Catégorie : Culte

  • Histoire d’un Hit | Minnie Riperton : « Inside My Love »

     

     

    Minnie Riperton était une chanteuse de soul et une compositrice incroyable, qui nous quittait malheureusement beaucoup trop tôt, le 12 juillet 1979, à l’âge de 31 ans. Vous la connaissez évidemment pour son immense hit « Lovin’ You » sorti en 1975, mais ça n’est pas le morceau que nous avons choisi aujourd’hui.

     

    Notre choix s’est donc plutôt porté sur « Inside My Love », extrait de l’album « Adventures in Paradise » datant lui aussi de 1975 ; un morceau soulful à souhait qui traite… de sexe et d’amour charnel. Cette chanson nous raconte l’histoire de deux inconnus qui viennent tout juste de se rencontrer, et qui vont éprouver le besoin irrépressible de se connaître aussi intimement et intérieurement que deux êtres normalement constitués peuvent l’envisager.

    You can see inside me.
    Will you come inside me?
    Do you want to ride inside my love?

    Composée par Minnie Riperton, Leon Ware et Richard Rudolph, « Inside My Love » oppose clairement un texte plus qu’explicite et suggestif à l’innocence de la voix de son interprète. Minnie Riperton s’y fait pourtant chatte, langoureuse, tandis qu’elle vous susurre cet appel à l’amour au creux de l’oreille…

    Cette chanson est devenue un tel standard, qu’on ne compte plus les reprises ou les samples extraits du morceau, à commencer par Quentin Tarantino qui l’utilisait en 1997 dans sa B.O. de « Jackie Brown ». Mais aussi A Tribe Called Quest, 2Pac, Donell Jones, Aaliyah, pour ne citer qu’eux…

    En clair, si cette chanson ne vous donne pas envie d’allumer des bougies, d’ouvrir une bouteille de champagne et de vous glisser dans quelque chose de plus confortable et moelleux qu’un canapé Ikea… alors soit vous êtes sapiosexuel, soit vous devriez peut-être vérifier la qualité de vos enceintes.

     

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  • Christophe, parti pour une nuit éternelle

     

     

    Le chanteur Christophe s’en est allé… L’étrange univers qu’il avait façonné avec soin depuis des lustres, et qui mua sans cesse au fil de ses nouvelles chansons, reste unique, comme pourrait l’être celui de David Lynch au cinéma. 

     

    Traversant les surfaces, arrondissant les angles et faisant fi des lois de la gravité, les chansons de Christophe, à l’instar des films du réalisateur de « Lost Highway », se singularisent avant tout par le ressenti. En l’écoutant, quelque chose d’indéfinissable nous caresse et on le sent, puis ça nous prend par la main et nous emmène pour un voyage qui abolit les principes terrestres comme toutes les petites phrases.

    Christophe était le chanteur de l’air, même si lui aimait rouler la nuit dans des voitures de collection, pour ressentir le danger de la vitesse, être James Dean et se moquer de l’oubli. Une sensation vertigineuse et en même temps douce de flottement, de lévitation. Il aurait pu aussi piloter des avions et contempler le monde la nuit. Toutes les petites lumières au-dessous de lui…

    Mais Christophe, c’est surtout Daniel Bevilacqua, qui avec un nom pareil, tellement romanesque, tellement cinématographique, a préféré au début de sa carrière se choisir un prénom simple, pour s’exprimer d’abord comme chanteur « yéyé ».

    Plus ses albums prenaient de la hauteur et plus ses chansons devenaient des mantras pour nos nuits sans sommeil. Christophe, tel un chaman motorisé filant au volant de ses bolides sur les routes nationales, pendant que nous cherchions le sommeil, chantait de sa sinueuse voix, avec ce timbre de beau bizarre.

    La mélancolie en amulette autour du cou, la nostalgie telle une cape, portée un peu sur le côté ; celle de ces seigneurs nocturnes, un peu vampires, un peu mythos, qui hantent les bars et les lieux lambrissés. Des boules à facettes qui tournent et qui projettent leurs éclats sur des parquets vides, des murs jaunis par le tabac. L’éternel dernier soupirant à prendre congé, celui qui pleure sans discontinuer des amours évaporés ou chimériques. Toutes celles qu’il n’a pas eues ou qu’il a vues dans les bras des autres…

    Car c’est ce qu’il savait faire le mieux, laisser exalter ses chagrins et ses peines. Christophe était l’un de ces rares artistes dont les chansons nous travaillent et nourrissent notre imaginaire. Ce qu’il proposait, c’était d’abord des films mentaux, des expériences intimes et sensorielles qui impressionnaient la pellicule de nos esprits. D’un petit chanteur de variété cultivant une image de loser flamboyant, il s’était peu à peu construit celle d’une pop star venue d’un monde parallèle, jonché de juke box, de Cadillac bleu turquoise ou rose bonbon, de pin-up au goût de réglisse.

    Contrairement à David Bowie qui avait commencé sa carrière avec les frasques vestimentaires qu’on lui connaissait, affublé à outrance de make up et de teinture, pour ensuite devenir plus neutre, Christophe a pris le chemin inverse. Il a compris que c’est le mystère qui est le sel de toute chose et qui permet de tenir et de créer.

    L’éternel amoureux transi, le représentant ultime de tous les cœurs frêles, s’est éteint dans une chambre d’hôpital, loin de son monde secret et de ses repaires. C’est injuste et cruel, certes, mais cela lui confère désormais l’image du martyr, du saint, le patron des causes perdues et du cimetière des éléphants. Avec sa musique toujours plus sophistiquée, toujours plus hypnotique, ses allures de maître de la nuit, gardien de nos petits espoirs souffreteux et son talent à mille lieux d’un autre dernier des Mohicans, Alain Chamfort (un peu trop sage) ou encore Benjamin Biolay (un peu trop prévisible), Christophe a su décrire en faisant vaciller « Les Paradis Perdus », « La Dolce Vita », « Minuit Boulevard », « Le Héros Déchiré » ou « La Route de Salina ».

    Après Alain Bashung, vient de disparaître le dernier des dandys de la chanson française, le dernier des Bevilacqua…

     

    Dans ma veste de soie rose
    Je déambule morose
    Le crépuscule est grandiose
    Peut-être un beau jour voudras-tu
    Retrouver avec moi
    Les paradis perdus…

     

     

     

  • French Connection (1978-1982) : Episode 05

     

     

    Plongée dans la France de la toute fin des années 70, les années Giscard : période des grands bouleversements sociétaux et d’un certain sentiment de modernité, entre libéralisation du divorce et éclatement de l’ORTF. Pourtant, la jeunesse s’ennuie et se réfugie alors dans l’émergence de nouvelles scènes rock et new-wave. Parmi les groupes qui s’imposent : Téléphone, Starshooter ou Bijou.

     

    Cette même année 1980, on trouve aussi dans les bacs d’étranges 45T, comme ce « A Mon Âge Déjà Fatigué », pop légère, hédoniste quoique désabusée, enregistré par le chanteur Pierre-Edouard et écrit par un certain Jay Alanski, en collaboration avec le musicien Wally Badarou. Jay Alanski qui se fait connaître en 1979 en composant la musique des premières chansons de Lio avec laquelle il travaillera durant de nombreuses années.

     

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    Mais soudain surgit 1981 et l’élection présidentielle, à laquelle Coluche ne s’était finalement pas présenté. L’accession au pouvoir de Mitterrand scelle la fin de ces années 70, juste après le virage radical qu’amorce le monde à partir de 1979. La jeunesse en avait momentanément oublié sa fatigue et pensait ne plus jamais s’ennuyer…

     

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    Téléphone, qui s’était toujours posé comme un groupe politiquement engagé, se produisant à la Fête de l’Humanité, participe en juin 1981 à un concert géant et gratuit, Place de la République, pour fêter l’élection de Mitterrand. Ils y partagent notamment la scène avec Jacques Higelin et y interprètent ce titre, « Fait Divers », extrait de leur deuxième album sorti en 1979, qui deviendra un temps le générique du journal télévisé de la nuit d’Antenne 2.

     

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    Les années suivantes seront marquées par l’explosion des radios libres, initiée en 1981. Cette même année, le Golf Drouot ferme ses portes, après un ultime concert. Le Rock marque le pas… Bientôt, Téléphone tentera de prendre un virage grand public, mais finira par se séparer, comme Starshooter ou Bijou. La Cold Wave, la New Wave à la Française, accouchera quant à elle d’une sorte de Pop réinventée. On pense évidemment à tous ceux qui marqueront cette nouvelle décennie, entre Etienne Daho et Niagara, en passant aussi par le groupe Taxi Girl apparu en 1981, et son chanteur emblématique Daniel Darc, qui deviendra l’icône de cette scène chic parisienne, décontractée et moderne.

     

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    Ainsi s’achève notre évocation de cette « French Connection » des années 1978 à 1982. Nous aurions évidemment pu aussi citer d’autres formations qui auront marqué la période, de Shakin’ Street à Stinky Toys, en passant par Little Bob Story, Les Dogs ou encore Les Olivensteins. Peut-être pour une prochaine fois…

     

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    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »]  French Connection (1978-1982) : Episode 01

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] French Connection (1978-1982) : Episode 02

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] French Connection (1978-1982) : Episode 03

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] French Connection (1978-1982) : Episode 04

     

     

     

  • Restez chez vous et baisez-vous…

     

     

    « Je ne savais pas que l’amour, c’était une maladie. Vous au moins vous êtes tranquille, vous vous êtes fait vacciner ! » 

     

    Parce que ce matin, j’en profite pour vous dire : Si vous interrogez 50 experts, vous savez, les mêmes que notre gouvernement a interrogés, eh bien, vous constaterez que vous aurez en général 50 avis différents, et ce pour évidemment des considérations, des objectifs tous différents, quand on ne parle même pas de pathologies psychologiques lourdes ; entre ceux qui savent tout sur tout, ceux qui sont dans l’idéologie mortifère, ceux qui ne voulaient pas effrayer la population, ceux qui sont souvent dans le déni, ceux qui ne voulaient pas dire la vérité pour que les élections se tiennent bien, ceux qui ont fait prévaloir l’intérêt économique avant l’intérêt humain et sanitaire, et bien d’autres raisons encore sans rapport avec la réalité des faits…

    Alors, aujourd’hui, à qui pouvons-nous nous fier ? Evidemment à ceux qui sont au coeur de cette guerre, qui eux savent parce qu’ils le vivent au quotidien, dans leur chair. Je prends comme exemple un médecin français qui travaille à Wuhan depuis des années, qui n’a pas vu sa famille depuis plus de deux mois, et qui nous adresse ce message : « Restez chez vous à partir de maintenant, tout de suite ! N’ayez aucun contact avec l’extérieur pendant 2, 3 semaines, 4 semaines si nécessaire, AUCUN ! Et si tout le monde respecte cela, vous vous protégerez, vous protégerez vos proches, le personnel soignant, les gens qui vous nourrissent, et il n’est pas impossible que vous voyiez la courbe des contaminations commencer à s’infléchir ».

    Qu’est-ce que c’est, quelques semaines, dans une vie ?? Et quand tout ce film d’épouvante sera terminé, il sera temps d’en tirer les conclusions qui s’imposent, et il faudra que tous ceux qui nous ont menés à ce désastre rendent des comptes, dans les urnes comme dans leurs petites consciences bien rances ! Car préparons-nous à ce que plus rien ne soit comme avant… Alors faisons en sorte que ça soit pour le bien !!!

    Et comme les distances de sécurité n’ont pas lieu d’être sur internet : un baiser par jour, sur ce fil. De ces baisers qui redonnent espoir, avec plein de salive autour !

     

    Jour 01 du Grand Confinement : Rita Hayworth et Glenn Ford dans « Gilda ».

     

    Jour 02 du Grand Confinement : Marcello Mastroianni et Anita Ekberg dans « La Dolce Vita ».

     

    Jour 03 du Grand Confinement : Michèle Morgan et Jean Gabin dans « Quai des Brumes ».

     

    Jour 04 du Grand Confinement : Faye Dunaway et Steve McQueen dans « L’Affaire Thomas Crown ».

     

    Jour 05 du Grand Confinement : Deborah Kerr et Burt Lancaster dans « Tant qu’il y aura des hommes ».

     

    Jour 06 du Grand Confinement : Eva-Marie Saint et Marlon Brando dans « On The Waterfront ».

     

    Jour 07 du Grand Confinement : Jean Seberg et Jean-Paul Belmondo dans « A Bout de Souffle ».

    Jour 08 du Grand Confinement : Brigitte Bardot et Jean-Louis Trintignant dans « Et Dieu créa la Femme ».

     

    Jour 09 du Grand Confinement : Ingrid Bergman et Cary Grant dans « Notorious ».

     

    Jour 10 du Grand Confinement : Vivien Leigh et Clark Gable dans « Autant En Emporte Le Vent ».

     

    Jour 11 du Grand Confinement : Audrey Hepburn et Gregory Peck dans « Vacances Romaines ».

     

    Jour 12 du Grand Confinement : Ingrid Bergman et Cary Grant dans « Les Enchaînés ».

     

    Jour 13 du Grand Confinement : Anna Karina et Jean-Paul Belmondo dans « Pierrot Le Fou ».

     

    Jour 14 du Grand Confinement : Cameron Diaz et Jim Carey dans « The Mask ».

     

    Jour 15 du Grand Confinement : Audrey Hepburn et George Peppard dans « Breakfast At Tiffany’s ».

     

    Jour 16 du Grand Confinement : Scarlett Johansson et Jonathan Rhys-Meyers dans « Match Point ».

     

    Jour 17 du Grand Confinement : La Belle et Le Clochard dans… « La Belle et le Clochard ».

     

    Jour 18 du Grand Confinement : Kate Winslet et Leonardo DiCaprio dans « Titanic ».

     

    Jour 19 du Grand Confinement : Vivien Leigh et Clark Gable dans « Autant En Emporte Le Vent ».

     

    Jour 20 du Grand Confinement : Dakota Johnson et Jamie Dornan dans « 50 Nuances de Grey ».

     

    Jour 21 du Grand Confinement : Zira et Charlton Heston dans « La Planète des Singes ».

     

    Jour 22 du Grand Confinement : Vittoria Puccini et Stefano Accorsi dans « Encore Un Baiser ».

     

    Jour 23 du Grand Confinement : Ellen Ripley et Alien dans « Alien 3 ».

     

     

     

  • La Nuit Body Snatchers à la Cinémathèque

     

     

    Ce qui, à l’origine constituait le postulat d’une nouvelle de science-fiction, (« Graines d’épouvante » de Jack Finney publiée en 1955), soit l’invasion d’entités extraterrestres prenant forme humaine et « remplaçant » ainsi, à terme, l’humanité, individu par individu, est devenu plus qu’un thème cinématographique. C’est un motif, un principe abstrait et théorique qui allait dépasser les déterminations des genres.

     

    En 1955, sous la férule du producteur indépendant Walter Wanger, Don Siegel réalise ce qui s’appellera en français, à la suite d’une erreur de traduction, « L’Invasion des profanateurs de sépultures ». La peur et le malaise y sont principalement liés à la question de la déshumanisation qui devient une véritable interrogation esthétique et morale (qu’est-ce qu’une figure humaine dans un film ?).

    Le remake que signe Philip Kaufman en 1978 est représentatif d’un changement radical de la société et du spectateur. Les temps, devenus incrédules, exigent que le processus de transformation de l’homme en un double « différent » soit l’explication d’une logique psychologique particulière. Dans sa version, réalisée en 1992, Abel Ferrara, enfin, révèle, grâce à un dispositif très particulier situant le récit au cœur d’une base militaire, qu’il y a pire que le cauchemar du devenir-autre, il y a l’enfer du même.

    Ce thème de la transmutation de l’unique en son « autre » connaitra encore de nombreuses variations cinématographiques, dont « Invasion » d’Oliver Hirschbiegel réalisé en 2007 constitue un exemple.

     

    Jean-François Rauger

     

    C’est à la Cinémathèque et c’est le samedi 07 mars à 22h00 ! Au Programme :

     

    « L’Invasion des Profanateurs » (Invasion of the Body Snatchers)
    Philip Kaufman (Etats-Unis / 1978 / 115 min / DCP / VOSTF)
    D’après le roman « L’Invasion des profanateurs de sépultures » de Jack Finney.
    Avec Donald Sutherland, Brooke Adams, Leonard Nimoy, Jeff Goldblum.

     

    « L’Invasion des profanateurs de sépultures » (Invasion of the Body Snatchers)
    Don Siegel (Etats-Unis / 1955 / 80 min / DCP / VOSTF)
    D’après le roman « The Body Snatchers » de Jack Finney.
    Avec Kevin McCarthy, Dana Wynter, King Donovan, Carolyn Jones.

     

    « Body Snatchers »
    Abel Ferrara (Etats-Unis / 1992 / 87 min / 35mm / VOSTF)
    Avec Terry Kinney, Meg Tilly, Gabrielle Anwar.

     

    « The Invasion »
    Oliver Hirschbiegel (Etats-Unis / 2005 / 98 min / 35mm / VOSTF)
    D’après le roman « L’Invasion des profanateurs » de Jack Finney.
    Avec Nicole Kidman, Daniel Craig, Jeremy Northam.

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] La Nuit Body Snatchers

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] The Body Snatchers à Instant City

     

     

     

  • French Connection (1978-1982) : Episode 04

     

     

    Plongée dans la France de la toute fin des années 70, les années Giscard : période des grands bouleversements sociétaux et d’un certain sentiment de modernité, entre libéralisation du divorce et éclatement de l’ORTF. Pourtant, la jeunesse s’ennuie et se réfugie alors dans l’émergence de nouvelles scènes rock et new-wave. Parmi les groupes qui s’imposent : Téléphone, Starshooter ou Bijou.

     

    C’est la nouvelle vague, plastique et fluo et Skaï
    Super dégaine spéciale, électricité en pagaille
    C’est la nouvelle vague, sans paradis artificiels
    Sans illusions superficielles, sans mémoire…

    Starshooter, 1979

     

    Mais la nouvelle vague, cette année-là, reste essentiellement celle des musiciens du groupe Téléphone, qui en ce début de l’année 1979, enregistrent à Londres leur 2ème album, « Crache Ton Venin ». Les textes réalistes abordent de front les thèmes de société, entre menace atomique (« La Bombe Humaine »), révolte et conflits familiaux des adolescents. Porté par une pochette conçue par le photographe Jean-Baptiste Mondino, l’album consacre le groupe, trois ans à peine après son tout premier concert. Même si, en marge de cette nouvelle scène rock, d’autres courants musicaux sont alors en gestation.

     

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    « C’est pour essayer de penser à autre chose, parce que c’est tellement triste, tout ce qui arrive, qu’il faut bien s’étourdir. Sortir le plus possible, sortir toute la nuit, aller boire, aller danser. Avant de mourir, il faut prendre du plaisir et jouir de l’instant présent. » (Alain Pacadis sur le plateau d’Apostrophes, 07/04/1978)

     

    A l’image de l’étrange et provocateur Alain Pacadis, chroniqueur déglingué des nuits parisiennes, notamment pour le quotidien Libération, apparaissent alors les nouveaux punks, ces dandys urbains et sophistiqués qui se défoncent à l’héroïne, dorment le jour et arpentent la nuit les institutions festives qui s’ouvrent en cascade. Il y eut d’abord La Main Bleue, ouverte en 76 dans un ancien centre commercial de Montreuil, près de Paris. Initialement fréquentée par tous les Africains et les Antillais qui se faisaient refouler des boîtes parisiennes, La Main Bleue devient un lieu branché investi par les bourgeois bohèmes blancs de la capitale.

     

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    En mars 78, dans un ancien théâtre à l’Italienne situé près des Grands Boulevards ouvrait ensuite l’inévitable Palace, sous l’impulsion de Fabrice Emaer, devenant le comble des sociabilités « People », des vanités chics et délurées. Plus intimistes, les Bains-Douches sont inaugurés en décembre de la même année, Rue du Bourg l’Abbé, près du Marais, rachetés par deux antiquaires qui en confient la décoration à Philippe Starck. Le premier soir, deux-mille personnes se pointent et la Préfecture de Police, qui redoute des débordements, a posté huit cars de CRS de part et d’autre de la rue.

     

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    En l’espace de quelques mois, avec le concours actif des médias, Libération ou Actuel en tête, la danse en boîte de nuit, le « Clubbing », comme on l’appelle, devient l’horizon incontournable de la jeunesse urbaine française, ou du moins parisienne. Parmi les créateurs, les couturiers, les stars ou les vedettes de passage, on y croise aussi Gainsbourg et la jeune garde du rock français, comme les membres du groupe Bijou, qui en 1979, sortent sur leur deuxième album une reprise des « Papillons Noirs » gainsbouriens.

     

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    « Les Papillons Noirs » signé Gainsbourg, que ce dernier avait enregistré en 1966 avec Michèle Arnaud, est repris en 1979 par le groupe Bijou, trio arty, mélange de rock dur et de romantisme, sur son album « Ok Carole ». En février 1980, le magazine Actuel intitule un article d’une formule efficace, qui allait devenir une appellation musicale, pour résumer l’époque : « Les jeunes gens modernes aiment leurs mamans ». Entre les Rennais de Marquis de Sade, Jacno ou Marie et Les Garçons, les groupes n’ont pas grand chose à voir entre eux, mais peu importe…

    Associé à cette mouvance, le groupe parisien Edith Nylon, formé là encore par des lycéens de bonne famille autour de la chanteuse Mylène Khaski, enregistre son tout premier album en 1979, pendant les vacances scolaires. Mylène et sa chevelure de feu s’y autoproclamant « femme bionique, artères antistatiques, perruque de nylon, utérus en Téflon, seins gonflés silicone, lèvres glacées de chrome… Edith Nylon, c’est moi… ».

     

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    « Edith Nylon » par le groupe du même nom, dont les paroles évoquent la société d’alors, le féminisme, mais aussi les périls futurs, comme les manipulations génétiques ou le transhumanisme, et dont la new-wave inspirera par la suite des groupes comme les Rita Mitsouko. Pour l’heure, ce changement de décennie est surtout marqué par le rock et l’émergence d’un nouveau groupe, Trust.

    Formé en 1977 par deux mecs de banlieue parisienne, le chanteur Bernie Bonvoisin venu de Nanterre et le guitariste Norbert « Nono » Krief originaire des Mureaux, Trust, après avoir passé trois longues années dans l’ombre de Téléphone, connaît un immense succès à partir de 1980 avec la parution de son second album « Répression », dénonçant le sort de Jacques Mesrine dans la chanson « Le Mitard » ou encore l’ensemble du système, dont les dés sont pipés. Il s’en écoule plusieurs centaines de milliers d’exemplaires dès sa sortie.

     

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    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »]  French Connection (1978-1982) : Episode 01

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] French Connection (1978-1982) : Episode 02

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] French Connection (1978-1982) : Episode 03

     

     

     

  • French Connection (1978-1982) : Episode 03

     

     

    Plongée dans la France de la toute fin des années 70, les années Giscard : période des grands bouleversements sociétaux et d’un certain sentiment de modernité, entre libéralisation du divorce et éclatement de l’ORTF. Pourtant, la jeunesse s’ennuie et se réfugie alors dans l’émergence de nouvelles scènes rock et new-wave. Parmi les groupes qui s’imposent : Téléphone, Starshooter ou Bijou.

     

    Jusque là, la scène rock et pop progressive française, malgré son succès auprès de la jeunesse, qu’on songe aux groupes Magma, Ange, Triangle ou aux Variations, ne bénéficie presque d’aucune promotion de la part des maisons de disques. Et par conséquent d’aucun passage à la radio ni à la télé. L’explosion du mouvement punk en Grande-Bretagne allait sacrément rebattre les cartes… Avant même cela, le punk, au début des années 70, trouve déjà des adeptes dans le petit monde parisien de la musique. Ne jurant que par les Stooges d’Iggy Pop, le Velvet Underground ou les New York Dolls, le journaliste Yves Adrien s’en fait l’écho dès 72 dans les colonnes de Rock & Folk.

    Prônant une révolution rock électrique pour ceux qui aiment le rock violent, éphémère et sauvagement teenager, il écrit : « des teenagers qui préfèrent le bubble gum au Marxisme, et c’est heureux. La rock music n’a que faire des slogans. L’aventure gauchiste n’est pas, dans le concept musical et électrique qui nous préoccupe, plus importante que la mode du twist ou des bottes à semelles compensées ». Le punk, dont on trouve les disques importés des Etats-Unis chez Open Market, éphémère disquaire parisien créé par Marc Zermati, tête chercheuse musicale et fondateur déjà en 1972 du label Skydog. A peine trentenaire, Zermati avait ouvert sa boutique dans le quartier des Halles, alors en plein chamboulement après la destruction des Halles Baltard et la prochaine ouverture du Forum des Halles et du Centre Pompidou.

     

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    La cave située sous sa boutique du 58 Rue des Lombards accueille les répétitions des Havrais du groupe Little Bob Story ou des Parisiens du groupe Asphalt Jungle, formé en 1976 par le jeune critique rock Patrick Eudeline, âgé de vingt-deux ans. L’été 76, Marc Zermati organisait à Mont-de-Marsan, dans les Landes, le premier festival punk français. Un an plus tard, il remet ça. Deux jours de concert, début août, qui attirent 4000 spectateurs. En têtes d’affiche, les Britanniques de The Clash et d’Eddie & The Hot Rods, précédés chaque soir sur scène de plusieurs groupes français : Strychnine, les Lou’s, un groupe de punk 100 % féminin, Shakin’ Street, Marie et les Garçons, Bijou ou encore Asphalt Jungle.

    La jungle de l’asphalte, dont le chanteur et leader Patrick Eudeline, qui a fait ses études au très conservateur collège Stanislas à Paris, est devenu dix ans plus tard critique musical pour le magazine Best. Eudeline, qui traîne par ailleurs souvent au Gibus, une petite salle située à un jet de pierre de la Place de la République, où l’on peut dîner jusque tard et écouter de la musique. Il y décroche un engagement pour son groupe et en profite pour ouvrir la scène à d’autres formations, lors d’un mini-festival de musique punk qui aide à la promotion de ce nouveau courant. Asphalt Jungle, qui sortira en 78 son titre « Poly Magoo », hommage au film de William Klein et aux paroles aussi énigmatiques que son oeuvre inspiratrice : « Quelque chose de bubble gum, à chemin nos uniformes, habitude bien trop étrange, je veux être Poly Magoo… »

     

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    « Poly Magoo », troisième single du groupe Asphalt Jungle, sorti en 1978. Pourtant, le groupe ne durera pas et se séparera l’année suivante. Les punks, qui se retrouvent donc les soirs au Gibus, ou bien dans les premiers McDo qui ouvrent en France. Le tout premier, sur les Champs-Elysées en 1973 ; à 6,30 Francs le BigMac et 3,20 Francs les super-frites congelées… « Les plus beaux musées du 20ème siècle », comme les avait qualifiés Andy Wharol, deviennent les rendez-vous gastronomiques obligés des punks parisiens, souvent fauchés. Du moins pour se nourrir… Christian Eudeline, le frère de Patrick, qui chroniquera lui aussi ces années-là, écrit : « La plupart des premiers punks étaient très sensibles, gentils, doux, souvent timides, ce qui contrastait avec la violence de leur musique et de leurs textes. Ils carburaient au Fringanor, une amphétamine, ou encore à l’héroïne, mettant un point d’honneur à ne pas fumer de joints, qu’ils considéraient comme des trucs de babas… ».

    Cette année 78 est votée la loi « Informatique et Liberté » dont l’article 8 énonce « l’interdiction de collecter des données à caractère personnel faisant apparaître les origines raciales, ethniques, les opinions politiques, philosophiques, religieuses ou syndicales, de même que les orientations sexuelles ». Vingt ans avant l’avénement d’Internet, la France posait ainsi l’un des premiers jalons en la matière. Même si, à vouloir protéger les citoyens des intrusions et de la surveillance des grandes bases de données dont les administrations commençaient à se doter, la France ne réalisait pas qu’elle manquait en fait d’informations essentielles, et qu’entre sa jeunesse et elle, un angle mort s’était peu à peu formé… Comme en témoigne cette archive Ina du 09 décembre 1978, « La France des adultes ne connaît pas les jeunes » (Jean-Claude Bourret et Dominique Laury, TF1).

     

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    Or, malgré le scepticisme ambiant, une frange des jeunes commence à s’agiter. Illustration de cette agitation naissante, juillet 1978 à l’Olympia, où est organisé le festival « Le Rock d’Ici ». Trois soirs de concert montés par Philippe Constantin, qui travaille à l’époque chez Pathé Marconi. Sur scène, neuf groupes rock ou punk font face à 2000 spectateurs, dans une ambiance particulièrement déchaînée. Ainsi, le groupe Metal Urbain ne joue-t-il que trois ou quatre morceaux, le temps que son clavier, imbibé de bière, ne se prenne les pieds dans les câbles de ses synthés et que tout n’explose… Le reste est à l’avenant.

    En coulisse, les groupes se foutent joyeusement sur la gueule pour faire modifier l’ordre de passage, tandis que sur scène, Kent, le chanteur de Starshooter, fait remarquer à la foule qu’à l’époque de Bécaud, les gens pétaient les fauteuils. Qu’à cela ne tienne, la foule de 1978 se retrousse les manches et en fait de même. Un à un, les fauteuils sont déposés sur scène, comme autant d’offrandes à la contestation. Résultat : 200 fauteuils arrachés, et une sulfureuse mais efficace publicité pour la manifestation.

    Starshooter, qui ce soir-là pendant sa prestation, accueille une performance de Marie-France, actrice et figure des nuits interlopes parisiennes ; laquelle se pointe sur scène sapée en diva-rock et entame un strip tease irréel. Sauf que Marie-France, militante du Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire et du groupuscule des Gazolines, n’est pas encore arrivée au bout de sa transformation chirurgicale… A l’avant-dernière étape de son effeuillage sur scène, les punks ont la mâchoire qui se décroche… La nouvelle vague n’a décidément peur de rien et elle ose tout.

     

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    Source : Amaury Chardeau pour Juke Box / Ina

     

     

  • Boy George : L’Interview Taboo (2008)

     

     

    Avant l’arrivée de Leigh Bowery au Taboo à Londres au milieu des années 80, être un freak n’était pas forcément considéré comme une forme d’art. La pop star et Dj Boy George se souvient avec nostalgie de ces soirées mythiques où subversion, glamour et maquillage des corps de la tête aux pieds servaient de prétextes à la musique.

     

    « Habillez-vous comme si votre vie en dépendait ou ne vous dérangez pas », lançait Leigh Bowery en évoquant le dress code indispensable à ses soirées du jeudi au Maximus, près de Leicester Square à Londres. Nous étions en 1985, et le concept de Bowery allaient sortir la capitale britannique de sa torpeur et rendre aux nuits londoniennes leur splendeur d’antan.

    Le Taboo et sa faune radicalement subversive et étrange ne se sont pas seulement inspirés de l’androgynie ludique et décadente de la scène New Romantics émergeante, pour s’imposer comme l’un des courants les plus rafraichissants de la nouvelle scène londonienne ; ils ont pris cette esthétique romantique, l’ont plongée dans du plastique ou du vinyle, l’ont enroulée dans de la fausse fourrure, l’ont couverte de pied en cape de maquillage corporel, l’ont poussée jusqu’à la caricature délicieusement extrême et l’ont offerte en pâture à la piste de danse.

    En deux ans d’existence (1985-1986), avant que la police ne les interdise, les folles soirées du Taboo ont propulsé Leigh Bowery au rang de grand ordonnateur, seul être sur terre à même de définir à quoi la vie nocturne se devait de ressembler. Il inspira nombre de soirées devenues cultes, entre New York’s Campy, Bloody Version et Disco 2000.

    Boy George, qui a ensuite célébré Leigh et sa bande dans la comédie musicale « Taboo » en 2002, n’était pas seulement l’un des amis proches de Bowery, il était également un habitué de ses fêtes – un « homme d’état plus âgé », comme il se plaît à l’évoquer. Dans cet entretien datant de 2008 avec Mark Ronson pour « Interview Magazine », le musicien de 59 ans cette année se remémorait l’émergence de ces sous-cultures britanniques dans les années 80 et ces nuits tumultueuses où les seules règles en vigueur étaient qu’il n’y en avait pas…

     

     

    Mark Ronson : J’aurais préféré que nous puissions faire cette interview à New York, mais apparemment, ça n’était pas possible…

    Boy George : Non, ils ne me laisseront pas entrer aux Etats-Unis. [Rires]

     

    MR : Vous n’y êtes pas autorisé ?

    BG : Je dois faire face à certaines… comment dire… contraintes légales. Mais j’espère que l’année prochaine… [En 2008, Boy George était jugé à Londres, accusé d’avoir attaché, séquestré et battu un escort boy norvégien, Audun Carlsen, qui avait refusé d’avoir des relations sexuelles avec lui. Il était finalement condamné en janvier 2009 à quinze mois de prison ferme…]

     

    « La faune du Taboo était tellement heureuse de se retrouver gavée d’alcool, marinant dans son jus en fin de soirée. C’était antifashion à souhait, dans un sens. Ces gens étaient aussi obsessionnels que les New Romantics, mais paradoxalement, ils agissaient comme s’ils s’en fichaient. » (Boy George)

     

    MR : À quand remonte la dernière fois où vous êtes allé au Taboo ?

    BG : La dernière fois que j’étais là-bas, laissez-moi réfléchir… Ah oui, c’était quand j’ai balayé. [Rires] Est-ce toujours aussi propre ?

     

    MR : Oui, c’est incroyable. Vous avez fait de l’excellent boulot. [Rires] Je pourrais réussir mon examen sur Boy George tellement je connais de détails de sa vie intime. Mais je pensais que nous allions juste parler. D’ailleurs, je compte sur votre compréhension ; je n’ai fait qu’une interview avant celle-ci, avec Malcolm McLaren

    BG : Vous savez, j’ai travaillé très brièvement avec Malcolm.

     

    MR : A l’époque de Bow Wow Wow, non ?

    BG : Oui, j’ai eu ma période punk, moi aussi… [Rires] Et j’étais très ami avec Matthew Ashman, le guitariste de Bow Wow Wow. Il est mort, malheureusement. Il était à l’origine dans Adam and the Ants, avant que Malcolm ne débauche tout le groupe, sauf Adam Ant… [Rires] Malcolm a créé Bow Wow Wow avec Annabella Lwin, qui avait environ 14 ans à l’époque… C’était un bébé.

    A l’époque, j’étais tout le temps fourré chez Malcolm et nous nous faisions vraiment chier, pour tout dire. Alors, on chantait. Il me disait : « Dieu, tu as vraiment une belle voix. J’aimerais que tu fasses partie de Bow Wow Wow ». Je suppose qu’il se disait plutôt : « Tiens, pourquoi ne pas faire venir une drag queen ? ». [Rires] Mon premier concert avec le groupe était au Rainbow Theatre à Finsbury Park. Je suis entré durant le rappel, à la place d’Annabella, et j’ai fait une vieille chanson de Peanuts Wilson intitulée « Cast Iron Arm ». C’était ma toute première performance sur scène et il a fallu littéralement m’y pousser. Le public était déconcerté, en mode « mais qu’est-ce que c’est que ce truc ? ».

     

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    MR : Votre look a-t-il évolué à ce point ?

    BG : Mon look était en fait beaucoup plus extrême. C’était un maquillage plus lourd, plus gothique et j’étais en jupe. Vivienne Westwood, la compagne de Malcom à l’époque, était là avant que je monte sur scène. Elle avait apporté tous les vêtements de sa collection Pirate, et elle me les faisait essayer.

     

    MR : Le nouveau look romantique était tout de même fait de bric et de broc, non ?

    BG : Nous n’avions pas beaucoup d’argent. Alors vous pouviez porter des pièces de créateurs, que vous mélangiez avec des trucs achetés sur des brocantes, ou même des choses que vous aviez volées ou récupérées chez Oxfam. Mais ça se résumait souvent à une ou deux pièces de chez Westwood – comme un chapeau de pirate.

     

    MR : Votre look était plutôt gothique, que vous avez plus tard  incorporé au look « New Romantics ». Mais par quoi avez-vous été spécifiquement influencé durant ces années, avant le Taboo ?

    BG : L’un des événements les plus importants à l’époque, à ne surtout pas manquer, c’était la vente avant fermeture définitive chez Charles H. Fox, un costumier de théâtre très réputé. Je me souviens que nous sommes tous allés à cette liquidation. Tout était vintage, et ça nous a vraiment permis de dégoter de splendides tenues à petit prix. Vous savez, la scène « New Romantics » était vraiment confidentielle. Et même si les médias en avaient déjà pas mal parlé, ça restait un club assez fermé, constitué d’un nombre limité de membres. Mais la popularité venant, les gosses de banlieue ont commencé peu à peu à en adopter les codes. il n’en reste pas moins que cette liquidation de Charles H. Fox a été un élément déterminant dans l’émergence du style « New Romantics ».

     

    MR : Permettez-moi de vous poser des questions sur Warren Street. C’était le tristement célèbre squat où vous habitiez quand vous êtes arrivé à Londres, non ?

    BG : Ouais… Warren Street était the place to be de la « New Romantics », dont les membres étaient principalement des étudiants en art et des personnes qui côtoyaient de près ou de loin les meilleurs designers de l’époque.

     

    MR : Ça n’était donc pas vraiment la misère ?

    BG : Non. Ça n’était pas la misère, certes, même s’il n’y avait pas d’eau chaude et pas toujours d’électricité. [Rires] Mais les gens qui vivaient là ont malgré tout transformé le lieu et l’ont rendu vraiment cool. Au troisième, il y avait même une chambre dans le plus pur style Grèce Antique…

     

    MR : Je regardais récemment le film sur Joe StrummerJoe Strummer: The Future Is Unwritten » (2007)], dans lequel il expliquait comment il avait laissé le hippie derrière lui et avait décidé qu’il était punk, en commençant à vivre dans un squat. Beaucoup de mouvements révolutionnaires sont nés de cette culture squat. C’était comme ça que ça se passait à l’époque ?

    BG : Oh, certainement. J’avais environ 16 ans quand le punk est arrivé. C’était tellement excitant. On était en pleine dépression au Royaume-Uni. Londres était vraiment sombre, grise. Avec l’arrivée de Margaret Thatcher au pouvoir, l’Angleterre est rentrée dans une période vraiment révolutionnaire. Avec cette idée naïve que vous pouviez changer les choses simplement en portant tel ou tel vêtement, ou en adoptant tel ou tel code. [Rires]

     

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    MR : Le punk a donc eu une certaine influence sur vous ? Parce qu’avec le punk, on a le sentiment que n’importe qui peut faire ça. Mais d’un autre côté, vous êtes un vrai chanteur et vous avez une belle voix.

    BG : Certains groupes punk m’ont inspiré justement parce que je pensais : « s’ils peuvent le faire, je le peux aussi »… Et c’est sous l’influence de ces mêmes groupes que j’ai monté ma première formation, In Praise of Lemmings.

     

    MR : Comment s’appelait le suivant ?

    BG : Caravan Club.

     

    MR : Ensuite, de mémoire, il y avait quelque chose en rapport avec les gangs sexuels…

    BG : Oui, Sex Gang Children. L’une des chansons que Malcolm avait écrites pour moi s’intitulait « Sex Gang Children ». J’ai donc utilisé le titre. Nous avons ensuite changé le nom de Sex Gang Children en Culture Club parce que Jon Moss, notre batteur, était parti à Los Angeles en vacances et avait emporté quelques cassettes de démo. Tout le monde adorait la musique mais personne n’aimait le nom. Je me souviens avoir reçu une carte postale de Jon de L.A. disant : « Je ne pense pas que l’Amérique soit vraiment prête pour les Sex Gang Children ».

     

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    « Leigh inventait sans cesse des histoires de personnes se suicidant ou entamant des grèves de la faim parce qu’on leur avait refusé l’entrée au Taboo. » (Boy George)

     

    MR : Avez-vous été frappé par la différence entre les scènes anglaise et américaine ?

    BG : Quand je suis allé à New York pour la première fois, je ne sortais pas vraiment dans les clubs. Culture Club était au sommet et je n’avais pas vraiment le temps d’avoir une quelconque vie sociale. Ce n’est qu’après avoir été à New York à plusieurs reprises que j’ai commencé à sortir. Le club new-yorkais le plus marquant à l’époque pour moi était le Paradise Garage, où ils jouaient de la house. C’était autour de 84-85…

     

    MR : Juste quand le Taboo cartonnait ?

    BG : Exact. C’est à Londres que ça se passait désormais, donc je faisais continuellement des allers-retours. Parfois même, je ne rentrais à Londres que pour une nuit.

     

    MR : Vous étiez plutôt à New York ?

    BG : Oui, mais il y avait le Concorde. [Rires]

     

    MR : L’une des choses uniques à propos du Taboo, c’était la façon dont l’art et l’hédonisme se mélangeaient sans paraître destructeurs.

    BG : A cette époque, je fréquentais des clubs comme l’Area ou le Limelight à New York, tandis que la capitale anglaise connaissait un certain répit en matière de clubbing. Puis le Taboo a ouvert, et le feu des projecteurs s’est de nouveau braqué sur Londres. Leigh Bowery a ouvert en 1985… Les premières semaines, ça a démarré en douceur. Puis soudain, c’était l’endroit où il fallait absolument être et il y avait des files d’attente incroyables à l’entrée.

     

    MR : En quoi la scène du Taboo était-elle différente de la scène « New Romantics » ?

    BG : La scène du Taboo était une sorte de version déconstruite des New Romantics. Et son public utilisait beaucoup des idées visuelles qui avaient déjà été utilisées auparavant. Je me souviens de la première fois où j’ai vu Leigh Bowery et Trojan parader dans un club : ils étaient là, avec leur look « Pakis from Outer Space », et leur maquillage était assez similaire à certains de mes anciens looks. J’aimais beaucoup porter du bleu, fond de teint vert ou jaune, et j’étais donc assez dédaigneux à leur égard au début. Mais en y regardant de plus près, je me suis rendu compte que Leigh – qui a lui-même créé ses looks, avec Trojan – était vraiment un génie. Il n’a pas fallu longtemps à Leigh pour devenir l’une des figures incontournables de la scène clubbing londonienne.

     

    MR : Considérez-vous que vous avez pu être une source d’inspiration pour Leigh, à certains égards ?

    BG : Je ne faisais pas partie de la faune du Taboo de la même manière que je pouvais appartenir à la communauté des New Romantics. Je suppose que j’étais davantage considéré comme une sorte d’homme d’état plus âgé, car je fréquentais les clubs londoniens depuis déjà de nombreuses années. Pour le public du Taboo, j’étais vraiment considéré comme une pop star, quelqu’un de célèbre. Leigh aimait évidemment m’avoir dans son club parce que j’attirais les médias, et il adorait qu’on parle de lui dans la presse.

    Leigh s’exprimait toujours de façon très distinguée, en allongeant les voyelles, de sorte que vous ne saviez jamais s’il était sincère ou s’il se moquait de vous. Si jamais je me hasardais à commenter une de ses tenues, il me coupait : « Oh merci, monsieur Boy George. J’apprécie votre opinion ». Puis il tournait les talons, en faisant des bruits bizarres avec sa bouche. À une époque, il a créé des vêtements de scène pour mes shows, et je suis allé dans son appartement de l’East-End de Londres pour les essayer. Et je dois avouer que j’étais impressionné, tellement il était charmant et original, en plein jour. Son appartement était d’ailleurs décoré comme il s’habillait ; du papier peint Star Trek, des murs en miroir et un énorme piano dans le salon. Tout était étudié scrupuleusement et sous contrôle chez Leigh.

     

    MR : Le public du Taboo a-t-il relégué les nouveaux romantiques au rang de sombres puritains ?

    BG : Le public du Taboo était certainement moins précieux. Ces gens était tellement heureux de se retrouver gavés d’alcool, marinant dans leur jus en fin de soirée. C’était antifashion à souhait, dans un sens. Ils étaient aussi obsessionnels que les New Romantics, mais paradoxalement, ils agissaient comme s’ils s’en foutaient complètement.

     

     

     

    MR : Il semble, sur la base des divers témoignages et des photos, que l’hédonisme était bien plus affirmé au Taboo que n’importe où ailleurs à la même époque. Même un lieu mythique comme le Studio 54 n’arrivait pas à la cheville du Taboo, en termes d’abandon et d’audace.

    BG : Je ne sais pas si c’était plus audacieux, mais l’ambiance y était en tout cas vraiment déjantée. Je pense que la drogue a joué un rôle majeur dans la réputation sulfureuse du Taboo. Les gens consommaient alors de grandes quantités d’ecstasy, arrivée tout droit de New York, au point que certains pouvaient passer la majeure partie de la nuit aux toilettes. Dommage… [Rires]

     

    MR : Quelle était la relation de Leigh Bowery avec les drogues ?

    BG : Je ne suis pas convaincu que Leigh était un gros consommateur… Il buvait beaucoup, certes, mais il était plutôt meneur en matière de mauvais comportement. Il aimait générer le chaos autour de lui, et avec le Taboo, il avait l’occasion de mettre à disposition d’un public trié sur le volet un lieu où il n’y avait pas de règles. Bien-sûr, n’entrait pas qui voulait. Le célèbre portier du club, Mark Vaultier, tendait un miroir aux clubbers qui attendaient à l’entrée et leur posait la question fatidique : « Est-ce que vous vous laisseriez entrer ? ». Leigh créait de fausses listes d’invités et y indiquait les noms les plus farfelus, entre Joan Collins et d’obscures vedettes de soap qui n’auraient jamais pu passer la porte du club. Leigh répandait aussi de sombres histoires selon lesquelles des personnes se seraient suicidées ou auraient entamé une grève de la faim parce qu’elles s’étaient vues refuser l’entrée au Taboo… [Rires]

     

    MR : A votre avis, pourquoi Leigh Bowery fascinait-il autant les gens ?

    BG : Pour moi, la chose la plus intéressante à son sujet était la façon dont il a toujours utilisé son corps comme une déclaration de style. Même s’il était grand et avait de longues jambes, il semblait bien proportionné, voire même sexy, malgré son poids excessif. Je me souviens de l’avoir vu une nuit dans un club gay appelé Fruit Machine, toujours plein de reines musclées à souhait, et Leigh était là, sur la piste de danse, nu, ne portant qu’une paire de grosses bottes lustrées et une coiffe en forme de boule bouffante qui clairement réduisait son champ de vision. Sa virilité était coincée entre ses jambes, uniquement masquée par une sorte de faux vagin révoltant. Leigh n’avait pas de limites et était capable de tout…

    Au sommet de son art, il déformait délibérément son corps pour avoir l’air enceinte ou se parait d’une magnifique paire de seins en resserrant sa taille avec du ruban adhésif. Ses créations étaient souvent à couper le souffle, mais c’était surtout la façon dont il utilisait son corps qui était vraiment nouvelle et tellement rafraîchissante. Je ne vois personne qui l’ait fait auparavant et qui soit allé aussi loin que lui. Il disait souvent : « La chair est mon tissu préféré ». Leigh concevait son exhibitionnisme comme une forme d’art à part entière.

     

     

     

    MR : Leigh et la culture Taboo ont eu une grande influence sur la scène artistique new yorkaise, en particulier sur ce qui allait devenir la scène « Club-Kid ».

    BG : Oui. À peu près au même moment, ou juste après, il y eut l’histoire Michael Alig, qui sonnait le glas de la nuit new yorkaise, ravagée par la drogue et la provocation facile. Car je pense qu’ils ont mal interprété ce qu’était vraiment le Taboo.

     

    MR : Je suis allé à Disco 2000. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à sortir en club. Mercredi soir au Limelight… J’avais 17 ans et j’ai eu la chance de rencontrer Richie Rich et tous ces personnages hauts en couleur. Pour l’ado que j’étais, c’était juste une expérience révélatrice et un spectacle vraiment incroyable.

    BG : Ce qui rendait l’expérience du Taboo fabuleuse, c’était cette recherche vestimentaire perpétuelle et le fait de pouvoir t’abandonner à la danse, comme si tu étais seul au monde et que personne ne te regardait, alors que la piste était noire de monde. Il n’y avait pas de règles et tu éprouvais un sentiment de liberté incroyable. Jeffrey Hinton jouait toutes sortes de musique et ça fonctionnait. Ça me ramenait à l’époque bénie où je faisais deejay au Planet en 1979, où je mixais des choses folles, entre hip-hop et reggae, en passant par « The Sound of Music » [1965] ou d’autres bandes originales de films, peu importe.

     

    MR : Vous préférez transmettre l’émotion à faire matcher les rythmes…

    BG : Absolument. Comme si vous mettiez « The Lonely Goatherd » pour faire fuir les gens, et qu’ils restaient et commençaient à danser. [Rires]

     

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    MR : Le concept originel du Taboo n’était pas forcément d’agréger une scène autour de lui, mais plutôt d’initier un projet artistique et créatif innovant. Tandis que Disco 2000 semblait être plus dans le créneau de la débauche gratuite, sans objectif artistique précis…

    BG : Oui, Taboo était une sorte de célébration du trash, avec le genre de chansons que vous aimiez secrètement, comme « Yes Sir, I Can Boogie » de Baccara. [Rires] Vous savez, des choses que vous ne devriez raisonnablement pas aimer. Ce n’étaient pas des disques crédibles, mais l’ensemble fonctionnait à merveille. Du Donna Summer et des choses qui n’étaient peut-être plus à la mode ou qui n’étaient pas encore à la mode dans les clubs gays, vous les entendiez au Taboo. Je suppose que tous ces clubs New Romantic étaient assez fous, en général. Mais le Taboo est parvenu à se distinguer, avec une approche esthétique et créative encore différente.

     

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    MR : Selon vous, Londres a-t-elle aujourd’hui une vie nocturne qui correspond à celle de l’époque du Taboo ?

    BG : Je ne pense pas que ce soit le cas depuis. Le lieu le plus proche dans l’esprit du Taboo était Nag Nag Nag, qui a fermé l’année dernière [2007]. C’était un club électro qui existait depuis environ sept ans. Même au jour de sa fermeture, il était toujours plein à craquer.

     

    MR : Quand avez-vous réalisé que la courte histoire du Taboo ferait une comédie musicale incroyable ?

    BG : J’ai été approché par ce type, Chris Renshaw, qui avait lu mon livre ainsi que celui de Leigh. Il voulait incorporer les deux personnages, mais il pensait probablement que Leigh n’était pas assez célèbre, avant qu’il ne se rende compte que Leigh et moi étions associés. Ce qui m’a plu, c’est qu’il n’est pas arrivé en disant : « Je veux que vous y mettiez tous les grands succès pop ».

     

    MR : Au final, c’était une partition complètement originale, non ? Il a fallu composer des chansons qui devaient coller à l’histoire, et qui ont été finalement adoptées par le West End et même nommées aux Awards. Qu’avez-vous ressenti ?

    BG : Eh bien, au départ, ils étaient vraiment contre nous. Mais lors des avant-premières de « Taboo », pour la première fois de ma vie, on me qualifiait de grand auteur-compositeur. J’ai pleuré, parce que ça n’étaient pas les trucs habituels, du genre : « Oh, il était toxicomane et puis, il a fait ceci, il a fait cela… ». J’étais reconnu pour ma musique et c’était vraiment énorme.

     

    MR : Pourquoi ça n’a pas marché en Amérique ? Pensez-vous que c’est une histoire de profil du spectateur américain, qui sort le week-end ?

    BG : Je me souviens être monté sur scène à Broadway, dans ce truc de Leigh Bowery pour un morceau comme « Ich Bin Kunst ». J’ai des seins, ce latex dégoulinant sur ma tête, et je sors d’une boîte. Je me souviens juste que le public était vraiment horrifié, parce que la productrice Rosie [O’Donnell] avait présenté le spectacle comme une sorte de combinaison de « Pippin » et « Annie ». Elle annonçait que c’était un show familial… Je pense que Rosie s’est jetée à corps perdu dans la promotion du show. Elle a d’abord installé cet énorme panneau d’affichage à Broadway, et s’en est suivi un énorme buzz. Je me souviens avoir pensé à ce moment : « Oh, elle se met vraiment en jeu, là ». Et puis elle a commencé à avoir mauvaise presse. Vous savez à quel point la presse est puissante à New York, en particulier la presse théâtrale. Elle a donc fait marche arrière, et c’était une erreur. Elle a eu peur. Mais je suppose que c’est compréhensible lorsque vous investissez autant d’argent dans un spectacle.

     

    MR : J’imagine qu’elle l’avait imaginé comme « La Cage aux Folles rencontre Cabaret qui rencontre le Cirque du Soleil », ou quelque chose dans le genre.

    BG : Elle faisait des choses vraiment étranges, comme dire à mon costumier : « Je veux que cette scène soit comme le Fantôme de l’Opéra ». Et nous pensions : « Nooon, là, c’est pas possible ! ». C’était une sorte de combat continuel, très éprouvant pour tout le monde. Mais il y eut aussi des choses incroyables, donc ça reste malgré tout un bon souvenir.

     

    MR : Mixez-vous toujours ?

    BG : Absolument. Je viens de terminer une tournée. J’ai encore quelques sets et je vais faire mon album.

     

    MR : Vous avez toujours joué dans de nombreux clubs, même lorsque vous étiez d’abord reconnu en tant qu’artiste. Quand avez-vous décidé de vous consacrer pleinement à cette activité de DJ ?

    BG : Eh bien, j’ai continué à sortir des disques pendant des années mais la radio ne les diffusait pas au Royaume-Uni… Aujourd’hui encore, ils jouent les vieux trucs, mais pas mes productions plus récentes, quoi qu’il arrive. Je sentais surtout que continuer à faire des disques de façon traditionnelle – les sortir de la même manière, dépenser beaucoup d’argent en promotion, etc… – devenait un exercice inutile. Et à cette époque, il y avait aussi beaucoup de Boys Bands, les formats de diffusion changeaient et je sentais juste que je n’appartenais plus à ce sytème. J’ai donc commencé à mixer en club et je suis vraiment parti dans la House. C’était beaucoup plus excitant. vous êtes plus libre et personne ne vient vous dire quoi jouer.

     

    MR : Qu’est-ce que vous en retirez qui soit si différent de votre activité précédente ?

    BG : Moins de responsabilité et surtout moins de problèmes ! [Rires]

     

     

     

  • French Connection (1978-1982) : Episode 02

     

     

    Plongée dans la France de la toute fin des années 70, les années Giscard : période des grands bouleversements sociétaux et d’un certain sentiment de modernité, entre libéralisation du divorce et éclatement de l’ORTF. Pourtant, la jeunesse s’ennuie et se réfugie alors dans l’émergence de nouvelles scènes rock et new-wave. Parmi les groupes qui s’imposent : Téléphone, Starshooter ou Bijou.

     

    La France où jusqu’alors, malgré les cafés, les flippers, les MJC, la jeunesse s’ennuyait ferme. Et même si le moule traditionnel commençait à se fissurer. Giscard, propulsé en 1974 à l’Elysée, avait abaissé l’âge de la majorité de 21 à 18 ans. Mais en dehors de ça, rien ne semble bouger. La société reste guindée, conservatrice. Aux yeux de la jeunesse, la partie est jouée, les dés sont pipés et la génération d’avant reste aux commandes. Certes, depuis 75, les couples peuvent divorcer plus simplement. Mais les jeunes, eux, s’en foutent, ils ne sont pas mariés. Quant à l’ORTF, dont la mission s’affichait fièrement, « satisfaire les besoins d’information, de culture et de distraction du public », mais qui se trouvait de plus en plus concurrencée par les radios périphériques, elle est démantelée.

    Car la jeunesse semble ne plus croire en rien. Elle a fini par se faire à l’idée que la société, dans ses travers, n’est pas réformable. L’effervescence post-68, le fameux « esprit de mai », tend à se dissoudre peu à peu. Le sociologue Jean Duvignaud, qui vient de passer deux ans à son chevet,  publie en 1975 les résultats de son enquête, « La Planète des Jeunes », dans laquelle il pointe du doigt tant sa soudaine dépolitisation que la perte d’influence progressive du gauchisme sur celle-ci. Selon Duvignaud, la jeunesse deviendrait passive et serait repliée sur ses problèmes personnels. Devant l’échec des croyances, des idéologies, des utopies, elle se réfugie de plus en plus dans ce que le sociologue qualifie de « niches » ; appartements plus chaleureux, métiers plus isolatoires, mais surtout bals, boîtes et drogues…

     

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    « Attitudes » par Marie et Les Garçons. Le groupe se forme à Lyon en 1976, au sein d’une bande de lycéens. Fin 77, leur premier single, « Rien à Dire », un rock efficace, sortait et se retrouvait dans la foulée entre les mains de John Cale, illustre membre du Velvet Underground. Excusez du peu… Quelques mois plus tard, au printemps 78, Marie Girard, d’abord chanteuse puis batteuse du groupe, se retrouve avec les autres à New York, où le groupe enregistre ce deuxième single, « Attitudes », avec le même John Cale au piano. Mais n’allons pas trop vite en besogne… En effet, la new wave et la cold wave à la Française n’arriveront qu’un peu plus tard. Pour l’heure, disons que la jeunesse locale se cherche justement de nouvelles… attitudes.

     

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    De nouvelles attitudes, donc. Des échappatoires, des lieux rien qu’à eux. A Paris, c’est notamment le Golf Drouot, un ancien salon de thé, poussiéreux, quoique pourvu d’un étrange mini-golf de neuf trous, mais ne comptant pas beaucoup plus de clients… Et qu’un type, un certain Henri Leproux, transforme finalement en discothèque. Mais aussi en véritable temple du rock, y installant une scène permettant depuis le début des années 60 à de jeunes groupes de se faire connaître, à l’occasion de tremplins organisés le vendredi soir. C’est sur cette scène qu’avaient démarré tous les pionniers français, de Johnny Hallyday aux Chaussettes Noires. Puis Le Golf Drouot accueille les premières stars anglo-saxonnes, The Who, David Bowie, pour devenir un incontournable de la scène rock tant française qu’internationale.

     

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    « Au Golf Drouot, première surprise, on ne descend pas dans la boîte, on y monte. D’abord, un escalier, un escalier gigantesque… Dont Henri Leproux, le propriétaire des lieux, dira qu’il est plus facile à descendre qu’à monter. Et parfois, c’est pratique. » (Reportage au Golf Drouot – Archive Antenne 2, 21 avril 1976)

     

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    1978, Starshooter et son « Betsy Party »… Starshooter, groupe lui aussi Lyonnais, formé peu de temps auparavant autour du chanteur Kent Despesse, dit Kent Hutchinson ou encore Kent Cokenstock, les musiciens s’affublant tous de noms potaches à consonance anglo-saxonne. Il y a Mickey Snack à la basse, Phil Pressing à la batterie ou Jello à la guitare. Ils ont vingt ans et s’attirent rapidement les éloges de la critique. A sa sortie, « Betsy Party » passe d’ailleurs en boucle sur l’antenne d’Europe 1. Leurs concerts impressionnent par la puissance scénique déployée, malgré les provocations et les jets de canettes de bière. Eux aussi, dès 1977, s’étaient produits sur la petite scène du Golf Drouot.

     

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    Source : Amaury Chardeau pour Juke Box

     

     

     

  • French Connection (1978-1982) : Episode 01

     

     

    Plongée dans la France de la toute fin des années 70, les années Giscard : période des grands bouleversements sociétaux et d’un certain sentiment de modernité, entre libéralisation du divorce et éclatement de l’ORTF. Pourtant, la jeunesse s’ennuie et se réfugie alors dans l’émergence de nouvelles scènes rock et new-wave. Parmi les groupes qui s’imposent : Téléphone, Starshooter ou Bijou.

     

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    Dans la foulée de son accession à l’Elysée en 1974, Valéry Giscard-d’Estaing initie plusieurs grandes réformes sociétales : abaissement de l’âge de la majorité de 21 à 18 ans, instauration du divorce par consentement mutuel, éclatement de l’ORTF, dépénalisation de l’avortement… Pourtant, la jeunesse française s’ennuie. Le sociologue Jean Duvignaud pointe dans « La Planète des Jeunes » (Stock 1975) leur dépolitisation et, face à l’échec des utopies soixante-huitardes, leur repli sur leurs problèmes personnels.

    La révolution Punk s’immisce ainsi dans la brèche et voit l’ouverture des grands clubs parisiens. Le rock français, boudé jusque-là par les grands médias, se fraie un chemin. C’est le début des années Téléphone, Starshooter ou Trust, mais aussi de l’émergence des scènes post-punk et new wave, celles des Edith Nylon ou Taxi Girl. Bref, une certaine idée de la France branchée qui basculera en 81 avec l’élection de Mitterrand, dans laquelle on croise des gens de bonne famille, des fauteuils de velours arrachés, des dandys déglingués et des frites congelées. Retour sur cette période 1978 – 1982…

     

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    Le transistor posé sur la table en acajou du salon, personne ne semble l’écouter. Ni monsieur, enfoncé dans son fauteuil à lire le journal, ni madame qui termine son repassage… C’est un intérieur cossu, confortable. L’année dernière, ils ont installé partout une moquette bégasse, dont ils sont très contents. Dans l’entrée de l’appartement aussi, où trône le téléphone familial. Son fil tirebouchonné, reliant le socle au combiné, a été étiré comme un élastique, jusque sous une porte fermée, derrière laquelle s’est adossée une jeune fille, en pleine conversation.

    Elle souffle sur la mèche qui lui barre le visage, tandis que face à elle, ses idoles rock la toisent, sur papier glacé. Elle échange encore quelques mots à voix basse, puis se contorsionne pour éviter d’arracher le fil. Elle se relève, enfile une veste de cuir achetée la semaine précédente et se glisse sans un bruit hors de l’appartement, loin des causeries présidentielles.

     

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    Dans la ville, ce mardi soir, la nuit est tombée, crevée par les néons des pharmacies ou des PMU. Les juke-box diffusent à plein tube, parmi les papiers gras. Cette France où Giscard, débonnaire, annonce que ça risque encore de se compliquer pendant un moment, que la crise est là. Notre jeune fille en suit les rues anonymes, puis parvenue devant un bar, elle attend en face du kiosque à journaux. Sa copine est en retard et elle hésite à entrer dans le rade, retenue par la présence d’une dizaine d’habitués, avinés au comptoir.

    Par la vitrine, elle avise aussi un groupe de jeunes types, penchés sur un flipper. Elle les trouve pas mal, alors elle les regarde un moment jouer et tirer sur leur clope. Elle n’a pas le son… Elle s’apprête à s’éloigner et faire quelques pas, quand soudain la belle tignasse brune accoudée au flipper tourne la tête vers elle, la dévisage et lui sourit.

     

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    « On te donne trois balles, la première, t’es un môme. Tu prends la cadence, tu entres dans la danse. Dans la violence des chocs, tu comprends ta chance. Tu sais maintenant comment ton histoire commence. »… Signé Louis Bertignac, ce « Flipper » qui clôt le premier album du groupe Téléphone, raconte cette jeunesse qui joue sa vie, de bumper en bumper. Téléphone, qui avait vu le jour le 12 novembre 1976, à la faveur d’un concert donné au Centre Américain de Paris, Boulevard Raspail, à l’emplacement de l’actuelle Fondation Cartier.

    Jean-Louis Aubert, un jeune des beaux quartiers, se rebelle contre son éducation de scout et d’enfant de choeur, et doit s’y produire avec son pote de lycée, le batteur Richard Kolinka. Sauf qu’il leur manque deux musiciens. Pour l’occasion, Ils recrutent donc le guitariste Louis Bertignac et sa copine de l’époque, la bassiste Corine Marienneau. Tous deux avaient joué dans un groupe de hard-rock francilien, les Shakin Street. L’affluence ce soir-là au Centre Américain, 5 à 600 personnes, raconte quelque part l’impatience qui tiraille alors la jeunesse française. 

    Téléphone et sa formule gagnante allait devenir, en l’espace de deux albums et trois années, l’incarnation du renouveau du rock français…

     

    Source : Amaury Chardeau pour Juke Box