa sœur Françoise Dorléac, Delphine Seyrig. Des femmes aussi fragiles que fortes, autant rêveuses qu’avec les pieds sur terre. Une dualité dont elles se servent toutes pour autant charmer, manigancer, que s’affranchir de règles séculaires et rouillées. Des femmes-enfants qui sont les égales des hommes. Des hommes qui, chez Demy, sont encore plus paumés quand ils ne sont pas tout simplement des éternels perdants.

    Le temps d’une parenthèse de quelques années aux Etats-Unis, Demy réalise « Model Shop ». Le projet ne pioche plus dans la Nouvelle Vague française que quelques formes, mais anticipe à sa manière le courant à venir que l’on appellera rétrospectivement le Nouvel Hollywood.

    Un film où on retrouve également une certaine Lola, le personnage d’Anouck Aimé dans l’oeuvre éponyme. On se souvient d’ailleurs que dans le film de 1961, Lola rêvait justement de partir en Amérique pour vivre ses rêves, et on la retrouve finalement strip-teaseuse, comme modèle que des anonymes viennent prendre en photo dans des cabines quelque peu sordides.

     

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    C’est donc cela aussi, le cinéma du réalisateur du « Bel Indifférent », une ironie cinglante et une mélancolie comme baume apaisant, mais qui ne peut guérir les plaies. Quelque chose de doux et qui sent bon, qui entretiendra au contraire notre nostalgie, comme s’il s’agissait « d’une  écharpe de blanche laine ». À noter aussi que dans les « Demoiselles de Rochefort » qui se situe dans le temps entre « Lola » et « Model Shop », on évoque à un moment donné un sordide fait divers, avec une malle en osier qui a été retrouvée, contenant le corps démembré d’une ancienne danseuse qui s’appelait Lola-Lola. Humour noir et encore lien direct. Parle-t-on de la même Lola ?

    La filmographie de Jacques Demy s’avère particulièrement hétérogène, dans laquelle des films se répondent en miroir, avec ces petites passerelles secrètes qui les unissent tous les uns aux autres ; un fil invisible qui maintient de manière fragile tout cet univers, cette cosmogonie. C’est pour cela que l’on s’y retrouve toujours, au détour d’une situation, d’un mot ou d’une chanson. Les rêves se chantent et la réalité s’articule autour de bavardages uniformes.

    Les âmes frêles, les amoureux de l’amour, les pessimistes joyeux et les humanistes déçus s’y retrouvent toujours. Et ceux qui se croisent dans les films de Demy ne sont pas optimistes mais plutôt idéalistes. Ils ne croient pas à l’hubris des conquérants et aux tours de Babel. En revanche, ils croient aux rencontres et aux hasards de la vie, aux détails et aux petits gestes.

     

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    En 1964, « Les Parapluies de Cherbourg », ce sublime mélodrame qui obtient la Palme d’or à Cannes et qui rencontre un immense succès en France et à travers le monde, est l’exacte synthèse du cinéma de Jacques Demy en devenir. Un chef d’œuvre qui s’est dressé naturellement. Un état de grâce, un équilibre parfait. Un miracle.

    Trois ans plus tard, Demy réalise « Les Demoiselles de Rochefort ». Sans doute plus abordable, dans sa facture plus riante et colorée, il n’en demeure pas moins que l’histoire comporte tout autant de personnages aux destinées semées d’obstacles et de désillusions. À la différence de son prédécesseur, ici, pour la plupart des protagonistes, les résolutions à leurs arcs narratifs seront comblés par l’amour et le succès.

    L’histoire, qui se déroule dans ce Rochefort solaire et magnifié, repeint pour l’occasion en couleurs pastels, est une sorte de convalescence, après la noirceur des « Parapluies de Cherbourg ». Le rétablissement est complet, entre chansons imparables et chorégraphies virevoltantes. Voir ainsi Catherine Deneuve, Danielle Darrieux, Françoise Dorléac, Michel Piccoli et Gene Kelly dans le même film, c’est comme se retrouver enfermé toute une nuit dans une pâtisserie ou un glacier. Le film est une pure merveille, un enchantement créé de toute pièce. Ce n’est plus un sentiment, une impression, mais une réalité tangible, palpable.

    Encore trois ans plus tard, c’est au tour du film « Peau d’âne » de venir tenter de réitérer l’exploit, en épousant cette fois-ci le mode du conte, à la manière d’une fantaisie anachronique et loufoque. Les chansons ciselées de Demy et Legrand sont parfaites, inoubliables, comme autant de tubes intimes, un peu honteux, que l’on chantonne encore aujourd’hui, tels des mantras bienfaiteurs. Ce cinquième film est probablement le point d’orgue de la filmographie de Jacques Demy, l’ultime plaisir bourré de références et de symboles, de facéties et de clins d’oeil.

     

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    En 1973, c’est avec le film « L’événement le plus important depuis que L’homme a marché sur la Lune » que Jacques Demy surprend encore, avec une histoire dont le sujet aurait pu être là aussi un prétexte pour une comédie hollywoodienne. Avec Catherine Deneuve qui collaborera pour la dernière fois avec Demy et Marcello Mastroianni, le réalisateur nantais s’essaie à la satire sociale, comme aurait pu le faire Marco Ferreri, néanmoins sans la charge politique de l’auteur de « La Grand Bouffe ».

    Le sujet : un homme tombe enceinte et devient le porte-étendard mondial pour une nouvelle ère et peut-être un nouveau monde. On regrette juste que le film se cantonne à une comédie légère et distanciée, une farce qui désamorce toute polémique. Il y avait là pourtant une tentative de renouveler un genre et l’envie pour Jacques Demy de se défaire un peu de l’image qui lui collait à la peau.

    À partir des années 80, l’inspiration du réalisateur de « Lady Oscar » ne tolérera plus l’époque qu’elle va traverser. En 1982, il y a bien « Une Chambre en Ville » qui se voudrait le pendant plus actuel et plus gris des « Parapluies de Cherbourg », avec ses dialogues chantés et son fond social. Mais les années 80 ne possèdent décidément plus la légèreté et la magie picturale des années 60. Le sujet et l’ensemble se contentent d’essayer d’imposer uniquement leurs acteurs principaux. Sans plus d’entrain que ça… Le film paraît raide et peu aimable.

    C’est le début de la fin… En 1985, « Parking » avec Francis Huster, qui prétend revisiter le mythe d’Orphée, est une catastrophe industrielle. Que ce soit la transposition de l’histoire originelle dans des décors dépouillés et bétonnés (faute de moyens conséquents pour le projet), la direction artistique, les chansons, jusqu’aux acteurs, Francis Huster en tête, tout constitue un festival de mauvais goût et de moments gênants.

    En 1988, « Trois Places pour le 26 » avec Yves Montant et Mathilda May sera certes mieux préparé et tourné dans de bonnes conditions. Mais hélas, là encore, le film ne séduit pas plus le public, bien que la critique ait poussé le projet en avant. Les comédies musicales semblent avoir fait long feu et même si on s’intéresse toujours aux classiques d’antan, les nouvelles créations agacent plus qu’elle ne suscitent la curiosité et l’enchantement. Celui qui avait su charmer le public dans les années 60, voire dans les années 70, ne comprend plus rien à l’époque dans laquelle il évolue désormais, où tout semble aller de plus en plus vite. le goût des spectateurs peut changer du jour au lendemain, en fonction de l’offre plus que le demande.

     

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    Il ne faut plus chercher la cohérence, les envies, les désirs. C’est une période en pleine mutation, où la fragilité n’a plus lieu d’être. Les héros se doivent d’être forts et sans ambiguïté. Le cinéma de Jacques Demy est devenu désuet. Il va tomber malade et s’éteindra en 1990.

    Celui qui avait quelque peu perdu de sa superbe, va voir après sa disparition, et surtout grâce au travail acharné de sa défunte épouse Agnès Varda, son œuvre être remise en selle, avec moult anniversaires et événements commémoratifs. Certains de ses grands films, jadis conspués par une certaine presse comme par tous ceux qui pensent toujours être les garants de ce qui est bien ou de ce qui ne doit pas se voir, vont devenir des classiques impérissables, des pièces maîtresses du paysage cinématographique français.

    Le cinéma de Jacques Demy, c’est en fin de compte tout un espace de fantaisie immense et sans limite imposée, des bonbons au réglisse qui laissent dans la bouche ce goût si particulier, tout autant sucré qu’un peu amer.

    Tous ces films magiques, ces chansons précieuses, ces actrices, ces acteurs, tous ces noms, ces personnages qui se sont prêtés au jeu de l’amour ludique et rieur, de la fantaisie doucereuse mais mélancolique, tous ces ballets, ces élans et ces frasques orchestrés par un homme idéaliste, qui croyait au cinéma et ses conjurations, sont ce qu’il y a de plus précieux, qui nous requinque lorsque tout le reste est en train de s’effondrer.

     

    « Nous ferons ce qui est interdit, nous irons ensemble à la buvette, nous fumerons la pipe en cachette, nous nous gaverons de pâtisseries… Mais qu’allons-nous faire de tous ces plaisirs ? Il y en a tant sur terre. »

     

    C’est là la vraie définition du mot bonheur.

     

     

     

  • Les Barbapapa ont 50 ans !

     

     

    Avec cette année 2020 qui vient tout juste de s’achever, et qui aura été si particulière à bien des égards, nous avons presque failli oublier que les Barbapapa avaient fêté leur cinquantième anniversaire. Comment ça, les Barbapapa ont cinquante ans ?! Eh oui, déjà, car c’est bien en 1970, précisément le 19 mai, à Paris, que Talus Taylor et Annette Tison imaginaient ces personnages parmi les plus mythiques de la télévision française des années 70.

     

    L’histoire commence comme ça, au débotté, par le petit bout de la lorgnette… Annette et Talus se promènent paisiblement au jardin du Luxembourg. Soudain, Talus Taylor est perturbé par les cris stridents d’un enfant, sans doute insupportable, même pour l’époque, réclamant à ses parents une chose qu’il balbutie en ces termes : « Baa baa baa baa ».

    Talus Taylor, ne parlant pas français, demande aussitôt à Annette Tison ce que le « petit chiard » a voulu dire. Dans la seconde, et sans reprendre son souffle, Annette Tison lui explique que le bambin réclame tout simplement une friandise… dont le nom est « barbe à papa ». Et voilà !

    Un peu plus tard, au restaurant, le couple se met à dessiner sur la nappe un personnage inspiré par la friandise… Le résultat est rose et tout en rondeur. Et lorsqu’il s’agit de lui donner un nom, Barbapapa s’impose tout naturellement.

     

    « En me promenant dans le jardin du Luxembourg, ne comprenant pas le français, j’entendais les enfants prononcer « Baa baa baa baa », j’ai demandé à Annette Tison ce que ça voulait dire. Elle a rigolé en me disant que c’était de la barbe à papa, car avant d’être colorée en rose, la barbe à papa était blanche, comme celle du grand-père. Un peu plus tard, au restaurant, nous avons dessiné sur la nappe notre nouveau personnage. Et puis, il a fallu lui donner un nom. Nous sommes tombés d’accord sur Barbapapa, et comme je ne savais pas le prononcer, je ne savais pas non plus l’épeler, et je l’ai écrit en un seul mot ! C’est ainsi que Barbapapa est né, un peu au Jardin du Luxembourg, et un peu sur le coin d’une nappe en papier de la Brasserie Zeyer. » (Talus Taylor)

     

    Un très bon anniversaire aux Barbapapa et accessoirement à notre enfance !

     

    La famille Barbapapa, créée en 1970 par Talus Taylor et Anette Tisson

    © 2020 Alice Taylor & Thomas Taylor (All Right Reserved)

     

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  • Ghost in the Shell, quand le cyberpunk du Soleil Levant devient une référence mondiale – Partie 1

     

     

    « Ghost in the Shell » est le titre anglophone d’une œuvre de science-fiction de Masamune Shirow, publiée entre 1989 et 1991, et qui donna lieu par la suite à de nombreuses déclinaisons, le plus souvent réussies. Afin de célébrer dignement le trentième anniversaire de la franchise de cyberpunk nipponne qui a popularisé le genre dans le monde entier, au point de devenir la référence ultime du genre dans la pop-culture de science-fiction, un tour d’horizon de « Ghost in the Shell » ainsi que des thèmes qu’elle aborde s’impose…

     

    Alors déjà, le cyberpunk, qu’est-ce que c’est ? 

    Car avant d’aborder en profondeur le monument « Ghost in the Shell », il faut d’abord faire un petit saut dans le passé, en commençant par évoquer ce genre de science-fiction dont l’action se situe spécifiquement dans un futur proche. En effet, les premières œuvres caractéristiques du genre « Cyberpunk » sont littéraires et reposent sur des thèmes comme la place de la technologie dans la société et son rapport à l’Homme (voire l’inverse, ce qui n’est pas anodin…). Ces œuvres se situent généralement dans les années 2030-2040, ce qui à l’époque de la parution des premiers livres du genre dans les années 70 et 80, pouvait sembler encore assez lointain.

    Le « Cyberpunk » met en scène des sociétés où la technologie est reine et l’informatique omniprésente. L’Internet — oh pardon, je voulais dire le Réseau — permet aux hommes de voyager dans un monde virtuel, en raccordant directement leurs cerveaux à l’ordinateur via des implants cybernétiques. Il va sans dire que le piratage existe également dans la réalité virtuelle, dans laquelle chaque personne évolue et s’y bat, en prenant la forme d’un avatar.

    C’est déjà le cas dans le livre « The Neuromancer » de William Gibson (1984), où un pirate informatique est chargé de s’emparer des données d’une société pour l’un de ses concurrents, via le réseau informatique mondial de la « Matrice » (Internet n’était pas encore vulgarisé au moment de la rédaction de l’œuvre, et restait surtout à usage militaire, voire scientifique). Petit détail important, le Réseau (nommé la « Matrice », « Matrix » en anglais) et la réalité virtuelle ne font désormais plus qu’un…

    Les prothèses et divers implants cybernétiques sont courants, et on trouve des cyborgs à tous les coins de rue. Quant aux membres et organes endommagés, ils peuvent être aisément remplacés par des prothèses plus efficaces que les éléments organiques. Ces prothèses sont ainsi connectées au système nerveux des cyborgs, la chair fusionnant avec le métal. Vous vous souvenez de la série « L’homme qui valait trois milliards » ? Eh bien voici le parfait exemple du cyborg, dont la mission est de lutter contre espions et criminels ; la série est d’ailleurs tirée d’un livre dont le titre est… « Cyborg ».

    Autre œuvre fondatrice du genre « Cyberpunk », la nouvelle de Phillip K. Dick, « Do androids dream of electric sheeps ? », parue en 1966, et dont l’adaptation au cinéma quelques années plus tard, « Blade Runner », mettra en scène des robots si sophistiqués qu’ils semblent s’humaniser peu à peu, en développant émotions et réflexion.

    Le point commun entre les deux œuvres, « The Neuromancer » et « Do androids dream of electric sheeps ? », est l’omniprésence des sociétés de l’informatique (et de l’information), de la robotique, voire même pharmaceutiques, qui deviennent plus puissantes que certains états, au point qu’elles finissent parfois par dicter leur loi et leurs volontés aux nations. Il en résulte ainsi une impression générale de perte d’humanité de la société, d’interrogation sur ce qu’est justement l’humanité et sur la direction qu’elle risque de prendre dans le futur.

     

    « The Ghost in the Shell », le manga fondateur d’une franchise féconde

    Avec « Ghost in the Shell », Masamune Shirow reprend tous ces thèmes et les développe dans son oeuvre, entre 1989 et 1991, en y ajoutant sa griffe personnelle. Certes, ça n’est pas son premier manga de SF — de 1985 à 1989, il publiait déjà son manga post-apocalyptique en quatre volumes, « Appleseed » — mais il nous y propose cette fois des thèmes très aboutis, et nous plongeons dans l’univers fouillé et dense de ce manga, comme on plongerait dans l’océan, à des profondeurs extrêmes.

    « Ghost in the Shell » nous conte les aventures de la Section 9, la branche anti-terroriste du Ministère de l’Intérieur du Japon, en 2030. Son titre s’inspire de celui de l’essai philosophique « The Ghost in the Machine » d’Arthur Koestler, dans lequel l’auteur britannique d’origine hongroise détaille les interactions entre les hommes et la machine.

    Dès les premières pages du manga, le contexte de malversations et de « copinage » entre les membres du gouvernement et certaines sociétés sert de base à l’histoire. Les héros auront ainsi fort à faire, entre les coups tordus des groupes terroristes, ceux tout autant tordus d’un gouvernement corrompu, sans parler des espions et divers terroristes que la Section 9 est chargée de faire disparaître. Bref, le monde présenté dans « Ghost in the Shell » se révèle être un véritable panier de crabes, où les héros ne pourront s’appuyer que sur leur réseau d’amis (et le réseau informatique…) pour espérer pouvoir s’en sortir.

    En aparté, le titre original du manga est « Kōkaku kidōtai », ce qui pourrait se traduire par « équipe d’intervention armée ». L’auteur avouera que c’est bien le titre « Ghost in the Shell » qu’il avait en tête à l’origine et qui définissait au mieux, selon lui, l’histoire qu’il voulait nous raconter, mais que son éditeur, Kōdansha Ltd, était intervenu pour le changer. Ce n’est que lors de sa traduction en langue anglaise que le titre voulu par l’auteur sera finalement repris.

     

     

     

    Quant à la notion de réseau d’influence évoquée précédemment, elle se voit notamment dans la composition de la Section 9, aux membres d’élite aux compétences complémentaires et soudés par un très fort esprit d’équipe. Ainsi, pour comprendre l’histoire originale et ses différentes adaptations, il faut au préalable décrire les principaux protagonistes :

    Le major Motoko Kusanagi (en bas, à droite) : cyborg intégral de sexe féminin, c’est une personne d’apparence svelte et athlétique, mais son corps est entièrement mécanique, à l’exception de son cerveau qui est encore (au moins partiellement) organique, donc d’origine dans l’œuvre initiale. C’est une femme dont le passé est mystérieux et elle-même a des doutes sur son identité. Ses souvenirs sont-ils bien les siens ? Etait-elle une femme avant de se cybernétiser ? Bref, sous des dehors espiègles, cyniques et parfois caustiques, se cache une femme qui n’est pas toujours sûre de ce qu’elle est, et dont la personnalité évolue au cours de l’histoire. Elle est très compétente en techniques de piratage informatique et en tactiques d’assaut, se montrant furtive et agile comme une panthère.

    Batō (en bas, à gauche, souvent orthographié « Batou » en Français comme en Anglais) : c’est un ancien soldat, dont les points forts sont la force physique, sa maîtrise des armes d’assaut et des techniques de combat rapproché. Il se montre attentionné avec le major et sans doute en pince-t-il un peu pour elle. Tout comme Motoko Kusanagi, c’est un cyborg intégral, dont il ne reste d’humain que le cerveau et la moelle épinière. Il se pose moins de questions philosophiques que le major, mais reste très fidèle envers ses coéquipiers. Son apparence est clairement inspirée de celle de l’acteur Arnold Schwarzenegger dans « Terminator » (qui a dit encore un cyborg ?).

    Daisuke Aramaki (au centre) : C’est le chef de la Section 9. Entièrement humain, c’est un fin psychologue, rompu aux manigances politiques de tous types, dans le seul but de protéger la section et ses membres. La guerre des services faisant rage dans le manga, ses manœuvres ne seront d’ailleurs pas de trop. Afin de préserver son équipe (et lui-même, sans doute), il ira jusqu’à provoquer un « mystérieux accident » fatal à un membre de la Section 1, qui avait comme objectif d’assassiner tous les membres de la Section 9.

    Paz (en haut, le plus à droite) : Ancien yakuza, il a encore des contacts avec la pègre du Soleil Levant. Son corps serait cybernétique, comme pour le Major et Batō.

    Togusa (à gauche de Paz) : C’est un ancien policier, et l’un des meilleurs, ce qui lui a valu d’être intégré dans l’équipe. C’est également l’un des membres les plus humains de l’équipe. Il n’a en implant qu’une connexion neurale pour se brancher sur le réseau, son cerveau et son corps étant entièrement organiques, hormis cet implant. Il est armé d’un revolver à barillet qui est son arme fétiche.

    Ishikawa (à gauche de Togusa) : C’est l’expert en informatique du groupe ; un pirate informatique de haut vol, capable de craquer même le meilleur firewall. Il peut déceler la moindre modification dans un programme informatique et il reste souvent en retrait lors des interventions de la section.

    Borma (à gauche d’Ishikawa) : probablement un expert en armes lourdes, c’est un cyborg intégral qui n’apparaît que rarement dans le manga.

    Saito (à gauche de Borma) : C’est le sniper du groupe. Un de ses yeux, le gauche, est une prothèse qui permet de viser ses adversaires en utilisant une liaison par satellite.

     

     

     

    Après avoir planté le décor et présenté les personnages, on peut se hasarder à dire que le succès de « Ghost in the Shell » est largement lié à la façon dont le manga aborde le thème du transhumanisme via la cybernétique, mais aussi à deux autres éléments, à commencer par une particularité scénaristique intéressante.

    Outre la présentation d’aventures qui ne sont pas reliées entre elles, certaines le sont néanmoins par une sorte de fil rouge et s’attardent sur la recherche d’un pirate informatique nommé le « Puppet Master », capable de cracker le cerveau des gens qui ont des implants permettant la connexion au réseau, ce qui rend par exemple possible d’implanter de faux souvenirs dans l’esprit des malheureuses personnes piratées, voire des cyber-cerveaux, c’est-à-dire des cerveaux hautement cybernétisés ou entièrement artificiels, capables d’accueillir le Ghost, à savoir l’âme d’une personne. Le coup de théâtre de l’intrigue sera la révélation que le Puppet Master est en fait un virus informatique répondant au doux nom de code de « Projet 2501 ».

    Ce virus est tellement sophistiqué qu’il s’est éveillé à la conscience et est devenu une intelligence artificielle. C’est alors que Projet 2501 demande l’asile politique au Japon via un corps cybernétique qui lui sert de réceptacle et questionne les protagonistes sur la définition de la vie. Car le Projet 2501 se considère en fait comme une forme de vie à part entière, issue des réseaux de l’information.

    La deuxième clé du succès de « Ghost in the Shell », hormis son scénario complexe sortant de l’ordinaire, est le dessin même de Masamune Shirow. Il est détaillé à l’extrême, et la colorisation de certains chapitres aide à faire ressortir la perfection de ses dessins. Les détails et les éléments technologiques abondent, dans un Japon futuriste, grouillant même dans certaines planches, découpées par ailleurs d’une manière très japonaise, en soulignant l’action par ces traits de vitesse qu’Osamu Tezuka avaient mis au point en son temps.

    De ce fait, chaque page contenant de l’action la met en exergue par cette impression de rapidité et de danger immédiat auxquels se trouvent parfois confrontés les héros de l’histoire. D’autre part, Masamune Shirow n’hésite pas à donner, en encart ou en bas de page, des explications sur la technologie et la géopolitique abordées dans son œuvre ; technique narrative qui sera reprise plus tard par Yukito Kishiro dans son œuvre « Gunnm ».

    En dehors de ces éléments, outre le transhumanisme cybernétique, l’un des thèmes centraux de l’œuvre, c’est la définition de la vie, voire de l’âme, car dans cet univers de science-fiction, si un virus informatique s’éveille à la conscience et que certaines machines, comme les robots assistant la Section 9 dans ses missions, commencent à réfléchir tant sur ce qu’ils sont que sur le sens de leur existence ; qu’est-ce qui fait une âme et un être humain, dont le corps peut être bardé d’implants cybernétiques ?

    Ainsi, le titre « Ghost in the Shell » provient en partie du fait que, dans l’univers de l’auteur, la technologie est à ce point sophistiquée qu’elle permet d’avoir accès à l’âme, à l’esprit même d’une personne via la cybernétique. Cette partie accessible et piratable est appelée un « ghost » dans le manga, et les corps cybernétiques ne sont plus que des réceptacles pour cette âme, des carapaces modifiables, si besoin est (d’où le terme « shell » en anglais), sans parler des nombreuses références au Shintoïsme, religion propre au Japon, qui mélange polythéisme et animisme.

    Ce thème de la frontière entre Homme et Machine, ainsi que de leurs limites respectives, est certes récurrent dans le genre cyberpunk, mais il est ici abordé en profondeur et développé à l’extrême dans « Ghost in the Shell », parfois de manière fort complexe, pour ne pas dire compliquée (voire alambiquée). D’autant plus que le Puppet Master fait remarquer au major (alors blessé de manière quasi-fatale) dans la scène finale du manga qu’étant au départ un virus informatique, il est coincé dans son évolution.

    Il ne peut pas se reproduire comme un organisme vivant, ce qui l’empêche de s’adapter à un monde changeant et en perpétuelle mutation. Il lui propose donc de fusionner leurs ghosts, ce que Motoko, à l’article de la mort, accepte, non sans se demander où son propre ghost ira. Le Puppet Master la rassure en lui expliquant qu’il finira sur le Réseau. Dans les dernières pages, le major se réveille dans un nouveau corps, chez Batō, mais le major lui révèle qu’elle n’est plus la même personne et se demande de quoi son futur sera fait. Le réseau est si vaste…

    On comprend de la discussion entre le major et le virus cherchant à évoluer que le Net est devenu une sorte de réalité à part entière, et sa sophistication est telle que le terme de réalité virtuelle prend un sens presque métaphysique dans l’œuvre de Masamune Shirow, se superposant au monde réel. Même si tout cela semble quelque peu capillotracté, cela met au jour les interrogations de l’auteur quant à cette technologie galopante, presque hors de contrôle et évoluant désormais par elle-même. Il y a sans doute chez Masamune Shirow une fascination doublée d’une forme de crainte, face à cette technologie et à l’évolution des sociétés dans lesquelles elle devient indispensable.

     

    The Ghost in the Shell 2.0 : Man-Machine Interface

    Le deuxième volet de « Ghost in the Shell » est publié de 1991 à 1997. On y retrouve le major, qui a changé après sa fusion avec le Puppet Master. Devenue freelance et travaillant pour un conglomérat international, elle se fait désormais appeler Motoko Aramaki et elle est capable de transplanter sa personnalité dans plusieurs cyborgs pourvus de cyber-cerveaux, donnant l’impression que le major a acquis une forme de don d’ubiquité, lui permettant d’intervenir à plusieurs endroits à la fois.

    De plus Masamune Shirow fait de Motoko une quasi-déesse omnipotente dans le réseau informatique. L’action de la série est centrée sur une affaire de vol de recherches sur l’Intelligence Artificielle, et c’est un détective doué de pouvoirs psychiques qui va croiser la route du major lors de son enquête.

    Si le premier opus évoquait la notion d’individu et sa relation à la technologie, la suite insiste trop sur la personnalité quasi-divine de Motoko, ce qui a tendance à perdre le lecteur, et ce malgré un dessin très recherché et travaillé, rempli de détails mettant aussi en valeur les formes féminines.

    On notera également que le manga est cette fois entièrement en couleur (chose rare pour un manga) et que, pour ce second volet, Masamune Shirow utilise beaucoup le dessin par ordinateur. Mais malgré cela, ces innovations ne sauveront pas un récit que beaucoup trouveront trop hermétique et pseudo-philosophique, là où le premier opus visait juste, avec les interrogations humaines et personnelles de Motoko (ainsi que ses références cartésiennes) et sa relation à la cybernétique.

     

    « Ghost in the Shell, quand le cyberpunk du Soleil Levant devient une référence mondiale – Partie 2 », à lire très prochainement dans le Magazine Instant City…

     

     

     

  • Six Feet Under : la mort, cette soeur, cette mère, cette amie…

     

     

    C’est dans la même veine que des séries télé telles que « Oz », « Deadwood », « The Wire » (« Sur Ecoute »), « Carnival Row », « The Sopranos » ou « Rome », toutes diffusées sur HBO et devenues des références en la matière, que se situe « Six Feet Under ». Il faut dire que dès 2000, la chaine câblée envoie du très lourd, avec tous ces programmes inventifs, audacieux et précurseurs, chacun dans son thème.

     

    Et il faut admettre que ses concurrentes directes auront bien du mal à donner le change. HBO va ainsi rayonner pendant au moins dix ans, sans aucune ombre au tableau ni adversaire digne de ce nom pour venir lui disputer sa place. Quant à Alan Ball, le créateur de « Six Feet Under », il avait fait sensation au cinéma deux ans plus tôt avec son film « American Beauty », une fable grinçante qui disséquait au microscope la société américaine et ses grands thèmes inusables, entre famille, sexe, argent et mort.

    Avec cette série en cinq saisons, Alan Ball souhaite approfondir encore ces mêmes sujets, mais en poussant au maximum tous les curseurs. Ce qui l’intéresse avant tout, cette fois-ci, c’est d’aborder plus particulièrement le thème universel de la mort. Alors quoi de plus logique pour cela que de situer l’histoire de « Six Feet Under » au sein d’une famille à la tête d’une entreprise de pompes funèbres. Tout va donc s’articuler autour du quotidien de la famille Fisher. Et chaque épisode obéira au même rituel, avec en ouverture le décès d’une personne différente.

    Dans « Six Feet Under », on assiste ainsi à un festival de morts atroces, voire absurdes ; cette grande roue de la fortune pour chacun de nous, et la mort qui la fait tourner. Cette dernière a en plus de l’humour à revendre. Avec cette série, en parallèle à l’évocation de la vie privée des divers personnages, nous découvrons tout ce qui tourne autour de l’activité de pompes funèbres, entre l’accueil des familles endeuillées, l’embaumement et les différentes étapes de la préparation des corps.

    Dès le premier épisode de la saison une, Alan Ball nous met à l’aise avec le sujet central de la série et il est donc hors de question pour lui d’édulcorer les aspects les plus durs de cette profession et de tout ce qui s’y rattache. Alors rien ne nous sera épargné. Il va nous falloir affronter la grande faucheuse droit dans les yeux…

    La force de cette histoire, racontée de façon « balsacienne », avec moult détails et une précision d’antomologiste, c’est qu’en même temps qu’elle nous saisit, nous foudroie, elle ne cherche jamais à nous intimider pour autant. On suit le parcours de chacun des personnages, dans tous les cas de figure, de l’insignifiant, du détail trivial aux grandes étapes de sa vie. On va ainsi les suivre jusqu’au bout, jusqu’à leur propre mort aussi.

     

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    C’est ce qui rend cette série si précieuse et bouleversante, finalement. Car jamais cela ne s’était produit, dans la trajectoire d’un récit conçu pour la télévision. On peut bien-sûr perdre tel ou tel personnage en route, ou nous laisser le bénéfice du doute concernant le destin de chacun. Mais ici, non. Chaque personnage est écrit, détaillé, de telle manière qu’il devient à la longue une extension de nous-même.

    Dès le tout début du premier épisode de la saison une, le personnage dont on peut raisonnablement penser qu’il est central, meurt dans un accident de voiture. Le ton est donné. Dès lors, on ne pourra plus s’appuyer sur aucun rempart ni aucune référence. Chacun des épisodes constituera une expérience immersive dans la vie de ces gens, avec leurs qualités, leurs défauts, et jamais rien ne nous permettra de penser que quoi que ce soit leur est acquis.

    Ce qui apporte également tout son sel à « Six Feet Under », ce sont ces morts qui parlent aux vivants, avant que ceux-ci ne trépassent à leur tour. Cette idée, qui n’est pas forcément originale, va pourtant servir, tout au long de la série, de passerelle entre les personnages et eux-mêmes, finalement. Quand on se ment en permanence, qu’on élude certaines questions, pour remettre à plus tard le moment où il faudra forcément les affronter, on prend le risque de se retrouver dans une impasse dont il sera impossible de s’échapper.

    Notre présence en ce bas monde est brève et la lisière entre vie et mort est aussi mince que du papier à cigarette. Il faut donc tâcher de regarder les choses en face le plus vite possible, pour éviter de souffrir aussi longtemps qu’il nous en sera possible.

    La famille Fisher, tout d’abord perçue comme dysfonctionnelle, va se révéler finalement bien ordinaire, à tel point que le mimétisme et l’empathie nous sautent à la figure très rapidement. Alan Ball et ses scénaristes prennent le temps d’exposer tous les sujets qui leur tiennent à cœur et rien n’est laissé au hasard. Tour à tour, on déteste chacun des personnages pour en préférer d’autres, avant que ceux-ci ne tombent également en disgrâce, pour finir par revenir sur le podium.

    Au final, on tremble pour chacun d’eux, tant il est clair qu’au fil des épisodes, ils deviennent des proches. Car cette famille pourrait être la vôtre, avec tout ce que cela comporte de mensonge, de lâcheté, d’hypocrisie, d’arrogance et de faux semblants. Et on se reconnaît aisément dans tous ces traits de caractère. Rarement une série aura aussi bien dépeint l’être humain dans ce qu’il a de plus organique. Et rien ne nous sera épargné jusqu’au final. Seule certitude à la fin : c’est de toute façon toujours la mort qui a raison.

    Avec « Six Feet Under », le créateur de la série ne se concentre pas seulement sur le scénario. Ce sont aussi des formes qui sont inventées. Et ces formes qui s’expriment, sont belles. À commencer par les fondus qui ne sont pas noirs mais blancs. Cela confère à l’ensemble un certain détachement, comme pour nous prévenir… « Attention, ne vous attachez pas trop à tout ce que vous vivez, que vous voyez ou que vous aimez. Votre passage sur terre est bref. Concentrez-vous alors sur l’essentiel. »

    Alan Ball instille également de la facétie dans ses récits, avec des ruptures de ton, des inserts étonnants, comme par exemple ces séquences de comédies musicales. Il y a bien-sûr la musique du générique et le son de la clarinette qui, là encore, apporte une certaine légèreté, voire une dissonance, au sujet qui va être traité. Dans ce générique, cette imagerie s’y matérialise sous la forme de symboles forts, à commencer par ces deux mains qui se lâchent en une gestuelle gracieuse et élégante, puis la représentation de la mort, avec la morgue, le cimetière, le cercueil, la pierre tombale et le corbeau, l’ultime témoin de tout cela…

    Ce qui prédomine finalement et qui rassure, c’est la douceur et la délicatesse avec lesquelles on nous explique que cela ne sert à rien de s’évertuer à trop vouloir se cramponner, et qu’il faut savoir lâcher prise, quand le moment l’exige. Certains diront que c’est la manière protestante de voir les choses et de les appréhender au mieux.

    Reste qu’arrivé à la conclusion des cinq saisons et de leur ultime épisode, on se sent triste de quitter des personnages qui nous ont semblé si familiers, mais en même temps apaisé, libéré d’un poids. Les derniers plans sont tellement magnifiques qu’on pleure, bien-sûr, mais probablement de soulagement. Claire quitte le foyer pour enfin partir vivre sa propre existence. Dans le rétroviseur de sa voiture, on voit un instant Nathaniel, en joggeur, courir sur le trottoir comme il le faisait si souvent, puis on le dépasse et sa silhouette s’estompe. Il disparaît.

    Apprendre à continuer à exister malgré tout, sans nos chers disparus, et vivre heureux, coûte que coûte, en attendant la mort. Cette ineffable, surprenante, irrévérencieuse et ponctuelle mort que l’on appréhende avec tant d’interrogations. La série « Six Feet Under » aura en tout cas tenté de répondre à toutes nos questions.

     

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  • The Mandalorian : que reste-t-il de nos… Star Wars ?

     

     

    C’est acté, confirmé, tamponné, on peut le dire aujourd’hui, la reprise de la licence Star Wars par Disney s’est soldée au cinéma par ce gâchis manifeste que nous connaissons. C’est en effet dans la précipitation et le souci de récupérer au plus vite les quatre milliards consentis à George Lucas pour acheter son bébé cosmique, que la firme aux grandes oreilles met en chantier une nouvelle trilogie dès 2013, juste après la coûteuse acquisition, et sans tenir compte pour autant du fameux adage : « il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs ».

     

    En ne prenant absolument aucun risque avec le matériau de base et afin de rallier à sa cause un maximum d’adeptes, on lisse au maximum, on ripoline, on ponce, pour que rien ne dépasse et que ces nouveaux épisodes soient en parfaite cohérence avec l’état d’esprit du moment. Ainsi, tous les choix artistiques et scénaristiques qui sont faits vont certes permettre à l’Episode VII (le premier épisode de cette nouvelle trilogie) de casser la baraque (à frites) lors de sa sortie, mais vont en revanche déboucher sur la gabegie des deux épisodes suivants.

    Car en fait, rien n’a jamais été maîtrisé dans cette histoire. L’Episode VIII contredit tout ce que son prédécesseur a cherché à déployer et l’Episode IX, quant à lui, tente désespérément de rattraper les aberrations de l’épisode précédent. Au final, on secoue tout ça et on obtient une nouvelle trilogie qui ne raconte rien, qui n’aboutit à rien et qui laisse dans son sillage un fumet nébuleux qui peut presque évoquer le pet contrarié. Et « sploutch » fit le bateau qui coule…

    Car le constat est bel et bien sans appel. Entre l’ennui poli de la presse et de quelques aficionados circonspects ou l’hystérie collective de tous les autres fans, se sentant une fois de plus trahis, bafoués, floués, sodom… (non quand même pas…), ces nouveaux Star Wars, loin des étoiles, mangent le bitume.

    Mais c’est mal connaître la souris obèse, gavée aux stéroïdes et divers anabolisants. En réaction à cette Bérézina, cette dernière dégaine en amont une série destinée à sa propre chaîne Disney+. Un programme qui promet de renouer avec l’esprit d’antan, ce fameux côté « Western » que certains aiment évoquer afin de définir la fable de George Lucas… Et c’est exaspérant.

    Tandis qu’au cinéma, les différentes tentatives (ersatz) et divers spin-off qui suivirent dans le sillage des trois épisodes de la nouvelle trilogie furent globalement conchiés, hormis peut-être « Rogue One », qui reste à ce jour le succédané préféré de toute cette nouvelle génération de films sans George Lucas aux manettes, « The Mandalorian », produit pour la chaîne de Mickey, va très rapidement prendre son envol et réussir à empapaouter les plus revêches des idolâtres, et même les plus hardcore. La magie (noire…) Disney a encore fonctionné…

    Toujours dans ce souci d’essorer jusqu’à la corde le moindre élément, personnage ou intrigue parallèle qui se rattacheraient à l’univers spatial, les studios ont dès le départ projeté de faire figurer à l’écran chaque personnage emblématique de la saga originelle. l’Episode VII cartonne, « Rogue One » marche très bien, il n’y a donc aucune raison que cela ne dure pas. Les executives semblent avoir le Mojo… Mais après le tollé contre « Le Dernier Jedi », et ce malgré ses excellents chiffres, c’est « Solo », le deuxième spin-off, qui trinque en se prenant méchamment le caniveau. En même temps, il faut admettre que ce film n’est franchement pas très bon…

    Branle-bas de combat, Disney va devoir sérieusement revoir la stratégie de gavage d’oies qu’elle avait mise en place, s’appuyant en principe sur la sortie d’un film par an. Pour ceux qui ne sont pas au fait de la nomenclature de la saga vieille de plus de quarante ans, il faut savoir que l’univers de George Lucas est si vaste que l’on peut sans problème imaginer pouvoir en exploiter le moindre recoin, afin d’en tirer de nouvelles aventures, et ce pendant encore une bonne centaine d’années.

    Mais la magie de « Star Wars » réside aussi dans l’attente. Avant, il fallait en général patienter trois bonnes années pour découvrir un nouvel opus dans les salles. En voulant désormais balancer du Star Wars à tout bout de champ, quitte à y proposer des histoires aussi peu innovantes, il y a forcément un risque de lassitude, voire même d’effondrement de l’édifice tout entier… Pourtant, « The Mandalorian » va s’évertuer à raviver cette flamme qu’entretenaient tous les déçus des pré et post-logies.

     

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    Premier constat après la fin de la première saison…

    Conçue comme un tube de pommade géant, cette première salve d’épisodes live, en s’élevant sur les ruines de ce que fut une part de notre enfance, va n’avoir de cesse que de nous caresser dans le sens du poil. Un bout de décor, un robot, un nom ou une des nombreuses créatures aperçues quelques secondes auparavant dans l’univers classique de Star Wars et hop, ça fait la blague et ça permet surtout de donner la matière à un épisode entier.

    Racoleuse telle une prostituée de la rue Saint-Denis, avant que tout le quartier ne s’embourgeoise, la série « The Mandalorian » va tenter de nous aguicher en brandissant de belles formes et de nombreuses promesses. Certes… Le public, conditionné sur plusieurs générations, en est arrivé à un tel niveau de fétichisme que c’est avec une facilité déconcertante que les scénaristes n’ont qu’à torcher vite fait bien fait sur un bout de nappe n’importe quelle intrigue digne d’un épisode de « Babylone Five », avec comme simple cahier des charges le principe de bourrer chaque épisode de tout ce qui avait servi dans les vieux « Star Wars » de l’époque. « Ah, je me souviens avant, c’était du latex, des maquettes et des décors en dur… C’était quand même autre chose ! », s’écrit le fan nostalgique et neurasthénique.

    Oui, « The Mandalorian » va vous resservir exactement ce que vous avez commandé à Noël, poussant même la putasserie jusqu’à faire apparaître à un moment un véhicule jamais vu dans aucun des films « Star Wars », et créé uniquement pour être ensuite vendu comme jouet (un transporteur de troupe impériale)… C’est donc ça, « The Mandalorian », un coffre à jouets d’où vous ressortez vos figurines et vos vaisseaux spatiaux, pour faire mumuse ; « pzzzziiichw, pzzzziiichw, tuuuuvzzz, tuuuvzzz ! ».

    Des scripts indigents, des péripéties tout droit sorties du cerveau d’un enfant en train de jouer dans sa chambre… On nous fait certes miroiter un semblant de cohérence dans le premier et les deux derniers épisodes, avec des morceaux de bravoure enthousiasmants, mais qui tombent hélas à plat, après que l’on se soit enquillé un long tunnel d’action et de péripéties forcées, archi-déjà vues et aussi captivantes que des séries des années 80. Tout n’est que remplissage et embouteillage de lieux communs.

     

    Et sinon, « The Mandalorian », ça raconte quoi, au juste ?

    Au départ, si tout se passait bien avec les productions pour le cinéma et si « Solo » se devait d’être en toute logique un carton au box office, il était également prévu que l’on mette en chantier un film consacré au célèbre chasseur de primes, Boba Fett, aperçu la première fois dans « L’Empire Contre-Attaque ». Mais vu l’accueil en salle pour le moins glacial du film « Solo », sur la genèse de notre vaurien préféré, les pontes de la firme, plus rats d’ailleurs que souris, ont finalement vite rétro-pédalé. Il en a d’ailleurs été de même pour un éventuel film sur Obi Wan Kenobi, qui lui aussi verra ses aventures narrées sur le petit écran.

     

    A moins que…

    Jon Favreau, d’abord acteur puis réalisateur et producteur, se revendique fan absolu de « Star Wars », un peu comme J.J. Abrams d’ailleurs, ou comme tous ceux qui s’approchent de cet objet et qui ont, à leur corps défendant, juré (voire craché par terre) avoir la sève « Star Wars » qui coule dans leur veine depuis toujours.  Bref, Jon Favreau tente à son tour de mettre en image cette lointaine galaxie, tout en nous faisant croire qu’il connaît et comprend mieux que quiconque ce qu’est Star Wars.

    Il va ainsi imaginer, cette fois-ci pour la télé, une mini-série, non pas autour de Boba Fett, mais de l’un de ses homologues casqué et résolument badass. Une totale création, puisque ce personnage n’apparaît nulle part ailleurs. Les fans sont sceptiques. Ils ne le seront pas longtemps. On leur promet de revenir aux fondamentaux, au Star Wars des origines, avec plein de sable et de poussière, et un petit plus en prime. Un supplément d’âme, peut-être ?

    C’est bien le mot d’ordre qui semble pourtant s’imposer comme ultime gage de qualité, afin de rassurer à coup sûr les réfractaires, à chaque nouvelle tentative de ressusciter la magie d’antan ; « être fan » et « comprendre ce qu’est Star Wars »…

    En effet, ce qui saute ici rapidement aux yeux, c’est le soin apporté aux détails, à la moindre référence, qui ne sert plus seulement de prétexte mais de vrai élément sociologique. Totalement immersif, avec le souci d’exploiter et de rendre tangible un écosystème, « The Mandalorian » peut parfois donner l’impression d’être tout bonnement un documentaire sur cette lointaine galaxie. En ne s’intéressant plus aux grandes figures de la saga, ces héros légendaires et les enjeux démiurgiques qui s’y rattachent, on se rapproche davantage d’une évocation de protagonistes moins ambitieux et de leurs petites existences insignifiantes. Admettons…

    Il aurait pourtant été plus audacieux de confier la production de ces nouveaux projets, à savoir les films ou les séries produites pour la télé, à des réalisateurs peu ou prou spécialistes de la question. Cela aurait permis d’apporter un regard résolument neuf sur cette vieille franchise, avec de nouvelles  idées, des concepts différents et d’autres directions. Cela aurait évité le sur-place, les redites et cette impression fâcheuse de voir encore et toujours le même film, avec les mêmes enjeux et les mêmes trucs de magicien essoufflé et bouffi… Or ici, la seule excuse exprimée, déguisée en fausse modestie, c’est que l’on ne nous servira pas cette fois de grandes figures au destin shakespearien, mais des protagonistes de « Plus Belle la Vie », mais dans les étoiles… Ok…

    L’idée maîtresse de « The Mandalorian » ne va donc pas être de révolutionner Star Wars. Oh La La, non, surtout pas… Car encore une fois, il ne va falloir surtout prendre aucun risque et rester bien sage dans son coin.

     

    Être Mandalorien ou ne pas être…

    Le concept de ce programme se résume donc à évoquer un personnage totalement inédit, mais affichant un look fort reconnaissable, et qui évoluerait dans des décors au premier abord évidents, pour tous les orphelins en manque de Starwarzeries, tels des junkies en manque de crack.

    Il va ainsi suffire aux scénaristes de tout bonnement recycler tout ce que l’on a vu auparavant, surtout dans la première trilogie et notamment sur la planète Tatouine. A savoir, des paysages désertiques, des Jawas, des hommes des sables et autres bars remplis de dangereuses créatures, le tout dans cette ambiance très « Western » qui n’est plus simplement appuyée, mais assénée au marteau-piqueur.

    Affublé également d’un baby Yoda, une mignonnerie que tous rêvent de posséder en porte-clé, le héros, sorte de rônin tout droit sorti du manga « Baby Cart », dont il reprend également tous les codes, poursuit une quête dont on ne connaît toujours pas les tenants et les aboutissants, arrivé au terme de la première saison. Avec ce mini Yoda (idée cadeau imparable pour les prochains Noël), on rajoute artificiellement un enjeu aux protagonistes, qui sans but véritable, se traînent d’épisode en épisode. Enfin, « se traînent », zigzaguent plutôt, puisqu’entre une énième planète-forêt puis une planète de glace, nos héros reviennent sans arrêt sur Tatouine. L’imagination débordante des scénaristes atteint vite ses limites…

    Quant aux premiers épisodes de la saisons 2, on nous en met plein les yeux, à grands coups de visuels et d’effets spéciaux. Tout est tellement léché qu’il ne manque pas une bandelette de cuir sur les masques des Tuskens (hommes des sables). Pourtant, une fois encore, malgré les somptueuses ballades dans ce monde familier et les scènes d’action qui vont à 200 à l’heure, tant au niveau du scénario que de l’intrigue principale, paradoxalement, on fait encore du sur-place.

     

    Retour sur la genèse du projet

    A l’origine, le chasseur de primes Boba Fett n’était pas censé devenir un personnage essentiel. Apparu dans « L’Empire Contre-Attaque », il devait juste servir de relais, malgré son look intrigant, pour finir par disparaître purement et simplement dans « Le Retour du Jedi ». Mais il est pourtant très vite devenu culte… Au point d’ailleurs qu’il revient successivement dans « L’Attaque des Clones » et « La Revanche des Sith », la prélogie de Lucas, dans laquelle sont évoquées ses origines comme le rôle prépondérant de son père, qui initiera la constitution d’une armée de clones, afin de servir les desseins du futur empereur Palpatine.

    Bref, tout cela est tiré par les cheveux, certes, mais Lucas veut avant tout faire plaisir aux fans, en faisant de nouveau appel à ce personnage, dont l’aura et le mystère grandissent d’année en année…

    Pour « The Mandalorian », on va donc découvrir un nouveau personnage, qui revêt le même accoutrement que son illustre homologue. Et on va en savoir un peu plus sur ce peuple et ses motivations, voué à l’art de la guerre et obéissant à une philosophie spartiate, où tout n’est qu’honneur et sacrifice. Fort bien…

    L’histoire qui nous intéresse se situe dans le temps juste après la bataille d’Andor et la chute de l’Empire, soit entre « Le Retour du Jedi » (Episode VI) et « Le Réveil de la Force » (Episode VII), avec l’avènement de la nouvelle république. On peut tout de même regarder sans trop de déplaisir ce programme, où on nous plonge dans un bain amniotique. Tout ici est conçu pour nous plaire, nous autres, vieux nostalgiques de ces films que l’on a plus imaginés que réellement vus.

    Mais reste que « The Mandalorian » est un objet mort, une dent dévitalisée. Au mieux, on a l’impression d’être dans un jeu vidéo, mais sans pouvoir pour autant y jouer, dans lequel le protagoniste avance de mission en mission, jusqu’au tableau suivant, avec toujours un « boss » à dégommer pour franchir le niveau. Chacun des épisodes est conçu de cette manière. Ça semble pourtant fonctionner, tant on entend partout que cette série est une pure réussite et s’avère finalement être exactement le Star Wars que l’on était en droit d’attendre. Soit…

    Avec les bouleversements économiques liés à la Covid 19 et le marasme qui s’est abattu (entre autres) sur l’industrie du cinéma, là encore, Disney l’a joué fine, personnel et  surtout en mode « après moi le déluge ». Disney a d’une part rapatrié sur sa chaîne, voire rendu disponibles en VOD, toutes ces productions initialement conçues pour le cinéma. Fort du succès de « The Mandalorian », le studio est en train de mettre un coup d’accélérateur à tous les futurs projets liés au concept « Star Wars », et ce uniquement pour le petit écran. Adieu, donc, les salles de cinéma. Quand on sait que Disney au cinéma, c’est 30 % du chiffre annuel global. Ouch, ça pique un peu…

    Il est même question de démultiplier désormais le format feuilletonesque, ce qui ne devrait d’ailleurs pas choquer les puristes, puisqu’à l’origine, en créant « Star Wars », George Lucas souhaitait rendre hommage aux serials de son enfance (« Flash Gordon », entre autres), des programmes diffusés à la télévision, justement.

    Oui, Star Wars va devenir un produit comme un autre, pas meilleur, pas pire que n’importe quelle série disponible sur une plateforme quelconque, que le spectateur va consommer placidement, sans trop se poser de questions. Finis, donc, l’événement, les recherches technologiques, les effets spéciaux inédits, l’exception, le sentiment d’assister à quelque chose de rare ou d’exclusif.

    La science-fiction n’a pourtant pas complètement été sabordée, puisque les espoirs sont désormais placés ailleurs. On a d’abord eu, début octobre, sous la houlette de celui que l’on croyait fini, sénile même, Ridley Scott, « Raised by Wolves », sa série en dix épisodes, parfois inégaux mais pleins de promesses, de visuels, d’images hallucinantes et d’idées tant folles que stimulantes. Et puis, en 2021, on attend avec impatience « Fondation », une série adaptée des livres d’Isaac Azimov, que l’on peut voir comme le nouveau « Dune ». Ces séries cossues  et spectaculaires viendront, on peut imaginer, rebattre les cartes, de par leur ambition et les enjeux qu’elles traitent.

    En ce qui concerne notre amour immodéré, voire irrationnel, pour ce que George Lucas a créé et mis au monde depuis « La Guerre des Etoiles » en 1977, ce qui est sûr, c’est que face à autant de contradictions de la part des fans en général, il ne sert à rien d’espérer davantage désormais de cette franchise. Il faut juste se contenter de fantasmer Star Wars, tel un mirage, une malédiction dont on est tous devenu fous. Car oui, Star Wars, c’est le tonneau des Danaïdes…

     

     

     

  • Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 19)

     

     

    PARTIE II

     « Les corps amoureux »

     

     

    CHAPITRE XV

    Oups…

     

     

    Je ne suis pas à proprement parler une petite connasse, mais plutôt une nunuche qui peut tomber amoureuse en deux secondes, sur un mot, un regard, un geste, qu’elle va  interpréter selon ses codes et ses définitions, qui s’avèrent, dans ce monde froid et hostile, assez souvent erronés.

    L’amour, il ne faut pas le chercher ou tenter de le provoquer. Il vous tombe dessus sans que vous ayez à redire. C’est ce qui va se produire, mais un peu plus tard, comme une marque du destin, comme dans un film de Claude Lelouch, un peu cliché dans ses hasards ou ses coïncidences, et pourtant authentique, incroyable, évident.

    En attendant, je m’entête dans mes sorties nocturnes où la drague est reine, mais aussi pendant la journée, en des lieux annexes où l’on peut rencontrer des garçons à la tonne. Un vaste choix de fruits et légumes, de produits frais, mais parfois aussi quelque peu périmés. Alors, au marché, il faut choisir avec soin les produits qu’on sélectionne.

    Non loin de mon travail et de mon logement, se trouve la station de RER Auber. Si vous ne prenez ni les escalators ni les ascenseurs, vous avez la possibilité d’emprunter un escalier interminable où on trouve des surprises à chaque palier. Des garçons, des hommes de tous âges, attendent à n’importe quelle heure. Un regard, un arrêt, une hésitation et un embryon de dialogue pour arriver très vite sur des demandes fatalement d’ordre sexuel. Et vous en avez pour tous les goûts. Cela va du costume cravate en attaché case qui sort du bureau, du retraité nostalgique de ses années folles au plus classique jeune mec, regard fuyant et mèche à la Pierre Cosso période « La Boum 2 ».

    Là encore, il faut être prudent et savoir distinguer les sollicitations réelles de celles qui émanent des imposteurs, qui en veulent plus à votre porte-monnaie qu’à votre corps. Pour l’instant, j’ai la chance d’avoir su éviter les pièges tendus par les prédateurs comme les incubes. Il faut croire que j’ai un ange protecteur qui même dans ces situations un brin sordides m’épargne pas mal de désagréments. A vrai dire, je n’ai jamais été au-delà d’une semi-conversation. Ma vision désuète du libertinage ou de l’art de la cour m’empêche de ramasser tous ces fruits tombés à terre. J’aurais d’ailleurs préféré les cueillir directement à l’arbre…

    Sinon, il y a aussi la version « rencontre pour un moment de détente et de philatélie à l’air libre ». Vous pouvez vous rendre au Louvre. Vous y trouverez, devant l’entrée du musée, des jardins peu entretenus, comme une sorte d’espace fourre-tout de bosquets et d’arbres. Et c’est précisément là, quand vient la nuit, que les buissons s’agitent et que les branchages frétillent. On peut consommer sur place ou à emporter, avec la possibilité, si on le souhaite, de se faire enculer ou sucer, et ce à juste vingt mètres de la rue de Rivoli… C’est chic et tellement parisien. Mais ce petit côté clébard en rut ne me plaît guère plus. Je suis décidément trop attaché aux codes de maintien, au protocole et à l’étiquette.

    Plus loin dans les jardins, sur l’aile droite du Louvre, en face cette fois du musée du Jeu de Paume et de la place de la Concorde, c’est la version diurne qui est proposée, où des individus peuvent passer des journées entières à attendre la providence d’une pipe en devenir, d’un baiser volé ou bien juste à mater. Personnellement, je suis plus à l’aise avec cette version de jour.

    A force de fréquenter les lieux, je finis par sympathiser avec quelques habitués, discuter de tout et de rien ou commenter le ballet des autres hères, eux-mêmes à la recherche effrénée d’un peu de chair à aimer. On y rencontre parfois des gens très intéressants, avec qui vous n’aurez pas forcément d’accointance d’ordre libidinal, mais avec qui vous pourrez échanger sur des tas de sujets et apprendre. C’est par exemple dans cet endroit qu’on m’a conseillé d’écouter les « Lieder » de Gustav Mahler, interprétés par Kathleen Ferrier. Comme quoi, la botanique, ça mène à tout…

    Je mets ainsi une vraie distance entre les autres et moi, au point que je ne laisse pas facilement les gens s’introduire dans mon cercle d’intimité. Je ne peux pour l’instant me résoudre à imaginer consommer de la viande, comme le feraient la plupart des autres carnivores qui se bâfrent tous les jours, sous prétexte que la vie est trop courte.

    Car je veux rencontrer celui qui me fera chavirer, celui qui me fera remonter le cœur jusque dans la gorge et qui m’étouffera. Celui qui me fera pleurer juste en entendant le son de sa voix, qui me bouleversera à chaque fois qu’il posera ses mains sur moi.

    Mais pour l’instant, ainsi posté dans mon coin sombre à observer, je tombe amoureux d’ombres et de regrets. Cela peut durer une heure, une minute ou quelques secondes. Parfois, c’est vraiment formidable, jusqu’au moment où le mec ouvre la bouche. J’entends sa voix et « pof », tout s’écroule. C’est la disgrâce. Cela m’arrive même de me projeter avec mon futur « fall in love » dans ma dimension, mon palais mental…

    Ce sont toujours les autres qui viennent à ma rencontre. Je me contente de me faire draguer. Il s’agit d’une position fort confortable pour moi, telle la marquise cachée derrière son éventail, qui laisse tous les prétendants s’approcher et lui dérouler leur argumentaire. Et c’est souvent lamentable. Je leur adresse alors un regard en descente d’acide, pour ainsi mettre fin à leur discours amphigourique.

    En revanche, lorsque j’ai affaire à un individu pour lequel je fonds, c’est une horreur absolue. J’éprouve alors les plus grandes difficultés à entamer un semblant de début de dialogue, sans que cela ne paraisse ni niaiseux ni bafouillant.

    Lorsque je rentre en transe devant un être que je juge sublime, c’est en silence et dans l’anonymat. L’autre ne le saura jamais. Je me contente alors dans mon coin de lui écrire un poème et de le garder avec moi à chaque nouvelle sortie, en espérant le croiser de nouveau pour lui remettre. Mais je ne revois jamais l’ange concerné. Les poèmes s’accumulent. De temps à autre, je les relis mais ils ont tous l’air de mantras périmés.

     

    L’immaculé
     
    Un bruit d’ailes qui se froissent au-dessus de mon âme.
    Mais serait-ce un ange que je viens de voir là-haut ?
    D’abord une silhouette apparue tel un fantasme
    Dont les atours seraient de chair, sensuels et beaux.
     
    Oui, un séraphin s’il était de blanc paré.
    Sa noirceur de peau est une réponse insultante
    Aux péchés capitaux, l’évidence abhorrée,
    L’incarnation de la tentation éclatante.
     
    Ton visage est celui des chastes chérubins
    Comme on en peignait sur les toiles du Caravage.
    Dis-moi que non, que ton ivresse est celle du vin,
    Des réjouissances païennes et du libertinage.
     
    Manifestation aux éclats sombres, perle nacrée,
    Dans quel trésor d’un insondable fond marin,
    Sous le silence des ténèbres, t’a-t-on extirpé ?
    Quel hémisphère, quelle latitude, est-ce lointain ?
     
    Tes pensées sont fluides. Ce sont les sylphides de l’eau
    Qui se dérobent à mes questions, à mes sourires.
    Tes petits rires se glissent dans l’échine de mon dos,
    Dans le creux de mes reins et ils me font souffrir.
     
    Tes yeux taillés dans de la roche incandescente
    Que j’ai vus malgré les hauteurs de ton balcon
    Ont ouvert, déchiré en une plaie béante
    Mon coeur sourd et aveugle. Je lui demande pardon.
     
    Toi, déité, je veux connaître tes paters
    Mais je ne veux ni te brusquer ni profaner
    Ce qui serait notre secret, notre sanctuaire
    Pour te garder précieux, aimé, immaculé.

     

     

    D’où puis-je avoir hérité de telles considérations si désuètes, remontant au XVIème siècle, voire même avant, en des amours courtois ou, dans mon cas, secrets et non avoués ? Vivre avec cette douleur au cœur, s’en nourrir et en jouir… Le plaisir de souffrir des mots que l’on ne peut dire que sur le papier. Je suis une sorte de néo-romantique, sans doute trop infusé aux poèmes d’Alfred de Musset, de Rainer Maria Rilke ou de Charles Baudelaire.

    Je n’ai sans doute pas choisi le bon siècle pour naître, ou peut-être tout simplement pas la bonne libido. La façon de m’habiller s’oriente également de plus en plus sur des tenues noires ou bleu marine, avec toujours une chemise blanche. Et je cultive avec délice et masochisme cette affliction que sont les chagrins et les peines chroniques.

    C’est ainsi que je m’entiche de plusieurs garçons sans qu’aucun d’entre eux ne le sache. Pour certains, j’écris juste des sonnets, pour un autre, c’est carrément tout un livre dédié à sa gloire et à sa beauté. A la simple évocation de ses yeux noirs ou de sa bouche, je sombre dans un état proche de l’Ohio (merci Isabelle…).

    Je m’essaie pourtant sur un garçon dénommé Jean et dont je me suis infatué une fois de plus, à tenter de le courtiser comme il le faut, dans les règles de l’art. Il s’agit d’un danseur ivoirien plutôt direct et toujours souriant, qui ne comprend hélas pas exactement où je compte en venir avec lui. A chacune de nos entrevues (toujours au Boy), je me contente de lui parler de tout et de n’importe quoi, sans oser un mot de plus qui pourrait paraître trop significatif.

    Je dois me résoudre à concéder que dans le domaine de la drague, je suis une quiche, pas lorraine, car je ne suis pas fan des lardons, mais plutôt aux poireaux et chèvre. Mon syncrétisme confine finalement à un crétinisme patenté, celui des fats et des sots. Quant à Jean, il doit me prendre pour un hétéro qui n’assumerait pas son homosexualité refoulée et qui n’oserait pas sauter le pas…

    Lui-même, ne devant pas être trop intéressé par ce que je représente, me laisse ainsi à chaque fois m’enfoncer dans ma vacuité. Malgré le malaise sans cesse grandissant et son attitude paradoxalement polie mais pas dupe, je persévère assez longtemps, jusqu’au moment où je vais le perdre de vue. Sans doute doit-il se cacher à chaque fois qu’il me voit arriver.

    Le cœur d’artichaut que je suis pourrait y laisser toutes ses feuilles si je continue ainsi ma vie entière à me méprendre sur la véracité de mes sentiments et à croire à une quelconque malédiction. Heureusement, le cosmos décide pour nous ce qui doit être fait.

    Et si vous ne croyez pas en Dieu, il reste les étoiles.

     

    Noir

    Certains laisseront des traces
    de leur passage sur terre
    mais à peine un sillon
     
    Puis d’autres dont la grâce
    comme autant de prières
    ou de miracles, de dons
     
    Bien qu’appelé race
    tant de mots éphémères…
    Éternels, ils seront.
     
    Éclats iridescents
    offerts par une lune
    hésitante des naufrages
     
    Ou des rêves flottants
    sur le sable et ses dunes
    C’est peut-être un orage.
     
    Une pluie diluvienne
    qui viendrait tout noyer
    recouvrir notre monde.
     
    Et si la race humaine
    est ainsi effacée
    et en quelques secondes.
     
    Comme on agiterait
    ses deux mains pour chasser
    des pensées vagabondes.
     
    Il n’en resterait qu’une
    un éclat que la lune
    nous avait tant promis.
     
    Lumière noire aveuglante
    force et beauté tranchante
    et je meurs ébahi.

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 11)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 12)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 13)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 14)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 15)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 16)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 17)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 18)

     

     

     

  • Happy 45, Monty Python Sacré Graal !

     

     

    Pour tous ceux qui seraient trop jeunes pour s’en souvenir, Monty Python, c’est une troupe britannique composée de six humoristes qui se sont rencontrés à la fac et se produisent dans des spectacles composés de sketchs, jusqu’à ce que la BBC leur propose de créer une série TV échappant à toute censure.

     

    Ainsi, durant 45 épisodes, de 1969 à 1974, les Monty Python travaillent leur style, comme les collages surréalistes dans les images d’animation. Chaque émission est une succession de sketchs unis par un fil conducteur qui lui donne son identité propre. En 1971, ils font leur première incartade au cinéma avec leur long-métrage « La Première Folie des Monty Python », une anthologie des meilleurs sketchs du show TV « Monty Python’s Flying Circus ». En France, la série a été diffusée pour la première fois dans l’émission « Continentales d’été » à partir du 1er août 1991 sur FR3, à l’époque où l’idée d’Europe faisait encore sens…

     

    [youtube id= »Fh3ghPC-oEQ » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    En 1975, avec la sortie de leur second long métrage,  « Monty Python : Sacré Graal ! », le succès est tel qu’il dépasse largement les frontières du Royaume-Uni. Suivront « La Vie de Brian » en 1979 et « Le Sens de la Vie » en 1983. Ils seront même invités à se produire dans un show à New-York qu’on peut voir en version filmée dans « Monty Python à Hollywood » (« Monty Python Live at the Hollywood Bowl ») en 1980.

     

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    Un temps séparés, ils suivront chacun leur chemin sur des projets différents avant de se retrouver en 2013, alors que l’un des membres de la bande de joyeux drilles, Terry Jones, annonce lors d’une conférence de presse à Londres la reformation de la troupe, en même temps qu’un nouvel et ultime spectacle. Les dix représentations données en juillet 2014 afficheront complet ; 20.000 tickets partis en 45 secondes pour la première. La troupe désormais à cinq (Graham Chapman est décédé en 1989) joue ses meilleurs sketchs pour son spectacle d’adieu. La dernière représentation sera rediffusée dans le monde entier (sur Arte pour la France).

    La seule parenthèse à leurs carrières solo respectives fut leurs retrouvailles en 2009, pour un reportage tourné à l’occasion des 40 ans de leur première apparition à l’antenne de la BBC. Pour fêter cet anniversaire, Bill Jones tourna un documentaire racontant en six épisodes l’histoire des Monty Python par eux-mêmes : « Monty Python, toute la vérité ou presque ».

     

     

     

    En 2015, c’est un autre anniversaire que fêtaient le distributeur Park Circus et Sony Pictures : les 40 ans de la sortie du film « Monty Python and the Holy Grail ». Pour un soir seulement, une version nouvelle, complètement musicale, était diffusée le 14 octobre 2015. Plus de 500 cinémas britanniques participaient à cette soirée unique avant la sortie par la suite d’une version DVD / Blue Ray dans les pays anglophones.

     

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    Une seconde vie pour ce film tourné avec des bouts de ficelle (et quelques noix de coco) et financé par des groupes de rock fans comme Led Zeppelin ou Pink Floyd (deux millions d’entrées pour seulement 250.000 dollars de budget de tournage). Terry Gilliam a souvent raconté que le National Trust leur avait refusé de tourner dans les châteaux, les accusant de ne pas respecter la dignité des lieux, ce qui avait obligé la troupe à découper de faux décors en carton peint et à tourner plusieurs scènes simplement dans un parc en plein centre de Londres. L’occasion de voir et revoir ces scènes tordantes, de se remémorer toutes ces anecdotes de tournage et de vérifier si Arthur et ses chevaliers ne trouvent finalement pas le Graal chez Harrod’s…

     

     

    Et en cadeau, « Monty Python and the Holy Grail » en Lego…

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    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Monthy Python Official

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] « Live at Aspen » (1998)