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  • Albert Camus, mort un 04 janvier…

     

     

    Il y a soixante ans précisément, le 04 janvier 1960, disparaissait l’un des plus grands écrivains de la littérature française. S’il voue sa vie entière au théâtre (« Caligula », « L’État de Siège », « Les Justes »), ses romans (« L’Etranger », « La Peste », « La Chute ») et son œuvre de journaliste l’imposent comme l’un des principaux acteurs de son temps.

     

    Journaliste, philosophe, romancier et dramaturge, Albert Camus reçoit le Prix Nobel de Littérature en 1957. Pour ce « Français d’Algérie » pauvre et sans racines, le tragique est indissociable de l’aspiration à un bonheur qu’il sait aussi précaire que le soleil de midi.

    « Je fus placé à mi-distance de la misère et du soleil », écrit Albert Camus dans « L’Envers et l’Endroit ». Il est né dans un domaine viticole près de Mondovi, dans le département de Constantine, en Algérie. Son père a été blessé mortellement à la bataille de la Marne, en 1914. Une enfance misérable à Alger, un instituteur, M. Germain, puis un professeur, Jean Grenier, qui savent reconnaître ses dons ; la tuberculose, qui se déclare précocement et qui, avec le sentiment tragique qu’il appelle l’absurde, lui donne un désir désespéré de vivre, telles sont les données qui vont forger sa personnalité.

    Il écrit, devient journaliste, anime des troupes théâtrales et une maison de la culture, fait de la politique. Ses campagnes à Alger Républicain pour dénoncer la misère des musulmans lui valent d’être obligé de quitter l’Algérie, où on ne veut plus lui donner de travail.

    Pendant la guerre en France, il devient un des animateurs du journal clandestin Combat. À la Libération, Combat, dont il est le rédacteur en chef, est un quotidien qui, par son ton et son exigence, fait date dans l’histoire de la presse. Mais c’est l’écrivain qui, déjà, s’impose comme un des chefs de file de sa génération. Camus a déjà publié à Alger « Noces » et « L’Envers et l’Endroit », quand il est introduit par André Malraux à la NRF : « L’Étranger » paraît en mai 1942, « Le Mythe de Sisyphe » en octobre et « Caligula » en 1944, tandis que Camus achève « La Peste », qui sera son premier grand succès.

    L’écrivain sympathise en janvier 1943 avec Michel Gallimard qui, dès la fin de l’année, le fait entrer au comité de lecture. Directeur de la collection « Espoir » après avoir quitté la rédaction de Combat, il y est moins impliqué que Jean Paulhan ou Raymond Queneau, mais considère la NRF comme son « adresse perpétuelle ». Il y défend Romain Gary, Michel Vinaver, Robert Pinget, Violette Leduc et son « frère » René Char, et est l’éditeur des œuvres posthumes de Simone Weil.

     

     

     

    « J’aime mieux les hommes engagés aux littératures engagées. Du courage dans sa vie et du talent dans ses œuvres, ce n’est déjà pas si mal. » (Albert Camus, « Carnets », 1946)

     

    Rattaché à tort au mouvement existentialiste, qui atteint son apogée au lendemain de la guerre, Albert Camus écrit en fait une œuvre articulée autour de l’absurde et de la révolte. C’est peut-être Faulkner qui en a le mieux résumé le sens général : « Camus disait que le seul rôle véritable de l’homme, né dans un monde absurde, était de vivre, d’avoir conscience de sa vie, de sa révolte, de sa liberté. »

    Et Camus lui-même a expliqué comment il avait conçu l’ensemble de son œuvre : « Je voulais d’abord exprimer la négation. Sous trois formes. Romanesque : ce fut L’Étranger. Dramatique : Caligula, Le Malentendu. Idéologique : Le Mythe de Sisyphe. Je prévoyais le positif sous trois formes encore. Romanesque : La Peste. Dramatique : L’État de siège et Les Justes. Idéologique : L’Homme révolté. J’entrevoyais déjà une troisième couche autour du thème de l’amour. »

    « La Peste », ainsi, commencé en 1941 à Oran, ville qui servira de décor au roman, symbolise le mal, un peu comme « Moby Dick » dont le mythe bouleverse Camus. Contre la peste, des hommes vont adopter diverses attitudes et montrer que l’homme n’est pas entièrement impuissant en face du sort qui lui est fait. Ce roman de la séparation, du malheur et de l’espérance, rappelant de façon symbolique aux hommes de ce temps ce qu’ils venaient de vivre, connut un immense succès.

    « L’Homme Révolté », en 1951, ne dit pas autre chose. « J’ai voulu dire la vérité sans cesser d’être généreux », écrit Camus, qui dit aussi de cet essai qui lui valut beaucoup d’inimitiés et le brouilla notamment avec les surréalistes et avec Sartre : « Le jour où le crime se pare des dépouilles de l’innocence, par un curieux renversement qui est propre à notre temps, c’est l’innocence qui est sommée de fournir ses justifications. L’ambition de cet essai serait d’accepter et d’examiner cet étrange défi. »

    Cinq ans plus tard, « La Chute » semble le fruit amer du temps des désillusions, de la retraite, de la solitude. « La Chute » ne fait plus le procès du monde absurde où les hommes meurent et ne sont pas heureux. Cette fois, c’est la nature humaine qui est coupable. « Où commence la confession, où l’accusation ? », écrit Camus lui-même de ce récit unique dans son œuvre. « Une seule vérité en tout cas, dans ce jeu de glaces étudié : la douleur et ce qu’elle promet. »

    Le prix Nobel est décerné à Camus en 1957, pour ses livres et aussi, sans doute, pour ce combat qu’il n’a jamais cessé de mener contre tout ce qui veut écraser l’homme. On attendait un nouveau développement de son œuvre quand, le 4 janvier 1960, il trouvait la mort dans un accident de voiture.

     

    Source : Gallimard

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

     

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  • 1979, l’année qui changea le monde, Episode 16 : La Marseillaise by Gainsbourg

     

    [kleo_pin type= »circle » left= »yes » right= » » top= » » bottom= » »]          « FOCUS » : un article de fond sur un thème que nos rédacteurs ont sélectionné.

     

     

    L’année 1979 est définitivement une année-charnière, comme la fin d’un cycle. Elle scelle le sort des dernières utopies. Le monde prend une pelle et enterre à la hâte les cadavres encore fumants de nos illusions perdues. Après 1979, rien ne sera plus vraiment comme avant…

     

    Coincée à la fin d’une décennie qui paraît un peu creuse, durant laquelle les dirigeants politiques semblent manquer de charisme (le pâle Carter face au cowboy médiatique Reagan, VGE après De Gaulle et Pompidou), l’année 1979 n’attire décidément pas les flashes. Et pourtant… Que d’événements considérables ont eu lieu cette année-là, autant de tremblements qui ont marqué la face du monde et dont on ressent encore les répliques quarante ans plus tard.

    Révolution iranienne, arrivée de Saddam Hussein au pouvoir en Irak, début de la Guerre d’Afghanistan qui mènera à la chute de l’URSS et à l’apparition du terrorisme islamiste, second choc pétrolier et crise économique mondiale, paix entre Israël et l’Egypte, fin des Khmers Rouges… Il n’est pas insensé de penser que 1979 a en réalité été l’année la plus importante de l’après-Seconde Guerre Mondiale.

     

    Nous ne pouvions pas quitter cette année 1979 sans évoquer la Marseillaise version Reggae de Serge Gainsbourg… Parti à Kingston pour enregistrer son album « Aux Armes et Caetera » avec les plus grands musiciens jamaïcains, le chanteur français en rapporte un scandale fondateur.

     

    Ça n’est plus une offense que de passer en 2019 la Marseillaise Reggae de Serge Gainsbourg sur les ondes du service public. 40 ans après l’affaire « Aux Armes et Caetera », les passions se sont apaisées et ce bon Gainsbarre est désormais célébré jusqu’au sommet de l’état comme l’un des plus géniaux représentants de notre culture populaire. Si nous parlons aujourd’hui de cet enregistrement qui fit scandale en 1979, c’est justement pour tenter d’aller un peu plus loin que les grandes pétitions de principe qui, d’un bord et de l’autre, s’affrontèrent à l’époque.

    Une première remarque, tout d’abord : en 1979, lorsqu’il part à Kingston, en Jamaïque, enregistrer cet album reggae qui va véritablement révolutionner sa carrière, Serge Gainsbourg n’a guère connu le succès auparavant. En fait, à deux reprises uniquement. Une première fois, en 1969, avec « Je t’aime moi non plus » et une seconde fois en 1978 avec « Sea, Sex and Sun », 45T qui fut l’un des tubes de cet été-là.

    À l’époque où Serge Gainsbourg décide d’enregistrer « Aux Armes et Caetera », sa cote d’amour navigue donc à marée basse et ses derniers disques – « Rock Around the Bunker », « L’Homme à Tête de Chou » – furent autant d’échecs commerciaux. Seule sa maison de disques Philips semble encore croire en lui en tant qu’interprète.

    Et les musiciens qu’il va rencontrer en Jamaïque, Sly Dunbar, Robbie Shakespeare et quelques autres légendes du reggae, ne connaissent en fait rien de Serge Gainsbourg, si ce n’est cela… Eh oui, toujours « Je t’aime moi non plus », ici dans une version quelque peu salace du jamaïcain Judge Dread datée de 1974. Car « Je t’aime moi non plus » est la seule chanson de Gainsbourg qui ait traversé l’Atlantique en 1979…

     

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    Mais Gainsbourg, avec sa Marseillaise version Reggae, va aussi enseigner aux Français quelques singularités de leur hymne national. Par exemple, le dernier couplet de son « Aux Armes et Caetera »… Il n’est en fait pas de Rouget de Lisle, mais de l’abbé Antoine Pessonneaux, professeur de rhétorique à Vienne en 1792. L’abbé qui écrit ce que l’on appelle « le couplet des enfants », que Gainsbourg a réappris à des millions de Français.

     

    « Nous entrerons dans la carrière

    Quand nos aînés n’y seront plus

    Nous y trouverons leur poussière

    Et la trace de leurs vertus »

     

    D’ailleurs, lors de sa dernière tournée en 1988, Gainsbourg choisira de chanter encore un autre couplet à la fin de sa Marseillaise. Un couplet beaucoup plus patriotique, au premier degré.

     

    « Tout est soldat pour vous combattre,

    S’ils tombent, nos jeunes héros,

    La terre en produit de nouveaux,

    Contre vous tout prêts à se battre ! »

     

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    Mais il est vrai que Gainsbourg n’avait jamais exprimé de sentiments particulièrement opposés à la Nation Française en tant que telle, et appelons un chat un chat, il a toujours apprécié la fréquentation des militaires ou des policiers.

    Son anti-communisme était d’une virulence assez forte pour qu’il ne méfie pas assez des militaires… Et a-t-on vraiment prêté attention à ce qu’il dit au moment du célèbre incident de Strasbourg ? Cherchez bien, vous vous souvenez ? Les paras qui veulent empêcher le concert d’avoir lieu, les musiciens jamaïcains qui refusent de monter sur scène, Gainsbourg le point levé, et ça donne ça. Gainsbourg l’insoumis, le vrai, pas à la mode mélanchoniste…

     

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    Etats-Unis, Gabon, Bahamas… Serge Gainsbourg était autant artiste que voyageur. Les pérégrinations de cet iconoclaste l’ont même mené jusqu’en Jamaïque, La Mecque du renouveau musical. C’est ainsi dans la patrie de Bob Marley que Gainsbourg entre dans sa période Gainsbarre, s’inspirant de la force révolutionnaire et jusqu’au-boutiste du reggae. Un changement de cap symbolisé notamment par le fameux scandale de La Marseillaise… Retour sur la genèse du concert où Gainsbourg mit les « paras au pas ».

     

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    « C’était mon époque reggae, j’en avais marre de Londres, je suis parti après la mort des Sex Pistols… je me suis cassé et j’ai pris les musicos de Tosh et la femme de Marley. J’ai fait deux 33T avec eux, le premier à Kingston et le second à Nassau. » (Serge Gainsbourg)

     

    Lorsque Gainsbourg décide avec son producteur Philippe Lerichomme d’aller en Jamaïque, il prend contact avec Chris Blackwell, le boss du label Island Records, pour qu’il lui arrange le coup et lui trouve les meilleurs musiciens de l’île.

    Aujourd’hui, avec le recul, on peut dire que le casting organisé était parfait : Sly Dunbar à la batterie, Robbie Shakespeare à la basse, Robbie Lyn et Ansel Collins aux claviers, Mikey Chung et Dougie Bryan aux guitares, Sticky Thompson aux percussions et les I-Threes (Rita Marley, Marcia Griffiths et Judy Mowatt) aux chœurs.

    À signaler également, la présence du très regretté Geoffrey Chung derrière la console pour les prises de sons et le mixage.

     

    « Le reggae me branchait par son côté voyou, contestataire, plus proche de l’Afrique. Mais il y a aussi la religion rasta et le feeling. À cette époque, j’étais très fan du chanteur Leroy Smart. J’étais aussi persuadé que mon phrasé « talk over », parlé plutôt que chanté, allait parfaitement coller aux rythmiques reggae. » (Serge Gainsbourg)

     

    Pourtant, lorsque Serge Gainsbourg débarque dans les studios Dynamic Sound en janvier 1979, l’affaire est loin d’être gagnée : « Le premier jour, j’ai rencontré Robbie qui m’a dit : Je dois te prévenir, je ne parle pas. Donc, silence. Et puis on a dû attendre trois jours Geoffrey qui était à New York. C’était l’angoisse car je ne savais pas avec qui on allait enregistrer. »

    « Finalement, je me suis mis au piano du studio et ça les a snobés. Ils ont compris que j’étais l’auteur de « Je t’aime moi non plus », gros hit en Jamaïque. L’ambiance s’est dégelée. Pourtant, contrairement à ce que j’ai dit à mon label, je suis arrivé en Jamaïque sans avoir écrit un seul texte, j’avais juste les titres des différentes chansons ! Il y a eu d’abord deux jours de rythmique, une demi-journée avec les chœurs et ensuite une nuit blanche à écrire… Le lendemain, j’ai mis presque toutes les voix en boîte. J’ai même refait certaines paroles dans le studio. Tout ou presque a été enregistré en une prise. »

     

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    « J’ai toujours eu une affection pour ce genre de plan, Marley, Tosh, mais sur des harmonies trop sophistiquées, ça ne roule pas. Il faut deux harmonies maximum. Comme « Aux Armes et Caetera » et tout ce que j’ai fait sur mon premier album reggae. Il n’était pas question d’avoir plus de trois, quatre harmonies, c’était pas possible. Et c’est comme ça que ça roule avec les rastas… Shakespeare et Dunbar sont parmi les plus grands, mais ils se sont fait jeter par James Brown, faut pas oublier… parce qu’ils pouvaient pas assurer des harmonies trop… sophistiquées. Sur une ou deux harmonies, ils sont superbes… (il rythme), (rires)… autrement, ça va pas. »

     

    Malgré tout ce qu’a pu vivre Serge auparavant, il est tout de même impressionné par l’ambiance qui règne à Kingston : « faut être cool pour survivre là-bas. Quand on rentrait du studio à une heure du matin, certains coins faisaient vraiment peur. En fait, je ne suis resté qu’une semaine et je n’ai rien vu du reste de l’île. »

     

    Ce qui surprend surtout à l’écoute de l’album « Aux Armes et Caetera », c’est l’adéquation entre les versions instrumentales et la voix de Serge – que les musiciens ont surnommé le « Barry White français » – cette impression de fluidité et de légèreté : rarement la langue de Molière a aussi bien sonné en musique.

    Sur ce 33 tours, Gainsbourg revisite deux de ses anciens titres : « Pauvre Lola » [« Lola Rastaquouère »] et « La Javanaise » [« Javanaise Remake »). On y trouve également une adaptation de « Vieille Canaille », une chanson de 1931. Comme à son habitude, Serge s’amuse sur quelques titres, comme « Les Locataires » : « eau et gaz à tous les étages ». Sans oublier le texte « Brigade des Stups » qui prend tout son sens au pays de la ganja. Mais le reste des paroles est beaucoup plus sérieux, Serge maniant l’ironie et la dérision comme peu d’auteurs ont su le faire avant lui (« Des Laids des Laids », « Pas Long Feu » ou « Daisy Temple »).

    Cet album fait aussi beaucoup parler de lui à cause de la polémique sur sa réinterprétation de l’hymne national en version reggae. Le journaliste du Figaro, Michel Droit, reprochant même à Serge Gainsbourg de « propager inconsciemment l’antisémitisme en associant cette parodie scandaleuse avec notre hymne national ». On se souvient aussi de son concert à Strasbourg investi par des membres d’une association d’anciens parachutistes qui désapprouvent sa réinterprétation de « La Marseillaise ». Gainsbourg leur répond en chantant l’hymne national a cappella et le poing levé !

    Loin de lui porter ombrage, cette polémique porte le disque, une jeune génération s’entiche des 12 morceaux, et découvre Gainsbourg en même temps que cette musique venue tout droit de Jamaïque, le Reggae. « Aux Armes et Caetera » deviendra le premier album platine de Serge Gainsbourg et connaîtra une suite presque aussi réussie avec « Mauvaises Nouvelles des Etoiles ».

     

    En ce premier jour de l’année 2020, nous sommes ravis de clore ce 40ème anniversaire de l’année 1979 avec Serge Gainsbourg, car quel autre précurseur que lui aurait pu aussi bien symboliser cette année-charnière qui scellait le sort de nos dernières utopies… Après 1979, rien ne fut plus jamais comme avant.

     

    Sources : Musiq XXL / Bertrand Dicale / Sens Critique

     

     

     

  • 1979, l’année qui changea le monde, Episode 15 : Reggatta de Blanc

     

    [kleo_pin type= »circle » left= »yes » right= » » top= » » bottom= » »]          « FOCUS » : un article de fond sur un thème que nos rédacteurs ont sélectionné.

     

     

    L’année 1979 est définitivement une année-charnière, comme la fin d’un cycle. Elle scelle le sort des dernières utopies. Le monde prend une pelle et enterre à la hâte les cadavres encore fumants de nos illusions perdues. Après 1979, rien ne sera plus vraiment comme avant…

     

    Coincée à la fin d’une décennie qui paraît un peu creuse, durant laquelle les dirigeants politiques semblent manquer de charisme (le pâle Carter face au cowboy médiatique Reagan, VGE après De Gaulle et Pompidou), l’année 1979 n’attire décidément pas les flashes. Et pourtant… Que d’événements considérables ont eu lieu cette année-là, autant de tremblements qui ont marqué la face du monde et dont on ressent encore les répliques quarante ans plus tard.

    Révolution iranienne, arrivée de Saddam Hussein au pouvoir en Irak, début de la Guerre d’Afghanistan qui mènera à la chute de l’URSS et à l’apparition du terrorisme islamiste, second choc pétrolier et crise économique mondiale, paix entre Israël et l’Egypte, fin des Khmers Rouges… Il n’est pas insensé de penser que 1979 a en réalité été l’année la plus importante de l’après-Seconde Guerre Mondiale.

     

    Never Mind The People

    Du côté de l’Angleterre, l’arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher en mai 1979 laisse présager des lendemains bien douloureux. Le pays se débat en effet dans une crise économique et sociale terrible, ultime convulsion d’un monde en pleine mutation. Les usines et les mines de charbon ferment les unes après les autres, laissant sur le bord de la route deux générations de Britanniques, condamnés au chômage de masse et à une inéluctable paupérisation.

    « L’hiver du mécontentement », le roman de Thomas B. Reverdy, dont le nom a figuré sur la liste du Goncourt en 2015, a pour cadre cette Grande-Bretagne de 1978-1979, paralysée par des grèves monstrueuses qui vont finir par propulser à la tête du gouvernement une inconnue, Margaret Thatcher, femme inflexible.

    Le pays entre dans une nouvelle ère, celle des jeunes loups aux dents aiguisées, bientôt connectés à l’ensemble de la planète, sans morale, sans dieu, vénérant le fric plus que leur propre mère. Ils préparent la grande révolution à venir, celle qui n’a pas besoin de grand soir, de rêves romantiques, d’idéaux en stuc… Ils veulent prendre les commandes de la City, devenir banquiers, actionnaires, hommes d’affaires, assureurs, courtiers, avocats fiscalistes… Et les ouvriers qui crèvent dans leurs bâtiments de briques insalubres, ils s’en foutent, à vrai dire…

     

    « Le reste, on va le liquider. Privatisations, faillites en série, licenciements massifs. Ce sera les grands soldes d’hiver, avant changement de collection (…). Les chômeurs seront de plus en plus nombreux. Mais au moins, ils seront de droite. »

     

    C’est dans ce contexte que paraît l’album « Reggatta de Blanc » du groupe de rock britannique The Police. Sorti le 5 octobre 1979 chez A&M Records, ce disque, à l’image de la société anglaise qui entre dans une période de mutation profonde, va permettre au groupe de sortir de la mouvance punk dont il était encore peu de temps avant l’un des piliers, avec The Clash, en saupoudrant dans sa musique des ingrédients tels que reggae, world music, pop ou rock.

    Le gris bleuté de la pochette, avec ces trois blondinets qui fixent l’auditeur potentiel d’un regard glacial, en cette fin d’année 1979, ne laisse cependant pas présager un seul instant que ce jeune trio deviendrait, en un temps record, le groupe de rock le plus demandé, adulé et imité de la fin des 70’s. Tout juste un an après le succès de leur premier album, « Outlandos d’Amour », la bande à Sting a le vent en poupe et compte bien surfer sur l’immense succès des « Roxanne » et autres « Can’t Stand Losing You » qui continuent d’inonder les programmations radio.

    Avec ce deuxième opus, le trio anglais se doit donc de frapper un grand coup. Il reproduit ainsi la recette imparable du premier album, avec cependant de savantes petites retouches qui vont contribuer à propulser The Police au sommet des charts du monde entier. A commencer par « Message In The Bottle » ou « Walking On The Moon » qui contiennent tous les ingrédients de tubes planétaires, avec leurs mélodies immédiates, cette petite touche reggae et des arrangements qui s’affinent nettement.

     

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    Car cette année 1979 est définitivement l’année de l’explosion du reggae à l’international, marquant le virage radical d’un certains nombre de groupes, qui surfent sur la vague initiée par Bob Marley et son oeuvre ultime, « Survival ». Dans son sillage, donc, des albums majeurs vont venir ajouter leur petite pierre à l’édifice, rendant universel et planétaire le discours de la musique jamaïcaine : « Reggatta de Blanc » de Police, « London Calling » de Clash, « Aux Armes et Caetera » de Serge Gainsbourg ou encore le hit infaillible des Specials, « Gangsters »…

     

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    « Reggatta de Blanc » est un album qui étonne par son originalité, sa fraîcheur et le son minimaliste qu’il dégage. La singularité de Police réside aussi dans le fait qu’ils ont su créer une musique avec des espaces et des silences qui la rendent unique. Le son cristallin et aérien de la Fender d’Andy Summers est sans conteste la marque de fabrique du groupe. La frappe ravageuse, précise et opportuniste de Stewart Copeland pose les bases d’une rythmique carrée qui sous-tend l’ensemble.

    Ajouté à cela, un son travaillé, peaufiné et affiné par une multitude d’effets que maîtrise à la perfection le trio anglais et la basse ultra perfectionniste et inventive de Sting qui vient compléter cet assemblage délibérément rock. Mais pas que… Grâce aussi à un manager (Miles Copeland, le frère de Steward) redoutablement efficace, le trio va sortir une des plus innovantes et surprenantes galettes de l’histoire du rock, en cette fin des années 70. Il en résulte un album net, précis, efficace, dont vous ne ne pourrez pas écarter grand chose…

    Les Anglais ont vite appris de leurs erreurs et les corrigent dès leur second album, avec notamment moins d’approximation dans l’écriture, ce qui donne un disque plus homogène. C’est au détriment des titres les plus bruts et rock, puisque la musique de The Police se lisse sensiblement et l’aspect pop l’emporte désormais sur l’énergie brute, clef de voûte de l’exercice précédent. Si les influences reggae sont omniprésentes (« The Bed’s Too Big Without You », « Walking On The Moon »…), des sonorités électroniques apparaissent sur la popisante « Contact », alors que l’intro au piano de « Does Anyone Stare » installe une ambiance blues, nouvelle pour le groupe.

    Avec « Reggatta de Blanc », The Police fait son trou et est au sommet de son succès, à défaut d’être au sommet de son art, atteint en 1983 avec l’album ultime, « Synchronicity ». Mais ce disque défriche le terrain et assoit définitivement la popularité des Londoniens. L’ascension est fulgurante, comme le sera la carrière du groupe qui s’achèvera au bout de six ans et cinq albums. Il n’en faut pas plus pour écrire la légende du groupe et de ses membres, et inscrire « Reggatta de Blanc » dans la grande histoire du rock.

    En cette fin de la décennie 70, The Police ont certes acquis une certaine reconnaissance en France, avec leur premier opus « Outlandos d’Amour », mais c’est certainement leur passage live le 23 décembre 1979 sur la scène du Théâtre de l’Empire, dans le cadre de l’émission musicale Chorus, qui va établir définitivement la réputation du groupe. C’était donc il y a quarante ans et c’était bien…

     

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  • Antoine Holler, le blues dans la peau

     

     

    Découvert en première partie de Kool and the Gang ou encore James Hunter, Antoine Holler est un artiste rare formé sur les meilleures scènes de Chicago. Auteur-compositeur et interprète, il a collaboré avec de nombreux artistes, de Charles Pasi (Blue Note Records) à Lucky Peterson, en passant par Carla Bruni.

     

    Né à Paris, Antoine Holler commence à jouer de la guitare à 12 ans. Gamin, c’est le film « The Blues Brothers » qui sert de déclencheur. Au-delà des poursuites de voitures, il y découvre le blues et c’est un véritable choc. Ses références absolues sont BB King, Jimi Hendrix et Buddy Guy. A 18 ans, il décide de faire de la musique son métier et part à Chicago, aux racines mêmes de sa passion.

    Chicago, la ville qui concentre alors la crème du blues, des stars aux clubs mythiques… C’est là-bas qu’Antoine Holler va poser ses valises pendant un an, et se confronter à ce monde auquel il rêve tant d’appartenir. Il y est non seulement accueilli à bras ouverts et respecté, lui, le petit Frenchy sorti de nulle part, mais a la sensation étrange d’être « presque chez lui ».

     

    « Dans les années 90, il y avait ce phénomène des guitar heroes. Mark Knopfler, Eric Clapton, Slash… Et il se trouve que tous les musiciens que j’admirais étaient avant tout des guitaristes. »

     

    Avec son comparse Charles Pasi, Il partent à la découverte des clubs, là même où bat le coeur de la ville et où il feront leurs premières armes, en participant à tout ce que Chicago compte de jam sessions et de boeufs improvisés. Ils auront l’occasion de partager la scène avec de grands noms tels que Willie Kent, Melvin Taylor, Jimmy Burns ou Charlie Love.

    A son retour en France en 2005, Antoine Holler participe à la composition et l’enregistrement du premier album de Charles Pasi, « Mainly Blue ». Les dix titres de ce premier opus sont presque tous signés par les deux potes, et prouvent que le blues hexagonal recèle avec ces deux jeunes musiciens en devenir des auteurs-compositeurs au talent et à la fraîcheur indiscutables.

     

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    Après avoir accompagné Carla Bruni pendant deux ans, sur la tournée qui a suivi la sortie de son deuxième disque, « No Promises », Antoine Holler enregistre à son tour son premier album, « Love In Stereo » en 2009, désormais seul aux commandes. Et il faut reconnaître que ce disque est une bien agréable découverte, tant il nous réserve quelques belles surprises. Les compos, tout d’abord, car les dix titres proposés ici (+ l’interlude) sont signés par le chanteur / guitariste. C’est dire déjà la patte du bonhomme…

     

    « Ces deux années en tournée avec Carla Bruni ont été très formatrices, en tant que musicien accompagnateur, entre concerts et passages télé, mais ça m’a encore plus déterminé à mener à bien mon propre projet. »

     

    Côté couleur musicale, « Love In Stereo » est un opus teinté dans le bleu le plus pur, avec un mélange électro et acoustique du plus bel effet. Côté musiciens, l’épine dorsale est assurée par Jimi Sofo à la basse, Yoann Schmidt à la batterie et Fred Dupont aux claviers, renforcée sur plusieurs titres par l’excellent K-Led Bâ’ Sam à la slide sur « Introducing the Moon », le subtil et talentueux Damien Cornelis aux claviers sur « Love In Stereo », le Bass-Master Clive Govinden et… l’incontournable Charles Pasi à l’harmonica sur deux titres, « Money Won’t Bring You Pride » et « Easy Way, Easy Go ».

     

    « Côté jeu de guitare, Antoine Holler fait étalage de tout son talent sans en rajouter, restant dans la subtilité et la finesse, et sans jamais chercher à vous aligner de solos trop longuets, pour démontrer à ceux qui en douteraient qu’il maîtrise autant sa six cordes que les grands guitaristes qu’il admire. » (Frankie « Bluesy » Pfeiffer pour Blues Magazine)

     

    En 2014, Antoine Holler sort son Ep « No Regrets ». Un disque beaucoup plus marqué au sceau du folk et de la pop que son premier album, qui nous fait découvrir d’autres facettes de son talent. Son timbre de voix métissé et la sensibilité de son jeu de guitare vous transportent au travers de mélodies contagieuses et élégantes. Au croisement du jazz, du blues et de la soul, la musique d’Antoine Holler dépasse les frontières et les styles.

     

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  • Pierre Soulages fêtait ses cent ans le 24 décembre

     

     

    Pierre Soulages, un des plus grands artistes vivants, fêtait ses cent ans le 24 décembre 2019. Retour sur 80 ans de création, des brous de noix de ses premières oeuvres à l’Outrenoir, en passant par les fameux vitraux de l’abbatiale de Conques.

     

    Pierre Soulages fêtait donc son centième anniversaire ce mardi 24 décembre. Et le père de l’Outrenoir travaille toujours. Trois des œuvres exposées dans le cadre prestigieux de l’exposition-hommage du Louvre, qui a débuté le 11 décembre, ont d’ailleurs été peintes en 2019. Retour sur plus de 80 ans de carrière du plus grand artiste français vivant.

     

    « Enfant, je préférais tremper mes pinceaux dans l’encre noire plutôt que d’employer des couleurs. On m’a raconté que je faisais de grands traits noirs sur le papier, j’aurais répondu que je faisais de la neige », racontait Pierre Soulages en 2009, lors de la rétrospective organisée par le Centre Pompidou pour ses 90 ans. Il rendait ainsi le blanc du papier plus blanc en mettant du noir…

     

    Pierre Soulages a toujours aimé le noir : « Ce fut la couleur de mes vêtements dès que j’ai pu les choisir. Ma mère était outrée. Elle me disait : ‘Tu veux déjà porter mon deuil ? » », racontait-il à l’AFP en février dernier. Et c’est aussi en noir qu’il s’est marié en 1942 avec Colette, dont il partage la vie depuis 77 ans. En 1979, Pierre Soulages a commencé à ne mettre que du noir sur ses toiles, inventant ce qu’il a appelé l’Outrenoir, un autre « champ mental que le noir ».

     

     

     

    Le choc de Conques

    Pierre Soulages est né en 1919 à Rodez, dans l’Aveyron. Son père, un carrossier qui fabrique des charrettes, meurt alors qu’il n’a que sept ans. Il est élevé par sa mère et sa sœur plus âgée que lui. Enfant, il s’évade en fréquentant les artisans de son quartier. Il en gardera un goût pour les outils, utilisant des pinceaux de peintre en bâtiment ou fabriquant lui-même ses instruments.

    Lors d’un voyage de classe, il visite l’abbatiale romane de Conques (dont il créera les vitraux, bien des années plus tard), un choc esthétique qui décidera de sa carrière : « C’est (…) là, je peux le dire, que tout jeune, j’ai décidé que l’art serait la chose la plus importante de ma vie », disait-il dans un entretien à la Bibliothèque Nationale de France en 2001.

    Il peint régulièrement à partir de 1934 et monte à 18 ans à Paris pour préparer le concours de l’Ecole des Beaux-Arts. Il est admis mais il trouve l’enseignement médiocre et décide de retourner à Rodez.

    La période de la guerre est mouvementée : il est mobilisé en juin 1940, démobilisé début 1941, il étudie à l’Ecole des Beaux-Arts de Montpellier, puis travaille dans un vignoble sous une fausse identité pour échapper au travail obligatoire en Allemagne.

     

     

     

    Soulages, ce n’est pas que le noir

    La carrière de peintre de Pierre Soulages commence réellement quand il s’installe à Courbevoie, en banlieue parisienne, avec Colette, en 1946. D’emblée, ses œuvres sont abstraites. Il combine d’épaisses lignes verticales, horizontales, obliques, comme des idéogrammes. Il peint sur papier avec du brou de noix, sur des verres cassés avec du goudron.

    Au-delà de Conques, il a été impressionné par l’art pariétal, dans lequel il puise ses couleurs. Des couleurs sourdes, de l’ocre au noir en passant par le rouge ou des bruns plus ou moins intenses. Pierre Soulages a employé le brou de noix, le goudron, le noir de fumée, le noir d’ivoire, toutes matières organiques qui réfèrent à l’art de la préhistoire, aux premiers signes tracés à l’aide d’un morceau de charbon de bois dans l’obscurité des grottes. La peinture de Pierre Soulages dialogue avec la Peinture elle-même…

    A partir de 1951, Soulages pratique aussi la gravure, sur plaques de cuivre. Ses estampes de petite taille utilisent toutes ces couleurs, en contraste avec le noir. Il réalise plus tard des lithographies où il utilise des couleurs plus vives, rouge vermillon, jaune vif, bleu. Puis des sérigraphies (c’est une sérigraphie de Soulages qui est d’ailleurs utilisée pour l’affiche du festival d’Avignon en 1996). Sur papier, il peint des gouaches où il introduit des bleus intenses et lumineux.

    Dans ses peintures des années 1950-1970, il fait contraster des formes noires avec des fonds colorés, puis il fait apparaître les couleurs du fond en raclant le noir. Ou bien il fait contraster le noir avec le blanc.

     

     

     

    L’outrenoir : le noir et la lumière

    C’est en 1979 que Pierre Soulages invente le mythique Outrenoir et ces toiles, pour lesquelles il est le plus connu, où il n’utilise que le noir. En 2009, lors de la rétrospective du Centre Pompidou, il expliquait à l’historien de l’art Hans-Ulrich Obrist que l’Outrenoir est né alors qu’il était en train de « rater une toile. Un grand barbouillis noir ». Déçu par le résultat, il est allé dormir. « Au réveil, je suis allé voir la toile », racontait-il. « Et j’ai vu que ce n’était plus le noir qui faisait vivre la toile mais le reflet de la lumière sur les surfaces noires. Sur les zones striées, la lumière vibrait, et sur les zones plates tout était calme ». Un nouvel espace s’ouvre, pour lui, devant la toile : « La lumière vient du tableau vers moi, je suis dans le tableau ».

     

    « Pour ne pas limiter ces peintures à un phénomène optique, j’ai inventé le mot Outrenoir, au-delà du noir, une lumière transmutée par le noir et, comme Outre-Rhin et Outre-Manche désignent un autre pays, Outrenoir désigne aussi un autre pays, un autre champ mental que celui du simple noir. » (Pierre Soulages)

     

    Il se met alors à jouer avec la matière de la peinture noire qu’il travaille avec des outils, créant du relief, la rendant luisante ou mate. Dessus, la lumière produit des changements de couleur. D’une toile en trois panneaux (Peinture 222 x 449 cm, 30 septembre 1983) qu’il avait observée chez lui à Sète, près de la Méditerranée, et qu’il présentait au Centre Pompidou en 2009, Pierre Soulages a dit : « Certains matins, elle est gris argent. A d’autres moments, captant les reflets de la mer, elle est bleue. A d’autres heures, elle prend des tons de brun cuivré (…). Un jour, je l’ai même vue verte : il y avait eu un orage et un coup de soleil sur les arbres qui ne sont pas loin de là ».

     

     

     

    Voir Soulages, de Conques à Rodez

    Les vitraux de l’abbatiale de Conques, une commande publique, sont une des grandes œuvres de Pierre Soulages. Elles lui ont demandé sept ans de travail, entre 1987 et 1994. Pour les 104 verrières, il a imaginé un verre particulier, créé avec le maître-verrier Jean-Dominique Fleury. Il utilise l’opacité et la transparence qu’il a réparties pour faire varier les intensités lumineuses en fonction de l’heure du jour : cela a donné des effets de couleurs inattendus. Des lignes fluides, obliques, légèrement courbes, courent sur le verre.

    Un autre lieu qu’il faut visiter absolument pour rencontrer Soulages, c’est le musée qui lui est consacré dans sa ville natale et qui possède le plus important ensemble de ses oeuvres. Le Musée Soulages de Rodez a ouvert ses portes en mai 2014. L’artiste en a accepté l’idée à condition qu’il soit ouvert à d’autres artistes. Il a fait une donation de 500 pièces au musée, dont de nombreuses gravures, des gouaches, des encres, des brous de noix, des huiles sur toile et tous les travaux liés à la création des vitraux de Conques (notamment les cartons). Il y a ajouté quatorze peintures dont un Outrenoir de 1986.

    Pour ses cent ans, le Louvre rend hommage à Pierre Soulages en exposant dans le Salon Carré une sélection d’une vingtaine d’œuvres couvrant toute sa carrière, prêtées par les grands musées du monde (du 11 décembre 2019 au 9 mars 2020). Le Centre Pompidou expose également une sélection de 14 des 25 œuvres de l’artiste conservées dans sa collection, dont sept provenant du legs de Pierrette Bloch jamais encore montrées au Centre. Le Musée Fabre de Montpellier, qui possède une collection importante de Soulages, lui rend aussi hommage avec un parcours enrichi de nouvelles oeuvres, dont des prêts.

     

    Source : France Info Culture

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Pierre Soulages, derrière le noir, la quête de la lumière

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Pierre Soulages, quand la matière devient lumière

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Le Siècle Soulages à Rodez

     

     

     

  • Et maintenant… Un petit conte de Noël

     

     

    Tout commence dans une librairie parisienne où je viens d’acheter un livre de recettes de cuisine spéciale viande crue de jeunes animaux écrit par Harvey Weinstein, que je compte offrir à une copine vegane. En cette période de Noël, il y a toujours ces dames qui vous enveloppent vos cadeaux en échange d’une pièce que vous laissez ensuite pour une œuvre caritative.

     

    Attendant mon tour tout en regardant ces femmes s’activer consciencieusement sur l’emballage des cadeaux des clients, je me tourne alors vers mon voisin de queue pour lui faire profiter d’une blague que vient de m’inspirer la scène que je contemple : « et dire qu’il y a des gens qui passent tout leur temps sur les sites de rencontres alors qu’elles, elles emballent toute la journée ! »

    Quelques fous rires gras entendus emportent l’adhésion autour de moi, mais je me rend compte très vite aussi que dans ce petit public acquis se trouvent trois personnes que je n’avais pas spécialement référencées tout de suite… Soudain, avec stupeur, je comprends qu’il s’agit en fait de Caroline de Haas, Marlène Schiappa et Maboula Soumahoro. Elle se trouvent juste à deux mètres de moi.

    Toutes les trois me fixent intensément, puis je vois leurs bouches lentement s’ouvrir et se tordre. Les gens s’écartent autour d’elles. Un bourdonnement emplit mes oreilles. Des mouches commencent à s’agglutiner sur les vitrines. Caroline de Haas lève un bras dans ma direction, me pointant du doigt, puis les deux autres en font de même. Leurs bouches sont à présent grandes ouvertes et un son atroce en sort, comme un hurlement à l’envers, une sorte de cri de chat en encore plus aigu.

    C’est immédiatement la panique dans la librairie. Des livres commencent à voler de toute part. Les clients s’éparpillent. Certains réussissent à sortir mais très vite les portes se referment violemment. La table devant laquelle se trouvaient plus tôt les deux emballeuses est projetée contre la sortie pour bloquer l’accès. Les gens hurlent. Dans la bousculade générale, certains qui étaient tombés par terre, sont piétinés. Les cris fusent à travers le magasin.

    Les trois féministes, à l’aide de pouvoirs télékinésistes, empêchent tout échappatoire en déplaçant des meubles à étagères devant les vitrines. Des livres sont projetés mais cette fois-ci pour servir de projectiles et j’en suis la principale cible. Ayant remarqué une petite porte dérobée au fond du magasin, je profite de l’hystérie collective pour m’y ruer. C’est alors une kyrielle de bouquins qui s’abat sur moi.

    Avec mes bras, j’essaie d’esquiver une biographie sur Simone Veil qui allait se fracasser contre mon front, puis c’est un livre sur Simone de Beauvoir qui tente de me pincer le nez. Une série de petits livres de la collection Que Sais-Je, dont un sur Greta Thunberg, pleut sur ma tête. Rokhaya Diallo, George Sand, Isabelle Alonso… J’arrive plus ou moins à toutes les esquiver à l’aide d’un Petit Robert que j’avais attrapé dans ma fuite.

    Je finis par arriver à la porte, en espérant que celle-ci ne soit pas fermée à clé. Non, la chance pour l’instant semble être de mon côté. J’accède à une réserve. Tout au fond de la pièce, encore une porte. Elle donne accès cette fois-ci sur une cour. Derrière moi, j’ai le temps de distinguer les trois furies qui sont toujours à mes trousses. J’ai également le temps de m’apercevoir que leurs mains se sont transformées en paire de ciseaux pour l’une, des sécateurs pour une autre et deux godemichets vibrants pour la troisième.

    Si tout cela est un cauchemar, je souhaite seulement qu’il s’arrête très vite ! C’est fini, promis, je ne boirai plus jamais de Tariquet à l’heure du déjeuner. Tout en courant, je saisis mon téléphone portable…

    Au bout d’une ruelle trônent deux gros containers de poubelles que j’arrive à renverser pour obstruer le passage et tenter de gagner quelque secondes qui pourraient m’être précieuses. J’entends derrière moi un cri. C’est Maboula qui vient de tomber. Son corps s’étale mollement. Caroline, quant à elle, enjambe lestement l’obstacle. En me retournant, j’évalue rapidement la distance avec les trois prédatrices.

    Je n’en vois plus que deux. Où est passée Marlène ? d’un coup, je l’aperçois. Elle court au-dessus de moi le long d’un mur, à quatre pattes, comme une araignée, l’écume aux lèvres. Son maquillage a en partie disparu et sa coiffure ressemble désormais au champ de bataille de Verdun en 1917. Elle tente de se projeter sur moi, mais j’ai le réflexe de m’écarter au dernier moment. Elle s’écrase au sol elle aussi de tout son long, dans un bruit sourd. Je l’entends éructer alors un « mange la cervelle de tes morts ! » qui m’est de toute évidence destiné.

    Je débouche enfin sur une rue passante, au beau milieu des piétons et des trottinettes. Je renverse dans ma course une espèce de Vincent Delerm avec un bébé accroché sur son torse, qui me soumet alors une expression d’endive, me lançant un « attention quand même, je porte un bébé, c’est pas cool ! ».

    J’aperçois les trois gorgones toujours à mes trousses, leurs bras tendus dans ma direction, avec à leur extrémité des lames acérées et des pénis turgescents qu’elles actionnent, au son de « crouic crouic, tchac tchac, floutch floutch ». J’ai l’impression, mais je n’en suis pas vraiment sûr, que leurs bras se sont allongés démesurément. Mon téléphone toujours en main, je tente de trouver à la volée un contact connu dans mon répertoire.

    Personne dans la rue ne semble s’inquiéter de ma situation. En même temps, nous sommes dans le 11ème du côté de Parmentier, entre les rues Jean Pierre Timbaud, Saint-Maur et La Fontaine au Roi. Merde… Je suis en plus en pays hostile, le Mordore où règne le Grand Œil, celui du Sauron de ce quartier, l’esprit d’un Yann Barthes omnipotent.

    J’ai dû prendre pas mal d’avance car je ne vois plus mes assaillantes derrière moi. J’en profite alors pour me réfugier dans un café bondé. Je vais me placer tout au fond et je me sers de la banquette sur laquelle je m’assois pour me dissimuler, tout en guettant les agissements à l’extérieur. J’aperçois finalement mes trois bourreaux passer en regardant frénétiquement autour d’elles. La truffe au vent, leurs têtes tournent à 180 degrés et leurs bras ondulent comme des tentacules le long du corps.

    Dans la salle, je me rends compte, mais peut-être un peu tard, qu’il n’y a que des femmes autour de moi. Et les regards à mon encontre sont définitivement hostiles. C’est impossible, non ! Je ne peux pas rester là, c’est trop dangereux, mais au moment de repartir, Schiappa et ses complices entrent dans le café. Des femmes accoudées au comptoir leur indiquent ma présence, en leur pointant du doigt la banquette où je me cache.

    J’ai juste le temps, en restant accroupi, de passer in extremis dans les toilettes. Je me trompe de côté et me voilà dans celles des filles. La pièce comporte plusieurs cabines avec des portes battantes, sous lesquelles on peut apercevoir les pieds de l’occupante. Je vais me cacher dans la troisième de la rangée et monte sur le cabinet, tremblant. Je ne peux même pas appeler, de peur de me faire remarquer. Je décide d’envoyer des sms groupés à tous mes contacts. Je commence à taper un message désespéré, mais le correcteur de mon téléphone change systématiquement le sens de mes phrases. Mon appel au secours devient ainsi « pour un Uruguay libre ! Lula, on t’aime ! la république, c’est moi ! »

    Mais comment est-ce possible ? Bon sang, mais c’est bien sûr ! Nous sommes dans le 11ème et mon téléphone s’est reconfiguré en fonction du quartier. Putain de correcteur mélanchoniste ! La porte principale des toilettes s’ouvre. J’entends des voix. Ça y est, elles arrivent. Je suis fait comme un rat bolivarien… J’essaye de ne plus respirer. Les voix se rapprochent.

    J’entends également un bruit de métal, sûrement celui d’un objet contendant que l’on ferait frotter sur les portes des cabines. Les ciseaux ou les fameux sécateurs. Et maintenant un bruit plus sourd, comme du caoutchouc ou du latex, que l’on fait glisser sur les parois. Ça doit être les godes… Ces filles sont folles et elles veulent ma peau. Tout ça pour une petite blague de merde, sans aucune arrière-pensée, en plus. C’était bête, certes, je l’avoue, mais de là à vouloir m’émasculer, me violer…

    Et puis d’un coup, ma vie entière défile devant mes yeux… Je repense au fait que je n’ai jamais voté Lionel Jospin, ni François Hollande. C’était au-dessus de mes forces… Je réalise également que je viens d’avoir 50 ans au mois de juillet, que je suis blanc par-dessus le marché. Mon Dieu, je suis la cible rêvée, le coupable idéal. Je coche toutes les cases. En clair, je suis foutu…

    J’aperçois alors trois ombres qui s’arrêtent devant ma cabine. S’ensuit un long silence. La pièce semble s’être vidée de tout son oxygène. J’ai envie de faire caca. La porte vole soudain en éclats. Les trois monstresses, sans me laisser la moindre chance, me sautent dessus. Je laisse échapper un cri rauque. C’est la fin… Est-ce la fin ? Est-ce que je vois la fameuse lumière blanche ? Mais c’est plutôt une lumière bleue qui illumine d’un coup toute la pièce. Une lumière bleue intense qui irradie les lieux. Je suis aveuglé. Je me protège les yeux. Les trois dingues, aveuglées également, reculent en poussant des râles de douleur. Elles se tordent comme des asticots…

    Je descends de mon perchoir et sort brusquement de la cabine des wc. Je distingue une forme, pour l’instant floue, dans l’encadrement de la porte principale. Une forme pas très grande et légèrement voutée. La lumière qui continue d’irradier et qui semble paralyser les autres n’est bizarrement plus pour moi une agression. Je comprends que l’être magnifique dressé devant moi doit être un ange ou une bonne fée venue à mon secours.

    Ça y est,  je vois distinctement cette fois-ci. On dirait Gargamelle. Et cette lumière bleue… les Schtroumpfs ? Ah non… C’est Eric Zemmour, là, dressé devant moi. Il me tend la main en souriant : « viens avec moi , vite ! ». Nous partons ensemble, main dans la main. On s’envole. Derrière nous, Schiappa, de Haas et Soumahoro sont expulsées dans la cuvette des toilettes. La chasse d’eau est actionnée et elles disparaissent dans un vortex d’eau, de crottes et de Canard WC. On entend un dernier cri… « Nooooon ! »

    Tel Marie Poppins, Zemmour m’emmène dans un pays enchanté fait à moitié de réalité et de dessin animé. C’est très beau. J’entends du Tino Rossi partout et des petits enfants courent autour de nous en brandissant des fanions tricolores et en scandant de manière exaltée « Vive le Maréchal ! ». Eric me sourit. Elles sont tous là, Christine Boutin, Marion, Marine… Nous sommes maintenant tous nus et nous courons dans les hautes herbes…

    … Je me réveille. Une voix : « Monsieur, Monsieur !! ». Je suis en train de faire la queue avec des gens qui attendent pour se faire emballer leurs achats de Noël. Une librairie, apparemment… Je me retourne pour regarder tous ceux qui m’entourent. Je ne reconnais personne. Que des anonymes comme moi. Je tiens dans mes mains un livre de recettes intitulé « Comment cuisiner de manière inventive et gourmande des endives et des navets », écrit par Aymeric Caron et préfacé par Nicolas le jardinier. Je regarde les deux femmes qui s’attèlent à envelopper les livres. Une blague me vient à l’esprit. Je regarde autour de moi et puis finalement je ne dis rien.

    Je sors et me retrouve dans la rue, parmi tous les autres, dans le confort rassurant de la foule, compacte et mouvante. Je disparais moi aussi dans cette bienveillance obligée, saint et sauf, phagocyté par la magie de Noël…

     

     

     

  • Il y a vingt ans, Invader envahissait l’Amérique

     

     

    En 2018, le street artist français Invader fêtait ses vingt ans d’invasion de tous les murs de la planète en diffusant sur Instagram de petites vidéos de ses oeuvres réalisées en 2000 à Los Angeles. Des images rares…

     

    Il y a un an précisément, l’artiste français Invader, connu pour ses célèbres mosaïques apposées sur les murs du monde entier, organisait une exposition à Los Angeles, afin de fêter dignement ses vingt ans de street art. À cette occasion, il publiait sur son compte Instagram des archives vidéos de ses actions réalisées dans la ville californienne au début des années 2000. De son propre aveu, il s’agit là « d’archives incroyables » (« amazing archives » dans le texte d’une légende qu’il a postée). Et en effet, on a rarement eu l’occasion de voir l’artiste ainsi en action…

    Sur la première vidéo, on le retrouve donc le 31 décembre 1999, en train d’installer LA_11 (LA pour Los Angeles, et _11 signifiant qu’il s’agissait du 11ème Space invader apposé sur un mur de la Cité des Anges) sur la célèbre enseigne géante « Hollywood » qui surplombe la mégalopole américaine :

     

    https://www.instagram.com/p/BoHFPuQDZGg/

     

     

    Dans une seconde séquence publiée sur son compte Instagram, il indique dans la légende que parfois, les choses ne se déroulent pas tout à fait comme prévu… Sur ces images, datées de décembre 1999, on le voit installer un Space Invader, juste au moment où un homme un brin menaçant intervient et l’intime de cesser ce qu’il est en train de faire. L’artiste s’exécute en retirant la mosaïque encore fraîche et la mention « Game Over » apparaît à l’image :

     

    https://www.instagram.com/p/BoJGh8xjhPf/

     

     

    Enfin, sur une troisième archive assez brève, on le voit installer au moins quatre spécimens d’envahisseurs :

     

    https://www.instagram.com/p/BoMOR60j-zG/

     

     

    Des images rares qui ne sont pas sans nous rappeler celles tournées par Thierry Guetta – aka Mr Brainwash – et utilisées dans le film de Banksy, « Exit through the gift shop ». Cette astucieuse critique de l’intérêt soudain du grand public pour le graffiti était sorti en 2010 en France. Guetta s’y présente comme le cousin d’Invader et déclare vivre en Californie depuis (presque) toujours… Il y aurait tourné des milliers d’heures d’images, présentant des street artistes internationaux en action, dont Banksy. Sans que l’on sache d’ailleurs qui avait manipulé qui… Comme on peut le voir sur les images, Invader est finalement contrôlé par la police à l’issue de la pose du fameux LA_11…

     

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    Pour mémoire, Invader célébrait le lancement de son projet artistique par l’invasion de Paris en 1998. Certes, deux ans plus tôt, le 1er mai 1996, le tout premier Space Invader, PA_001 (PA pour Paris, la suite vous l’avez ?) était installé passage de la Main d’Or dans le XIème arrondissement. Il aura fallu attendre ensuite deux années pour que PA_002 n’apparaisse à son tour sur un mur de la Rue Quincampoix en mars 1998. Ces deux premiers envahisseurs ont malheureusement depuis été détruits… Mais ces archives vidéos nous rappellent aussi que Los Angeles fut parmi les toutes premières villes à être envahies, après Paris.

    Alors aujourd’hui, 22 ans après ses débuts, ce sont pas moins de 3500 envahisseurs qui ont fleuri sur les murs des villes du monde entier. L’année dernière, à l’occasion de cette première exposition qui lui était consacrée à Los Angeles, après avoir reproduit des milliers de silhouettes pixelisées d’aliens tirées du célèbre jeu d’arcade Space Invader à travers le monde, l’artiste décidait de faire une entrée remarquée sur le marché de l’art. « Une majorité des oeuvres de l’exposition sont déjà vendues (trois jours après le vernissage) », assurait Lauren Every-Wortman, étonnée de la longueur de la file d’attente lors de l’ouverture.

     

     

     

    Répartie sur plusieurs salles, l’exposition « Into The White Cube » mettait en exergue les différentes pratiques artistiques d’Invader. On y retrouvait ainsi ses fameuses mosaïques représentant son monstre favori, sous la forme d’une pizza géante (dont l’original se trouve à New York) ou du Big Lebowski. « Ce sont quelques reproductions sur plexiglas de ce qu’il a fait dans les rues de Paris, Londres ou Los Angeles », détaillait Lauren Every-Wortman, fière de pouvoir présenter une réplique de la première oeuvre produite à Los Angeles, en 1999.

     

     

     

    Pour immortaliser ses oeuvres, avant qu’elles ne risquent d’être dérobées et vendues au marché noir, l’artiste prenait ainsi des photographies de chaque création le lendemain de leur installation, au petit matin. Une série de clichés était ainsi exposée dans la galerie, permettant de jouer à « où est Charlie ? » avec les oeuvres de l’artiste. « Certains fans font de la réactivation de ses oeuvres et recréent celles qui sont volées », raconte la commissaire.

     

     

     

    Mais le travail d’Invader ne s’est pas cantonné aux monstres pixélisés : « l’exposition présente des pièces en avant-première, comme des badges géants ou des pièces sur canevas ». Sur ces toiles, normalement réalisées sur ordinateur, l’artiste décide de revenir à ses premières amours pour la peinture, en créant des emojis pixelisés. Dans la dernière salle, on retrouvait une série plus ancienne de pages de catalogues de maisons d’enchères, sur lesquelles Invader a tagué son blase à la bombe. Enfin, le public pouvait découvrir une partie de son travail via une vidéo portant sur son travail de street-artist la nuit.

     

     

     

     

    En octobre 2018, Invader publiait d’ailleurs une nouvelle édition de son invasion de Los Angeles, intitulée « Invasion Los Angeles Updated Edition 1999 – 2018 », après avoir installé de nouveaux Space Invaders dans la Cité des Anges, parmi lesquels ceux-ci que l’on aime tout particulièrement… « Il a notamment envahi le Hollywood Sign, rappelle Lauren Every-Wortman. C’est un jeu de les trouver, même si certaines ont été volées depuis ».

     

    https://www.instagram.com/p/BiwrV3ojkGx/

     

    https://www.instagram.com/p/BixbaEAjmND/

     

     

    Et pour finir, nous rejoignons Invader dans son atelier, pour un petit cours de céramique dispensé par le maître himself…

     

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  • « Starouarz », ou comment Disney a transformé l’héritage de Lucas en un gros sac de Chamallows

     

     

    Si l’on osait la comparaison, l’empire de Mickey serait un gros globule blanc. Disney qui, depuis le rachat de Pixar en 2006, n’a de cesse que de phagocyter tout ce qu’il acquiert, nivelle tout ce qui devient sa propriété, pour proposer ensuite des produits de contrefaçon juste bons à servir eux-mêmes d’outils de communication, avec comme objectif ultime d’écouler du produit dérivé à la tonne.

     

    C’est d’ailleurs la même bonne vieille recette qui est utilisée depuis toujours par Disney pour ses parcs d’attractions, où pour cinq minutes de fun (je ne compte pas l’heure de queue avant…), vous êtes obligés de passer deux heures dans un supermarché de jouets et goodies, posé là, sur votre chemin vers la sortie, dans le seul but de vous faire les poches un maximum et d’engraisser toujours un peu plus toute cette cynique entreprise.

    Walt Disney n’a plus rien à dire, si tant est qu’il eut par le passé déjà quelque chose d’intéressant à raconter. Ou alors il y a bien longtemps… Car il est vrai que ce parangon de l’animation de long métrage, dite de prestige, s’est finalement fait rattraper par des concurrents bien plus pertinents, au début des années 80, comme Don Bluth, dissident et ancien collaborateur émérite de la souris gloutonne, très vite disparu après juste une poignée de films d’animation qui ne rapportèrent pas assez d’argent.

    Mais c’est surtout au Japon, avec le Studio Ghibli, le pendant asiatique de Disney, d’une richesse thématique inouïe, chez qui poésie, lyrisme et messages emplissent le moindre celluloïd, que les limites du géant américain se révèleront au grand jour. Miyasaki va élargir la brèche et oser rivaliser avec malice avec Disney, en nous proposant des films inoubliables.

     

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    C’est pourtant bien avant cela qu’il faut pour le muridé vorace (terme encyclopédique pour désigner une souris, bande d’incultes…) trouver d’autres paysages à envahir pour redéfinir son image. Bref, se repositionner pour ne plus jamais perdre la main. Des cerveaux se sont mis à réfléchir…

    Dès les années 50, Mickey se lance dans le long métrage live, avec des propositions toujours aussi niaiseuses, qui rencontrent cependant un relatif succès, surtout sur son continent d’origine. Mais il faudra attendre 1964, avec le triomphe de « Mary Poppins », pour prétendre au succès mondial, en jonglant sur les deux médiums. Rester roi de l’animation tout en devenant le roi du cinéma de divertissement familial, avec des œuvres techniquement ébouriffantes et jamais vues.

    En essayant de sortir un peu de son carcan guimauve et familial, la firme de l’oncle Picsou va ainsi traverser une période assez longue et douloureuse, s’essayant à ses propres films d’animation originaux, comme « Taram et Le Chaudron Magique » et surtout en live avec « The Black Hole » en 1979, qui tente de surfer sur le succès mondial d’un fameux « Star Wars » (tiens tiens…). Le film est un énorme bide et ébranle même sérieusement tout l’édifice de fromage entassé depuis la création de Disney en 1923.

    Car le Trou Noir arrive trop tard et même si sa direction artistique semble intéressante, toute l’entreprise pèse trois tonnes. C’est un gros truc balourd et statique venu d’un autre temps. Et Disney est complètement à côté de la plaque… « Star Wars » a révolutionné le genre, en proposant, en plus des vaisseaux spatiaux et des robots, la vitesse et en introduisant dans ces récits technologiques de l’aventure et du serial. Quant à George Lucas, il a su mélanger avec brio différents thèmes et histoires pour retranscrire à un moment charnière ce que les gens rêvaient de voir sans l’espérer.

     

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    Inutile de préciser que Mickey l’a mauvaise… Mickey est revanchard. Et Mickey est tout rouge… Soit, si l’empire aux grande oreilles, coloré, sucré et souriant en apparence, ne peut prétendre à surprendre et cartonner avec ses propres créations, alors il rachètera un après l’autre tous ceux qui pourraient devenir des concurrents et surtout constituer des mannes en devenir ; des créateurs de légendes, en somme. Là où pour l’instant la souris cupide n’avait su que dépoussiérer les contes d’Andersen, des frères Grimm ou d’autres écrivains européens oubliés, il lui faut désormais s’approprier de vraies mythologies Yankee, celles dans lesquelles le peuple américain se reconnaîtra sûrement. Mickey, totalement mégalomane, veut devenir le maître du monde…

    Robert (dit Bob) Iger, le nouveau PDG de The Walt Disney Company depuis 2005, lance alors une implacable offensive. Et Disney va désormais dévorer tous ceux qui pourraient faire de l’ombre à la petite souris… A commencer par Pixar en 2006, puis Marvel Studios en 2009 ; toute son écurie de super-héros (ou presque) en fait d’ailleurs les frais. Mais il faudra attendre 2019 pour que la souris obèse croque également l’indéboulonnable Twenty Century Fox, et puisse user jusqu’à la corde la franchise des X-Men, préservée jusqu’à ce funeste jour dans le giron des célèbres studios. Ne reste finalement plus que Spiderman, toujours chez Sony-Colombia, que les Japonais ne veulent pas offrir en pâture au rongeur ogre (tiens tiens (bis)…).

     

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    Mais c’est sans doute avec la vente de LucasFilm que le choc sera le plus retentissant. Abandonnant son bébé, George Lucas, homme d’affaire avisé avant d’être le visionnaire que l’on veut naïvement croire, devait bien savoir que sa lointaine galaxie allait échoir dans des mains peu scrupuleuses. Mais Lucas traîne son enfant depuis 1977, connaissant un inégal succès, certes, mais surtout beaucoup de déconvenues, de cris et de larmes chez l’entité monstrueuse qu’il a créée sans le faire exprès et dont il a totalement perdu le contrôle, à la merci d’un public fanatisé qui voit en « Star Wars » sa nouvelle religion. Ainsi, pour échapper à diverses fatwas et reprendre une vie normale, loin du tumulte de la foule haineuse qui a élevé la saga au rang de finalité de vie, Lucas accepte de vendre le package et ses emmerdes avec.

    Pourtant, en signant le contrat en 2012 pour la modique somme de 4,05 milliards de dollars, notre George préféré reçoit encore de la part de ses acheteurs toutes les scrupuleuses attentions relatives à la ligne éditoriale des prochains opus, des séries pour la télé et autres histoires issues de la célèbre saga. Même les ébauches de scénarios pour d’éventuelles suites, soit les futurs épisodes VII, VIII et IX, déjà plus ou moins couchées sur le papier par Lucas, sont fournies dans le cadre du rachat, ainsi que Kathleen Kennedy, déjà présidente de LucasFilm. Tous les cadres de la souris enragée et revancharde jurent sur leurs mères et leurs enfants réunis, ainsi que sur la tête de Tata Rachel, que « Star Wars » sera respecté, aimé et qu’il ne lui sera jamais fait aucun mal.

    Huit années plus tard… Dans une galaxie pas très lointaine, en Californie précisément, « Star Wars » est aujourd’hui dans le bien piètre état qu’on lui connaît. Non seulement les pontes de Disney n’en ont eu strictement rien à fou… faire de ce que Lucas souhaitait pour la suite de ces aventures spatiales et intersidérales, mais de surcroît, ils ont fait exactement ce que l’on pouvait redouter. A savoir « Marveliser », ripoliner notre saga préférée, la rendre tiédasse à souhait. Bref, « Star Wars » est devenu « Les Cochons Dans L’Espaaaaaaaace »…

    Inutile de revenir sur le piteux épisode VII et son manque flagrant d’audace et de nouveauté, tout ce contre quoi Lucas s’était toujours battu. En produisant des « Star Wars », le réalisateur du mythique « American Graffiti » voulait, à chaque nouvel opus, repousser les limites techniques et offrir des spectacles toujours plus novateurs. Même si George Lucas n’a jamais été un génial réalisateur ou même un éminent scénariste, reste qu’il faut tout de même lui concéder un indéniable talent de conteur, de mixeur brillant, pour faire se télescoper des concepts et des images inédites. Mais là, c’est la douche froide… Non seulement « L’Eveil de la Force » ne propose rien de nouveau mais cet épisode VII se paye en plus le luxe de réchauffer au micro-ondes des pans entiers de l’épisode IV, « Un Nouvel Espoir ».

    On sait ensuite comment la gestion de cette nouvelle histoire et de ses personnages va être malmenée dans l’épisode VIII, où le nouveau réalisateur ne semble pas s’être spécialement intéressé aux fondations de cette nouvelle trilogie. Cependant, même si « Les Derniers Jedi » divise (et c’est un euphémisme), il faut quand même reconnaître à Rian Johnson son sens de l’ampleur et une certaine ambition de cinéma, qui font depuis toujours cruellement défaut chez J.J. Abrams. « Les Derniers Jedi », à défaut d’être cohérent avec la mythologie « Star Wars », propose, essaye, tente des pistes. Le film et son réalisateur deviennent pourtant, après Eric Zemmour, ce qu’il y a de pire au monde…

     

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    Et force est de constater que tout cela fleure bon l’amateurisme général et cette façon désinvolte de traiter par dessus la jambe un tel monstre de l’inconscient collectif. Les histoires paraissent écrites au fur et à mesure, sans qu’il n’y ait de réelle vue d’ensemble. Le réalisateur Colin Trevorrow, censé boucler l’ultime épisode, est remercié et remplacé au pied levé par ce cher J.J. Abrams (encore…), qui réécrit finalement toute l’histoire. On est bien là en train de parler de « Star Wars », hein !! Pas de « Plus Belle La Vie », entre l’épisode 450, 451 et 452. Ok ??

    Alors en attendant cet ultime épisode IX qui va sortir dans quelques jours, on nous promet depuis plusieurs mois, à grand renfort de bandes-annonces, de teasers, spots TV en pagaille, de théories de geeks, d’images et d’interviews de tel ou tel intervenant, tous plus rassurants les uns que les autres, que cette fois-ci, ça y est, ça va être fou et que l’on va tous faire « sploutch » dans nos slips ou « sprooch » dans celui des filles…

    Mais le petit souci, en fait, c’est que depuis l’épisode VII, ni l’histoire, ni ses enjeux, ni ses méchants, ni rien d’ailleurs, n’offre un quelconque intérêt, une éventuelle surprise. « Bon les gars, notre méchant a été tué dans l’épisode VIII… Il nous reste quand même encore un épisode à torcher. Il nous faut un autre méchant… Bon, des idées ? Plait-il, J.J. ? faire revenir l’empereur ? Mais il n’était pas mort ? Quoi ? tu t’occupes de tout ? N’oublie pas que tu n’as que deux mois pour ficeler un scénario… Ca ira quand même ? Ok, cool, yeap ! »

     

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    Alors oui, c’est par réflexe Pavlovien que l’on va courir comme des sots encore cette fois-ci, parce qu’on se dit : « Eh, Starouarz quand même ! ». Effectivement, il y eut bien un petit miracle avec « Rogue One », le premier crossover, soit un épisode qui ne rentre pas dans la série officielle, mais qui s’y raccroche quand même pour combler certains trous laissés ça et là… Le film, tout en étant plaisant, offrait un autre aspect de l’univers, moins édulcoré et plus sombre, plus mélancolique. Quant à « Solo », le film conçu justement autour du personnage de Han Solo… Ce fut non seulement une purge mais de surcroît un énorme bide au box office mondial (ouf). On pensait que cela allait faire réfléchir un peu tous les zombies aux commandes et à la manœuvre ? Que nenni…

    La mini-série appelée « The Mandalorian » est également un infâme brouet fan-service, avec en prime toutes les peluches kro-kro mignonnes vues dans les films de la série. Avec cette impression qu’à chaque nouvel épisode (beeen oui, parce que le gros fan de Starouarz, même s’il critique, ne manque pas un seul épisode, tellement hypnotisé qu’il est…), le producteur de ce programme a en fait placé des caméras dans la chambre de son fils, qui joue à la « Guerre des Etoiles » avec toutes ses figurines et ses vaisseaux. Et on grossit à peine le trait, tant le scénario s’avère être à peu près de ce niveau-là…

    Alors, pour ce qui est de « L’Ascension de Skywalker », que souhaiter ? Comme le dirait Georges Abitbol dans « La Classe Américaine » : « Ce flim n’est pas un flim sur le cyclisme… ». Car ces nouveaux Star Wars ne sont pas des films, comme ils n’ont finalement rien à voir avec le cinéma. Ils ne tentent rien, ne proposent rien, n’essayent rien. C’est le degré zéro de l’invention. Ce que Disney veut avant toute chose, tel un nouvel empire qui souhaite transformer le monde à son image, c’est que personne ne bronche. Il veut juste servir au public ce qu’il attend. Ne surtout pas le brusquer, ni l’étonner. Oh non, surtout pas l’étonner !

    Starouarz, ce sont ces Chipsters chimiques qui proposent encore et encore de nouveaux goûts, de nouvelles saveurs, oignon, barbecue, fromage, etc… mais qui restent de vulgaires Chipsters, car c’est tout ce qu’on leur demande, après tout, dans ce monde Disneyien…

     

     

     

  • Rick Owens : Collection Aztec Printemps-Eté 2020

     

     

    En septembre 2019, Rick Owens nous présentait la collection Aztec, dans le cadre prestigieux du Palais de Tokyo à Paris. Pour sa collection printemps-été 2020, le créateur américain s’est inspiré de ses origines nord-américaines, avec pour sources d’inspiration trois thèmes forts et dans le feu de l’actualité de l’époque : sa mère d’origine mexicaine, l’actrice Maria Félix et le débat qui fait rage au sujet du mur à la frontière mexicaine.

     

    Comme la saison dernière, lorsque le créateur avait littéralement mit le feu à l’esplanade du Palais de Tokyo, Rick Owens récidive en nous présentant une nouvelle collection aussi impressionnante que sa mise en scène. Des mannequins à l’allure étrange, signature de la marque, défilent dans des robes démesurées, des vestes aux épaules XXL et des vêtements extra-larges. La géométrie quasi-parfaite des vêtements subjugue. L’ensemble de la collection est presque architectural. Le show est puissant, envoûtant, presque effrayant, mais, une fois encore, réussi.

    Ici, ni podium ni tapis rouge. Seul le cadre brut des marches du Palais de Tokyo habille le défilé du maître. Un bassin est aménagé spécialement pour l’occasion, alimenté par une série d’énormes tuyaux qui y déversent une eau à l’éclat particulier. Pour ouvrir le show, de la fumée s’échappe des fameux tuyaux avant qu’un cortège en robe noire ne marche au bord de la piscine, brandissant de longs mâts. Les modèles plongent leurs piques dans l’eau, se soulevant et se séparant en rythme, afin de produire une joyeuse cacophonie visuelle de bulles. Éphémères et implacables, flottantes et glissantes, elles fournissent un fond éthéré mais doux au décor général.

     

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    Les modèles arborent des coiffes pharaoniques, science-fictionnelles et rétro-futuristes, évoluant au beau milieu des tours environnantes, évocation en noir & blanc des plus poétiques du « Metropolis » de Fritz Lang, vite démentie par les tableaux suivants, beaucoup plus colorés. Owens convoque ses origines mexicaines, par sa mère, et fait bien évidemment référence aux problèmes frontaliers actuels dans son pays natal, aux États-Unis, qui rendront désormais plus difficile une éventuelle visite à sa famille qui vit encore plus au Sud, de l’autre côté du mur. Face au discours officiel prônant la construction d’enceintes, le renforcement des frontières et le repli des Etats-Unis sur eux-mêmes, Rick Owens, Américain vivant et travaillant en Europe, lui oppose avec son show cette réponse naturelle, afin d’y honorer ses racines.

    Car les créations d’Owens, ornées de paillettes, d’or, de motifs multicolores, de cuir verni, de pastels et de fleurs sculpturales, à la fois explosives et festives, constituent toujours un retour aux sources, avec des lignes pures et extrêmes. Cette collection nous fait ainsi naviguer entre peur sacrificielle et fascination païenne, entre passé et futur, entre les pyramides de l’Egypte ancienne, les temples aztèques et certains personnages directement tirés d’un épisode de Star Wars… Rick Owens y célèbre la femme universelle, de la Reine de Saba à Cléopâtre.

     

     

     

  • London’s Clubbers dans les 80’s

     

     

    « Habillez-vous comme si votre vie en dépendait ou ne vous dérangez pas », telle était la recommandation de Leigh Bowery quant au code vestimentaire à adopter pour pouvoir participer à ses soirées organisées au légendaire club Taboo, juste à côté de Leicester Square à Londres, dans les années 80.

     

    Leigh Bowery, designer, performer et superstar des nuits londoniennes, était le maître de cérémonie sulfureux de la scène du club underground Taboo au milieu des années 80. Tel un canevas humain éclaboussé de peinture et de maquillage outrancier, il importa au Taboo son carnaval étrange, sur fond de drogue, de psycho-glamour et de débauche poly-sexuelle. Le célèbre portier du club, Mark Vaultier, tendait un miroir aux clubbers qui attendaient à l’entrée et leur posait la question fatidique : « Est-ce que vous vous laisseriez entrer ? »

     

     

     

    En 2013, l’exposition « Club to Catwalk » au Victoria & Albert Museum de Londres nous présentait des créations de John Galliano, Vivienne Westwood, Stephen Jones, Betty Jackson, Paul Smith, Pam Hogg, Katharine Hamnett, Rifat Özbek ou Leigh Bowery et visait à mettre en lumière à quel point la mode des années 80 a émergé directement de la scène musicale underground et des règles draconiennes d’entrée dans certains clubs prisés par la communauté gay. Car il fallait y briller…

    « Club to Catwalk » nous offrait ainsi un aperçu fascinant du monde des designers britanniques, débutants dans les années 80, et qui ont ensuite acquis une renommée internationale, grâce à leur esthétique audacieuse, directement influencée par la culture scandaleuse des clubs de Londres. Avec chaque nouvelle soirée se constituaient de nouvelles tribus de style. L’exposition célèbre les looks extrêmes des sous-cultures londoniennes des années 80, entre Fetish, Goth, Rave, New Romantics et High Camp. L’expression « The blink-and-you’ll-miss-it scene » désignait cette scène sulfureuse où les clubs fêtaient rarement leur premier anniversaire, même si le goût pour la subversion et l’individualité totale et absolue persista tout au long de la décennie.

     

     

     

    John Galliano, qui a étudié au Central Saint Martins Art College de 1981 à 1984, se souvient d’ailleurs que les jeudis et vendredis, « le collège était presque désert. Tout le monde était à la maison pour travailler ses costumes pour le week-end ». Quant à Trojan, une star du Taboo et l’ancien amant de Bowery, il se coupait à moitié une oreille un soir, dans une sorte de happening hédoniste et extrême, car comme il l’expliquait dans un article qui lui était consacré dans le magazine The Face en 1986, « il en avait tout simplement marre de voir son style copié par les filles du Taboo ».

    Claire Wilcox, la responsable de la mode au Victoria & Albert Museum de Londres et commissaire de l’exposition « Club to Catwalk » en 2013, déclarait qu’elle tenait à réfuter l’hypothèse selon laquelle la mode des années 80 se résumait à « des vêtements colorés et des permanentes ». Alors certes, pas d’épaulettes, remplacées avantageusement par des robes pour homme, des accessoires fétichistes signés Vivienne Westwood, des tenues de pirate, un dance floor et un juste-au-corps en Lycra violet avec sa gaine pour pénis intégrée…

     

    Claire Wilcox évoquait en 2013 comment l’esthétique de ces clubs londoniens, beaux et grotesques à la fois, fut cruciale dans l’émergence de la mode grand public des années 80.

     

    Pensez-vous que l’exposition vise à restaurer la réputation de la mode des années 80 ?

    Je l’espère, en tout cas ! Nous faisons évidemment référence à Lady Di, mais nous ne présentons délibérément aucune de ses tenues. Et pour tout dire, il y a très peu d’épaulettes dans l’exposition… Il s’agit plus ici de la mode des écoles d’art ; nous avons des designers incroyables, comme John Galliano, qui débutait tout juste sa carrière à l’époque, mais aussi Vivienne Westwood, « l’enfant terrible de la mode », qui a été absolument radicale tout au long des années 80. Il s’agit également de faire appel à des designers influents qui ne sont pas nécessairement aussi connus aujourd’hui, comme John Flett et Michiko Koshino. Nous voulions montrer comment ce que les clubbers portaient à l’occasion des soirées au Taboo a pu avoir une influence majeure, bien au-delà des murs du sous-sol du club. Créateurs, musiciens, artistes et danseurs sortaient ensemble ; ce croisement entre culture club et monde réel était donc inévitable…

     

    Pouvez-vous donner un exemple de ce croisement entre club et monde réel ?

    L’exemple classique est la chemise New Romantic, que l’on fait blouser, avec son col cassé, particulièrement appréciée par la princesse Diana et ses amis. A cette époque, les créateurs enjambaient deux mondes et apportaient la vitalité et la fraicheur de la scène club, en la mélangeant à ce qu’ils avaient pu apprendre dans les écoles de mode. Stephen Jones créait des chapeaux pour ses amis clubbers, certes, mais il faisait aussi des chapeaux pour la reine…

     

    Comment la musique du club a-t-elle influencé la mode ?

    Cela dépend en grande partie de la façon dont les gens dansaient. Le style « Rave », c’était en substance comment s’habiller au mieux pour transpirer, mais comme l’un de ces New Romantics me l’expliquait un jour : pour eux, il ne s’agissait pas de danser mais de se contenter de remuer le plus esthétiquement possible afin d’éviter de ruiner leurs costumes extravagants… Si vous regardez les premières pièces, qui sont assez précises et utilitaires, elles sont associées à la musique robotique de 1979 ou 1980, puis vous entrez dans la phase historique, lorsque les clubbers se sont plus tournés vers les costumiers de théâtre, pour leurs tenues du samedi soir. Vers la fin de la décennie, vous trouvez de plus en plus de « bodycon », et les vêtements deviennent plus moulants, avec beaucoup de Lycra, jusqu’à la dernière tenue représentée, de la collection « White » de 1990 par Rifat Özbek, qui se situe quelque part entre Rave et New Age.

     

    Compte tenu de la complexité et des nuances de la scène, ce devait être une exposition difficile à organiser…

    La chose à retenir à propos de la culture clubbing londonienne de cette époque, c’est que personne ne portait deux fois la même tenue. Nous présentons d’ailleurs cinq tenues de New Romantics, créées et portées entre 1979 et 1980, et elles sont toutes radicalement différentes. Il y avait chez ces tribus de style aux univers esthétiques très divers une capacité tout à fait rafraîchissante à refondre et recycler, nuit après nuit.

     

    Il est impossible de parler de la culture des clubs londoniens dans les années 80 sans évoquer Leigh Bowery. Quelle a été sa contribution ?

    Ce que les gens oublient, c’est que Leigh Bowery était un grand couturier… Quand il a débuté, il a fait un voyage d’affaires à Tokyo avec d’autres designers britanniques. Il a reçu de nombreuses commandes d’acheteurs potentiels, mais il ne donna pas suite car il ne s’intéressait en fait qu’aux pièces uniques. Le seul objectif qu’il se fixait était de mettre en scène tous les soirs une performance la plus époustouflante possible, et de voir son inspiration diffusée à la fois aux mondes de la mode et des arts. Le business ne l’intéressait pas… Et les tenues signées Leigh Bowery que nous présentons dans le cadre de cette exposition représentent l’extrême de la mode club ; le club qu’il concevait comme un lieu d’expression esthétique. Finalement, son corps est lui-même devenu le théâtre de ses propres performances, et j’adore ce concept !