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  • Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 18)

     

     

    PARTIE II

     « Les corps amoureux »

     

     

    CHAPITRE XIII

    Qui, quoi, comment ?

     

     

    Mes châteaux en Espagne, je les construis autour de moi. Emmuré que je suis à vouloir me protéger, me rassurer et entretenir l’image du doute et du mystère.

    Lorsque vous avez vécu une adolescence ingrate – je parle du physique que vous vous trimbalez comme d’autres se baladent avec des casseroles accrochées à la ceinture – vous ne savez pas vraiment ce que vous suscitez, en termes d’attirance comme d’envie pour les autres.

    Je prends donc conscience que je n’aurai jamais un physique terrible. Je sais que je suis en sursis et que ce laps de temps prévu entre 20 et 35 ans me permettra de faire bonne figure. Mon côté frais et poupin, à la peau lisse et au corps glabre, fera illusion un temps, mais passée la quarantaine, ce sera fichu.

    Alors je reste irréprochable partout où je me montre, un dandy toujours tiré à quatre épingles qui ne sourit jamais mais qui essaie d’être remarqué dès son arrivée. J’occupe aussi bien le bar que la piste de danse. A mon corps défendant, il faut dire que je ne danse pas trop mal. Mon sens de l’observation, du rythme et ce fameux déhanchement vont me permettre de rencontrer de jolis succès.

    Et un beau petit trou du cul, surtout !

    Cette arrogance que l’on affiche de toute façon à cet âge, cette manière de se conduire avec autrui, finissent toujours par payer. Et puis on a la jeunesse pour nous. Alors on se croit invincible. On porte des vêtements de marques prestigieuses. On écoute de la musique classique. On écrit des poèmes. On va beaucoup au cinéma et on lit énormément. On se croit donc vraiment au-dessus de la mêlée. Bref, on rêve sa vie, on la sublime. Tous les jours, on y met de jolis bouquets de fleurs. En substance, on est vraiment devenu un petit parvenu dans toute sa splendeur.

    C’est également à cette période que mes parents traversent de sales moments. Ils sont en train de perdre leur magasin de fleurs. Mais moi, je m’en fous complètement. Je ne m’en rends pas vraiment compte, en fait. Je ne pense qu’à mes virées nocturnes en boucle. Il faut dire que je sors tous les soirs. Boîte de nuit, bars et autres, sept jours sur sept. Je ne dors presque plus. C’est une obsession. Je suis devenu un cochon d’Inde qui tourne sans répit dans sa roue.

    J’aime tellement cette nouvelle musique que je peux me trémousser des heures durant, sans vraiment m’occuper de la gent masculine qui m’entoure ou qui pourrait m’observer. Je laisse d’ailleurs le rôle du dragueur aux autres. On m’accoste, on essaye de me séduire. Je m’amuse de cela, pour tout dire… Je suis bien entendu flatté, mais je dois avouer que je trouve la plupart de ces rôdeurs un peu cons. En fait, je les vois tous avec un gros sexe gonflé à l’hélium qui pend au milieu du front.

    Je suis une vraie petite connasse qui commence à comprendre l’attrait qu’elle représente pour tous ces prédateurs actifs et autres fans de la pénétration sans équivoque. Je viens de trouver où se cachaient la boîte de chocolat et les pots de confiture…

    Même si ma toute première expérience sexuelle s’est révélée plus que médiocre, voire complètement nulle, je veux y retourner.

    Mais contre toute attente, la plupart de ces amants d’un soir baisent extrêmement mal. Après un kiss ou deux, ils agissent systématiquement de la même manière. La main sur ma tête pour la forcer à se baisser jusqu’à leur sexe. Ensuite, c’est toujours un « tu as un préservatif ? » suivi d’un « et du gel ? ». Ils veulent m’enculer, éjaculer et on n’en parle plus. Jamais ils ne vont se soucier de savoir si, moi aussi, j’ai joui. Autant dire que tout ce sempiternel cérémonial ne me convient pas du tout.

    Cette obsession de l’anus, comme unique option, me donne parfois l’impression que je ne suis qu’un sac à foutre, un ustensile de vidange. Je n’irais pas jusqu’à parler de viol à répétition, mais avec le recul, c’est pourtant bien d’abus dont il s’agit. En tout cas, chacune de ces expériences me laisse un goût amer. Je me sens seul et sale.

    Et puis je relativise, en me disant que tout cela fait partie de mon apprentissage et que je dois forcément en passer par là.

    Je réitère donc l’expérience dès que je le peux, en espérant à un moment donné tomber sur le bon et pouvoir moi aussi participer à cette petite fête des sens. Ce dont je me rends compte également, c’est qu’il y a un gouffre, un canyon même, entre ce que je vois dans les films pornos et la réalité.

    Je passe beaucoup de temps dans des sex-shops, qui sont équipés de cabines où l’on regarde des films préalablement choisis dans les rayons dédiés au genre, son rouleau de sopalin dans une main et la bite dans l’autre. Je découvre le monde du porno gay et ça n’est hélas pas la réalité que je retrouve lorsque je suis avec un de ces petits chenapans dans la vraie vie.

    Tous ces films sont une fiesta permanente, un feu d’artifice de foutre et de plaisir sans frein. Tout le monde y jouit à tout rompre. Et personne n’est laissé sur le côté. Mais c’est ça que je veux, moi ! L’anus n’est plus une finalité pour l’un des partenaires et un mauvais moment à passer pour l’autre. Il est la farandole des desserts, le super brunch, le buffet continental…

     

     

    CHAPITRE XIV

    Leçon de chose n°4 : L’anus (mais qui es-tu vraiment, petit anus ?)

     

     

    L’endroit probablement le plus visité au monde, loin devant la Tour Eiffel et le Louvre, pourtant secret, intime, caché entre les deux fesses, est la plus ancienne mais aussi la plus fédératrice des institutions. L’alpha et l’oméga de toute relation humaine, de la Laponie à la Nouvelle-Guinée, en passant par le Maroc et le Sénégal, et ce depuis la nuit des temps.

    Conspué, célébré, chanté, moqué, mais sortant toujours grand vainqueur de tous les conflits. Orifice du rectum qui donne passage aux matières fécales… mais… Mais aussi un petit trou tout plissé, comme un clin d’œil complice et malicieux, qui est le second organe, après le pénis, le plus prisé et utilisé de bien différentes manières.

    Il a donc cette autre fonction que d’être introduit par plein d’autres choses ; exemple : par un sexe étranger (d’une personne tierce ou d’un étranger, justement, d’une autre nationalité), mais aussi par des objets divers et variés (godemichet, plug anal, combiné de téléphone, modèle 1939 en Bakélite) ou encore par des fruits et légumes (cinq fruits et légumes par jour). Ça peut d’ailleurs aller du haricot vert extra-fin en passant par la banane, le concombre, la courge et même l’ananas.

    L’anus, c’est la « final touch » de tout rapport homosexuel masculin qui se respecte (bien que les hétéros en soient également férus). On peut rajouter, à l’attention de tous les candides et épicuriens de la terre, une liste dérivée et plus familiale que ce terme encyclopédique. N’en déplaise à ces messieurs Larousse et Petit Robert.

    Alors vous avez :

    ✓ Trou de balle
    ✓ Troufignon
    ✓ Trou du cul
    ✓ Derche
    ✓ Fion
    ✓ Rondelle
    ✓ Rosette
    ✓ Darjo
    ✓ Baigneur
    ✓ L’Ostie
    ✓ L’entrée des artistes
    ✓ Lucarne enchantée
    ✓ Le rondibé du radada
    ✓ Juda
    ✓ Cyclope
    ✓ Les charmes du donut (pour cela, placez un donut côté pile devant vos yeux puis laissez-vous aller à la rêverie)

    A présent, le jeu : toi, l’ami, joue aussi et ris avec ta famille. Tu peux rajouter pleins d’autres petits sobriquets à cette liste.

    D’un point de vue biblique, ce qui jadis fit sombrer Sodome et Gomorrhe dans les abysses du pêché a été depuis repris en chœur par tout le monde. La sodomie, le mot est lancé. Cet acte condamné par l’église (vade retro sodomite !) et par toutes les autres religions d’ailleurs, et ce depuis la nuit des temps, fait pourtant le bonheur de toutes et de tous. Ce que l’on peut appeler aussi l’amour dans les fesses.

    On pense à tous ces moines, qu’ils soient catholiques ou tibétains, dans leur monastère, face à la solitude de Dieu. On pense aussi à ces prisonniers du monde entier dans leur centre de détention, à ces marins qui partent pendant longtemps. Bref, à tous ces hommes sans femme, ces bergers dans leur montagne…

    Entre cierges et savonnettes, les alibis culturels ne manquent pas à la plus grosse hypocrisie que l’histoire de l’humanité ait pu engendrer.

    … Mais il n’en reste pas moins que cela ne me satisfaisait guère. Et je comprends finalement que je ne fonctionne pas exactement comme un mec qui peut empiler les rencontres comme autant de trophées de chasse.

    Il me faut beaucoup plus. Il me faut de l’affection, de la compréhension, de la passion, des papillons dans l’estomac et pourquoi pas, soyons fous, allez… Comme le chantait Mouloudji, « l’amour, l’amour, l’amour »…

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 11)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 12)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 13)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 14)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 15)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 16)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 17)

     

     

     

  • Brian de Palma : Le cinéma réflexible

     

     

    Rétrospectivement, il y a plusieurs façons d’appréhender le cinéma de Brian de Palma, car certains pans de son œuvre nous questionnent sur ce médium, tant comme divertissement que sujet de réflexion. Tout au long de sa filmographie, le réalisateur de « Carrie » n’a eu de cesse que de proposer des œuvres tour à tour référentielles ou purement formelles, dérangeantes, innovantes ou mettant en avant des idées militantes, voire polémiques.

     

    Issus d’un mouvement baptisé le « Nouvel Hollywood » qui, dès la fin des années 60, va durant toute la décennie suivante remodeler le paysage cinématographique américain, dans sa manière de filmer et de raconter une histoire, et de par les sujets abordés, rendre le cinéma peut-être plus adulte, plus concerné par la réalité sociale et économique du pays, les jeunes réalisateurs qui vont apparaître à cette période auront tous cette façon viscérale, organique, de traiter leurs sujets, mais surtout d’interroger le cinéma.

    Brian De Palma va appartenir à cette prestigieuse bande d’amis, et surtout de cinéastes en devenir, tels que George Lucas, Francis Ford Coppola, Steven Spielberg et Martin Scorsese. Tous partagent de grandes aspirations quant à cette passion qui les dévore. Avant tout des cinéphiles nourris au cinéma européen, qu’il se nomme « Nouvelle Vague » en France ou « Néoréalisme » en Italie, ils vont transcender, chacun avec sa propre sensibilité, le 7ème Art. Mais ça n’est pas simplement sous l’impulsion de leur goût pour les films venus d’Europe… Il va s’agir d’une vraie prise de conscience, d’un choc, qui vont trouver leur sens et faire écho à des événements liés aux États-Unis eux-mêmes.

    Comme beaucoup de cinéastes de cette époque, avant la guerre du Vietnam et ses répercussions, il y a surtout le 22 novembre 1963, date fondatrice. Ce jour-là, des millions de téléspectateurs assistent en léger différé à la télévision à l’assassinat de John F. Kennedy… Cette scène, filmée en Super8 par un caméraman amateur, constituera le premier film gore du cinéma américain et va rentrer dans l’imaginaire collectif, en imprimant les rétines à tout jamais ; le président des Etats-Unis abattu d’une balle dans la tête, et ce morceau de crâne que l’on voit s’en détacher, alors qu’il est en train de saluer la foule venu l’accueillir à Dallas. C’est un électrochoc pour toute une génération de réalisateurs, et bientôt une nouvelle manière de penser les images et ce qu’elle disent. La mort d’un homme en direct à la télévision va tout simplement bouleverser la manière de concevoir un film.

    Jusqu’à cette sombre date du 22 novembre 1963, certaines images ne pouvaient en aucun cas être montrées à l’écran, telles que la représentation crue de la nudité, de la violence et même du sang. En 1967, le réalisateur Arthur Penn va être un précurseur, avec son film « Bonnie and Clyde », en figurant des impacts de balle qui sonnent vrai. Le sang est omniprésent et le film, à sa sortie, connaît un véritable retentissement, puisque non seulement son contenu est graphiquement très violent, mais de surcroît les héros du film sont les méchants de l’histoire et la police, dans une inversion des rôles, ceux que l’on déteste. On n’avait encore jamais vu cela au cinéma.

     

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    En 1970, c’est aussi ce même réalisateur qui traitera dans son film « Little Big Man » du génocide des Amérindiens. Là encore, on sera bien loin du cinéma de John Ford ou de Howard Hawks, avec cette bonne vieille ganache de John Wayne, l’ultime symbole de la suprématie blanche hégémonique et triomphante.

     

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    Oui, le cinéma est bel et bien en train de muter et cette révolution, plutôt que d’être contenue, est acceptée par les grandes majors, qui voient ici le moyen de redevenir une industrie forte et prospère, après avoir perdu de sa superbe avec l’avènement de la télévision dans les foyers américains. Le temps des westerns et des comédies musicales est révolu…

     

    Après une série de courts-métrages réalisés durant ses années passées en tant que jeune professeur de cinéma, Brian De Palma commence à tourner des longs-métrages dès la fin des années 60, notamment avec un débutant prometteur, Robert De NiroGreetings », « The Wedding Party », « Hi Mom! »). Et c’est d’ailleurs avec le film « Greetings » que De Palma remporte son premier succès public et critique, ce qui va lui ouvrir les portes des grandes majors. C’est un film sur la guerre du Vietnam, mais surtout une comédie qui traite de l’obligation morale de s’enrôler dans l’armée pour aller combattre.

    Ainsi, au lieu d’assister dans « Greetings » à des combats valeureux et des scènes où de vaillants Américains clament à la face du monde pourquoi il faut faire la guerre au nom de la liberté, cette oeuvre fondatrice évoque en fait une bande d’amis qui va tout faire justement pour ne pas avoir à la faire. Si le film est caustique et traite d’un sujet grave qui s’appuie sur des intentions légères, on y perçoit pourtant toute la matrice du cinéma de De Palma, dont fait déjà partie l’assassinat de Kennedy. En effet, De Palma fut durablement marqué par ces deux évènements historiques majeurs, et probablement plus encore que les autres cinéastes de sa génération, et il n’eut de cesse que de déployer ensuite, tout au long de son œuvre, les thèmes de la paranoïa, des faux-semblants et du mensonge.

     

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    De Palma fut précurseur de ce mouvement que l’on va donc dénommer rétrospectivement le « Nouvel Hollywood », et d’autres réalisateurs vont lui emboîter le pas, en proposant des films totalement en dehors des moules et des canons en vigueur dans l’industrie du cinéma à cette époque. La guerre du Vietnam va aussi passer par là, avec son lot de traumatismes qui vont venir imprimer durablement l’inconscient de tout un pan de ces jeunes réalisateurs. En ce qui concerne les noms précités, leurs aspirations vont très vite se démarquer de celles de leurs coreligionnaires : Hal Ashby, Alan J. Pakula, Sydney Pollack, Milos Forman, Sydney Lumet, Jerry Schatzberg, Nicolas Roeg, William Friedkin, ou même celui qui fut considéré comme le fossoyeur de ce courant, Michael Cimino, avec son film « La Porte du Paradis » à l’aube des années 80.

    En 1972, De Palma réalise « Sœur de Sang » avec Margot Kidder, la future Lois Lane de « Superman ». Au-delà de ses velléités et de ses engagements vis-à-vis de la politique de son pays dans laquelle il ne se reconnaît pas, il lorgne alors vers un cinéma tout en référence, en emprunt et en hommage. Il va s’agir de variations sur des thèmes, des films et des réalisateurs qui ont créé des formes nouvelles, à commencer par Alfred Hitchcock, qu’il vénère par dessus tout, mais surtout Fritz Lang (sorte de matrice du cinéma à lui tout seul). Imaginez Bach et son apport à la musique, puis des tas de petits Mozart qui suivraient derrière…

    « Sœur de Sang » sera ainsi le premier film d’une longue liste d’œuvres, que l’on peut citer comme sa série « maniériste », auquel succèderont « Obsession », « Pulsions », « Blow Out », « Body Double », « L’esprit de Caïn » et plus récemment, « Passion » en 2012. Totalement obsédé par le cinéma du réalisateur de « Vertigo », il n’aura alors de cesse que de disséquer les films d’Hitchcock.

     

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    Pourtant moins cité dans ses listes d’influences et de chocs esthétiques, il y a également Dario Argento et ses films « Profondo Rosso », « Suspiria » et « Inferno », avec leur façon de destructurer un récit en mélangeant, comme dans un grand trip onirique, les références artistiques, la photographie et surtout le ressenti, l’ambiance. Alors que le réalisateur transalpin est contemporain de son homologue américain, il va durablement influencer ce dernier dans son processus de création de dispositifs. Brian De Palma ira même jusqu’à repomper allègrement certaines façons de filmer. On pense notamment au plan tourné à la Louma dans le film « Ténèbres » d’Argento et réutilisé pour l’ouverture de « Body Double » ; ce regard abstrait qui passe de fenêtre en fenêtre, afin d’espionner des filles dans un immeuble, sans que l’on puisse raisonnablement imaginer qu’un être humain normalement constitué puisse effectuer une telle prouesse physique…

     

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    Ce sont en effet à chaque fois des projets dans lesquels De Palma se triture le cerveau, en malaxant autant les références que les techniques narratives, les clins d’oeil appuyés à ses maîtres et l’énumération de tout ce qui a construit jusque-là le cinéma américain ; la figure de la femme fatale, blonde ou brune, les coups de théâtre et la manière d’ériger le décor comme personnage à part entière.

    On y trouve également le thème du voyeurisme évoqué dans « Fenêtre sur Cour » d’Alfred Hitchcock, qui va devenir une constante dans le cinéma de De Palma (« Body Double »). Ce que l’on voit ou ce que l’on croit avoir vu… Il va même pousser le concept jusqu’au bout, avec ce que l’on entend ou ce que l’on croit avoir entendu (« Blow Out », en référence au « Blow Up » d’Antonioni, où un photographe croyait voir un meurtre dans une photo prise dans un parc, tandis que dans le film de De Palma, John Travolta croit entendre dans une prise-son le cri de quelqu’un que l’on est en train de tuer).

    Si cette série de films a souvent énormément divisé ou prêté à sourire, c’est parce qu’au-delà des histoires que ces films racontent, sous forme de récits-prétextes, ils revisitent notre imaginaire fait de noirceur, de meurtre et de sexe. De la sexualité, il en est effectivement beaucoup question chez De Palma, aussi bien des références psychanalytiques freudiennes que des questionnements sur nos propres libidos, qui se voient projetés ainsi à l’écran, sans pudeur ni mode d’emploi.

    Ce que l’on aime chez Brian De Palma (ou pas, d’ailleurs…), c’est justement ce sadisme, cette sophistication dans la perversité avec lesquels le réalisateur joue constamment. Ce que Hitchcock laissait entendre dans tous ses films, avec lesquels il devait slalomer pour éviter que la censure ne lui tombe dessus à tout bout de champ, De Palma, en ces décennies 70 et 80, d’une liberté retrouvée et débarrassée (pour un temps) de la bigoterie et de la bien-pensance, peut pousser les curseurs plus loin encore que ne l’aurait fait ce vieil Alfred, à grand renfort de scènes frontales et sans ambages.

    Mais ce qu’apporte en plus le réalisateur de « Mission To Mars », c’est également cette mise en abyme ludique et méta qui donne l’impression d’un cinéma à plusieurs reflets et différents points de vue ; des films sur le cinéma comme autant de passionnantes relectures. A la manière de grands mixes décomplexés, ces œuvres créent finalement un nouveau genre en soi, au point qu’elles-mêmes deviennent pour la plupart des références, avant d’être juste de pures objets vaniteux.

     

    C’est ce qui rend aussi passionnants les films de Brian De Palma, même les plus mineurs, car le réalisateur va constamment questionner le cinéma et grossir le trait intentionnellement, parfois jusqu’au mauvais goût ou la vulgarité.

     

    Et puis il y a une filmographie plus « mainstream », avec des commandes de studio de facture imparable, qui rencontrent en général un large public, au point de devenir cultes pour certaines d’entre elles : « Les Incorruptibles », « Mission Impossible », « Scarface ». Ces films sont pourtant des réussites formelles indéniables, qui s’inscrivent dans leur époque. Brian De Palma est ce réalisateur protéiforme, aussi à l’aise dans le cinéma d’auteur et personnel que dans celui à forte portée commerciale.

    Car si Brian De Palma accepte ce genre de projets, c’est pour mieux mettre en œuvre ensuite des projets plus personnels et compliqués à monter. On pense bien-sûr et surtout à « Casualties of War », titré « Outrages » en France. A l’instar de « Platoon » d’Oliver Stone et « The Deer Hunter » de Michael CiminoVoyage au Bout de l’Enfer »), la guerre du Vietnam y est montrée de la manière la plus crue, la plus douloureuse, et évoque tout ce que la guerre provoque et engendre comme dommages collatéraux terribles.

     

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    Ça n’est d’ailleurs pas pour rien que ce film avec Sean Penn et Michael J. Fox est le préféré du réalisateur. Ici, pas d’effets de style, de figures cryptées ou d’hommage appuyé. C’est frontalement et sans faux-semblant que De Palma affronte ce cauchemar américain et le spectateur n’en ressort pas indemne. Si le film divise, scandalise ou émeut, il n’en reste pas moins une œuvre définitive sur le thème de la guerre et des traumas qu’elle engendre.

    En 2007, Brian De Palma récidive avec le genre du film de guerre en nous proposant « Redacted ». Il s’agit là d’un faux documentaire dont l’action se déroule cette fois durant la guerre en Irak, où l’on assiste de nouveau, impuissant, aux exactions auxquelles se livrent des soldats américains sur des civils, à savoir tortures, viols et meurtres. Là encore, De Palma ranime sa sensibilité très à gauche, qui n’est d’ailleurs pas du goût de tout le monde à Hollywood. Si le film est plébiscité en Europe, ça ne sera pas le cas aux Etats-Unis.

    Si nous devions choisir un autre chef d’œuvre dans la filmographie de De Palma, ce serait sans conteste « L’Impasse » (« Carlito’s Way »). Avec cette idée de l’inéluctable et de la destinée, cette tragédie déguisée en polar offre à Al Pacino probablement l’un de ses plus beaux rôles au cinéma. Sa trame, pourtant éculée, est assez proche de celle du magnifique film de Jean-Pierre Melville avec Lino Ventura, « Le Deuxième Souffle ».

    Un ancien truand, sorti de prison grâce à un avocat véreux (l’excellent et toxique à souhait Sean Penn), tente de reprendre une vie normale et honnête, avec comme projet de partir finir sa vie aux Bahamas avec sa petite amie. Mais « Carlito’s Way » est un opéra à la Puccini. On assiste à la chute inévitable et tragique de ce héros fatigué. Tout est parfait dans ce film, jusqu’au brillant et bouleversant final.

     

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    Et puis, forcément, il y a « Phantom of the Paradise ». Le chef d’œuvre absolu de Brian De Palma surgit à l’écran sans prévenir en 1974. Car voilà bien un film qui n’a jamais perdu de son étrangeté et de sa fulgurance. Reprenant des éléments des trames du « Fantôme de l’Opéra » de Gaston Leroux et de l’opéra en cinq actes de Gounod, « Faust », De Palma, après une expérience professionnelle traumatisante vécue sur le tournage d’un film pour la Warner, « Get to Know Your Rabbit », imagine une comédie musicale qui serait un mélange de film d’horreur et d’amour, et qui traite du thème de la dépossession de son œuvre.

    A une époque où tout était encore possible, l’imagination et la singularité avaient encore du poids, lorsqu’il s’agissait de monter un film qui ne devait ressembler à rien que l’on ait déjà vu ; précisément tout le contraire d’aujourd’hui, avec des films qui se suivent et qui se ressemble tous. Dans ce contexte, « Phantom of the Paradise » reste un objet fascinant, toujours aussi culte, que l’on regarde avec toujours autant d’émoi et de fascination.

     

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    Mais la filmographie du réalisateur de « Furie » comporte aussi de nombreux faux pas. « Femme Fatale », « Passion », « Mission to Mars », « L’Esprit de Caïn », « Domino : La Guerre Silencieuse », « Le Dahlia Noir » sont autant de projets, certes excitants sur le papier, et qui se sont tous avérés faibles, bancals, voire complètement ratés sur l’écran. A différents niveaux et pour diverses raisons, il est d’ailleurs étonnant de constater comment une production – car un film, c’est surtout un travail d’équipe et de longue haleine – peut dérailler et devenir un train incontrôlable qu’il faut, quoi qu’il arrive, mener à terme…

    Chez Brian De Palma, ses échecs artistiques sont paradoxalement assez spectaculaires et à l’image de leur auteur, pourtant souvent capable du meilleur. On pense ainsi à Steven Spielberg, pouvant accoucher de chefs d’œuvre absolus, mais aussi susciter l’étonnement avec des films ratés, voire catastrophiques (« Le Bon Gros Géant », « Indiana Jones et le Royaume du Crâne de Cristal », « 1941 », « Le Terminal », « Hook », « Amistad »). Car même les plus grands cinéastes comptent tous à leur passif de magnifiques ratages. Et cela leur confère en tout cas un supplément d’âme.

    Mais Brian De Palma a suffisamment contribué au bonheur cinéphilique de nombreux spectateurs pour ne pas se voir refuser la place qui lui revient, parmi les plus grands. Tour à tour singuliers, étranges, ratés, puissants et toujours passionnants, nombreux sont les films de ce réalisateur qui même aujourd’hui participent encore de notre envie, de notre appétit de cinéma…

     

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  • Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 17)

     

     

    PARTIE II

     « Les corps amoureux »

     

     

    CHAPITRE XII

    Panoplies

     

     

    Nous sommes à cette époque à l’aube de bouleversements technologiques majeurs, entre multimédias et réseaux sociaux. L’information est encore uniquement véhiculée par la presse, la radio et la télé. Les plus « branchés » arrivent à se démarquer en prenant une longueur d’avance, grâce à la possibilité qu’ils ont de beaucoup voyager. Ils peuvent ainsi rapporter de leurs escapades à Berlin, Londres ou New York, les dernières tendances sexuelles ou vestimentaires. Bien entendu, toutes ces dernières modes se répandent dans le milieu gay, telles autant de virus, même s’il y a encore pas mal de liberté, en terme d’aspect général comme de personnalité. Être gay dans les années 80-90, c’est avant tout une attitude très personnelle, mais c’est aussi rechercher ce qu’il y a de très profond en soi. Et contre toute attente, c’est avec l’émergence d’Internet qu’un nivellement va s’opérer et que les stéréotypes vont se fondre en deux-trois vignettes…

     

    Des styles

    C’est vrai qu’au-delà de cette rue, le quartier du Marais est dédié presque exclusivement aux gays « re-salut les garçons !». De jour comme de nuit, je peux y découvrir qu’il s’agit de toute une communauté qui évolue dans ces artères, ces bars et ces restaurants. Une sorte de réserve, de zoo, où vivent des mecs sous toutes les formes et des espèces inimaginables. En 1989, 90 ou 91, on peut croiser par exemple rue Vieille Du Temple :

     

    « La Follasse » (dite la Gourgandine « Saaalûûûût, ça vââââââ ! »)

    Une sorte d’éternel adolescent avec un visage d’ahuri, toujours souriant, pouvant s’extasier pour n’importe quoi à grand coup de « Wwhaaouuwww ». La nouvelle coupe de cheveux d’une copine (en fait, d’un copain mais la follasse conjugue tout au féminin). Son futal en peau d’agrume ou ses nouvelles Adidas numérotées, achetées lors d’un week-end à Londres.

    Les fringues chez ce Petit Prince follasse sont toujours assez moulantes, mettant en avant son corps filiforme. Sa démarche et sa gestuelle donnent l’impression qu’il est monté sur roulements à bille… Et puis, deux accessoires lui sont indispensables pour compléter la panoplie ; une paire de lunettes de soleil, été comme hiver, greffée dans les cheveux au-dessus des yeux et un sac bandoulière « DJ Bag ».

    De nos jours, j’ai noté que ce type-là existait toujours, même s’il a évolué avec la mode. Il arbore toujours cette silhouette de coton-tige, mais avec de nouvelles habitudes vestimentaires. Finis le blouson Bombers flashy et les coupes de cheveux façonnées à l’explosif. On le croise comme vendeur dans des grands magasins multi-marques. Il porte des petits costumes taille enfant ne pouvant être enfilés qu’à l’aide d’un chausse-pied. Ses chaussures finissent en pointe comme des babouches. Il ne sourit plus comme avant, mais affiche en permanence une moue de mépris façon podium, défilé, shooting, constipation aigüe. Dehors, il adore les petits trenchs bien ceinturés. Le sac bandoulière est devenu un sac à main qu’il porte comme le font ces jeune filles dès 12 ans, quand elles veulent jouer à la « madame ».

     

    « Le Porté-Main »

    Bras en équerre, main en l’air tenant un téléphone portable et le sac qui pendouille sous l’avant-bras. Il se déplace par petits pas rapides et énervés, la tête rentrée dans les épaules.

    Aujourd’hui d’ailleurs, le gay urbain aurait tendance à avoir subi une uniformisation. On peut même le confondre avec l’hétéro métrosexuel, tant dans les deux cas, c’est le même look Zara (Kooples, Zadig & Voltaire, pour les plus friqués) qui est de mise, avec ses chemises et ses costumes toujours près du corps. Et l’un comme l’autre fréquentent les salles de sport. On mange bio et on se tartine de crème au concombre, dans le seul but de tenter de ressembler le plus possible à ces mecs que l’on voit dans ces publicités de fringues ou de parfums.

    Le petit costume noir est à l’élégance masculine ce qu’est la fameuse petite robe noire, passage obligé de tous les dressings féminins. Du coup, homos comme hétéros adoptent tous ce genre de mimiques ridicules ; mélange de nonchalance et d’arrogance bon teint. Et puis il y a la barbe… Toujours faussement décoiffé, la cravate légèrement desserrée. Bref, des clones de Nicolas Bedos. Autant dire, l’horreur absolue.

     

    En ce début 90, on pouvait aussi croiser,

     

    « Le Branché Hyper-Tendance » (dit la « Fashion Victim »)

    Attitude : N’affiche que deux seules expressions faciales et ne sourit jamais. Paraît toujours blasé par la vie et regarde les autres êtres humains comme son propre reflet avec un mépris souverain. Avec lui, on est toujours en plein défilé permanent et on feuillette un Vogue Homme spécial collection holographique.

    De la paire de chaussettes Tabi Martin Margiella à cinquante euros (la chaussette) en passant par les sous-vêtements Burberry’s, le gay modeux arbore toutes les dernières tendances, couleurs, coupes et styles, estampillés de préférence par les plus en vue des dernières fashion-weeks.

    S’il n’est pas déjà vendeur dans une enseigne prestigieuse pour une marque de renom, journaliste de mode, ou qu’il n’exerce pas tout autre travail qui s’articule autour de ce milieu, en pouvant ainsi bénéficier de micro-prix lors des soldes de presse, afin d’acquérir toutes ces pièces qui en boutique coûtent un œil ou deux bras, il vaut mieux pour lui gagner très très bien sa vie…

    Le gay (hyper) tendance n’est pas toujours extraordinaire physiquement et n’affiche pas forcément un charisme prononcé. Il mise alors tout sur un arsenal vestimentaire qui se doit d’attirer l’œil plus que lui-même. Du coup, on ne sait pas s’il cherche à séduire ou effrayer, tant il finira par plus évoquer un épouvantail griffé qu’une personne normalement constituée.

    Il en arrive à un tel narcissisme exacerbé qu’il en oublie le reste du monde, la vie, les autres. Ses questionnements fondamentaux, ses réflexions, ne sortiront jamais du cadre de la rue du Faubourg Saint-Honoré.

     

    « Le Casual » (dit Mike, le bûcheron canadien)

    Attitude : il est Français mais il parle toujours avec une sorte d’accent indéfinissable (entre l’Anglais, l’Américain, l’Allemand et le Périgourdin) ou le syndrome de la pomme de terre chaude coincée dans la bouche.

    Il s’agit d’un faux décontracté, car tout chez lui est étudié. Le gros sourire « pep’s » en affiche format à l’italienne en permanence. L’aspect corporel est hyper soigné. Deux heures de musculation par jour minimum, la mâchoire est carrée et il vous balance sans arrêt des œillades complices.

    Il porte en toute circonstance des t-shirts (prononcez « tiiii-cheult ») blancs immaculés ou des chemises à gros carreaux, qui vont bien aussi ouvertes sur le tiii-cheult. Quand il sort en boîte, c’est invariablement torse nu, (« tôô-t’cheu-nou »), le jean 501 modèle Levi’s Strauss introuvable rapporté des States. Pour le jean, prononcez bien « blow-djînz ».

    Le gay très casual a pleins d’amis, qui se doivent d’être d’autres nationalités. Ils viennent toujours de New York (« Nouw Yyeeekk »), Los Angeles (« El’ÈÈY »), Miami (« Mayeemeï ») ou d’Australie, Sydney… (euh, Sydney, en fait…).

     

    « L’Associatif » (dit Kiki, le kiki de tous les kikis)

    Ses cheveux sont très courts, rasés ou en brosse. Certains arborent une houppette à la Tintin ou un balayage, une mèche teinte. Le Bombers, le Bandana, qui rappellent Jimmy Sommerville ou Marc Almond. Vu de très très loin, il pourrait presque se faire passer pour un hooligan skinhead. Il n’est pas vraiment violent, pourtant, malgré son allure de petit teigneux qui mange du Kiri, ou alors de Pikachu super en colère à la limite.

    Il est pourtant militant et passe sa vie à débattre d’inégalité, d’homophobie et de sida. Il est courageux, noble et idéaliste. C’est aussi grâce à des personnes comme lui, qui tiennent tête à des laboratoires lobbyistes ou à des gouvernements passifs, que des avancées sociétales majeures ont pu intervenir. Il ne faut donc pas l’oublier et lui rendre hommage tous les jours. Ce  romantique se sent pourtant perdu dans ce monde de brutes et de cyniques.

     

    « Le Moustachu » (dit « … quelque chose qui sans un pli, sans une tâche, j’emporte malgré vous et c’est… c’est ?… mon panache ». De tous temps et à toutes les époques)

    Attitude : Le port de la moustache en toute désinvolture.

    Le gay très moustachu connut son heure de gloire, surtout dans les années 70 et un peu dans les années 80. Il faudra attendre les années 2000, et un frémissement, un renouveau, avec le débarquement des Hipsters *, pour pousser plus loin le concept, avec des sculptures sur moustache ou encore des barbes ultra-sophistiquées. En tout cas, le gay très moustachu est une anomalie. Dans les sacro-saintes règles de l’esthétique gay, les poils sont en principe interdits.

    La grosse moustache à la Burt Reynolds, tellement en vogue dans ces années 70, était portée par tous ces coiffeurs en combinaison blanche et à rouflaquettes. C’était l’époque des permanentes, des torses velus et des grosses gourmettes qui faisaient « tchac-cling-tchac ».

    Aujourd’hui, les membres de la communauté « Bear », ces hommes un peu ventripotents aux cheveux courts, mais qui portent moustache et barbe, avec cette allure d’ours mal léché, restent les seuls à exhiber le poil comme un accessoire à part entière, ultime expression d’une revendication pour un monde plus doux, plus tendre et plus Winnie l’ourson…

     

    « Le Hipster * »

    Au début, une couverture de « Vogue Homme International », un défilé Margiela, un norvégien croisé à un brunch Quai de Valmy, puis dans un rêve, un lutin qui vous aborde dans une forêt Colette… PAF, boule de neige. C’est parti – HIPSTER – le mot est lancé… Soit cette mode qui consiste pour tous ces métrosexuels en mal d’égo à arborer une pilosité du menton pendante et savamment entretenue façon Landru, Jaurès, Hugo, Rodin, à savoir une mode capillaire datant donc de plus d’un siècle…

    Et comme toutes les modes, ça photocopie, ça se propage de manière exponentielle façon World War Z… Conchita Saucisse ne fait pas partie du mouvement.
 En tout cas, plus une rue, un bar, un WC, une mosquée (euh…), sans qu’on y croise un de ces mecs portant une barbe de quinze centimètres, avec souvent une allure générale qui serait le mix improbable entre Stromae et Sébastien Chabal.

     

    « Le S.M. » (dit : « Humm, ça fait mal ».)

    Attitude : « Tu veux goûter de ma Ranger dans ta gueule ?… même pas cap’ ! »

    Il s’agirait presque d’un cliché qui illustre d’ailleurs tout de suite les visions irrationnelles de tous les homophobes qui se respectent. L’accoutrement total cuir, avec casquette cloutée, bottes et cravache, tel que l’on pouvait immanquablement le voir dans des films avec Jean-Paul Belmondo ou Lino Ventura, qui venaient se frotter à leurs moustaches dans des bars louches : « alors commissaire, on vient casser du PD ?! »

    C’est encore une fois dans les années 70 et 80 que ces courants vestimentaires venus de Berlin, San Francisco ou New York, ont le vent en poupe. Aujourd’hui, c’est dans des quartiers bien spécifiques des grandes métropoles, avec des générations qui ont connu cette époque, que cette panoplie old-school s’invite encore.

    Le S.M. n’est pas forcément une pratique à la seule exclusivité gay. Tout ce qui se rattache à ces pratiques est œcuménique.

    Les pinces à linge, la cire chaude, le « Spanding » (se faire suspendre, attaché avec des cordes), le « Spanking » (se faire fesser à l’ancienne, manuellement, ou à l’aide d’ustensiles divers et variés, dont certains peuvent faire penser à une raquette de ping pong), les godes de taille mammouth, les « Plugs » (sorte de gode, en forme de sapin de Noël, mais sans boules ni guirlandes, quand même…), les accessoires en tous genres, les combinaisons en latex, les masques à gaz, la « Golden Shower » (on s’urine dessus allègrement, même dans la bouche aussi, si si)…

    Bon, qu’est-ce que j’ai encore comme petits trucs ludiques et croustillants… Ah oui, la « Trempette », une pratique vieille comme le monde qui consiste à aller placer dans les pissotières de son quartier du pain rassis, puis de venir tout récupérer le soir, une fois que la mie a bien macéré toute la journée. On rapporte ensuite tout ça à la maison et… « à taaaable !!! » ; comme une sorte de pain perdu, pour amateurs éclairés… Il y a bien-sûr tout ce qui tourne autour de la matière fécale, mais là, pas plus de détails à apporter ; merci parce que c’est rigolo mais c’est salaud. Mamie Nova ne leur dit pas merci.

     

    « La Désuète » (dit « La reine blanche, la reine blanche !!! »)

    Attitude : « Ah ça, Sylvie Vartan au Palais des Congrès, c’était quand même aut’ chose ! ».

    Michou, avec ses grandes lunettes fumées et ses costumes à paillettes éternellement bleus, en serait le plus bel hommage. Le verbe haut, les poignets cassés et une syntaxe tout au féminin. Ce sont ce que l’on appelait les folles dans les années 60 ou 70, les amoureux de ces ambiances colorées, nocturnes, carnavalesques, où tout n’était que jeu et ou rien n’avait d’importance.

    Cette représentation exacerbée d’un milieu ou d’un état d’esprit gay n’existe pour ainsi dire plus, ou alors dans quelques rares lieux où l’on peut encore trouver de ces vieilles folles nostalgiques d’un showbiz révolu, au sein duquel évoluaient les Jacques Chazot, Thierry Le Luron et évidemment le célèbre tenancier du cabaret de travestis de Pigalle, Chez Michou.

    Cela correspondait aussi probablement à une époque plus encline à la liberté de ton et à une certaine légèreté dans les comportements. On se prenait bien moins au sérieux et tous ces homosexuels savaient s’assumer en pouffant à la barbe de ceux qui s’en moquaient.

    C’est avec la pièce de Jean Poiret avec Michel Serrault, puis avec son adaptation au cinéma par Edouard Molinaro, que « La Cage aux Folles », outre le fait de rire gentiment de ces protagonistes hauts en couleur, fit accepter au grand public cet état de fait, cette liberté et cette fantaisie. Revoir aujourd’hui « La Cage aux Folles », c’est comme plonger dans un bain moussant. Cela nous montre également à quel point nous avons changé dans notre relation à l’autre, dans une société où chacun se prend tellement au sérieux et est si susceptible face aux mots dits ou écrits par des abrutis qui n’ont que la sottise comme moteur existentiel.

     

    Et puis il y a ce qu’on appelle les hybrides, des mélanges de tout ce qui a été inventorié précédemment, comme par exemple :

     

    « Le kiki de tous les kikis + l’intégrale des années tubes » = Cheveux ras, la barbichette, total jean, marcel en dessous. Fan de Sheila, Sylvie Vartan et de toute la variété française d’avant 1990. Lui, on le voyait surtout aux soirées Follivores du Bataclan, les samedis soir. On venait y célébrer les chanteuses de variétés, le tout remixé. Chantal Goya s’est vue à cette occasion devenir une nouvelle égérie gay et se retrouver à chanter « Pandi Panda » devant un parterre de gros messieurs barbus, torse nu, aux tétons percés.

    « Le casual + caillera attitude-rappeur-Booba » (pas la chanson de Chantal Goya) et ses clones (mais dilué avec beaucoup d’eau) = Cheveux ras, manières de caillera mais plus manière que caillera, les fringues et accessoires des jeunes ou habitants des banlieues, écoutant du rap même s’il ne comprend rien à ce qui est dit (râpe, râpe, râpe, râpez des carottes (le lapin Isidor).

    « Le casual + membre d’un boys band » = Body buildé, brushing, U.V, habits de poupée Big Jim ou de Ken, sourire figé au spray ultra-fixant, œil torve genre lotte. Piles non fournies.

    « Amanda Lear + Patrick Juvet » = Méfiez vous des blondes.

    « Hulk + la Chose des 4 Fantastiques + Hercule + Titi (pour la tête) + COURANT D’AIR » = Il passe 8j/7 et 25h/24 dans sa salle de sport, dans le but ultime de ressembler le plus possible à ce dont il a toujours rêvé : un truc. Tout sur son corps pouvant être musclé l’est depuis longtemps déjà. Actuellement, au moment où l’on se parle, il essaye ainsi de muscler ses cheveux, ses oreilles et ses ongles.

    « Gérard Lefort + Jean-Claude Brialy + Gérard Miller » = Monsieur-Je-Sais-Tout… A savoir celui qui, dans certains milieux, est contemplé, avec ce mélange de crainte et d’admiration. Il a réponse à tout et n’importe quoi. Et c’est avec une arrogance souveraine à la François Mitterrand qu’il étale son savoir, comme une pommade qui pique, sa suffisance et sa méchanceté. Très souvent de gauche, il se croit du côté du bien et c’est avec cette stature de magistrat qu’il peut en toute désinvolture dresser des réquisitoires sur tout ce qui se manifeste autour de lui. Il se croit encore au 18ème ou au 19ème siècle, dans ces salons où l’on discourait sur tout en essayant d’avoir toujours le dernier (bon) mot pour rabaisser les autres intervenants.

    Généralement, il porte des lunettes qui lui confèrent cette attitude de « tais-toi donc, tu as tort ! » et il a une voix qui monte très vite dans les aigus. Professionnellement, il est souvent journaliste (écrivain refoulé), dans l’enseignement (journaliste refoulé), éditeur (écrivain refoulé bis), écrivain (parce que quelques arrondissements parisiens le trouvent génial et qu’une micro-presse élitiste l’encense comme s’il s’agissait de la réincarnation de Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir réunis). On peut le croiser aussi dans des tas d’associations… ou bien alors, pire que tout, le plus frustré et le plus haineux de tous, il est juste libraire.

    « Jane Birkin + Chien battu + Éponge » = Gay gigolo qui monnaie son corps ou ce qu’il en reste. Il est adepte de drogues dures et possède la défroque, cette allure des personnages paumés au regard incandescent dans les films de Patrice Chéreau. Ce garçon est séropositif. Il arpente les rues et les bars à la recherche d’un mieux, d’un à peu près. C’est un héros baudelairien, un rejeton rimbaldien, qui finira de toute façon toujours mal ou au mieux dans le caniveau.

    « Playboy + Vogue Homme Hors-Série + Christophe Rocancourt + mentalité d’homme politique » = Parasite mondain, séduisant, magnétique, toujours habillé avec des vêtements différents et très couteux. On ne sait pas exactement ce qu’il fait dans la vie, où il habite et de quoi il vit. Quand il ouvre la bouche, il capte l’attention. Il est toujours souriant, avec un mot aimable pour celui qui le croise sur son chemin.

    A l’entendre, il est l’ami de toutes les stars. On le voit dans toutes les avant-premières, tous les vernissages et les fêtes à la mode. Ce mythomane peut être attaché de presse, l’agent de tel artiste ou encore le fils rentier d’un milliardaire connu. C’est un vampire, un nyctalope qui ne se montre qu’à la nuit tombée. Il est toxique et à fréquenter assidument, il ne vous attirera de toute façon que des ennuis.

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 11)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 12)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 13)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 14)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 15)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 16)

     

     

     

  • La nouvelle monographie de George Byrne, « Post Truth »

     

     

    Los Angeles, la ville où se fabriquent les rêves, est de nouveau mise à l’honneur dans un magnifique Technicolor, dans le cadre du lancement de la nouvelle monographie de George Byrne, « Post Truth », qui présente des photographies de paysages urbains de la mégapole californienne. A découvrir sans modération…

     

    Les images acidulées de « Post Truth » sont le fruit de cinq années de travail assidu de l’artiste australien George Byrne, qui s’est installé dans la Cité des Anges en 2014. « Ces cinq années marquent pour moi une période de création frénétique », déclare-t-il, « une période durant laquelle ma vie de tous les jours a complètement changé. Je suis passé de la condition de serveur dans des cafés ici à LA… à celle d’artiste à plein temps, avec deux ou trois expositions par an dans des galeries de différents pays. Les images du livre illustrent d’ailleurs cette évolution ».

    On peut ainsi considérer la série « Post Truth » comme une sorte de témoignage du photographe qui apprend à connaître son nouvel environnement. On le voit, au fil de ses pérégrinations urbaines, tomber amoureux d’une ville, de son architecture issue directement de la culture automobile du sud de la Californie, de sa lumière caractéristique, de sa flore emblématique et de ses façades blanchies par le soleil.

    Pour en savoir plus sur le processus créatif de l’artiste, il suffit d’admirer les clichés de George Byrne, qui évoluent de la capture brute de la ville à des compositions de rêve, aux couleurs pastel. Les textures, les surfaces et les paysages se mélangent pour composer des œuvres d’art abstrait, dans un style dont l’artiste né à Sydney est devenu l’un des ambassadeurs les connus et reconnus au monde.

    Ian Volner, auteur de la préface du livre, écrit ainsi : « Ce que Byrne parvient à induire est un état mental étrangement familier, une rencontre avec la ville, un frisson que seuls ceux qui ont eu l’occasion de passer un après-midi solitaire à Las Palmas ou dans la partie orientale de Chinatown, ou encore de remonter North Gower à cinq heures, sous l’obscurité croissante des collines, ont pu ressentir ».

    George Byrne a fréquenté le Sydney College of the Arts, puis beaucoup voyagé, avant de s’installer à Los Angeles en 2014 – où il vit et travaille désormais. Ses photographies à grande échelle dépeignent la beauté derrière l’ordinaire quotidien. L’artiste fait référence aux lignes épurées, à la netteté et à la clarté du modernisme, tout en évoquant également la photographie urbaine du mouvement New Topographics dans les années 70.

    Ces magnifiques photos sont à découvrir dans l’ouvrage « Post Truth » de George Byrne, sorti en octobre 2020.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

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    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] George Byrne Officiel

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] George Byrne Instagram

     

     

     

  • Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 16)

     

     

    PARTIE II

     « Les corps amoureux »

     

     

    CHAPITRE XI

     

    Underground

    Mais le Boy a aussi son pendant maléfique, le B.H., rue de l’Arbre Sec, à deux pas du BHV. Ici, on est vraiment dans la représentation homo « creepy », comme peuvent se l’imaginer les homophobes patentés qui régurgitent en même temps qu’ils fantasment sur les mœurs de cette libido convexe.

    La faune du lieu y est extrêmement hétérogène. Tous les styles, les genres, les nationalités, les couleurs de peau y sont représentés. On peut y croiser par exemple un mec habillé en Geronimo, un autre entièrement nu, simplement « vêtu » d’une vague paire de baskets aux pieds. J’y vois également un sosie de Frank Zappa, toujours en slip sous un long manteau, portant des santiags rouges et arborant un bien curieux maquillage cabalistique, autour des yeux et sur le front.

    Mais il existe encore plus extrême que ce lieu folklorique. J’ai testé une fois le « Transfert », qui se trouve derrière la rue Saint-Honoré. Un micro-bar où, à peine entré à l’intérieur, je me suis retrouvé presque nez à nez avec un homme à quatre pattes sur le comptoir en train de se faire gentiment mais sûrement… fister…

    Ce qui m’a fait fuir, ça n’est pas tant l’acte prodigué devant une foule silencieuse et extatique, mais plutôt que le principal intéressé m’a regardé dans les yeux et m’a souri. J’ai senti à cet instant précis ma colonne vertébrale se raidir, comme si je venais moi-même de me sentir pénétré par un manche à balai qui me dépliait les intestins.

    L’autre bar très fréquenté à cette époque par ce genre d’aficionados se trouve juste derrière Bastille, rue Keller, et s’appelle d’ailleurs sobrement « Le Keller ». Ce qui peut déjà mettre la puce à l’oreille, c’est de voir les clients du lieu rentrer ou sortir à n’importe quelle heure de la journée, arborant tenue de survêtement et crâne rasé. Ils ont tous avec eux un sac de sport, un peu comme celui de « Sport Billy ». J’imagine sans peine ce que ces petits bagages peuvent contenir.

    Mon allure générale et ma coupe de cheveux du moment ne correspondent pas tout à fait au dress code de l’endroit. Dans le sas de l’entrée, on doit d’abord passer entre deux molosses, qui vous dévisagent comme le font les ogres avec les petits enfants. Je peux alors lire sur un panneau où les tarifs sont inscrits, que le prix de l’entrée comprend également, si bien entendu on le souhaite, un rasage intégral du crâne. Effectivement, l’un des deux golgoths a dans la main une tondeuse.

    Et c’est précisément à cet instant que je réalise que le sol est vraiment moelleux, du fait de tous ces petits tas de cheveux fraîchement coupés. « Oups »… Je décline bien-sûr la proposition certes alléchante de la dernière coupe de cheveux du condamné : « non merci, mais j’essaie de les laisser pousser en ce moment… ». Et je pénètre dans cette antichambre des enfers.

    Je ne reste pas plus de deux minutes entre ces murs qui suintent la testostérone et le pipi. Je ressors aussi sec quand je sens une main se poser sur mon épaule et me retenir avant que je n’ai pu franchir la porte de sortie. En me retournant, je constate avec effroi qu’il s’agit d’un des trolls de tout à l’heure ; « Tu nous quittes déjà ? ». Je balbutie quelque chose du genre « je n’ai pas vu l’ami que je devais retrouver… ». Et au tour du big foot de me répondre : « mais tu peux te faire tout plein d’autres amis, tu sais ?! ».

    Et oui, je m’en doute bien… Peut-être pas des amis pour la vie, mais qui seraient sans doute plus intéressés par une exploration minutieuse de mon intestin grêle ou encore par la longueur de mes pieds et de mon gros orteil. « Mais non, en vous remerciant cependant ! ». En tout  cas, je suis très content d’avoir pu connaître, même fugacement, ces lieux pour messieurs très énervés. Merci, bravo à tous et spéciale dédicace à toute l’équipe !

    Je m’en tiendrai donc juste au B.H., qui restera pour moi le bon compromis entre le Boy et ces autres repaires de joyeux drilles. L’endroit est petit et sans climatisation. La chaleur qui y règne est suffocante. Un air lourd, épais et quasi palpable, où tout semble évoluer au ralenti, dans une sorte d’apesanteur. On pourrait presque voir des particules de sperme coagulé, tournoyant dans l’air en petits flocons et venant s’écraser mollement sur les joues des convives.

    Il faut jouer des coudes pour se frayer tant bien que mal un chemin jusqu’au bar. L’endroit comporte deux autres niveaux, qui se trouvent en sous-sol. Vous vous y rendez par des escaliers aux marches lumineuses, renvoyant une lumière étrange sur des silhouettes agglutinées tout le long de votre parcours. Et des regards gluants vous scrutent à votre passage.

    Au B.H., la programmation musicale est beaucoup moins pointue que celle du Boy. La faune qui vient y traîner ses guêtres (et sa bite) n’est pas là pour ça, de toute façon. Non, l’idée du B.H., c’est de se répandre, de se mélanger, de se malaxer. Il y flotte ce parfum d’interdit, cette âcreté dispensée comme de l’encens sacré. Une potentielle dangerosité.

    Un ou deux ans auparavant, le B.H. recevait d’ailleurs fréquemment la visite de ce psychopathe antillais qui défrayait la chronique à l’époque, Thierry Paulin. Ce brave garçon qui torturait, tuait et volait des vieilles dames seules, sous prétexte de les aider à monter leurs sacs de commissions jusque chez elles, et qui venait ici ensuite avec ses complices y dépenser son sinistre butin.

    On raconte en outre que cette joyeuse bande aimait aussi s’adonner à un jeu très particulier sur la piste de danse. Munis de lames de rasoirs, Paulin et ses amis donnaient discrètement de petits coups au hasard dans la foule compacte tout en dansant ou en faisant des allers et venues dans la boîte de nuit. Leurs victimes ne se rendaient pas compte tout de suite qu’elles saignaient…

    Heureusement pour moi, ces faits se sont déroulés juste avant que je ne fréquente l’endroit, qui bénéficiait désormais de cette sulfureuse publicité. Mais c’est aussi au B.H. que je découvre ce que l’on appelle la « backroom ».

     

    Leçon de chose n° 3…

    La backroom est un lieu de rencontre pensé et aménagé pour des gays un peu trop timides, qui n’osent pas faire le premier pas, ou simplement dire bonjour, avant de pouvoir directement baisser leur pantalon. Il est vrai que ce concept ne date pas d’hier. La timidité non plus, d’ailleurs. Ces mystérieuses pièces se trouvent, comme le signifie littéralement le mot « backroom », tout au fond des bars ou de certaines boîtes de nuit, mais aussi de saunas spécialisés.

    Inventé aux États-Unis à la fin des années 60, le concept s’exporte très vite en Europe. On le voit fleurir dès 1973 à Paris, dans certains établissements gays de la rue Saint-Anne, ces petits endroits exigus où des messieurs viennent s’adonner anonymement au sexe, sans préliminaire ni présentation ; « Bonjour, moi c’est Jean-Paul… Ta gueule et suce ! »

    Alors, toujours avec ce souci de ne pas apeurer toutes ces personnes souffrant de gros problèmes de communication, la backroom se doit d’être plongée dans l’obscurité. Les timides n’aiment pas se reconnaître entre eux. Et ce sont des gens extrêmement pudiques. La backroom peut s’appeler également « darkroom ». Aucun rapport cependant avec des seigneurs de Sith ou un quelconque côté obscur de la force qui sévirait en ces lieux.

    Faut-il évoquer ici les risques conséquents que prennent toutes ces personnes sensibles en s’aventurant dans ces nids à H.I.V. et autres petits virus rigolos ? Il faut dire que premièrement, dans le noir total, personne ne vous entendra crier et deuxièmement, il est assez difficile, quand on a en plus la bouche pleine, de demander à son partenaire, inconnu de surcroît, qui vient de surgir par derrière, s’il a bien enfilé un préservatif en latex ou en panse de brebis…

    Oui, ces lieux comportent en effet quelques risques qu’il serait hasardeux de minimiser. Quoi qu’il en soit, l’expérience semble être unique pour les participants, avec ce principe de la roulette russe qui vient pimenter encore un peu plus l’exercice… Il existe aussi des variantes, dans certains saunas, avec la possibilité de consommer du sexe sur place, anonymement et à toutes heures de la journée. Des rencontres éphémères, mais ici plus dans une ambiance claquettes, peignoir, vapeur et faïence.

    Plus tard, en ce début des années 2000, ouvriront « Le Dépôt », une backroom géante qui deviendra mythique dans toute l’Europe, et le « Lab-Oratory » à Berlin ; tous deux deviendront des institutions où l’on célèbre le sexe de manière industrielle, comme ultime exutoire, en attendant la fin du monde. Le mot d’ordre qui les régit pourrait être : « Après moi, le déluge »…

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 11)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 12)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 13)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 14)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 15)

     

     

     

  • Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 15)

     

     

    PARTIE II

     « Les corps amoureux »

     

     

    CHAPITRE IX

     

    « Je vais encore sortir ce soir ! »

    Le Boy est la référence absolue du moment, en ce tout début des années 90, un temple où les gays se rendent en nombre pour y vénérer le culte de la nuit. Je peux d’ailleurs les apercevoir par la fenêtre de mon studio de fonction, le club se trouvant dans le même immeuble que le restaurant où je travaille. Par l’une des fenêtres qui donnent donc rue Caumartin, j’assiste à ce défilé incessant qui, tous les soirs à partir de 23h30, me permet de comprendre et d’assimiler un peu mieux la culture gay.

    Parmi la foule qui se presse à l’entrée, on trouve évidemment ces petits mecs en jean et tee-shirt près du corps, avec les cheveux gominés, sorte de clones de James Dean. Mais pas seulement… Il y a également ceux que l’on appelle dans le milieu « les grandes dames », des sosies de Jean-Claude Brialy, portant blazer et foulard, avec cette démarche caractéristique, légèrement de côté. Mais c’est surtout l’explosion du phénomène des drag queens, ces créatures tout droit sorties d’un shaker géant, secoué en même temps par Andy Warhol et John Waters.

    Cette rue si convenue le jour, avec ses petites brasseries parisiennes, ses bars-tabac PMU et cette foule grise constituée essentiellement d’employés de bureau, reprend soudainement vie, comme ça, au moment du passage à l’heure magique, et toute cette faune chatoyante surgit de nulle part, comme si nous étions sur la Route de brique jaune…

     

    Leçon de chose n° 2…

    Transformer un petit bout de nuit en quelque chose d’exaltant, d’exclusif et de ludique, ça c’est le minimum syndical qu’un homo puisse revendiquer, à défaut de pouvoir transformer sa vie entière en ripaille absolue, orgie romaine, à toute heure de la journée. La fête, c’est ce besoin de voir toujours tout en oversize, avec de la couleur partout et des tas de liquides qui coulent à flot.

    Mais l’abondance, l’audace, ne peuvent être pensées et autorisées sans la présence de leur soeur jumelle, la séduction, comme le serait l’objet et son reflet, comme le fond brun ou le fumet de poisson pour une vraie sauce réussie. Mis à part le carnaval de Rio, la fête de la bière à Munich, Bayonne, Nîmes ou les goûters chez ma grand-mère, la bombance trouve son véritable sens par le passage obligé qu’est le club.

    La boîte de nuit, ou l’ultime lieu de représentation où vous venez exhiber votre nouveau t-shirt moulure, votre coupe de cheveux thermo-moulée sponsorisée par L’Oréal, vos muscles Mattel et votre visage à deux seules expressions faciales, « j’fais la gueule », « j’suis surpris ». Dans ce genre de lieux clos, Il faut juste savoir jouer carte sur table, en affichant en toute circonstance un physique irréprochable allié à une attitude combative.

    Car on ne vous entendra pas parler, encore moins penser, et malgré les rires et les « Houuu-Whaouuuw », seul votre aspect sera jugé. La démarche, les pas de danse, la manière dont vous buvez à la paille, et non au verre voire au goulot, le choix des boissons, les allers et venues aux toilettes et avec qui vous parlez ou ne parlez pas.

    Quelques petits conseils en passant, qui peuvent avoir leur importance, si vous voulez réussir une arrivée parfaite et très « Staaar » dans une boîte, un bar à la mode ou une soirée Happy Few…

    D’abord l’arrivée. Une entrée doit être parfaite pour que vous puissiez être remarqué par un maximum de quidam, qui ne devraient en toute logique plus vous lâcher du regard ensuite. Si vous trébuchez, loupez une marche ou glissez sur quelque chose, c’est fichu. Abandonnez tout de suite et rentrez chez vous. C’est fini.

    Sinon…

    Si plus de dix personnes se sont retournées sur votre passage, ou qu’elles donnent l’impression de parler de vous dans l’oreille du voisin, façon cour au Château de Versailles (syndrome Madame De Montespan), déjà, là, c’est bon signe.

    Vous vous sentirez alors envahi de super-pouvoirs. Votre démarche deviendra encore plus assurée, avec un contrôle total des hanches et des épaules, regard félin assorti d’œillades très brèves sur les côtés, joues creusées, Duckface… Ok, on y va… 3, 4… Je bloque… 1,2,3… Je bloque. J’ai oublié un truc là-bas, j’y vais… Poussez-vous… 5,6… Je bloque, regard intense au barman ou quelque part au loin, à un ami imaginaire qui vous fait signe. Ok, je repars dans l’autre sens, 2,3… Je bloque… Sourire… Pas trop… Je bloque. Mouvement des cheveux, inflexion de la tête, pas trop. Mordillage de la lèvre inférieure. C’est parfait.

    Vous imaginez à peu près que c’est toute la faune de ces lieux qui s’applique à s’exécuter de la sorte, dans une sorte d’Olivier Rousteing attitude généralisée, bien que ce dernier ne soit pas encore né à l’époque.

    Faire la fête quand on est gay, c’est un peu comme si vous vous saviez suivi en permanence par une équipe de tournage qui réaliserait un documentaire sur votre vie et ça, 24h/24. Beaucoup, beaucoup, mais alors beaucoup de travail…

     

     

    CHAPITRE X

     

    Tous les chemins mènent au Boy

    Le grand concept de cette discothèque est de transformer les nuits gay en de vastes fêtes populaires ouvertes à tous, en prenant comme modèle le célèbre club new yorkais, « The Paradise Garage ». Ce sanctuaire ouvre donc Rue Caumartin, juste sous l’Olympia.

    Et c’est une révolution, surtout pour tous les petits gars qui débarquent de leur province et qui découvrent un lieu où l’on programme un son jamais entendu jusqu’alors. C’est avec l’émergence de cette nouvelle musique, à l’aune de la techno, que beaucoup de gays vont trouver leur identité musicale. Une identité revendicatrice qui passe d’abord par des marqueurs vestimentaires, avec l’attitude et le mode de vie qui l’accompagnent.

    Bonjour le short cycliste avec la grande chemise blanche large portée par-dessus, ou le t-shirt à manche courte ultra-moulant qui rappelle celui de Laurent Fignon ; la casquette avec un gros Boy’z London en métal dessus avec des petites ailes, le DJ bag, les Oakleys et les grosses chaussures. Au revoir la sobriété et le bon goût. Le gay n’a plus peur et il s’affiche. Personnellement, je vais laisser tout cet attirail à mes autres homologues. Encore une fois, je préfère me chercher moi-même, avec mes propres codes. Toujours ce souci existentiel de ne jamais vouloir me conformer à un modèle établi.

    C’est donc au Boy que je découvre cette musique noire américaine faite de gospel, de soul et d’électronique, qui émerge des cendres du disco dès le début des années 80. Un phénix qui va ainsi prendre sous ses ailes tous les laissés pour compte du grand rêve américain, celui qui lavait surtout très blanc et de préférence hétérosexuel. A Paris comme à New York, toute une communauté queer, gay, trans et travesti, communie tous les soirs, à plus de mille personnes, les bras en l’air jusqu’à cinq ou six heures du matin.

    C’est aussi sur « Vogue » de Madonna, Frankie Knuckles, David Morales, The Masters At Work, Erick Morillo, Todd Terry et tant d’autres encore que tous les jours de l’année, de jeunes gens viennent transpirer toute l’eau de leur corps plutôt que simplement draguer, en option certes, mais toujours après la danse.

    Dans ces années sida qui ratissent large, les soirées gay ne vont plus être sordides, sombres et mélancoliques, mais lumineuses, pleines de paillettes et de musiques enivrantes. Et plutôt que de hanter les recoins des sanisettes de gare, les parkings ou les escaliers de la station du RER Auber, on aspire à la lumière de la piste et des cubes où des danseurs lambda viennent vivre leur minute de gloire, à grand renfort de chorégraphies synchronisées.

    A l’entrée, Sandrine la physio, impassible, encadrée de deux gorilles. Derrière les portes, ce grand escalier qui mène jusqu’à l’arène. Lorsqu’on le descend, il y a d’abord ce son sourd d’un morceau house, « Good Life » d’Inner City ou « Promised Land » de Joe Smooth, qui vous bourdonne dans les oreilles pour vous exploser à la figure dès le franchissement des portes insonorisées, en kyrielle de notes et de voix soul, comme du chocolat chaud avec des éclats de noisettes. Les basses vrombissent dans vos oreilles et chatouillent vos tympans.

    Dans ce temple païen, refuge de tous les orphelins des années 80, cette décennie qui n’a pas été tendre avec les homosexuels, on assiste à l’apparition des fameuses drag queens parisiennes, un phénomène pourtant né outre-atlantique, à New York, plus de dix ans auparavant, et qui explose seulement maintenant en France. Tous les jeudis soir, place aux Incroyables, dans une débauche de créatures insensées, qui dansent au-dessus de la foule en transe, sur des cubes ou dans des cages. Visions baroques et oniriques qui matérialisent ce dont rêvent tous ceux qui viennent ici.

    Mais en 1992, le couperet tombe. Une fermeture administrative viendra clore cette parenthèse enchantée qui commençait à faire grincer pas mal de dents, d’abord celles des riverains qui se plaignent de voir défiler tous les soirs sous leurs fenêtres cette faune bigarrée et transgressive. Il sera question d’une sombre histoire de viol, puis de trafic de drogue, ce qui condamne définitivement cette arche de Noé 2.0 à fermer ses portes.

    Un temps, les aficionados vont se rabattre sur des pis-aller, comme « Le Scorpion » spécialisé dans la techno, « Le Rex Club », « Le Haute-Tension », « La Luna » et « Le B.H », deux clubs également très prisés par une clientèle plus spécifique, pour ne pas dire hardcore.

    Fort de sa réputation qui l’accompagne désormais comme un halo, le Boy rouvre ses portes sur les Champs Elysées un an plus tard et redevient forcément la référence absolue… Mais aussi une marque de fabrique dont on parle en province et dans le monde entier. Voici le nouveau royaume de la nuit où tout le monde veut se rendre. Désormais, agenouillez-vous devant Le Queen…

    Mais difficile de reproduire deux fois les mêmes tours de magie, quand on sait justement qu’il n’y a pas de trucs et qu’il s’agit de magie pure. Ce qui s’est passé au Boy était de l’ordre de l’impensable, du miracle et avec le Queen, c’est une nouvelle époque qui commence.

    Sa majesté va devoir désormais rivaliser avec d’autres lieux qui espèrent récupérer un peu du gâteau et attirer cette clientèle toujours plus nombreuse qui, en ces temps d’avant téléphone portable, internet et attentats, ne pense qu’à une chose : sortir, toujours sortir, encore sortir. A commencer par « L’Enfer », d’abord derrière les Champs Elysées, non loin du Queen, puis au pied de la Tour Montparnasse, surtout réputé pour ses « afters ».

    Le Queen sera plus grand, plus mainstream aussi, accueillant une clientèle toujours plus diluée (tous ces hétéros en goguette qui viendront pour frôler du pédé comme on va au zoo). Des soirées à thème, mais qui deviennent vite des parodies, des caricatures, comme ces dimanches soir appelés « le jour des coiffeuses », animés par la transexuelle Gallia, qui débite des conneries au micro pour faire rire un public blasé et déjà triste. Les soirées OverKitch.

    Dans le courant des années 90, la musique devient techno, ambiant, electro, deep et s’exporte partout, dans tous les clubs de France et de Navarre. « Le Queen » n’a donc plus l’exclusivité de ce son et va hélas durant les années qui vont suivre peu à peu s’essouffler.

    … Mais je me souviens de cette époque bénie où tout passait par le prisme de la boîte de nuit. Instantané de vie, de la vie d’un petit pédé lambda comme on pouvait en croiser des tonnes à cette époque, avec ses préoccupations, ses doutes, ses souhaits.

    Il danse seul, les jambes immobiles, avec juste le bassin en mouvement, ainsi que les bras et les mains qui fendent l’air en gestes syncopés. Son visage est figé et hautain. Il aperçoit quelqu’un à l’autre bout de la piste qu’il reconnaît et lui adresse de grands signes. Il s’en rapproche : « Rebeccaaaa, saloooope, beeeen aloooors, t’es pas avec ton mariiiii ?… Ah, c’est fini ? Ah, vous aurez quand même tenu deux jours entiers, un record, non ?

    Tu m’diras, j’voulais pas t’en parler avant, mais moi, j’l’vais vu avant avec un autre… Euh, avec pleins d’autres, en fait… Oui au BH… Et ils se la donnaient, hein, de vraies garces. Ils se la donnaient à fond, à fond j’te dis… Des pauv’ filles !!

    [silence]

    Au fait, t’as pas vu La Ludo ? Bon… On s’voit plus tard, ok… Tchaow tchaowww. »

    Le garçon danse de nouveau un moment seul, en se contemplant dans la glace tout en singeant la chorégraphie qu’adopte Madonna pour sa chanson « Vogue ». Il aperçoit le fameux Ludo. Il se fraye un chemin jusqu’à lui : « Ludooooo, salooooope, mais comment ça va chéri, ça va, ça va bieeeen, suuuuupeeeeer, oueeeeh, géniaaaaal… Dis donc mais qu’est-ce que je suis content de te voir, alors !!!! Oh la la, c’est bien simple, on s’voit plus ! »

    A ce moment là, le garçon remarque quelqu’un d’autre dans l’assistance qui lui semble plus intéressant : « Ooh Lud’, attends, faut que je vois un mec, hyper important là, ouais ouais, j’t’expliquerai… tu bouges pas, hein… Ah, au fait, t’as pas vu La Pascal… Non ? Ok ok bon tchaow-tchaoow… »

    « Caroooool, salooooope, mais t’es superbe ce soir, dis donc, t’es très chatte ! Ah, mais c’est l’ensemble Gaultier dont tu m’avais parlé, que le vendeur de la boutique t’a revendu ?! Gé-nial ! Mais dis donc, fais voir là… T’es tout surdimensionné… D’la muscuuu ? Salope, j’men doutais, j’m’en doutais. Petite cachotière. Tu vas où ? Ah moi aussi, mais on s’est jamais croisé. Le matin ? Ah non, moi le matin, je dors, je doooors. Non, moi c’est l’aprèm et puis l’aprèm, y a plus de monde et çà drague à fond, à fond, j’te dis.

    Tiens tu t’souviens de mon Polonais, ben c’était là ! Siiiii ! Hein ? Ah non, c’est fini depuis. Oh ben, si tu sais, belle gueule, corps de rêve, mais alors il comprenait rien à ce que je lui disais, et puis au lit, oh la la la, rien, niet, néant, queue d’biche. T’enlevais le slip, queue d’biche, un radis nain…

    … Sinon, ça va toi ?

    [silence]

    … Au fait, t’as pas vu Machin ? Ben Machin là, Machin… Non ?… Bon. Okette, bon ben à d’t’a l’heure, alors… Tcha-tchaooow !! »

    Il se remet à danser juste à côté du garçon prénommé Rebecca : « hep, hep’s, tu sais qui je viens de voir ? Non ? Non ?… la Caroooool, cette travlot’… Quelle gouinasse, celle-là !! Non mais t’imagines un peu, elle ose encore se montrer après le coup qu’elle t’a fait avec Baolé le Camerounais… Pour qui elle se prend, celle là, à jouer les grandes dames, en plus. Ouiii, j’suis une staar, c’est moi la staaar. J’veux qu’on m’prenne pour une star. J’suis en Gaultier, nin nin nin… Quelle pauv’ fille, une vraie pauvresse qu’achète ses fringues en occase, en plus… Ahahaha ! Je te le jure. »

    [silence]

    « Attends deux secondes j’r’viens… hep’s Caroll, Pssss… T’as vu qui c’est qu’est làààà, j’te l’donne en mille… La Rebecca !! Non mais t’imagines un peu. Elle t’a toujours pas rendu ton fuseau vinyle fuchsia Versace et elle ose en plus le mettre ce soir encore pour te narguer j’suis sûr, j’suis sûrrrrr !!!! Sous ton nez. Mais pour qui elle se prend, cette souillon ?! Non mais tu sais ce qu’elle mériterait, tu sais quoi ? des connasses pareilles, moi j’dis, un croche-pied dans les escaliers devant tout le monde. Aah, elle fera moins la fière, la Rebecca… Tu vois, t’essayes… Je te dirai le bon moment après la distribution des sucettes… Ahahaha ! C’est vrai qu’on est des mauvaises, des fois, mais bon… Allez, à toute… »

    En reculant , il percute quelqu’un : « Pascaaaaaal, garce, beeeen aloooors, on te voyait pluuuus ? t’étais passé où ? Ouaaahh, mais dis donc toi, t’as hyper maigri, c’est génial ça, on te voit bien la mâchoire et tout… Peut-être les yeux qui sont un peu trop rentrés dans leurs orbites… Hein ? En tout cas, tu dois être hyper contente… Non ? Le ? Sida ? Ah… oui… euh… bon… Oups, oui, excuse, là, parce que je te laisse, t’entends, ils viennent de passer une annonce au micro, une voiture qui gêne sur le parking, c’est la mienne… Sisi… pas de parking ? Ah oui aussi… C’est bête ce qui t’arrive… Ah regarde derrière, c’est pas Rock Hudson ? »

    Le garçon s’éclipse et disparaît dans la foule.

    « Hep’s Caroool, tu sais qui je viens de vo… Bêêê qu’est ce que tu mates comme ça ? »

    Le garçon relève ses lunettes de soleil Oakley sur son front et regarde dans la même direction que son ami Carol. La musique semble alors s’arrêter net. Il n’y a désormais plus qu’un grondement qui se révèle être un battement de cœur qui cogne de plus en plus fort.

    « C’est, c’est qui, celui-là ? Je l’ai jamais vu auparavant… Ni ici, ni à la salle de gym, ni au sauna, ni au jardin des Tuileries, nulle part… Tu crois qu’il est homo ? Comme il est beau. T’as vu, il a l’air seul dans son coin… Seul et beau. T’as vu ses yeux ? Bleu ? Non vert plutôt, un peu gris… Et ces lèvres, c’est quoi, cette bouche… On dirait Marlon Brando avant ses injections d’Haagen Dazs… Et son corps, vise ce corps, pas un pet de graisse. Que du muscle extra-fin, sec, comme des haricots verts. Oooh, le jean, regarde le jean, prêt à exploser. Putiiiine, c’est pas possible, la vache, il s’est fait greffer un mollet ou quoi, c’est pas possible, il doit être monté comme un mammouth… »

    « Non mais attends, on dirait… On dirait qu’il regarde par ici ! Mais oui, oui, je suis dans sa ligne de mire. Il regarde – moi – j’veux dire que c’est moi, là, qu’il regarde. Je pourrais peut-être aller le voir, lui parler, on sait jamais… On passerait un petit moment ensemble… Juste discuter, comme ça, des trucs simples. Meeeerde, il bouge, on dirait qu’il s’en va, là. Il vient d’enfiler un truc. Il était avec quelqu’un, j’sais plus, j’ai pas vu. Tu vois toi, tu… Il part, il part, je le vois plus… il a disparu. Il, il est parti… C’est fini. »

    Le battement de cœur s’estompe. Il y a juste le silence et un petit cercle de lumière qui entoure le garçon, sans plus personne d’autre autour de lui.

    « J’ai peut-être aperçu le grand amour, comme ça, à quelques mètres, quelques instants à peine… D’un grand amour ou une bouffée de bonheur simple… Et puis pschiiiit, c’est reparti… plus rien… J’me sens tout drôle, tout seul, petit, minable… J’pense à ma vie, à tout ça… Rien, niet, néant, zéro… Queue d’biche. »

     

     

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    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 11)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 12)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 13)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 14)

     

     

     

  • Jimi Hendrix : born under a bad sign…

     

     

    Difficile de se rendre compte aujourd’hui du choc provoqué par « Are You Experienced » à sa sortie en 1967, alors que le monde découvre, ébloui, un jeune guitariste américain hallucinant, incandescent, qui manie sa guitare électrique comme un flambeau, un encensoir, une femme dont il serait fou amoureux, voire une arme létale… Et de surcroît, Jimi Hendrix chante comme s’il était l’incarnation même du blues.

     

    Trente-deux ans après que Robert Johnson ne soit passé de vie à trépas en écrivant sa légende, le 18 septembre 1970, à 27 ans, Jimi Hendrix, fauché en pleine gloire après une carrière aussi courte que fulgurante, rejoignait le maître au panthéon des icônes du blues. Ses prestations subversives à Monterey en juin 1967 ou Woodstock en 1969, sa façon révolutionnaire de placer la guitare au centre de tout, son enfance douloureuse, ses déboires avec de multiples groupes et les critiques acerbes de leurs performances, tout a participé à élever le prodige au rang de mythe. Si son destin tragique a renforcé l’influence de cette comète du rock ’n’ roll, Jimi Hendrix a fondamentalement changé les codes du genre, influençant durablement les groupes qui lui ont succédé en marquant à jamais les esprits.

     

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    « La nuit où je suis né, Seigneur, je le jure, la lune était rouge feu. » (Voodoo Child)

     

    Il aura suffi d’une guitare acoustique à cinq dollars, achetée par son père dans les années 1950, pour que s’écrive l’une des plus grandes légendes musicales du siècle dernier. Alors que le rock’n’roll fait ses débuts, Jimi Hendrix s’entraîne à répéter les morceaux des grands maîtres qui formeront son style inimitable, mélange de blues, de rock et de psychédélisme.

    Après quelques années passées aux côtés de Little Richard ou de Wilson Pickett, au cours desquelles il fait l’apprentissage de la scène, il est repéré en 1966 par la petite amie de Keith Richards, à Greenwich Village. Elle lui présente Chas Chandler, musicien du groupe The Animals, qui cherche à se lancer dans la production. C’est sous sa houlette, au sein du Londres insomniaque des Swinging Sixties, que Jimi Hendrix forme son groupe, The Jimi Hendrix Experience, et s’envole vers le succès.

     

    « Un dieu de la guitare, Puissant, sexuel, génial. »

     

    Les amis de Jimi Hendrix, interrogés dans le documentaire « Jimi Hendrix : l’indétrônable » diffusé depuis le 11 septembre 2020 sur Arte, ne tarissent pas d’éloges sur l’icône du blues rock psychédélique. Fauché à 27 ans, le 18 septembre 1970, au sommet de sa gloire, le musicien a marqué de son génie plusieurs générations d’artistes qui voient en lui le plus grand guitariste de l’histoire du rock. Que dire, par exemple, de sa réinterprétation hallucinée de l’hymne américain à Woodstock ? Avec ses nombreux témoignages (dont celui de Paul McCartney) et ses archives inédites de concerts mythiques de Hendrix, ce documentaire magistral brosse un portrait électrisant du musicien.

    Symbole d’une génération traversant de profonds changements sociaux, « Are You Experienced », premier album du trio The Jimi Hendrix Experience, fait sa propre révolution dans le rock. Tel un best of, les classiques s’enchaînent et révèlent également Mitch Mitchell et Noel Redding, une section rythmique à la sensibilité jazz rock qui sert la virtuosité du guitar hero. La puissance de « Purple Haze » ou « Manic Depression », le lyrisme de « Hey Joe » et « The Wind Cries Mary », l’ardeur de « Fire » ou encore « Foxy Lady » : la guitare rock ne sera plus jamais la même après.

     

    « Hendrix joue le Blues du Delta, mais ce Delta-là, se trouve sur Mars… » (Rolling Stone Magazine)

     

    Lancé à peine cinq mois après la bombe « Are You Experienced », l’audacieux second album du trio, « Axis: Bold as Love », témoigne de l’évolution fulgurante de l’exceptionnel guitariste. Il confirme le talent d’auteur-compositeur-interprète du génie du rock, plus axé sur des chansons que sur la virtuosité, avec des ballades blues rock cultes comme « Little Wing », « Bold As Love », « If 6 Was 9 » ou « Castles Made of Sand ». Flirtant avec le funk sur « Up from the Skies » ou « Wait Until Tomorrow », le trio rappelle que son alchimie repose aussi sur le basse-batterie exceptionnel de Noel Redding et Mitch Mitchell.

    Sur son troisième et dernier album studio, « Electric Ladyland », Jimi Hendrix approfondit les possibilités et techniques novatrices des studios d’enregistrement. Rencontrant psychédélisme, rock et blues, ces explorations incarnent la quintessence du trio. Tout est surprenant et fondamental avec « Electric Ladyland », y compris ses invités, dont Steve Winwood de Traffic à l’orgue et Jack Casady de Jefferson Airplane à la basse. Alors que les prémices du hard rock apparaissent sur « Crosstown Traffic », « Voodoo Chile » et « Voodoo Child (Slight Return) » établissent un pont entre blues et heavy rock. La reprise de Bob Dylan « All Along the Watchtower » deviendra un hymne à l’image du guitariste, immortel…

     

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  • Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 14)

     

     

    PARTIE II

     « Les corps amoureux »

     

     

    CHAPITRE VIII

    Clichés

     

    Le Sida 

    Certains y voyaient une invention de la CIA pour mieux en découdre avec les gays indexés courant 70, comme si, d’un seul coup, il s’agissait d’une lèpre qui risquait de mettre en péril l’équilibre démographique mondial… Toutes ces personnes qui peuvent, avec leur conception personnelle de la sexualité et de la liberté de pensée, mettre à mal un modèle éducatif, libéral et judéo-chrétien, difficilement conquis au forceps au fil de mille ans d’histoire. Ou bien encore le Sida serait venu d’Afrique et plus précisément du singe vert… Mmmm…

    Quoi qu’il en soit, ce syndrome d’immunodéficience acquise a tout d’abord défouraillé à tout va dans la communauté gay, qui, il faut bien l’admettre, n’était pas des plus rigoureuses avec le préservatif, puisque ce dernier était conçu à l’origine uniquement comme moyen contraceptif. Les choses vont alors quelque peu se compliquer, lorsque le sida commencera à irriter aussi les hétéros, qui ne se protégeaient guère davantage et qui pratiquaient l’abattage, comme leurs homologues gays.

    Le sida est bel et bien une saloperie œcuménique…

     

    Village People

    Groupe américain, mais créé de toutes pièces par deux producteurs français à la fin des années 70. Ils souhaitaient ainsi surfer sur la vague disco en s’inspirant d’une imagerie très Tom of Finland (illustrateur qui détourna toute l’iconographie masculine triomphante, du cowboy au motard, en passant par le flic, le gars de chantier avec son casque jaune, etc… pour l’amener dans l’univers gay).

    On découvrait alors les débuts du marketing gay. Si ce groupe en plastique a servi de la soupe jusque tard, dans le courant des 80’s, on doit lui reconnaître cependant une acceptation dans l’inconscient collectif étriqué, qui jusque-là imaginait les homosexuels blonds avec des mèches, coiffeurs de profession et se dandinant comme des canards en rut.

     

    Nin-Nin-Nin

    C’est une onomatopée que certain gays utilisent à profusion pour colmater une petite flemme sémantique et qui permet ainsi de faire tenir une explication à peu près debout. A noter que certains prononcent aussi « na-na-na ». Ce néologisme qui fait office de joker dans un dialogue, lorsqu’on tente une explication laborieuse et que le vocabulaire ou même la grammaire ne parviennent plus jusqu’à la langue, sans doute à cause de synapses engorgées d’eau, pourra donc se placer n’importe où, où l’on veut, sans limite et sans restriction.

    Exemple : « Ouais et donc le mec me dit comme ça, ouiii, nin-nin-nin, de toute façon, c’est comme ça et pas autrement… alors moi, j’lui ai répondu direct, j’men fous, nin-nin-nin »… Bon, en gros, c’est à l’interlocuteur de combler les manques. Cela permet également de créer des récits très ouverts sur les tenants et les aboutissants. Ce « nin-nin-nin » sera plus tard récupéré par des générations de personnes dites « kaïra » qui l’utiliseront exactement comme leur homologues gays, en appuyant cette fois-ci plus sur le dernier « nin » Prononcez donc « nin-nin-nin »

     

    Travesti

    Petit rappel laborieux mais nécessaire, un homosexuel aime sexuellement d’autres hommes, justement parce que ce sont des hommes et non des femmes… Il souhaite donc que les autres hommes soient attirés par lui parce que c’est un homme et pas une femme. Vous me suivez ? Par conséquent, cet homosexuel ne se maquille pas, ne porte pas de robe ni de jupe (même si, dans ce cas précis, les jupes pour homme, cela peut être extrêmement viril et sexy).

    Se travestir n’est donc pas une singularité propre aux gays. Ceux qui le pratiquent, pour diverses raisons, peuvent travailler chez Michou, se prostituer au Bois de Boulogne, être transsexuel, fétichiste, hétérosexuel, adorer simplement porter des habits de femmes, chaussures et maquillage, ou encore des drag-queens pour des shows. La liste est longue et varie en fonction de chaque individu, car la sexualité change en fonction de chacun et le travestissement est donc un genre en soi.

     

    Le Fist-Fucking

    L’action d’introduire sa main, son poing plus exactement dans le rectum de son partenaire, n’est pas en soi une pratique exclusivement réservée aux homosexuels hommes. Il est d’ailleurs à noter que ce n’est pas non plus une pratique réservée à ce seul orifice, puisque les hétérosexuels peuvent eux aussi s’en donner à coeur joie, avec le poing, le bras, voire même leur corps entier, dans le vagin de la partenaire…

    P.S. : toujours prévoir quand même le pot de lubrifiant taille familiale et la truelle qui va avec…

     

    Coming Out

    Certains auront besoin de le dire, d’autres en seront dans l’impossibilité, en fonction du milieu, des origines ou de l’entourage de la famille (l’annoncer à des parents tchétchènes, par exemple, ça n’est pas forcément tip-top…). Pourtant, faire son coming out est sans doute la meilleure façon de s’affranchir et d’être libre de penser et d’agir par soi-même, de s’accepter et d’avancer.

    Pour ce qui est du coming out « People » et de ces personnalités médiatiques et politiques qui annoncent leur homosexualité pour des raisons diverses et variées, qu’elles soient financières, stratégiques, personnelles ou autres, revêt une bien différente franchise. Il s’agira d’un positionnement non pas idéologique mais calculé et mûrement réfléchi.

    Quoi qu’il en soit, cette information divulguée, comme s’il s’agissait d’un secret de l’univers enfin révélé, s’apparente très souvent à l’effet d’un pet dans l’eau. Oui, on peut y trouver un aspect positif quand il s’agit d’un rappeur, d’un footballeur ou plus généralement de tout ce qui se pare d’une image hyper-sexuée et virile, mais dans l’absolu on se rend compte que cela ne contente que les gays eux-mêmes et quelques commères avides d’infos croustillantes, dans l’unique but d’agrémenter leurs dîners en ville.

     

    Sado-Masochisme

    Cette image du mec barbu, crâne rasé, piercings au bout des tétons, Prince Albert au prépuce, habillé en cuir, latex – oui, c’est vrai, ça existe – et des bars leur sont même  réservés… Mais comme pour le fist fucking évoqué précédemment, cette pratique de soumission ou de domination n’est pas une exclusivité gay, et serait surtout très prisée chez les hétéros sexuels. Tous ces couples en mal d’affection ou d’effraction s’adonnent à ces délices sévères depuis longtemps, dans le cadre de jeux de représentation et de rôle fort sophistiqués. Relisez cet excellent livre de Pauline Réage « Histoire d’O » pour vous en convaincre.

     

    Mode dite « Pédé » 

    Ce sont tous ces vêtements taille Small, dits « Slim », T-shirts col V, petites vestes courtes étriquées, chaussures à bouts plats et pointus, que vont bientôt porter certains gays dans le courant de ces années 90, puis au début des années 2000… Oh sortilège !! Mais que s’est-il passé ? Voilà que cette mode a déteint, pour se répandre dans tous les dressings masculins, peut-être sous l’impulsion des fiancées de ces hétéros (hété-rotes) qui souhaitent voir leurs chéris habillés plus tendance… Sauf que presque vingt ans plus tard, tous les Zara, H&M ou autres marques plus prestigieuses, Sandro, Zadig & Voltaire ou The Kooples, serviront encore et toujours ce même genre de coupes et de soupes à des individus manquant cruellement de personnalité. « You’re not gorgeous, sweety darling ! »

     

    Marais Poitevin, 3ème Arrondissement de Paris

    Ses barques, ses crêperies, ses peintres et ses pêcheurs alignés le long des affluents de la Venise verte, mouchetant de couleur eau pastel leurs toiles, réceptacles de légendes du Poitou-Charentes, ou essayant parmi les nénuphars d’attraper ses grenouilles, ses anguilles, ses poissons d’argent… Oui, terre de contraste… Le Marais Poitevin.

    Ses bars et restaurants arborant le drapeau aux couleurs de l’arc-en-ciel, mais qui ne survivront pas longtemps à la gentrification des idées et du politiquement correct… Tout sera balayé et remplacé par des boutiques branchées de design d’intérieur, de parfumeries de luxe, de fringues hors de prix, d’accessoires, de trucs et de machins kro jolis, avec tous ces riverains affichant la même expression faciale et déambulant benoîtement les dimanches, avec poussettes et cartes de crédit en mode apoplectique… Réceptacle de contentement mortifère et de lieu commun où tout se ressemble, s’entasse et s’annule… Oui le Marais, l’autre. Ce village tel que nous le connaissions encore durant cette décennie et qui s’évanouira courant des années 2000.

     

    Foulard à la poche arrière de son blue Djiiinz (Hanky Code)

    Longtemps, des gays utilisèrent cet accessoire pour communiquer de manière cryptée avec leurs autres homologues, en toute discrétion, aussi bien dans les lieux prévus pour des rencontres spécifiques comme partout ailleurs. Le foulard qui se portait ainsi dépassant de la poche arrière du jean devait exprimer, en fonction de sa couleur, une demande bien particulière.

    Il s’agissait en l’espèce toujours d’un bandana en coton. Qu’il soit placé à gauche ou à droite du pantalon, et cela renvoyait à une information supplémentaire. Sachant qu’il pouvait y avoir jusqu’à 32 couleurs différentes et qu’il fallait aussi tenir compte de quel côté était porté le colifichet, il valait mieux se balader également avec son petit tableau des références colorimétriques, par mesure de sécurité. Au point que le morse, en comparaison, c’était de la petite bière…

    Exemple : rouge pour les actifs, rose pour les passifs, vert pour un plan à plusieurs, noir pour les tendances SM, jaune pour les urophiles ou les mangeurs de spaghetti, bleu pour les fans de dauphins, gris pour le bondage, lavande pour les drag-queens, etc… Carré Hermès autour du cou, philatélie et pipe à l’eau chaude, autant de combinaisons comme autant de petits coquinous…

     

    Quota Pédé

    Eh bien oui, rien de tel qu’un dîner, une soirée, une fête, un mariage, un baptême ou une Bar Mitzvah réussis, si vous avez aussi invité un gay « très sympa » ! Si vous ne l’avez pas encore comme ami proche ou lointain, sachez qu’il vous faut im-pé-ra-ti-ve-ment votre gay de service… « Alors Anne-So, je te présente Paul, il est gay… mais a-do-rable ! »… ou encore « Bonjour, je suis Jean-Mathieu, je suis gay… »…

    « Vraiment sympa » !

    Car il est toujours de bon ton de prévoir un quota ou un échantillon représentatif et politiquement correct de la population. On avait déjà mis en place le même protocole pour l’anniversaire digne de ce nom, avec le copain « black », « beur », « asiatique » de service… Mais jamais plus de deux, hein, non sinon cela s’annule !

    Dernière nouveauté aussi, l’handicapé tétraplégique ; « Alors je vous présente Michel… Il bave un peu… mais il est trop mi-gnon… ». Imaginez la chance lorsque le gay de service est arabe ou noir, sachant que le le jackpot, c’est quand il est noir, gay et handicapé… « Non mais alors là, c’est vraiment très sympa ! ». Et puis, si jamais avec un peu de chance il se trouve qu’il soit aussi séropositif, alors là  « BINGO !! ».

     

    Céline Dion

    Il y a plusieurs années de cela, des pages dérobées dans des dossiers ultra-top-importants de l’armée américaine avaient circulé un court moment sur le Dark Net. Celui-ci n’en était qu’à ses balbutiements et la CIA n’avait pas encore le contrôle absolu de chacun des faits et gestes des pirates informatiques qui y sévissaient. Julian Assange n’était encore qu’un adolescent boutonneux qui jouait à Space Invaders sur sa console Atari.

    L’information n’avait retenu l’attention que de quelques personnes qui ont disparues depuis dans des circonstances mystérieuses, voire même ballottes. A cette époque, donc, les armées US et québécoise fricotaient ensemble et planchaient sur des expériences un peu « cheloues ». Ces documents évoquaient en fait une nouvelle arme chimique redoutable, d’abord testée sur des rats puis sur des babouins, et qui risquait de causer des dommages sans précédent sur ceux à qui elle serait destinée… Depuis, nous avons compris, mais trop tard…

    Le « Cédï-ion » (nom de code) était en fait un appareil de torture sophistiqué à usage sonore (ultrason) et visuel (perte des repaires basiques tels le goût, le jugement de valeur et l’objectivité) puis saignement des yeux et des oreilles. L’appareil fut ensuite monté et intégré sur des clones cyborgs de genre féminin. Lorsque le département concerné fut fermé pour cause de budget non-alloué, les prototypes furent détruits. Vraiment ?

    Non, car plusieurs parvinrent à s’échapper, avec l’aide d’un cerveau assez malade pour oser laisser en liberté de telles machines qui allaient répandre ruine et désolation autour d’elles. Depuis, le « Cédï-ion » provoque des ravages tous les jours. L’autre arme ultime évoquée, tout aussi dangereuse bien que datant de la guerre froide, fut baptisée le « Mi-Reï Ma-Tïeu » ; un droïde capable de faire exploser des têtes à une distance de deux-cents mètres, tout ça rien qu’avec ses cordes vocales bioniques. On dénombre également deux autres modèles, le « Mar-ïa Ka-Ré » et plus récemment la fameuse « A-Del ».

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 11)

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    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 13)

     

     

     

  • Chapeau Melon et Bottes de Cuir : « Pop » font les bulles de champagne

     

     

    Diana Rigg nous a quittés le 10 septembre de cette année. Inutile de rappeler qu’elle aura interprété l’un des personnages les plus iconiques des années 60, dans une certaine série britannique intitulée « The Avengers », plus connue en français sous le nom de… « Chapeau Melon et Bottes de Cuir ».

     

    Et vous l’aurez compris, nous parlons évidemment de Madame Peel… Car ce personnage apparu sur le petit écran en 1965, dans la quatrième saison de « The Avengers », aura sûrement été à cette série ce que Sean Connery fut à la franchise James Bond, à savoir une évidence. Avec Emma Peel, nous avons bel et bien affaire à la plus iconographique, la plus charismatique et la plus charmante représentante de cette Angleterre des années 60, en pleine ébullition sociale, vestimentaire et artistique. Durant trois années, de 1965 à 1967, soit trois saisons et 51 épisodes, Diana Rigg symbolisera à elle seule le « Swinging London » ; toute une esthétique, presque une philosophie.

     

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    Dès le générique, avec sa musique enjouée, lyrique et pop, signée Laurie Johnson, nous voici instantanément transportés dans un monde où les règles tangibles sont abolies. Il ne règne plus ici que classe, fantaisie, humour et style. Cette séquence d’introduction gravée dans notre psyché, où l’on nous présente deux personnages flegmatiques en diable, « So British », illustre parfaitement le contenu du programme. Même si nous sommes à une époque où l’on peut encore faire référence à l’alcool sans risquer de s’attirer les foudres des ligues de morale – et dieu sait que le champagne coule à flot tout au long des épisodes – ce champagne qui gicle d’une bouteille sabrée au colt appartient à ces symboles utilisés pour exprimer toute la légèreté, l’insolence, voire l’insouciance de la création de Sydney Newman.

     

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    Du souvenir indistinct de notre enfance où nous regardions, sidérés, ce feuilleton, c’est bien cette femme bardée de cuir, spécialiste en art martiaux et en bons mots, qui s’avance en premier dans notre mémoire sélective. Purdey et ses jambes interminables, associée au fringant Mike Gambit, Tara King et sa mine insupportablement ingénue, ou encore Cathy Gale, la toute première héroïne du programme, n’auront pas su vraiment tenir la dragée haute à Emma Peel et relever le défi de marquer durablement une époque et de cristalliser tout un basculement.

    Pourtant, pas de mini-jupe plissée ou autres tenues trop sexy… Pas plus de tubes de l’époque que de revendication vindicative à portée politique, pour une émancipation de la femme. Non, Emma Peel est représentée comme l’égale de John Steed, ni nunuche (Tara King), ni jouant de ses attributs féminins (Purdey), pour séduire ou tromper l’ennemi. Tout s’établit dans un parfait équilibre, agencé et maîtrisé. Nous aimons ce personnage totalement libre, d’une intelligence rare, sachant donner le change le cas échéant, à coups de mawashi geri dans la tronche des importuns.

     

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    Bien-sûr, « Chapeau Melon et Bottes de Cuir », c’est aussi John Steed, interprété par Patrick Macnee, présent tout au long des quinze années que dura le show, affichant une constance à toute épreuve, avec ce semi-sourire et l’œillet invariablement à la boutonnière. Mais de toutes celles qui l’accompagneront durant ses péripéties et ses enquêtes loufoques, c’est encore et toujours elle, Madame Peel, qui se rappellera à notre bon souvenir. Son regard, avec ses yeux soulignés au eye liner, si reconnaissable, sa coupe de cheveux et ses combinaisons zippées signées Pierre Cardin.

    L’autre particularité de cette série, lorsque l’on revoit des épisodes au hasard des saisons, avec au programme des cybernautes, des rats géants, des méchantes nannies qui se révèlent être en fait des hommes grimés, assis sur des fauteuils roulants dont les accoudoirs sont équipés de mitraillettes, des savants fous… c’est bien la folie, la liberté totale proposée épisode après épisode. C’est ce mélange subtil d’absurde, d’humour noir et de flegme, qui devient le signe reconnaissable entre tous de nos voisins Britanniques, et qui est poussé ici à l’extrême.

    Rares sont les programmes de cette époque qui peuvent ainsi encore être regardés aujourd’hui, avec toujours autant de plaisir et de délectation. « Le Prisonnier », « Les Mystère de l’Ouest », ou même « Les Envahisseurs », gardent encore peut-être aussi cette aura qui transcende le sujet même de leur contenu. Etrangement, on ne relève plus le manque de moyens évident, certains décors approximatifs ou des acteurs secondaires moyens. Car ces séries ont su bâtir des mondes uniques, des dimensions parallèles qui malgré les années qui défilent, resteront des objets de fascination uniques en leur genre.

     

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    Plus encore que de la simple nostalgie, « Chapeau Melon et Bottes de Cuir » correspond précisément à ce courant libertaire, jamais contraint à des modes ou des enjeux économiques, dans le but de plaire à tels publics plutôt qu’à d’autres. Pour preuve, cette série restée dans les annales n’a jamais été copiée, jamais égalée dans sa dinguerie et sa singularité. Si, peut-être, peut-on retrouver parfois ce ton surréaliste dans le jeu des acteurs d’une autre série britannique en deux saisons, diffusée sur Channel 4 en 2013, « Utopia ».

    Mais c’est quoi, au juste, un genre, une atmosphère à la « Chapeau Melon et Bottes de Cuir » ? Eh bien, c’est d’abord une certaine étrangeté, mais aussi des rues de Londres vidées de leurs passants, des détails, des objets usuels, anodins, qui peuvent finalement se révéler dangereux, voir létaux, ou encore des jouets, comme des petits ballons, recyclés en armes mortelles. Et puis, ce sont également ces méchants débonnaires et souriants, le tout baigné dans un parfum décalé et absurde.

    Dans le dernier James Bond officiel avec Sean Connery au générique, « Les Diamants sont éternels » (1971), on retrouvait ainsi ce ton enjoué et loufoque, en particulier dans les agissements des deux tueurs placides, Mr Wint et Mr Kidd, engagés pour assassiner notre agent secret au service de sa Majesté, sorte de duo à la manière des Dupont et Dupont, mais en version psychopathe.

     

     

     

    Si on devait dresser la liste des références qui nous viennent à l’esprit en pensant à cette série, il y aurait tout d’abord le peintre René Magritte et son tableau « L’Homme à la Pomme », pas uniquement pour le chapeau melon que le personnage de la toile arbore, mais pour cette composition incongrue où sont convoqués en même temps l’humour et le non-sens.

    « Chapeau Melon et Bottes de Cuir » restera ainsi à tout jamais la référence pop absolue, et plus particulièrement ces trois saisons avec madame Peel, au diapason de cette époque bénie ; pétillant et léger comme des bulles de champagne, stylé comme les costumes de John Steed et les combinaisons de sa coéquipière, fantasque et poétique, cette vision d’un monde sans trace de mauvais goût, où même les vilains restent polis…

     

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  • Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 13)

     

     

    PARTIE II

     « Les corps amoureux »

     

     

    CHAPITRE VI

     

    Le Persil Fleur 

    La journée, je suis ce serveur qui s’est teint les cheveux en roux et qui sert des rognons de veau aux girolles et des filets de sole à des hommes d’affaires inodores, incolores. Des gens qui ne vous regardent pas et qui, s’ils vous adressent la parole, ne vous regardent jamais dans les yeux, ou au mieux avec ce genre de regards condescendants. Je suis sûr que si je portais un petit chapeau pointu sur la tête avec une hélice tournante, ils ne le remarqueraient pas davantage. Le soir, les mêmes plats, mais pour des gens connus, des acteurs de théâtre, de cinéma ou de la télévision.

    En moins d’un an, je vois ainsi défiler Catherine Deneuve, Bernard Giraudeau, Isabelle Huppert, Jacqueline Maillant, Christian Clavier, André Dussollier, Francis Huster… C’est très étrange pour moi. Exactement le cliché type du provincial qui rêve Paris comme un monde à part, où l’on pense pouvoir croiser tous les jours dans la rue des gens connus, tous ceux qui n’existent que par le biais des écrans de télévision, grands vecteurs sacrés qui tiennent lieu de fenêtre dans les régions de France.

    Il y a aussi toute une bourgeoisie parisienne, chic et discrète, qui vient déguster des noisettes d’agneau au cumin et à la menthe fraiche, des ris de veau aux écrevisses, du bar et saint-jacques au coulis de tourteau, des crêpes au pralin, du feuilleté de poire…

    Je découvre des us et coutumes que je n’imaginais même pas. Une certaine sophistication dans les rapports et les échanges. J’attendris ces vieilles femmes sans âge, aux colliers de perles de culture, qui sentent fort les parfums camphrés, avec leurs fourrures embaumées à la naphtaline…

    –       Dites-moi, jeune homme, pourriez-vous m’apporter une cuillère à cocktail afin que je puisse remuer mon kir royal ?
    –       Bien-sûr madame !
    –       Vous êtes a-do-ra-ble… Comment vous appelez-vous déjà ?
    –       Hubert, madame !
    –       Hubert… C’est charmant, comme mon défunt mari.

    Et ma victoire de cinq minutes, lorsque j’obtiens un sourire ou même un rire, au détour d’une attitude, d’un trait, d’une saillie, d’un mot que j’aurais eu l’outrecuidance de lancer à l’assistance. Toutes ces momies ou ces célébrités qui me regardent enfin dans les yeux. On a vraiment envie à vingt ans d’être reconnu, considéré. On a cette soif d’être fameux. Pour qui, pourquoi ? Ça, c’est une autre histoire. On veut être célèbre, que les gens dans la rue vous reconnaissent. Tout cela pourtant bien avant les émissions de télé-réalité et Instagram. Au fond de moi, j’aspire à toutes ces vaniteuses et petites considérations.

    Tout près du restaurant, se trouve le théâtre Athénée Louis Jouvet où chaque lundi soir, Pierre Bergé y organise « Les Lundi Musicaux ». Celui-ci vient dîner à chaque fois, juste après, entouré de ses mignons. Ce sont tous des clones d’Yves Saint-Laurent jeune, habillés en costume, écharpe blanche et autre foulard de la marque… j’imagine.

    Je découvre ainsi, comme on le voit dans certains films qui vous fascinent, cette faune « homo » décadente et sophistiquée, où l’on se parle dans le creux de l’oreille, à mi-mot. Lorsque je m’approche de la table, certains se taisent comme si ce qu’ils disaient était d’une importance capitale, au point qu’un simple petit serveur (roux) ne puisse en aucun cas en profiter. Des regards en coin et des sourires entendus parachèvent ces tableaux baroques, sorte de relecture de la Cène, avec Pierre Bergé assis au centre, en gourou autoritaire et peu aimable avec le petit personnel.

    Mais toutes ces différentes situations et autres anecdotes que je vis dans ce restaurant, servent à parfaire mon travail d’émancipation. C’est une école de théâtre où tous les jours, je m’entraîne à prendre confiance en moi. Petit à petit, j’essaye de devenir tangible, lisible et d’apprendre ce monde du paraître et des petites phrases.

    Le propriétaire du restaurant est un homme grand, mince et séduisant, dont la ressemblance avec Clark Gable est assez frappante. Il arbore d’ailleurs les mêmes moustaches et la même coupe de cheveux que son illustre modèle américain. Il y a aussi, dans cette affaire, un oncle qui est l’associé de monsieur Fleur et qui traîne au service du midi, derrière le bar et à la caisse. Avec sa corpulence à la Obélix, ce curieux personnage  est une caricature, entre l’Auvergnat et un méchant des films comiques muets en noir et blanc, avec Buster Keaton ou Charlie Chaplin. Entre deux additions rédigées à la main, il fait des mots fléchés ou jette des regards torves quand on passe derrière lui au bar pour prendre quelque chose sans le lui demander. Sirupeux avec la clientèle et odieux avec le personnel, c’est un bonhomme Michelin moustachu et malveillant.

    Finalement, c’est une ambiance assez familiale qui règne dans cet endroit. Même si mon patron peut à loisir parfois se moquer de moi, ou se jouer de ma naïveté et de ma candeur devant la clientèle, je ressens aussi une certaine affection et bienveillance à mon endroit. Il est la star de son établissement. Les clients et les habitués viennent surtout pour lui. On ne sait jamais vraiment si ce qu’il raconte est vrai. Il a une tendance naturelle à la fabulation mais en même temps, cela lui confère quelque chose de magique et de précieux.

    Bien que je sois moi-même le plus souvent incernable et d’une mauvaise foi absolue, quand je fais des conneries et que je suis pris sur le fait, jamais il ne m’en veut et le lendemain tout cela est déjà oublié. Je crois qu’il m’apprécie comme je suis. Il sait qu’au fond de moi, je ne suis qu’un petit poussin, inoffensif et mignonnet.

     

     

    CHAPITRE VII

     

    Cachez ce sexe que je ne saurais voir…

    Il y a d’abord ces revues que j’achète désormais au kilo. Toutes celles que je feuilletais discrètement à la maison de presse à Niort, mais que je ne pouvais rapporter chez moi. Je savais ma mère fouineuse. Elle pouvait de temps à autre faire des descentes lorsque j’étais absent, pour venir passer les mains sous mon matelas, dans mes tiroirs ou entre les livres.

    Le sot que je suis se trouve dorénavant à Paris, ville de l’anonymat et de l’indifférence absolue, bourrée de bars gay et de lieux de rencontre. Oui mais en un bête réflexe pavlovien, je continue à me masturber devant des photos de mecs en plastique…

     

    Festin

    Vorace, je veux manger ton corps.
    C’est un banquet, une table immense
    pleine de victuailles en abondance
    du vin de paille, des mets exquis.
     
    Mais mes manières sont celles d’un porc
    qui se jetterait sur sa pitance.
    Mon appétit est une béance,
    un monstre se nourrissant d’orgie.
     
    Innocents de ta beauté vive
    tes gestes sont comme des couteaux
    qui tranchent ma vertu en lambeaux
    et toi tu jettes les restes aux chiens.
     
    Ton érection est agressive
    Je sens du métal dans mon dos
    ce sexe en forme d’ogive est gros
    et c’est ma bouche qui le retient
     
    pour le moment avant qu’il puisse
    me réattaquer de nouveau
    ou se présentant en cadeau
    à l’autre de mes orifices.
     
    Tombes tes jambes, tes pieds, tes cuisses
    et qui s’enroulent partout, m’étranglent.
    Une créature blasphématrice
    qui me ligote avec des sangles.
     
    Mon visage s’encastre. De cet angle
    qui forme un carré, un rectangle
    et après ton sexe, c’est ta lune
    que cueille ma langue opportune.
     
    Ton anus, l’astre de tes cimes
    forme ce point d’exclamation
    et s’ouvre enfin sur ton intime.
    Je commence donc mon ascension.
     
    J’aime le spectacle de tes fesses
    généreuses, rebondies et noires
    qui se contrastent avec tes paumes
     
    et tes talons et qui se laissent
    pétrir, gouter, pincer puis choir
    sur mon organe fou, autonome.
     
    Je veux savourer ce goût fort
    des épices qu’il y a sur ta peau.
    Ces saveurs de musc que j’adore
    je les renifle jusqu’aux os.
     
    La volupté de ton désir
    et cette force bruissante en secret
    ton excitation aux aguets
    ouvre-toi, je veux te faire jouir.
     
    en des caresses proches de la mort
    de celles qui font chanter les anges
    et les démons babyloniens.
     
    J’appâte ton sphincter carnivore
    avec mes doigts puis ma phalange.
    Attends, tu ne contrôles plus rien.
     
    L’orgasme explose et tu te tords
    de convulsions et un mélange
    de cris, de foutre et de chagrin,
     
    de sueur et tout est comme de l’or.
    ta peau sombre scintille puis change
    s’estompe. Tu disparais soudain.
     
    Je veux… J’aurais voulu.. J’ai cru
    mais à cette fête je suis seul
    et bien frugal est mon festin.
     
    Pas de garçon, personne en vue
    Serrère, Diola, Mandingue ou Peul
    et qui assouvirait cette faim.
     
    De ces ripailles hallucinées
    à cette table des invités
    il n’ y a que moi avec ma main.

     

     

    Et puis il y a enfin une « rencontre » via le minitel, cet étrange objet rétro-futuriste couleur chiasse et caca d’oie, qui pèse une tonne avec son clavier à touches que vous devez enfoncer avec un marteau pour obtenir un résultat sur l’écran. On trouve déjà des sites de rencontre (36-15 Gérard). Il s’agit des prémices de ce que deviendront plus tard des applications communément installées sur les téléphones.

    L’avantage avec le minitel, c’est que les mythomanes en tout genre ont trouvé leur pied-à-terre. En effet, on peut uniquement dialoguer sur ces « chats » premiers du nom sans possibilité d’agrémenter le dialogue avec des photos. La surprise est donc prévue uniquement lors du rendez-vous ou pour les plus téméraires, derrière la porte.

    Moi, le petit poussin, crois donc tout ce que l’on me dit. Pour ma première expérience, j’ai donc craqué virtuellement pour un garçon qui prétend ressembler à Carl Lewis. Je suis fou de joie. L’inconnu n’habitant pas à Paris, je l’invite sans plus attendre chez moi à passer la semaine.

    Un petit poussin, soit, mais avec le cerveau d’une mouche, qui va donc apprendre la vie et les différents types d’organismes que l’on peut croiser sur cette terre, comme les bipèdes homo erectus gentils, méchants, les insignifiants, les manipulateurs pervers narcissiques et bien-sûr, les plus répandus, les parasites.

    Lorsque j’ouvre la porte, je ne découvre hélas pas le célèbre athlète noir américain, mais plutôt Tracy Chapman, avec cependant effectivement la même coupe de cheveux que le coureur multi-médaillé d’or à différents jeux olympiques. Le garçon en question est un Antillais qui va se révéler être complètement bidon, escroc à la petite semaine qui compte s’installer chez moi indéfiniment. Saperlipopette !

    Je vais mettre tout de même un mois pour comprendre que cette chose qui est venue de l’espace, veut juste vivre à mes crochets, sans autre projet, et sans doute boire mon sang, me vider de ma substance et se servir de mon enveloppe corporelle pour prendre ma place sur terre.

    Mais c’est pourtant avec cet importun que je vais connaître ma première relation sexuelle, mais pas mon premier orgasme. Il faut dire que l’expérience est assez pénible et tourne à chaque tentative au désastre. Tracy Lewis se révèle être un piètre amant. il fait également sortir de sa bouche, lors des différents coïts, des sons abominables qui finissent par me dégoûter définitivement. Sur le plan du désir, je pense que cela ne serait pas pire avec une fille portant le bouc…

    N’étant pas pour l’instant un garçon des plus téméraires et franc du collier, je dois passer par moult subterfuges pour essayer de me défaire de l’envahisseur. Je finis par trouver un prétexte infaillible. Je lui raconte que je dois quitter Paris pendant un temps indéterminé et que je ne peux le laisser vivre seul dans l’appartement qui m’a été prêté par mon employeur, car ce dernier envisage d’y réaliser quelques travaux pendant mon absence. Carl Chapman ne trouve rien à redire à cette excuse imparable et se voit contraint de retourner d’où il vient, c’est-à-dire un endroit froid et lointain dans une galaxie inhospitalière.

    Bilan de cette première approche sexuelle avec un autre corps animé : un échec cuisant…

    C’est après m’être débarrassé de ce fâcheux, par le biais de prétextes fallacieux et autres périphrases qui n’entachent en rien mon intégrité de petit poussin, que je retente une autre expérience, en repassant par le minitel. Il faut savoir aussi, à propos de ce nouveau moyen technologique, que chaque connexion coûte une fortune. En quelques mois, je vois mes factures téléphoniques passer de deux à trois, puis à quatre chiffres.

    Sournois que je suis, je décide alors de faire mes recherches libidinales sur le minitel de mes parents, lorsque je leur rends visite le week-end. Eux aussi, très vite, vont voir leur facture de téléphone grimper de manière exponentielle, d’autant que là, je m’en donne à cœur joie.

    Je rencontre cette fois-ci un Brésilien de plus de vingt ans mon aîné, qui me fait découvrir la Feijoada et qui aime faire l’amour en écoutant de l’opéra. Tout cela est déjà plus dans mes cordes. L’homme en question est une mine de savoir et de culture. Je me sens attiré surtout par le fait qu’il soit bien plus âgé et qu’il ait un ascendant certain sur moi. Cette relation hélas ne s’éternise pas plus que quelques semaines. Même si celui-ci est un vrai précepteur et que j’aime les dîners mondains qu’il organise avec des gens du monde entier, je reste un peu insensible à son physique. J’ai besoin de plus. Je voudrais être amoureux et que ce sentiment m’enivre. Et ici, ce n’est pas le cas.

    Finalement, je rends mon minitel et décide enfin d’aller affronter les hommes, les vrais, ceux que l’on trouve dans les rues, les bars et les boîtes de nuit. Pas ceux qui coupent du bois dans des forêts au Canada, pas ceux non plus qui se bagarrent dans des bars avec des marins, non, des hommes comme moi qui partagent cette appellation avec leurs homonymes hétérosexuels, parce qu’ils possèdent également un sexe qui pendouille entre leurs cuisses… Et dans ce début 90, il vaut mieux suivre ce qui se passe en terme de tendance comportementale dans le dit « milieu ». C’est une époque où vous pouvez choisir entre plusieurs styles et attitudes.

    Mais attention aux clichés véhiculés…

    Les avis péremptoires, les amalgames et les aprioris ont toujours la peau dure… Qu’il s’agisse de dresser le portrait avec de gros raccourcis, d’une culture, d’une couleur de peau, d’une religion, d’un secteur professionnel, d’une activité et j’en passe, les clichés sont ce qui alimente le mieux le four à étron de nos pensées réduites à la facilité et au confort de nos idées reçues. Il en résulte encore et toujours des pièces montées improbables, de gros puddings indigestes confectionnés de toutes ces sottes fausses vérités. Alors imaginez donc sur l’homosexualité, le menu est orgiaque.

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

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