Étiquette : Hubert Touzot

  • Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 19)

     

     

    PARTIE II

     « Les corps amoureux »

     

     

    CHAPITRE XV

    Oups…

     

     

    Je ne suis pas à proprement parler une petite connasse, mais plutôt une nunuche qui peut tomber amoureuse en deux secondes, sur un mot, un regard, un geste, qu’elle va  interpréter selon ses codes et ses définitions, qui s’avèrent, dans ce monde froid et hostile, assez souvent erronés.

    L’amour, il ne faut pas le chercher ou tenter de le provoquer. Il vous tombe dessus sans que vous ayez à redire. C’est ce qui va se produire, mais un peu plus tard, comme une marque du destin, comme dans un film de Claude Lelouch, un peu cliché dans ses hasards ou ses coïncidences, et pourtant authentique, incroyable, évident.

    En attendant, je m’entête dans mes sorties nocturnes où la drague est reine, mais aussi pendant la journée, en des lieux annexes où l’on peut rencontrer des garçons à la tonne. Un vaste choix de fruits et légumes, de produits frais, mais parfois aussi quelque peu périmés. Alors, au marché, il faut choisir avec soin les produits qu’on sélectionne.

    Non loin de mon travail et de mon logement, se trouve la station de RER Auber. Si vous ne prenez ni les escalators ni les ascenseurs, vous avez la possibilité d’emprunter un escalier interminable où on trouve des surprises à chaque palier. Des garçons, des hommes de tous âges, attendent à n’importe quelle heure. Un regard, un arrêt, une hésitation et un embryon de dialogue pour arriver très vite sur des demandes fatalement d’ordre sexuel. Et vous en avez pour tous les goûts. Cela va du costume cravate en attaché case qui sort du bureau, du retraité nostalgique de ses années folles au plus classique jeune mec, regard fuyant et mèche à la Pierre Cosso période « La Boum 2 ».

    Là encore, il faut être prudent et savoir distinguer les sollicitations réelles de celles qui émanent des imposteurs, qui en veulent plus à votre porte-monnaie qu’à votre corps. Pour l’instant, j’ai la chance d’avoir su éviter les pièges tendus par les prédateurs comme les incubes. Il faut croire que j’ai un ange protecteur qui même dans ces situations un brin sordides m’épargne pas mal de désagréments. A vrai dire, je n’ai jamais été au-delà d’une semi-conversation. Ma vision désuète du libertinage ou de l’art de la cour m’empêche de ramasser tous ces fruits tombés à terre. J’aurais d’ailleurs préféré les cueillir directement à l’arbre…

    Sinon, il y a aussi la version « rencontre pour un moment de détente et de philatélie à l’air libre ». Vous pouvez vous rendre au Louvre. Vous y trouverez, devant l’entrée du musée, des jardins peu entretenus, comme une sorte d’espace fourre-tout de bosquets et d’arbres. Et c’est précisément là, quand vient la nuit, que les buissons s’agitent et que les branchages frétillent. On peut consommer sur place ou à emporter, avec la possibilité, si on le souhaite, de se faire enculer ou sucer, et ce à juste vingt mètres de la rue de Rivoli… C’est chic et tellement parisien. Mais ce petit côté clébard en rut ne me plaît guère plus. Je suis décidément trop attaché aux codes de maintien, au protocole et à l’étiquette.

    Plus loin dans les jardins, sur l’aile droite du Louvre, en face cette fois du musée du Jeu de Paume et de la place de la Concorde, c’est la version diurne qui est proposée, où des individus peuvent passer des journées entières à attendre la providence d’une pipe en devenir, d’un baiser volé ou bien juste à mater. Personnellement, je suis plus à l’aise avec cette version de jour.

    A force de fréquenter les lieux, je finis par sympathiser avec quelques habitués, discuter de tout et de rien ou commenter le ballet des autres hères, eux-mêmes à la recherche effrénée d’un peu de chair à aimer. On y rencontre parfois des gens très intéressants, avec qui vous n’aurez pas forcément d’accointance d’ordre libidinal, mais avec qui vous pourrez échanger sur des tas de sujets et apprendre. C’est par exemple dans cet endroit qu’on m’a conseillé d’écouter les « Lieder » de Gustav Mahler, interprétés par Kathleen Ferrier. Comme quoi, la botanique, ça mène à tout…

    Je mets ainsi une vraie distance entre les autres et moi, au point que je ne laisse pas facilement les gens s’introduire dans mon cercle d’intimité. Je ne peux pour l’instant me résoudre à imaginer consommer de la viande, comme le feraient la plupart des autres carnivores qui se bâfrent tous les jours, sous prétexte que la vie est trop courte.

    Car je veux rencontrer celui qui me fera chavirer, celui qui me fera remonter le cœur jusque dans la gorge et qui m’étouffera. Celui qui me fera pleurer juste en entendant le son de sa voix, qui me bouleversera à chaque fois qu’il posera ses mains sur moi.

    Mais pour l’instant, ainsi posté dans mon coin sombre à observer, je tombe amoureux d’ombres et de regrets. Cela peut durer une heure, une minute ou quelques secondes. Parfois, c’est vraiment formidable, jusqu’au moment où le mec ouvre la bouche. J’entends sa voix et « pof », tout s’écroule. C’est la disgrâce. Cela m’arrive même de me projeter avec mon futur « fall in love » dans ma dimension, mon palais mental…

    Ce sont toujours les autres qui viennent à ma rencontre. Je me contente de me faire draguer. Il s’agit d’une position fort confortable pour moi, telle la marquise cachée derrière son éventail, qui laisse tous les prétendants s’approcher et lui dérouler leur argumentaire. Et c’est souvent lamentable. Je leur adresse alors un regard en descente d’acide, pour ainsi mettre fin à leur discours amphigourique.

    En revanche, lorsque j’ai affaire à un individu pour lequel je fonds, c’est une horreur absolue. J’éprouve alors les plus grandes difficultés à entamer un semblant de début de dialogue, sans que cela ne paraisse ni niaiseux ni bafouillant.

    Lorsque je rentre en transe devant un être que je juge sublime, c’est en silence et dans l’anonymat. L’autre ne le saura jamais. Je me contente alors dans mon coin de lui écrire un poème et de le garder avec moi à chaque nouvelle sortie, en espérant le croiser de nouveau pour lui remettre. Mais je ne revois jamais l’ange concerné. Les poèmes s’accumulent. De temps à autre, je les relis mais ils ont tous l’air de mantras périmés.

     

    L’immaculé
     
    Un bruit d’ailes qui se froissent au-dessus de mon âme.
    Mais serait-ce un ange que je viens de voir là-haut ?
    D’abord une silhouette apparue tel un fantasme
    Dont les atours seraient de chair, sensuels et beaux.
     
    Oui, un séraphin s’il était de blanc paré.
    Sa noirceur de peau est une réponse insultante
    Aux péchés capitaux, l’évidence abhorrée,
    L’incarnation de la tentation éclatante.
     
    Ton visage est celui des chastes chérubins
    Comme on en peignait sur les toiles du Caravage.
    Dis-moi que non, que ton ivresse est celle du vin,
    Des réjouissances païennes et du libertinage.
     
    Manifestation aux éclats sombres, perle nacrée,
    Dans quel trésor d’un insondable fond marin,
    Sous le silence des ténèbres, t’a-t-on extirpé ?
    Quel hémisphère, quelle latitude, est-ce lointain ?
     
    Tes pensées sont fluides. Ce sont les sylphides de l’eau
    Qui se dérobent à mes questions, à mes sourires.
    Tes petits rires se glissent dans l’échine de mon dos,
    Dans le creux de mes reins et ils me font souffrir.
     
    Tes yeux taillés dans de la roche incandescente
    Que j’ai vus malgré les hauteurs de ton balcon
    Ont ouvert, déchiré en une plaie béante
    Mon coeur sourd et aveugle. Je lui demande pardon.
     
    Toi, déité, je veux connaître tes paters
    Mais je ne veux ni te brusquer ni profaner
    Ce qui serait notre secret, notre sanctuaire
    Pour te garder précieux, aimé, immaculé.

     

     

    D’où puis-je avoir hérité de telles considérations si désuètes, remontant au XVIème siècle, voire même avant, en des amours courtois ou, dans mon cas, secrets et non avoués ? Vivre avec cette douleur au cœur, s’en nourrir et en jouir… Le plaisir de souffrir des mots que l’on ne peut dire que sur le papier. Je suis une sorte de néo-romantique, sans doute trop infusé aux poèmes d’Alfred de Musset, de Rainer Maria Rilke ou de Charles Baudelaire.

    Je n’ai sans doute pas choisi le bon siècle pour naître, ou peut-être tout simplement pas la bonne libido. La façon de m’habiller s’oriente également de plus en plus sur des tenues noires ou bleu marine, avec toujours une chemise blanche. Et je cultive avec délice et masochisme cette affliction que sont les chagrins et les peines chroniques.

    C’est ainsi que je m’entiche de plusieurs garçons sans qu’aucun d’entre eux ne le sache. Pour certains, j’écris juste des sonnets, pour un autre, c’est carrément tout un livre dédié à sa gloire et à sa beauté. A la simple évocation de ses yeux noirs ou de sa bouche, je sombre dans un état proche de l’Ohio (merci Isabelle…).

    Je m’essaie pourtant sur un garçon dénommé Jean et dont je me suis infatué une fois de plus, à tenter de le courtiser comme il le faut, dans les règles de l’art. Il s’agit d’un danseur ivoirien plutôt direct et toujours souriant, qui ne comprend hélas pas exactement où je compte en venir avec lui. A chacune de nos entrevues (toujours au Boy), je me contente de lui parler de tout et de n’importe quoi, sans oser un mot de plus qui pourrait paraître trop significatif.

    Je dois me résoudre à concéder que dans le domaine de la drague, je suis une quiche, pas lorraine, car je ne suis pas fan des lardons, mais plutôt aux poireaux et chèvre. Mon syncrétisme confine finalement à un crétinisme patenté, celui des fats et des sots. Quant à Jean, il doit me prendre pour un hétéro qui n’assumerait pas son homosexualité refoulée et qui n’oserait pas sauter le pas…

    Lui-même, ne devant pas être trop intéressé par ce que je représente, me laisse ainsi à chaque fois m’enfoncer dans ma vacuité. Malgré le malaise sans cesse grandissant et son attitude paradoxalement polie mais pas dupe, je persévère assez longtemps, jusqu’au moment où je vais le perdre de vue. Sans doute doit-il se cacher à chaque fois qu’il me voit arriver.

    Le cœur d’artichaut que je suis pourrait y laisser toutes ses feuilles si je continue ainsi ma vie entière à me méprendre sur la véracité de mes sentiments et à croire à une quelconque malédiction. Heureusement, le cosmos décide pour nous ce qui doit être fait.

    Et si vous ne croyez pas en Dieu, il reste les étoiles.

     

    Noir

    Certains laisseront des traces
    de leur passage sur terre
    mais à peine un sillon
     
    Puis d’autres dont la grâce
    comme autant de prières
    ou de miracles, de dons
     
    Bien qu’appelé race
    tant de mots éphémères…
    Éternels, ils seront.
     
    Éclats iridescents
    offerts par une lune
    hésitante des naufrages
     
    Ou des rêves flottants
    sur le sable et ses dunes
    C’est peut-être un orage.
     
    Une pluie diluvienne
    qui viendrait tout noyer
    recouvrir notre monde.
     
    Et si la race humaine
    est ainsi effacée
    et en quelques secondes.
     
    Comme on agiterait
    ses deux mains pour chasser
    des pensées vagabondes.
     
    Il n’en resterait qu’une
    un éclat que la lune
    nous avait tant promis.
     
    Lumière noire aveuglante
    force et beauté tranchante
    et je meurs ébahi.

     

     

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    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 11)

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    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 18)

     

     

     

  • Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 18)

     

     

    PARTIE II

     « Les corps amoureux »

     

     

    CHAPITRE XIII

    Qui, quoi, comment ?

     

     

    Mes châteaux en Espagne, je les construis autour de moi. Emmuré que je suis à vouloir me protéger, me rassurer et entretenir l’image du doute et du mystère.

    Lorsque vous avez vécu une adolescence ingrate – je parle du physique que vous vous trimbalez comme d’autres se baladent avec des casseroles accrochées à la ceinture – vous ne savez pas vraiment ce que vous suscitez, en termes d’attirance comme d’envie pour les autres.

    Je prends donc conscience que je n’aurai jamais un physique terrible. Je sais que je suis en sursis et que ce laps de temps prévu entre 20 et 35 ans me permettra de faire bonne figure. Mon côté frais et poupin, à la peau lisse et au corps glabre, fera illusion un temps, mais passée la quarantaine, ce sera fichu.

    Alors je reste irréprochable partout où je me montre, un dandy toujours tiré à quatre épingles qui ne sourit jamais mais qui essaie d’être remarqué dès son arrivée. J’occupe aussi bien le bar que la piste de danse. A mon corps défendant, il faut dire que je ne danse pas trop mal. Mon sens de l’observation, du rythme et ce fameux déhanchement vont me permettre de rencontrer de jolis succès.

    Et un beau petit trou du cul, surtout !

    Cette arrogance que l’on affiche de toute façon à cet âge, cette manière de se conduire avec autrui, finissent toujours par payer. Et puis on a la jeunesse pour nous. Alors on se croit invincible. On porte des vêtements de marques prestigieuses. On écoute de la musique classique. On écrit des poèmes. On va beaucoup au cinéma et on lit énormément. On se croit donc vraiment au-dessus de la mêlée. Bref, on rêve sa vie, on la sublime. Tous les jours, on y met de jolis bouquets de fleurs. En substance, on est vraiment devenu un petit parvenu dans toute sa splendeur.

    C’est également à cette période que mes parents traversent de sales moments. Ils sont en train de perdre leur magasin de fleurs. Mais moi, je m’en fous complètement. Je ne m’en rends pas vraiment compte, en fait. Je ne pense qu’à mes virées nocturnes en boucle. Il faut dire que je sors tous les soirs. Boîte de nuit, bars et autres, sept jours sur sept. Je ne dors presque plus. C’est une obsession. Je suis devenu un cochon d’Inde qui tourne sans répit dans sa roue.

    J’aime tellement cette nouvelle musique que je peux me trémousser des heures durant, sans vraiment m’occuper de la gent masculine qui m’entoure ou qui pourrait m’observer. Je laisse d’ailleurs le rôle du dragueur aux autres. On m’accoste, on essaye de me séduire. Je m’amuse de cela, pour tout dire… Je suis bien entendu flatté, mais je dois avouer que je trouve la plupart de ces rôdeurs un peu cons. En fait, je les vois tous avec un gros sexe gonflé à l’hélium qui pend au milieu du front.

    Je suis une vraie petite connasse qui commence à comprendre l’attrait qu’elle représente pour tous ces prédateurs actifs et autres fans de la pénétration sans équivoque. Je viens de trouver où se cachaient la boîte de chocolat et les pots de confiture…

    Même si ma toute première expérience sexuelle s’est révélée plus que médiocre, voire complètement nulle, je veux y retourner.

    Mais contre toute attente, la plupart de ces amants d’un soir baisent extrêmement mal. Après un kiss ou deux, ils agissent systématiquement de la même manière. La main sur ma tête pour la forcer à se baisser jusqu’à leur sexe. Ensuite, c’est toujours un « tu as un préservatif ? » suivi d’un « et du gel ? ». Ils veulent m’enculer, éjaculer et on n’en parle plus. Jamais ils ne vont se soucier de savoir si, moi aussi, j’ai joui. Autant dire que tout ce sempiternel cérémonial ne me convient pas du tout.

    Cette obsession de l’anus, comme unique option, me donne parfois l’impression que je ne suis qu’un sac à foutre, un ustensile de vidange. Je n’irais pas jusqu’à parler de viol à répétition, mais avec le recul, c’est pourtant bien d’abus dont il s’agit. En tout cas, chacune de ces expériences me laisse un goût amer. Je me sens seul et sale.

    Et puis je relativise, en me disant que tout cela fait partie de mon apprentissage et que je dois forcément en passer par là.

    Je réitère donc l’expérience dès que je le peux, en espérant à un moment donné tomber sur le bon et pouvoir moi aussi participer à cette petite fête des sens. Ce dont je me rends compte également, c’est qu’il y a un gouffre, un canyon même, entre ce que je vois dans les films pornos et la réalité.

    Je passe beaucoup de temps dans des sex-shops, qui sont équipés de cabines où l’on regarde des films préalablement choisis dans les rayons dédiés au genre, son rouleau de sopalin dans une main et la bite dans l’autre. Je découvre le monde du porno gay et ça n’est hélas pas la réalité que je retrouve lorsque je suis avec un de ces petits chenapans dans la vraie vie.

    Tous ces films sont une fiesta permanente, un feu d’artifice de foutre et de plaisir sans frein. Tout le monde y jouit à tout rompre. Et personne n’est laissé sur le côté. Mais c’est ça que je veux, moi ! L’anus n’est plus une finalité pour l’un des partenaires et un mauvais moment à passer pour l’autre. Il est la farandole des desserts, le super brunch, le buffet continental…

     

     

    CHAPITRE XIV

    Leçon de chose n°4 : L’anus (mais qui es-tu vraiment, petit anus ?)

     

     

    L’endroit probablement le plus visité au monde, loin devant la Tour Eiffel et le Louvre, pourtant secret, intime, caché entre les deux fesses, est la plus ancienne mais aussi la plus fédératrice des institutions. L’alpha et l’oméga de toute relation humaine, de la Laponie à la Nouvelle-Guinée, en passant par le Maroc et le Sénégal, et ce depuis la nuit des temps.

    Conspué, célébré, chanté, moqué, mais sortant toujours grand vainqueur de tous les conflits. Orifice du rectum qui donne passage aux matières fécales… mais… Mais aussi un petit trou tout plissé, comme un clin d’œil complice et malicieux, qui est le second organe, après le pénis, le plus prisé et utilisé de bien différentes manières.

    Il a donc cette autre fonction que d’être introduit par plein d’autres choses ; exemple : par un sexe étranger (d’une personne tierce ou d’un étranger, justement, d’une autre nationalité), mais aussi par des objets divers et variés (godemichet, plug anal, combiné de téléphone, modèle 1939 en Bakélite) ou encore par des fruits et légumes (cinq fruits et légumes par jour). Ça peut d’ailleurs aller du haricot vert extra-fin en passant par la banane, le concombre, la courge et même l’ananas.

    L’anus, c’est la « final touch » de tout rapport homosexuel masculin qui se respecte (bien que les hétéros en soient également férus). On peut rajouter, à l’attention de tous les candides et épicuriens de la terre, une liste dérivée et plus familiale que ce terme encyclopédique. N’en déplaise à ces messieurs Larousse et Petit Robert.

    Alors vous avez :

    ✓ Trou de balle
    ✓ Troufignon
    ✓ Trou du cul
    ✓ Derche
    ✓ Fion
    ✓ Rondelle
    ✓ Rosette
    ✓ Darjo
    ✓ Baigneur
    ✓ L’Ostie
    ✓ L’entrée des artistes
    ✓ Lucarne enchantée
    ✓ Le rondibé du radada
    ✓ Juda
    ✓ Cyclope
    ✓ Les charmes du donut (pour cela, placez un donut côté pile devant vos yeux puis laissez-vous aller à la rêverie)

    A présent, le jeu : toi, l’ami, joue aussi et ris avec ta famille. Tu peux rajouter pleins d’autres petits sobriquets à cette liste.

    D’un point de vue biblique, ce qui jadis fit sombrer Sodome et Gomorrhe dans les abysses du pêché a été depuis repris en chœur par tout le monde. La sodomie, le mot est lancé. Cet acte condamné par l’église (vade retro sodomite !) et par toutes les autres religions d’ailleurs, et ce depuis la nuit des temps, fait pourtant le bonheur de toutes et de tous. Ce que l’on peut appeler aussi l’amour dans les fesses.

    On pense à tous ces moines, qu’ils soient catholiques ou tibétains, dans leur monastère, face à la solitude de Dieu. On pense aussi à ces prisonniers du monde entier dans leur centre de détention, à ces marins qui partent pendant longtemps. Bref, à tous ces hommes sans femme, ces bergers dans leur montagne…

    Entre cierges et savonnettes, les alibis culturels ne manquent pas à la plus grosse hypocrisie que l’histoire de l’humanité ait pu engendrer.

    … Mais il n’en reste pas moins que cela ne me satisfaisait guère. Et je comprends finalement que je ne fonctionne pas exactement comme un mec qui peut empiler les rencontres comme autant de trophées de chasse.

    Il me faut beaucoup plus. Il me faut de l’affection, de la compréhension, de la passion, des papillons dans l’estomac et pourquoi pas, soyons fous, allez… Comme le chantait Mouloudji, « l’amour, l’amour, l’amour »…

     

     

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    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 11)

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  • Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 17)

     

     

    PARTIE II

     « Les corps amoureux »

     

     

    CHAPITRE XII

    Panoplies

     

     

    Nous sommes à cette époque à l’aube de bouleversements technologiques majeurs, entre multimédias et réseaux sociaux. L’information est encore uniquement véhiculée par la presse, la radio et la télé. Les plus « branchés » arrivent à se démarquer en prenant une longueur d’avance, grâce à la possibilité qu’ils ont de beaucoup voyager. Ils peuvent ainsi rapporter de leurs escapades à Berlin, Londres ou New York, les dernières tendances sexuelles ou vestimentaires. Bien entendu, toutes ces dernières modes se répandent dans le milieu gay, telles autant de virus, même s’il y a encore pas mal de liberté, en terme d’aspect général comme de personnalité. Être gay dans les années 80-90, c’est avant tout une attitude très personnelle, mais c’est aussi rechercher ce qu’il y a de très profond en soi. Et contre toute attente, c’est avec l’émergence d’Internet qu’un nivellement va s’opérer et que les stéréotypes vont se fondre en deux-trois vignettes…

     

    Des styles

    C’est vrai qu’au-delà de cette rue, le quartier du Marais est dédié presque exclusivement aux gays « re-salut les garçons !». De jour comme de nuit, je peux y découvrir qu’il s’agit de toute une communauté qui évolue dans ces artères, ces bars et ces restaurants. Une sorte de réserve, de zoo, où vivent des mecs sous toutes les formes et des espèces inimaginables. En 1989, 90 ou 91, on peut croiser par exemple rue Vieille Du Temple :

     

    « La Follasse » (dite la Gourgandine « Saaalûûûût, ça vââââââ ! »)

    Une sorte d’éternel adolescent avec un visage d’ahuri, toujours souriant, pouvant s’extasier pour n’importe quoi à grand coup de « Wwhaaouuwww ». La nouvelle coupe de cheveux d’une copine (en fait, d’un copain mais la follasse conjugue tout au féminin). Son futal en peau d’agrume ou ses nouvelles Adidas numérotées, achetées lors d’un week-end à Londres.

    Les fringues chez ce Petit Prince follasse sont toujours assez moulantes, mettant en avant son corps filiforme. Sa démarche et sa gestuelle donnent l’impression qu’il est monté sur roulements à bille… Et puis, deux accessoires lui sont indispensables pour compléter la panoplie ; une paire de lunettes de soleil, été comme hiver, greffée dans les cheveux au-dessus des yeux et un sac bandoulière « DJ Bag ».

    De nos jours, j’ai noté que ce type-là existait toujours, même s’il a évolué avec la mode. Il arbore toujours cette silhouette de coton-tige, mais avec de nouvelles habitudes vestimentaires. Finis le blouson Bombers flashy et les coupes de cheveux façonnées à l’explosif. On le croise comme vendeur dans des grands magasins multi-marques. Il porte des petits costumes taille enfant ne pouvant être enfilés qu’à l’aide d’un chausse-pied. Ses chaussures finissent en pointe comme des babouches. Il ne sourit plus comme avant, mais affiche en permanence une moue de mépris façon podium, défilé, shooting, constipation aigüe. Dehors, il adore les petits trenchs bien ceinturés. Le sac bandoulière est devenu un sac à main qu’il porte comme le font ces jeune filles dès 12 ans, quand elles veulent jouer à la « madame ».

     

    « Le Porté-Main »

    Bras en équerre, main en l’air tenant un téléphone portable et le sac qui pendouille sous l’avant-bras. Il se déplace par petits pas rapides et énervés, la tête rentrée dans les épaules.

    Aujourd’hui d’ailleurs, le gay urbain aurait tendance à avoir subi une uniformisation. On peut même le confondre avec l’hétéro métrosexuel, tant dans les deux cas, c’est le même look Zara (Kooples, Zadig & Voltaire, pour les plus friqués) qui est de mise, avec ses chemises et ses costumes toujours près du corps. Et l’un comme l’autre fréquentent les salles de sport. On mange bio et on se tartine de crème au concombre, dans le seul but de tenter de ressembler le plus possible à ces mecs que l’on voit dans ces publicités de fringues ou de parfums.

    Le petit costume noir est à l’élégance masculine ce qu’est la fameuse petite robe noire, passage obligé de tous les dressings féminins. Du coup, homos comme hétéros adoptent tous ce genre de mimiques ridicules ; mélange de nonchalance et d’arrogance bon teint. Et puis il y a la barbe… Toujours faussement décoiffé, la cravate légèrement desserrée. Bref, des clones de Nicolas Bedos. Autant dire, l’horreur absolue.

     

    En ce début 90, on pouvait aussi croiser,

     

    « Le Branché Hyper-Tendance » (dit la « Fashion Victim »)

    Attitude : N’affiche que deux seules expressions faciales et ne sourit jamais. Paraît toujours blasé par la vie et regarde les autres êtres humains comme son propre reflet avec un mépris souverain. Avec lui, on est toujours en plein défilé permanent et on feuillette un Vogue Homme spécial collection holographique.

    De la paire de chaussettes Tabi Martin Margiella à cinquante euros (la chaussette) en passant par les sous-vêtements Burberry’s, le gay modeux arbore toutes les dernières tendances, couleurs, coupes et styles, estampillés de préférence par les plus en vue des dernières fashion-weeks.

    S’il n’est pas déjà vendeur dans une enseigne prestigieuse pour une marque de renom, journaliste de mode, ou qu’il n’exerce pas tout autre travail qui s’articule autour de ce milieu, en pouvant ainsi bénéficier de micro-prix lors des soldes de presse, afin d’acquérir toutes ces pièces qui en boutique coûtent un œil ou deux bras, il vaut mieux pour lui gagner très très bien sa vie…

    Le gay (hyper) tendance n’est pas toujours extraordinaire physiquement et n’affiche pas forcément un charisme prononcé. Il mise alors tout sur un arsenal vestimentaire qui se doit d’attirer l’œil plus que lui-même. Du coup, on ne sait pas s’il cherche à séduire ou effrayer, tant il finira par plus évoquer un épouvantail griffé qu’une personne normalement constituée.

    Il en arrive à un tel narcissisme exacerbé qu’il en oublie le reste du monde, la vie, les autres. Ses questionnements fondamentaux, ses réflexions, ne sortiront jamais du cadre de la rue du Faubourg Saint-Honoré.

     

    « Le Casual » (dit Mike, le bûcheron canadien)

    Attitude : il est Français mais il parle toujours avec une sorte d’accent indéfinissable (entre l’Anglais, l’Américain, l’Allemand et le Périgourdin) ou le syndrome de la pomme de terre chaude coincée dans la bouche.

    Il s’agit d’un faux décontracté, car tout chez lui est étudié. Le gros sourire « pep’s » en affiche format à l’italienne en permanence. L’aspect corporel est hyper soigné. Deux heures de musculation par jour minimum, la mâchoire est carrée et il vous balance sans arrêt des œillades complices.

    Il porte en toute circonstance des t-shirts (prononcez « tiiii-cheult ») blancs immaculés ou des chemises à gros carreaux, qui vont bien aussi ouvertes sur le tiii-cheult. Quand il sort en boîte, c’est invariablement torse nu, (« tôô-t’cheu-nou »), le jean 501 modèle Levi’s Strauss introuvable rapporté des States. Pour le jean, prononcez bien « blow-djînz ».

    Le gay très casual a pleins d’amis, qui se doivent d’être d’autres nationalités. Ils viennent toujours de New York (« Nouw Yyeeekk »), Los Angeles (« El’ÈÈY »), Miami (« Mayeemeï ») ou d’Australie, Sydney… (euh, Sydney, en fait…).

     

    « L’Associatif » (dit Kiki, le kiki de tous les kikis)

    Ses cheveux sont très courts, rasés ou en brosse. Certains arborent une houppette à la Tintin ou un balayage, une mèche teinte. Le Bombers, le Bandana, qui rappellent Jimmy Sommerville ou Marc Almond. Vu de très très loin, il pourrait presque se faire passer pour un hooligan skinhead. Il n’est pas vraiment violent, pourtant, malgré son allure de petit teigneux qui mange du Kiri, ou alors de Pikachu super en colère à la limite.

    Il est pourtant militant et passe sa vie à débattre d’inégalité, d’homophobie et de sida. Il est courageux, noble et idéaliste. C’est aussi grâce à des personnes comme lui, qui tiennent tête à des laboratoires lobbyistes ou à des gouvernements passifs, que des avancées sociétales majeures ont pu intervenir. Il ne faut donc pas l’oublier et lui rendre hommage tous les jours. Ce  romantique se sent pourtant perdu dans ce monde de brutes et de cyniques.

     

    « Le Moustachu » (dit « … quelque chose qui sans un pli, sans une tâche, j’emporte malgré vous et c’est… c’est ?… mon panache ». De tous temps et à toutes les époques)

    Attitude : Le port de la moustache en toute désinvolture.

    Le gay très moustachu connut son heure de gloire, surtout dans les années 70 et un peu dans les années 80. Il faudra attendre les années 2000, et un frémissement, un renouveau, avec le débarquement des Hipsters *, pour pousser plus loin le concept, avec des sculptures sur moustache ou encore des barbes ultra-sophistiquées. En tout cas, le gay très moustachu est une anomalie. Dans les sacro-saintes règles de l’esthétique gay, les poils sont en principe interdits.

    La grosse moustache à la Burt Reynolds, tellement en vogue dans ces années 70, était portée par tous ces coiffeurs en combinaison blanche et à rouflaquettes. C’était l’époque des permanentes, des torses velus et des grosses gourmettes qui faisaient « tchac-cling-tchac ».

    Aujourd’hui, les membres de la communauté « Bear », ces hommes un peu ventripotents aux cheveux courts, mais qui portent moustache et barbe, avec cette allure d’ours mal léché, restent les seuls à exhiber le poil comme un accessoire à part entière, ultime expression d’une revendication pour un monde plus doux, plus tendre et plus Winnie l’ourson…

     

    « Le Hipster * »

    Au début, une couverture de « Vogue Homme International », un défilé Margiela, un norvégien croisé à un brunch Quai de Valmy, puis dans un rêve, un lutin qui vous aborde dans une forêt Colette… PAF, boule de neige. C’est parti – HIPSTER – le mot est lancé… Soit cette mode qui consiste pour tous ces métrosexuels en mal d’égo à arborer une pilosité du menton pendante et savamment entretenue façon Landru, Jaurès, Hugo, Rodin, à savoir une mode capillaire datant donc de plus d’un siècle…

    Et comme toutes les modes, ça photocopie, ça se propage de manière exponentielle façon World War Z… Conchita Saucisse ne fait pas partie du mouvement.
 En tout cas, plus une rue, un bar, un WC, une mosquée (euh…), sans qu’on y croise un de ces mecs portant une barbe de quinze centimètres, avec souvent une allure générale qui serait le mix improbable entre Stromae et Sébastien Chabal.

     

    « Le S.M. » (dit : « Humm, ça fait mal ».)

    Attitude : « Tu veux goûter de ma Ranger dans ta gueule ?… même pas cap’ ! »

    Il s’agirait presque d’un cliché qui illustre d’ailleurs tout de suite les visions irrationnelles de tous les homophobes qui se respectent. L’accoutrement total cuir, avec casquette cloutée, bottes et cravache, tel que l’on pouvait immanquablement le voir dans des films avec Jean-Paul Belmondo ou Lino Ventura, qui venaient se frotter à leurs moustaches dans des bars louches : « alors commissaire, on vient casser du PD ?! »

    C’est encore une fois dans les années 70 et 80 que ces courants vestimentaires venus de Berlin, San Francisco ou New York, ont le vent en poupe. Aujourd’hui, c’est dans des quartiers bien spécifiques des grandes métropoles, avec des générations qui ont connu cette époque, que cette panoplie old-school s’invite encore.

    Le S.M. n’est pas forcément une pratique à la seule exclusivité gay. Tout ce qui se rattache à ces pratiques est œcuménique.

    Les pinces à linge, la cire chaude, le « Spanding » (se faire suspendre, attaché avec des cordes), le « Spanking » (se faire fesser à l’ancienne, manuellement, ou à l’aide d’ustensiles divers et variés, dont certains peuvent faire penser à une raquette de ping pong), les godes de taille mammouth, les « Plugs » (sorte de gode, en forme de sapin de Noël, mais sans boules ni guirlandes, quand même…), les accessoires en tous genres, les combinaisons en latex, les masques à gaz, la « Golden Shower » (on s’urine dessus allègrement, même dans la bouche aussi, si si)…

    Bon, qu’est-ce que j’ai encore comme petits trucs ludiques et croustillants… Ah oui, la « Trempette », une pratique vieille comme le monde qui consiste à aller placer dans les pissotières de son quartier du pain rassis, puis de venir tout récupérer le soir, une fois que la mie a bien macéré toute la journée. On rapporte ensuite tout ça à la maison et… « à taaaable !!! » ; comme une sorte de pain perdu, pour amateurs éclairés… Il y a bien-sûr tout ce qui tourne autour de la matière fécale, mais là, pas plus de détails à apporter ; merci parce que c’est rigolo mais c’est salaud. Mamie Nova ne leur dit pas merci.

     

    « La Désuète » (dit « La reine blanche, la reine blanche !!! »)

    Attitude : « Ah ça, Sylvie Vartan au Palais des Congrès, c’était quand même aut’ chose ! ».

    Michou, avec ses grandes lunettes fumées et ses costumes à paillettes éternellement bleus, en serait le plus bel hommage. Le verbe haut, les poignets cassés et une syntaxe tout au féminin. Ce sont ce que l’on appelait les folles dans les années 60 ou 70, les amoureux de ces ambiances colorées, nocturnes, carnavalesques, où tout n’était que jeu et ou rien n’avait d’importance.

    Cette représentation exacerbée d’un milieu ou d’un état d’esprit gay n’existe pour ainsi dire plus, ou alors dans quelques rares lieux où l’on peut encore trouver de ces vieilles folles nostalgiques d’un showbiz révolu, au sein duquel évoluaient les Jacques Chazot, Thierry Le Luron et évidemment le célèbre tenancier du cabaret de travestis de Pigalle, Chez Michou.

    Cela correspondait aussi probablement à une époque plus encline à la liberté de ton et à une certaine légèreté dans les comportements. On se prenait bien moins au sérieux et tous ces homosexuels savaient s’assumer en pouffant à la barbe de ceux qui s’en moquaient.

    C’est avec la pièce de Jean Poiret avec Michel Serrault, puis avec son adaptation au cinéma par Edouard Molinaro, que « La Cage aux Folles », outre le fait de rire gentiment de ces protagonistes hauts en couleur, fit accepter au grand public cet état de fait, cette liberté et cette fantaisie. Revoir aujourd’hui « La Cage aux Folles », c’est comme plonger dans un bain moussant. Cela nous montre également à quel point nous avons changé dans notre relation à l’autre, dans une société où chacun se prend tellement au sérieux et est si susceptible face aux mots dits ou écrits par des abrutis qui n’ont que la sottise comme moteur existentiel.

     

    Et puis il y a ce qu’on appelle les hybrides, des mélanges de tout ce qui a été inventorié précédemment, comme par exemple :

     

    « Le kiki de tous les kikis + l’intégrale des années tubes » = Cheveux ras, la barbichette, total jean, marcel en dessous. Fan de Sheila, Sylvie Vartan et de toute la variété française d’avant 1990. Lui, on le voyait surtout aux soirées Follivores du Bataclan, les samedis soir. On venait y célébrer les chanteuses de variétés, le tout remixé. Chantal Goya s’est vue à cette occasion devenir une nouvelle égérie gay et se retrouver à chanter « Pandi Panda » devant un parterre de gros messieurs barbus, torse nu, aux tétons percés.

    « Le casual + caillera attitude-rappeur-Booba » (pas la chanson de Chantal Goya) et ses clones (mais dilué avec beaucoup d’eau) = Cheveux ras, manières de caillera mais plus manière que caillera, les fringues et accessoires des jeunes ou habitants des banlieues, écoutant du rap même s’il ne comprend rien à ce qui est dit (râpe, râpe, râpe, râpez des carottes (le lapin Isidor).

    « Le casual + membre d’un boys band » = Body buildé, brushing, U.V, habits de poupée Big Jim ou de Ken, sourire figé au spray ultra-fixant, œil torve genre lotte. Piles non fournies.

    « Amanda Lear + Patrick Juvet » = Méfiez vous des blondes.

    « Hulk + la Chose des 4 Fantastiques + Hercule + Titi (pour la tête) + COURANT D’AIR » = Il passe 8j/7 et 25h/24 dans sa salle de sport, dans le but ultime de ressembler le plus possible à ce dont il a toujours rêvé : un truc. Tout sur son corps pouvant être musclé l’est depuis longtemps déjà. Actuellement, au moment où l’on se parle, il essaye ainsi de muscler ses cheveux, ses oreilles et ses ongles.

    « Gérard Lefort + Jean-Claude Brialy + Gérard Miller » = Monsieur-Je-Sais-Tout… A savoir celui qui, dans certains milieux, est contemplé, avec ce mélange de crainte et d’admiration. Il a réponse à tout et n’importe quoi. Et c’est avec une arrogance souveraine à la François Mitterrand qu’il étale son savoir, comme une pommade qui pique, sa suffisance et sa méchanceté. Très souvent de gauche, il se croit du côté du bien et c’est avec cette stature de magistrat qu’il peut en toute désinvolture dresser des réquisitoires sur tout ce qui se manifeste autour de lui. Il se croit encore au 18ème ou au 19ème siècle, dans ces salons où l’on discourait sur tout en essayant d’avoir toujours le dernier (bon) mot pour rabaisser les autres intervenants.

    Généralement, il porte des lunettes qui lui confèrent cette attitude de « tais-toi donc, tu as tort ! » et il a une voix qui monte très vite dans les aigus. Professionnellement, il est souvent journaliste (écrivain refoulé), dans l’enseignement (journaliste refoulé), éditeur (écrivain refoulé bis), écrivain (parce que quelques arrondissements parisiens le trouvent génial et qu’une micro-presse élitiste l’encense comme s’il s’agissait de la réincarnation de Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir réunis). On peut le croiser aussi dans des tas d’associations… ou bien alors, pire que tout, le plus frustré et le plus haineux de tous, il est juste libraire.

    « Jane Birkin + Chien battu + Éponge » = Gay gigolo qui monnaie son corps ou ce qu’il en reste. Il est adepte de drogues dures et possède la défroque, cette allure des personnages paumés au regard incandescent dans les films de Patrice Chéreau. Ce garçon est séropositif. Il arpente les rues et les bars à la recherche d’un mieux, d’un à peu près. C’est un héros baudelairien, un rejeton rimbaldien, qui finira de toute façon toujours mal ou au mieux dans le caniveau.

    « Playboy + Vogue Homme Hors-Série + Christophe Rocancourt + mentalité d’homme politique » = Parasite mondain, séduisant, magnétique, toujours habillé avec des vêtements différents et très couteux. On ne sait pas exactement ce qu’il fait dans la vie, où il habite et de quoi il vit. Quand il ouvre la bouche, il capte l’attention. Il est toujours souriant, avec un mot aimable pour celui qui le croise sur son chemin.

    A l’entendre, il est l’ami de toutes les stars. On le voit dans toutes les avant-premières, tous les vernissages et les fêtes à la mode. Ce mythomane peut être attaché de presse, l’agent de tel artiste ou encore le fils rentier d’un milliardaire connu. C’est un vampire, un nyctalope qui ne se montre qu’à la nuit tombée. Il est toxique et à fréquenter assidument, il ne vous attirera de toute façon que des ennuis.

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 11)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 12)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 13)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 14)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 15)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 16)

     

     

     

  • Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 16)

     

     

    PARTIE II

     « Les corps amoureux »

     

     

    CHAPITRE XI

     

    Underground

    Mais le Boy a aussi son pendant maléfique, le B.H., rue de l’Arbre Sec, à deux pas du BHV. Ici, on est vraiment dans la représentation homo « creepy », comme peuvent se l’imaginer les homophobes patentés qui régurgitent en même temps qu’ils fantasment sur les mœurs de cette libido convexe.

    La faune du lieu y est extrêmement hétérogène. Tous les styles, les genres, les nationalités, les couleurs de peau y sont représentés. On peut y croiser par exemple un mec habillé en Geronimo, un autre entièrement nu, simplement « vêtu » d’une vague paire de baskets aux pieds. J’y vois également un sosie de Frank Zappa, toujours en slip sous un long manteau, portant des santiags rouges et arborant un bien curieux maquillage cabalistique, autour des yeux et sur le front.

    Mais il existe encore plus extrême que ce lieu folklorique. J’ai testé une fois le « Transfert », qui se trouve derrière la rue Saint-Honoré. Un micro-bar où, à peine entré à l’intérieur, je me suis retrouvé presque nez à nez avec un homme à quatre pattes sur le comptoir en train de se faire gentiment mais sûrement… fister…

    Ce qui m’a fait fuir, ça n’est pas tant l’acte prodigué devant une foule silencieuse et extatique, mais plutôt que le principal intéressé m’a regardé dans les yeux et m’a souri. J’ai senti à cet instant précis ma colonne vertébrale se raidir, comme si je venais moi-même de me sentir pénétré par un manche à balai qui me dépliait les intestins.

    L’autre bar très fréquenté à cette époque par ce genre d’aficionados se trouve juste derrière Bastille, rue Keller, et s’appelle d’ailleurs sobrement « Le Keller ». Ce qui peut déjà mettre la puce à l’oreille, c’est de voir les clients du lieu rentrer ou sortir à n’importe quelle heure de la journée, arborant tenue de survêtement et crâne rasé. Ils ont tous avec eux un sac de sport, un peu comme celui de « Sport Billy ». J’imagine sans peine ce que ces petits bagages peuvent contenir.

    Mon allure générale et ma coupe de cheveux du moment ne correspondent pas tout à fait au dress code de l’endroit. Dans le sas de l’entrée, on doit d’abord passer entre deux molosses, qui vous dévisagent comme le font les ogres avec les petits enfants. Je peux alors lire sur un panneau où les tarifs sont inscrits, que le prix de l’entrée comprend également, si bien entendu on le souhaite, un rasage intégral du crâne. Effectivement, l’un des deux golgoths a dans la main une tondeuse.

    Et c’est précisément à cet instant que je réalise que le sol est vraiment moelleux, du fait de tous ces petits tas de cheveux fraîchement coupés. « Oups »… Je décline bien-sûr la proposition certes alléchante de la dernière coupe de cheveux du condamné : « non merci, mais j’essaie de les laisser pousser en ce moment… ». Et je pénètre dans cette antichambre des enfers.

    Je ne reste pas plus de deux minutes entre ces murs qui suintent la testostérone et le pipi. Je ressors aussi sec quand je sens une main se poser sur mon épaule et me retenir avant que je n’ai pu franchir la porte de sortie. En me retournant, je constate avec effroi qu’il s’agit d’un des trolls de tout à l’heure ; « Tu nous quittes déjà ? ». Je balbutie quelque chose du genre « je n’ai pas vu l’ami que je devais retrouver… ». Et au tour du big foot de me répondre : « mais tu peux te faire tout plein d’autres amis, tu sais ?! ».

    Et oui, je m’en doute bien… Peut-être pas des amis pour la vie, mais qui seraient sans doute plus intéressés par une exploration minutieuse de mon intestin grêle ou encore par la longueur de mes pieds et de mon gros orteil. « Mais non, en vous remerciant cependant ! ». En tout  cas, je suis très content d’avoir pu connaître, même fugacement, ces lieux pour messieurs très énervés. Merci, bravo à tous et spéciale dédicace à toute l’équipe !

    Je m’en tiendrai donc juste au B.H., qui restera pour moi le bon compromis entre le Boy et ces autres repaires de joyeux drilles. L’endroit est petit et sans climatisation. La chaleur qui y règne est suffocante. Un air lourd, épais et quasi palpable, où tout semble évoluer au ralenti, dans une sorte d’apesanteur. On pourrait presque voir des particules de sperme coagulé, tournoyant dans l’air en petits flocons et venant s’écraser mollement sur les joues des convives.

    Il faut jouer des coudes pour se frayer tant bien que mal un chemin jusqu’au bar. L’endroit comporte deux autres niveaux, qui se trouvent en sous-sol. Vous vous y rendez par des escaliers aux marches lumineuses, renvoyant une lumière étrange sur des silhouettes agglutinées tout le long de votre parcours. Et des regards gluants vous scrutent à votre passage.

    Au B.H., la programmation musicale est beaucoup moins pointue que celle du Boy. La faune qui vient y traîner ses guêtres (et sa bite) n’est pas là pour ça, de toute façon. Non, l’idée du B.H., c’est de se répandre, de se mélanger, de se malaxer. Il y flotte ce parfum d’interdit, cette âcreté dispensée comme de l’encens sacré. Une potentielle dangerosité.

    Un ou deux ans auparavant, le B.H. recevait d’ailleurs fréquemment la visite de ce psychopathe antillais qui défrayait la chronique à l’époque, Thierry Paulin. Ce brave garçon qui torturait, tuait et volait des vieilles dames seules, sous prétexte de les aider à monter leurs sacs de commissions jusque chez elles, et qui venait ici ensuite avec ses complices y dépenser son sinistre butin.

    On raconte en outre que cette joyeuse bande aimait aussi s’adonner à un jeu très particulier sur la piste de danse. Munis de lames de rasoirs, Paulin et ses amis donnaient discrètement de petits coups au hasard dans la foule compacte tout en dansant ou en faisant des allers et venues dans la boîte de nuit. Leurs victimes ne se rendaient pas compte tout de suite qu’elles saignaient…

    Heureusement pour moi, ces faits se sont déroulés juste avant que je ne fréquente l’endroit, qui bénéficiait désormais de cette sulfureuse publicité. Mais c’est aussi au B.H. que je découvre ce que l’on appelle la « backroom ».

     

    Leçon de chose n° 3…

    La backroom est un lieu de rencontre pensé et aménagé pour des gays un peu trop timides, qui n’osent pas faire le premier pas, ou simplement dire bonjour, avant de pouvoir directement baisser leur pantalon. Il est vrai que ce concept ne date pas d’hier. La timidité non plus, d’ailleurs. Ces mystérieuses pièces se trouvent, comme le signifie littéralement le mot « backroom », tout au fond des bars ou de certaines boîtes de nuit, mais aussi de saunas spécialisés.

    Inventé aux États-Unis à la fin des années 60, le concept s’exporte très vite en Europe. On le voit fleurir dès 1973 à Paris, dans certains établissements gays de la rue Saint-Anne, ces petits endroits exigus où des messieurs viennent s’adonner anonymement au sexe, sans préliminaire ni présentation ; « Bonjour, moi c’est Jean-Paul… Ta gueule et suce ! »

    Alors, toujours avec ce souci de ne pas apeurer toutes ces personnes souffrant de gros problèmes de communication, la backroom se doit d’être plongée dans l’obscurité. Les timides n’aiment pas se reconnaître entre eux. Et ce sont des gens extrêmement pudiques. La backroom peut s’appeler également « darkroom ». Aucun rapport cependant avec des seigneurs de Sith ou un quelconque côté obscur de la force qui sévirait en ces lieux.

    Faut-il évoquer ici les risques conséquents que prennent toutes ces personnes sensibles en s’aventurant dans ces nids à H.I.V. et autres petits virus rigolos ? Il faut dire que premièrement, dans le noir total, personne ne vous entendra crier et deuxièmement, il est assez difficile, quand on a en plus la bouche pleine, de demander à son partenaire, inconnu de surcroît, qui vient de surgir par derrière, s’il a bien enfilé un préservatif en latex ou en panse de brebis…

    Oui, ces lieux comportent en effet quelques risques qu’il serait hasardeux de minimiser. Quoi qu’il en soit, l’expérience semble être unique pour les participants, avec ce principe de la roulette russe qui vient pimenter encore un peu plus l’exercice… Il existe aussi des variantes, dans certains saunas, avec la possibilité de consommer du sexe sur place, anonymement et à toutes heures de la journée. Des rencontres éphémères, mais ici plus dans une ambiance claquettes, peignoir, vapeur et faïence.

    Plus tard, en ce début des années 2000, ouvriront « Le Dépôt », une backroom géante qui deviendra mythique dans toute l’Europe, et le « Lab-Oratory » à Berlin ; tous deux deviendront des institutions où l’on célèbre le sexe de manière industrielle, comme ultime exutoire, en attendant la fin du monde. Le mot d’ordre qui les régit pourrait être : « Après moi, le déluge »…

     

     

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    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 11)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 12)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 13)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 14)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 15)

     

     

     

  • Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 15)

     

     

    PARTIE II

     « Les corps amoureux »

     

     

    CHAPITRE IX

     

    « Je vais encore sortir ce soir ! »

    Le Boy est la référence absolue du moment, en ce tout début des années 90, un temple où les gays se rendent en nombre pour y vénérer le culte de la nuit. Je peux d’ailleurs les apercevoir par la fenêtre de mon studio de fonction, le club se trouvant dans le même immeuble que le restaurant où je travaille. Par l’une des fenêtres qui donnent donc rue Caumartin, j’assiste à ce défilé incessant qui, tous les soirs à partir de 23h30, me permet de comprendre et d’assimiler un peu mieux la culture gay.

    Parmi la foule qui se presse à l’entrée, on trouve évidemment ces petits mecs en jean et tee-shirt près du corps, avec les cheveux gominés, sorte de clones de James Dean. Mais pas seulement… Il y a également ceux que l’on appelle dans le milieu « les grandes dames », des sosies de Jean-Claude Brialy, portant blazer et foulard, avec cette démarche caractéristique, légèrement de côté. Mais c’est surtout l’explosion du phénomène des drag queens, ces créatures tout droit sorties d’un shaker géant, secoué en même temps par Andy Warhol et John Waters.

    Cette rue si convenue le jour, avec ses petites brasseries parisiennes, ses bars-tabac PMU et cette foule grise constituée essentiellement d’employés de bureau, reprend soudainement vie, comme ça, au moment du passage à l’heure magique, et toute cette faune chatoyante surgit de nulle part, comme si nous étions sur la Route de brique jaune…

     

    Leçon de chose n° 2…

    Transformer un petit bout de nuit en quelque chose d’exaltant, d’exclusif et de ludique, ça c’est le minimum syndical qu’un homo puisse revendiquer, à défaut de pouvoir transformer sa vie entière en ripaille absolue, orgie romaine, à toute heure de la journée. La fête, c’est ce besoin de voir toujours tout en oversize, avec de la couleur partout et des tas de liquides qui coulent à flot.

    Mais l’abondance, l’audace, ne peuvent être pensées et autorisées sans la présence de leur soeur jumelle, la séduction, comme le serait l’objet et son reflet, comme le fond brun ou le fumet de poisson pour une vraie sauce réussie. Mis à part le carnaval de Rio, la fête de la bière à Munich, Bayonne, Nîmes ou les goûters chez ma grand-mère, la bombance trouve son véritable sens par le passage obligé qu’est le club.

    La boîte de nuit, ou l’ultime lieu de représentation où vous venez exhiber votre nouveau t-shirt moulure, votre coupe de cheveux thermo-moulée sponsorisée par L’Oréal, vos muscles Mattel et votre visage à deux seules expressions faciales, « j’fais la gueule », « j’suis surpris ». Dans ce genre de lieux clos, Il faut juste savoir jouer carte sur table, en affichant en toute circonstance un physique irréprochable allié à une attitude combative.

    Car on ne vous entendra pas parler, encore moins penser, et malgré les rires et les « Houuu-Whaouuuw », seul votre aspect sera jugé. La démarche, les pas de danse, la manière dont vous buvez à la paille, et non au verre voire au goulot, le choix des boissons, les allers et venues aux toilettes et avec qui vous parlez ou ne parlez pas.

    Quelques petits conseils en passant, qui peuvent avoir leur importance, si vous voulez réussir une arrivée parfaite et très « Staaar » dans une boîte, un bar à la mode ou une soirée Happy Few…

    D’abord l’arrivée. Une entrée doit être parfaite pour que vous puissiez être remarqué par un maximum de quidam, qui ne devraient en toute logique plus vous lâcher du regard ensuite. Si vous trébuchez, loupez une marche ou glissez sur quelque chose, c’est fichu. Abandonnez tout de suite et rentrez chez vous. C’est fini.

    Sinon…

    Si plus de dix personnes se sont retournées sur votre passage, ou qu’elles donnent l’impression de parler de vous dans l’oreille du voisin, façon cour au Château de Versailles (syndrome Madame De Montespan), déjà, là, c’est bon signe.

    Vous vous sentirez alors envahi de super-pouvoirs. Votre démarche deviendra encore plus assurée, avec un contrôle total des hanches et des épaules, regard félin assorti d’œillades très brèves sur les côtés, joues creusées, Duckface… Ok, on y va… 3, 4… Je bloque… 1,2,3… Je bloque. J’ai oublié un truc là-bas, j’y vais… Poussez-vous… 5,6… Je bloque, regard intense au barman ou quelque part au loin, à un ami imaginaire qui vous fait signe. Ok, je repars dans l’autre sens, 2,3… Je bloque… Sourire… Pas trop… Je bloque. Mouvement des cheveux, inflexion de la tête, pas trop. Mordillage de la lèvre inférieure. C’est parfait.

    Vous imaginez à peu près que c’est toute la faune de ces lieux qui s’applique à s’exécuter de la sorte, dans une sorte d’Olivier Rousteing attitude généralisée, bien que ce dernier ne soit pas encore né à l’époque.

    Faire la fête quand on est gay, c’est un peu comme si vous vous saviez suivi en permanence par une équipe de tournage qui réaliserait un documentaire sur votre vie et ça, 24h/24. Beaucoup, beaucoup, mais alors beaucoup de travail…

     

     

    CHAPITRE X

     

    Tous les chemins mènent au Boy

    Le grand concept de cette discothèque est de transformer les nuits gay en de vastes fêtes populaires ouvertes à tous, en prenant comme modèle le célèbre club new yorkais, « The Paradise Garage ». Ce sanctuaire ouvre donc Rue Caumartin, juste sous l’Olympia.

    Et c’est une révolution, surtout pour tous les petits gars qui débarquent de leur province et qui découvrent un lieu où l’on programme un son jamais entendu jusqu’alors. C’est avec l’émergence de cette nouvelle musique, à l’aune de la techno, que beaucoup de gays vont trouver leur identité musicale. Une identité revendicatrice qui passe d’abord par des marqueurs vestimentaires, avec l’attitude et le mode de vie qui l’accompagnent.

    Bonjour le short cycliste avec la grande chemise blanche large portée par-dessus, ou le t-shirt à manche courte ultra-moulant qui rappelle celui de Laurent Fignon ; la casquette avec un gros Boy’z London en métal dessus avec des petites ailes, le DJ bag, les Oakleys et les grosses chaussures. Au revoir la sobriété et le bon goût. Le gay n’a plus peur et il s’affiche. Personnellement, je vais laisser tout cet attirail à mes autres homologues. Encore une fois, je préfère me chercher moi-même, avec mes propres codes. Toujours ce souci existentiel de ne jamais vouloir me conformer à un modèle établi.

    C’est donc au Boy que je découvre cette musique noire américaine faite de gospel, de soul et d’électronique, qui émerge des cendres du disco dès le début des années 80. Un phénix qui va ainsi prendre sous ses ailes tous les laissés pour compte du grand rêve américain, celui qui lavait surtout très blanc et de préférence hétérosexuel. A Paris comme à New York, toute une communauté queer, gay, trans et travesti, communie tous les soirs, à plus de mille personnes, les bras en l’air jusqu’à cinq ou six heures du matin.

    C’est aussi sur « Vogue » de Madonna, Frankie Knuckles, David Morales, The Masters At Work, Erick Morillo, Todd Terry et tant d’autres encore que tous les jours de l’année, de jeunes gens viennent transpirer toute l’eau de leur corps plutôt que simplement draguer, en option certes, mais toujours après la danse.

    Dans ces années sida qui ratissent large, les soirées gay ne vont plus être sordides, sombres et mélancoliques, mais lumineuses, pleines de paillettes et de musiques enivrantes. Et plutôt que de hanter les recoins des sanisettes de gare, les parkings ou les escaliers de la station du RER Auber, on aspire à la lumière de la piste et des cubes où des danseurs lambda viennent vivre leur minute de gloire, à grand renfort de chorégraphies synchronisées.

    A l’entrée, Sandrine la physio, impassible, encadrée de deux gorilles. Derrière les portes, ce grand escalier qui mène jusqu’à l’arène. Lorsqu’on le descend, il y a d’abord ce son sourd d’un morceau house, « Good Life » d’Inner City ou « Promised Land » de Joe Smooth, qui vous bourdonne dans les oreilles pour vous exploser à la figure dès le franchissement des portes insonorisées, en kyrielle de notes et de voix soul, comme du chocolat chaud avec des éclats de noisettes. Les basses vrombissent dans vos oreilles et chatouillent vos tympans.

    Dans ce temple païen, refuge de tous les orphelins des années 80, cette décennie qui n’a pas été tendre avec les homosexuels, on assiste à l’apparition des fameuses drag queens parisiennes, un phénomène pourtant né outre-atlantique, à New York, plus de dix ans auparavant, et qui explose seulement maintenant en France. Tous les jeudis soir, place aux Incroyables, dans une débauche de créatures insensées, qui dansent au-dessus de la foule en transe, sur des cubes ou dans des cages. Visions baroques et oniriques qui matérialisent ce dont rêvent tous ceux qui viennent ici.

    Mais en 1992, le couperet tombe. Une fermeture administrative viendra clore cette parenthèse enchantée qui commençait à faire grincer pas mal de dents, d’abord celles des riverains qui se plaignent de voir défiler tous les soirs sous leurs fenêtres cette faune bigarrée et transgressive. Il sera question d’une sombre histoire de viol, puis de trafic de drogue, ce qui condamne définitivement cette arche de Noé 2.0 à fermer ses portes.

    Un temps, les aficionados vont se rabattre sur des pis-aller, comme « Le Scorpion » spécialisé dans la techno, « Le Rex Club », « Le Haute-Tension », « La Luna » et « Le B.H », deux clubs également très prisés par une clientèle plus spécifique, pour ne pas dire hardcore.

    Fort de sa réputation qui l’accompagne désormais comme un halo, le Boy rouvre ses portes sur les Champs Elysées un an plus tard et redevient forcément la référence absolue… Mais aussi une marque de fabrique dont on parle en province et dans le monde entier. Voici le nouveau royaume de la nuit où tout le monde veut se rendre. Désormais, agenouillez-vous devant Le Queen…

    Mais difficile de reproduire deux fois les mêmes tours de magie, quand on sait justement qu’il n’y a pas de trucs et qu’il s’agit de magie pure. Ce qui s’est passé au Boy était de l’ordre de l’impensable, du miracle et avec le Queen, c’est une nouvelle époque qui commence.

    Sa majesté va devoir désormais rivaliser avec d’autres lieux qui espèrent récupérer un peu du gâteau et attirer cette clientèle toujours plus nombreuse qui, en ces temps d’avant téléphone portable, internet et attentats, ne pense qu’à une chose : sortir, toujours sortir, encore sortir. A commencer par « L’Enfer », d’abord derrière les Champs Elysées, non loin du Queen, puis au pied de la Tour Montparnasse, surtout réputé pour ses « afters ».

    Le Queen sera plus grand, plus mainstream aussi, accueillant une clientèle toujours plus diluée (tous ces hétéros en goguette qui viendront pour frôler du pédé comme on va au zoo). Des soirées à thème, mais qui deviennent vite des parodies, des caricatures, comme ces dimanches soir appelés « le jour des coiffeuses », animés par la transexuelle Gallia, qui débite des conneries au micro pour faire rire un public blasé et déjà triste. Les soirées OverKitch.

    Dans le courant des années 90, la musique devient techno, ambiant, electro, deep et s’exporte partout, dans tous les clubs de France et de Navarre. « Le Queen » n’a donc plus l’exclusivité de ce son et va hélas durant les années qui vont suivre peu à peu s’essouffler.

    … Mais je me souviens de cette époque bénie où tout passait par le prisme de la boîte de nuit. Instantané de vie, de la vie d’un petit pédé lambda comme on pouvait en croiser des tonnes à cette époque, avec ses préoccupations, ses doutes, ses souhaits.

    Il danse seul, les jambes immobiles, avec juste le bassin en mouvement, ainsi que les bras et les mains qui fendent l’air en gestes syncopés. Son visage est figé et hautain. Il aperçoit quelqu’un à l’autre bout de la piste qu’il reconnaît et lui adresse de grands signes. Il s’en rapproche : « Rebeccaaaa, saloooope, beeeen aloooors, t’es pas avec ton mariiiii ?… Ah, c’est fini ? Ah, vous aurez quand même tenu deux jours entiers, un record, non ?

    Tu m’diras, j’voulais pas t’en parler avant, mais moi, j’l’vais vu avant avec un autre… Euh, avec pleins d’autres, en fait… Oui au BH… Et ils se la donnaient, hein, de vraies garces. Ils se la donnaient à fond, à fond j’te dis… Des pauv’ filles !!

    [silence]

    Au fait, t’as pas vu La Ludo ? Bon… On s’voit plus tard, ok… Tchaow tchaowww. »

    Le garçon danse de nouveau un moment seul, en se contemplant dans la glace tout en singeant la chorégraphie qu’adopte Madonna pour sa chanson « Vogue ». Il aperçoit le fameux Ludo. Il se fraye un chemin jusqu’à lui : « Ludooooo, salooooope, mais comment ça va chéri, ça va, ça va bieeeen, suuuuupeeeeer, oueeeeh, géniaaaaal… Dis donc mais qu’est-ce que je suis content de te voir, alors !!!! Oh la la, c’est bien simple, on s’voit plus ! »

    A ce moment là, le garçon remarque quelqu’un d’autre dans l’assistance qui lui semble plus intéressant : « Ooh Lud’, attends, faut que je vois un mec, hyper important là, ouais ouais, j’t’expliquerai… tu bouges pas, hein… Ah, au fait, t’as pas vu La Pascal… Non ? Ok ok bon tchaow-tchaoow… »

    « Caroooool, salooooope, mais t’es superbe ce soir, dis donc, t’es très chatte ! Ah, mais c’est l’ensemble Gaultier dont tu m’avais parlé, que le vendeur de la boutique t’a revendu ?! Gé-nial ! Mais dis donc, fais voir là… T’es tout surdimensionné… D’la muscuuu ? Salope, j’men doutais, j’m’en doutais. Petite cachotière. Tu vas où ? Ah moi aussi, mais on s’est jamais croisé. Le matin ? Ah non, moi le matin, je dors, je doooors. Non, moi c’est l’aprèm et puis l’aprèm, y a plus de monde et çà drague à fond, à fond, j’te dis.

    Tiens tu t’souviens de mon Polonais, ben c’était là ! Siiiii ! Hein ? Ah non, c’est fini depuis. Oh ben, si tu sais, belle gueule, corps de rêve, mais alors il comprenait rien à ce que je lui disais, et puis au lit, oh la la la, rien, niet, néant, queue d’biche. T’enlevais le slip, queue d’biche, un radis nain…

    … Sinon, ça va toi ?

    [silence]

    … Au fait, t’as pas vu Machin ? Ben Machin là, Machin… Non ?… Bon. Okette, bon ben à d’t’a l’heure, alors… Tcha-tchaooow !! »

    Il se remet à danser juste à côté du garçon prénommé Rebecca : « hep, hep’s, tu sais qui je viens de voir ? Non ? Non ?… la Caroooool, cette travlot’… Quelle gouinasse, celle-là !! Non mais t’imagines un peu, elle ose encore se montrer après le coup qu’elle t’a fait avec Baolé le Camerounais… Pour qui elle se prend, celle là, à jouer les grandes dames, en plus. Ouiii, j’suis une staar, c’est moi la staaar. J’veux qu’on m’prenne pour une star. J’suis en Gaultier, nin nin nin… Quelle pauv’ fille, une vraie pauvresse qu’achète ses fringues en occase, en plus… Ahahaha ! Je te le jure. »

    [silence]

    « Attends deux secondes j’r’viens… hep’s Caroll, Pssss… T’as vu qui c’est qu’est làààà, j’te l’donne en mille… La Rebecca !! Non mais t’imagines un peu. Elle t’a toujours pas rendu ton fuseau vinyle fuchsia Versace et elle ose en plus le mettre ce soir encore pour te narguer j’suis sûr, j’suis sûrrrrr !!!! Sous ton nez. Mais pour qui elle se prend, cette souillon ?! Non mais tu sais ce qu’elle mériterait, tu sais quoi ? des connasses pareilles, moi j’dis, un croche-pied dans les escaliers devant tout le monde. Aah, elle fera moins la fière, la Rebecca… Tu vois, t’essayes… Je te dirai le bon moment après la distribution des sucettes… Ahahaha ! C’est vrai qu’on est des mauvaises, des fois, mais bon… Allez, à toute… »

    En reculant , il percute quelqu’un : « Pascaaaaaal, garce, beeeen aloooors, on te voyait pluuuus ? t’étais passé où ? Ouaaahh, mais dis donc toi, t’as hyper maigri, c’est génial ça, on te voit bien la mâchoire et tout… Peut-être les yeux qui sont un peu trop rentrés dans leurs orbites… Hein ? En tout cas, tu dois être hyper contente… Non ? Le ? Sida ? Ah… oui… euh… bon… Oups, oui, excuse, là, parce que je te laisse, t’entends, ils viennent de passer une annonce au micro, une voiture qui gêne sur le parking, c’est la mienne… Sisi… pas de parking ? Ah oui aussi… C’est bête ce qui t’arrive… Ah regarde derrière, c’est pas Rock Hudson ? »

    Le garçon s’éclipse et disparaît dans la foule.

    « Hep’s Caroool, tu sais qui je viens de vo… Bêêê qu’est ce que tu mates comme ça ? »

    Le garçon relève ses lunettes de soleil Oakley sur son front et regarde dans la même direction que son ami Carol. La musique semble alors s’arrêter net. Il n’y a désormais plus qu’un grondement qui se révèle être un battement de cœur qui cogne de plus en plus fort.

    « C’est, c’est qui, celui-là ? Je l’ai jamais vu auparavant… Ni ici, ni à la salle de gym, ni au sauna, ni au jardin des Tuileries, nulle part… Tu crois qu’il est homo ? Comme il est beau. T’as vu, il a l’air seul dans son coin… Seul et beau. T’as vu ses yeux ? Bleu ? Non vert plutôt, un peu gris… Et ces lèvres, c’est quoi, cette bouche… On dirait Marlon Brando avant ses injections d’Haagen Dazs… Et son corps, vise ce corps, pas un pet de graisse. Que du muscle extra-fin, sec, comme des haricots verts. Oooh, le jean, regarde le jean, prêt à exploser. Putiiiine, c’est pas possible, la vache, il s’est fait greffer un mollet ou quoi, c’est pas possible, il doit être monté comme un mammouth… »

    « Non mais attends, on dirait… On dirait qu’il regarde par ici ! Mais oui, oui, je suis dans sa ligne de mire. Il regarde – moi – j’veux dire que c’est moi, là, qu’il regarde. Je pourrais peut-être aller le voir, lui parler, on sait jamais… On passerait un petit moment ensemble… Juste discuter, comme ça, des trucs simples. Meeeerde, il bouge, on dirait qu’il s’en va, là. Il vient d’enfiler un truc. Il était avec quelqu’un, j’sais plus, j’ai pas vu. Tu vois toi, tu… Il part, il part, je le vois plus… il a disparu. Il, il est parti… C’est fini. »

    Le battement de cœur s’estompe. Il y a juste le silence et un petit cercle de lumière qui entoure le garçon, sans plus personne d’autre autour de lui.

    « J’ai peut-être aperçu le grand amour, comme ça, à quelques mètres, quelques instants à peine… D’un grand amour ou une bouffée de bonheur simple… Et puis pschiiiit, c’est reparti… plus rien… J’me sens tout drôle, tout seul, petit, minable… J’pense à ma vie, à tout ça… Rien, niet, néant, zéro… Queue d’biche. »

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 11)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 12)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 13)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 14)

     

     

     

  • Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 14)

     

     

    PARTIE II

     « Les corps amoureux »

     

     

    CHAPITRE VIII

    Clichés

     

    Le Sida 

    Certains y voyaient une invention de la CIA pour mieux en découdre avec les gays indexés courant 70, comme si, d’un seul coup, il s’agissait d’une lèpre qui risquait de mettre en péril l’équilibre démographique mondial… Toutes ces personnes qui peuvent, avec leur conception personnelle de la sexualité et de la liberté de pensée, mettre à mal un modèle éducatif, libéral et judéo-chrétien, difficilement conquis au forceps au fil de mille ans d’histoire. Ou bien encore le Sida serait venu d’Afrique et plus précisément du singe vert… Mmmm…

    Quoi qu’il en soit, ce syndrome d’immunodéficience acquise a tout d’abord défouraillé à tout va dans la communauté gay, qui, il faut bien l’admettre, n’était pas des plus rigoureuses avec le préservatif, puisque ce dernier était conçu à l’origine uniquement comme moyen contraceptif. Les choses vont alors quelque peu se compliquer, lorsque le sida commencera à irriter aussi les hétéros, qui ne se protégeaient guère davantage et qui pratiquaient l’abattage, comme leurs homologues gays.

    Le sida est bel et bien une saloperie œcuménique…

     

    Village People

    Groupe américain, mais créé de toutes pièces par deux producteurs français à la fin des années 70. Ils souhaitaient ainsi surfer sur la vague disco en s’inspirant d’une imagerie très Tom of Finland (illustrateur qui détourna toute l’iconographie masculine triomphante, du cowboy au motard, en passant par le flic, le gars de chantier avec son casque jaune, etc… pour l’amener dans l’univers gay).

    On découvrait alors les débuts du marketing gay. Si ce groupe en plastique a servi de la soupe jusque tard, dans le courant des 80’s, on doit lui reconnaître cependant une acceptation dans l’inconscient collectif étriqué, qui jusque-là imaginait les homosexuels blonds avec des mèches, coiffeurs de profession et se dandinant comme des canards en rut.

     

    Nin-Nin-Nin

    C’est une onomatopée que certain gays utilisent à profusion pour colmater une petite flemme sémantique et qui permet ainsi de faire tenir une explication à peu près debout. A noter que certains prononcent aussi « na-na-na ». Ce néologisme qui fait office de joker dans un dialogue, lorsqu’on tente une explication laborieuse et que le vocabulaire ou même la grammaire ne parviennent plus jusqu’à la langue, sans doute à cause de synapses engorgées d’eau, pourra donc se placer n’importe où, où l’on veut, sans limite et sans restriction.

    Exemple : « Ouais et donc le mec me dit comme ça, ouiii, nin-nin-nin, de toute façon, c’est comme ça et pas autrement… alors moi, j’lui ai répondu direct, j’men fous, nin-nin-nin »… Bon, en gros, c’est à l’interlocuteur de combler les manques. Cela permet également de créer des récits très ouverts sur les tenants et les aboutissants. Ce « nin-nin-nin » sera plus tard récupéré par des générations de personnes dites « kaïra » qui l’utiliseront exactement comme leur homologues gays, en appuyant cette fois-ci plus sur le dernier « nin » Prononcez donc « nin-nin-nin »

     

    Travesti

    Petit rappel laborieux mais nécessaire, un homosexuel aime sexuellement d’autres hommes, justement parce que ce sont des hommes et non des femmes… Il souhaite donc que les autres hommes soient attirés par lui parce que c’est un homme et pas une femme. Vous me suivez ? Par conséquent, cet homosexuel ne se maquille pas, ne porte pas de robe ni de jupe (même si, dans ce cas précis, les jupes pour homme, cela peut être extrêmement viril et sexy).

    Se travestir n’est donc pas une singularité propre aux gays. Ceux qui le pratiquent, pour diverses raisons, peuvent travailler chez Michou, se prostituer au Bois de Boulogne, être transsexuel, fétichiste, hétérosexuel, adorer simplement porter des habits de femmes, chaussures et maquillage, ou encore des drag-queens pour des shows. La liste est longue et varie en fonction de chaque individu, car la sexualité change en fonction de chacun et le travestissement est donc un genre en soi.

     

    Le Fist-Fucking

    L’action d’introduire sa main, son poing plus exactement dans le rectum de son partenaire, n’est pas en soi une pratique exclusivement réservée aux homosexuels hommes. Il est d’ailleurs à noter que ce n’est pas non plus une pratique réservée à ce seul orifice, puisque les hétérosexuels peuvent eux aussi s’en donner à coeur joie, avec le poing, le bras, voire même leur corps entier, dans le vagin de la partenaire…

    P.S. : toujours prévoir quand même le pot de lubrifiant taille familiale et la truelle qui va avec…

     

    Coming Out

    Certains auront besoin de le dire, d’autres en seront dans l’impossibilité, en fonction du milieu, des origines ou de l’entourage de la famille (l’annoncer à des parents tchétchènes, par exemple, ça n’est pas forcément tip-top…). Pourtant, faire son coming out est sans doute la meilleure façon de s’affranchir et d’être libre de penser et d’agir par soi-même, de s’accepter et d’avancer.

    Pour ce qui est du coming out « People » et de ces personnalités médiatiques et politiques qui annoncent leur homosexualité pour des raisons diverses et variées, qu’elles soient financières, stratégiques, personnelles ou autres, revêt une bien différente franchise. Il s’agira d’un positionnement non pas idéologique mais calculé et mûrement réfléchi.

    Quoi qu’il en soit, cette information divulguée, comme s’il s’agissait d’un secret de l’univers enfin révélé, s’apparente très souvent à l’effet d’un pet dans l’eau. Oui, on peut y trouver un aspect positif quand il s’agit d’un rappeur, d’un footballeur ou plus généralement de tout ce qui se pare d’une image hyper-sexuée et virile, mais dans l’absolu on se rend compte que cela ne contente que les gays eux-mêmes et quelques commères avides d’infos croustillantes, dans l’unique but d’agrémenter leurs dîners en ville.

     

    Sado-Masochisme

    Cette image du mec barbu, crâne rasé, piercings au bout des tétons, Prince Albert au prépuce, habillé en cuir, latex – oui, c’est vrai, ça existe – et des bars leur sont même  réservés… Mais comme pour le fist fucking évoqué précédemment, cette pratique de soumission ou de domination n’est pas une exclusivité gay, et serait surtout très prisée chez les hétéros sexuels. Tous ces couples en mal d’affection ou d’effraction s’adonnent à ces délices sévères depuis longtemps, dans le cadre de jeux de représentation et de rôle fort sophistiqués. Relisez cet excellent livre de Pauline Réage « Histoire d’O » pour vous en convaincre.

     

    Mode dite « Pédé » 

    Ce sont tous ces vêtements taille Small, dits « Slim », T-shirts col V, petites vestes courtes étriquées, chaussures à bouts plats et pointus, que vont bientôt porter certains gays dans le courant de ces années 90, puis au début des années 2000… Oh sortilège !! Mais que s’est-il passé ? Voilà que cette mode a déteint, pour se répandre dans tous les dressings masculins, peut-être sous l’impulsion des fiancées de ces hétéros (hété-rotes) qui souhaitent voir leurs chéris habillés plus tendance… Sauf que presque vingt ans plus tard, tous les Zara, H&M ou autres marques plus prestigieuses, Sandro, Zadig & Voltaire ou The Kooples, serviront encore et toujours ce même genre de coupes et de soupes à des individus manquant cruellement de personnalité. « You’re not gorgeous, sweety darling ! »

     

    Marais Poitevin, 3ème Arrondissement de Paris

    Ses barques, ses crêperies, ses peintres et ses pêcheurs alignés le long des affluents de la Venise verte, mouchetant de couleur eau pastel leurs toiles, réceptacles de légendes du Poitou-Charentes, ou essayant parmi les nénuphars d’attraper ses grenouilles, ses anguilles, ses poissons d’argent… Oui, terre de contraste… Le Marais Poitevin.

    Ses bars et restaurants arborant le drapeau aux couleurs de l’arc-en-ciel, mais qui ne survivront pas longtemps à la gentrification des idées et du politiquement correct… Tout sera balayé et remplacé par des boutiques branchées de design d’intérieur, de parfumeries de luxe, de fringues hors de prix, d’accessoires, de trucs et de machins kro jolis, avec tous ces riverains affichant la même expression faciale et déambulant benoîtement les dimanches, avec poussettes et cartes de crédit en mode apoplectique… Réceptacle de contentement mortifère et de lieu commun où tout se ressemble, s’entasse et s’annule… Oui le Marais, l’autre. Ce village tel que nous le connaissions encore durant cette décennie et qui s’évanouira courant des années 2000.

     

    Foulard à la poche arrière de son blue Djiiinz (Hanky Code)

    Longtemps, des gays utilisèrent cet accessoire pour communiquer de manière cryptée avec leurs autres homologues, en toute discrétion, aussi bien dans les lieux prévus pour des rencontres spécifiques comme partout ailleurs. Le foulard qui se portait ainsi dépassant de la poche arrière du jean devait exprimer, en fonction de sa couleur, une demande bien particulière.

    Il s’agissait en l’espèce toujours d’un bandana en coton. Qu’il soit placé à gauche ou à droite du pantalon, et cela renvoyait à une information supplémentaire. Sachant qu’il pouvait y avoir jusqu’à 32 couleurs différentes et qu’il fallait aussi tenir compte de quel côté était porté le colifichet, il valait mieux se balader également avec son petit tableau des références colorimétriques, par mesure de sécurité. Au point que le morse, en comparaison, c’était de la petite bière…

    Exemple : rouge pour les actifs, rose pour les passifs, vert pour un plan à plusieurs, noir pour les tendances SM, jaune pour les urophiles ou les mangeurs de spaghetti, bleu pour les fans de dauphins, gris pour le bondage, lavande pour les drag-queens, etc… Carré Hermès autour du cou, philatélie et pipe à l’eau chaude, autant de combinaisons comme autant de petits coquinous…

     

    Quota Pédé

    Eh bien oui, rien de tel qu’un dîner, une soirée, une fête, un mariage, un baptême ou une Bar Mitzvah réussis, si vous avez aussi invité un gay « très sympa » ! Si vous ne l’avez pas encore comme ami proche ou lointain, sachez qu’il vous faut im-pé-ra-ti-ve-ment votre gay de service… « Alors Anne-So, je te présente Paul, il est gay… mais a-do-rable ! »… ou encore « Bonjour, je suis Jean-Mathieu, je suis gay… »…

    « Vraiment sympa » !

    Car il est toujours de bon ton de prévoir un quota ou un échantillon représentatif et politiquement correct de la population. On avait déjà mis en place le même protocole pour l’anniversaire digne de ce nom, avec le copain « black », « beur », « asiatique » de service… Mais jamais plus de deux, hein, non sinon cela s’annule !

    Dernière nouveauté aussi, l’handicapé tétraplégique ; « Alors je vous présente Michel… Il bave un peu… mais il est trop mi-gnon… ». Imaginez la chance lorsque le gay de service est arabe ou noir, sachant que le le jackpot, c’est quand il est noir, gay et handicapé… « Non mais alors là, c’est vraiment très sympa ! ». Et puis, si jamais avec un peu de chance il se trouve qu’il soit aussi séropositif, alors là  « BINGO !! ».

     

    Céline Dion

    Il y a plusieurs années de cela, des pages dérobées dans des dossiers ultra-top-importants de l’armée américaine avaient circulé un court moment sur le Dark Net. Celui-ci n’en était qu’à ses balbutiements et la CIA n’avait pas encore le contrôle absolu de chacun des faits et gestes des pirates informatiques qui y sévissaient. Julian Assange n’était encore qu’un adolescent boutonneux qui jouait à Space Invaders sur sa console Atari.

    L’information n’avait retenu l’attention que de quelques personnes qui ont disparues depuis dans des circonstances mystérieuses, voire même ballottes. A cette époque, donc, les armées US et québécoise fricotaient ensemble et planchaient sur des expériences un peu « cheloues ». Ces documents évoquaient en fait une nouvelle arme chimique redoutable, d’abord testée sur des rats puis sur des babouins, et qui risquait de causer des dommages sans précédent sur ceux à qui elle serait destinée… Depuis, nous avons compris, mais trop tard…

    Le « Cédï-ion » (nom de code) était en fait un appareil de torture sophistiqué à usage sonore (ultrason) et visuel (perte des repaires basiques tels le goût, le jugement de valeur et l’objectivité) puis saignement des yeux et des oreilles. L’appareil fut ensuite monté et intégré sur des clones cyborgs de genre féminin. Lorsque le département concerné fut fermé pour cause de budget non-alloué, les prototypes furent détruits. Vraiment ?

    Non, car plusieurs parvinrent à s’échapper, avec l’aide d’un cerveau assez malade pour oser laisser en liberté de telles machines qui allaient répandre ruine et désolation autour d’elles. Depuis, le « Cédï-ion » provoque des ravages tous les jours. L’autre arme ultime évoquée, tout aussi dangereuse bien que datant de la guerre froide, fut baptisée le « Mi-Reï Ma-Tïeu » ; un droïde capable de faire exploser des têtes à une distance de deux-cents mètres, tout ça rien qu’avec ses cordes vocales bioniques. On dénombre également deux autres modèles, le « Mar-ïa Ka-Ré » et plus récemment la fameuse « A-Del ».

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 11)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 12)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 13)

     

     

     

  • Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 13)

     

     

    PARTIE II

     « Les corps amoureux »

     

     

    CHAPITRE VI

     

    Le Persil Fleur 

    La journée, je suis ce serveur qui s’est teint les cheveux en roux et qui sert des rognons de veau aux girolles et des filets de sole à des hommes d’affaires inodores, incolores. Des gens qui ne vous regardent pas et qui, s’ils vous adressent la parole, ne vous regardent jamais dans les yeux, ou au mieux avec ce genre de regards condescendants. Je suis sûr que si je portais un petit chapeau pointu sur la tête avec une hélice tournante, ils ne le remarqueraient pas davantage. Le soir, les mêmes plats, mais pour des gens connus, des acteurs de théâtre, de cinéma ou de la télévision.

    En moins d’un an, je vois ainsi défiler Catherine Deneuve, Bernard Giraudeau, Isabelle Huppert, Jacqueline Maillant, Christian Clavier, André Dussollier, Francis Huster… C’est très étrange pour moi. Exactement le cliché type du provincial qui rêve Paris comme un monde à part, où l’on pense pouvoir croiser tous les jours dans la rue des gens connus, tous ceux qui n’existent que par le biais des écrans de télévision, grands vecteurs sacrés qui tiennent lieu de fenêtre dans les régions de France.

    Il y a aussi toute une bourgeoisie parisienne, chic et discrète, qui vient déguster des noisettes d’agneau au cumin et à la menthe fraiche, des ris de veau aux écrevisses, du bar et saint-jacques au coulis de tourteau, des crêpes au pralin, du feuilleté de poire…

    Je découvre des us et coutumes que je n’imaginais même pas. Une certaine sophistication dans les rapports et les échanges. J’attendris ces vieilles femmes sans âge, aux colliers de perles de culture, qui sentent fort les parfums camphrés, avec leurs fourrures embaumées à la naphtaline…

    –       Dites-moi, jeune homme, pourriez-vous m’apporter une cuillère à cocktail afin que je puisse remuer mon kir royal ?
    –       Bien-sûr madame !
    –       Vous êtes a-do-ra-ble… Comment vous appelez-vous déjà ?
    –       Hubert, madame !
    –       Hubert… C’est charmant, comme mon défunt mari.

    Et ma victoire de cinq minutes, lorsque j’obtiens un sourire ou même un rire, au détour d’une attitude, d’un trait, d’une saillie, d’un mot que j’aurais eu l’outrecuidance de lancer à l’assistance. Toutes ces momies ou ces célébrités qui me regardent enfin dans les yeux. On a vraiment envie à vingt ans d’être reconnu, considéré. On a cette soif d’être fameux. Pour qui, pourquoi ? Ça, c’est une autre histoire. On veut être célèbre, que les gens dans la rue vous reconnaissent. Tout cela pourtant bien avant les émissions de télé-réalité et Instagram. Au fond de moi, j’aspire à toutes ces vaniteuses et petites considérations.

    Tout près du restaurant, se trouve le théâtre Athénée Louis Jouvet où chaque lundi soir, Pierre Bergé y organise « Les Lundi Musicaux ». Celui-ci vient dîner à chaque fois, juste après, entouré de ses mignons. Ce sont tous des clones d’Yves Saint-Laurent jeune, habillés en costume, écharpe blanche et autre foulard de la marque… j’imagine.

    Je découvre ainsi, comme on le voit dans certains films qui vous fascinent, cette faune « homo » décadente et sophistiquée, où l’on se parle dans le creux de l’oreille, à mi-mot. Lorsque je m’approche de la table, certains se taisent comme si ce qu’ils disaient était d’une importance capitale, au point qu’un simple petit serveur (roux) ne puisse en aucun cas en profiter. Des regards en coin et des sourires entendus parachèvent ces tableaux baroques, sorte de relecture de la Cène, avec Pierre Bergé assis au centre, en gourou autoritaire et peu aimable avec le petit personnel.

    Mais toutes ces différentes situations et autres anecdotes que je vis dans ce restaurant, servent à parfaire mon travail d’émancipation. C’est une école de théâtre où tous les jours, je m’entraîne à prendre confiance en moi. Petit à petit, j’essaye de devenir tangible, lisible et d’apprendre ce monde du paraître et des petites phrases.

    Le propriétaire du restaurant est un homme grand, mince et séduisant, dont la ressemblance avec Clark Gable est assez frappante. Il arbore d’ailleurs les mêmes moustaches et la même coupe de cheveux que son illustre modèle américain. Il y a aussi, dans cette affaire, un oncle qui est l’associé de monsieur Fleur et qui traîne au service du midi, derrière le bar et à la caisse. Avec sa corpulence à la Obélix, ce curieux personnage  est une caricature, entre l’Auvergnat et un méchant des films comiques muets en noir et blanc, avec Buster Keaton ou Charlie Chaplin. Entre deux additions rédigées à la main, il fait des mots fléchés ou jette des regards torves quand on passe derrière lui au bar pour prendre quelque chose sans le lui demander. Sirupeux avec la clientèle et odieux avec le personnel, c’est un bonhomme Michelin moustachu et malveillant.

    Finalement, c’est une ambiance assez familiale qui règne dans cet endroit. Même si mon patron peut à loisir parfois se moquer de moi, ou se jouer de ma naïveté et de ma candeur devant la clientèle, je ressens aussi une certaine affection et bienveillance à mon endroit. Il est la star de son établissement. Les clients et les habitués viennent surtout pour lui. On ne sait jamais vraiment si ce qu’il raconte est vrai. Il a une tendance naturelle à la fabulation mais en même temps, cela lui confère quelque chose de magique et de précieux.

    Bien que je sois moi-même le plus souvent incernable et d’une mauvaise foi absolue, quand je fais des conneries et que je suis pris sur le fait, jamais il ne m’en veut et le lendemain tout cela est déjà oublié. Je crois qu’il m’apprécie comme je suis. Il sait qu’au fond de moi, je ne suis qu’un petit poussin, inoffensif et mignonnet.

     

     

    CHAPITRE VII

     

    Cachez ce sexe que je ne saurais voir…

    Il y a d’abord ces revues que j’achète désormais au kilo. Toutes celles que je feuilletais discrètement à la maison de presse à Niort, mais que je ne pouvais rapporter chez moi. Je savais ma mère fouineuse. Elle pouvait de temps à autre faire des descentes lorsque j’étais absent, pour venir passer les mains sous mon matelas, dans mes tiroirs ou entre les livres.

    Le sot que je suis se trouve dorénavant à Paris, ville de l’anonymat et de l’indifférence absolue, bourrée de bars gay et de lieux de rencontre. Oui mais en un bête réflexe pavlovien, je continue à me masturber devant des photos de mecs en plastique…

     

    Festin

    Vorace, je veux manger ton corps.
    C’est un banquet, une table immense
    pleine de victuailles en abondance
    du vin de paille, des mets exquis.
     
    Mais mes manières sont celles d’un porc
    qui se jetterait sur sa pitance.
    Mon appétit est une béance,
    un monstre se nourrissant d’orgie.
     
    Innocents de ta beauté vive
    tes gestes sont comme des couteaux
    qui tranchent ma vertu en lambeaux
    et toi tu jettes les restes aux chiens.
     
    Ton érection est agressive
    Je sens du métal dans mon dos
    ce sexe en forme d’ogive est gros
    et c’est ma bouche qui le retient
     
    pour le moment avant qu’il puisse
    me réattaquer de nouveau
    ou se présentant en cadeau
    à l’autre de mes orifices.
     
    Tombes tes jambes, tes pieds, tes cuisses
    et qui s’enroulent partout, m’étranglent.
    Une créature blasphématrice
    qui me ligote avec des sangles.
     
    Mon visage s’encastre. De cet angle
    qui forme un carré, un rectangle
    et après ton sexe, c’est ta lune
    que cueille ma langue opportune.
     
    Ton anus, l’astre de tes cimes
    forme ce point d’exclamation
    et s’ouvre enfin sur ton intime.
    Je commence donc mon ascension.
     
    J’aime le spectacle de tes fesses
    généreuses, rebondies et noires
    qui se contrastent avec tes paumes
     
    et tes talons et qui se laissent
    pétrir, gouter, pincer puis choir
    sur mon organe fou, autonome.
     
    Je veux savourer ce goût fort
    des épices qu’il y a sur ta peau.
    Ces saveurs de musc que j’adore
    je les renifle jusqu’aux os.
     
    La volupté de ton désir
    et cette force bruissante en secret
    ton excitation aux aguets
    ouvre-toi, je veux te faire jouir.
     
    en des caresses proches de la mort
    de celles qui font chanter les anges
    et les démons babyloniens.
     
    J’appâte ton sphincter carnivore
    avec mes doigts puis ma phalange.
    Attends, tu ne contrôles plus rien.
     
    L’orgasme explose et tu te tords
    de convulsions et un mélange
    de cris, de foutre et de chagrin,
     
    de sueur et tout est comme de l’or.
    ta peau sombre scintille puis change
    s’estompe. Tu disparais soudain.
     
    Je veux… J’aurais voulu.. J’ai cru
    mais à cette fête je suis seul
    et bien frugal est mon festin.
     
    Pas de garçon, personne en vue
    Serrère, Diola, Mandingue ou Peul
    et qui assouvirait cette faim.
     
    De ces ripailles hallucinées
    à cette table des invités
    il n’ y a que moi avec ma main.

     

     

    Et puis il y a enfin une « rencontre » via le minitel, cet étrange objet rétro-futuriste couleur chiasse et caca d’oie, qui pèse une tonne avec son clavier à touches que vous devez enfoncer avec un marteau pour obtenir un résultat sur l’écran. On trouve déjà des sites de rencontre (36-15 Gérard). Il s’agit des prémices de ce que deviendront plus tard des applications communément installées sur les téléphones.

    L’avantage avec le minitel, c’est que les mythomanes en tout genre ont trouvé leur pied-à-terre. En effet, on peut uniquement dialoguer sur ces « chats » premiers du nom sans possibilité d’agrémenter le dialogue avec des photos. La surprise est donc prévue uniquement lors du rendez-vous ou pour les plus téméraires, derrière la porte.

    Moi, le petit poussin, crois donc tout ce que l’on me dit. Pour ma première expérience, j’ai donc craqué virtuellement pour un garçon qui prétend ressembler à Carl Lewis. Je suis fou de joie. L’inconnu n’habitant pas à Paris, je l’invite sans plus attendre chez moi à passer la semaine.

    Un petit poussin, soit, mais avec le cerveau d’une mouche, qui va donc apprendre la vie et les différents types d’organismes que l’on peut croiser sur cette terre, comme les bipèdes homo erectus gentils, méchants, les insignifiants, les manipulateurs pervers narcissiques et bien-sûr, les plus répandus, les parasites.

    Lorsque j’ouvre la porte, je ne découvre hélas pas le célèbre athlète noir américain, mais plutôt Tracy Chapman, avec cependant effectivement la même coupe de cheveux que le coureur multi-médaillé d’or à différents jeux olympiques. Le garçon en question est un Antillais qui va se révéler être complètement bidon, escroc à la petite semaine qui compte s’installer chez moi indéfiniment. Saperlipopette !

    Je vais mettre tout de même un mois pour comprendre que cette chose qui est venue de l’espace, veut juste vivre à mes crochets, sans autre projet, et sans doute boire mon sang, me vider de ma substance et se servir de mon enveloppe corporelle pour prendre ma place sur terre.

    Mais c’est pourtant avec cet importun que je vais connaître ma première relation sexuelle, mais pas mon premier orgasme. Il faut dire que l’expérience est assez pénible et tourne à chaque tentative au désastre. Tracy Lewis se révèle être un piètre amant. il fait également sortir de sa bouche, lors des différents coïts, des sons abominables qui finissent par me dégoûter définitivement. Sur le plan du désir, je pense que cela ne serait pas pire avec une fille portant le bouc…

    N’étant pas pour l’instant un garçon des plus téméraires et franc du collier, je dois passer par moult subterfuges pour essayer de me défaire de l’envahisseur. Je finis par trouver un prétexte infaillible. Je lui raconte que je dois quitter Paris pendant un temps indéterminé et que je ne peux le laisser vivre seul dans l’appartement qui m’a été prêté par mon employeur, car ce dernier envisage d’y réaliser quelques travaux pendant mon absence. Carl Chapman ne trouve rien à redire à cette excuse imparable et se voit contraint de retourner d’où il vient, c’est-à-dire un endroit froid et lointain dans une galaxie inhospitalière.

    Bilan de cette première approche sexuelle avec un autre corps animé : un échec cuisant…

    C’est après m’être débarrassé de ce fâcheux, par le biais de prétextes fallacieux et autres périphrases qui n’entachent en rien mon intégrité de petit poussin, que je retente une autre expérience, en repassant par le minitel. Il faut savoir aussi, à propos de ce nouveau moyen technologique, que chaque connexion coûte une fortune. En quelques mois, je vois mes factures téléphoniques passer de deux à trois, puis à quatre chiffres.

    Sournois que je suis, je décide alors de faire mes recherches libidinales sur le minitel de mes parents, lorsque je leur rends visite le week-end. Eux aussi, très vite, vont voir leur facture de téléphone grimper de manière exponentielle, d’autant que là, je m’en donne à cœur joie.

    Je rencontre cette fois-ci un Brésilien de plus de vingt ans mon aîné, qui me fait découvrir la Feijoada et qui aime faire l’amour en écoutant de l’opéra. Tout cela est déjà plus dans mes cordes. L’homme en question est une mine de savoir et de culture. Je me sens attiré surtout par le fait qu’il soit bien plus âgé et qu’il ait un ascendant certain sur moi. Cette relation hélas ne s’éternise pas plus que quelques semaines. Même si celui-ci est un vrai précepteur et que j’aime les dîners mondains qu’il organise avec des gens du monde entier, je reste un peu insensible à son physique. J’ai besoin de plus. Je voudrais être amoureux et que ce sentiment m’enivre. Et ici, ce n’est pas le cas.

    Finalement, je rends mon minitel et décide enfin d’aller affronter les hommes, les vrais, ceux que l’on trouve dans les rues, les bars et les boîtes de nuit. Pas ceux qui coupent du bois dans des forêts au Canada, pas ceux non plus qui se bagarrent dans des bars avec des marins, non, des hommes comme moi qui partagent cette appellation avec leurs homonymes hétérosexuels, parce qu’ils possèdent également un sexe qui pendouille entre leurs cuisses… Et dans ce début 90, il vaut mieux suivre ce qui se passe en terme de tendance comportementale dans le dit « milieu ». C’est une époque où vous pouvez choisir entre plusieurs styles et attitudes.

    Mais attention aux clichés véhiculés…

    Les avis péremptoires, les amalgames et les aprioris ont toujours la peau dure… Qu’il s’agisse de dresser le portrait avec de gros raccourcis, d’une culture, d’une couleur de peau, d’une religion, d’un secteur professionnel, d’une activité et j’en passe, les clichés sont ce qui alimente le mieux le four à étron de nos pensées réduites à la facilité et au confort de nos idées reçues. Il en résulte encore et toujours des pièces montées improbables, de gros puddings indigestes confectionnés de toutes ces sottes fausses vérités. Alors imaginez donc sur l’homosexualité, le menu est orgiaque.

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 11)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 12)

     

     

     

  • Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 12)

     

     

    PARTIE II

     « Les corps amoureux »

     

     

    CHAPITRE IV

     

    « Ici, tout n’est que luxe, rareté, beauté, perfection. » 

    Il ne s’agit là évidemment que d’un point de vue très subjectif sur ce sujet précis, puisqu’il vous faudra déjà posséder une bonne dose de snobisme pour détecter toutes ces apparences en trompe-l’œil. Vous devrez également avoir digéré tous les romans de Jane Austen, Edward Morgan Forster ou Kasuo Ishiguro, afin de mieux comprendre les attitudes cryptées chez tout ce beau monde, entre la Upper Class et ceux qui oeuvrent à son service et qui, en toute logique, doivent reprendre les mêmes tics et divers autres protocoles, entre savoir-vivre et étiquette, pour pouvoir évoluer même à titre d’ombre dans ce milieu.

    Comprenez que si jadis personne n’était dupe du jeu de chacun et de sa place respective dans la société, l’égalité ou le nivellement des classes quelles qu’elles soient ont au fil du temps fini par mélanger les cartes et brouiller les pistes, pour en arriver à cette inversion des codes et des valeurs, mais cela serait un tout autre débat d’ordre civilisationnel, en ces temps nouveaux où s’affirme cette idiocratie patentée.

    Tout d’abord, à titre expérimental et en tant que première immersion, vous pourrez vous rendre dans ces grands magasins, tels que les Galeries Lafayette, le Printemps ou autre Bon Marché, pour tomber nez à nez avec ce genre de spécimen. Alors bien-sûr, ce n’est pas au rayon fromages que vous le débusquerez mais plutôt du côté des corners dédiés aux vêtements couteux et trendy.

    Et là, vous aurez en général affaire à un individu de type caucasien, pas très grand et extrêmement mince. On peut le repérer car il se trouve souvent devant le stand d’une marque dite « de prestige ». Approchez-vous sans faire de bruit, sur la pointe des pieds. Evitez de porter des vêtements trop voyants ou trop banals, car cela risquerait de le faire fuir. Si au contraire vous êtes habillé de manière branchée et cool, cela va attirer son attention, voire même le tétaniser tel le lièvre pris dans les phares d’une voiture.

    Ce démonstrateur peut avoir entre vingt et quarante ans. Il ne vous sourira jamais, mais en revanche ne manquera pas de s’esclaffer avec d’autres individus de son espèce, qui semblent tous sortis du même moule, à chaque fois qu’ils verront passer un client qui ne rentrerait pas dans le cadre étriqué des normes instaurées entre eux par ces petits majordomes. Cette catégorie d’humain n’existe que pour le principe futile de pouvoir porter, parce que c’est leur passion, des vêtements onéreux qu’ils ne pourraient jamais s’offrir en temps normal, ce qui génère forcément frustration et colère au bout de l’allée…

    Vous connaissez sans doute le proverbe, « Il n’y a pas de sots métiers, il n’y a que de sottes gens ». Il se trouve que dans ce cas précis, justement, non seulement le métier est sot mais ces gens-là sont sottes, ou finissent inmanquablement par le devenir. Appréciant la mode mais jamais pour les bonnes raisons, les spécimens en question confondent hype et luxe, tout en arborant une insupportable arrogance, afin de masquer une petite vie mesquine, sans éclat et sans panache. Ces êtres constamment énervés ne se voient qu’en deux dimensions, alors qu’ils tentent de remporter sans cesse le vain combat des égos. Retirez juste les beaux atours et il ne restera plus que vulgarité, avec comme fond musical, non pas le hit dance du moment mais un simple bruit de pet…

    Mais il existe encore le stade supérieur… Une sorte d’Olympe de cette activité de niche ; en l’occurence, le vendeur qui officie dans la boutique principale, le show-room, la maison-mère. Au terminus des prétentieux, toujours plus près des étoiles, il est l’élu ! Sans oublier qu’il y a marques… et marques. Plus qu’une griffe, un nom, une renommée qui s’inscrit dans le temps, tels certaines légendes, vous avez la mode et puis les créateurs. Là, c’est encore autre chose. Le pinacle, le Nirvana, une adresse rue du Faubourg Saint-Honoré, rue Cambon ou encore la galerie de Valois au Palais Royal. Oui, vous l’aurez compris, à ce niveau-là, on tutoie les anges, on caresse la joue de Dieu.

    Imaginez… Un autre monde, une dimension parallèle où le temps semble suspendu, voire même lyophilisé… Oui c’est ça, du temps en poudre. Une grande boutique blanche, immaculée, à l’abri de toute souillure terrestre, un lieu où les lois de la gravité n’ont plus d’effet, loin de tous ces primates, ces barbares renâclant sur ces trésors d’hyper-tendance, qui devancent, qui transcendent de mille ans la naissance même de la mode. Que dis-je, de l’espèce humaine… Composée principalement d’infâmes personnages perclus de grossièreté, ne pouvant comprendre, percevoir et encore moins ressentir ce que le « Maîîîtrrr » a voulu exprimer avec sa dernière collection (tout simplement suuuupeeeerbb), aussi loin que les barrières Vauban le permettent de ces groins putrides et humides, condamnés par Mère Nature à se gaver, s’empiffrer jusque mort s’ensuive de Zara ou de H&M. Mais quelle horrreurrr !

    THE Boutique est donc posée là, élégante mouche sur une joue à la teinte d’albâtre, perdue dans cet univers urbain hostile. Sur la rue s’étirent ainsi ces grandes vitrines, avec derrière… rien… ou si, plutôt, Le Rien. En approchant plus près le visage de la paroi du bocal, vous aurez peut-être la chance d’apercevoir à l’intérieur des vendeurs immobiles, figés, flottant dans l’espace tels le spermatozoide dans le liquide séminal ; tableau étrange, en y regardant de plus près, comme s’ils évoluaient au gré de l’indicible, du merveilleux, parmi les habits-rares-installés sur de sobres cintres métalliques ou sur des meubles minimalistes.

    Nous voici donc au cœur de la nef, car ça n’est pas une simple boutique. Le lieu est religieux. Un temple voué à des rites qui nous sont sûrement pour toujours inconnus, nous, les profanes. Il faut rentrer dans ce lieu d’exception pour comprendre ce qui s’y passe vraiment. Et voici les vendeurs. Ils bougent un peu, à peine, en fait. Ils sont trois, observant chacun une posture très étudiée. Les bras sont croisés ou le long du corps, une main sur la hanche, l’autre légèrement surélevée et suspendue dans le vide, la tête un peu de biais, moue de la bouche, yeux hagards… Ou alors le bras passant entre les deux jambes dont l’une, croisée, passe par dessus la tête…

    Lorsque vous aurez l’outrecuidance de vous diriger vers eux, ils vous gratifieront peut-être d’un regard distant, pourront éventuellement se laisser aller à vous faire un signe de la tête, voire même articuler un « bonjour », que vos modestes ouïes percevront comme une sorte de « bowjaune ». Ce « bowjaune » devrait être accompagné d’une moue des lèvres accentuée, qui pourrait vouloir signifier : « bienvenue dans le royaume triomphant des exceptions vestimentaires, qui ne sont plus de simples assemblages de tissus et d’ingéniosités, mais toute bonnement… des vérités. Ici, tout n’est que luxe, rareté, beauté, perfection. » Quant à moi, je crois que… que je viens juste de… jouir…

    Allez, faisons fi de ce satané instinct d’infériorité qui nous colle à la peau depuis que nous avons passé la porte et hasardons-nous à nous rapprocher, afin de contempler de plus près certaines pièces, tout en respectant le silence monacal du sanctuaire. Vestes, manteaux et chemises défilent sous nos yeux ébahis. Nous sommes marqués à la culotte par l’un des vendeurs-cénobites-cerbères qui replace aussitôt, dans un alignement que lui seul maîtrise, et selon des règles que lui seul comprend, ces augustes vêtements sur lesquels nous avons osé poser nos vilains gros doigts boudinés.

    Nous contemplons ensuite de magnifiques pulls, en l’occurence au nombre de trois, qui se battent en duel sur une gigantesque table en métal mat à 10.000 dollars. Juste à côté, deux ceinturons enroulés, trois porte-monnaie et quatre paires de chaussettes alignées. Ces objets, accessoires et divers artéfacts auraient-ils appartenu à Napoléon Bonaparte ? Ou à Marilyn Monroe qui, selon la rumeur, portait des chaussettes pour dormir ?

    Nous esquissons alors une ébauche de dialogue avec l’un de ces archanges non-répertoriés par les Saintes Ecritures : « Veuillez m’excuser, auriez-vous ce modèle en médium ? ». L’être en deux dimensions s’approche de nous, comme s’il flottait dans les airs. En effet, je regarde à ce moment précis ses pieds et force est de constater qu’ils ne touchent pas le sol. L’être vaporeux qui défie la gravité ne manque cependant pas de se contempler au passage dans un grand miroir. Il doit avoir été assez satisfait de ce qu’il y a vu pour arborer ensuite une sorte de sourire, même si l’image renvoyée par la glace est restée étrangement impassible. Il nous lance alors, dans un chuintement singulier : « en mîdiôm, m’avez-vous dit ? »

    C’est avec une grande dextérité et la plus extrême souplesse dans les doigts, mouvement que nos grosses paluches roturières ne pourraient en aucun cas reproduire, que l’ectoplasme à deux dimensions extrait une petite étiquette de l’intérieur du pull que nous venons de lui désigner, posé au beau milieu de la table en métal mat à 10.000 boules. Une rotation de la tête à 180 degrés et un geste souple de la main plus tard, il interroge un autre xénomorphe : « Eugenio, y a-t-il encore le modèle B en… Mîdiôm ? ».

    L’autre marque un temps d’arrêt (Attention : la scène d’action du film !), puis disparaît derrière une petite porte dérobée, comme happé par la réserve du magasin, pour en ressurgir quelques minutes plus tard. Il semble effondré (il vient probablement d’apprendre un décès dans sa famille) : «  Nooooon, nous n’avons plus ce modèle, hélaaaas ». Et là, réaction en chaîne ! Le premier xénomorphe semble lui aussi soudainement gagné par une tristesse sans bornes. Les deux se regardent en dodelinant de la tête. Nous parvenons finalement à sortir de cette torpeur quelque peu angoissante en demandant à essayer un autre modèle dans un autre coloris. « … Oui c’est très joli aussi en noir. Vous pouvez le porter comme ça, avec le petit chose, là, voilà, avec le petit chemise aussi ou alors avec le petit maille. C’est très joli aussi avec le petit maille… ». Mais… Mais qu’est-ce qu’y dit ?

    « Bon, nous prendrons celui-ci… ». Le vendeur, extatique, prend notre vêtement comme s’il tenait le petit Jésus, puis se dirige religieusement vers la caisse. Nous emboîtons ses pas, dans une lente procession sur ce chemin pavé de dalles en béton brossé aussi grises que notre âme, résignés à donner l’extrême-onction à notre carte bancaire.

    Voici maintenant venu le moment de l’emballage du vêtement susnommé. Pas simple, pour tout dire… Devant nos yeux ébahis, les deux moines trappistes se mettent à plier avec un soin infini l’article, le tout dans un silence teinté de sacralité et d’absolu. Le premier enveloppe le pull dans un immense papier de soie. L’autre, presque collé au premier, attend fébrilement, un second emballage cartonné à la main. L’ensemble est introduit dans un grand sac. Le cérémonial s’achève par la délicate mise en place d’un petit lacet ciré pour fermer le tout. J’ai cru un instant entendre chanter des anges juste au-dessus de nos têtes. Pour l’encaissement, nous assistons à une mise en scène à peu près identique. L’un des vendeurs nous jette alors de petits sourires complices…

    On nous remet le paquet et nous nous retirons enfin, sur la pointe des pieds, sans bruit. La grâce nous accompagne jusqu’à la porte. Les vendeurs, eux, sont restés plantés à la même place. Sans doute sont-ils branchés sur des socles, derrière le comptoir, pour se régénérer. Ils se contentent avec le peu d’énergie qui leur reste de nous dire au revoir (attention, prononcez « awu-voy »). A peine la porte franchie, nous voici replongés dans le maelström de la vulgarité crasse. C’est fini, tout reprend son rythme et le sentiment d’immortalité nous quitte peu à peu. Nous venons ainsi de goûter quelques moments à l’essence même de ce que vivent tous les jours ces garçons pétris d’extase. Au-delà de la mode et au-delà du temps.

     

     

    CHAPITRE V

     

    Comme dirait un vieil ami d’enfance qui s’appelait Actarus, « Mets-ta-morphose ! »

    Le mouvement House qui dynamite la musique et l’identité gay en cette fin 80, début 90, devient le parangon, la seule façon d’être pour un homosexuel. Même si j’écoute pourtant toujours les Pet Shop Boys, George Michael ou Jean-Louis Murat, j’ai conscience que cette autre musique insensée, issue du courant underground américain via Détroit, New York et Chicago, que je n’écoute pour l’instant que dans les clubs que je fréquente, va prendre une place plus importante encore, au fil de mon émancipation.

    Je passe donc sans trop forcer du statut de petit bébé PD à pédale hyper branchée, customisée et clignotante. Mais sans tout mélanger pour le moment. Je suis en plein apprentissage de la séduction, même si je dois concéder que je crains encore celui qui voudrait me glisser subrepticement son sexe entre les fesses…

    Si mon allure générale s’est muée en un défilé de mode permanent, un magazine Vogue holographique, c’est en revanche ma libido qui patine encore quelque peu. Alors oui, j’ai l’air super sûr de moi, où que je me trouve. Dans les bars et les boîtes, je fais mon malin. Je sais qu’on me regarde de la tête au pied lorsque j’arrive quelque part et je joue avec cette satisfaction d’être remarqué, mais je détale comme un lapin dès que quelqu’un tente une approche.

     

    Lumière et trahison dans un lieu clos.

    Embarrassant, tu me dis oui
    plutôt gênant, je te dis non.
    Alors, c’est oui ou non.
    Je ne sais pas.
    Mais avant toute chose
    parlons de cette trahison.

    Oui, je t’aimais bien tout à l’heure
    sous la lumière faible et opaque.
    Un regard vif de prédateur
    scrutant sa proie avant l’attaque.

    Et maintenant tu me souris.
    Oh, tout s’écroule, c’est la disgrâce.
    Un visage niais et racoleur.

    Voilà bien qui annihile
    mes intentions et mon audace,
    l’excitation et mon ardeur.

    C’est au moment où il s’approche
    le déhanchement qui l’a trahi
    juste au moment où je décoche
    une oeillade à l’abruti réjoui.

    Misère, que l’on ôte de ma vue
    déficiente cette face ingénue

    Voilà donc ce cuistre affamé
    de toute mes substances protégées
    salivaires, spermatiques et sanguine.
    Freud appelait ça du « lèche vitrine ».

    Dire qu’un éclairage m’a trahi.
    Là où je voyais un beau mâle
    se trouvait un gnome tapi,
    ignoble troll poussant des râles.

    Lumière trompeuse et assassine
    qui m’étourdit d’un reflet sombre
    complice du fat dans cette combine
    fieffé sournois jouant des ombres
    pour se parfaire de ses victimes.

    Je n’ai plus qu’à creuser ma tombe.

     

     

    Avoir vingt ans à cette époque ne souffre aucune comparaison avec ceux qui vivent aujourd’hui leur première partie de vie. L’état du monde n’en était pas encore à ce degré d’exaspération généralisée, si proche de la rupture. Ce qui n’est qu’un spectre de la crise, du chômage et de la pauvreté, n’a pas encore cette densité presque palpable que nous craignons aujourd’hui. Avoir vingt ans en 1989, c’est être totalement inconscient quant aux périls que de sombres entités trament dans leur coin. C’est être libre, virevoltant et léger.

    A deux pas de mon travail et de mon logement se trouve la boîte de nuit « Le Boy », ouverte juste quelques mois avant mon arrivée à Paris. Le Boy, c’est un peu comme lorsque vous passez du cinéma muet en noir et blanc au parlant en Technicolor, avec le relief en même temps.

    J’avais connu quelques années auparavant, dans ma province natale, une boîte de nuit un peu équivoque appelée « La Ferme de la Folie ». Lieu ringard et fané où j’avais une fois surpris deux hommes moustachus et frisés, en train de s’embrasser sur la bouche. Il y avait un barman qui avait le même look qu’Axel Bauer dans le clip de la chanson « Cargo ». Je lui avais commandé un schweppes et il avait répété en me le servant « Et un Chouéppèsse ! ». C’était ça, ma vision à l’époque du monde des hommes entre eux.

    Alors, lorsque je pénétrais pour la première fois dans ce club de la rue Caumartin, après que Sandrine, la physionomiste à l’entrée, m’ait fait son signe de tête sec mais positif, que j’ai descendu ces grands escaliers qui, passé un sas, menaient à cette sorte d’arène, je me retrouvais d’un coup dans le clip « Relax » de Frankie Goes To Hollywood ; une énorme piste de danse agrémentée de cubes, où des « créatures » enchaînaient des mouvements hypnotiques, toute une faune disparate et étrange, dansante ou alanguie. J’étais tout simplement éberlué.

    Un mélange de crainte et d’euphorie. Sans doute ce que ressent le papillon arrivé au terme de sa métamorphose…

    C’est aussi, à ce moment-là, une période assez paradoxale pour ce monde homo. Le sida défouraille à tout va dans la communauté gay et  les gens tombent comme des mouches. Pourtant il n’y a jamais eu autant de soirées festives. Tous les jours de la semaine, on peut sortir et s’amuser. Les clubs et les bars sont bondés.

    Pour l’instant, j’ai ma petite idée sur ce qu’est le sida, la séroposivité, Act Up… mais je ne me sens pas très concerné, pour tout dire, et je vois tout cela de loin. Je n’ai pas encore testé le poppers ou l’ecstasy, l’acide et divers psychotropes rigolos que beaucoup utilisent, mais qui ne me font pas du tout envie. Je n’ai jamais vu en vrai un préservatif. Je ne sais pas le goût qu’ont les lèvres d’un garçon.

    Je me contente de contempler tout ce spectacle derrière la vitre du vivarium. J’ai juste mis un pied et j’ai trouvé l’eau un peu froide. Le poltron que je suis a peur de perdre son âme de manière irréversible, en pénétrant dans ce monde polymorphe, au milieu des poissons exotiques et des homards, ce Neverland où abondent tout un tas de Peter Pan callipyges et de fées-clochettes dotées d’appendices masculins aux proportions surdimensionnées.

    L’époque est au short cycliste avec de grandes chemises blanches portées par-dessus.

    Je suis catapulté en pleine « Vogue mania », symbolisée par Madonna, qui s’arroge le droit de devenir la nouvelle marraine de tous les homosexuels de la terre. Au Boy, chaque nuit, on peut voir tout ce beau monde en train d’enchaîner les gestuelles que chacun, je suppose, a répété devant la glace de sa chambre, toute la journée. « Come on, Vogue, let your body move to the music, hey, hey, hey… ! ».

    Sinon, pour ce qui est de la danse plus basique à appliquer aux autres morceaux, il vous suffira de dodeliner des hanches avec les jambes et les pieds joints, le bras gauche en équerre sur la hanche et le bras droit levé, presque comme un salut nazi (mais en fait, non…), que vous n’aurez qu’à remuer de manière saccadée, de droite à gauche. Gardez en toutes circonstances le visage sérieux, concerné, les yeux plissés et la bouche en cul de poule. A l’époque on ne connaît pas encore les vertus du « duck face ».

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 11)

     

     

     

  • Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 11)

     

     

    PARTIE II

     « Les corps amoureux »

     

     

    CHAPITRE I

     

    Paris, c’est une brune…

    C’est la deuxième fois que je rencontre la capitale. La première fois, il pleuvait et tout semblait gris. Cette grande dame paraissait tellement triste. J’eus l’impression de voir une vieille femme assise au bout d’un banc, en train de donner à manger aux pigeons.

    Ça n’est pas encore tout à fait l’été. L’air est doux. Je me trouve dans un état flottant. Une impression sereine, voluptueuse, comme si la ville toute entière allait me protéger et me défendre. Cette fois-ci, la dame arbore de biens différents atours. J’ai maintenant l’image d’Annie Duperey habillée d’une robe rouge et légère, qui se prend pour Marilyn Monroe dans le film « Un éléphant, ça trompe énormément ».

    Et puis il y a ce bruit récurrent. Un bourdonnement résumant tous les moteurs en marche, la foule. J’ai dans la tête cette chanson de Taxi Girl. Daniel Darc en train de scander : « Eh mec, c’est paris, tu m’entends ? P-A-R-I-S, Paris, respire le bon air mais fais gaffe quand même. Tous les jours, des mômes meurent d’en avoir respiré un peu trop… ! »

    Je ne sais pas du tout ce qui va se passer maintenant. Un cycle s’est terminé. Niort est derrière et là, se dressent devant moi tous les possibles. J’ai trouvé cette place de commis de salle dans un restaurant situé dans le 9ème arrondissement, le quartier de l’Opéra. Lorsque je descends du taxi devant la devanture en boiserie peinte en vert, je peux voir sur ma droite le palais Garnier, majestueux. Bien qu’il n’ait pas encore été imaginé par J.K Rowling, je me sens un peu dans la peau de Harry Potter qui découvrirait Poudlard pour la première fois, tout émerveillé.

    Avec mes deux grosses valises marronnasses en moleskine et mon allure d’ahuri, je prends conscience du lieu où je vais travailler, où je vais vivre désormais, ce monde, cet univers. Moi le gastéropode, l’huître qui enfin va  s’ouvrir plus que de raison.

     

     

    CHAPITRE II

     

    L’aventure…

    Pour un jeune adulte provincial et de surcroît timoré, qui ne sait pas encore ce qu’il peut faire exactement avec un autre garçon et comment se servir de ses orifices, son sexe, ses mains, son corps, Paris, plus qu’une grande ville anonyme, devient alors peut-être, sans doute même, un immense champ d’investigation, d’expérimentation, un laboratoire sur plusieurs hectares.

    Je n’ai pas conscience de ce que je suis encore. Je me laisse juste porter par l’instinct. Et j’accepte tout cet enchaînement de cause à effet, sans réfléchir ou sans remettre en cause ce qui m’arrive. Je suis homosexuel, sans trop savoir ce que cela signifie exactement. J’ai décidé d’accepter ce que je pense être une évidence, sans me soucier de l’aspect pratique. Je n’ai pas encore de mon vivant rencontré vraiment un autre individu répondant aux critères invoqués.

    Quels critères, déjà ? Ah si, Jean-Yves et Sylvain, à l’école hôtelière, tous deux représentants et presque clones d’un genre générique en soi, avec leur allure apprêtée, leurs ongles manucurés et cette manie détestable d’utiliser « La » aussi bien pour le féminin que le masculin, ou encore de mettre l’article devant chaque prénom (La Bruno, La Chantal, La Pascal…).

    Par le biais de la télé, on nous représentait toujours le même genre d’homosexuel catalogué directement comme « folle ». Je me souviens de Jacques Chazot, par exemple, une espèce de dandy à mèche arborant un foulard autour du cou, le bras en équerre et le poignet cassé. Dans des films que je regardais plus jeune avec mes parents au cinéma, à la télé, dans lesquels Jean Gabin, Jean-Paul Belmondo ou Lino Ventura, ces figures de la virilité standard et absolue de l’époque, se retrouvaient toujours à un moment donné en face de l’un de ses représentants, toujours maniéré à l’excès.

    J’avais conscience que ces mignonneries surannées ne se trouvaient pas du bon côté du manche. On riait toujours à leur dépend, d’un rire mauvais et exutoire. C’était encore le règne du mâle alpha et il valait mieux pour tout le monde, agréger ce concept. On pouvait aussi lire entre les lignes, qu’il fallait bien faire avec, mais que ces « personnes » étaient faibles et pathétiques.

    En ce qui me concerne, je ne vois pas trop pour l’instant l’étape d’après. Enfin, pour être très honnête, je l’imagine quand même un peu… Cette peau noire que je remarque désormais un peu partout dans cette grande ville cosmopolite. Je vais d’ailleurs très vite me découvrir des talents cachés de cochon truffier, qui renifle à une certaine distance tout ce qui possède un fort taux de mélanine.

    Mais ces garçons que j’avais vu en photo dans ce magazine Gay Pied, nus, noirs et beaux, existaient-ils vraiment ? Ils invoquaient en tout cas bien plus de chaos en moi. J’étais devenu une crêpe Suzette retournée, une tarte Tatin explosée. Ils parlaient à mon fort intérieur, provoquaient des chatouillements dans mes hanches, dans le bas de mon dos et rien que le fait de les évoquer ne serait-ce qu’en pensée, me faisait bander. Mais bon, chaque chose en son temps.

    Je n’ai pas de recul vis à vis de cette idée, des désirs qui me hantent. Pour l’instant, je ne pense même pas à cet état projeté dans la réalité. Ma famille et mes amis ne sont pas présents dans mes réflexions et ne sont jamais associés à cette vérité. Ce n’est pas à l’ordre du jour. Ça n’est pas une priorité. Je ne veux pas leur mentir, les faire souffrir, encore moins les mettre dans l’embarras. C’est juste que je ne pense rien à ce sujet.

    Je sais juste qu’être ce que je crois être, est un tabou et peut être souvent perçu comme un truc crapoteux, dégeulasse. Mes parents, mon frère ou ma famille, lorsqu’ils évoquent le sujet, ne semblent pas être très au fait sur la question et se comportent toujours de manière irrationnelle et maladroite. Quelque chose les dérange, au-delà même de la représentation de deux hommes faisant l’amour. Cela ne peut être qu’inconcevable, hors norme, impossible ; « Ah, les pédés, quelle horreur, quelle honte, quel déshonneur… »

    Un peu comme si cette libido était apparue d’un seul coup quelque jours auparavant. Comme si l’on pouvait encore nier en bloc tant de siècles d’histoire, parce qu’un beau jour les religions monothéistes avaient décrété qu’il ne fallait plus s’enculer entre hommes… L’amnésie, l’hypocrisie et l’inculture crasse régnèrent alors jusqu’à aujourd’hui, en une mélasse compacte répandue sur les vastes étendues du monde. La plupart de ses habitants, englués dans ce limon, vivent en étant figés et ne se contentent pour vivre que de respirer.

    Ma naïveté m’a appris tout cela… Mais il faut d’abord que j’en sache un petit plus sur moi. Car pour l’instant, la page est blanche et ne comporte uniquement qu’une entête.

    Après tant d’années passées dans cette France cloisonnée, sans air et sans perspective, où chacun vit dans la peur terrible que quelque chose lui tombe sur la tête à tout moment. On préfère alors entretenir cette léthargie collective et de temps à autre se rassurer en se défoulant sur de bien commodes boucs émissaires. Des moutons parmi tant d’autres, sacrifiés pour contenter les dieux et éviter leur colère.

    Une ville provinciale qui sent l’amidon et l’eau de javel. Il y a ces petits parterres de fleurs sur la place principale. Les gens dans les rues semblent tous marcher au ralenti. Des existences bercées au rythme du programme télé, des lapalissades ou des « vous viendrez boire l’apéritif samedi ? ». Une province où l’on se dit « bon, à tantôt, on ira en ville ! » ou bien encore « bonjour, je vais prendre deux chocolatines, s’il vous plaît », « Tu as barré la porte ? », « Non ne marche pas là, je viens de passer la since »…

    Tout juste quelques semaines passées à Paris et je perds déjà très vite toutes mes habitudes provinciales. mes expressions, mon rythme. Mes idées préconçues se dissolvent… Et je deviens cet anonyme parmi tant d’autres, qui marche dans les rues et qui va, comme ça, au hasard.

     

     

    CHAPITRE III

     

    Names, names, names sweety !!

    Avec mes premiers pas dans ce nouveau monde, les jouets et les pâtisseries de mon enfance vont être vite remplacées par des formes plus turgescentes et voluptueuses, ainsi que par des boîtes de nuit et des bars où l’on ne trouve que des garçons « Bonsoir les garçons »… Mais pour l’instant, je ne suis encore qu’un puceau sans aucune interaction entre ses désirs et son corps.

    Première leçon, je dois apprendre à séduire.

    Et ça n’est pas l’énergie qui manque autour de moi… Je me sens un peu comme dans un verger où personne n’a encore mis les pieds. Ah si, je vois Adam là-bas, qui me regarde, l’œil concupiscent. Tout en se masturbant en de grands gestes amples, il me fait signe de la tête pour que je le rejoigne. C’est tentant mais je vais m’abstenir encore aujourd’hui.

    Il faut juste que je revienne avec un panier et que je cueille ces fruits avec méthode. En sortant, je croise Ève à qui je demande où elle va. Elle me répond par un doigt d’honneur puis me sort : « j’vais chez ta mère, on va se faire une tarte aux pommes ! ».

    Ma silhouette de bouteille d’Orangina trimballée vaille que vaille a fini par se changer en bouteille de Coca Cola. J’ai finalement perdu cet aspect de poire en grandissant et je suis devenu un jeune homme aux traits plus précis. Un regard brun, rêveur mais intense, surtout sans lunettes. La démarche s’est affirmée. Elle est désormais souple et vive.

    En débarquant de mon train Corail, j’affichais encore cet aspect pas très folichon du petit bébé à sa maman, la coupe de cheveux vendue avec, pile non incluse. Avec ma prochaine émancipation, je vais progressivement me transformer, passant par une refonte physique, capillaire et surtout vestimentaire totale. En moins d’une année, je deviens un autre.

    Du garçon tartignole et boudiné dans ses sweats et ses pantalons de velours New Man et Henry Cotton, j’avais pourtant sous l’influence de Thierry et Philippe su capter les tendances du moment, réinventées par leurs soins. Mais cette garde-robe faisait peut-être encore son effet à Niort, mais plus à Paris.

    Je découvre cette fois vraiment La Mode, incarnée à l’époque en particulier par Jean-Paul Gaultier et Marithé & François Girbaud. Et je développe une addiction totale aux vêtements. Mes sens s’aiguisent et je deviens en quelques mois hyper pointu dans ce domaine. Lors de mes pérégrinations, je visite une à une toutes les boutiques qui proposent les grandes marques et mes goûts penchent tout de suite pour les créateurs. Au début, je dois avouer que c’est un peu confus. J’imagine qu’en superposant des pièces de tissu couteuses, je vais attirer l’attention et l’admiration. C’est en partie réussi… pour l’attention, en tout cas.

    Mes amis et mes parents, qui me voient encore assez régulièrement les week-ends, lorsque je retourne à Niort, sont les témoins muets de cette fulgurante et radicale métamorphose. L’adolescent un peu tarte prend de l’assurance et devient un mirliflore se pavanant sur les boulevards, accoutré comme un épouvantail.

    D’un naturel peu économe, je dilapide méthodiquement mes premières paies dans des achats vestimentaires coûteux. Un salaire, qui dès le 4 du mois, peut passer intégralement dans l’achat d’une paire de chaussures, d’une veste Yohji Yamamoto ou d’un pantalon de chez Comme Des Garçons. Heureusement que je n’ai pas de loyer à payer et que je peux également compter sur les pourboires assez généreux des clients du restaurant. Je me constitue ainsi une garde-robe assez conséquente. Je deviens un vrai « Sapeur » zaïrois…

    Les après-midi, Je vais recenser toutes les boutiques de luxe en quadrillant Paris, rue par rue. Par la Galerie Vivienne, où se trouve Jean-Paul Gaultier, je remonte le passage pour débouler un peu après sur la Place des Victoires. Il y a Thierry Mugler sur la gauche, dans un petit espace. Juste avant, Claude Montana. Heureusement, je n’aime pas du tout les silhouettes pseudo-futuristes qu’il propose… Je prends ensuite la rue Etienne Marcel et là c’est le trio de tête de mes créateurs préférés…

    Je passe tout mon temps dans ces endroits, comme d’autres dans des églises, littéralement happé par ce que je vois. Le spectacle silencieux des vêtements sur leurs cintres, attendant d’être adoptés. Boulevard Raspail, Matsuda ; Rue du Dragon, Comme Des Garçons Shirt, Avenue Montaigne, Jil Sander… Je veux tous les connaître, les rencontrer. Et nous sommes encore à la fin des années 80… Les créateurs belges Martin Margiela ou Ann Demeulemeester, mes futurs chouchous, n’ont pas encore fait leur apparition dans le décor.

    Une religion, une drogue, une philosophie de vie, le vêtement de créateur devient un frère, un ami, un amoureux de substitution. Il est toujours là lorsque vous en avez besoin. Il ne vous trahit jamais, ne vous trompe pas, vous rassure, vous protège, reste sagement dans son coin tant que vous ne le sollicitez pas. Il ne peut vous parler mais pourtant vous comprenez tout ce qu’il ressent. C’est une alchimie totale, de l’amour pur. Non, ce n’est pas un chien, c’est un vêtement…

     

     

     

  • Hubert Touzot : L’Interview Pudeur

     

     

    Ça ne vous aura probablement pas échappé, mais nous publions chaque lundi, depuis juin 2020, un épisode du récit d’Hubert Touzot, « La Pudeur ». Et vous avez pris l’habitude de voir passer régulièrement ce nom à Instant City. En effet, le photographe, à qui nous avions consacré un portrait en septembre 2015, est l’un de nos plus fidèles contributeurs. Il nous fait partager sa passion pour le cinéma, la mode ou la musique, et nous fait maintenant l’honneur de nous faire découvrir en exclusivité son premier récit. 

     

    Comment vous est venue cette envie d’écrire sur vous ou ceux qui vous ont côtoyé, sans passer par des personnages fictifs et inventés ? Et comment avez-vous appréhendé votre propre vie en essayant de ne jamais vous épargner ?

    Depuis que je suis enfant, j’ai toujours gribouillé, sur des coins de cahiers, des bouts d’histoires, des poèmes, des phrases comme ça, des trucs que j’avais sur le cœur. A différents moments de ma vie, j’ai essayé de mettre tout ça en forme, d’après ce grand verbatim. Mais à chaque fois que je relisais, je me disais que cela ne pouvait intéresser que moi-même et ma petite personne contente d’elle.

    Mais c’est lorsque je suis arrivé à Paris, justement comme je le raconte dans le livre, que j’ai repris cette idée d’écrire mes états d’âme de jeune gay provincial. Là encore, j’ai finalisé un petit livre que j’ai fait lire à droite et à gauche, pour finalement le ranger soigneusement dans un tiroir. Bref, tous les dix ans environ, je suis revenu sur « ces mémoires » en jachère, en y ajoutant de nouvelles péripéties, de nouvelles rencontres. Enfin, il y a environ un an, j’ai décidé de prendre le taureau par les cornes et de terminer une bonne fois pour toute ce que j’avais entamé il y a un peu plus de quarante ans. En l’état, « La Pudeur », c’est un peu ma vie non rêvée, non fantasmée et exprimée de la façon la plus naturaliste, la plus crue possible, avec cela dit un principe de collage et d’impression. Comme une grande malle ou je retrouve des tas de choses que j’avais oubliées.

     

    Écrire un roman autobiographique, lorsqu’on n’a rien accompli de vraiment spécifique ou extraordinaire, risque de plus tenir de l’exercice vaniteux, autocentré et assez vain, non ?

    Oui, c’est sûr, et surtout quand on ne s’appelle ni Yann Machin ni Raphaël Truc, qui quant à eux trouveront forcément un échos favorable et toujours des lecteurs de leurs tocades. Mais là, c’est un parfait inconnu qui vient se répandre, avec des non-événements et des anecdotes banales, si ce n’est qu’il est homosexuel à Paris, dans le début des années 90. C’est probablement le seul attrait « exotique » à mettre au crédit de ce récit d’apprentissage. Après, je ne serais pas un super vendeur, pour mettre en avant ce qui m’est arrivé jusqu’alors, en prétendant que j’ai fait des trucs de dingo. Il faut plutôt se laisser porter par les mots et les affects du personnage. Il faut oublier d’être présomptueux et croire juste à ce que l’on écrit.

     

    En quoi cette histoire peut-elle constituer quelque chose de pertinent à raconter, outre son contexte et les orientations sexuelles du personnage principal ?

    Il y a tout un pan d’une époque, qui n’est pourtant pas si reculée, mais qui n’a plus rien à voir avec ce que l’on vit aujourd’hui. Rien que pour cela, c’est vrai que ça peut être drôle à lire, comme une espèce de voyage dans le temps. Et justement, cette histoire du temps est très importante à mes yeux, dans la mesure où j’ai toujours avancé très lentement par rapport à tout ce qui m’entourait. Non pas que je sois une sorte de nostalgique indécrottable qui ne voit sa vie que par le prisme du passé, mais j’ai une vision très personnelle de tout cela, en particulier de ces lois physiques qui nous régissent. Je pense qu’on a besoin du passé pour avancer et que l’on peut se servir d’éléments pour colmater des brèches du futur. Tout se rejoint. J’apporte donc beaucoup de détails à relater toute une époque.

     

    Le personnage est tour à tour dépeint comme quelqu’un d’assez vain, égoïste, qui ne se soucie de rien d’autre que de son propre plaisir et de son bien-être. Comment peut-on s’attacher à lui alors que tous autour, ses amis ou sa famille, sont plutôt bienveillants à son égard ?

    C’est justement ça qui peut constituer tout l’intérêt de ce parcours de vie. Si j’avais présenté un personnage juste bien, gentil et compréhensif, l’ennui aurait guetté le lecteur au bout de cinq pages… Au contraire, la nature vaine et tournée sur lui va lui permettre de s’ouvrir finalement au fur et à mesure, et de s’accomplir.

     

    Vous agrémentez l’histoire de poèmes, qui viennent illustrer la fin de certains chapitres, comme s’il s’agissait de chansons. Quel était le but exact de cette démarche ?

    J’y verrais deux raisons. Comme je le disais au début, j’ai toujours écrit de la poésie. Dès que je faisais une rencontre amoureuse ou une rencontre tout court, me venaient alors des mots que je voulais chantants à mon esprit. Je voulais que ça voltige. Je l’explique d’ailleurs dans le livre. Tous ces poèmes pourraient à jamais dormir dans l’obscurité. Avec « La Pudeur », ça pouvait alors devenir comme une évidence. Puisqu’ils font partie intrinsèque de ma vie, il était donc normal qu’ils soient présents également.

     

    Tout se passe du point de vue du personnage principal, qui a une vision très ironique, très acide, du monde et de ses contemporains. On le sent en fait le plus souvent perdu, et il semble en manque de ce fameux amour qu’il recherche par-dessus tout. C’est un garçon très complexe et difficile d’accès dans sa compréhension. Pensez-vous malgré tout qu’il soit semblable à bon nombre de gens ?

    Oui, j’en suis persuadé. On est tous là sur terre, avec nos desiderata, nos envies et nos rêves. On recherche tous la même chose, à savoir le bonheur ; être heureux et que la chance soit toujours de notre côté… Seulement, si on est un peu plus perplexe que la moyenne, on va vite se rendre compte que le monde est un vaste champ de mines. Deux solutions vont alors s’offrir à vous, pour souffrir le moins possible et ne jamais être déçu. Soit vous avez un talent certain pour la manipulation, pour toujours arriver à vos fins, ou bien vous êtes lâche face à l’adversité et vous vous contenterez de jouer avec la mauvaise fortune, en étant éternellement le chevalier sans le sou, celui que l’on croise sur le bord de la route, mais avec un certain panache. Alors, il vous reste la franchise et l’honnêteté.

     

    Le thème de l’homosexualité est traité de manière assez brute, sans excuse ni complaisance, ni même de quelconque volonté de victimisation du personnage. Pensez-vous qu’aujourd’hui, on puisse se moquer de tout et de tout le monde, ou porter des avis tranchés, pour ne pas dire péremptoires, sur le sujet, à l’heure de l’émotion à outrance et des associations fustigeant le moindre avis négatif sur la question ?

    Étant le premier concerné par ce sujet, oui, je m’accorde le droit de me moquer d’abord de moi-même, mais également de mon entourage et de tous les cercles que j’ai pu côtoyer lors de mes pérégrinations… Et puis ce milieu n’est pas un monde de bisounours. Les gens que l’on croise sont sans pitié aucune. Mais tout ça, c’était dans les années 80-90. La soupape de sécurité, c’était l’auto-dérision. Depuis quelques années, on note un gout prononcé pour la victimisation à outrance. Ce que l’on appelle les minorités sont traitées avec de la Cajoline. Des mots sont devenus interdits, tabous. Que vous soyez désormais « différents », cela vous donne un statut d’intouchable, de rareté. On a l’impression ces derniers temps d’évoluer dans un immense magasin de porcelaine.

     

    Dans le livre, on note de nombreuses références, qu’elles soient musicales, cinématographiques ou encore littéraires. Est-ce une manière de présenter le personnage comme quelqu’un qui ne s’accepte pas à part entière, et qui a besoin de se réfugier sans cesse dans un imaginaire qu’il s’est construit au fil du temps ?

    Ce name-dropping justifie à lui seul tout le personnage, qui est toujours à côté de la plaque. Tout ce qu’il lit, voit ou écoute, lui sert de carburant. Dans chacune des situations évoquées, il y a soit un poème qu’il a écrit, soit une référence culturelle qui vient illustrer ce qu’il ressent. Il y a presque une forme d’autisme Asperger dans sa démarche. C’est comme une solution aux problèmes. Il se protège ainsi.

     

    Nous évoquions précédemment les poèmes qui jalonnent le récit, comme s’il s’agissait de chansons. Vous mettez également en avant de nombreuses musiques, pour illustrer certaines situations, avec les références exactes, comme pour inviter les lecteurs à aller aussi écouter les morceaux en question. Est-ce que vous tentez là un concept qui serait le roman-comédie musicale ?

    Pourquoi pas ? Plus qu’un ton littéraire, je pense que le livre se rapproche davantage d’un scénario de film. C’est vrai que je ne laisse pas beaucoup de liberté d’imagination au lecteur. C’est peut-être un peu trop pré-mâché. Je ne sais pas, ça peut s’avérer frustrant, à la longue. En tout cas, on ne pourra pas venir me reprocher mon manque de détails. Mais il y a un ton, c’est sûr, emprunté à ces récits pour la télévision ou le cinéma, dans lesquels on casse le 4ème mur, à l’image par exemple de la mini-série « Flea Bag », où l’héroïne n’a de cesse que de s’adresser au spectateur, comme aux autres personnages de la fiction. A vrai dire, ça n’était pas voulu, puisque j’ai découvert cette série vraiment très récemment.

     

    Y a-t-il beaucoup de choses inventées dans ce récit, ou est-ce que tout est vrai, dans la chronologie présentée ?

    Tout est vrai, avec cependant quelques infimes libertés prises ici et là. J’ai inversé deux ou trois trucs, mais personne ne va venir me faire un quelconque procès là-dessus, ou alors ça pourrait signifier que des forces extra-terrestres me surveillent bel et bien depuis le début. Je vais commencer à flipper… Tous les personnages existent ou ont existé, et ce sont le plus souvent leurs vrais prénoms qui sont mentionnés, à deux ou trois exceptions près…  Mais « le chapitre caché » est quant à lui évidemment totalement inventé.

     

    Eu égard à la société dans laquelle nous vivons aujourd’hui, est-ce qu’écrire fait encore sens ? Hormis l’aspect cathartique, que peut-on encore attendre de l’exercice ?

    Pour celui qui écrit, il y a forcément une envie d’en découdre avec lui-même, un bras de fer avec son égo, afin de déterminer celui des deux qui est le plus apte à tenir la barque. Pour le lecteur et ce qu’il va entreprendre de lire, c’est une forme de voyeurisme. Personne n’est dupe et chacun va venir trouver ce qu’il veut y trouver… Entre l’exercice psychanalytique, le matériau journalistique qui tient lieu de marqueur de la société à l’instant t, ou juste des évènements croustillants qu’on a toujours envie de connaître, sans avoir à passer derrière le gros rideau rouge.

     

    Après avoir parlé de soi, a-t-on encore quelque chose à dire ?

    Oui, bien-sûr, tout le reste. Des tas d’histoires sur les autres, surtout. Une fois achevé cet exercice du « je est un autre », on est tranquille et on est enfin légitime, pour aller se défouler sur le reste du monde.

     

    Vous êtes également passionné de photo. Quel pont pourriez-vous justement construire entre la photographie et l’écriture ?

    Euh non, avant d’être passionné, je suis surtout photographe. Et ça n’est pas tout à fait pareil… En ce qui concerne mon approche de la photo, là encore, il y a des velléités de raconter des histoires, des récits. C’est la passerelle idéale tendue vers le cinéma, cette fois-ci. On tente par la photo de soumettre une émotion, de transmettre des sentiments et des réactions fortes. On peut dire que oui, je suis passionné de cinéma, parce que je vois beaucoup de films, que j’aime en parler, et à défaut d’essayer d’en faire, je cherche par d’autres moyens de faire exister cette passion. Mais la photo n’est en revanche pas une passion. Non, je fais de la photographie…

    C’est là toute mon ambition et pas seulement que l’on dise de mes photos : « Oh, c’est joli ! », comme si j’étais en train de m’amuser. Je trouve d’ailleurs cette expression inepte, et employée  dans ce contexte, cela renvoie à un travail assez vain. On résume votre boulot par un « Que c’est mignon, ce que tu fais ! ». Même si demain, je prenais des chatons dans un panier avec des rubans, je ferai en sorte que le résultat ne soit pas joli mais que ce soit beau, fort, puissant… Que mes chatons aient de la gueule et de la fierté. Les gens qui parlent de votre travail avec ce genre de vocabulaire ne vous veulent pas que du bien. Dire de quelqu’un ou de quelque chose que c’est joli, est en fait assez odieux.

     

    Dans « La Pudeur », vous êtes-vous censuré, ou interdit d’aborder certains sujets ?

    La saucisse. C’est un tabou chez moi… Euh… Sinon, je ne crois pas. J’ai oublié ou j’ai supprimé des choses, ou encore décidé de ne pas faire référence à certaines périodes, parce que le livre aurait été trop long. J’ai dû faire des choix mais je ne me suis jamais interdit quoi que ce soit. Il y a tous les passages avec ma mère ou mon père que j’ai essayé de retranscrire le mieux possible, sans verser pour autant dans la pornographie ou la complaisance. J’ai tenté d’être le plus « pudique » possible, car le dernier chapitre rebat justement les cartes et remet tout à plat. C’était en partie mon excuse pour ne pas devoir les affronter vraiment.

    J’ai donc plutôt opté pour l’apport fantastique. Certes, on pourra toujours me reprocher d’avoir botté en touche. Je n’aime pas trop les scandales et les trucs un peu fétides. Je préfère me salir moi, avec distance, plutôt que de jouer les procureurs bon teint avec les autres et surtout avec ma famille. Sinon, il y a un vrai travail sur la mémoire et il se peut que des éléments soient passés à la trappe de manière inconsciente. J’ai épargné beaucoup de gens en leur donnant le beau rôle, alors qu’à mon sujet, il y a eu ce travail masochiste qui a consisté à ne rien laisser passer. Personne ne le sera jamais vraiment [rire de Fantômas]…

     

    Que pensez-vous de votre vie, jusqu’à aujourd’hui ? Certes, on ne se refait jamais vraiment, mais avec le recul, y a-t-il des choses que vous auriez faites autrement ?

    C’est le sujet du dernier chapitre, justement, le fameux chapitre caché… Cela traite des échecs et des possibilités de modifier le cours du temps. Une vie se traduit par des tas de chemins et des rencontres qui interviennent. Il y a sur terre depuis toujours deux sortes d’individus : ceux qui vont provoquer les rencontres et les autres qui attendent que la rencontre se produise de manière fortuite. J’ai tendance à plutôt me placer dans la seconde catégorie. Je suis réactif mais incapable de mettre en branle une situation. J’ai énormément foiré les choses jusqu’à présent, que ce soit avec les gens qui m’entourent ou les évènements. Dans le genre, je suis un cas d’école. A croire que je le fais exprès…

     

    Des regrets ? Des remords ?

    Mais c’est toute cette histoire que je raconte justement !