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PARTIE I

 « Niort, Niort… Niort, deux minutes d’arrêt, Niort ! »

 

 

CHAPITRE XI

 

Leçon de chose 1 (Mais qui es-tu, petit bébé pédé ?)

Il y a des avis contradictoires, des théories différentes, des explications scientifiques, mais toujours pour dire en substance la même chose. Tout part de l’enfance. Les plus blasés bâilleront que cela commence même dans le ventre de la mère. Les plus pointus vous diront que tout vient des gênes, que c’est héréditaire. Les plus religieux s’exalteront : diabolisation, Sodome et Gomorrhe, démence, Damien, la malédiction, le retour… Les plus Freudiens psychanalyseront : peur du sexe féminin, cette grotte sombre et humide où l’on peut du coup facilement choper un rhume. Œdipe, mère à poil dans la salle de bain : « rentre, mon chéri, voyons, c’est pas grave, je suis ta mère… ». Symptôme Norman Bates. Et enfin les plus cons vomiront un bon vieux « P’tain d’sales tarlouzes ! »…

Une chose est sûre, l’homosexualité est une longue gestation qui commence très tôt, en tout cas trop tôt pour que le petit garçonnet puisse déjà savoir lui-même de quoi il en retourne. Cette orientation n’apparaît donc pas comme ça, par magie, dès l’âge de dix ans ou à la puberté, à la suite d’une déconfiture amoureuse avec Christelle, le flirt de 5ème. C’est dès le début de son existence que tout devient déjà compliqué pour lui.

Il va ressentir cette impression diffuse d’être sans cesse en porte-à-faux vis-à-vis de ses petits camarades ; un décalage mais aussi un fonctionnement alternatif à son environnement habituel. Toutes les informations reçues, il ne les digère pas comme les autres. Un film avec la mauvaise bande-son ou avec un doublage médiocre. Imaginez par exemple une novela colombienne doublée dans un Français plus qu’approximatif, et ça peut vous donner une idée…

Mais avant l’étape du coming out, cette grande déclaration faite aux parents, aux amis ou à tout son entourage, qui pour les plus audacieux pourra survenir à l’adolescence, à dix-huit ans ou pour d’autres bien plus tard, voire jamais, dans la plupart des cas, il y a d’abord toute cette enfance à vivre et à comprendre…

Avant ses dix ans, cet enfant est comme les autres de son âge, il ne sait rien ou presque sur la sexualité en général. Mais depuis une quinzaine d’années, avec l’avénement d’internet, nous assistons à une propagation exponentielle des ordinateurs et des écrans pour soi. Dès l’âge de trois ans, n’importe qui aura accès à des images qu’il aura tôt fait de décrypter comme étant un peu « olé-olé ». La pornographie est bien la représentation la plus lisible aujourd’hui sur le Net, parfois pour le meilleur mais surtout pour le pire.

Quant à la sexualité des enfants et des pré-adolescents avant l’an 2000, celle-ci ne se résumait qu’à des concepts flous et des mots-clés tels que « bite, couilles, nichons, la maîtresse en maillot de bain ». Mais aujourd’hui, cette sexualité s’illustre de façon bien plus concrète, avec le son et les images qui accompagnent souvent crûment sa simple évocation. Tournante, éjac’ faciale, biffle, fist fucking, gang bang… j’en passe et des meilleurs. C’est en tout cas ce que la société tend en premier à un enfant, comme information, pour parler de sexualité. Après cela, bienvenue dans la réalité, petit chérubin !

Bon, un peu de pédagogie, comme si on était encore dans les années 70, dans la classe de CP de madame Migeon. Le bambin va comprendre très vite, comme ses petits camarades, qu’il possède un « zizi » et que les filles, quant à elles, ont une « fente » située au même endroit. Tiens, c’est bizarre, cette fente à la place du « zizi »… un peu comme la fente de son cochon tirelire.

Petit bébé pédé cogite (cogito ergo sum)… Alors, c’est donc ça ! Toutes les filles seraient elles aussi de vulgaires cochons-tirelires. D’où cette première répulsion, logique bien qu’injuste, de la femme. Celle-ci ne serait ainsi qu’une grosse cochonne qui ne pense qu’au fric…

– Maman ?
– Oui mon chéri.
– Maman, est-ce que toi aussi tu es une grosse cochonne tirelire ?
– Quoi ?! (« vlaaam » fait le bruit de la main sur la tronche)

Haut comme trois pommes, Petit bébé pédé théorise beaucoup, ce qui le démarque déjà des autres enfants de son âge, qui eux ne pensent qu’au foot, à la bagarre ou à des jeux vidéo ultra-violents. Bon… Il faut dire que dans les années 70, en matière de jeux vidéo ultra-violents, le choix était vite vu : on avait « Pong » et… et « Pong »… Toujours est-il que Petit bébé pédé se projette quant à lui plutôt dans un monde peuplé de fées, de farfadets et parfois même de gros messieurs barbus.

La grande révélation survient dans un vestiaire, après le sport ou la piscine, là où tous les enfants se retrouvent nus. Voilà donc notre Hamlet en culottes courtes qui va enfin connaître la réponse à sa grande question. Cette première érection, qu’il aura en voyant un autre garçon dont il est inconsciemment amoureux et pour qui il éprouve du désir, sans trop comprendre de quoi il en retourne, ne pourra être commenté avec personne… il ne sait pas ce qui lui arrive mais il sait que ça n’est pas bien…

Dans ce milieu où on ne parle que de filles, et où on se doit de ne parler que de filles, avec comme graal ultime de les embrasser avec la langue, comment justifier objectivement une telle « réaction physiologique » ? Car il est somme toute assez rare à l’époque de voir des parents ou des proches, dans le cadre de l’éducation donnée à leurs rejetons, aborder le thème de l’homosexualité aussi sereinement que celui de l’hétérosexualité. Peut-être aujourd’hui, et encore, mais certainement pas dans les années 70… ou alors avec des parents trotskistes, évoluant dans des milieux intello-artistico libertaires et possédant un riad à Marrakech.

Si le milieu familial est fermé, avec des parents absents, sourds, aveugles et murés dans leurs propres questionnements, l’enfant gay ne pourra qu’encore davantage se sentir exclu, en cultivant dans son coin un sentiment de honte et ça, pour la peine, pour avancer dans la vie, ça risque de ne pas être top. Très souvent, à l’adolescence, le gay qui vit dans le subterfuge parvient à passer inaperçu à l’école car il sait facilement s’entourer d’une ribambelle de filles. D’ailleurs, les autres morveux enragent de le voir ainsi toujours aussi bien accompagné.

L’ado gay affiche en effet une affinité certaine avec toutes ces petites lolitas. Patience, écoute, conseil, sensibilité, empathie, alliés à un sens de l’humour plus développé que la moyenne, sont définitivement les pierres de voûte du bunker dans lequel il enfouit profondément sa véritable orientation sexuelle. Bien-sûr, il flirtera mais n’ira jamais jusqu’au bout, craignant que cela ne débouche que sur du vide et de la déception amoureuse. Cette couverture va durer le temps de l’école, le temps de la famille, voire le temps de toute une vie, en fonction du milieu dans lequel il a grandi. Une dissimulation qui causera néanmoins des torts irrémédiables, à lui comme aux autres.

Hormis ceux qui grandissent au fin fond de la Lozère ou dans un pays où cela peut très mal se passer si on apprend qui vous êtes vraiment, il y a tous les autres qui vont pouvoir accéder au niveau supérieur de leur identité et être enfin ce qu’ils sont vraiment, des gays privilégiés, de par leur métier et les personnes qu’ils fréquentent.

Mais dans ce processus d’émancipation, beaucoup vont devoir être opiniâtres, pour débusquer leurs semblables. Ils vont rechercher des environnements propices à leur épanouissement. Mais dans nombre de cas, cette démarche et cette construction se feront dans l’anonymat, tant vis-à-vis de la famille que du milieu professionnel. Mais qu’ils restent dans l’ombre ou qu’ils soient dans la lumière, il leur restera néanmoins un léger détail à régler…

 

La Môman

Dans la famille, la mère est bien la seule personne à garder une sorte de lien télépathique avec sa progéniture, tant que l’un comme l’autre restent présents sur cette terre. De l’ovulation à l’accouchement, en passant par les premières rencontres « échographiques », la mère est déjà connectée à son enfant. Encore plus fort que le wifi, la fibre optique et le bluetooth (blutouf, bloutouss, blutoph…?) réunis !

Depuis le début de ces manifestations hormonales aux premières séances masturbatoires, avec inspection quotidienne des draps, dans le seul but de quantifier le niveau de pollution nocturne, la môman ressent viscéralement chaque changement thermique et cérébral chez son roudoudou. Plus la libido de son enfant s’affirmera et plus les doutes céderont la place à des évidences grosses comme des maisons. La mère feindra d’ignorer le sujet directement, et c’est plutôt de manière détournée et sournoise qu’elle appliquera la bonne vieille méthode toujours en vogue chez toutes les mômans du monde entier, à savoir prêcher le faux pour savoir le vrai.

Exemple de dialogue surréaliste entre une mère et son fils :

– Alors, quand est-ce que tu nous la présentes, ta copine ?… [tentative de détournement]
– Bof, tu sais, tant que c’est pas officialisé, je ne préfère pas trop…
– Ah bon… T’as une copine en ce moment, alors ? Qui n’est pas très sérieuse, c’est ça, hein ?!
– Oui voilà…
– Et tu n’voudrais pas, comme ça, à ton père et à moi-même, ici présents, présentement et en tout bien tout honneur, juste pour rigoler un coup, tu vois, nous en montrer un   bout… Pour voir juste comment ça fait… tes goûts en général…
– Ouais, mais qu’est-ce que ça changerait si je vous le… LA présentais, si c’est pas sérieux ?
– Tu as dis « LE » ?!
– Hein ? Ben, non…
– Ah, pardon, j’avais dû mal comprendre… Tout ça pour dire, on se ferait une petite idée, tu vois ? Si tu préfères les brunes, les blondes, les rousses, quoi… Même chauve hein… !! C’est juste que là, tu arrives à 55 ans et je n’arrive pas trop à préciser ma pensée au niveau des repaires, où te situer dans le temps et l’espace, les lois d’Archimède, la relativité, tout ça…

 

Et oui, car dans l’absolu, la môman ne le sait que trop bien, ce que fabrique son roudoudou chéri dans son dos, mais elle veut l’entendre de sa propre bouche plutôt que de celle d’un autre. Elle ne lui en voudra pas. Jamais. C’est plutôt du côté du père que ça risque de se compliquer sacrément, à cause de vagues concepts de pérennité et d’atavisme, en mode « tu seras un homme, mon fils » ou encore « la famille fiston, la famille »… Et il n’est pas impossible que le père, à l’annonce que son descendant direct est homosexuel (de la jaquette, du bâtiment, quoi…), se sente d’un seul coup un peu comme émasculé à la machette ou au couteau à huitres. Il découvre, mais trop tard, que le rejeton qui sort tout droit de ses testicules possède sa propre conscience, emprunte son chemin personnel et fait ses choix.

Pourtant, Yves Duteil chantait bien « Prendre un enfant par la main et lui montrer le chemin… », non ?

Oui, mais bon… C’était dans les années 70…

 

 

Pour aller plus loin

Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 01)

Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 02)

Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 03)

Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 04)

Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 05)

Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 06)

 

 

 

    Photographe, auteur, poète et machine à remonter le temps, avec une cape de mousquetaire toujours portée un peu de biais.

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