Étiquette : Cinéma

  • Jim, interview fleuve…

     

     

    On ne présente plus « Une Nuit à Rome », cette saga en quatre tomes éditée chez Grand Angle et dont le premier opus est paru en 2012. Instant City avait déjà rencontré son auteur et dessinateur, Jim, pour une première interview en 2015. Le temps passe… Il passe aussi pour Marie et Raphaël, qui dans le premier cycle (tomes 1 et 2) avaient quarante ans et qui en ont maintenant cinquante (deuxième cycle, tomes 3 et 4).

     

    Pour ceux qui ne connaissent pas la saga, Marie et Raphaël se sont aimés lorsqu’ils étaient tous deux étudiants aux Beaux-Arts, et se sont promis, avant que la vie ne les sépare, de se retrouver pour une seule nuit, à Rome, le jour de leurs quarante ans. Et de renouveler leur promesse pour leurs cinquante ans.

    A Instant City, nous étions très curieux de savoir comment les personnages allaient évoluer entre : que sont-ils devenus ? Où en sont-ils dans leur vie ? Est-ce que Raphaël est resté fidèle à Sophia ? Est-ce que Marie a enfin trouvé un homme qui lui aura donné envie de rester ?

    Nous étions aussi désireux et heureux de retrouver un auteur, Jim, son univers, ses personnages, son trait, sa bande de copains. Car à côté des histoires d’amour des personnages principaux se raconte aussi toute l’évolution d’un groupe d’amis qui traversent le temps. Ce temps qui se fixe sur des objets, des décors, des changements d’atmosphère.

    Et puis nous étions, comme tous les lecteurs assidus de la série, fébriles de savoir de quelle manière Marie aurait physiquement vieilli sous le crayon de Jim. L’écriture scénaristique du second cycle a dû être extrêmement délicate. L’auteur aura-t-il osé vieillir Marie ou sera-t-elle restée une icône pop éternellement jeune et jolie ? Et Raphaël ? Comment le dessin rendra-t-il son vieillissement ? Aurons-nous affaire à de « vieux beaux » ou Jim aura-t-il osé en faire des gens ordinaires comme vous et moi ?

    On imagine bien les voir se retrouver plus mûrs, plus stables, plus ancrés dans leur vie, plus heureux et épanouis, autour d’un verre, d’une table de restaurant, juste pour partager un repas, riant et discutant à tout rompre, rattrapant dix ans de vie sans nouvelles. Puis décider d’un simple regard entendu de s’en tenir là et de se dire au-revoir en bons amis.

    De nombreuses questions taraudent ainsi les amoureux de la saga : on se demande si on va repartir sur un nouveau rendez-vous à soixante ans ou pas. Sans doute que non, on imagine bien que ce serait un peu redondant. Mais alors, comment va se terminer cette histoire ? Quelle fin suffisamment inattendue pour réussir à surprendre les fans de la BD tenus en haleine depuis huit ans ?

    C’est très intéressant de voir de quelle manière chacun d’entre nous aura sa propre imagerie de la scène de retrouvailles. Vont-ils se revoir, vont-ils s’aimer ? Vont-ils enfin se mettre en couple ?  autant de scénariis possibles que de lecteurs.

    Voilà, à notre avis, le plus grand défi que Jim avait à relever : faire vieillir Marie, vraiment, et proposer un scénario suffisamment surprenant et original. Une fin digne de Marie, en somme !

     

     

     

    L’INTERVIEW-FLEUVE

     

    IC : Bonjour Jim. Alors ça y est, c’est fini…. Vous venez de boucler le cycle 2 (tome 4) de la saga « Une Nuit à Rome » ?

    Jim : Eh oui, la parenthèse se referme. J’avoue ne pas avoir le sentiment de les quitter parce que j’en ai fait le tour, mais parce qu’il serait étrange de lier sa vie d’auteur à deux personnages… Besoin et envie de raconter d’autres histoires. Et puis, la force de cette histoire, c’est ce morceau de vie, ce sont les questionnements autour de leur promesse d’origine…

     

    IC : Est-ce que vous pouvez nous retracer un peu la chronologie de cette saga ? Comment ça a commencé, ce qu’il s’est passé durant ces huit années ?

    Jim : « Une Nuit à Rome » est né de mon intérêt pour les films français sensibles, ce type d’histoires… et d’une envie de me dépasser graphiquement, après quinze ans de dessin humoristique… j’avais envie de découvrir d’autres façons de faire…

     

    IC : Qu’est-ce que ça fait de mettre le dernier coup de crayon à une histoire qui dure depuis huit ans ?

    Jim : Un album, c’est deux ans… Là, j’avais surtout la problématique au jour le jour d’avancer mes planches, et de voir que je me rapprochais de la fin. Chaque album est une montagne à gravir, arriver à la fin est un vrai plaisir, on va enfin pouvoir voir si ce qu’on a prévu dans son coin touche les gens, les emporte, et les bouleverse… Tant qu’on est seul, c’est très théorique, on espère des ressentis proches du sien, mais on ne sait jamais vraiment. On espère, on se projette…

     

    IC : « Je redoutais un peu la fin de l’histoire. J’avais peur d’être déçu ou frustré » écrit Lys 1656 sur un site de vente. Racontez-nous toute la période de création du scénario de fin : avez-vous ressenti une grande pression liée à l’attente des lecteurs que vous pouviez imaginer et à votre volonté de ne pas les décevoir ?

    Jim : L’enjeu était énorme, une mauvaise fin pouvant gâcher toute la série, finalement. Je ne cérébralise pas beaucoup. J’ai eu l’idée de cette fin, et je savais que c’était la fin. Comme si c’est quelque chose qui arrivait à des personnes réellement, et que je devais raconter ça. Il ne nous viendrait pas à l’idée de changer la vie des gens autour de soi, ce qui leur arrive est ce qui leur arrive. Et bien là c’est pareil, je raconte leur vie, comme si elle existait…

     

    IC : Avez-vous beaucoup échangé avec votre entourage pour recueillir leur avis ?

    Jim : Quand j’ai une idée, j’en cause, oui, toujours. Pas comme un test, mais qui vit dans mon entourage est obligé de partager mes emballements, donc je balance toujours les idées. Et je vois comment elles accrochent, effectivement. Souvent, on vérifie ainsi que c’est bien ressenti, si on a besoin de régler quelque chose. Je crois que je frotte souvent mon enthousiasme aux autres, qui sont des lecteurs possibles. Ainsi, je prends la mesure en temps réel.

     

    IC : Avez-vous changé plusieurs fois de version ? Pouvez-vous nous faire la confidence des autres fins que vous aviez imaginées et avec lesquelles vous avez hésité ?

    Jim : Absolument aucune autre (Rires). Si j’étais mystique – ce que je ne suis pas – je dirais que c’est comme capter des vies qui existent, et juste devoir les raconter. Je savais que c’est ce qu’ils devaient vivre, parce que c’était une pirouette, pas un happy end cul-cul, et que ça me semblait le sens de la vie… Les emmerdes ne sont jamais loin, il ne faut jamais baisser sa garde… et je savais que Raphaël avait déconné la nuit de ses cinquante ans. En réalité, il y a beaucoup d’éléments dans le tome 3 qui allaient dans ce sens… mais n’en disons pas plus pour ceux qui n’ont pas lu !

     

    IC : Quelle a été la décision la plus difficile à prendre ?

    Jim : Aucune idée, il n’y a pas de décision difficile à prendre quand on est instinctif. On sent que ça doit être ça. D’un point de vue graphique, choisir une couverture est sans doute la décision la plus difficile à prendre, car c’est se priver de toutes les autres options. Sur la couverture, Delphine et moi avons beaucoup cherché sur les couleurs, car elles ne venaient pas facilement…

     

    IC : De quelle idée êtes-vous le plus heureux ?

    Jim : L’idée de départ de la série. « A vingt ans, ils se sont promis de passer ensemble la nuit de leurs quarante ans. » C’est limpide, et ça va être difficile d’avoir une nouvelle idée comme ça. Et une page dans le tome 4 où Raphaël appelle sa maman. Les héros de BD ont rarement de parents, et je trouvais au contraire particulièrement intéressant de faire un point sur sa vie, et de penser à sa maman encore en vie. De s’arrêter, de la remercier, de la rassurer sur ce qu’on vit. C’est évidemment une façon pour moi de le dire à ma maman.

     

    IC : Quels retours avez-vous de votre public ?

    Jim : Je suis très serein, maintenant que le tome 4 est sorti, de voir combien il accomplit sa mission de clore la série. J’ai eu de très beaux retours de lecteurs. Il faut dire que j’ai ajouté vingt planches, je tenais à ce qu’il soit le plus complet possible, et à l’écrire sans avoir le sentiment de me restreindre narrativement. Je crois qu’il est bien plein, riche.

     

    IC : A la lecture des commentaires sur le net, il semble que le tome 4 apparaisse comme étant le plus « abouti », c’est un mot qui revient souvent.

    Jim : C’est une vraie chance. Ça veut dire que nous avons été dans la même direction, les lecteurs et moi. Personnellement, j’adore écrire les fins. Je trouve ça passionnant à écrire. Je réalise que jamais je n’ai écrit un album aussi vite, d’ailleurs. Je pense qu’il s’est écrit en quatre ou cinq jours. Mais en réalité, pendant toute l’écriture du tome 3, dès que j’avais des idées, je les notais dans un fichier que je ne relisais pas. À la fin du tome 3, j’ai réouvert le fichier, j’ai tout relu, et il a suffi d’agencer les idées, de trouver leur ordre, de faire les liens. Tout le tome 4 était là. En réalité, je l’ai écrit en cinq jours… et deux ans.

     

    IC : Finalement, l’amour, c’est mieux à cinquante ans ?

    Jim : Je ne crois pas. C’est mieux quand on est amoureux, surtout.

     

    IC : A la lecture des réactions des lecteurs, changeriez-vous quelque chose au scénario ?

    Jim : Ça c’est une vraie question que je ne me pose pas. Par flemme, et parce que l’idée est de ne pas y revenir, donc laisser les quatre tomes comme ça, et place aux projets futurs. C’est nettement plus emballant !

     

     

     

    IC : La ville de Rome tient une place encore plus importante que dans les trois précédents volumes. Des planches entières, absolument magnifiques, montrent la ville. Combien de voyages avez-vous effectué à Rome au cours de ces huit années ? Comment fonctionnez-vous ? Vous prenez des photos ? Vous allez sur internet ? Rome ne va-t-elle pas aussi vous manquer ?

    Jim : Rome ne sera jamais trop loin… J’ai dû aller six fois à Rome. J’ai fait beaucoup de photos effectivement, et réfléchi à l’histoire sur place. Certains éléments s’écrivent en fonction de choses vues, comme ce couple âgé en terrasse dans la lumière du soir. C’est une photo prise en marchant vers le festival BD de Rome où j’étais invité. J’aimais l’image, et elle m’a inspiré cette vision. Mais je vais essayer de ne plus trop aller à Rome, j’ai plutôt envie d’aller dans de nouveaux endroits, m’inspirant de nouvelles histoires…

     

    IC : Sète sert également de décor dans ce tome 4. Parlez-nous de cette ville et du lien qui vous attache à elle.

    Jim : Sète, c’est du copinage. J’habite à côté. Graphiquement, c’était intéressant, et géographiquement idéal, car sur le parcours, à mi chemin entre Paris et Rome. Je ne suis pas particulièrement attaché à Sète, en réalité, je me sens plus proche de Montpellier, qui est plus… ma ville.

     

    IC : Quelques bonnes adresses ?

    Jim : À Sète, je conseille le marché du dimanche matin, et quelques restos à ambiance type « La Mauvaise Réputation », quand mon ami Christian nous y embarque…

     

    IC : Un lecteur évoque, je cite, « des morceaux de musique emblématiques de l’époque, réalisant comme une bande-son de l’histoire » (Commentaire de Bdotaku). Parlez-nous des ces morceaux de musique choisis.

    Jim : Dans le tome 1, j’ai placé quelques titres emblématiques, comme Gerry Rafferty… C’est plus un jeu personnel, comme quand j’évoque l’âge d’Étienne Daho, qui m’a toujours paru un grand frère symbolique. Je me souviens de mon effroi quand j’avais vingt ans, de découvrir qu’il en avait trente. Je le trouvais si proche de mon univers, et en même temps, qu’il ait dix ans de plus que moi me paraissait incompatible… mon Dieu, c’était un vrai adulte, déjà…

     

    IC : Que restera-t-il de cette tranche de vie ? Pouvez-vous nous citer quelques « meilleurs » et « pires » souvenirs liés à cette aventure ?

    Jim : Je ne crois pas avoir de pire souvenir, je n’en vois aucun, en tout cas. Les meilleurs sont liés aux rencontres, aux visages, au gens, au plaisir d’avoir touché certaines personnes, la façon d’en parler, d’être attaché à cette histoire, le lien qui s’est créé entre Marie, Raphaël, et eux. Souvent, les lecteurs ont le sentiment de me connaître en venant vers moi en dédicace, car nous avons partagé quelque chose en commun. Jeté un même regard sur certains éléments de la vie, sans doute ?

     

    IC :  Il suffit de regarder un peu votre page facebook pour comprendre qu’ « Une Nuit à Rome » et Jim sont devenus deux éléments d’un même mythe, au point de ne faire plus qu’un. « Une Nuit à Rome », c’est une communauté de 3 750 followers, une saga qui dure depuis huit ans, des fans qui se retrouvent pour des dédicaces, des éditions spéciales (neuf albums différents pour quatre tomes), des fêtes, des rencontres, des chats entre lecteurs. En résumé, c’est plus qu’une BD, c’est un univers tout entier avec vos fans.

    Jim : En réalité, ce ne sont pas neuf albums différents, mais aujourd’hui dix-huit albums différents en langue française… sans compter les coffrets et les traductions à l’étranger. Oui, c’est assez dingue, ce qui se passe avec cette série, il y a un aspect magique, quand un tel pont se crée entre un public et une histoire.

     

     

     

    IC : Cet engouement, on le doit beaucoup au personnage de Marie et à vos dessins sexy à souhait. Elle est belle et plaît beaucoup. Posters, puzzles, mugs, sacs en toile, étiquettes sur une bouteille de vin ou de champagne, calendriers… On retrouve Marie sous toutes les déclinaisons.

    Jim : Le personnage de Marie a su toucher un public, et je suis régulièrement contacté par des gens qui souhaitent la décliner sur différents supports. Et j’avoue apprécier cette idée, c’est toujours un plaisir, si les produits sont de qualité. On a même poussé la vanne avec mon ami Gaston en faisant croire que des préservatifs Marie allaient sortir. Il avait fait un visuel avec un imprimé de Marie sur le latex, et je l’avais fait suivre sur mon facebook. Je me souviens qu’on nous a demandé à quels parfums étaient les préservatifs. La réponse « Parmesan et Mozzarella » a achevé de nous trahir… (Rires).

     

    IC : Dans combien de pays la BD a-t-elle été traduite ? Comment se vend la saga à l’étranger ?

    Jim : Néerlandais, Espagnol, Italien, Allemand, Croate… Maintenant que la série est complète, j’espère qu’elle va s’exporter davantage…

     

    IC : « Une Nuit à Rome », c’est aussi une affaire de famille. Vous rédigez le scénario, dessinez les planches. Votre épouse, Delphine, coloriste, met en couleur et prête ses traits à l’héroïne. Votre fils, Ulysse, transcrit la BD en roman. Votre frère Philippe a co-écrit avec vous plusieurs courts-métrages. Vous avez aussi une fille, Emma. Cela vous agace-t-il que l’on vous parle d’une affaire de famille ou au contraire, êtes-vous ravi de pouvoir travailler en famille ?

    Jim : Ce n’est pas un choix, c’est venu comme ça. Au plus simple. Après, j’ai dû travailler avec une trentaine d’auteurs, et tous n’étaient pas des cousins éloignés, je vous rassure (Rires). Mais parfois, des rapprochements se font naturellement, c’est le cas ici. J’ai souvent embarqué des amis et des copains dans des projets, c’est surtout lié à un talent précis, à l’envie, et à la disponibilité le moment venu. Il est clair que pour adapter le récit en roman, Ulysse était idéal.

     

    IC : Parlons cinéma, votre autre passion.

    Jim : J’avoue avoir un petit penchant pour les acteurs et les images qui bougent avec du son, oui.

     

    IC :  Lors de notre dernière Interview en 2016, vous nous disiez que 2017 serait l’année des tournages. Vous aviez plusieurs projets en cours. Vous parliez d’une co-réalisation avec Stéphane Kot, d’une autre avec le réalisateur Bernard Jeanjean et d’une adaptation de votre BD en deux tomes, « L’érection ».

    Jim : Eh bien nombre de ces projets sont toujours dans les tuyaux, mais ont changé de producteurs, ou sont en recherche de réalisateur… et j’envie l’optimisme que j’avais en 2016, qui prenait des couleurs de naïveté ; mais le monde de la BD donne de mauvaises habitudes, on signe avec un éditeur, on sait que l’album va sortir. On signe avec un producteur, lui-même ne sait pas si le film se fera un jour. En 2020, j’ai donc progressivement appris à ne plus la ramener sur les projets en cours, et j’essaie de n’en parler que lorsqu’ils sont du présent.

     

    IC : En 2016, il y a eu aussi l’adaptation au cinéma de votre BD « L’invitation », un film de Michaël Cohen avec également Nicolas Bedos.

    Jim : Un joli film, très fidèle à la BD et une rencontre formidable avec Michael, une bien belle personne.

     

    IC : Le film a fait combien d’entrées ?

    Jim : Je n’ai pas de chiffres, mais bien trop peu. Ça m’a permis de voir de l’intérieur combien le jour J des sorties dépend de la distribution en salle, de la distribution des acteurs, du budget alloué, de la concurrence en face, du désir simplement des spectateurs, de la météo, et que les films ne sortent pas tous logés à la même enseigne.

     

    IC : Quels ont été, côté cinéma, après la sortie du film « L’invitation », les retours positifs et négatifs pour vous en tant qu’auteur et scénariste ?

    Jim : Je ne crois pas qu’il y ait eu de lien. Il eut fallu que ce soit une tempête au box office pour parler de changement, mais là il n’y a pas eu de tempête.

     

    IC : Quels sont vos projets côté cinéma ?

    Jim : « Une Nuit à Rome » est toujours dans les tuyaux, « L’érection » aussi. « Détox » aussi. Et je travaille sur deux scénarios, dont un en tournage, « Belle Enfant ». Ce sera mon premier film, et c’est une très belle aventure. Mais même en le tournant, je n’en dirai pas plus, tant que ce n’est pas fini. La prudence reste de mise, pas d’effet d’annonce. Juste le nez à hauteur du guidon, et nous travaillons avec l’équipe.

     

    IC : Côté BD, vous avez démarré un projet avec Antonin Gallo : « Détox ». Le tome 1 est sorti en 2019, le tome 2 cette année. L’histoire de Mathias d’Ogremont, un chef d’entreprise hyper actif qui part pour une cure de désintox, sans smartphone ni connexion.

    Jim : Inspiré par mon ami Christian, qui a vécu un stage détox. Il y avait deux solutions, le suivre et aller vivre un stage détox pour essayer d’approcher ces sensations, ou… faire deux albums de son expérience, et me l’approprier en restant tranquillement chez moi (Rires). C’est aussi la découverte du travail avec Antonin Gallo, qui a été un magnifique partenaire sur ces deux albums.

     

    IC : Est-ce que c’est facile de passer à autre chose, ou bien Marie restera t-elle toujours présente dans votre vie finalement ?

    Jim : Je travaille beaucoup sur « Belle Enfant », et c’est donc très facile de passer à autre chose. Mon souci actuel est que le film me prend tout mon temps, et m’empêche de me relancer dans un autre projet BD (hormis « L’étreinte », un projet que nous travaillons avec Laurent Bonneau au dessin).

     

     

     

    IC : Peut-on dire que Marie, c’est LA deuxième grande rencontre de votre vie ?

    Jim : On peut le dire, même si c’est un peu sentencieux, non ? C’est une création, un personnage de papier… mais il est clair qu’il y a un avant et un après sa création… mais j’espère bien faire de nouvelles belles rencontres de papier prochainement… !

     

    IC : « Raphaël et Marie vont beaucoup me manquer »  commente Arnaud V. Certains fans réclament, non pas une suite, mais un prologue : un cycle qui raconterait les jeunes années d’étudiants aux Beaux-Arts de Marie et Raphaël.

    Jim : Si j’écoutais les fans, je ferais une suite, c’est ce qu’ils me demandent en dédicace… L’idée de leur rencontre à vingt ans, c’est plutôt une idée perso. Comme un pied de nez, une façon de ne plus avoir à dessiner Marie âgée. On a ce pouvoir, donner à vivre des personnages sans être prisonnier du temps, comme nous le sommes dans la réalité. Pourquoi s’en priver ? C’est surtout l’idée de parler de la jeunesse dans les années 80, 90, comme une sorte de manifeste anti-nostalgie. Je ne pense pas que c’était mieux avant, j’aime les téléphones, j’aime qu’on puisse filmer en 4K, avoir des GPS pour se retrouver, des ordinateurs…

     

    IC : Quelle est la question qu’on ne vous a jamais posée en interview et à laquelle pourtant vous auriez plaisir à répondre ?

    Jim : Je crois bien que ce n’est pas celle-ci, et j’avais dû essayer de m’en tirer également par une pirouette (Rires).

     

    IC : Et pour finir, comment imaginez vous la suite ?

    Jim : La suite en général ? C’est compliqué comme question. J’aimerais surtout garder le goût d’inventer des histoires, que ça ne me quitte pas. Que le plaisir soit toujours là, ce plaisir amateur de tester des choses. C’est curieux, c’est comme si certaines personnes savaient profiter de la vie, de l’instant présent… et d’autres la regardent, un petit pas à côté, se disant que la raconter, ou s’en inspirer, ça peut donner des choses insensées…

    En avançant en âge, le nombre de livres à faire diminue. Trop de livres à écrire et si peu de temps à venir… Longtemps, je suis parti comme un chien fou : une idée m’amusait, je la développais en BD. Maintenant, je vais faire encore quoi ? Dix ? Vingt livres ? Une part d’innocence a disparu, je n’ai plus envie de partir comme un chien fou sur un livre qui prendrait la place d’un autre…

    J’aimerais aller vers des récits qui touchent vraiment les gens, aller plus droit vers l’intime, les ressentis importants, ceux qu’on tait… Je suppose que ce sont des questionnements qui touchent tous les quinquas, aller à l’essentiel. On commence à être chatouillés par l’urgence… J’ai le sentiment d’avoir une chance folle, je fais des projets qui me plaisent, et j’ai la chance d’avoir des lecteurs qui me renvoient beaucoup en retour. Si ça peut juste continuer…

    J’aimerais arriver à un 50/50 BD et Ciné, est-ce que ce sera le cas ? Je ne sais pas. J’y travaille, mais comme dit le petit sage vert : « difficile à prévoir… Sans cesse en mouvement est l’avenir… ». Alors on fait ce qu’on a à faire et on attend. Et on verra bien.

     

    Jim c’est aussi :
    Un cœur qui bat…

    Des livres coups de cœur :
    Je lis soit des livres de développement personnel, soit des livres de cinéastes ou d’acteurs…

    Des sons coups de cœur :
    Boum-boum, boum-boum.

    Des films coups de cœur :
    « Juste un Baiser », encore et toujours. Et la série « Succession », pur bonheur. Et tellement d’autres !

    Un apéro coup de cœur :
    Le prochain…

    Un plat coup de cœur :
    À huit ans, mon cousin Laurent, du haut du plongeoir. Une belle envolée pourtant, on y croyait tous très fort. Et puis plaf. Le ventre a tout pris. Il est ressorti de la piscine mort de rire, et je crois que ça reste le meilleur plat qu’il m’ait été donné d’apprécier. Avis de fin gourmet…

     

    Propos recueillis par Anne Feffer

    Photos utilisées dans l’article avec l’aimable autorisation de © Jim Thierry Terrasson

     

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] « Bande Dessinée : Une Nuit à Rome (2012) » (24 juillet 2015)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] « Jim, de la bande dessinée au cinéma » (05 septembre 2015)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] « Jim, les coulisses de la création » (16 mai 2016)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] « Michael Cohen, l’invitation » (19 mai 2016)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] « L’érection selon Jim » (02 juillet 2016)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] « Ulysse Terrasson, un auteur plein de promesses » (26 mai 2016)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] « Jim et Hubert Touzot, exposition croisée à la galerie Octopus » (14 décembre 2018)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] « Ulysse Terrasson, l’interview Nuit à Rome » (30 juillet 2020)

     

     

     

  • François Ozon : Cinéma Décalcomanie

     

     

    Ce que l’on ne pourra jamais enlever à François Ozon, c’est son appétence pour le cinéma. Depuis 1988 et son premier court-métrage, « Photo de Famille », il enchaîne avec boulimie les longs-métrages, afin probablement de nous démontrer ses capacités à tenir une caméra et à raconter des histoires. Certes…

     

    Car parfois, rien ne sert de scander haut et fort son amour pour les films et le 7ème art, si c’est dans le seul but de se prouver à soi-même le bien-fondé de ses ambitions. François Ozon revient pourtant assez régulièrement à la charge, fort de quelques indéniables succès publics et des honneurs qui lui sont souvent rendus dans la presse. Alors, oui, en 23 ans de carrière, le réalisateur aura produit pas moins de vingt films, et c’est beaucoup…

    Mais François Ozon a-t-il vraiment quelque chose à dire et l’énergie nécessaire pour le faire ? De l’énergie, il en a à revendre et il l’a déjà démontré, avec cette façon simple et directe d’enchaîner des projets sans aucun lien, les uns à la suite des autres, et cette capacité d’aborder tous les sujets, tous les thèmes au cinéma. Bref, il possède la carte, celle qui permet de monter tous les projets possibles. Et rares sont les auteurs en France à pouvoir jouir de tels privilèges.

    Seulement voilà, comment résumer le cinéma de François Ozon ? Est-il le fils spirituel ou illégitime de Pedro Almodovar et André Téchiné, voire de Brian De Palma ? Tant le réalisateur de « Huit Femmes » oscille, hésite et ambitionne de manière aléatoire des films qui se voudraient dévastateurs, puissants, étranges, qui nous emportent, ou bien juste qui seraient drôles, acides et impertinents.

     

    [youtube id= »jGyJL8SnsOM » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    Car la force des cinéastes cités plus haut, en référence directe, c’est que leurs œuvres s’additionnent, se construisent au fil de la filmographie de leurs auteurs. On peut alors, en tant que cinéphile ou même simple spectateur, apprécier cette progression qui saute aux yeux, de film en film ; le fait qu’ils se répondent les uns aux autres dans une cohérence artistique évidente.

    A l’inverse, en considérant la filmographie de François Ozon, on l’imagine non pas comme une abeille qui butinerait le pollen pour construire une œuvre (sa ruche…), mais plutôt comme une guêpe opportuniste qui se sert allègrement de ce qu’ont construit les autres, pour arriver à ses propres fins. Car Ozon a cette fâcheuse manie de nous convier à des récits qu’on a l’impression de déjà connaître…

    Et il n’y a aucune pertinence, aucune surprise et encore moins de prise de risque dans ce que nous propose le réalisateur d’ « Une Robe d’Eté », tant tout semble évident et balisé. Son cinéma est confortable, quand il souhaiterait nous faire croire qu’il est subversif. Subversif, Ozon le fut parfois, avec son premier long-métrage, « Sitcom » (1998), puis avec « Huit Femmes » (2001) ou encore « Jeune et Jolie » (2013). Car ces trois films relevaient du parfait mélange entre douceur sucrée, acidité et amertume.

     

    [youtube id= »RmpH_BYAYuY » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    Sans pour autant faire référence à de grands noms du cinéma, on peut d’ailleurs trouver chez François Ozon des accointances avec un autre réalisateur français, qui tente lui aussi depuis des années de nous caser ce qui constituerait son chef d’œuvre : Patrice Leconte. Car il y a incontestablement chez ces deux cinéastes cette même envie, ce même besoin impérieux, de réaliser « le grand film », avec du souffle romanesque et de la virtuosité.

    Tel un élève appliqué et un brin zélé, on retrouve ainsi chez Ozon tout ce dont il s’est nourri chez les autres durant des années. Outre les réalisateurs cités plus haut, on pourrait ajouter à la liste Buñuel et Chabrol, quand il évoque la bourgeoisie, en s’en moquant. La belle affaire, puisque tant Buñuel que Chabrol ont su, quant à eux, si bien décortiquer cette thématique sous divers angles qu’il devenait dès lors présomptueux de tenter de faire mieux, dans le registre de la farce, comme du polar ou de la caricature.

    C’est avec le soutien indéfectible d’une presse en général dithyrambique, une alliée sur laquelle il a pu compter depuis ses tout débuts, qu’Ozon a pu ainsi continuer son petit bonhomme de chemin, sans ne jamais avoir à s’inquiéter ou devoir remettre en cause ce qu’il pense être un talent évident chez lui, celui de brasser avec tant de naturel et de facilité tout ce qu’il touche.

    On retient donc, par pure politesse, des films tout au plus aimables, « Sitcom », « Huit Femmes », « Potiche », « Grâce à Dieu », « Eté 85 ». Mais souvent, lorsque lui vient des envies de cathédrales, on est abasourdi par tant de prétention et de vacuité. « Dans la Maison », « Une Nouvelle Amie », « Frantz », autant de films dans lesquels on sent François Ozon totalement perdu, entre la technique, le cadre, la mise en scène et le jeu des acteurs. Des productions sans aucune direction, aucun fond… On comprend néanmoins ce qu’il cherche à nous montrer, mais le problème, c’est que n’est pas Visconti, Verhoeven, Granier-Deferre ou Sautet qui veut…

    Pour revenir à son dernier film, « Eté 85 », qui bénéficie du sticker « Sélection Officielle Cannes 2020 », là encore attribué par une presse majoritairement bienveillante à son égard, on ne peut que rester incrédule devant ce qui pourrait ressembler à un film de Jean-Daniel Cadinot, sans les scènes de sexe explicites, évidemment, s’il n’y avait pas autant de tapage à son endroit.

     

    [youtube id= »JLaZBRT6Ev4″ align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    Ozon se sent obligé de rendre l’intrigue de son histoire tarabiscotée au possible, peut-être pour mieux créer une ambiance et un malaise, alors qu’avec « Eté 85 », il ne s’agit en fait que d’une petite histoire qu’Eric Rohmer aurait très bien pu porter à l’écran, s’il s’était plus intéressé aux amours homosexuels dans sa filmographie.

    Tout ici est tortueux à souhait et faussement mystérieux, finalement pour pas grand-chose. Mis à part les deux acteurs principaux qui jouent là encore comme dans un film de Cadinot, tous les autres rôles secondaires tiennent plus de la caricature et du faire-valoir que de personnages à part entière. D’un côté, Isabelle Nanty, que l’on a connue un peu plus inspirée, incarnant cette mère prolétaire qui fait sans arrêt le ménage tout en épluchant frénétiquement des pommes de terre, et de l’autre, Valeria Bruni Tedeschi, encore une fois border line et peu servie par l’indigence des dialogues.

    Peut-être eût-il été plus judicieux pour le réalisateur de transposer cette histoire d’amour entre deux adolescents de nos jours, plutôt que de la situer dans des années 80, à grand renfort de tubes de l’époque, pour jouer plus que de raison sur une nostalgie de bon aloi. Car, à part entendre « In Between days » des Cure en ouverture putassière du film, le fameux titre du groupe bien sorti en 1985, « Eté 85 » ne raconte rien d’autre, ni de cette année-là ni de cette période.

    Une fois encore, on voit François Ozon se débattre, totalement incapable d’élargir le cercle de son histoire et du contexte dans lequel il a placé ses deux personnages principaux, pour les faire évoluer dans cette période bien précise. Mis à part une Renault 5 ou un peigne cran d’arrêt, nous repasserons, pour ce qui est du voyage dans le temps et la crédibilité de cette reconstitution temporelle bâclée.

    Non, une fois de plus, tout cela relève de la supercherie et de la paresse intellectuelle, et tout reste fade et insignifiant. Quant à François Ozon, il s’avère incapable de faire briller ses acteurs au-delà de leur possibilité première. Il pourrait être un faussaire de talent, un peu à la manière d’un Quentin Tarantino, qui sait malaxer les références pour nous offrir des objets pop. Mais même ce travail de copiste échoue, car il n’y a pas, derrière, ce sens du travail bien fait, de l’artisanat, de l’orfèvrerie, qui pourrait nous épater, comme lorsque Brian De Palma revisitait les films d’Alfred Hitchcock, en un relecture brillante et inspirée.

     

     

     

  • « Tout Simplement Noir », une sacrée bonne nouvelle

     

     

    Avec le vrai-faux documentaire « Tout Simplement Noir » sorti en salle le 08 juillet, les mauvaises langues n’auront probablement pas manqué de relever qu’on n’aurait pas pu rêver meilleur timing pour ce genre de pochades malpolies.

     

    Et pourtant… « Tout Simplement Noir » aurait dû sortir en avril, donc bien avant l’affaire George Floyd ou le retour sur le devant de la scène médiatique du feuilleton Traoré. Jean-Pascal Zadi, l’acteur principal, concède que juste avant la date de sortie en salle initiale, on a certes assisté au plaidoyer (peu convaincant) de l’actrice Aïssa Maïga lors de la cérémonie des Césars 2020, censé mettre en avant la représentation, selon elle encore insuffisante, des noirs dans le cinéma français ; preuve s’il en est que ce sujet ne date décidément pas d’hier, et qu’il risque de faire encore longtemps partie de ces thèmes sociétaux qui divisent.

    Le pitch de « Tout Simplement Noir », en deux mots : JP, un acteur antillais de 38 ans, quelque peu ringard, vivote grâce à de petites vidéos publiées sur YouTube, où il se met en scène dans des sketchs le plus souvent limites et rarement du meilleur goût… Affublé de chaînes ridicules autour du cou, il interpelle les passants dans la rue. Dans une de ces vidéos, on le voit d’ailleurs se faire rabrouer par Maboula Soumahoro, signe rassurant que la militante de toutes les causes finissant par « iste » peut faire preuve d’un soupçon d’autodérision, probablement à son corps défendant…

    Las de ses pitreries, JP opte finalement pour le premier degré, en tentant d’organiser une marche de la fierté noire dans Paris. On imagine que derrière ce semblant de conscience qui le rattrape, il essaie simplement de faire parler de lui, en s’emparant tant bien que mal de l’alibi communautariste. On assiste alors à ses pérégrinations et rencontres fortuites, avec aussi bien des inconnus que des personnalités plus connues, comme Fabrice Eboué, Joey Starr, Lilian Thuram, Claudia Tagbo, Vikash Dhorasoo, Lucien Jean-Baptiste, Eric Judor, pour ne citer qu’eux.

     

    [youtube id= »pUkmpBAB7UA » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    Le concept de « Tout Simplement Noir » pourrait participer de la parfaite petite bricole opportuniste, de celles qui caressent dans le sens du poil tant la communauté noire, remontée, que la blanche, en mal de genoux à terre. Mais que nenni… Jean-Pascal Zadi, l’instigateur de cette farce caustique, ne compte justement pas rester sur des chemins balisés par l’outrance de la société actuelle et s’en tenir à une quelconque caution politiquement correcte.

    Plus on avance dans le film et plus le projet de JP se délite, au fil des interventions successives des personnalités qui jouent leur propre rôle, en défilant devant lui et sa caméra. Le personnage placide et maladroit campé par Jean-Pascal Zadi nous fait en même temps la démonstration que tout n’est pas si simple et que la question « noire » ne se résume pas à une couleur de peau, ni même à une histoire commune, mais bien aux individus eux-mêmes.

    Avec son physique débonnaire, un peu gauche – on croirait même parfois entendre Homer Simpson – le Martiniquais va bousculer « dans son shaker » tant les préjugés que les clichés qui ont la vie dure. Et cette (fausse) comédie ne va jamais précisément là où on pourrait l’attendre. Renvoyant sans cesse dos à dos les notions de communauté, de religion, de couleur ou de politique, on assiste, non sans une certaine jubilation, à un flot d’autocritique et de petites piques, dans ce qui pourrait constituer une séance d’acupuncture collective et salvatrice.

    « Tout Simplement Noir » est brinquebalant, parfois mal fichu, car ce film ne se pense pas en terme de rythme ou de punchlines, mais plutôt comme une succession linéaire de morceaux d’anthologie, où chacun va rire et souvent jaune. Oui, on rit jaune, orange, rouge, voire noir ou blanc, et on est souvent confronté à nos propres petites lâchetés et hypocrisies.

    Nombre de guests connus acceptent finalement de se prêter à ce jeu de chamboule-tout faussement naïf et premier degré, et nous révèlent leur nature profonde, en grossissant simplement le trait qui les définit néanmoins intrinsèquement, avec une mention spéciale à l’humoriste Fary, dans un contre-emploi assez jouissif.

    À l’heure où tout débat de société est immanquablement séquestré par des minorités bruyantes et toxiques, et où tout se doit d’être binaire, avec d’un côté les éternelles victimes et de l’autre les horribles colonialistes, il faut saluer ce petit film sans prétention qui insuffle une bonne bouffée d’oxygène dans une atmosphère actuelle tellement viciée.

    « Tout Simplement Noir » est une sacrée bonne nouvelle. Et on sort de la projection tout simplement moins con…

     

    [youtube id= »2Uk15jDnJz0″ align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

     

  • Les 40 ans d’Elephant Man

     

     

    « Elephant Man », le chef d’oeuvre de David Lynch, fête ses quarante ans. Pour célébrer cet anniversaire comme il se doit, le film ressort au cinéma ces jours-ci dans une version restaurée 4K, ainsi qu’en Blue Ray.

     

    Découvrir ce film à sa sortie en salle en 1980, quand on a onze ans, c’est un choc, une déflagration. Jusqu’alors, l’enfant n’a pas été en mesure d’observer autour de lui une pareille vision du monde et de ceux qui le peuplent. C’est un peu plus tard, en grandissant, qu’il peut mieux analyser l’œuvre de David Lynch et comprendre ses singularités, son approche et l’incroyable force dont il se pare.

    « Elephant Man » est un classique, un très grand film. Et au-delà de l’émotion qu’il nous procure, il reste encore, quarante ans plus tard, une vision humaniste, sincère et frontale. Mais c’est aussi une piqure de rappel, avec son message universel qui nous dit que peu importe l’apparence ou la couleur de peau, ses origines et son histoire, l’être humain est libre de ses choix et de son destin. Être bon ou mauvais ne dépend que de lui, et certainement pas d’un tiers, de son passé ou de son environnement.

    Produit par Mel Brooks, celui-ci propose à David Lynch, un jeune réalisateur qui vient de se faire remarquer avec son premier film « Eraserhead », de mettre en scène et apporter sa vision personnelle sur cette adaptation au cinéma de la biographie du docteur Frederick Treves, consacrée à la courte et tragique vie du phénomène de foire John Merrick, atteint d’une maladie orpheline et incurable, la neurofibromatose, et exploité pour l’extrême difformité de son corps.

    Avec son noir et blanc intense et mélancolique, David Lynch choisit de jouer sur les apparences et bousculer les conventions. D’un côté, le réalisateur met en exergue l’hypocrisie ambiante et le lissage de ces conventions dans la société victorienne, au coeur même de cette Angleterre de la fin du 19ème. De l’autre, il nous dépeint le côté obscur de l’époque, avec son peuple et ses gens ordinaires, et nous confronte à ce que l’on peut ressentir viscéralement face au spectacle de la monstruosité, sans protocole ni politesse outrancière ; cette monstruosité dont Lynch se sert à dessein, pour émouvoir sans sensiblerie, en nous rappelant tout de même que derrière chaque aspect se cache avant tout un homme.

    « Elephant Man » fait directement référence au film « Freaks » de Tod Browning sorti en 1932, avec l’univers du cirque et de ses êtres « différents » qui vont aider John Merrick à s’échapper de la cage dans laquelle il est enfermé. Des monstres finalement plus humains que les humains, emprunts de solidarité et de bienveillance.

    Anne Bancroft et Anthony Hopkins, les deux interprètes principaux, composent chacun dans leur rôle respectif d’infinies variations, entre contradictions, paradoxes et hésitations, face à ce qui les dépasse et les questionne. Quant à John Hurt qui campe un John Merrick plus vrai que nature, noyé sous d’innombrables couches de latex pour les besoins du maquillage créé par Christopher Tucker, il est saisissant de justesse.

    Et malgré l’aspect général de ce corps qui n’a plus rien d’humain, l’acteur impose son jeu bouleversant, où tout se passe dans le regard et cette façon maladroite qu’il a de se mouvoir, pour parvenir à nous émouvoir aux larmes. Car si on pleure tout au long du film, ça n’est pas tant du fait de l’apparence ou de la démarche du personnage que John Hurt incarne avec une telle vérité, mais plutôt qu’il parvient de façon imparable à nous forcer à affronter notre propre honte.

    La musique du compositeur John Morris participe aussi pleinement à la réussite du film. Il empreinte ainsi l’Adagio pour cordes de Samuel Barber pour les besoins du final, lorsque John Merrick s’endort pour la dernière fois dans son lit, où il veut s’allonger comme l’enfant du petit tableau accroché au-dessus de lui. Il sait qu’en s’endormant de la sorte, il mourra par asphyxie…

    Avant de mettre fin à cette existence de souffrance et d’enfermement, il contemple une dernière fois les objets qu’on lui a offerts, la maquette de l’église qu’il a construite, qu’il a signée de son nom comme s’il s’agissait d’une œuvre accomplie, puis se couche. Le film se termine sur la voix de sa mère ainsi que sur l’image du petit portrait de celle-ci en médaillon qui apparaît : « rien, rien ne meurt jamais ».

    Il s’endort paisiblement, non pas comme un animal ni même un éléphant, mais simplement comme un homme…

     

    [youtube id= »xgL998GyCik » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

     

  • Une Palme d’or et des films en bois

     

     

    Faute au Covid-19 et par mesure de sécurité, respect des gestes barrières et tout le toutim, pas de Festival de Cannes cette année. Sans cet imprévu inédit qui aura sacrément bousculé l’actualité du monde ces derniers mois, la grande fête du cinéma aurait dû s’achever le 23 mai, avec un palmarès qui aurait sans doute une fois de plus divisé.

     

    Spike Lee devait être le président du jury de cette édition 2020 et on espérait de sa part des partis pris résolument éclectiques et pertinents. Autre ironie du sort, puisqu’avec le réalisateur noir américain toujours très engagé, il aurait flotté dans l’air comme un parfum prémonitoire, compte tenu des événements survenus par la suite dans le courant du mois de juin, notamment aux Etats-Unis, bousculant certitude, émotion et revendications diverses.

    Il y avait bien-sûr une liste de films sélectionnés, dévoilée par Thierry Frémaux et Pierre Lescure le 03 juin dernier, mais ceux-ci seront finalement présentés dans d’autres festivals dès la rentrée, ou bien sortiront directement en salle, en étant néanmoins labellisés « Festival de Cannes 2020 ». Toujours est-il que la plupart de ces films n’auront pas pu bénéficier de l’aura du prestigieux rendez-vous de mai et de sa célèbre magie, celle qui embellit, qui customise et qui légitime.

     

     

     

    Tel un vulgaire éternuement dans son coude, cette 73ème édition du Festival va par conséquent vaporiser dans l’air ces 56 films, qui auraient dû normalement être projetés à Cannes cette année, soit dans le cadre de la sélection officielle soit dans l’une des autres catégories (La Quinzaine, Un Autre Regard, …).

    Entre les productions les plus attendues, comme « The French Dispatch » de Wes Anderson, « Été 85 » de François Ozon, « Lovers Rock » de Steve McQueen, « ADN » de Maïwenn, « The Real Thing » de Kōji Fukada et tous les autres, les habitués de la Croisette, les sempiternels chouchous, les éternels outsiders, les inoxydables revenants, le tout saupoudré de nouveaux concepts dans l’air du temps, entre parité, minorités et sujets devant coller le plus possible à l’actualité ou à la société, Cannes est devenu ce gigantesque chaudron, où le cinéma n’aurait finalement plus trop son mot à dire, laissant la place aux maux et tumultes du monde.

     

    [youtube id= »w1GFLATs2Qw » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    N’ayant pu voir à ce jour aucun de ces films, nous reviendrons plutôt sur ces Palmes d’or qui n’ont pas toujours été du goût de tout le monde, ou encore sur ces films célébrés comme s’il s’agissait de chefs d’œuvre absolus, alors que rétrospectivement, il n’en reste pourtant plus grand-chose aujourd’hui…

    Plus qu’un festival international où robes de couturiers hors de prix, smokings, champagne et autres promesses de distributeurs ou de producteurs voltigent, passent et trépassent, Cannes représente depuis sa création en 1946 tout ce qui se doit d’être le plus prestigieux, le plus Français, en quelque sorte, malgré la valse incessante des films (ou devrions-nous dire produits ?) venus de tous les horizons et sélectionnés pour cette grande kermesse, cette foire aux vanités.

    Parenthèse enchantée d’une dizaine de jours durant laquelle on célèbre pelle-mêle le luxe, les sourires éclatants, le chic bon teint et paradoxalement, depuis une vingtaine d’années, des films sociaux qui dépeignent une réalité crue. Époque oblige, les derniers jurys qui se sont succédés se sont sentis investis d’une mission souveraine, divine, remarquable, fondamentale : faire rentrer au forceps cette dure réalité de la vie dans ce sanctuaire du « trendy ».

     

    [youtube id= »ZWkVx0mos5g » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    Dès 1999, avec le premier film des frères Dardenne, « Rosetta », David Cronenberg (président du jury cette année-là) décide de casser la chaine en or, en récompensant un film qui dépeint la misère sociale près de chez nous, la souffrance d’un pan d’une population malmenée par le grand capital.

    Ce film tout droit sorti d’un épisode de l’émission belge « Strip Tease » nous fait subir ce qu’endurent les gens pauvres au quotidien, entre licenciement, recherche d’emploi, environnement sinistre, avec comme point d’orgue le morceau de bravoure, une Emilie Dequenne traînant pendant un quart d’heure une bonbonne de gaz trop lourde pour elle jusqu’à la caravane où elle habite. Cut. Noir, générique de fin… Les lumières se rallument. Applaudissements. Ferveur. A l’aube de ce 21ème siècle, qui contrairement à celui qui s’achève, saura forcément protéger l’humanité des guerres et des pandémies, un public trié sur le volet, vêtu de pied en cap de Givenchy et Balenciaga, redécouvre que la pauvreté existe encore, et ça lui semble tellement sexy…

    À l’époque, toute la presse dite de gauche crie au génie, salut l’audace du jury et les deux frères réalisateurs deviennent instantanément les chouchous du festival. Car il faut bien admettre que c’est tellement exotique, toute cette misère que l’on vient déverser sur la Croisette, pour le simple divertissement des festivaliers…

    Les frères Dardenne remporteront une deuxième Palme six ans plus tard avec « L’Enfant » et encore une histoire collant à une certaine réalité sociale, sans que ne soit livrée une quelconque signification du pourquoi on fait des films pour le cinéma. Depuis, les deux cinéastes belges sont présents chaque année sur la Croisette avec un nouveau film, traitant avec morgue et générique sans musique de notre monde dysfonctionnel, avec à l’affiche des acteurs connus, venus « se mettre en danger ».

     

    [youtube id= »xn91zZGmoTw » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    En 2000, c’est au tour de Lars von Trier, encore bien vu par la profession à l’époque, de repartir avec la suprême récompense, même si la comédie musicale « Dancer in the Dark » n’est certainement pas le film le plus réussi du réalisateur de « Breaking The Wave ». Là encore, cette histoire de travailleuse humiliée, bafouée, jugée puis condamnée à mort, remporte l’adhésion. Avec Luc Besson comme président du jury cette année-là, on aurait pu raisonnablement attendre que son choix se porte sur un autre film que cette longue agonie de Björk pendant 02h20… L’artiste islandaise y déroule ses chansons tout en travaillant d’arrache-pied à la chaîne d’une usine métallurgique dans l’Amérique profonde, décor principal du troisième opus de la « Trilogie Coeur d’Or ».

    On connait le goût prononcé du cinéaste danois pour torturer et humilier les actrices dans ses films. Ici, c’est donc Björk qui s’y colle, telle la fashion addict devant une paire de chaussure Jimmy Choo, probablement attirée avant tout par cette hype entretenue autour du réalisateur, avant que celui-ci ne soit conspué quelques années plus tard et ne finisse par tomber en désuétude, pour avoir joué dangereusement avec les limites du point Godwin… Catherine Deneuve fera aussi partie du voyage. Au final, rétrospectivement, avec « Dancer in the Dark », on reste sur un gros malentendu…

     

    [youtube id= »_JouFRNwDqc » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    Dans la liste des autres chouchous qui sont présents chaque année dans la sélection cannoise, que leurs films soient bons ou torchés, d’ailleurs, on trouve forcément l’indéboulonnable Michael Haneke ; l’imperturbable réalisateur autrichien qui, quoiqu’il arrive, ne manquerait pour rien au monde une édition du festival, toujours avec son dernier film sous le bras, dans son holster, prompt à nous dégainer sa morale. Lui aussi remporte deux Palmes, d’abord avec « Le Ruban Blanc » en 2009, une histoire sur la naissance du mal et l’éternel traumatisme allemand de ces années d’avant-guerre, où les germes du nazisme apparaissaient sans que personne ne s’en offusque pour autant. Un film boursouflé et vain, enrubanné d’une somptueuse photographie en noir et blanc, afin de tenter de camoufler la vacuité et la prétention du propos.

    Trois ans plus tard, c’est le film « Amour » qui est récompensé  en grande pompe. « La vieillesse, c’est pas bien » aurait pu être le slogan collé sur l’affiche du film ou accompagnant le dossier de presse. Ici, on nous gratifie pendant plus de deux heures de la lente décrépitude d’un couple de vieillards au crépuscule de leurs vies (troubles intestinaux compris…), mais avec néanmoins un casting 4 Etoiles (Jean-Louis Trintignant, Emmanuelle Riva et Isabelle Huppert).

    Ce ne sont ni le manque de point de vue ni les faibles qualités de mise en scène qui nous laissent sceptiques devant ce spectacle d’entomologiste zélé et un brin psychopathe, mais plutôt qu’il y ait autant d’actrices et d’acteurs si talentueux qui se pressent systématiquement pour en être, à chaque nouveau projet dans lequel se lance le réalisateur de « Funny Games ».

     

    [youtube id= »AOQhJYz4nZ4″ align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    « Dheepan », Palme d’or en 2015, n’est pas le meilleur film de son auteur, Jacques Audiard, loin s’en faut. Bon, estimons-nous heureux, nous l’avons échappé belle, car un autre film, son principal rival, « La Loi du Marché » de Stéphane Brizé, était pressenti pour remporter la plus haute distinction cette année-là. Il devra se contenter du prix d’interprétation masculine pour Vincent Lindon.

    Avec ces deux films, en tout cas, on nage la brasse coulée dans le social avec Palme (plaquée or), masque et tuba, pour aller contempler de plus près chômage, banlieues, petites gens et un nouveau parangon devenu incontournable, l’immigration. Et il faut reconnaître qu’en 2015, le Festival de Cannes a bien coché toutes les cases. Résultat des courses, tout le monde tombe en pâmoison devant toutes ces vieilles lubies post soixante-huitardes enfin remises au goût du jour. « Fini, le cinéma bourgeois ! », clame-t-on du haut des marches. C’est le retour de l’Internationale…

     

    [youtube id= »wKCfeU8Wv8k » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    En 2016, c’est au tour de Ken Loach d’être de nouveau récompensé pour « Moi, Daniel Blake », dix ans après sa précédente Palme d’or pour « Le Vent se Lève ». Lui aussi est sélectionné pratiquement chaque année… Mais s’il y a bien un réalisateur au monde capable d’être vraiment formaliste tout en traitant le sujet social comme personne, c’est bien lui. Ses films sont le plus souvent des réquisitoires contre le monde de l’argent, mais Ken Loach n’oublie jamais l’essentiel : faire avant tout du cinéma, faire exister ses personnages et passionner le spectateur pour ses histoires, sans l’assommer où le regarder de haut.

    Car l’Anglais n’occulte jamais la notion de plaisir, même si chacune de ses œuvres donne à réfléchir, force à se questionner ou à tout remettre en cause. Ken Loach ne se cache pas, soit derrière un misérabilisme antipathique comme les frères Dardenne, soit le naturalisme ennuyeux et sentencieux de Stéphane Brizé ou encore la pose prétentieuse et arrogante du cinéma de Michael Haneke. Loin de toutes ces afféteries, le réalisateur britannique de « Sorry We Missed You » serait finalement le seul à mériter son rond de serviette sur la Croisette, même pour parler de politique et d’engagement.

     

    [youtube id= »ixCIp0CcR5k » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    Mais Pedro Almodóvar, dans tout ça ? Sauf erreur ou oubli, le réalisateur espagnol, que l’on convoque pourtant chaque année à Cannes, repart systématiquement bredouille. Et ce n’est pas faute de nous y avoir offert des films magnifiques, toujours à la gloire de ce cinéma que l’on adore, comme son dernier opus, « Douleur et Gloire » en 2019, une véritable merveille.

     

    [youtube id= »zwS9zeJ_YjM » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    En 2017, c’est justement sous la présidence d’Almodóvar que le choix de la Palme d’or s’est étrangement porté sur « The Square » du Suédois Ruben Östlund ; un pensum prévisible, parfait exemple du film qui court les festivals et dans lequel on traite laborieusement de tous nos maux actuels, en une série de vignettes vernies à l’épate. Face à lui, le film de Robin Campillo, « 120 Battements par Minute », fait quant à lui l’unanimité. Avec son sujet pourtant exactement dans la ligne de mire des débats de société de l’époque et un bouche à oreille sans fausse note, le film du réalisateur du formidable « Eastern Boys », repartira malgré tout avec le Grand Prix du Jury.

     

    [youtube id= »FTjG-Aux_yQ » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    Francis Ford Coppola appartient au cercle très fermé des réalisateurs récompensés à deux reprises, pour « Conversation Secrète » en 1974 et « Apocalypse Now » en 1979), avec le Danois Bille AugustPelle le Conquérant » et « Les Meilleurs Intentions »).

    Mais au-delà de la subjectivité, des goûts et des couleurs, des intérêts ou de ce vernis crypto-politico-bien-pensant passé à soi-même, Cannes regorge bien évidemment, et surtout (heureusement…) de films passés à la postérité, depuis « Quand Passent les Cigognes » (1958) à « Paris, Texas » (1984), en passant par « La Dolce Vita » (1962), « Le Guépard » (1963), « Blow Up » (1966), « L’Epouvantail » (1973) ou « Le Tambour » (1979).

     

    [youtube id= »e_sUpjVgqU4″ align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    Et pour finir, revenons sur le dernier sacre de la cuvée 2019, « Parasite ». Succès surprise en salle, critique de surcroît, le film est naturellement gratifié de la récompense suprême. Bong-Joon-Ho, le réalisateur sud-coréen auteur de films remarquables tels que « Mother », « The Host » ou « Memories of Murder », est arrivé à Cannes sur la pointe des pieds, sans se douter un seul instant que « Parasite » allait finalement devenir son chef d’œuvre absolu, aux yeux d’un jury assez sûr de lui sur ce point… Mais en l’occurrence, ça n’est pas le cas, maintenant que l’hystérie est retombée et que les superlatifs sont retournés dans leur boîte jusqu’à la sortie d’un prochain film que le public plébiscitera de manière tout aussi irrationnelle.

    Si « Parasite » n’en est pas pour autant une purge, il a néanmoins bénéficié du parfait timing. Car tous ces jurys qui se sont enchaînés (dans les deux sens du terme…) depuis vingt ans, sans s’être donné le mot, ont un peu trop abusé de la caution « film sociétal », en y rajoutant trop souvent une bonne pincée d’austérité ; quand, dans le même temps, nous avons également eu droit à une vague de films dits d’auteur, pourtant magnifiques mais auxquels le grand public est resté complètement hermétique : « Winter Sleep » (2014), « The Tree of Life » (2011), « Oncle Boonmee » (2010), « Elephant » (2003), et encore bien d’autres œuvres plébiscitées par les critiques exigeants.

     

    [youtube id= »3BrSkHq8Ajo » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    Alors, c’est dans ce contexte que « Parasite » a réussi l’exploit d’être le mix presque parfait, voire miraculeux, entre film sociétal (une famille pauvre qui s’oppose à une riche) et comédie, avec ce ton empreint d’acerbe et de burlesque (on pense évidemment à Claude Chabrol ou à Luis Buñuel).

    Et le réalisateur de « Okja » n’aurait plus eu qu’à saupoudrer son histoire de ces prestigieuses références pour que le mélange devienne parfait, mais hélas il semblerait que quelqu’un ait dévissé le capuchon et que tout le sel, le poivre et le sucre se soient déversés dans la préparation… En substance, un discours assez appuyé, trop ironique et cinglant, venu brouiller l’idée initiale de renvoyer dos à dos deux castes opposées dans cette lutte des classes qui va virer au cauchemar.

    Car « Parasite » est dans toute sa première partie magnifiquement mis en scène. Tout s’y imbrique parfaitement en une redoutable symbiose entre le décor – la maison moderne, presque intimidante, habitée par les riches et filmée comme un protagoniste à part entière – et tous ces personnages qui sont un à un détaillés.

    Mais le film ne va hélas pas tenir la distance et s’écroule de tout son poids dans la deuxième partie, avec l’apport au chausse-pied d’improbables coups de théâtre, plus grotesques qu’inspirés, pour ne pas savoir se terminer et s’étirer jusqu’à ce final pataud et raté…

     

    [youtube id= »QT8Hj3yYFLI » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    Face à « Parasite », on nous proposait pourtant « Le Traître » du réalisateur italien Marco Bellocchio (81 ans), un chef d’œuvre absolu, impressionnant de maîtrise et de force, qui est hélas passé totalement sous les radars. Car ce film était définitivement le vrai choc de cette sélection cannoise 2019. Au final, pratiquement personne ne l’a vu en salle, la presse n’ayant pas jugé utile ou politiquement correct de mettre en avant cette histoire de Cosa Nostra. Sans doute pas assez de social, de pauvres, de chômeurs, de migrants, de femmes maltraités ou de bébés koalas violés…

    Malheureux et de surcroît tellement révélateur du constat terrible que le Festival s’est perdu au fil de ces vingt dernières années, tant « Le Traître » est un film majeur, une oeuvre jubilatoire, une pépite et une énorme baffe dans la tronche des cinéphiles et des amoureux de cinéma. Et c’est ce que l’on aime, non ? Mais les voix de la hype et du clientélisme en ont décidé autrement et « Parasite » est devenu l’archétype du film qu’il faut absolument avoir vu pour ne pas mourir idiot ; une oeuvre drôle, cruelle et futée à la fois, qui fait du bien à notre intelligence et qui nous flatte juste ce qu’il faut pour nous laisser y croire…

    Et si finalement le Festival de Cannes avait définitivement perdu son âme et qu’il ait été, comme toutes les autres institutions, rattrapé par Google et ses algorithmes, qui déterminent en temps réel ce que l’époque, le marché ou les masses attendent d’un film… Ce qu’ils veulent voir… ou plutôt consommer.

     

     

     

  • Philippe Sarde, le scénariste musical

     

     

    S’il y a un compositeur de musiques de films qui a toujours su exprimer et retranscrire l’esprit français, dans ses paradoxes, ses doutes ou ses emportements, c’est bien Philippe Sarde. Ce mélange de culture, d’étrangeté, d’élégance, qui définit ce que nous sommes et qu’il transforme en mélodies, au service de toutes ces histoires filmées pour le cinéma. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que ce sont les réalisateurs les plus ancrés dans une certaine tradition hexagonale qui ont eu recours à son inspiration.

     

    C’est avec Claude Sautet que Philippe Sarde, le frère du producteur Alain Sarde, débute et qu’il acquiert très tôt une certaine reconnaissance fondée sur un talent évident et une exigence déjà très affirmée. En effet, il a tout juste vingt ans lorsqu’il imagine ce que l’on entendra deux ans plus tard dans « Les Choses de la Vie », le troisième film du réalisateur de « Classe Tous Risques ». Incroyablement en phase avec le drame qu’elle est censée illustrer, sa musique devient comme une seconde peau…

    Car ce jeune homme pétri de cinéma depuis l’enfance se permet de combler les vides et les séquences sans dialogue pour y définir la pensée à l’instant t de tel ou tel personnage. Il se revendique d’ailleurs lui-même comme « un scénariste musical ». Il faut savoir qu’à 17 ans, Philippe Sarde réalisait son premier court métrage et envisagea un temps de poursuivre dans cette voie. Mais Vladimir Cosma, qui l’aidera à orchestrer la bande originale de cette première œuvre, décèlera déjà en lui d’indéniables qualités qui détermineront le choix du jeune homme pour la musique.

     

    [youtube id= »dExH2uaWVzI » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    « Les Choses de la Vie », porté par des acteurs inoubliables, est le premier très grand succès, tant public que critique, de Sautet. Quant au score, il va lui aussi contribuer à la renommée du film et devenir un classique absolu, grâce notamment à la « Chanson d’Hélène » chantée par Romy Schneider avec la contribution de Michel Piccoli, sur un texte de Jean-Loup Dabadie.

    Outre cette chanson incontournable, on se souviendra aussi de cet autre morceau de bravoure, composé pour la scène de l’accident de voiture. Cette manière minutieuse de sculpter les sons, de les ciseler, de les modeler à chaque image, notamment durant tout le montage et le découpage des plans de l’accident, qui restera un modèle du genre.

    Philippe Sarde entremêle les sons, qui deviennent matière et texture. D’abord tout en douceur puis avec des fulgurances, comme des chocs, comme le chaos. On y entend la tôle se froisser, la peur, la violence de l’accident, mais aussi les choix et la vie même de Pierre, en suspens dans cette inoubliable scène qui fera école et qui sera étudiée dans les académies de cinéma du monde entier.

     

    [youtube id= »ksyoQZrBBFE » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    Avec ce premier coup de maître, Philippe Sarde laisse dès lors augurer de toute l’étendue de son talent profond et novateur. A mesure que l’on plonge dans ses créations, on se rend compte que non seulement son travail s’inscrit dans le temps, quelle que soit d’ailleurs l’époque à laquelle se déroule l’action, mais qu’il résonne également en nous, au diapason de nos propres histoires et de nos sentiments les plus profonds. Derrière cette façon toujours empreinte de modestie, au premier abord, d’exprimer sa musique, se cache une incroyable puissance, qui nous étreint et nous comprime le cœur.

    Philippe Sarde est né au beau milieu des partitions et du cinéma, entre une mère chanteuse à l’Opéra de Paris et un parrain, Georges Auric, qui composera le score de « La Grand Vadrouille ». L’un de ses frères, Alain, deviendra quant à lui producteur de films. Baignant ainsi depuis toujours dans cette ambiance créative, son sort était donc scellé et la voie toute tracée pour le jeune homme…

    Plutôt discret et avare en démonstrations mondaines – « People », dirait-on aujourd’hui – il faut bien reconnaître que Sarde ne s’est jamais vraiment rendu disponible pour les entretiens ou diverses interviews. Car il préfère de loin consacrer son temps à ses recherches musicales, dans la pénombre du studio, là où il se sent le mieux. Et il laisse aux autres le soin de décrypter sa musique, plutôt que d’avoir à courir les plateaux pour y dévoiler ses tours de magie…

    A chaque nouveau projet qu’il entreprend, il ressent le besoin de sans cesse surprendre en se réinventant, en tentant de repousser les limites de ses explorations, toujours en quête de nouvelles sources d’inspiration, avec l’aide précieuse d’autres musiciens qu’il va chercher un peu partout, comme le saxophoniste américain Stan GetzMort d’un Pourri »), Chet Baker et sa trompette fiévreuse (« Flic ou Voyou »), l’ensemble de musiciens argentins spécialiste du bandonéon, Cuarteto CedronUne Étrange Affaire ») ou encore le violoniste Stéphane GrappelliBeau Père »). Il n’hésite pas non plus, pour des projets de plus grande envergure, à faire appel au célèbre London Symphony OrchestraLord of The Flies »).

     

    [youtube id= »tjdisCpQWIk » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    Mais Philippe Sarde est aussi toujours en quête de nouveaux sons, avec une approche sans cesse renouvelée pour mieux appréhender l’œuvre qu’il doit habiller. Il ne va donc jamais là où on l’attend… Car il y a bien de la malice, voire de la roublardise, à jouer ainsi avec l’inspiration et les joies de la création. On se souvient par exemple du thème créé pour le film « Le Choc » de Robin Davis, avec Catherine Deneuve et Alain Delon ; un film assez quelconque, certes, mais on se souvient néanmoins de cette musique jouée avec des instruments moyenâgeux, conférant ainsi au projet une atmosphère singulière.

    Philippe Sarde est aussi un homme d’amitié et de fidélité. Il conçoit ses collaborations professionnelles d’abord parce qu’il s’entend avec ceux qui vont travailler avec lui. Claude Sautet, bien-sûr, mais aussi Georges Lautner, Jacques Doillon, Pierre Granier-Deferre, Marco Ferreri, André Téchiné ou Bertrand Tavernier vont tisser avec lui de longs parcours tous différents, mais fondés sur la même envie.

    Philippe Sarde, l’homme aux multiples horizons et aux motivations diverses, s’inscrit parfaitement dans le paysage musical classique français. Il est à sa manière un digne successeur des grands formalistes de la fin du 19ème et début 20ème, entre Debussy, Ravel, Satie ou Poulenc. Avec élégance et tact, il crée un univers subtil qui ne se martèle jamais, comme chez les Allemands, les Russes et tous les compositeurs d’Europe de l’Est. Chez Sarde, la musique est « vaporisée », suggérée. Même s’il ne s’en revendique pas, Philippe Sarde propose depuis ses débuts et au fil de ses collaborations, une musique qui ne prend jamais le dessus sur l’image qu’elle est censée habiller. Au contraire, elle se conçoit toujours comme un élément diégétique et complémentaire.

     

    [arve url= »https://vimeo.com/76864910″ align= »center » title= »Philippe Sarde, un voyage musical dans l’histoire du cinéma » description= »Philippe Sarde » maxwidth= »900″ /]

     

     

    Parmi l’impressionnante liste des musiques qu’il a composées depuis 1969, certaines sont devenues des classiques absolus, au même titre que les films qu’elles illustrent. Des thèmes que l’on garde en tête et qui s’avèrent être au fil des années nos musiques à nous, la bande originale de notre propre vie. Ainsi, avec « Les Choses de la Vie » déjà évoqué au début de l’article, nous retiendrons cinq autres films qui montrent l’étonnante richesse et la variété de l’oeuvre de Philippe Sarde.

     

    Pour le film « Le Chat » de Pierre Granier-Deferre et son final, il y a d’abord ce thème au piano qui est ensuite rejoint par un petit ensemble à cordes, tout en dépouillement, en retenue, pour se libérer ensuite des convenances, affronter le chagrin de plein fouet et finalement contempler la mort et l’oubli.

     

    [youtube id= »Umr709DJPOg » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    « Vincent, François, Paul et les Autres » convoque tout d’abord un peu d’accordéon, pour bien nous signifier que c’est une histoire qui se déroule en France, mais une histoire chorale. Puis vont s’enchaîner tour à tour plusieurs instruments qui, en quelques ruptures de ton, vont chacun jouer leur propre partition. On peut ainsi y voir en filigrane tous ces personnages brossés par Sautet dans le maelström de la vie.

     

    [youtube id= »7h5Uq7VYvqk » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    1981, « Coup de Torchon ». Pour cette histoire tirée d’un roman de Jim Thompson et dont Bertrand Tavernier a préféré réadapter l’intrigue originelle en la transposant dans l’Afrique coloniale des années 30, théâtre et représentation tragi-comique de personnages plus pourris les uns que les autres, Philippe Sarde opte pour une musique d’abord presque abstraite, onirique et fantastique, puis qui se précise en un lent et suave tango jazzy, une sorte de boléro grandiloquent à base de cuivres et de percussions.

     

    [youtube id= »-g026C9WeFU » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    En 1981, Philippe Sarde compose également la musique de « La Guerre du Feu ». Pour ce film hors du commun réalisé par Jean-Jacques Annaud, il aura fallu trouver le ton juste, d’abord pour éviter de tomber dans les pièges et les poncifs du genre, mais aussi pour insuffler de l’âme à l’histoire tout en campant le décor de situations inédites ou juste évoquées sur des peintures rupestres. Il résulte de ce pari risqué et audacieux une symphonie brillante et élégiaque, où l’on nous parle des éléments originels. Symphonique, tribal, atonal ou mélodique, Sarde utilise tout ce dont il peut disposer dans sa malle magique pour nous transporter à l’époque des premiers hommes.

     

    [youtube id= »qLCyejerCgE » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    Et puis pour finir, nous ne pouvions pas nous quitter sans avoir évoqué « César et Rosalie » et son thème qui accompagne la lettre que lit Rosalie (Romy Schneider) s’adressant à David (Sami Frey), puis ce même thème qui revient à la fin du film, lorsque César (Yves Montant) et David sont en train de déjeuner au rez-de-chaussée d’une maison dont la fenêtre donne sur un jardin et la rue. Dehors, un taxi s’arrête devant la maison. C’est Rosalie qui en sort.

    Elle s’immobilise derrière la grille du jardin et contemple un instant ses deux anciens amants aujourd’hui réunis, que l’on peut distinguer par la fenêtre ouverte. David aperçoit Rosalie en premier puis c’est au tour de César. David regarde César qui regarde Rosalie, en une figure triangulaire amoureuse, puis tous deux contemplent sans rien dire la femme qu’ils ont aimée et qu’ils aiment probablement encore. Rosalie s’apprête à rentrer en franchissant la porte du jardin. L’image se fige sur son visage et la musique de Sarde monte. Générique de fin…

     

    [youtube id= »BiQ4OBqTtIU » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    Tout le cinéma français est résumé dans cette scène, dans ce qu’il a de plus classique, pur, romantique, romanesque, simple, beau, bouleversant. Et la musique de Philippe Sarde est omniprésente, sans jamais trop en faire… Elle nous tient par la main, sans jamais la serrer. Et elle nous accompagne de nouveau sur nos chemins à nous ; une musique pour nous et nos sentiments.

     

    [arve url= »https://vimeo.com/52992048″ align= »center » title= »Philippe Sarde, César 1977 de la Meilleure Musique pour Barocco & Le Juge et l’Assassin » description= »Philippe Sarde » maxwidth= »900″ /]

     

     

    ✓ Extrait de « Philippe Sarde, un voyage musical dans l’histoire du cinéma » de Frédéric Zhamochnikoff et Frédéric Chaudier (Flair Production)

    ✓ Photo à la Une : Victoria Mayet

     

     

     

  • Jean-Loup Dabadie, l’horloger de nos cœurs

     

     

    Comme dans la loi des séries, l’effet domino, ou finalement pour une simple question générationnelle, dimanche dernier, c’était au tour de Jean-Loup Dabadie de partir…

     

    Partir loin ? Non, juste la première à droite et puis tout droit et ensuite à gauche, oui, là, cette grande maison avec le jardin. On pousse la grille en fer forgé, puis on traverse une allée bordée d’un parterre de fleurs. Il y a la porte d’entrée restée ouverte pour l’occasion ; « rentre ! On est là, dans la cuisine. C’est plus grand pour mettre la table. on est trop nombreux ». Ils sont tous attablés. Claude, Yves, Lino, Philippe, Michel, qui vient juste d’arriver lui aussi, et puis l’autre Claude, Jean et encore Yves… Oui, ils sont tous là, à manger, boire et surtout bien se marrer.

    Jean-Loup Dabadie était ce dialoguiste précieux, à la hauteur de sa pudeur naturelle et de son humilité. Il a fait parler au cinéma des personnages plus vrais que nature, débordant d’humanité et de justesse. Toujours en essayant d’être au plus près de la vérité, il a confectionné, sans que l’on en voit les ficelles, des échanges pourtant simples mais qui sont devenues des évidences et des modèles du genre.

    Toujours loin de l’emphase et des effets d’épate, Jean Loup Dabadie a su marquer durablement le paysage du cinéma français, par ses saillies tour à tour drolatiques ou émouvantes, parce qu’elles ont toujours sonné vrai.

     

    « C’est toujours mieux entre copains. on se sent moins seul, moins con… »

    Et puis nous qui restons là dans notre coin, à les voir ainsi un à un disparaître, tous ceux qui nous ont tellement apporté en humanité, en évidence, en douceur et en joie. Jean-Loup Dabadie, ce dialoguiste hors pair, ce ciseleur, ce peintre impressionniste, le psy que l’on aurait voulu connaître, pour apaiser nos névroses. Jamais plus, jamais moins, jamais trop, juste là, posé, à peine, simplement, évidemment, inconditionnellement.

     

    « Ce n’est pas ton indifférence qui me tourmente, c’est le nom que je lui donne, la rancune, l’oubli. David, César sera toujours César, et toi, tu seras toujours David, qui m’emmène sans m’emporter, qui me tient sans me prendre et qui m’aime sans me vouloir… » 

    Voilà, c’était aussi ça, Jean-Loup Dabadie…

     

     

     

  • Vladimir Cosma, la petite musique de notre enfance

     

     

    Cette enfance… Pour toutes celles et ceux qui ont grandi, biberonnés à Pierre Tchernia, Jacques Rouland et leurs émissions « Monsieur Cinéma » puis « Mardi Cinéma », « La Séquence du Spectateur » ou « Le Film du Dimanche Soir », dont le jingle en préambule, composé justement par Cosma, déroulait une musique aux accents disco et tonitruants, avec ces étoiles qui semblaient traverser la lucarne du téléviseur et annonçaient une super soirée en perspective… Cette enfance avait ce parfum doux et sucré qu’ont les desserts et la crème fouettée.

     

    Car ces émissions constituaient des rendez-vous incontournables, en mettant à l’affiche tous ces films populaires et grand public sortis à cette époque bénie. Tout au plus une quinzaine d’années, comme une parenthèse enchantée, durant laquelle Jean-Paul Belmondo, Pierre Richard et Louis de Funès tenaient invariablement le haut du pavé. Chacune de leurs apparitions au cinéma, puis à la télévision, attirait ainsi les foules dans les salles ou devant leur poste. Des noms qui devenaient magiques, à leur seule évocation par les speakerines ou Michel Drucker…

    « Les Aventures de Rabbi Jacob », « L’Aile ou la Cuisse », « L’Animal », « Le Distrait »… On se souvient de tous ces films, qu’ils eussent été bons ou médiocres, déjà pour leur générique ; une musique, un ton, ces mélodies accrocheuses dès la première écoute, et souvent le même nom derrière toutes ces compositions : Vladimir Cosma. Avec ces films, c’était toujours la promesse d’une fête, d’une irrésistible joie conférée, un moment où notre rire devenait un antidote.

     

    [youtube id= »4Yw9apKUNWY » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    Vladimir Cosma, violoniste d’origine roumaine, issu de surcroît d’une grande famille de musiciens, aurait pu se contenter d’exercer une activité plus prestigieuse et surtout moins hasardeuse… Il avait en effet entamé sa carrière comme compositeur-musicien, avec déjà à son actif un certain nombre de contributions tant au classique qu’au jazz. Mais en 1968, Yves Robert le sollicite pour composer la musique de son nouveau film, « Alexandre le Bienheureux », d’abord proposée à Michel Legrand, que celui-ci décline finalement, trop accaparé par moult autres projets ; Michel Legrand, qui jouissait déjà à l’époque du même prestige que des Georges Delerue ou Antoine Duhamel

    Pour Vladimir Cosma, il s’agit bien à ce moment précis de prouver beaucoup, au risque de tout perdre. Ce qui frappe, à la première écoute du score de ce film avec Philippe Noiret et Marlène Jobert, c’est que Cosma s’inspire assez des musiques de Michel Legrand et du chemin créatif que ce dernier aurait probablement emprunté pour illustrer les images du film. Le ton romanesque, positif et clair de la musique de cet « Alexandre le Bienheureux » rappelle en effet immédiatement d’autres partitions du compositeur d’« Un Été 42 », « Les Mariés de l’An II » ou « La Vie de Château ».

    Mais lorsque Michel Legrand puise souvent dans le jazz et s’avère toujours plutôt audacieux dans ses créations, Vladimir Cosma préfère quant à lui miser, dans le cadre de cette première expérience pour le cinéma, sur un certain classicisme, avec des tonalités vives, simples et fraîches comme le cour d’un ruisseau.

     

    [youtube id= »FWKcFjNDDRI » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    « Alexandre le Bienheureux » marque en tout cas le début d’une collaboration fructueuse entre Cosma et Yves Robert, qui durera autant qu’ils s’apprécieront. « Clérambard », « Le Grand Blond avec une Chaussure Noire », « Salut l’Artiste », « Un éléphant ça trompe énormément », « Nous irons tous au paradis », « Courage, Fuyons », « Le Bal des Casse-pieds », « La Gloire de mon Père », « Le Château de ma Mère », autant de films qui scelleront l’amitié entre les deux compères. Mais « Alexandre le Bienheureux » marque surtout, pour celui qui commença par écrire des partitions pour Chet Baker ou Marie Laforêt, des débuts prometteurs dans la composition de musique de films, avec plus de 300 œuvres au compteur cinquante ans plus tard.

    Longtemps cantonné au simple rôle d’aimable illustrateur de comédies familiales sans réel relief, Vladimir Cosma, qui deviendra également le compositeur attitré de Francis VeberLe Jouet », « La Chèvre », « Les Compères », « Les Fugitifs », « Le Dîner de Con »…), a pourtant excellé dans bien d’autres registres que celui de la seule comédie. Car nous avons vite oublié ou sommes simplement passés à côté de bon nombre d’œuvres aussi différentes les unes que les autres. Mieux prêter l’oreille, c’est alors se rendre compte de la grande diversité dont il a pu faire preuve tout au long de sa carrière, mais aussi de cette propension à toujours se réinventer.

     

    [youtube id= »hZCdWDNsnCA » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    Pour s’en convaincre, dès 1973, avec le film « L’Affaire Crazy Capo » (avec Maurice Ronet et Jean-Pierre Marielle), Vladimir Cosma compose la musique d’un polar fiévreux, d’une telle qualité intrinsèque que son intérêt dépasse de loin celui du film même. Au premier abord, en ignorant qu’il en est l’auteur, on pensera plutôt à Ennio Morricone, voire même à John Barry. C’est pour dire si l’aisance naturelle de Cosma s’affiche éhontément sur ce film, avec une orchestration ample que l’on retrouvera dans bien d’autres musiques de films qu’il composera, comme pour « Le Jaguar » de Francis Veber. Là encore, son travail sur l’écriture ou sur la direction d’orchestre supporte aisément la comparaison avec ses illustres confrères.

     

    [youtube id= »bXwOWgB3fx8″ align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    Si Vladimir Cosma enchaîne dans les années 70 et 80 tous les grands succès publics du cinéma français, avec des mélodies plus ou moins inoubliables et des collaborations à répétition avec Edouard Molinaro, Pascal Thomas et surtout Claude Zidi, il ne faut cependant pas occulter les musiques qu’il compose également pour la télévision (génériques de feuilletons, téléfilms et émissions).

    Dès 1969, le compositeur rentre ainsi dans le cercle très fermé des compositeurs de musiques de films à succès. Et c’est d’ailleurs lui qui ouvre les portes d’un nouvel univers avec l’avènement des années 70. Il va y régner de manière quasi monopolistique. Un règne sans partage… Sa musique deviendra un genre en soi, immédiatement reconnaissable.

    En 2010, François Ozon (réalisateur français entre autres de « Huit Femmes », « Sous le Sable », « Grâce à Dieu »…) n’hésite pas à demander à son compositeur Philippe Rombi de lui écrire pour les besoins de son nouveau film « Potiche » une musique et des arrangements que Vladimir Cosma aurait très bien pu composer lui-même à l’époque où se situe l’histoire du film. Dès le générique, lorsqu’on aperçoit Catherine Deneuve faire son footing dans une forêt et que retentissent les premiers accords de la mélodie, avec le sifflement, on est persuadé qu’il s’agit d’un emprunt, extrait tel quel d’un film que Vladimir Cosma aurait illustré musicalement.

     

    [youtube id= »b_Zw3dK65m4″ align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    Vladimir Cosma a bel et bien créé un courant musical spécifique qui s’impose tout au long de ces années 70 ainsi que sur une partie des années 80, comme ce fut déjà le cas dans les années 60 avec Raymond Lefèvre ou Gérard Calvi, compositeurs des musiques de certains des plus gros succès de la décennie, entre « Les Grandes Vacances », « Le Gendarme de Saint-Tropez » ou « Le Petit Baigneur » ; que des comédies populaires avec à l’affiche l’indéboulonnable Louis de Funès. Sauf que pour tous ces films, ils sont en fait plusieurs à se partager le gâteau : Lefèvre, Calvi, évidemment, mais encore Jean-Michel Defaye, Georges DelerueLe Corniaud ») ou Alain Goraguer.

    Vladimir Cosma, quant à lui, ne partagera pratiquement rien. Sa filmographie est hallucinante, lorsque l’on se met à égrener la liste de tous les réalisateurs qui ont loué ses services pour un ou plusieurs films, toutes générations confondues. On peut ainsi citer Gérard Oury, Ettore Scola, Jean-Jacques Beinex, Yves Boisset, Claude Pinoteau et Jean-Pierre Mocky, avec qui il travaillera sur la quasi totalité de tous ses derniers films, et ce depuis les années 90. A noter que ce sont à chaque fois des univers et des films différents.

    On peut s’arrêter un instant sur le diptyque d’Yves Robert, constitué des deux adaptions consécutives de livres de Marcel Pagnol. Pour ces deux films, Cosma convoque toute l’entièreté de son talent et de son imagination, dans le but de concevoir une œuvre symphonique qui existe en tant que telle. Sa musique y regorge ici de prouesses et d’envolées d’une très grande richesse mélodique. Les thèmes au piano y sont magnifiques. Pour le deuxième film, l’accent est d’ailleurs encore davantage porté sur la mélancolie. Le thème principal avec en fond le son des cigales est un pur bonheur musical. C’est sans nul doute l’œuvre de Vladimir Cosma la plus accomplie.

     

    [youtube id= »830jEZuvrxI » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    À propos de mélancolie… Si on prend le temps d’écouter (ou de réécouter…) ces musiques, qui pour la plupart d’entre elles ont marqué notre enfance, telles des bornes, des repaires jalonnant une époque où tout nous semblait forcément plus léger et primesautier, nous ressentirons alors une impression diffuse, qui semblait nous avoir échappé de prime abord dans ces temps doucereux.

    Je vous parle de cette mélancolie sourde… Car même sous des dehors rutilants et enlevés, très souvent, les mélodies du compositeur du « Père Noël est une ordure » sont conçues comme des mini-symphonies ou de petits concertos, avec un premier mouvement enjoué (allegretto) puis une seconde partie plus nuancée (adagietto), adoucie, durant laquelle on ressent comme un léger pincement. C’est là toute la force et surtout la longévité que l’on accorde aux créations de ce compositeur, forcément empreint de culture slave.

    À l’instar d’un Morricone, d’un Barry ou des autres grands compositeurs français (François de Roubaix, Michel Magne, Georges Delerue…) ayant reçu tous les lauriers car leur musique était jugée plus ambitieuse ou bénéficiant d’une plus grande exposition à l’international, Vladimir Cosma n’a pourtant pas démérité, dans ses perpétuelles recherches et remises en question.

    Certes, beaucoup de ses musiques garderont toujours ce parfum suranné et un peu toc, surtout lié aux films qu’elles illustraient, mais il n’empêche que Vladimir Cosma est rentré dans notre ADN comme un composant chimiquement pur, qui nous a préservés d’une certaine arrogance, d’un certain instinct de supériorité, soucieux de sentiments à transmettre et du travail toujours bien fait.

     

     

     

  • Claude Sautet ou le Romanesque concret

     

     

    En 1960, lorsque Lino Ventura pousse son ami Claude Sautet à réaliser son premier film pour le cinéma, « Classe Tous Risques », ce dernier n’est encore qu’un obscur assistant-réalisateur, avec certes quelques courts métrages à son actif, mais qui n’ose pas franchir le cap du long-métrage. Timide et discret, il aura donc fallu que ses intimes le convainquent de s’affranchir de cette fonction de subalterne.

     

    Tiré d’un roman de José Giovanni, « Classe Tous Risques » fait pourtant sensation, et les gens du métier sont étonnés tant par la maîtrise de ce jeune réalisateur que par son sens du cadre. Le film asseyant toujours un peu plus l’ancien catcheur dans le vedettariat, Lino Ventura est heureux pour son ami et lui propose d’enfoncer le clou en lui suggérant un deuxième projet, « L’Arme à Gauche », une histoire d’aventure et de machination. Là encore, le succès est au rendez-vous lorsque le film sort en salle en 1965.

    Le jeune Sautet est sous l’influence d’un cinéma de genre américain, un style de films qui plaît au public de l’époque. Mais l’homme aux cheveux poivre et sel et au phrasé saccadé a bien d’autres idées en tête… Car il veut définitivement s’émanciper et créer son propre style, même s’il ne sait pas encore précisément lequel… Il est juste convaincu qu’il se sentirait plus à l’aise avec des personnages qui lui ressemblent, avec les mêmes attentes de la vie.

    Sautet souhaite en fait être le plus sincère possible et faire des films proches des gens. Il veut ainsi renouer avec un cinéma bien français à la Jacques Becker et plus particulièrement sa période après-guerre (« Antoine et Antoinette », « Rendez-Vous de Juillet », « Edouard et Caroline », « Rue de L’Estrapade »). Du romanesque, certes, mais dans la réalité et dans le concret. Paradoxalement, les deux expériences successives qu’il vient de vivre lui ont été douloureuses. Car il n’a pas aimé réaliser… Et on va d’ailleurs lui proposer bien d’autres scénarios d’intrigues policières qu’il va refuser en bloc.

    Sa rencontre avec Jean-Loup Dabadie en 1969 va pourtant être décisive et sceller ainsi une amitié professionnelle sur six films. Ce sera comme un déclic pour Sautet et peut-être enfin l’opportunité de faire ce qu’il avait en tête. Pourtant, monter « Les Choses de la Vie » ne sera pas si évident puisque les deux hommes se voient refuser d’abord le projet par de nombreuses grosses maisons de production.

    Du roman de Paul Guimard, Dabadie, le scénariste et ami d’Yves Robert, va ainsi en tirer une adaptation qu’il propose à Claude Sautet, qui aussitôt accepte de le faire. Les deux hommes collaboreront ensuite sur « Max et les Ferrailleurs », « César et Rosalie », « Vincent, François, Paul et les Autres », « Une Histoire Simple » et « Garçon ! ».

    « Les Choses de la Vie », ce film auquel personne ne croyait, avec en vedette Michel Piccoli et cette actrice allemande, Romy Schneider, connue pour avoir incarné Sissi adolescente en 1956, et qui depuis se trouve dans le creux de la vague (malgré son rôle un an plus tôt au côté d’Alain Delon dans « La Piscine » de Jacques Deray), s’avère être un énorme succès et assoit Claude Sautet comme un véritable réalisateur-auteur, avec une vision, un ton et son identité propre.

     

    [youtube id= »7WbIWRYltTc » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    « Les Choses de la Vie » restera notamment célèbre pour la fameuse scène de l’accident de voiture. Anecdote curieuse à ce sujet, puisqu’il faut savoir que cette scène tournée avec plusieurs caméras filmant en même temps, devint une référence et un modèle pour toute une génération de réalisateurs hongkongais contemporains de John Woo, très influencés par cette idée de tourner avec plusieurs caméras, afin d’obtenir différents angles de la même scène. On a souvent prêté à tous ces réalisateurs chinois plutôt des influences de Jean-Pierre Melville. Il s’agissait peut-être de la forme et de la stylisation de ses œuvres, mais en tout cas pas de sa technicité ni de sa réalisation.

    A partir de 1970, c’est alors le début des grandes collaborations de Claude Sautet, pas seulement avec Jean loup Dabadie mais aussi avec Romy Schneider et Michel Piccoli. L’autre rencontre déterminante sera celle avec Philippe Sarde, qui ne quittera plus jamais Sautet et sera son ombre sur tous ses films, jusqu’à « Nelly et Monsieur Arnaud » (à l’exception, cela dit, d’« Un Cœur en Hiver » dont la bande originale puise dans l’œuvre de Maurice Ravel). La musique qui accompagne en les illustrant toutes ces histoires est une évidence, une pulsation, un sang qui irrigue chacun de ces corps filmiques et tellement organiques.

     

    [youtube id= »dExH2uaWVzI » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    Claude Sautet était le sismographe des états d’âme de nos contemporains, un sociologue de son temps. Pour dépeindre la société française, qu’elle fût bourgeoise ou prolétarienne, il a tel un maître impressionniste su montrer avec tact et finesse toute l’étendue de l’âme humaine. Les récits d’amour, d’argent, les trahisons, les amitiés, les changements… François Truffaut disait même en parlant de Sautet qu’il était depuis Jean Renoir, le plus français des réalisateurs en activité en France.

    Pour son quatrième film en 1971, « Max et les Ferrailleurs », Sautet reprend le couple Piccoli-Schneider. On aurait pu croire qu’il s’agit pour le réalisateur d’un retour au polar, mais il n’en est rien. Même s’il est question d’un policier et d’une prostituée, avec en toile de fond des malfrats dans le Montrouge de ce début des années 70, on brasse ici d’autres thématiques et bien d’autres enjeux, mais toujours avec cette manière minutieuse de dépeindre l’époque. Nous n’avons pas affaire avec ce film à un drame sentimental, mais plutôt à la perversité, au double jeu et à la manipulation, qui mèneront immanquablement tous les protagonistes à la tragédie.

     

    [youtube id= »IS7wAwvbsx4″ align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    Un an plus tard, « César et Rosalie » reprend le motif amoureux des « Choses De La Vie », mais cette fois-ci avec deux hommes qui aiment la même femme. Yves Montand, Romy Schneider et Sami Frey dans un triangle amoureux qui ne finira jamais. La magnifique musique de Philippe Sarde, les éclats de César, la lettre de Rosalie, le troublant David… Il s’agit probablement du film le plus emblématique et le plus romanesque de Claude Sautet. Comme avec déjà ses deux précédents opus, on peut retrouver ce goût immodéré qu’a le réalisateur pour ces ambiances de cafés, de brasseries enfumées, mais aussi pour les groupes et les atmosphères animées qui sonnent comme dans la vraie vie. Cela deviendra indéniablement l’une de ses marques de fabrique.

     

    [youtube id= »vFL-tFrOnFg » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    « Vincent, François, Paul et les Autres » sort en 1974. Certaines critiques de l’époque reprochent à Sautet de faire un cinéma de Bourgeois, où l’on ne traite uniquement que de leurs vicissitudes. Toutes ces personnes trop empêtrées dans leur morale de gauche n’auront rien compris du tout à ce que le réalisateur tend à raconter à travers tous ses films, ce qu’il y dépeint, ce qu’il cherche à nous transmettre.

    Il s’agit ici d’une histoire au coeur de laquelle des amis quinquagénaires font le constat amer de leur vie. Lâcheté, mensonge, orgueil ou renoncement, alors que tout semble leur avoir réussi… Ils font ainsi la douloureuse expérience de leur propre échec et de leurs désaveux. Montand, Piccoli, Reggiani, Depardieu… Un film chorale où l’on confronte justement divers milieux et diverses sensibilités, qui dépeint une fois encore la France à un instant précis, comme un témoignage unique et rare.

     

    [youtube id= »7h5Uq7VYvqk » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    En 1976, Claude Sautet va pousser l’expérience encore plus loin avec le film « Mado » en traitant des remous sociaux de l’époque. Il creuse davantage, alors que la crise se laisse pressentir de plus en plus. Face à une société en pleine mutation, Il y parle de chômage, de prostitution et même de suicide. C’est sans doute son film le plus sombre avec le suivant, « Une Histoire Simple ». Il fait ainsi voler en éclat les persiflages de ses détracteurs qui voulaient absolument le faire rentrer dans la case des réalisateurs qui n’avaient rien à dire.

    Sans doute agacé par ce qu’il avait pu lire au sujet de ses deux précédents films, Sautet va consciencieusement retourner les éléments peut-être trop « cinéma cossu » pour les rendre sales ou dérangeants. A commencer par son égérie Romy Schneider qui tient un petit rôle secondaire et qui joue une alcoolique mal coiffée et démaquillée qui finira en cure de désintoxication. « Mado » n’est décidément pas un film aimable, mais c’est sans doute l’un de ses plus passionnants et de ses plus riches en thématiques propres à l’époque.

    En 1978, Claude Sautet continue cette cure de désacralisation de son cinéma avec « Une Histoire Simple », qui marque aussi le retour de Jean Loup Dabadie au scénario et aux dialogues. Certes moins ambitieux que « Mado », ce nouveau film continue pourtant son ouvrage sociologique, avec comme but de coller le plus possible à la réalité de l’époque et un nouveau thème fort, à savoir celui de l’avortement. Le film dresse le portrait d’une femme seule mais qui se bat, bien plus résolue que les personnages masculins dépeints comme des lâches et des vaincus.

    Sautet nous y parle aussi de renaissance, d’espoir et dresse des portraits de femmes lumineuses. Sans doute son film le plus féministe. Cette fois-ci, on est bien loin de l’image façonnée par une presse ignare et vindicative qui voulait absolument étiqueter Claude Sautet jusqu’à la fin de ses jours comme l’archétype du réalisateur de films confortables et conformistes.

    1980, « Un Mauvais Fils ». Claude Sautet rebat de nouveau les cartes. Fini, les Michel Piccoli, Romy Schneider ou Yves Montand. Place à Patrick Dewaere, Yves Robert, Brigitte Fossey et Jacques Dufilho. Toujours dans cette logique depuis trois films de désormais souligner les grands thèmes sociaux, ses bouleversements et ce qui touche vraiment les gens dans la vraie vie, il aborde le sujet de la toxicomanie. On sait que l’acteur des « Valseuses » était héroïnomane et c’est ce qui confère au film un accent encore plus âpre et plus cru.

     

    [youtube id= »7nFnUXUkqpQ » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    Mais cela fait déjà trois films que Claude Sautet ne fait plus recette dans les salles. Même s’ils sont pourtant très réussis, le public, en plein tournant entre les années 70 et 80, ne veut plus voir ce genre de drames réalistes. S’il se déplace au cinéma, c’est désormais pour rêver ou rire. On entre dans l’ère des « blockbusters » et des films qui ne froissent pas l’âme…

    1983. De nouveau un grand revirement de la part de Sautet, car il doit absolument renouer avec le public s’il veut continuer à faire son métier et à raconter des histoires pour le cinéma. Ce sera le film « Garçon ! » qui semble avoir été produit autour et pour Yves Montand. L’intrigue, les dialogues, le thème, tout semble avoir été pensé dans le seul but d’attirer les foules.

    Effectivement, sans surprise, le film est un énorme succès ; sans doute le plus gros de la carrière du réalisateur. « Garçon ! » est une bulle, une parenthèse. Il ne dérange pas, il n’est le témoin de rien, si ce n’est une vitrine attractive pour un touriste qui fantasme Paris, ses célèbres brasseries et la cuisine française.

     

    [youtube id= »e6GuMFGH76U » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    Dès lors, et ce malgré le triomphe qui accompagne le film, goûtant assez mal l’ironie, Claude Sautet va vouloir renouer avec un cinéma peut-être plus intime, à défaut d’être auteurisant. D’abord avec « Quelques Jours avec Moi » dans lequel Daniel Auteuil et Sandrine Bonnaire s’aiment, au coeur de ce qui ressemblerait à une sorte de huit clos à la Roman Polanski, mais surtout avec une façon de dépeindre la bourgeoisie provinciale en louchant sur le cinéma de Claude Chabrol.

    Car pour la première fois, Sautet raconte une histoire qui se déroule en province. Décalé, baroque, on a du mal à y retrouver ce que l’on aimait chez Sautet, mais le résultat est suffisamment intriguant pour ne pas complètement gâcher notre plaisir.

    « Un Cœur en Hiver », le film suivant, va pousser encore plus loin et de manière plus radicale cette esquisse, avec des personnages plus éthérés, conceptuels et stylisés. La musique de Ravel et ses trios pour cordes et piano ajoute à l’aspect romantique glacé. Tout devient plus abstrait, froid et les histoires qui nous sont contées cette fois, entre Daniel Auteuil, Emmanuelle Béart et André Dussollier, ressemblent à des estampes japonaises. Le triangle amoureux rappelle d’abord bien-sûr celui de « César et Rosalie », mais abordé ici de manière bien plus cérébrale.

    « Nelly et Monsieur Arnaud », dernier film du cinéaste, pourrait prétendre à une certaine forme testamentaire. Le personnage joué par Michel Serrault, avec cette coupe et cette couleur de cheveux, ses costumes sombres, ses traits de caractère et ses colères froides, rappelle indéniablement Claude Sautet lui-même. Emmanuelle Béart, avec ses chignons, ses allures de femme émancipée, libre, détachée de toute contrainte, convoque bien-sûr le fantôme de Romy Schneider… Mais cette histoire ne prend absolument pas. La photographie, les décors, les seconds rôles et l’intrigue, tout semble à côté, dépassé, vide, terne, exsangue… La magie n’est plus là. On s’ennuie à mourir et un malaise indéfinissable nous envahit. Comme une gêne…

    Là aussi, le film semble expurgé de ce qui faisait toute l’humanité des films précédents. Claude Sautet ne semble désormais plus comprendre l’époque dans laquelle il vit et son romanesque laisse place à une description clinique de la mort s’avançant lentement mais sûrement. Rétrospectivement, on imagine Michael Haneke découvrant ce dernier film du réalisateur de « Max et les Ferrailleurs » et qui entrevoit déjà ce que pourrait être son futur film « Amour ».

    Claude Sautet nous quittera cinq ans plus tard, laissant un monde, une société, des gens qu’il ne reconnaît plus.

     

    [youtube id= »rXUs_JNOAZA » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]