Catégorie : Histoire

  • Le Festival de Cannes… à Orléans.

     

     

    C’est une idée pour le moins originale… Le Comité Jean Zay (Ministre de l’Education et des Beaux-Arts orléanais, à l’initiative de la création du Festival de Cannes en 1939) organisera en novembre 2019 la fameuse première édition du Festival, annulée à cause du début de la seconde guerre mondiale. 

     

    Les films sélectionnés à l’époque seront projetés à Orléans, parmi lesquels « Le Magicien d’Oz » avec Judy Garland ou « La Loi du Nord » avec Michèle Morgan. Un jury établira un palmarès, comme tous les ans sur la Croisette depuis 1946. 

    Assassiné en 1944, Jean Zay n’avait finalement pas pu voir son idée de festival de cinéma international devenir réalité. 

     

     

     

    Tout avait pourtant si bien commencé…

    En Septembre 1939, après plusieurs mois de discussions diplomatiques et de négociations économiques, la ville de Cannes est prête à accueillir son premier Festival international du Film. Mais ce qui aurait dû être un rassemblement cinématographique « du monde libre », pour contrer les dérives totalitaires ressenties à la Mostra de Venise de 1938, sera finalement rattrapé par l’Histoire…

    Un mois avant le début de la manifestation, les stars et les touristes commencent à affluer sur la Croisette. La MGM affrète un transatlantique avec, à son bord, les plus grandes vedettes américaines de l’époque : Tyrone Power, Gary Cooper, Douglas Fairbanks ou encore Norma Shearer. Louis Lumière, Fernandel et la Duchesse de Windsor sont également présents.

    Dans cette archive audio, Jean Zay explique les missions du Festival en devenir et expose le déroulé de la manifestation. Dîner d’inauguration, Nuit du Cinéma, Dîner de l’élégance et autres réjouissances sont au programme.

     

    [arve url= »https://www.dailymotion.com/video/x6ivegg » align= »center » title= »Le Festival de Cannes est inauguré, sept ans après sa création par Jean Zay » description= »Festival de Cannes » maxwidth= »900″ /]

     

     

    Le premier Festival International du film de Cannes est à la veille de son inauguration, les fêtes battent leur plein et les invités vivent au rythme de la Dolce Vita méditerranéenne. Le Palm Beach et les villas accueillent les touristes aristocrates et les illustres résidents Cannois. Le Comte d’Herbemont, chargé des festivités, prévoit un calendrier mondain pour la durée du Festival et, avant le début de la manifestation, organise une fabuleuse soirée à l’Eden Roc.

    La haute société se presse également au Bal des Petits Lits Blancs, gala caritatif au profit des enfants atteints de tuberculose. Ce soir-là, alors que Fernandel se prépare en coulisses, un violent orage éclate au-dessus de la Croisette, comme pour annoncer les événements aux portes de la France.

     

     

     

    1er septembre : invasion de la Pologne à la date prévue de l’inauguration du Festival

    D’abord retardé en raison des circonstances internationales, le Festival est officiellement annulé le 27 août 1939. En effet, la signature du pacte germano-soviétique le 23 août a sonné le glas des festivités et la ville a commencé à se vider aussi rapidement qu’elle s’était remplie. Le 1er septembre, date prévue de l’inauguration du Festival, les troupes allemandes envahissent la Pologne.

    Le 3 septembre, la guerre est déclarée. Les 26 films qui composent la Sélection 1939 ne rencontreront jamais leur public à Cannes. Seule projection à être maintenue en privé malgré la situation : « Quasimodo » (« The Hunchback of Notre-Dame ») de William Dieterle, pour lequel les Américains ont construit une reproduction de Notre Dame en carton-pâte sur la plage.

    En 1958, Philippe Erlanger, initiateur du Festival de Cannes, reviendra sur la gestation de la manifestation et le spectre de l’édition 1939 auprès de François Chalais, journaliste indissociable de la légende cannoise tant ses « Reflets de Cannes » ont forgé la mythologie de l’évènement.

     

    La Palme d’or 1939 décernée en 2002

    En 2002, Le Festival décide de rendre hommage à cette édition laissée dans l’ombre de son histoire. Sept titres de la Sélection de l’époque sont projetés, parmi lesquels « Le Magicien d’Oz » de Victor Fleming. Un Jury nommé pour l’occasion sous la présidence de l’écrivain Jean d’Ormesson et composé de Dieter Kosslick, directeur du Festival de Berlin, Alberto Barbera, directeur de Festivals en Italie (directeur artistique de la Mostra de Venise depuis 2012, la boucle est bouclée !), Lia Van Leer, directrice du Festival de Jérusalem, Ferid Boughedir, réalisateur tunisien et Raymond Chirat, historien du Cinéma, est chargé d’attribuer le Palmarès du Festival 1939.

    Avec 63 ans de retard, donc, la Palme d’or est décernée à l’unanimité à « Pacific Express » (« Union Pacific ») de Cecil B. DeMille, dont le titre fait écho au projet initial du Festival « de créer entre tous les pays producteurs de films un esprit de collaboration ». Non sans humour, le Jury rend également hommage « à deux espoirs féminins pour lesquels il forme des vœux chaleureux et confiants et auxquels il ose promettre une grande carrière, Judy Garland dans « Le Magicien d’Oz » (« The Wizard of Oz ») de Victor Fleming et Michèle Morgan dans « La Loi du Nord » de Jacques Feyder… »

     

    [arve url= »https://vimeo.com/217751087″ align= »center » title= »Festival de Cannes, La Palme de 1939 (Canal+ 2017) » maxwidth= »900″ /]

     

     

     

  • Monsieur Comédie by Trust

     

     

    Afin de célébrer (ou pas…) le 40ème anniversaire de la révolution iranienne, il nous vient forcément à la mémoire les paroles du titre « Monsieur Comédie » du groupe de rock français Trust, extrait de l’album « Répression » sorti en 1980. Comme quoi la lucidité n’est pas forcément l’apanage du politique…

     

    C’est un peu facile de dicter des messages
    Quand on est au chaud à l’abri des assauts.
    Pendant que tout un peuple criait « démission » 
    Et tombait sous les balles.
    Le retour tant attendu est arrivé :
    Monsieur Comédie, l’avion, il l’a repris.
    Dans un bain de foule, il est rentré au pays.
    Ca sent l’épuration…

    Sous sa peau flasque,
    Blindé comme un tank,
    Il vivait sous une tente,
    Protégé comme une banque.
    Durant tout son exil,
    Il n’a fait que prières.
    Derrière le vieux croyant
    Se terrait le tortionnaire.

    De quoi est fait demain ? On l’a su assez tôt
    Le soleil ne brille plus à Neauphle-le-Château.
    Impotent le vieillard a relancé la bagarre 
    Et rempli les prisons.
    Nouvelles dictatures, exécutions sommaires
    Les femmes doivent se voiler, la musique prohibée.
    Ils massacrent leurs frères, tout devient absurde.

    Sous sa peau flasque,
    Blindé comme un tank,
    Il vivait sous une tente,
    Protégé comme une banque.
    Durant tout son exil,
    Il n’a fait que prières.
    Derrière le vieux croyant
    Se terrait le tortionnaire.

    Il a sa place à l’hospice, et non dans la police.
    L’être humain est repu, il est rassasié
    Dose d’atrocités.

    C’est un peu facile de dicter des messages
    Quand on est au chaud à l’abri des assauts.
    Pendant que tout un peuple criait « démission »

    Sous sa peau flasque,
    Blindé comme un tank,
    Il vivait sous une tente,
    Protégé comme une banque.
    Durant tout son exil,
    Il n’a fait que prières.
    Derrière l’ayatollah
    Se terrait le tortionnaire.
    Derrière l’ayatollah
    Se terrait le tortionnaire
    Derrière l’ayatollah
    Se terrait le tortionnaire
    Derrière l’ayatollah
    se terrait le tortionnaire

     

    [youtube id= »8kd1jbd17dI » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    En 1964, l’Ayatollah Khomeiny est expulsé d’Iran. Il part d’abord en Turquie, puis en Irak, à Nadjaf et à Kerbala, la ville sainte du chiisme, où son discours se radicalise davantage. Son activisme pro-chiite indispose le pouvoir irakien et en 1978, il part pour la France et s’installe à Neauphle-le-Château. Le 2ème couplet de la chanson fait d’ailleurs référence à ce séjour.

    Le 1er février 1979, Khomeiny revient de manière triomphale à Téhéran, après 14 ans d’exil. Le 11 février, il prend le pouvoir en tant que Guide suprême (Rahbar en Persan) ou Guide de la Révolution islamique.

     

     

     

  • Manoocher Deghati : Le deuil des sacrifiées

     

     

    En 1979, Reza et son frère Manoocher ont photographié la révolution iranienne. Pour Arte Reportage, ils exhument et commentent aujourd’hui 40 photos réalisées dans les premières années de la jeune révolution. Leur pays vivait alors des moments historiques. L’islam radical s’installait au pouvoir et le monde ne serait plus jamais comme avant. C’était il y a 40 ans.

     

    « Prison d’Evin, 1983. Cette image est peut-être belle mais elle est en même temps si triste… Ces jeunes filles étaient prisonnières depuis plusieurs années parfois. Certaines étaient des opposantes au régime, mais pas toutes. Contraintes de porter le tchador, elles étaient obligées de prier et de chanter à la gloire de Khomeiny. Je me demande ce qu’elles sont devenues. On ne le saura jamais. » (Rachel Deghati)

     

    « Je me souviens très bien de ce jour, quand je suis rentré dans cette prison. La prison d’Evin en Iran, une des prisons les plus redoutables au monde… Parmi les milliers de prisonniers qui y étaient enfermés, très peu ont survécu. Il y avait des milliers de jeunes femmes, de jeunes garçons, qui avaient été arrêtés dans la rue, pour avoir dit un mot contre Khomeini ou contre l’Islam. » (Manoocher Deghati)

     

    « Sur cette photo, on voit le visage triste de ces jeunes filles. La composition de l’image est peut-être belle, mais je suis content que ça renvoie aussi un message de tristesse. Parce que la plupart d’entre elles ont été exécutées. Dans la loi islamique, on ne peut pas exécuter des femmes vierges. Il faut donc les violer avant de les exécuter… C’est un des aspects les plus horribles de cette loi. » (Manoocher Deghati)

     

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »]  Arte Reportage : « Iran, au coeur de la révolution » 

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »]  Arte Reportage : « Le Deuil des Sacrifiées » 

     

     

     

  • Jumbo, éléphant star et martyr du cirque

     

     

    Alors que sort au cinéma le remake du « Dumbo » de Walt Disney réalisé par Tim Burton, voici l’histoire de Jumbo, éléphant star et martyr du cirque, qui contribua à l’inspirer.

     

    Le seul éléphant d’Afrique arrivé en Europe

    Jumbo naît en 1860 en Abyssinie. Sa mère est tuée devant lui par des chasseurs soudanais. L’éléphanteau décharné est acheté par un marchand d’animaux, qui l’expédie par bateau en Europe. Aucun autre éléphant n’ayant survécu à cette traversée, il est alors le seul éléphant d’Afrique en Europe. D’abord vendu à une ménagerie ambulante allemande, il échoue à la ménagerie du Jardin des Plantes à Paris. En 1865, le zoo de Londres le rachète, en mauvaise santé.

     

    La star de l’aristocratie britannique

    Différent des éléphants indiens présents alors en Angleterre, il crée un engouement inédit. Il est alors prénommé « Jumbo ». Gavé de friandises, il est très populaire auprès de la haute société londonienne. Pendant 16 ans, sous la houlette de son gardien Matthew Scott, il promène des milliers d’enfants, parmi lesquels, paraît-il, Winston Churchill, Theodore Roosevelt ou les enfants de la reine Victoria.

    Adolescent, il atteint près de 4 m de haut. « Jumbo » désigne alors tout ce qui est de grande dimension. À l’âge de la maturité sexuelle, Jumbo est de plus en plus difficile à contrôler. Il est maltraité pour le rendre plus docile. Il souffre de claustrophobie et est attaqué par les rats. Ses défenses sont tronquées car il se jette contre les murs.

    Son gardien l’assomme avec du scotch et un tonneau de bière par jour. Le surintendant du zoo craint pour la sécurité des visiteurs. Il envisage même de l’abattre.

     

    « Il est incroyablement intelligent, de bonne humeur et docile ; en même temps, il m’a donné ainsi qu’à tous ceux qui ont eu affaire à lui, des troubles d’anxiété » explique alors Abraham Bartlett, surintendant du zoo.

     

    En 1882, le scandale éclate : le zoo vend Jumbo pour une somme dérisoire à un directeur de cirque américain. Se mobilisent alors 100.000 pétitionnaires s’opposant à son départ, le personnel du zoo, les médias britanniques, des écoliers, le Parlement, et même la Reine Victoria. Rien n’y fait…

     

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    Le cauchemar américain

    Terrifié, enchaîné et enfermé dans une caisse, Jumbo hurle à la mort pendant les deux semaines de traversée, sauf quand il est imbibé de bière ou de champagne. Arrivé à New York, il intègre le « Greatest Show on Earth », qui sillonne l’Amérique avec ses 80 wagons. Un wagon spécial lui est d’ailleurs réservé, le « Jumbo’s Palace Car ». Il est l’attraction phare et sa renommée est mondiale. Grâce à lui, Barnum crée le spectacle de cirque le plus lucratif de tous les temps, avec 20 millions de spectateurs.

    En 1883, la santé de Jumbo décline, le cirque est dans le collimateur de la Société américaine pour la prévention de la cruauté envers les animaux (ASPCA). Jumbo meurt le 15 septembre, heurté par un train au Canada. Les circonstances réelles de sa mort sont controversées. Barnum soutient que Jumbo s’est précipité devant le train pour sauver héroïquement un jeune éléphant. Cet « accident » aurait en fait été mis en scène pour éviter les investigations sur ses maltraitances, tout en planifiant une sortie spectaculaire.

    Le squelette de Jumbo circule alors lucrativement durant deux ans avec le cirque, avant d’être donné au Musée d’Histoire Naturelle de New York. Son cœur est vendu à une université en 1889, et son corps reconstitué avec sa peau naturalisée échoue dans les collections de l’université Tufts (Massachusets), dont il devient la mascotte. En 1975, seule sa queue réchappe à un incendie. Ses cendres sont conservées dans un bocal. Son culte y est toujours vivace. En 1985, une statue grandeur nature est érigée au Canada pour commémorer le centenaire de sa mort. On ne compte plus les objets dérivés de Jumbo, les histoires, films, livres ou chansons qui lui sont consacrés.

     

    Article de Camille Renard pour France Culture

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] « Siribeddi : mémoires d’un éléphant », de J. Lermont. Un ouvrage que l’on peut lire en ligne sur le site de la BnF, Gallica.

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] « La vraie histoire de Jumbo », sur le blog Les Yeux  de la Girafe.

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] « Les millions de Barnum : amuseur des peuples ». Une autobiographie adaptée de l’américain par Jehan Soudan publiée en 1899 et en ligne sur Gallica.

     

     

     

  • Marceline Loridan-Ivens, itinéraire d’un siècle

     

     

    Marceline Loridan-Ivens nous a quittés mardi 18 septembre à l’âge de 90 ans. L’écrivaine et cinéaste, survivante d’Auschwitz, raconte son retour à la vie dans «  L’Amour après  », un livre de souvenirs et sur le Paris d’après-guerre, paru en février 2018, quelques mois avant sa disparition.

     

    Elle avait déjà publié « Et tu n’es pas revenu » en 2015, témoignage saisissant d’une femme déportée à 15 ans. Quelques mois avant sa disparition, Marceline Loridan-Ivens poursuivait encore son oeuvre de mémoire avec son dernier livre, « L’amour après », paru en février 2018. L’écrivaine et cinéaste y évoque l’épreuve de la reconstruction après la déportation et nous raconte comment s’inscrivent la séduction, le désir, la jouissance, dans un corps qui a été humilié et nié par les tortionnaires nazis.

    Marceline Loridan-Ivens est née en 1928, issue d’une famille juive polonaise. Elle est arrêtée et déportée en 1944, avec son père. Envoyée au Konzentrationslager d’Auswitch-Birkenau, dans le même convoi que Simone Veil, dont elle est restée proche tout au long de sa vie, elle est ensuite transférée à Bergen-Belsen puis au camp de Theresienstadt.

    Marceline Loridan-Ivens a survécu à l’univers concentrationnaire durant deux ans, entre 15 et 17 ans. Expérience qu’elle racontait en 2015 dans son livre « Et tu n’es pas revenu ». Son dernier récit, « L’amour après », témoigne du retour si difficile à la vie et la découverte de l’amour.

     

    « Nous revenions d’un ailleurs incroyable, incommensurable, inadmissible… Et nous revenions de ces lieux où les gens mourraient tous. Nous les voyions, tous nos camarades, mourir, se transformer en odeurs, en flammes, en cendres, en horreur. Nous nous demandions à chaque instant si nous sortirions par la cheminée ou par la porte. En regardant la réalité en face, sans beaucoup d’espoir que ce soit par la porte… Nous ne savions plus ce qu’était le deuil. »

     

    Lorsqu’elle rentre de l’enfer, Marceline dit « avoir tout vu de la mort sans rien connaître de l’amour ». Elle se sent incapable d’avoir des enfants, et passe ses nuits à Saint-Germain-des-Prés, où elle fréquente des écrivains tels que Roland Barthes ou Georges Perec, curieuse et avide d’apprendre.

     

    « J’avais ce goût fou, de la culture, de la lecture. Ce fut une période essentielle pour moi. C’est la seule chose qui m’a tenue… Essayer de trouver un sens à la vie. Voir comment on peut se battre dans ce monde pour survivre. »

     

    En 1960, c’est dans le film de Jean Rouch et Edgard Morin, « Chronique d’un été », que Marceline témoigne pour la première fois de son expérience.

     

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    « C’est moi qui ai demandé de porter le Nagra, le magnétophone. J’avais le courage de dire ce que j’avais à dire, mais je ne voulais pas qu’ils l’entendent sur le moment.  »

     

    Dans « L’amour après », Marceline Loridan, « elle, la survivante qui trimbale son enfer avec elle, qui commande encore à ses nerfs, à ses muscles, et a tout asséché en elle », évoque son corps qui « ne frémit pas, ne se réchauffe pas, ne s’excite pas sous les caresses incessantes ». Cette difficulté à s’abandonner dans les bras d’un homme…

     

    « Pour l’abandon et le fantasme, il faut du temps… Surtout quand on revient des camps. »

     

    Marceline Loridan-Ivens a choisi de vivre librement, hors des sentiers battus. Lorsqu’elle rencontre le cinéaste néerlandais Joris Ivens, elle trouve son grand amour : « Je crois qu’il est temps d’en venir à mon grand amour ».

     

    « Joris était un homme exceptionnel. D’abord, il était très beau, c’est vrai, et il avait vécu des expériences dans les années 30 qui l’avaient profondément marqué. »

     

    Grand documentariste engagé, de trente ans son aîné, c’est en mêlant le militantisme à l’amour qu’ils réalisent ensemble des documentaires sur la guerre du Vietnam ou la Révolution Culturelle en Chine : « J’ai beaucoup aimé faire ce métier ».

     

    En 2002, Marceline réalise « La Petite Prairie aux Bouleaux » avec Anouk Aimé, retournant par la fiction à Birkenau, sur les lieux de ses souffrances et de ses traumatismes. Rescapée de la Shoah, Marceline Loridan-Ivens aura passé sa vie entière à dénoncer dans ses films, dans ses livres ou dans les écoles, l’injustice et la violence.

     

    « Il faut toujours continuer, ne jamais s’arrêter. Et puis surtout, il faut aimer la vie. »

     

     

     

  • Aretha Franklin, « Force et Grâce » à l’Olympia en 1968

     

     

    Ancien chroniqueur de jazz au Monde, Lucien Malson publiait le 8 mai 1968 une critique enjouée à l’issue d’un concert à l’Olympia de la légende de la soul, Aretha Franklin, décédée le 16 août.

     

    8 mai 1968. Que le jazz ait fécondé les variétés, qu’il ait eu avec elles des rejetons plus ou moins charmants, qu’il ait en tout cas modifié l’apparence de l’art populaire occidental, voilà ce dont on ne peut douter. D’autre part, ce grand séducteur voyage sous des noms nouveaux et, muni de faux papiers d’identité, va de New York à Londres et de Londres à Paris. Qu’est-ce donc que le « rhythm and blues » authentique, sinon une musique qui n’existe que pour le swing et ne vaut que par lui ?

    En ce domaine, les Noirs des Etats-Unis nous ont toujours paru difficilement imitables, non par le fait de quelque génie racial – à supposer qu’il soit concevable, celui-ci se trouverait aujourd’hui fort dilué – mais en raison des circonstances de leur vie. Ce n’est pas un hasard, par exemple, si les talents de la plupart des chanteuses de couleur, depuis la guerre, éclosent dans les églises avant de s’épanouir dans les salles de concert. Cette expérience du rythme extatique, dès l’enfance, a marqué Fontello Bass, Mitty Collier, Byrdie Green, Etta James, Gloria Jones, Kitty Lester et, bien sûr, Aretha Franklin, que nous avons applaudie hier soir aux galas d’Europe 1.

     

    La voix puissante d’une Mahalia Jackson et un tempérament scénique remarquable

     

    Aretha Franklin, fille d’un pasteur baptiste, née à Memphis en 1942, s’est consacrée d’abord au gospel song et, pendant sept ans, jusqu’à la saison dernière, à toutes les formes de l’art vocal de divertissement chez Columbia. Désormais, Atlantic la révèle telle qu’elle est au plus profond d’elle-même : musicienne de jazz dans l’âme, et que la critique, outre océan, compare déjà – un peu hâtivement – à Ray Charles.

    La troupe d’Aretha Franklin, c’est vrai, s’apparente à celle de Charles. Elle apporte partout où elle passe un mélange réjouissant de chants et de danses, de musique et de spectacle. Pourtant, le groupement criard et assommant, qui assure la première partie, n’a rien à voir avec celui de son illustre confrère ni même avec l’ensemble de James Brown. Les douze musiciens jouent selon le vieux principe du « chacun pour soi et Dieu pour tous » et ne se rachètent qu’après l’entracte en accompagnant tout de même assez bien la chanteuse. Celle-ci a la voix puissante d’une Mahalia Jackson et un tempérament scénique remarquable. Sa très jeune sœur, Caroline Franklin, anime un aimable trio vocal qui tient ici le rôle des « Raelets ».

    Tant de force et tant de grâce alliées font merveille. Le public parisien a beaucoup aimé une Aretha Franklin qui se promet de revenir et nous donne ainsi l’espoir d’assister plus souvent à ces « soirées de la 125ème Rue », auxquelles nous restons très attachés.

     

    Source : Archive du journal « Le Monde » du 08 mai 1968

     

     

     

  • Chroniques de la Coupe du Monde : Le match entre la RFA et la RDA le 22 juin 1974

     

     

    Le 22 juin 1974, nous assistions à une opposition unique, inédite et historique entre les deux Allemagne, la RFA et la RDA. Un match sans enjeu, certes, puisque les deux équipes étaient déjà qualifiées pour le second tour de la Coupe du Monde 74 organisée en Allemagne, justement, mais une rencontre lourde de symbole…

     

    Avez-vous déjà vu un match de Coupe du Monde de la FIFA entre Brésiliens et Brésiliens, entre Français et Français ou entre Italiens et Italiens ? Certainement pas et c’est bien ce qui fait de ce duel du 22 juin 1974 une rencontre au caractère unique. Lors du premier tour de l’édition 1974 de l’épreuve suprême en Allemagne, la République Fédérale d’Allemagne (RFA) et la République Démocratique Allemande (RDA) se sont affrontées au Volksparkstadion de Hambourg.

    Ce match a été la seule rencontre entre les équipes nationales des deux états nés de la division de l’Allemagne à l’issue de la Seconde Guerre mondiale. Mais ce jour-là, rares sont ceux qui se doutent que ces 90 minutes occuperont une place à part dans l’histoire du football mondial et pas seulement en raison du caractère particulier de ce duel entre Allemands.

    Au Volksparkstadion de Hambourg, 60 000 spectateurs, dont 1 500 citoyens est-allemands, suivent le match, qui sera la première et la dernière rencontre entre les équipes d’Allemagne de l’Est et d’Allemagne de l’Ouest sur un terrain de football. Les rôles sont clairement attribués : d’un côté se trouve la RDA, nouvelle venue dans la course au titre mondial, et de l’autre la RFA, championne du monde de 1954 et championne d’Europe en titre.

     

     

    L’ambiance pendant le match est explosive, comme en témoigne l’anecdote suivante : pour ne pas heurter les sensibilités politiques, les joueurs n’osent pas procéder au traditionnel échange de maillots sur le terrain après le coup de sifflet final. C’est seulement une fois dans les vestiaires que Paul Breitner (RFA) va trouver l’auteur du but de la victoire, Jürgen Sparwasser (RDA), pour lui proposer de procéder au fameux échange. Ces deux maillots tomberont dans l’oubli pendant 28 ans, jusqu’à ce que les deux joueurs les mettent à disposition pour une vente aux enchères en faveur d’une œuvre de charité.

    Les agents de la Stasi, la police politique est-allemande, accompagnent même les joueurs de l’équipe nationale de RDA jusque dans le couloir, avant leur entrée sur la pelouse, afin de contrôler que les joueurs est-allemands ne puissent pas communiquer d’une quelconque manière avec les joueurs ouest-allemands.

     

     

    Quant aux supporters est-allemands, ils ont pris un train sans arrêt entre leur pays et Hamburg, de l’autre côté du Mur, encadrés eux aussi par les agents de la Stasi, afin d’éviter qu’ils puissent profiter de l’occasion pour passer à l’Ouest.

    Les deux équipes sont certes déjà qualifiées pour le deuxième tour, mais ce duel fratricide a pour enjeu la première place du groupe et, bien sûr, le prestige. Pour la RFA, qui s’est imposée face au Chili (1:0) et à l’Australie (3:0), un match nul serait suffisant pour prendre la tête de la poule. Pour la RDA, en revanche, il faut absolument gagner. La sélection de Georg Buschner a en effet battu l’Australie (2:0) mais n’a ramené qu’un nul (1:1) de sa rencontre avec le Chili.

     

    « Si un jour il y a écrit sur ma tombe Hambourg 74, tout le monde saura qui se trouve en dessous. » (Jürgen Sparwasser)

     

    La RFA domine le match mais sera finalement battue par sa rivale orientale sur le score de 1-0. Le héros du match, Jürgen Sparwasser est le joueur est-allemand qui inscrit le but de la victoire. Jürgen Sparwasser est ainsi entré dans l’histoire pour toujours en faisant trembler les filets lors de ce duel unique. Sa réalisation face aux Allemands de l’Ouest a fait de lui l’un des sportifs les plus connus de RDA. L’apprenti constructeur de machines âgé de 26 ans en 1974 a disputé en tout 53 matches sous le maillot de la sélection est-allemande (15 buts). Lors de l’exposition universelle de Hanovre en 2000, l’attaquant s’est même vu dédier un buste.

    Cette édition est restée la seule participation de la RDA à la Coupe du Monde de la FIFA, tandis que la République Fédérale d’Allemagne a toujours réussi à se qualifier pour le tournoi jusqu’à ce jour. Depuis, elle a remporté un troisième titre mondial en 1990, peu de temps avant que l’Allemagne ne soit réunifiée.

     

     

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    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] La Coupe du Monde à travers l’Histoire

     

     

     

  • La Coupe du Monde du Général Videla : Argentine 78

     

     

    Il y a des Coupes du Monde qu’on aimerait oublier parce que le jeu était médiocre, comme par exemple celle jouée en Italie en 1990, et il y a des Coupes du Monde qu’on aimerait oublier pour d’autres raisons…

     

    C’est le cas de la Coupe du Monde de 1978 en Argentine, pour des raisons politiques, en l’occurence. Car nous avons certes assisté à de beaux matchs, mais à la tête du pays organisateur trône une sordide dictature militaire, celle des généraux Videla et Galtieri. Ce même Galtieri qui entraînera plus tard son pays dans une guerre anachronique contre l’Angleterre, la Guerre des Malouines.

    En 1978, il est donc exclu pour le pouvoir argentin de ne pas gagner sa Coupe du Monde. Cela constitue d’ailleurs une question de vie ou de mort pour la junte militaire alors aux commandes du pays. Tous les moyens vont ainsi être mis en oeuvre par les généraux à Buenos Aires pour parvenir à leurs fins, et pas seulement des moyens sportifs.

    Cette épisode de l’histoire du foot, Stéphane Benhamou nous le fait revivre dans son documentaire « La véritable Histoire des Coupes du Monde » sorti en juin 2014.

    Replongeons donc dans le contexte de cette année 78, avec un mot qui était sur toutes les lèvres (ou presque…) avant le début de la compétition : boycott.

     

    « C’est effectivement la première fois qu’on défile dans la rue pour demander le boycott d’une coupe du monde, et plus particulièrement en France, où un comité s’est constitué, à l’initiative de personnalités telles que François Gèze, fondateur des Editions de la Découverte, Marek Halter, Louis Aragon ou le philosophe occidentaliste Jean-François Revel. Face à ces gens qui disent « on ne peut pas y aller », on trouve l’entraineur et certains joueurs de l’équipe de France, comme Michel Hidalgo ou Michel Platini, qui eux affirment qu’ils se rendront en Argentine pour participer au Mundial, fût-ce à la nage. »

     

    La France ne s’est pas qualifiée à une Coupe du Monde depuis 1966, et l’attente est immense. En Argentine, lorsque la junte s’installe à la tête du pays en 1976, sa toute première préoccupation est de savoir de quelle façon instrumentaliser au mieux l’événement, dans le but évident de se racheter une conduite et de faire taire les critiques. Car le peuple argentin attend de pouvoir organiser son Mondial depuis si longtemps, en fait depuis la première édition en 1930, et à chaque fois, l’argument avancé par les instances internationales du foot pour ne pas lui attribuer est que le régime politique en place n’est pas assez stable. Le pays connait en effet des coups d’état à répétition depuis 1966 et le début de la « Révolution Argentine ».

    Mais l’organisation de la Coupe du Monde 1978 est finalement attribuée à l’Argentine, quelques années avant l’arrivée de la junte militaire au pouvoir en 1976. Les généraux vont donc confier leur communication à une agence de publicité new-yorkaise, la Burson Marsteller, afin de les aider à apporter toutes les garanties de réussite dans l’organisation de l’événement aux instances ainsi qu’à l’opinion publique internationale.

    Cette campagne de communication s’appuiera sur toutes les personnalités argentines célèbres à l’étranger, telles que le boxeur Carlos Monzon ou le coureur automobile Manuel Fangio, avec comme but celui de séduire les médias internationaux, et en particulier ceux plutôt dans le camp du boycott.

     

    « Et puis il faut cacher les crimes et les exactions commis par la junte, responsable de la disparition de plus de 30.000 supposés opposants entre 1976 et 1978. Il n’y a pas une famille argentine, en particulier à Buenos Aires et Mendoza, qui n’ait pas à déplorer la perte ou la disparition d’un de ses membres. Tout le monde sait qu’il se passe des choses épouvantables en Argentine, mais la junte va parvenir à les cacher aux yeux du monde. Il faut que la politique reste étrangère à tout ça… »

     

    A présent, c’est bien beau d’organiser cette Coupe du Monde mais il va falloir absolument la gagner. C’est alors que les Argentins vont employer les moyens les plus scandaleux pour parvenir en finale, notamment contre l’équipe du Pérou que les Argentins devaient battre 6 à 0, score qui n’existe pas en Coupe du Monde à ce niveau-là. Le match était évidemment truqué. Contre une large victoire lui permettant d’accéder en finale, l’Argentine efface une partie de la dette péruvienne, livre 30.000 tonnes de céréales et octroie au Pérou des avantages commerciaux substantiels. Il est question aussi de libération de prisonniers politiques…

    Mais le Pérou est aussi récompensé par l’arrestation de treize supposés opposants au régime de Francisco Morales Bermúdez, réfugiés en Argentine, et que la junte militaire argentine fera disparaître. Dans le cadre de l’Opération Condor (Coordination des différentes dictatures d’Amérique latine afin de traquer et éliminer leurs opposants), l’Argentine et le Pérou conviennent d’un accord concernant le match les opposant au second tour. L’Argentine, qui devait l’emporter avec une différence d’au moins quatre buts pour se qualifier, se charge de faire exécuter par sa police politique les treize opposants péruviens en échange de l’assurance d’une large victoire lors de la rencontre sportive. L’Argentine s’imposera effectivement sur un glorieux 6-0 alors que les treize opposants seront tués au cours d’un tristement célèbre « vol de la mort ».

    L’Argentine finit donc par remporter sa Coupe du Monde face aux Pays-Bas le 25 juin 1978. Le capitaine hollandais Ruud Krol déclarera : « la mafia nous a eus. » L’arbitre fut changé au dernier moment car il ne convenait pas aux Argentins. L’arbitre italien finalement choisi pour la finale sifflera tout au long du match en faveur des Argentins. Une telle tension planait sur cette rencontre que les acteurs et les témoins du match déclareront des années plus tard que « les Hollandais ne pouvaient pas gagner dans un tel contexte ».

    L’Argentine remportera une deuxième Coupe du Monde de façon plus « sportive » et glorieuse au Mexique en 1986.

    40 ans après ces événements, la France rencontre de nouveau l’Argentine aujourd’hui en Russie. Souhaitons-lui de l’emporter et de conjurer le sort…

     

     

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    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] La France au Mundial 78

     

     

     

  • Danse à Mort

     

     

    12 juillet 1518. Frau Toffea ouvre le bal. Elle ne le sait pas, mais elle est le « patient zéro » d’un mal étrange : la « manie dansante ». Elle se trémousse, seule dans les rues, pendant six jours et six nuits, jusqu’à en avoir les pieds en sang et malgré les supplications de son mari. « Elle était en proie à une détresse absolue » (p. 77). Dix jours plus tard, ce sont près de 400 danseurs qui emboitent son pas.

     

    La vue d’autres danseurs, pris par cette transe angoissée, suffit à propager le mouvement. Au départ, on crée un espace pour ces danseurs étonnants. On recrute même un orchestre de professionnels chargés de les faire danser. Mais très vite, l’angoisse monte. L’anxiété croît à la hauteur de l’impuissance des observateurs de cet étrange spectacle. On se met à parler de châtiment divin, de sortilège de sorcière. Alors on change son fusil d’épaule : les estrades sont démontées, les musiciens interdits et les danseurs envoyés à Saverne, assister dans sa chapelle à une cérémonie en l’honneur de Saint Guy, protecteur des épileptiques et des malades atteints de chorée. Les danseurs fous sont chaussés de rouge et disposent d’une petite croix. Après cette procession, l’épidémie décroît.

    Déjà au IXème siècle, on parlait de guérisons miraculeuses à Kolbeck en 1017 et on compte une vingtaine de cas entre 1200 et 1600. Mais celui de Strasbourg, sans doute parce qu’il a eu lieu après l’invention de l’imprimerie, est le mieux documenté. Cette maladie, la chorée de Sydenham, est identifiée par Thomas Sydenham, l’hyppocrate anglais, un médecin britannique du 17ème siècle. Il s’agit d’une maladie infectieuse aux streptocoques qui atteint le système nerveux central, une infection avec fièvre et mouvements involontaires des muscles et des extrémités dus à des contractions. Aujourd’hui, la chorée de Sydenham est répertoriée par la médecine comme une infection survenant après une angine à streptocoques non traitée.

     

     

    En 2008, un historien, John Waller, propose une autre lecture du phénomène. Selon lui, il s’agit d’une hystérie collective liée au contexte historique de famine. Une manifestation géante d’un ras-le-bol social après des années de famine. Une danse furieuse aux raisons psychologiques… Avant de sortir dans la rue et de se mettre à danser, Frau Toffea avait jeté son bébé dans la rivière à la demande de son mari : la période d’allaitement étant terminée, ils n’avaient plus les moyens de le nourrir.

    D’autres personnes, elles aussi dans des situations effroyables, s’approchent, la regardent et se mettent comme elle à danser. En février 2018, l’écrivain Jean Teulé décrit et explique les faits dans son ouvrage « Entrez dans la danse ». Il dépeint cette misère en citant des exemples, comme ce couple mangeant leur enfant ou des habitants errant autour des hôpitaux pour récupérer les excréments des lépreux, « pour avoir quelque chose à bouffer. Ils en étaient là. ». Danser aurait été pour eux une façon de craquer, d’exprimer leur extrême détresse, rendus fous par la misère et la mort de leurs proches.

     

     

    Certains osent un parallèle entre ces manies dansantes et les rave parties monstres d’aujourd’hui, au cours desquelles les danseurs peuvent se déhancher dans un état second, au risque de tomber d’épuisement. Il existe cependant des différences fondamentales : l’usage de drogues récréatives, même si Jean Teullé évoque l’hypothèse d’une intoxication à l’ergot de seigle, « la moisissure de seigle, du LSD à l’état pur ». Mais les clubbers sont probablement plus euphoriques que les choréomaniaques terrifiés du Moyen-Âge et « on ne peut pas danser avec ça parce que ça diminue l’afflux sanguin » précise l’écrivain dans une interview à Europe 1.

     

    Référence électronique

    ✓ Jérôme Lamy, « John Waller, Les danseurs fous de Strasbourg. Une épidémie de transe collective en 1518 », Cahiers d’Histoire. Revue d’histoire critique [En ligne], 134 | 2017, mis en ligne le 26 mai 2017. Lien : Cahiers d’Histoire

    Danse macabre de Strasbourg en 1518 : Jean Teulé s’attelle à l’une des plus étranges épidémies recensées