Catégorie : Société

  • La première chronique de Jean d’Ormesson publiée dans Le Figaro en 1969

     

     

    Le premier article signé Jean d’Ormesson parait dans le journal le 2 mai 1969. Relisons cette lettre ouverte adressée à Jean-Jacques Servan-Schreiber, quelques jours après la démission du général de Gaulle, conséquence du non au référendum du 27 avril 1969. Chronique parue dans Le Figaro le 2 mai 1969 : Lettre ouverte à J.-J. S.-S.

     

    Mon cher Jean-Jacques,

    Voilà longtemps déjà que nous nous connaissons. Je me suis pourtant demandé hier quel âge tu pouvais bien avoir. J’ai beaucoup de sympathie pour toi, et un peu d’admiration envieuse pour les qualités qui ont fait ton succès. Et toi, je crois, tu as de l’indulgence pour moi, et pour les défauts qui n’ont pas fait le mien.

    « Pour la première fois », écris-tu, « pour la première fois dans la vie d’un homme de ma génération, on peut être fier de son pays. » Je me suis frotté les yeux, j’ai relu de nouveau. Rien à faire : « Pour la première fois dans la vie d’un homme de ma génération, on peut être fier de son pays ». C’est écrit, noir sur blanc, au début de ton éditorial, à la page 45 du numéro 929 de l’Express. Les bras m’en sont tombés. Tu as dû naître, j’imagine, dans ce que les Américains appellent le début des années vingt. Je veux bien t’accorder que les premières années n’ont pas vu grand-chose d’exaltant : la France en face de la guerre d’Espagne, ce n’était pas exaltant, en en face de Nuremberg, ce n’était pas exaltant, en face de l’Ethiopie, ce n’était pas exaltant. Et en face de la France, ce n’était pas exaltant. Et Daladier peut-être ne suscitait pas l’enthousiasme, ni l’honnête Lebrun, ni les Croix de Feu, ni la drôle de guerre. Et d’abandon en abandon, les catastrophes et les effondrements n’avaient pas de quoi, en vérité, rendre un jeune Français de notre génération très fier d’être Français.

    J’étais un très petit jeune homme au sein de l’abîme de 1940. Toi aussi, si je ne me trompe. Et alors, c’est étrange, au sein de l’abîme justement, j’ai été pour la première fois fier de mon pays. C’est drôle que tu ne l’aies pas été. J’étais un bon petit bourgeois entre mon père et ma mère, dans un château de famille un peu en ruine. On écoutait beaucoup, autour de nous, le vieux maréchal parler de la défaite. Mais mon père, qui était ambassadeur, très comme il faut, un peu conformiste peut-être, souriant et mondain, écoutait la radio anglaise. Il n’aimait pas beaucoup les militaires. Mais un soir où un obscur général à titre temporaire avait prononcé quelques mots, je lui dis que j’étais fier d’être Français. Et je me souviens très bien qu’il me répondit que j’avais raison d’avoir, pour la première fois dans la vie d’un homme de ma génération, été fier de mon pays. Mais mon cher Jean-Jacques, tu étais né, toi aussi ?

    En 1944, un autre ambassadeur, et très comme il faut lui aussi, et à qui je dois beaucoup, m’avait emmené à un balcon du Figaro voir passer un défilé. C’était un peuple qui défilait. Il y avait les facteurs et les policiers et les ménagères et les dames d’oeuvres. Il y avait mon professeur d’histoire que j’aimais beaucoup et qui s’appelait Georges Bidault. Et puis, il y avait un général qui n’en finissait pas, dont on avait appris à connaître la voix mais dont personne ne connaissait le visage. Et c’était un visage familier, pourtant, puisque c’était celui de la France. Ah ! non, ceux qui sont nés après 1944 ne savent pas ce qu’étaient alors le bonheur et l’honneur et la fierté. Mais mon cher Jean-Jacques, tu étais né, toi aussi ?

    Oh ! je comprends bien ce que tu veux dire. Tu veux dire – et tu as raison – qu’il est exceptionnel pour un pays de répondre non au lieu de répondre oui. Ce pays-ci l’a déjà fait pourtant – et à l’appel de qui ? Tu me répondras : c’est à un plébiscite qu’il est rare de dire non. Je te répondrai que, par définition, un plébiscite auquel un peuple dit non n’est pas un plébiscite. Mais voilà que je fais de la politique. Pardon, je ne voulais pas faire de politique. Tu as tout à fait le droit d’être contre un régime et contre un homme : je me ferais volontiers tuer pour que tu aies ce droit-là. Et je persiste à croire que c’est pour que tu aies précisément ce droit-là que l’homme, dont la chute le rend enfin si fier, a joué et a perdu.

    Et puis, est-ce que ce n’est pas étrange, mon cher Jean-Jacques, d’être si fier – pour la première fois dans la vie d’un homme de ta génération – d’un non sans précédent dans les annales de ta jeune mémoire ? La chute qui -pour la première fois dans la vie d’un homme de ta génération – te rend enfin si fier de ton pays, c’est celle d’un homme qui n’avait peut-être qu’un seul titre de gloire, mais qui ne lui sera pas retiré : celui d’avoir su dire non. Il est vrai que ce n’était pas à un de ces plébiscites dont l’issue te rend si fier de ton pays -pour la première fois dans la vie d’un homme de ta génération : c’était à la tyrannie, à la mort, à la dictature, à la violence déchaînée. Mais, mon cher Jean-Jacques, tu étais né, toi aussi? Allons, allons! Pour la première fois de la vie d’un homme de ta génération, mon cher Jean-Jacques, tu es fier de ton pays parce qu’il a dit non à une politique. Il faudra peut-être tâcher, la prochaine fois, de te rappeler une occasion où, sous la conduite d’un homme qui était bourré de défauts, il avait dit non à l’histoire.

    Jean d’Ormesson

     

     

     

  • Chroniques de la Coupe du Monde : Le match entre la RFA et la RDA le 22 juin 1974

     

     

    Le 22 juin 1974, nous assistions à une opposition unique, inédite et historique entre les deux Allemagne, la RFA et la RDA. Un match sans enjeu, certes, puisque les deux équipes étaient déjà qualifiées pour le second tour de la Coupe du Monde 74 organisée en Allemagne, justement, mais une rencontre lourde de symbole…

     

    Avez-vous déjà vu un match de Coupe du Monde de la FIFA entre Brésiliens et Brésiliens, entre Français et Français ou entre Italiens et Italiens ? Certainement pas et c’est bien ce qui fait de ce duel du 22 juin 1974 une rencontre au caractère unique. Lors du premier tour de l’édition 1974 de l’épreuve suprême en Allemagne, la République Fédérale d’Allemagne (RFA) et la République Démocratique Allemande (RDA) se sont affrontées au Volksparkstadion de Hambourg.

    Ce match a été la seule rencontre entre les équipes nationales des deux états nés de la division de l’Allemagne à l’issue de la Seconde Guerre mondiale. Mais ce jour-là, rares sont ceux qui se doutent que ces 90 minutes occuperont une place à part dans l’histoire du football mondial et pas seulement en raison du caractère particulier de ce duel entre Allemands.

    Au Volksparkstadion de Hambourg, 60 000 spectateurs, dont 1 500 citoyens est-allemands, suivent le match, qui sera la première et la dernière rencontre entre les équipes d’Allemagne de l’Est et d’Allemagne de l’Ouest sur un terrain de football. Les rôles sont clairement attribués : d’un côté se trouve la RDA, nouvelle venue dans la course au titre mondial, et de l’autre la RFA, championne du monde de 1954 et championne d’Europe en titre.

     

     

    L’ambiance pendant le match est explosive, comme en témoigne l’anecdote suivante : pour ne pas heurter les sensibilités politiques, les joueurs n’osent pas procéder au traditionnel échange de maillots sur le terrain après le coup de sifflet final. C’est seulement une fois dans les vestiaires que Paul Breitner (RFA) va trouver l’auteur du but de la victoire, Jürgen Sparwasser (RDA), pour lui proposer de procéder au fameux échange. Ces deux maillots tomberont dans l’oubli pendant 28 ans, jusqu’à ce que les deux joueurs les mettent à disposition pour une vente aux enchères en faveur d’une œuvre de charité.

    Les agents de la Stasi, la police politique est-allemande, accompagnent même les joueurs de l’équipe nationale de RDA jusque dans le couloir, avant leur entrée sur la pelouse, afin de contrôler que les joueurs est-allemands ne puissent pas communiquer d’une quelconque manière avec les joueurs ouest-allemands.

     

     

    Quant aux supporters est-allemands, ils ont pris un train sans arrêt entre leur pays et Hamburg, de l’autre côté du Mur, encadrés eux aussi par les agents de la Stasi, afin d’éviter qu’ils puissent profiter de l’occasion pour passer à l’Ouest.

    Les deux équipes sont certes déjà qualifiées pour le deuxième tour, mais ce duel fratricide a pour enjeu la première place du groupe et, bien sûr, le prestige. Pour la RFA, qui s’est imposée face au Chili (1:0) et à l’Australie (3:0), un match nul serait suffisant pour prendre la tête de la poule. Pour la RDA, en revanche, il faut absolument gagner. La sélection de Georg Buschner a en effet battu l’Australie (2:0) mais n’a ramené qu’un nul (1:1) de sa rencontre avec le Chili.

     

    « Si un jour il y a écrit sur ma tombe Hambourg 74, tout le monde saura qui se trouve en dessous. » (Jürgen Sparwasser)

     

    La RFA domine le match mais sera finalement battue par sa rivale orientale sur le score de 1-0. Le héros du match, Jürgen Sparwasser est le joueur est-allemand qui inscrit le but de la victoire. Jürgen Sparwasser est ainsi entré dans l’histoire pour toujours en faisant trembler les filets lors de ce duel unique. Sa réalisation face aux Allemands de l’Ouest a fait de lui l’un des sportifs les plus connus de RDA. L’apprenti constructeur de machines âgé de 26 ans en 1974 a disputé en tout 53 matches sous le maillot de la sélection est-allemande (15 buts). Lors de l’exposition universelle de Hanovre en 2000, l’attaquant s’est même vu dédier un buste.

    Cette édition est restée la seule participation de la RDA à la Coupe du Monde de la FIFA, tandis que la République Fédérale d’Allemagne a toujours réussi à se qualifier pour le tournoi jusqu’à ce jour. Depuis, elle a remporté un troisième titre mondial en 1990, peu de temps avant que l’Allemagne ne soit réunifiée.

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Sources » class= » » id= » »]

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    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] La Coupe du Monde à travers l’Histoire

     

     

     

  • La Coupe du Monde du Général Videla : Argentine 78

     

     

    Il y a des Coupes du Monde qu’on aimerait oublier parce que le jeu était médiocre, comme par exemple celle jouée en Italie en 1990, et il y a des Coupes du Monde qu’on aimerait oublier pour d’autres raisons…

     

    C’est le cas de la Coupe du Monde de 1978 en Argentine, pour des raisons politiques, en l’occurence. Car nous avons certes assisté à de beaux matchs, mais à la tête du pays organisateur trône une sordide dictature militaire, celle des généraux Videla et Galtieri. Ce même Galtieri qui entraînera plus tard son pays dans une guerre anachronique contre l’Angleterre, la Guerre des Malouines.

    En 1978, il est donc exclu pour le pouvoir argentin de ne pas gagner sa Coupe du Monde. Cela constitue d’ailleurs une question de vie ou de mort pour la junte militaire alors aux commandes du pays. Tous les moyens vont ainsi être mis en oeuvre par les généraux à Buenos Aires pour parvenir à leurs fins, et pas seulement des moyens sportifs.

    Cette épisode de l’histoire du foot, Stéphane Benhamou nous le fait revivre dans son documentaire « La véritable Histoire des Coupes du Monde » sorti en juin 2014.

    Replongeons donc dans le contexte de cette année 78, avec un mot qui était sur toutes les lèvres (ou presque…) avant le début de la compétition : boycott.

     

    « C’est effectivement la première fois qu’on défile dans la rue pour demander le boycott d’une coupe du monde, et plus particulièrement en France, où un comité s’est constitué, à l’initiative de personnalités telles que François Gèze, fondateur des Editions de la Découverte, Marek Halter, Louis Aragon ou le philosophe occidentaliste Jean-François Revel. Face à ces gens qui disent « on ne peut pas y aller », on trouve l’entraineur et certains joueurs de l’équipe de France, comme Michel Hidalgo ou Michel Platini, qui eux affirment qu’ils se rendront en Argentine pour participer au Mundial, fût-ce à la nage. »

     

    La France ne s’est pas qualifiée à une Coupe du Monde depuis 1966, et l’attente est immense. En Argentine, lorsque la junte s’installe à la tête du pays en 1976, sa toute première préoccupation est de savoir de quelle façon instrumentaliser au mieux l’événement, dans le but évident de se racheter une conduite et de faire taire les critiques. Car le peuple argentin attend de pouvoir organiser son Mondial depuis si longtemps, en fait depuis la première édition en 1930, et à chaque fois, l’argument avancé par les instances internationales du foot pour ne pas lui attribuer est que le régime politique en place n’est pas assez stable. Le pays connait en effet des coups d’état à répétition depuis 1966 et le début de la « Révolution Argentine ».

    Mais l’organisation de la Coupe du Monde 1978 est finalement attribuée à l’Argentine, quelques années avant l’arrivée de la junte militaire au pouvoir en 1976. Les généraux vont donc confier leur communication à une agence de publicité new-yorkaise, la Burson Marsteller, afin de les aider à apporter toutes les garanties de réussite dans l’organisation de l’événement aux instances ainsi qu’à l’opinion publique internationale.

    Cette campagne de communication s’appuiera sur toutes les personnalités argentines célèbres à l’étranger, telles que le boxeur Carlos Monzon ou le coureur automobile Manuel Fangio, avec comme but celui de séduire les médias internationaux, et en particulier ceux plutôt dans le camp du boycott.

     

    « Et puis il faut cacher les crimes et les exactions commis par la junte, responsable de la disparition de plus de 30.000 supposés opposants entre 1976 et 1978. Il n’y a pas une famille argentine, en particulier à Buenos Aires et Mendoza, qui n’ait pas à déplorer la perte ou la disparition d’un de ses membres. Tout le monde sait qu’il se passe des choses épouvantables en Argentine, mais la junte va parvenir à les cacher aux yeux du monde. Il faut que la politique reste étrangère à tout ça… »

     

    A présent, c’est bien beau d’organiser cette Coupe du Monde mais il va falloir absolument la gagner. C’est alors que les Argentins vont employer les moyens les plus scandaleux pour parvenir en finale, notamment contre l’équipe du Pérou que les Argentins devaient battre 6 à 0, score qui n’existe pas en Coupe du Monde à ce niveau-là. Le match était évidemment truqué. Contre une large victoire lui permettant d’accéder en finale, l’Argentine efface une partie de la dette péruvienne, livre 30.000 tonnes de céréales et octroie au Pérou des avantages commerciaux substantiels. Il est question aussi de libération de prisonniers politiques…

    Mais le Pérou est aussi récompensé par l’arrestation de treize supposés opposants au régime de Francisco Morales Bermúdez, réfugiés en Argentine, et que la junte militaire argentine fera disparaître. Dans le cadre de l’Opération Condor (Coordination des différentes dictatures d’Amérique latine afin de traquer et éliminer leurs opposants), l’Argentine et le Pérou conviennent d’un accord concernant le match les opposant au second tour. L’Argentine, qui devait l’emporter avec une différence d’au moins quatre buts pour se qualifier, se charge de faire exécuter par sa police politique les treize opposants péruviens en échange de l’assurance d’une large victoire lors de la rencontre sportive. L’Argentine s’imposera effectivement sur un glorieux 6-0 alors que les treize opposants seront tués au cours d’un tristement célèbre « vol de la mort ».

    L’Argentine finit donc par remporter sa Coupe du Monde face aux Pays-Bas le 25 juin 1978. Le capitaine hollandais Ruud Krol déclarera : « la mafia nous a eus. » L’arbitre fut changé au dernier moment car il ne convenait pas aux Argentins. L’arbitre italien finalement choisi pour la finale sifflera tout au long du match en faveur des Argentins. Une telle tension planait sur cette rencontre que les acteurs et les témoins du match déclareront des années plus tard que « les Hollandais ne pouvaient pas gagner dans un tel contexte ».

    L’Argentine remportera une deuxième Coupe du Monde de façon plus « sportive » et glorieuse au Mexique en 1986.

    40 ans après ces événements, la France rencontre de nouveau l’Argentine aujourd’hui en Russie. Souhaitons-lui de l’emporter et de conjurer le sort…

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour Aller Plus Loin » class= » » id= » »]

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    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] La France au Mundial 78

     

     

     

  • Danse à Mort

     

     

    12 juillet 1518. Frau Toffea ouvre le bal. Elle ne le sait pas, mais elle est le « patient zéro » d’un mal étrange : la « manie dansante ». Elle se trémousse, seule dans les rues, pendant six jours et six nuits, jusqu’à en avoir les pieds en sang et malgré les supplications de son mari. « Elle était en proie à une détresse absolue » (p. 77). Dix jours plus tard, ce sont près de 400 danseurs qui emboitent son pas.

     

    La vue d’autres danseurs, pris par cette transe angoissée, suffit à propager le mouvement. Au départ, on crée un espace pour ces danseurs étonnants. On recrute même un orchestre de professionnels chargés de les faire danser. Mais très vite, l’angoisse monte. L’anxiété croît à la hauteur de l’impuissance des observateurs de cet étrange spectacle. On se met à parler de châtiment divin, de sortilège de sorcière. Alors on change son fusil d’épaule : les estrades sont démontées, les musiciens interdits et les danseurs envoyés à Saverne, assister dans sa chapelle à une cérémonie en l’honneur de Saint Guy, protecteur des épileptiques et des malades atteints de chorée. Les danseurs fous sont chaussés de rouge et disposent d’une petite croix. Après cette procession, l’épidémie décroît.

    Déjà au IXème siècle, on parlait de guérisons miraculeuses à Kolbeck en 1017 et on compte une vingtaine de cas entre 1200 et 1600. Mais celui de Strasbourg, sans doute parce qu’il a eu lieu après l’invention de l’imprimerie, est le mieux documenté. Cette maladie, la chorée de Sydenham, est identifiée par Thomas Sydenham, l’hyppocrate anglais, un médecin britannique du 17ème siècle. Il s’agit d’une maladie infectieuse aux streptocoques qui atteint le système nerveux central, une infection avec fièvre et mouvements involontaires des muscles et des extrémités dus à des contractions. Aujourd’hui, la chorée de Sydenham est répertoriée par la médecine comme une infection survenant après une angine à streptocoques non traitée.

     

     

    En 2008, un historien, John Waller, propose une autre lecture du phénomène. Selon lui, il s’agit d’une hystérie collective liée au contexte historique de famine. Une manifestation géante d’un ras-le-bol social après des années de famine. Une danse furieuse aux raisons psychologiques… Avant de sortir dans la rue et de se mettre à danser, Frau Toffea avait jeté son bébé dans la rivière à la demande de son mari : la période d’allaitement étant terminée, ils n’avaient plus les moyens de le nourrir.

    D’autres personnes, elles aussi dans des situations effroyables, s’approchent, la regardent et se mettent comme elle à danser. En février 2018, l’écrivain Jean Teulé décrit et explique les faits dans son ouvrage « Entrez dans la danse ». Il dépeint cette misère en citant des exemples, comme ce couple mangeant leur enfant ou des habitants errant autour des hôpitaux pour récupérer les excréments des lépreux, « pour avoir quelque chose à bouffer. Ils en étaient là. ». Danser aurait été pour eux une façon de craquer, d’exprimer leur extrême détresse, rendus fous par la misère et la mort de leurs proches.

     

     

    Certains osent un parallèle entre ces manies dansantes et les rave parties monstres d’aujourd’hui, au cours desquelles les danseurs peuvent se déhancher dans un état second, au risque de tomber d’épuisement. Il existe cependant des différences fondamentales : l’usage de drogues récréatives, même si Jean Teullé évoque l’hypothèse d’une intoxication à l’ergot de seigle, « la moisissure de seigle, du LSD à l’état pur ». Mais les clubbers sont probablement plus euphoriques que les choréomaniaques terrifiés du Moyen-Âge et « on ne peut pas danser avec ça parce que ça diminue l’afflux sanguin » précise l’écrivain dans une interview à Europe 1.

     

    Référence électronique

    ✓ Jérôme Lamy, « John Waller, Les danseurs fous de Strasbourg. Une épidémie de transe collective en 1518 », Cahiers d’Histoire. Revue d’histoire critique [En ligne], 134 | 2017, mis en ligne le 26 mai 2017. Lien : Cahiers d’Histoire

    Danse macabre de Strasbourg en 1518 : Jean Teulé s’attelle à l’une des plus étranges épidémies recensées

     

     

     

  • « Images en lutte » aux Beaux-Arts de Paris

     

     

    Affiches, peintures, tracts, films, photos : c’est l’ambiance de Mai 68 qui se trouve ressuscitée aux Beaux-Arts de Paris avec l’exposition « Images en lutte ». Cinquante ans après les faits, replongeons au coeur des événements devant les supports visuels symbolisant le combat de l’extrême gauche en France entre 1968 et 1974.

     

    La création picturale et graphique n’est pas étrangère non plus au combat social en Mai 68… Et c’est ce qu’expriment les affiches, tracts et peintures rassemblés aux Beaux-Arts de Paris. L’exposition « Images en lutte » montre surtout combien fut actif l’Atelier Populaire, installé dans les lieux mêmes occupés par les étudiants et les professeurs cinquante ans plus tôt.

    « Sois jeune et tais-toi », « La Chienlit, c’est lui », « Où Fouchet passe, la pègre pousse », « Retour à la normale », « Il est interdit d’interdire »… Autant de slogans restés gravés dans la mémoire collective, sur des affiches originales placardées sur les murs du Musée des Beaux-Arts de Paris, à l’endroit même où elles ont été réalisées.

     

    « Il est intéressant de noter que la postérité a surtout retenu de ces affiches celles qui sont contre le Général de Gaulle, contre le pouvoir en place. Mais en réalité, quand on regarde l’ensemble de la production, ces affiches sont avant tout des tracts conçus afin d’accompagner des mouvements de grève et d’occupation des usines. » (Eric de Chassey, Commissaire de l’exposition)

     

    Au printemps 68, les étudiants occupent donc leurs écoles, accompagnés d’artistes comme le peintre Gérard Fromanger. A cet « Atelier Populaire », grévistes de tout poil se succédaient pour passer commande.

     

    « Ils venaient à l’atelier et nous disaient où ils étaient, dans quelle ville, dans quelle usine, pourquoi ils faisaient grève, pourquoi ils occupaient, quelles étaient leurs revendications. On en traduisait un mot d’ordre qu’on leur proposait. Et paradoxe de la situation, nous avons finalement été pendant un mois et demi les seules personnes en France qui travaillaient comme des chiens, nuit et jour… On faisait les 3/8 pour composer les affiches ! »

     

    Des affiches réalisées dans la nuit grâce à une technique d’impression simple par pochoir, la sérigraphie, très populaire à l’ère du Pop Art et d’Andy Warhol.

     

    « C’est dans l’urgence qu’expriment ces affiches que se trouve leur beauté ; dans la manière dont des artistes concentrent tous leurs efforts dans un moment relativement bref pour parvenir finalement à être le plus juste possible. »

     

    De la première à la dernière, ces oeuvres d’art ne sont pas signées, et le nom des artistes s’efface au profit de la cause collective. Un message fort et simple qui trouve encore son public aujourd’hui.

     

    « Images en lutte », c’est jusqu’au 20 mai au Palais des Beaux-Arts à Paris

     

     

     

     

  • Cinquante ans après leur création, les Shadoks pompent toujours

     

     

    Les Shadoks ont 50 ans ! C’est en 1968 qu’apparaissaient pour la première fois à la télévision française ces drôles d’oiseaux créés par Jacques Rouxel. Leur style, leur univers décalé et leur humour absurde sont au cœur d’une exposition au musée Tomi Ungerer, à Strasbourg, jusqu’au 08 juillet 2018. Instant City vous propose de découvrir ou de redécouvrir cette série télévisée OVNI.

     

    Les Shadoks, la fameuse série télévisée d’animation imaginée par Jacques Rouxel en 1968 donne lieu à une exposition au Musée Tomi Ungerer, à Strasbourg. Par leur humour surréaliste et absurde, ces drôles d’oiseaux obsédés par la construction de machines infernales qui ne fonctionnent jamais et immortalisés par la voix de Claude Piéplu ont révolutionné le dessin animé.

     

    [youtube id= »ct2HY9pcfrI » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

    Il y a cinquante ans, donc, débarquaient sur le petit écran les aventures cosmiques des Shadoks. Vous vous souvenez ? Ces oiseaux pas très futés, aux ailes minuscules, qui ont pour ennemis jurés les intelligents Gibis qui s’amusent toute la journée. De la Cour des Shadoks à Paris aux côtés du réalisateur Thierry Dejean au Musée Tomi Ungerer à Strasbourg, avec la commissaire d’exposition Thérèse Willer, nous reparcourons ensemble le phénomène « Shadoks », véritable révolution pour toute une génération.

     

    « Au tout début, l’émission fit scandale. Les gens écrivaient en masse pour se plaindre, arguant entre autres choses que c’était une honte d’avoir à payer la redevance pour voir des programmes aussi stupides. » (Thierry Dejean, réalisateur et auteur du livre « Les Shadoks de Jacques Rouxel » paru aux Editions Hoëbeke)

     

    « Outre l’idiotie du sujet, les dessins sont vraiment en dessous de tout. La technique y est vraiment ramenée à sa plus simple expression. J’espère pour vous que seul le manque de crédits en est la cause. » (lettre de protestation lue par Jean Yanne en février 1969 dans le cadre de la chronique télévisée « Les Français écrivent aux Shadoks »)

     

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    « A l’époque, il se disait communément que les Shadoks avaient partagé la France en deux et que c’était la nouvelle bataille d’Hernani, opposant éternellement les modernes et les classiques, ou encore qu’ils avaient contribué au déclenchement des événements de mai 68. » (Thierry Dejean)

     

    Les secousses cosmiques des Shadoks interviennent tous les soirs à la télévision française, à une heure de grande écoute. Et c’est la voix mythique de Claude Piéplu, narrateur de la série, qui rythme ce rendez-vous quotidien. En 1993, à l’occasion des 25 ans de la première diffusion des Shadoks, Michel Field interroge Jacques Rouxel et Claude Piéplu dans Le Cercle de Minuit :

     

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    Le véritable créateur des Shadoks, c’est donc Jacques Rouxel. Il se présente au Service de la Recherche de l’ORTF, son projet sous le bras, avec le désir d’adapter à la télévision le principe des comic strips, ces courtes bandes dessinées en général composées de quatre à six cases disposées horizontalement, que l’on pouvait trouver à la fin des quotidiens de l’époque. Jacques Rouxel est non seulement le concepteur des Shadoks, mais il en est aussi l’auteur, tant du scénario que des textes et du dessin. Son style graphique est épuré, minimaliste. Un rond, un triangle, deux lignes suffisent à figurer un Shadok. Cette utilisation des formes géométriques témoigne ainsi de la forte influence de la peinture moderne chez Rouxel.

     

     

    Parmi ses sources d’inspiration, on trouve pêle-mêle un tableau très célèbre de Paul Klee s’intitulant « La Machine à Gazouiller » peint en 1922 et exposé au MoMa à New York, dans lequel on peut reconnaitre la forme caractéristique des Shadoks, jusqu’aux dessins d’un illustrateur célèbre de l’époque, Saul Steinberg, qui a fait beaucoup de couvertures pour le NewYorker.

     

     

    Les cartoons de Saul Steinberg étaient extrêmement connus pour la sobriété de leur ligne, ce que l’on appelait le « One Line Drawing ». Et Jacques Rouxel s’est aussi très certainement souvenu des « Trois Brigands » de Tomi Ungerer pour concevoir ses Shadoks.

     

     

     

    Au delà des influences graphiques, les Shadoks suivent la vague des expérimentations sonores de l’époque. Robert Cohen-Solal compose la bande son du programme, avec comme influence majeure Pierre Schaeffer, en charge à l’époque du Service de la Recherche de l’ORTF et considéré comme l’inventeur de la musique concrete.

     

    « La Musique Concrète, ce sont les premiers samples, bien-sûr, mais aussi les premières expériences d’enregistrement de sons provenant du quotidien, et qui sont rejoués et retravaillés à l’aide d’instruments électro-acoustiques. » (Thierry Dejean)

     

     

    Cette inventivité dans les formes artistiques s’accompagne d’une réflexion sur la méthode de travail. Chaque saison des Shadoks comporte 52 épisodes, pour quatre saisons au total. Cela signifie beaucoup de Shadoks à dessiner, et un rythme effréné à suivre en terme de production, puisque l’émission sera diffusée chaque soir entre 1968 et 1973.

     

    « La première saison des Shadoks sera réalisée grâce à une machine ingénieuse dénommée l’animographe, inventée par Jean Dejoux, chercheur à la RTF. Cet appareil avait été conçu à l’origine pour réaliser des dessins animés, mais il obligeait les animateurs à travailler sur un format très petit. On disait d’ailleurs à l’époque qu’il était inconcevable de faire du Walt Disney avec l’animographe. Face au manque cruel de budget à la télévision française, la série des Shadoks fut donc créée avec très peu de moyens. Cette machine permettait ainsi de faire du dessin animé à moindre coût. »

     

    Dans les Shadoks, on peut voir une critique acerbe du travail. Les personnages passaient leur existence entière à pomper… pour rien. Y est abordé aussi le thème de l’absurdité de la condition humaine : pourquoi doit-on se tuer à travailler alors qu’on est condamné à mourir ? Tout ça dans le contexte de mai 68, les Shadoks nous renvoient aux slogans de l’époque : « ne perdez pas votre vie à la gagner » ou encore « ne travaillez jamais ». Les Shadoks étaient donc définitivement dans l’air du temps.

     

    « Pour moi, Les Shadoks, c’était un peu ma madeleine de Proust, avec la sensation que ce programme était un moment de liberté que la télévision nous offrait, à nous, enfants. Alors qu’au départ, Les Shadoks s’adressaient aux adultes et étaient d’ailleurs diffusés à un moment de la journée qui leur était plutôt réservé… »

     

    Pendant toute la période de diffusion des épisodes des Shadoks, Jacques Rouxel recevra ainsi une abondante correspondance d’enfants qui lui témoigneront leur reconnaissance et leur soutien…

     

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    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour Aller Plus Loin » class= » » id= » »]

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  • Monsieur Paul est mort

     

     

    « Pape de la gastronomie française », « primat des gueules » ou simplement « Monsieur Paul », le grand chef français Paul Bocuse, infatigable héraut du prestige tricolore et de sa propre renommée, est mort dans son sommeil, samedi 20 janvier à l’âge de 91 ans. Celui qui fut élu « cuisinier du siècle » s’est éteint dans sa célèbre auberge de Collonges-au-Mont-d’Or, près de la capitale des Gaules, a annoncé sa famille. Il était atteint depuis plusieurs années de la maladie de Parkinson.

     

    Paul Bocuse, un nom qui rayonne aux quatre coins de la planète. En près de 50 ans sous les étoiles, ce héros de la gastronomie française a construit un empire autour d’une cuisine de terroir, puisant ses racines dans la simplicité et la générosité. Lorsque Monsieur Paul arrivait en salle pour saluer ses invités, toque haute, veste immaculée bleu blanc rouge, le temps s’arrêtait, plus un murmure. Tous contemplaient avec admiration cette stature imposante et charismatique. L’instant était sacré.

    Aujourd’hui, la première gastronomie au monde, la cuisine française, est donc en deuil. Il n’y a pas une cuisine qui a réouvert ses fourneaux sans un pincement au coeur, tant Paul Bocuse aura marqué de son empreinte la gastronomie mondiale. S’il n’y avait pas eu Monsieur Paul, s’il n’y avait pas eu ce demi-siècle de cuisine et d’excellence à Collonges-au-Mont-d’Or, il n’y aurait pas eu de chefs stars comme on les connait de nos jours. Ces chefs qui ont leur profil Facebook, leur compte Instagram et leurs milliers de fans, et qui lui ont rendu un dernier hommage hier à Lyon. Paul Bocuse a permis à ces chefs de sortir de leur cuisine, en ouvrant sa propre cuisine sur le monde.

    Lorsque vous arriviez chez lui, il y avait cette grande baie vitrée qui vous permettait de voir la brigade. Paul Bocuse a ainsi compris que le client devait voir les cuisines et qu’on ne pouvait plus cacher le chef comme auparavant. Dès lors, on venait manger chez Monsieur Paul pour sa cuisine, certes, mais aussi pour le chef qui officiait aux fourneaux. Et ça, ce fut une véritable révolution.

     

    Et puis, il y a cette histoire incroyable… Depuis le 17ème siècle, chez les Bocuse, de père en fils, on cuisine à Collonges-au-Mont-d’Or, là même où le monde entier est venu, des stars aux gens les plus modestes, qui ont économisé pour s’offrir ce rêve absolu d’aller diner une fois dans leur vie chez Monsieur Paul. 

     

    Tout commence donc à Collonges-au-Mont-d’Or, au bord de la Saône, où plusieurs générations de Bocuse se succèderont aux fourneaux, jusqu’aux grands-parents et aux parents de Paul Bocuse. Monsieur Paul fera ensuite son apprentissage au Col de la Luère, chez la célèbre Mère Brazier, la toute première chef trois-étoiles, qui lui dit un jour : « Toi, si tu es venu jusqu’ici sur ton petit vélo, c’est que tu es un gars courageux. Je t’embauche. ». Mais son père spirituel fut définitivement Fernand Point, propriétaire du restaurant « La Pyramide » à Vienne et maître incontesté de la gastronomie française de l’époque. Chez Fernand Point, Paul Bocuse se révélera et cela marquera le début de sa carrière.

    En 1956, Monsieur Paul reprend donc l’affaire paternelle, l’Auberge du Pont de Collonges et sa fameuse « Salle de la Cheminée », dont le sol sera foulé par tous les grands de ce monde, de Brigitte Bardot à Jacques Chirac, en passant par Miles Davis ou François Mitterrand.

    En 1965, Paul Bocuse sera le précurseur de l’ouverture au monde de la cuisine française en se rendant au Japon, où il inaugurera quelques années plus tard ses premiers corners et épiceries fines, et en s’établissant aussi aux Etats-Unis. Son nom restera ainsi associé à toute une lignée de chefs prestigieux, parmi lesquels Jean et Pierre Troisgros, Roger Vergé, Louis Outhier, Charles Barrier, Paul Haeberlin, Michel Guérard, Alain Chapel, Gaston Lenôtre, Raymond Oliver, René Lasser ou encore Pierre Laporte.

    Alors que restera-t-il de Monsieur Paul, pour tous ceux qui l’ont connu ou fréquenté ? Sans conteste sa simplicité, sa sympathie et son humilité. Mais surtout, Paul Bocuse aura été un visionnaire, et à en croire toutes les personnalités mais aussi la foule d’anonymes présentes à ses funérailles hier, la flamme n’est pas près de s’éteindre…

     

     

     

  • Sister, Mr J & B and Me… Chronique d’une soirée électorale

     

     

    19h45  : j’arrive chez ma Sister, pour la soirée électorale. Pour l’occasion, elle a convié son meilleur ami, Mr J & B. Avant, il y eut d’autres fiancés, Jacks Daniels, William Lawson, William Peel, et puis aussi ce vaurien de Johnnie Walker, mais finalement, c’est Mr J & B l’élu. Les sentiments, ça ne se commande pas.

    19h50  : On parle de ce qu’on fait si Marine Le Pen est élue ; nous avons prévu un exil, en réunissant nos économies. Nous avons envisagé l’Australie, les îles grecques. Nous faisons le compte de nos avoirs respectifs. En vidant nos livrets A, nous devons avoir environ 1038 euros. Suffisant pour des billets pour Marseille, mais ensuite, il nous faudra rallier la Grèce à la nage. Dépitées, nous décidons de rester et d’organiser la résistance.

    19h53  : Il y a du Jean Moulin en nous… Avec un soupçon de J & B, je vous l’accorde. Mais sans glaçon.

    19h55  : La tension monte.

    19h56  : Le niveau de Mr J & B descend.

    19h58  : Je me ronge les ongles, Sister tripote Mr J & B.

    19h59  : …….

    20h00 : Nous poussons un cri de soulagement. Nous trinquons à la santé de notre nouveau président.

    20h03 : Nous portons un toast à la défaite de Marine Le Pen.

    20h06 : Nous portons un toast à la France.

    20h07 : Nous portons un toast à François Fillon et aux Républicains, qui ont été exemplaires dans leurs reports de voix.

    20h08 : Impartiales, nous portons également un toast aux socialistes, qui ont aussi fait preuve d’exemplarité.

    20h09 : Sister s’énerve toute seule en parlant de Mélenchon qui n’a pas été suffisamment clair dans son positionnement. Mr J & B est obligé d’intervenir. Nous portons un toast à nos amis insoumis qui sont allés voter.

    20h14 : Nous avons oublié Jean Lassalle. C’est un comble… Sister, qui a toujours eu un faible pour les hommes à grand nez, porte un double toast au berger pyrénéen.

    20h16 : je vais faire pipi.

    20h18 : Sister et Mr J & B commencent à être bien en forme. Nous regardons les débats. Il y a Dominique de Villepin. Sister, qui a toujours eu un faible pour les hommes aux tempes blanches déclare rêveuse : « lui, même maintenant, tout vieux, quand il veut je le suce ». Je suis un peu choquée, mais il est vrai qu’elle a toujours été centriste.

    20h27 : Nathalie Kosusko Morizet est sur le plateau. Elle est magnifique, et elle a une jolie coiffure, avec de superbes boucles. Ça tombe bien, Sister vient d’investir dans un mystérieux appareil qui s’appelle « Curl Air Protect », qui promet des ondulations naturelles. Elle veut le tester sur moi. Je proteste que je ne veux pas que quelqu’un qui se porte volontaire pour faire une fellation à un ancien ministre de Chirac me touche les cheveux.

    20h30 : Je fais remarquer que, d’un point de vue purement visuel, mettre David Rachline entre Kosusko Morizet et De Villepin, c’est pas très sympa.

    20h31 : Je vais faire pipi.

    20h39 : Alexis Corbière s’énerve sur le plateau. Il parle des minorités pour qui il faut se battre. Par une curieuse association d’idées, Sister propose de témoigner sa solidarité avec les DOM TOM en ouvrant une bouteille de Rhum. Je sens bien qu’elle va se battre. Je suis médusée, c’est la première fois qu’elle cède aux injonctions d’un insoumis.

    20h42 : Alexis Corbière, éructant, prévient : « ça va mal finir ». Je suis assez d’accord, mais je me demande comment il sait, pour le mélange whisky / rhum. Ce type est un visionnaire.

    21h00 : Julien Dray prend la parole. Sister dis : « je l’aime assez, lui, il est gros ». (Je n’arrive pas toujours à saisir la subtilité de ses analyses politiques)

    21h06 : je vais faire pipi.

    21h13 : C’est au tour de Cécile Duflot d’intervenir. Sister dit : « t’as vu, elle a maigri, elle, je suis sûre qu’elle a fait Weight Watchers ». Heureusement qu’elle est mal coiffée.

    21h14 : Il y a de l’énervement dans l’air, à cause de l’agaçante Cécile Duflot, qui raconte n’importe quoi et s’est délesté de ses kilos en même temps que de ses principes, contrairement à Julien Dray qui est au moins resté fidèle à sa masse graisseuse. Mr J & B est une nouvelle fois mis à contribution.

    21h36 : Dominique de Villepin est toujours là. Sister s’interroge sur ses chances de se marier avec lui un jour. Je suis contente de constater une saine évolution dans leur relation. J’encourage cette union avec enthousiasme. Avec Mr J & B, nous portons un toast nuptial par anticipation.

    21h46 : Interview de Vanessa Schneider du Monde. Elle aussi a de jolies ondulations. Avec des reflets auburn. J’émets l’hypothèse que ces histoires de castes, de journalistes et d’élites, seraient avant tout capillaires. Si ça se trouve, le complot, la grande conspiration, tout ça, c’est un truc de Franck Provost et de Jean Louis David pour diriger le monde ?

    21h50 : Perplexe devant l’étendue de cette découverte, Sister et Mr J & B sont en plein dialogue. Je vais faire pipi.

    22h04 : Emmanuel Macron quitte son QG. La caméra s’attarde complaisamment sur un policier armé, joliment moulé dans son petit pantalon taupe.

    22h06 : Le mariage est annulé, tout est fini avec De Villepin, le CRS au petit cul tient la corde. Résignée, je lève mon verre à mon futur beau-frère motard.

    22h11 : Les caméras suivent les voitures officielles à travers Paris. Sister dit : « ils roulent trop vite là, non ? Tu vois pas qu’ils nous refassent le coup de Lady Di ? ». Même si la vision d’Emmanuel Macron en princesse anglaise me laisse un peu dubitative, je sens bien qu’elle s’angoisse. Avoir échappée à l’exil politique, eu une relation sexuelle buccale avec un ancien ministre grisonnant, trouvé l’amour dans la maréchaussée et devenir veuve dans la même soirée, ça fait beaucoup… Mr J & B est une nouvelle fois obligé d’intervenir en urgence.

    22h18 : Emmanuel Macron est arrivé, il entreprend sa marche seul sur l’esplanade du Louvre. Sister dit : « tu vois pas qu’un sniper lui tire dessus comme pour Kennedy ? ». Elle m’énerve à s’inquiéter comme ça pour tout. Heureusement que Mr J & B est là pour l’apaiser.

    22h20 : Il faudrait qu’il arrête de marcher, là, parce que je n’ai pas l’intention d’aller à l’épicerie du coin racheter une bouteille.

    22h21 : Je vais faire pipi.

    22h22 : Putain, il marche toujours. C’est long… Je suggère de diluer avec quelques glaçons, mais rien à faire, le souvenir de Kennedy assassiné dans sa voiture rode toujours. Elle concède juste un peu de Coca.

    22h23 : Pour calmer son angoisse, nous imaginons comment égayer cette austère marche solitaire. Nous avons des suggestions audacieuses mais intéressantes. Un peu moins solennelle, un peu plus groovy, un peu moins « Mitterrandienne », un peu plus « MickaelJacksonnienne ». Nous nous demandons si Macron sait faire le Moonwalk…

    22h24 : Le nouveau président, insensible à nos suggestions mentales, a terminé sa marche d’une manière désespérément conventionnelle. Qu’importe, nullement découragées et toujours désireuses d’apporter un sang neuf à la scénographie présidentielle, nous imaginons sa montée sur scène. En ce qui me concerne, je vois bien un truc un peu sauvage, genre torse nu en rugissant, à la manière de Joey Starr. Sister imagine plus une entrée débonnaire et joyeuse, sur du Francky Vincent. Elle est vexée quand je lui dis que sa mise en scène est juste influencée par sa nouvelle passion pour le rhum.

    22h25 : Pleines d’espoirs, nous formons le vœu que Brigitte Macron descende sur scène à l’aide d’un filin, comme Johnny Halliday au stade de France.

    22h26 : Nous sommes assez déçues du manque d’audace de la première dame.

    22h27 : Nous retrouvons le sourire en constatant qu’elle a une jolie coiffure, avec un chignon gracieusement relevé et quelques ondulations discrètes. Brigitte a sûrement elle aussi un « Curl Air Protect » et Sister est toute émue de cette communion capillaire avec la première dame.

    22h34 : Debout, nous entonnons « La Marseillaise ». Je sens bien que Sister est à deux doigts de monter sur la table basse mais je lui fais remarquer qu’elle n’est pas comme cette collabo hypocalorique de Cécile Duflot, et que la table n’y résisterait pas.

    22h36 : Debout, nous entonnons « Une Petite Française » de Michelle Torr.

    22h50 : Couché, Mr J & B n’a pas survécu.

    23h00 : Nous esquissons quelques pas de danse, un inédit mélange de valse, de zouk et de danse contemporaine. André Rieu, Franky Vincent et Pina Bausch.

    Nous sommes joyeuses, légères et soulagées. Nos parents viennent de cet autre côté de la Méditerranée, qui fait si peur à certains. Notre sang est mélangé, Maroc, Algérie, Pologne et France. Notre cœur est tellement français qu’il en a palpité d’émotion ce soir.

    Bien entendu, nous aurons peut-être la gueule de bois, nous ne sommes pas naïves, mais vous n’êtes juste pas obligés de nous le rappeler. Pas tout de suite…

     

    Chronique d’une soirée électorale par Nathalie Bianco

     

     

  • Colorama, retour sur la « Kodak Way of Life »

     

     

    À l’origine de la collection Colorama, les immenses images Kodak rétroéclairées, exposées dans le hall de Grand Central à New York de 1950 à 1990. La firme américaine y proclamait ainsi sa toute-puissance photographique. Alors utilisés comme espaces publicitaires dans la mythique gare ferroviaire de Manhattan, les clichés placardés étaient des transparents aux dimensions exceptionnelles de 18 mètres de large sur 6 mètres de haut. Du jamais vu dans le monde de la photographie.

     

    Par leurs mises en scènes spectaculaires, presque surréalistes, ces panoramiques conçus à l’origine comme des outils de communication au service de la promotion des pellicules et des appareils de prise de vue de la marque Kodak sont peu à peu devenus un véritable feuilleton au long cours. Le Kodak Colorama Display a su mettre en scène pendant plus de 40 ans l’histoire de la famille idéale, sans contradiction ni contestation. Ces clichés géants furent ainsi l’expression lisse et consensuelle du rêve américain d’après-guerre, son versant le plus aimable et le plus universellement adoptable.

    Les images de la collection Colorama servaient avant tout à la promotion commerciale des produits de la firme Kodak, que l’on aperçoit d’ailleurs dans chaque mise en scène. Mais ces panoramas en appellent surtout au thème commun et classique du passage du temps, pour mettre en valeur la fonction de l’appareil photo, moyen de saisir et de conserver les meilleurs instants d’une vie, qu’il s’agisse d’anniversaires, de réunions de famille, de mariages ou de scènes de vacances.

    Ces clichés monumentaux, par leur esthétique et leur ambition, dépassent ainsi le simple constat publicitaire et la prouesse technologique. Ils racontent aussi l’histoire d’une famille idéale et dispensent un discours volontairement patriote et conservateur sur l’Amérique des années 50. Dans cette promotion du fameux « American Way of Life », la contre-culture semble inexistante et tout semble tellement pur derrière les couleurs éclatantes et les sourires figés de personnages enjoués.

    A découvrir…

     

     

     

     

  • 120 Battements par Minute

     

     

    On se sent toujours un peu ennuyé, voire même coupable, lorsqu’on a le sentiment d’être passé à côté d’un film qui croule sous une avalanche de dithyrambes… Mais c’est pourtant ce que j’ai ressenti avec « 120 Battements par Minute ».

     

    Même si je fus un protagoniste de cette période, ou plutôt un figurant, je ne me suis pas retrouvé dans cette description qui se veut factuelle d’une époque, avec les événements qui s’y rattachent. Je n’ai jamais été ni activiste ni séropo, ou quoi que ce soit qui pourrait s’assimiler à l’histoire des personnages du film « 120 Battements Par Minute » de Robin Campillo. J’y retrouve cependant tel ou tel trait de caractère que j’avais noté dans le comportement de ceux que j’ai pu croiser à l’époque, pris dans leurs combats.

    Je vivais pourtant à Paris et je jouissais d’une vie de jeune gay tout ce qu’il y a de plus lambda, sans avoir été confronté une seule fois à une situation vraiment douloureuse. Je me protégeais, et même si je cotoyais ou couchais avec des séropositifs, ces derniers n’évoquaient jamais leur drame intime. On savait la période dure pour ceux qui avaient contracté le HIV, mais néanmoins floue car tout était encore bien nébuleux au sujet de ce virus.

    C’était l’avènement de la House et du Garage, et les boites de nuit gay étaient à cette époque paradoxalement d’incroyables temples païens où la danse constituait un exutoire, une communion, et où l’on allait d’abord pour danser avant de draguer. En ce sens, les scènes de clubbing dans le film sont extrêmement belles et comptent parmi les plus réussies.

    Alors, même si le film de Robin Campillo décrit avec force détails le fonctionnement d’Act Up, les enjeux de l’époque, et tous ces personnages inspirés de la réalité, il nous manque pourtant quelque chose. Sans doute une hauteur, une ampleur… Les trois histoires présentées dans le film s’imbriquent mal. Elles se mélangent, se superposent mais interagissent difficilement entre elles. Du fait d’un budget restreint, d’un cadrage trop serré et d’un nombre limité de décors, le film finit par être étouffant, suffoquant. Peut-être était-ce une volonté artistique du réalisateur, mais les scènes d’intervention, les coups d’éclat, les manifestations manquent de force et de hargne. Elles sont trop « cheap » et sonnent faux.

    En voulant sans doute coller aussi à une stricte réalité et ne pas tomber dans un misérabilisme flamboyant façon « Les Nuits Fauves » ou certains des films de Patrice ChereauL’homme Blessé », « Ceux Qui M’aime Prendront Le Train »…), 120 Battements prend le parti-pris d’un naturalisme « Pialesque » sans savoir où couper. On se retrouve ainsi avec des scènes étirées qui éclipsent certaines autres, plus courtes mais pourtant plus réussies. On ne s’attache que difficilement aux personnages, mis à part Nathan, une sorte d’être lumineux et bienveillant. Quant aux autres, ils sont surtout des stéréotypes que l’on a tous déjà côtoyés dans les milieux gay que l’on pouvait fréquenter à l’époque. Personnellement, ces individus m’agaçaient de par leur hargne, leurs rapports conflictuels et l’arrogance affichée comme seul moyen de communication.

    Avec si peu d’empathie et cette morgue comme seule alternative pour expliquer les enjeux, on se demande où réside l’intérêt du film aujourd’hui et surtout à qui il s’adresse, finalement… Aux gays ayant vécu cette période, comme une piqure de rappel ? A un jeune public qui ne connaîtrait pas cette époque symboliquement forte du militantisme en France ? A un public qui voudrait en savoir plus sur la communauté LGBT ? D’autant que cela retrace l’histoire d’Act Up, quand tout restait encore à faire. Depuis, heureusement, et sans doute en grande partie grâce à eux, des progrès considérables ont été mis en oeuvre pour le traitement des malades.

    Au-delà de la dimension historique, didactique, je m’attendais malgré tout à être secoué, galvanisé, en regardant un film puissant et électrique. Je pensais aller voir un morceau brut d’énergie pure, une ode à la vie. Une expérience sensitive et bouleversante… On me dira que le combat est donc toujours d’actualité, certes, mais je me penche ici uniquement sur l’expérience cinématographique et non pas sur les idées qu’elle défend. Et en tant qu’oeuvre qui voudrait s’adresser à un large public, je crains que beaucoup restent sur le bas côté et n’entendent rien à ce 120 Battements qui exprime plus le sentiment de mort que l’espoir ou la lumière.

    La fin est pesante, interminable et inutilement arrache-larme, et tout ce qu’avait tenté d’éviter le réalisateur durant le métrage, à savoir ce pathos omniprésent, nous explose ici à la figure de manière maladroite et crispante. Le générique final enfonce le dernier clou de ce cercueil qu’est « 120 Battements Par Minute » et notre coeur, quant à lui, s’est arrêté de battre…

     

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