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  • 1979, l’année qui changea le monde, Episode 07 : Actuel

     

    [kleo_pin type= »circle » left= »yes » right= » » top= » » bottom= » »]          « FOCUS » : un article de fond sur un thème que nos rédacteurs ont sélectionné.

     

     

    L’année 1979 est définitivement une année-charnière, comme la fin d’un cycle. Elle scelle le sort des dernières utopies. Le monde prend une pelle et enterre à la hâte les cadavres encore fumants de nos illusions perdues. Après 1979, rien ne sera plus vraiment comme avant…

     

    Coincée à la fin d’une décennie qui paraît un peu creuse, durant laquelle les dirigeants politiques semblent manquer de charisme (le pâle Carter face au cowboy médiatique Reagan, VGE après De Gaulle et Pompidou), l’année 1979 n’attire décidément pas les flashes. Et pourtant… Que d’événements considérables ont eu lieu cette année-là, autant de tremblements qui ont marqué la face du monde et dont on ressent encore les répliques quarante ans plus tard.

    Révolution iranienne, arrivée de Saddam Hussein au pouvoir en Irak, début de la Guerre d’Afghanistan qui mènera à la chute de l’URSS et à l’apparition du terrorisme islamiste, second choc pétrolier et crise économique mondiale, paix entre Israël et l’Egypte, fin des Khmers Rouges… Il n’est pas insensé de penser que 1979 a en réalité été l’année la plus importante de l’après-Seconde Guerre Mondiale.

     

    En France, malgré les Trente Glorieuses et l’embellie économique qui prévaut depuis la fin de la seconde guerre mondiale, mais qui ne rime pas forcément avec bien-être populaire, un besoin de liberté et de changement souffle dans l’air du temps depuis la fin des années 60 et la mort de De Gaulle. Le premier choc pétrolier va venir cristalliser les peurs de la société quant à son avenir.

     

    C’est dans ce contexte que naît le magazine Actuel ; d’abord un simple petit journal consacré au free jazz et aux musiques alternatives, fondé par Claude Delcloo en 1967, Actuel est ensuite repris par Jean Karakos (Mr Lambada) et devient à partir de 1970 le principal périodique underground francophone, qui couche alors sur papier le manifeste des mouvements libertaires post-mai 68 et popularise le journalisme Gonzo. En 1970, donc, nouvelle équipe, nouvelle formule, autour de Jean-François Bizot (directeur), Michel-Antoine Burnier (rédacteur en chef), Patrick Rambaud, Bernard Kouchner, puis Claudine Maugendre, Jean-Pierre Lentin, Léon Mercadet et beaucoup d’autres.

    Le journal se démarque de la presse gauchiste & langue de bois de l’époque et devient vite le magazine de référence de la génération hippie en France. Parmi les sujets traités, tout ce qui a trait à la contre-culture, en phase avec ce qui se passe dans d’autres pays comme les USA, l’Angleterre, l’Allemagne ou la Hollande : la route, les communautés, la drogue, le rock, le cinéma, le féminisme ou l’écologie.

    Tout s’arrête à l’automne 75, dans un climat de sympathique lassitude, comme un ultime pied de nez, la première année où le journal fait des bénéfices (5000 F !)…

     

     

     

    Après deux almanachs, Actuel renaît donc de ses cendres en 1979, sous une nouvelle formule. Cette fois-ci, l’accent est davantage mis sur les reportages au long cours, autour du monde, avec de nombreuses photos et une grande diversité dans les sujets abordés. Mais l’esprit défricheur est toujours là… Pour la petite histoire, c’est dans Actuel que nous entendrons parler pour la première fois en France de l’Internet, au début des années 90.

     

     

     

    Puis l’équipe d’Actuel se lance dès 1972 dans l’aventure Nova Press, la société de média éditrice des magazines Nova Mag ou City Magazine, un peu trop superficiel et avec peu d’articles de fond, qui s’arrêtera en 2004. Alors, peut-être un jour Actuel renaîtra-t-il une nouvelle fois de ses cendres ? Parallèlement, Bizot et sa bande créaient en 1981 Radio Nova, la station de la « Sono Mondiale ». Il a aussi repris « La Radio Jazz », avec Frank Ténot (ancien de « Pour ceux qui aiment le jazz » et « Salut les Copains » sur Europe 1), devenue TSF Jazz en 1999. Son immense discothèque était sa fierté.

    Dans « Un Moment de Faiblesse » paru en 2003, Jean-François Bizot racontait son combat contre le cancer, qu’il appelait « Jack le Squatter ». Mais Jack a fini par l’emporter le 8 septembre 2007…

    Pour ceux qui souhaitent aller plus loin dans la découverte ou la re-découverte de ces années Actuel, vous pouvez vous référer à l’ouvrage passionnant et extrêmement bien documenté, « Les Années Actuel, Histoire d’une Contre-Culture » de Perrine Kervran et Anaïs Kien, paru en 2010 aux éditions Le Mot et le Reste.

     

     

     

    Lieu de contre-culture emblématique des années soixante-dix, Actuel reste ignoré par l’histoire en général et celle de la presse en particulier. Jean-François Bizot, riche héritier, mécène dans l’âme et mao repenti, a eu sa révélation aux Etats-Unis. II y rencontre la freak culture et la free press, qui vont le conforter dans son désir de faire un journal. II ne concevra dès lors la vie et le travail que dans le collectif.

    Ce livre, construit autour des témoignages de ses collaborateurs, est l’écho de cette aventure collective. II dessine le portrait d’une jeunesse bourgeoise, cultivée, imprégnée de la guerre d’Algérie, de l’héritage sartrien, de la décolonisation et des grandes aventures de la presse d’après-guerre. Ces jeunes gens sont politisés, passés par Sciences-Po, revenus du militantisme gauchiste, attirés par l’underground et désireux de participer aux révolutions minuscules et à la contestation rigolarde qui se sont substituées au « Grand Soir » de Mai 68. Ce collectif qui donne naissance au journal Actuel ou à Radio Nova va créer un style qui imprègne aujourd’hui encore le paysage médiatique et audiovisuel français.

     

     

     

    « Tellement fiers d’évoluer dans un système parallèle, où les valeurs de base étaient pelle-mêle, Peace, Unity, Love and Having Fun, le Hip-Hop n’a jamais eu besoin de guns ni de gangs, mais plutôt de la foi de ceux qui en défendent la mémoire et l’éthique, les valeurs essentielles, celles qui créent encore l’étincelle, lorsque je me rappelle des premières heures du terrain vague de la Chapelle. A l’époque, les héros s’appelaient Actuel… » (Suprême NTM, 1995)

     

    Et pour finir, si nous devions choisir un titre parmi tant d’autres qui symbolise le mieux l’esprit Actuel, alors ce serait probablement celui-ci…

     

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  • 1979, l’année qui changea le monde, Episode 06 : « Apocalypse Now »

     

    [kleo_pin type= »circle » left= »yes » right= » » top= » » bottom= » »]          « FOCUS » : un article de fond sur un thème que nos rédacteurs ont sélectionné.

     

     

    L’année 1979 est définitivement une année-charnière, comme la fin d’un cycle. Elle scelle le sort des dernières utopies. Le monde prend une pelle et enterre à la hâte les cadavres encore fumants de nos illusions perdues. Après 1979, rien ne sera plus vraiment comme avant…

     

    Coincée à la fin d’une décennie qui paraît un peu creuse, durant laquelle les dirigeants politiques semblent manquer de charisme (le pâle Carter face au cowboy médiatique Reagan, VGE après De Gaulle et Pompidou), l’année 1979 n’attire décidément pas les flashes. Et pourtant… Que d’événements considérables ont eu lieu cette année-là, autant de tremblements qui ont marqué la face du monde et dont on ressent encore les répliques quarante ans plus tard.

    Révolution iranienne, arrivée de Saddam Hussein au pouvoir en Irak, début de la Guerre d’Afghanistan qui mènera à la chute de l’URSS et à l’apparition du terrorisme islamiste, second choc pétrolier et crise économique mondiale, paix entre Israël et l’Egypte, fin des Khmers Rouges… Il n’est pas insensé de penser que 1979 a en réalité été l’année la plus importante de l’après-Seconde Guerre Mondiale.

     

    Palme d’or à Cannes en 1979, le film de Coppola a marqué l’histoire du cinéma par son tournage apocalyptique, les caprices de Marlon Brando et les millions de dollars engloutis. Mais quarante ans plus tard, le cinéaste impose sa maestria et sa maîtrise avec un superbe nouveau montage, baptisé « Apocalypse Now Final Cut ».

     

    C’était il y a quarante ans, les écrans de cinéma rougissaient de flammes sur la musique des Doors, des palmiers brûlaient en torche… Le fantasque lieutenant-colonel Kilgore bombardait une plage du Vietnam au son de « La Chevauchée des Walkyries » de Wagner. Et lâchait ces mots comme une bombe de plus dans ce déluge de feu : « J’adore l’odeur du napalm au petit matin »…

    Avec cette réplique et cet assaut d’hélicoptères, comme avec d’ailleurs beaucoup d’autres scènes mémorables au fil du voyage halluciné du capitaine Willard (Martin Sheen), traquant le colonel Kurtz (Marlon Brando) pour l’éliminer, en pleine guerre du Vietnam, « Apocalypse Now » a fini par prendre la place qu’il méritait dans l’histoire du cinéma. Majestueusement… Pourtant, c’est dans l’incertitude totale que le film de Francis Ford Coppola commença sa carrière, en 1979.

     

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    Fort du succès des « Parrain I et II », Francis Ford Coppola présente en 1979 au Festival de Cannes son nouveau projet inspiré du roman de Joseph Conrad, « Au Cœur des Ténèbres » (non crédité au générique). Il obtient la palme d’or ex-aequo avec « Le Tambour » de Volker Schlöndorff. Un destin inespéré pour un film dont le tournage fut tout bonnement catastrophique. Entre les crises du réalisateur, les caprices des acteurs, les maladies tropicales et la drogue, rien ne prédestinait « Apocalypse Now » au succès dont il fut couronné à l’époque.

    Pourtant, dès sa toute première projection à Cannes en 1979, Coppola n’est pas franchement satisfait du résultat et considère cette première version comme étant toujours « a work in progress ». Il en proposera donc une nouvelle version 22 ans plus tard, en 2001, rallongée de 49 minutes et renommée « Apocalypse Now Redux ». Aujourd’hui, le réalisateur récidive en sortant « Apocalypse Now Final Cut », qui devrait (selon ses propres dires…) être la version ultime de son chef d’oeuvre absolu. 40 ans, c’est le temps qu’il aura fallu à Coppola pour être enfin satisfait de son film le plus emblématique…

     

     

     

    « Apocalypse Now n’est pas un film sur le Viêt Nam, c’est le Viêt Nam. Et la façon dont nous avons réalisé Apocalypse Now ressemble à ce qu’étaient les Américains au Viêt Nam. Nous étions dans la jungle, nous étions trop nombreux, nous avions trop d’argent, trop de matériel et petit à petit, nous sommes devenus fous. » (Francis Ford Coppola)

     

    « Apocalypse Now » nous conte donc l’histoire du Capitaine Willard, missionné en pleine guerre du Vietnam pour trouver et éliminer le Colonel Kurtz, officier des forces spéciales, brillant mais soupçonné de mener sa propre guerre. Ce qui ne devait être qu’une simple opération va se transformer en voyage initiatique et en une prise de conscience choquante de l’horreur de la guerre. Pour être au plus près de la réalité, Coppola n’a d’ailleurs pas hésité à utiliser de vrais cadavres pour certaines scènes…

    Le film s’ouvre sur le jeune capitaine Willard, cloîtré dans une chambre d’hôtel de Saïgon, mal rasé, imbibé d’alcool et sorti de sa prostration par une convocation de l’état-major américain. Le général Corman lui confie une mission qui doit rester secrète : éliminer le colonel Kurtz, un militaire aux méthodes quelque peu expéditives et qui sévit au-delà de la frontière cambodgienne.

     

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    Coppola nous livre à travers son film une sévère critique de la guerre du Vietnam, ce qui sera cependant contredit par certains journalistes ou chroniqueurs à l’époque de sa sortie. Rappelons que l’opinion publique était dans son ensemble défavorable à l’engagement américain en Indochine et que lorsque les vétérans finirent par rentrer au pays, ils furent accueillis non pas en héros, mais plutôt comme des parias et des criminels. En plus de la violence et des abus inhérents à tout conflit, l’inutilité de la présence de l’armée américaine était au cœur des critiques.

    « Apocalypse Now » reflète ainsi le manque de conviction notoire de ces soldats américains, désœuvrés, perdus, qui ne savent même plus pourquoi ils se battent. Ce n’est pas pour rien que dans la scène de la colonie française, le propriétaire de la plantation assène à Willard : « Vous les américains, vous vous battez pour rien du tout ». L’isolement et l’absence de but les poussent donc à toutes les folies.

     

     

     

    Au milieu de ce chaos, Martin Sheen, l’implacable Willard, à la tête de son commando improbable, progresse le long de la rivière, bien décidé à trouver le fameux Kurtz. Au fil de l’eau, il devient spectateur d’un monde complètement à la dérive et comprend peu à peu les raisons qui ont pu faire sortir le brillant colonel des Forces Spéciales du droit chemin. Ce dernier reste d’ailleurs une énigme jusqu’à la toute fin. Le suspense quant à son identité et sa véritable apparence monte crescendo, jusqu’à ce que l’on découvre, sortant de l’ombre, un Marlon Brando métamorphosé. À la fin du film, les deux personnages ne font pratiquement plus qu’un, tant leurs visions respectives de cette guerre et plus généralement du monde semblent désormais liées pour toujours.

     

     

     

    En 1979, à Cannes, la présidente du jury, Françoise Sagan, restera absolument hermétique à « Apocalypse Now », pour lequel le Festival avait été contraint d’accepter au préalable tous les ordres, contre-ordres, caprices et diverses contraintes techniques. Sagan ne jure en fait que par « Le Tambour » de Volker Schlöndorff… Gilles Jacob, conscient quant à lui de l’ampleur de l’œuvre de Coppola, déroge même à la règle qui interdit à un cinéaste déjà lauréat de la Palme d’or de revenir en compétition (Coppola l’avait obtenue cinq ans plus tôt pour « Conversation Secrète »).

    Car un vent nouveau souffle sur Cannes cette année-là… En fait, tout a basculé trois ans plus tôt avec la palme d’or à Martin Scorsese pour « Taxi Driver », qui a fait l’effet d’un électrochoc. On dit que le vieil Hollywood, celui des John Ford et des Vincente Minnelli, est à l’agonie. La relève est là, piaffante d’impatience. On les surnomme les garnements (Movie Brats). Ils détestent les grands studios – Fox, MGM, Warner, Columbia, Universal, Artistes Associés – et inventent déjà le cinéma du XXIème siècle avec des superproductions délirantes.

    C’est une tribu qui rêve de gloire et va qui va révolutionner le cinéma mondial, en pesant « accessoirement » des milliards de dollars au box-office : Roger Corman, Steven Spielberg, George Lucas, Martin Scorsese, Paul Schrader, Michael Cimino, Brian de Palma et Francis Ford Coppola. Justement, ce dernier a choisi son heure pour débarquer en force à Cannes en 1979, avec son film spectaculaire et nietzschéen, présenté en première mondiale. Car après ce festival, rien ne sera plus comme avant… La suite est à lire dans l’excellente série d’articles du Point parue en août 2019, à l’occasion du 40ème anniversaire du chef d’oeuvre de Coppola et de la sortie du « Apocalypse Now Final Cut », version restaurée en 4 K Dolby Atmos, conçue par le réalisateur comme ultime et définitive…

     

     

     

    « Apocalypse Now » en 8 Minutes by Blow Up (Arte)

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    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] « Apocalypse Now, la faillite de l’histoire » (Le Monde Diplomatique, 1979) 

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »]  Wikipedia

     

     

     

  • 1979, l’année qui changea le monde, Episode 05 : « Le Forum des Halles »

     

    [kleo_pin type= »circle » left= »yes » right= » » top= » » bottom= » »]          « FOCUS » : un article de fond sur un thème que nos rédacteurs ont sélectionné.

     

     

    L’année 1979 est définitivement une année-charnière, comme la fin d’un cycle. Elle scelle le sort des dernières utopies. Le monde prend une pelle et enterre à la hâte les cadavres encore fumants de nos illusions perdues. Après 1979, rien ne sera plus vraiment comme avant…

     

    Coincée à la fin d’une décennie qui paraît un peu creuse, durant laquelle les dirigeants politiques semblent manquer de charisme (le pâle Carter face au cowboy médiatique Reagan, VGE après De Gaulle et Pompidou), l’année 1979 n’attire décidément pas les flashes. Et pourtant… Que d’événements considérables ont eu lieu cette année-là, autant de tremblements qui ont marqué la face du monde et dont on ressent encore les répliques quarante ans plus tard.

    Révolution iranienne, arrivée de Saddam Hussein au pouvoir en Irak, début de la Guerre d’Afghanistan qui mènera à la chute de l’URSS et à l’apparition du terrorisme islamiste, second choc pétrolier et crise économique mondiale, paix entre Israël et l’Egypte, fin des Khmers Rouges… Il n’est pas insensé de penser que 1979 a en réalité été l’année la plus importante de l’après-Seconde Guerre Mondiale.

     

    Cette année 2019 est ponctuée de deux anniversaires. Il y a 50 ans, du 28 février au 2 mars 1969, les « Halles Centrales » partaient à douze kilomètres de Paris, à Rungis. Dix ans plus tard, le 4 septembre 1979, était inauguré le Forum des Halles, en présence de Jacques Chirac, Maire de Paris. 

     

    Il y a soixante ans, le 6 janvier 1959, au terme de longs débats, le Conseil des Ministres décide par ordonnance de transférer les Halles de Paris à Rungis et à la Villette. Malgré la mobilisation d’une partie de l’opinion en faveur du maintien des pavillons de Baltard in situ, leur démolition commence en 1971, deux ans après le déménagement des Halles Centrales et l’ouverture du nouveau marché de Rungis, au sud de Paris, devenu le plus grand marché de produits frais au monde en approvisionnant plus de 18 millions de personnes.

    Pour mieux appréhender ce microcosme et ses usages avant qu’il ne disparaisse à jamais, Daniel Karlin partait en 1969 à la rencontre de ces travailleurs du marché des Halles Centrales, aussi surnommées par Zola « le Ventre de Paris ». On y croisait ces témoins de métiers aujourd’hui disparus : une approvisionneuse qui vendait les produits qu’elle achetait aux maraîchers, un tasseur qui montait des tas de légumes sur le carreau des Halles, Marius dont le bistrot était face au Pavillon de la Marée ou encore le plus ancien mandataire de viande, arrivé aux Halles en 1915.

     

    Mémoires d’un vieux quartier | ORTF | 08/10/1969 (Images d’archive INA)

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    Suite au déménagement en 1969 des Halles de Paris, installées depuis le 12ème siècle en plein coeur de la capitale, dans l’actuel 1er arrondissement, vers la banlieue de Rungis (Val-de-Marne), des habitants du quartier, d’anciens commerçants, vendeurs et « Forts des Halles » témoignent, avec nostalgie, de cette époque révolue où, du fait de sa localisation au centre de Paris, il existait une réelle ambiance et confraternité entre les résidents des Halles. Commentaire sur images factuelles et d’archives, interviews, témoignages et explications de ce qui sera construit à la place des anciennes Halles, sur fond de travaux publics, d’ouvriers, de chantier des nouvelles Halles et d’images du quartier, constituent la base de ce reportage tourné en 1977.

     

    Images d’archive INA | 19/12/1977

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    Ce déménagement permet ainsi de concevoir une vaste opération d’urbanisme au cœur même de la capitale, pour redynamiser le centre de la rive droite. Le projet du Forum des Halles voit le jour, afin de créer une véritable ville souterraine, liée aux transports en commun et comportant des équipements commerciaux, culturels, sportifs et de loisirs. Cette orientation est confirmée par la décision gouvernementale d’y réaliser le point central d’interconnexion du RER, le Réseau Express Régional, situé à plus de 20 mètres sous terre.

    Durant l’été 1971, la démolition des Halles Baltard est donc rendue nécessaire afin de créer, à ciel ouvert, la gare souterraine du RER. Le vide et l’espace vacant laissé sur la partie ouest du site reçoivent rapidement le surnom de « Trou des Halles ». Au cinéma, le site sert, en 1973, à la transposition en plein Paris des aventures de Buffalo Bill, du général Custer et des indiens dans « Touche pas à la Femme Blanche », interprété par Marcello Mastroianni et Philippe Noiret. On l’aperçoit également dans « Les Gaspards », ayant pour thème les grands travaux de cette époque.

    Ce « Trou des Halles » symbolisera durant plusieurs années cette France en pleine mutation, entre traditions séculaires et modernité, et marquera l’entrée du pays dans la société de consommation et des loisirs. Malgré les résistances, c’est un monde qui disparaît avec la fin des « Halles Centrales ». La faune du quartier des Halles dans ces années 70, entre petits maquereaux, receleurs, dealers et punks, s’accroche à ses dernières chimères…

     

    Aujourd’hui Magazine | Antenne 2 | 19/12/1977 (Images d’archive INA)

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    A partir de 1979 et l’inauguration du Forum des Halles, le quartier des Halles verra déferler massivement, grâce à l’interconnexion du RER, une jeunesse en mal de consommation et de loisirs, fuyant l’ennui des cités-dortoirs. Les petites frappes de la décennie précédente se voient supplantées peu à peu par la nouvelle délinquance à la mode « banlieue », bâtissant la triste réputation du quartier jusqu’à sa nouvelle réhabilitation dans les années 2010.

    L’inauguration du Forum des Halles a lieu le 4 septembre 1979, en présence de Jacques Chirac, maire de Paris. 190 enseignes s’installent sur 43.000 m2 répartis sur quatre niveaux. L’ensemble de cette première tranche comprend 70.000 m2, auxquels il faut ajouter 50.000 m2 de parcs de stationnement.

     

    Sources : Wikipedia / Ina Vintage

     

     

     

  • 1979, l’année qui changea le monde, Episode 04 : « Sugarhill Gang »

     

    [kleo_pin type= »circle » left= »yes » right= » » top= » » bottom= » »]          « FOCUS » : un article de fond sur un thème que nos rédacteurs ont sélectionné.

     

     

    L’année 1979 est définitivement une année-charnière, comme la fin d’un cycle. Elle scelle le sort des dernières utopies. Le monde prend une pelle et enterre à la hâte les cadavres encore fumants de nos illusions perdues. Après 1979, rien ne sera plus vraiment comme avant…

     

    Coincée à la fin d’une décennie qui paraît un peu creuse, durant laquelle les dirigeants politiques semblent manquer de charisme (le pâle Carter face au cowboy médiatique Reagan, VGE après De Gaulle et Pompidou), l’année 1979 n’attire décidément pas les flashes. Et pourtant… Que d’événements considérables ont eu lieu cette année-là, autant de tremblements qui ont marqué la face du monde et dont on ressent encore les répliques quarante ans plus tard.

    Révolution iranienne, arrivée de Saddam Hussein au pouvoir en Irak, début de la Guerre d’Afghanistan qui mènera à la chute de l’URSS et à l’apparition du terrorisme islamiste, second choc pétrolier et crise économique mondiale, paix entre Israël et l’Egypte, fin des Khmers Rouges… Il n’est pas insensé de penser que 1979 a en réalité été l’année la plus importante de l’après-Seconde Guerre Mondiale.

     

    Sorti en 1979, le tube « Rapper’s Delight » de Sugarhill Gang fut le premier tube de l’histoire du rap. Alors coup de génie ou imposture ? Peut-être un peu des deux, mon capitaine…

     

    C’est à eux que le hip-hop doit son immense popularité aujourd’hui. Bien avant que Jay-Z, Snoop Dogg et Kanye West ne débarquent dans nos vies… Et quand, il y a quarante ans, en 1979, ils ont eu la brillante idée d’enregistrer le morceau « Rapper’s Delight », le premier succès rap de l’histoire, The Sugarhill Gang ne se doutait pas une seule seconde qu’il allait propulser le hip-hop, alors un mouvement éphémère local, au rang de phénomène culturel mondial. « J’aurais jamais cru que ça prendrait de telles proportions. À l’époque, on nous décourageait de faire du hip-hop, personne ne respectait ça », explique à l’Agence France-Presse Grandmaster Caz. Ce pionnier est l’un des co-auteurs de « Rapper’s Delight », même s’il n’a jamais été officiellement crédité pour ses paroles.

    Sorti en 1979, ce morceau s’est inscrit dans l’histoire comme le premier tube de rap, permettant au monde entier de découvrir un genre musical nouveau. Surtout, il a permis de graver dans le vinyle cette musique née dans les « block parties » du quartier new-yorkais du South Bronx. « Avoir enregistré en studio est la chose la plus intelligente qu’on pouvait faire pour le hip-hop », se remémore pour l’Agence France-Presse Master Gee, l’un des trois rappeurs de The Sugarhill Gang, interviewé au cours de l’inauguration d’un musée à Washington en janvier. « Commercialement, on était les premiers. C’est comme si on avait marché sur la Lune », explique le rappeur, âgé aujourd’hui de 57 ans.

     

    Tout commence le 6 mars 1979, dans un loft de Manhattan…

    Le soir de son anniversaire, Sylvia Robinson, chanteuse et productrice noire américaine de R’n’B, découvre une musique dont elle ignorait jusqu’à l’existence : le Rap. A cette époque, l’Amérique danse sur les tubes disco de Donna Summer et le Royaume-Uni ne jure que par le « Post Punk » de Police, The Clash ou The Cure. Les rappeurs, eux, se produisent depuis une décennie sur les trottoirs du Bronx et de Harlem, mais personne n’a encore songé à capturer leurs sons. En vingt-quatre heures, flairant le gros coup, Sylvia va monter son label, Sugar Hill Records, et réunir dans un studio trois rappeurs inconnus. Le groupe, baptisé « The Sugarhill Gang », enregistre sur-le-champ une chanson, « Rapper’s Delight », qui deviendra le plus grand tube de l’histoire du rap (15 millions de singles vendus en quinze ans) et lancera cette musique dans le monde entier.

    Retour sur cette nuit de mars 1979 où Sylvia reçoit « un coup de poing en pleine figure ». Ce soir-là, les DJ font scratcher sur les platines les riffs de James Brown. Portés par ces tempos endiablés, des rappeurs prennent tour à tour le micro, improvisant des joutes verbales saccadées. « Ils ont créé l’ambiance extatique d’un choeur de gospel, raconte-t-elle, mais leurs rythmes étaient imprégnés de groove, de blues et de jazz. La foule répondait, chantant aussi énergiquement qu’elle dansait sur le beat ». En rentrant chez elle, Sylvia compose un morceau dont la mélodie, simple mais poignante, s’appuie sur la ligne de basse du célèbre « Good Times » de Chic. Reste à trouver des interprètes…

     

    Mais Sylvia ne connaît aucun rappeur…

    « A l’époque, j’avais 16 ans, se rappelle son fils, Joe Robinson. Je connaissais une pizzeria où travaillait un certain Big Bank Hank, 21 ans, pizzaiolo le jour, rappeur la nuit. J’ai immédiatement emmené ma mère l’auditionner ». Enthousiaste, Big Bank chasse ses clients, ferme sa devanture et commence à rapper dans la voiture de Sylvia. Sur le trottoir, Master Gee, 16 ans, les entend et se lance dans un duel vocal avec Big Bank. Sur ce débarque un troisième rappeur, Wonder Mike, 21 ans. La productrice les conduit dans un studio et recrute six musiciens supplémentaires. Les neuf ne s’étaient jamais rencontrés avant. Le temps d’écouter la composition de Sylvia, et Master Gee attaque : « I said a hip hop the hippie the hippie to the hip hip hop, a you don’t stop… ». Wonder Mike prend le relais : « See, I am Wonder Mike and I like to say hello: to the Black, to the White, the Red and the Brown… ». Les autres enchaînent. Une seule prise suffit : quinze minutes de rap improvisé jusqu’à l’épuisement sur une musique Funky.

    Une semaine plus tard, le single fait un carton. « Tout le monde se demandait d’où venait cette musique étrange : une suite d’onomatopées, de flashs sonores et de mots destinés à frapper l’auditeur », se remémore Joe, qui, depuis 1985, est devenu un membre du groupe. Le public était envoûté et les mots « Rap » et « Hip-Hop » ont envahi le circuit commercial. « Rapper’s Delight » devient ainsi l’hymne du Rap et déferle sur les pistes de danse.

    Toutefois, son accueil dans les milieux du Bronx est moins chaleureux : un soir, un DJ de New York passe le tube dans un club et se retrouve avec un pistolet pointé sur la tempe. « Je te fais exploser la cervelle si tu ne jettes pas cette merde à la poubelle ! », menace ce puriste de la vieille école. Pour lui, Sugarhill Gang ne représente pas l’esprit des pionniers et diffuse des rimes sans contenu. Bambaataa ira jusqu’à dire que cette formation de Noirs se prostitue en imitant les niaiseries des Blancs. Et pourtant, un an après la sortie de ce tube, la première émission radiophonique de rap, « Mr Magic’s Rap Attack », annonce au monde l’arrivée d’un nouveau courant musical…

     

    D’une musique pour draguer les filles…

    « Rapper’s Delight » s’est donc vendu à des millions d’exemplaires à travers le monde et a même eu l’honneur d’être introduit en 2011 à la très prestigieuse Bibliothèque du Congrès à Washington. C’est à quelques minutes de là que s’est ouvert début 2019 un musée éphémère du Hip-Hop, où étaient exposés plusieurs centaines de micros dédicacés, disques de platines, produits dérivés, posters… La parfaite représentation de quarante ans d’histoire, dont les trois acolytes Hen Dogg (décédé depuis), Wonder Mike et Master Gee sont à l’origine. Loin de lui, pourtant, l’idée de marquer la musique quand Master Gee se met derrière un micro à la fin des années 1970. « Je voulais juste avoir un rencard avec une fille ! » rigole-t-il. « J’étais au lycée, je rappais à des fêtes de mon quartier. Je voulais juste me décrire pour m’assurer que les gens sachent qui j’étais ».

    À l’époque, le Hip-Hop est une culture balbutiante dont le Rap est l’expression musicale et qui tourne autour de quatre éléments : la danse, le graffiti, le « MCing » (la manière de rapper) et le « DJing » (la maîtrise des platines). Pour enregistrer « Rapper’s Delight », The Sugarhill Gang se paie donc le luxe de reprendre la célèbre ligne de basse de « Good Times », le tube du groupe de disco Chic, également utilisée en 1980 par Queen dans « Another One Bites the Dust ». « Avant de rapper, j’étais un DJ et le disco était à la mode à l’époque. Il y avait le funk avec des artistes comme Parliament-Funkadelic, Nile Rodgers… On prenait des éléments dans toutes les musiques autour de nous », explique Master Gee.

     

    … à l’émergence d’un rap « conscient »

    À ses débuts, le rap est festif et aborde des thèmes légers, comme la fête, la drague et l’amour de cette musique, médium utilisé par une minorité noire et discriminée pour s’exprimer. « C’était une libération, un nouveau moyen marrant de s’exprimer », rembobine Grandmaster Caz, qui, du haut de ses 57 ans, continue d’arborer avec fierté ses chaînes « bling-bling ». Au musée de Washington, Grandmaster Caz et The Sugarhill Gang se sont produits pour un concert « old school » avec un autre précurseur du genre : Melle Mel. Ce dernier faisait partie du groupe Grandmaster Flash and the Furious Five, qui en 1982 a sorti une autre pierre angulaire du rap : « The Message ».

    Ce morceau est le premier à avoir décrit avec réalisme la vie et la pauvreté dans les ghettos. Un style « conscient » qui a profondément marqué cette musique, souvent vue, notamment en France, comme le moyen d’expression des sans-voix. Et encore une fois, la révolution est arrivée par accident. « Je voulais juste faire quelque chose de différent, pour me démarquer des textes de base », se rappelle Melle Mel, âgé également de 57 ans. « Il s’est avéré que c’était du rap conscient, mais je voulais juste changer de style ». Si Melle Mel estime maintenant que leur chanson est « la plus importante de l’histoire du rap », le pari était loin d’être gagné lors de son enregistrement.

     

    « Personne n’y croyait vraiment. Je ne pensais pas que ça allait être un succès populaire, parce que c’était un morceau sérieux. Le hip-hop était une manière de s’échapper. Les gens voulaient s’amuser. »

     

    La recette a pourtant pris : grâce à ce tube, les membres du groupe sont devenus les premiers artistes Rap à être introduits au Rock and Roll Hall of Fame, panthéon du rock et de la musique populaire américaine, en 2007. « Cela a permis de mettre notre musique au niveau où elle devait être : aux côtés de tous les autres grands genres », ajoute Melle Mel. Et même si les nouveaux artistes du moment ne connaissent pas forcément leur nom et leurs tubes, les pionniers restent confiants quant à l’évolution du Rap. « On n’arrête pas ce qui est inéluctable et on ne tue pas ce qui est immortel. C’est ça le hip-hop », sourit Master Gee.

     

    [arve url= »https://vimeo.com/157887069″ align= »center » title= »The Sugarhill Gang : « Rapper’s Delight » (1979) » maxwidth= »891″ /]

     

    [arve url= »https://vimeo.com/182059976″ align= »center » title= »Sugarhill Gang Interview (2016) » maxwidth= »900″ /]

     

    Sources : Le Point / L’ExpressTélérama

     

     

     

  • The Cure, 40 ans de musique et de laque

     

     

    En mai dernier, le tout premier album de The Cure, « Three Imaginary Boys », fêtait son 40ème anniversaire, avec son ambiance post-Punk minimaliste, sa pochette rose bonbon et ses appareils ménagers.

     

    Pour les fans les plus pointus ou les historiens du rock, la rencontre entre les trois membres fondateurs du futur groupe The Cure, Lol Tolhurst, Michael Dempsey et Robert Smith, qui en deviendra le leader charismatique, remonte à 1976. Après plusieurs formations successives aux doux noms de The Group, The Obelisks, Malice ou encore Easy Cure (on se rapproche…), les trois acolytes finirent par arrêter leur choix sur le nom qui leur permettra de traverser quarante années de musique. S’ensuivent des petits concerts ici et là et c’est finalement en 1978 que celui dont la coupe de cheveux fut copiée plus tard par Tim Burton bombarde les maisons de disques avec une maquette composée des quatre premiers titres originaux de The Cure.

    Chris Parry, l’ex-manager des Jam, directeur artistique chez Polydor, souhaite à l’époque fonder son propre label indépendant (Fiction Records). Il perçoit de suite avec The Cure l’opportunité de concrétiser son projet. Cette histoire d’amour et de fidélité durera jusqu’en 2001. Avec l’avènement du mouvement Punk à la toute fin de cette décennie, The Cure commence à s’inventer en se créant enfin une identité propre, tandis que l’Angleterre rentre dans une crise économique durable, implacable, qui laissera sur le carreau un bon nombre de Britanniques.

    Tandis que les Sex Pistols et surtout The Clash se font les nouveaux chantres de l’opposition à la première ministre Margaret Thatcher et à sa politique d’austérité, The Cure, même s’ils surfent dans un premier temps sur cette vague Punk, vont quant à eux privilégier les contenus plus littéraires et poétiques à la basique contestation politique. Et face au marasme général, Robert Smith, qui écrit tous les textes des chansons du groupe, distille plutôt un spleen romantique tout droit sorti des poèmes de Baudelaire ou d’Edgar Allan Poe.

    Tel un message subliminal, le premier single du groupe, « Killing an Arab », dont le thème est emprunté à un texte d’Albert Camus, offre d’ailleurs une lecture à peine voilée du racisme ambiant qui prévaut en Angleterre durant ces années de profonde mutation. Trois ans après leurs débuts dans la petite ville anglaise de Crawley, The Cure font leur toute première apparition télé en décembre 1979 au Théâtre de l’Empire à Paris, dans le cadre de l’émission « Chorus » d’Antoine de Caunes. On notera le pyjama rose du poupon Robert Smith qui n’avait pas encore adopté le fameux look curiste qu’il arborera ensuite.

     

    [arve url= »https://www.dailymotion.com/video/xn3itu » title= »The Cure, First TV appearance (Paris, Dec. 08, 1979) » description= »The Cure Chorus » align= »center » maxwidth= »900″ loop= »no » muted= »no » /]

     

     

    Entretemps, Robert Smith fera quelques vacations en tant que simple guitariste au sein du groupe Siouxsie and The Banshees. Il en gardera dès lors cet esprit Glam-Rock en version dark (eye liner, rouge à lèvres baveux, tenue de corbeau, cheveux crêpés et fixés avec trois tonnes de laque), qui deviendra dans les années 80 une esthétique à part entière baptisée « Gothique », et la silhouette reconnaissable entre toutes de cet enfant-adulte à la mine narquoise originaire de Crawley dans le Sussex.

    Pour l’adolescent français tout juste sorti de l’enfance, The Cure s’impose ainsi comme une expérience sensorielle, vestimentaire et intellectuelle ; une empreinte qui façonnera durablement son ADN, avec une approche particulière du monde qui l’entoure, cette manière diffuse d’entretenir la flamme d’une éternelle mélancolie et ce grand écart entre réalité et imagination morbide.

    Pour toutes ces raisons, The Cure deviendra le groupe qui sous-tendra le mieux les doutes existentiels qui peuvent naturellement traverser cette période-clé chez l’adolescent, avant qu’il ne devienne un homme, un vrai… ou pas… En recherche permanente de repères et de modèles à singer, le jeune bien souvent en lutte avec l’autorité parentale et le monde qui l’entoure, se choisit alors cette panoplie et la posture qui va avec.

     

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    Et ça n’est pas avec le premier album « Three Imaginary Boys », ni même avec sa réédition agrémentée du premier single et futur classique du groupe, « Boys Don’t Cry », que la métamorphose se produit. Car tout est question de timing… Non, c’est surtout avec la trilogie sortie entre 1980 et 1982, « Seventeen Seconds », « Faith » et « Pornography », (les) trois (meilleurs) albums, peut-être un peu (ou sûrement) sous influence des quatre groupes majeurs de l’époque que sont Joy Division, Sisters of Mercy, Bauhaus et Killing Joke, que The Cure prend véritablement son envol pour devenir le groupe représentatif des errements de cette génération tiraillée entre la musique Punk qu’elle juge un peu trop violente à son goût, du Rock FM lavasse et du Funk joyeux et sautillant.

    Mais les influences et les citations, qu’elles soient en musique, au cinéma ou dans tout autre domaine artistique, sont des volutes et des boucles… Aujourd’hui, rétrospectivement, The Cure doit en effet en partie son son aux groupes cités plus haut, comme inversement d’autres groupes tels que The Smashing Pumpkins, Placebo ou plus récemment The XX se sont par la suite grandement goinfrés des accords et des tonalités du groupe toujours en noir.

    A commencer par ce fameux son de basse utilisé par toutes ces formations, comme un poids, une ombre, une menace latente qui revient sans cesse sur tous leurs morceaux et qui ici est distillé par le guitariste Simon Gallup, comme un poison moelleux ; une gravité, une mélancolie qui vous ensorcelle et qui sera la signature de The Cure pendant plusieurs années. On appellera ce nouveau genre musical la « Cold Wave ».

    Rester dans sa chambre des après-midi d’automne et d’hiver entiers, avec en fond musical « A Forest », « Secrets », « The Hanging Garden » ou « Primary », s’avérait être une expérience immersive assez saisissante. Le son lourd et amniotique qui vous enveloppait, la voix douce et lointaine de Robert Smith, caressante, qui accompagnait ces mélodies lancinantes et dépressives.

     

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    Avec le recul, la filiation entre le premier album « Three Imaginary Boys » sorti en 1979, qui s’inscrivait encore dans cette mouvance post-Punk, et ce que le groupe allait proposer par la suite, ne semblait pas si évidente que cela. Et même si, au premier abord, « Seventeen Seconds » fût difficile d’accès, il finit par trouver son public et ses fans. « Faith », enregistré dans la foulée, poussait plus loin encore les frontières de cet univers musical glacial et déprimant à souhait. Quant au troisième volet de la trilogie, « Pornography », il devait parachever l’oeuvre, avec ses batteries lourdes et martiales, ses textes morbides, cauchemardesques, et toujours ce son de basse qui vous enveloppe autant qu’il vous étrangle. De tous les groupes de l’époque, malgré ses spécificités, The Cure est celui qui va marquer le plus l’inconscient collectif.

    Alors, comme souvent, après une ascension à ce point fulgurante, The Cure va connaître ensuite une période plus décousue. Peut-être que Robert Smith ne souhaite pas non plus être enfermé dans un genre ; probablement pressent-il que ce succès si rapide risque de le condamner pour l’éternité à ces ambiances atmosphériques et quasi expérimentales. Toujours est-il que les fans de la première heure sont assez déconcertés à l’écoute des singles qui vont suivre…

    Tout en voulant goûter de nouveau à d’autres influences, Robert Smith opte pour le tout synthétiseur avec « Let’s Go to Bed », « The Walk » ou encore une heureuse anomalie et le son jazzy barré de « Love Cats ». Nous entrons en effet à ce moment précis en pleine révolution électronique, avec Depeche Mode, Soft Cell, Visage, XTC, New Order, Anne Clark, OMD, Ultravox, The Human League et bien d’autres groupes émergeants de l’époque.

     

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    En 1984, The Cure sort enfin un véritable nouvel album, psychédélique et déroutant : « The Top ». Plusieurs directions et autant de styles abordés. Mais une fois encore, pour les aficionados, cette livraison ne fait pas l’unanimité. Mis à part « The Caterpillar », « Birdmad Girl » ou peut-être « Shake Dog Shake », les autres morceaux du 33 tours nous laissent quelque peu dubitatifs. Le succès est relatif et les critiques musicaux restent sur leur faim. Mais Robert Smith ne se résigne pas et continue à chercher la recette gagnante. Il veut remporter le jackpot avec un album qui plaira au plus grand nombre.

    Deux ans plus tard, l’album « The Head On The Door » et ses tubes planétaires « In Between Days » et « Close To Me » déferlent sur toutes les radios. A l’heure du tout clip vidéo, chaque chanteur, chaque groupe, se doit d’avoir son clip pour illustrer et soutenir les ventes de disques. Celui réalisé pour « In Between Days » va marquer les esprits durablement. Le réalisateur Tim Pope deviendra d’ailleurs le directeur artistique attitré du groupe, affichant une liste impressionnante de clips produits entre 1982 et 1997. Dépositaire du style, il saura parfaitement retranscrire en image l’esprit de The Cure, comme une marque déposée doublée d’un concept fort.

     

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    The Cure entre ainsi dans la cour des grands. On les voit partout, en particulier en France, jusque chez Michel Drucker le samedi soir dans son émission de variétés Champs Elysées. Un succès cependant à double tranchant, car les fans de la première heure ne s’y reconnaissent plus du tout ; ce qui faisait le sel du groupe, son identité… Et ils n’aiment pas cette façon qu’a Robert Smith de se diluer pour essayer de plaire au plus grand nombre. The Cure perd certes une partie de ses fans parmi les plus radicaux, mais en conquiert quatre fois plus par ailleurs. The Cure devient mondialement connu…

    Là encore, l’album « The Head On The Door » n’est pas désagréable et l’on y retrouve parfois un peu de l’esprit sombre et dépressif des débuts, avec notamment deux morceaux, « A Night Like This » et « Sinking » qui clôt l’album. Mais les deux véritables tubes n’ont quant à eux rien de déprimant, et c’est probablement pour cette raison qu’ils deviennent de tels monuments. Ils s’inscrivent plutôt dans un registre Pop-Folk et même si les textes ne sont pas très portés sur la gaudriole, on sent que le divorce est désormais consommé avec leur première période musicale.

    Fort de cet énorme succès, The Cure publie son septième opus en 1987, « Kiss Me Kiss Me Kiss Me », un double album qui propulse définitivement le groupe en orbite, en se voulant encore plus gros et plus fort que le précédent, qui avait pourtant ouvert la voie à tous les records… Mais cette fois-ci, cette nouvelle salve de chansons fait l’effet d’un gavage d’oie. Les concerts qui vont suivre la sortie des deux singles qui seront eux aussi des tubes (« Why Can’t I Be You » et « Just Like Heaven », un morceau intégralement instrumental) se joueront cette fois dans des stades, à l’instar de Depeche Mode, INXS ou U2, ces groupes qui cartonnent à la fin de ces années 80.

     

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    The Cure est au firmament, à son apogée, en proposant une musique plus variée que jamais ; un son Rock et Folk qui enterre définitivement les ambiances Cold Wave des débuts. Pourtant, en 1989, prenant tout le monde à revers et surtout les fans de la première heure qui n’y croyaient plus, arrive « Disintegration ». De tous les albums confondus, Robert Smith tient enfin son chef d’œuvre absolu… Le disque qui réconcilie les anciennes et les nouvelles influences. Un album dense, puissant, sombre et magnifique, où chaque morceau est un diamant noir ciselé, aux multiples facettes.

    Sous ses abords rutilants de magnifique production promise au succès facile, se cachent dans « Disintegration », en deuxième écoute, des mélodies entêtantes et précieuses. Et hormis les tubes que l’on entend sans cesse sur les ondes (« Lullaby », « Fascination Street » et « Lovesong »), toutes les chansons s’avèrent essentielles à cet édifice grandiose, qui forme une cathédrale élevée à la gloire de Robert Smith et de la contre-culture. L’album dont rêvaient tous les admirateurs depuis « Pornography ». On retrouve d’ailleurs ce son lourd et ces guitares qui pleurent, comme la pluie battante.

    En cette année 1989 qui marque l’avènement des sons électroniques et de l’Acid House, il faut reconnaître que le pari de prendre le contre-pied des tendances émergeantes en revenant ainsi à ses fondamentaux, après dix années d’exposition et de succès, pouvait paraître quelque peu osé. Mais le pari de reprendre l’expérience Cold Wave laissée en friche sept ans plus tôt s’avère payant, car écouter à fond les douze morceaux qui composent « Disintegration », c’est sentir un vent puissant et mélancolique souffler dans les cheveux. Nous revoilà donc adolescents…

     

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    L’album qui suivra en 1992, « Wish », semble vouloir garder le même cap que son prédécesseur. Les dix morceaux qui le composent sont cependant moins inspirés et on sent bien que Robert Smith peine à réitérer le même exploit. Nous rêvions tous en secret d’une nouvelle trilogie mais le miracle n’aura pas lieu. Certes, « High » ressortira de l’ensemble mais hélas, le reste évoque plus le pot pourri que le disque qui marquera les esprits. Même si « Wish » est à ce jour, en terme de ventes, le plus gros succès national et international de The Cure, en se plaçant pour la toute première fois de l’histoire du groupe numéro 1 des charts en Angleterre, la fée de l’inspiration semble cette fois-ci bel et bien envolée…

    « Wild Mood Swings », le nouvel album qui sort quatre ans plus tard ne parviendra pas non plus à nous réveiller de notre profonde léthargie. Après des tensions au sein du groupe, des procès et des portes qui claquent, Robert Smith tente d’intégrer d’autres musiciens à ce nouveau projet. Le résultat final n’est que chansons banales, rythme général décousu, sans aucune ligne réelle qui pourrait donner de la cohérence à l’ensemble.

    En 2000, Robert Smith, toujours accroché à la barre du vaisseau contre vents et marées, sort « Bloodflowers » et tente une nouvelle fois de rééditer le miracle « Disintegration ». C’est peine perdue. L’album s’écoute sans que l’on ne retienne un seul des morceaux qui le composent. Il en ressort une énième redite paresseuse et l’on ne croit plus à cette mélancolie d’adolescent blafard ; indigeste et tout au plus bourratif.

    On aurait pu penser avec l’album éponyme « The Cure » sorti en 2004 qu’enfin, les compteurs allaient être remis à zéro et que nous allions assister à une vraie renaissance. Robert Smith & Co nous proposent cette fois-ci un album plus sec, moins produit et plus rock. Des riffs de guitare tonitruants pour des chansons paradoxalement sans véritable force… On n’y ressent ni la ferveur d’antan, ni le renouveau escompté, voire espéré. C’est comme si le logiciel « The Cure » avait été installé dans votre esprit et qu’il devait désormais en théorie façonner à l’infini les mêmes morceaux, même si dans la pratique, on s’éloignait de plus en plus de l’univers originel du groupe.

    Le dernier album paru à ce jour s’intitule « 4 :13 Dream ». Nous sommes en 2008, à savoir presque trente ans après la sortie de la graine originelle, « Three Imaginary Boys ». Tout ce qui pouvait nous ramener à ce qu’était The Cure vingt ans plus tôt n’est plus que vain espoir. On cherche sur chacun des morceaux ce qui pourrait ressembler à du Cure d’avant, neuf et débarrassé de tous les tics encombrants.

    Et pour la première fois, il faut se rendre à l’évidence : il est difficilement envisageable de parvenir à écouter les treize morceaux d’une seule traite, tant l’expérience est douloureuse pour les oreilles. Pathétiques ritournelles qui semblent encore avoir été créées par des algorithmes piochant ici et là dans la discographie du groupe, entre envolées pop, solos de guitare reconnaissables ou encore la façon de chanter de son leader. Tout sonne faux. Tout tourne à vide.

    Au point que certains en oublient que Robert Smith est un grand guitariste et un immense artiste, probablement un des musiciens parmi les plus influents du 20ème Siècle, qui a aussi consacré des Debussy, Rachmaninov, Ravel, Satie, Messiaen, Chostakovitch, Prokofiev, Bernstein, Riley, Cage, Villa-lobos, Morricone et bien d’autres encore. Conféré son passage télé chez Ardisson en juillet 2003, quand une bande d’idiots semblent ne pas avoir conscience qu’ils sont face à un artiste majeur, à l’immense culture et à la sensibilité exacerbée. On peut comprendre que Smith ait souvent fui les plateaux télé pour privilégier la scène, là où tout est vrai…

     

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    Depuis 2009, The Cure, réduit désormais à trois membres, se contente donc d’écumer les festivals à travers le monde. Sa popularité est pourtant restée intacte, malgré les errements artistiques des vingt dernières années. Robert Smith se cantonne à reprendre indéfiniment ses standards, en surfant depuis dix ans sur la vague de la nostalgie en tube. Tous les vieux dinosaures n’ont d’ailleurs jamais autant tourné dans ces festivals. Et chaque année, on ressort de son bocal telle ou telle célébrité d’un autre siècle…

    Quel étrange paradoxe, qui d’un côté montre l’accélération exponentielle de la technologie et des rapports froids et déshumanisés qui l’illustrent, et de l’autre, inversement, cette course effrénée à la nostalgie et au passéisme, où l’on n’a de cesse que de convoquer les fantômes et divers motifs d’antan. Que ce soit pour la musique ou pour le cinéma, du reste… Toutes ces vieilles badernes ont décidément encore de beaux jours devant elles, à ressasser leurs vieux titres ou se contenter comme Depeche Mode de continuer à enregistrer des disques ineptes, tandis que leurs concerts ne reposent pratiquement plus que sur leurs gloires passées.

    Alors, dans un futur plus ou moins proche, Robert Smith tentera-t-il une nouvelle fois de franchir le Rubicon en poussant la porte d’un studio d’enregistrement. ll sait au fond de lui que malgré l’érosion du temps, l’attente est restée intacte, pour les vieux fans de la première heure que nous sommes restés, qui passent toujours en boucle chez eux les morceaux qui ont tant compté pour eux, quand ils avaient 13 ans, qu’ils étaient dans leur chambre et qu’il pleuvait dehors…

     

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  • 1979, l’année qui changea le monde, Episode 03 : « Moi, Christiane F. »

     

    [kleo_pin type= »circle » left= »yes » right= » » top= » » bottom= » »]          « FOCUS » : un article de fond sur un thème que nos rédacteurs ont sélectionné.

     

     

    L’année 1979 est définitivement une année-charnière, comme la fin d’un cycle. Elle scelle le sort des dernières utopies. Le monde prend une pelle et enterre à la hâte les cadavres encore fumants de nos illusions perdues. Après 1979, rien ne sera plus vraiment comme avant…

     

    Coincée à la fin d’une décennie qui paraît un peu creuse, durant laquelle les dirigeants politiques semblent manquer de charisme (le pâle Carter face au cowboy médiatique Reagan, VGE après De Gaulle et Pompidou), l’année 1979 n’attire décidément pas les flashes. Et pourtant… Que d’événements considérables ont eu lieu cette année-là, autant de tremblements qui ont marqué la face du monde et dont on ressent encore les répliques quarante ans plus tard.

    Révolution iranienne, arrivée de Saddam Hussein au pouvoir en Irak, début de la Guerre d’Afghanistan qui mènera à la chute de l’URSS et à l’apparition du terrorisme islamiste, second choc pétrolier et crise économique mondiale, paix entre Israël et l’Egypte, fin des Khmers Rouges… Il n’est pas insensé de penser que 1979 a en réalité été l’année la plus importante de l’après-Seconde Guerre Mondiale.

     

    En 1979, Christiane Felscherinow racontait sa descente aux enfers dans « Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée… ». Le livre, adapté au cinéma en 1981, est devenu un best-seller et continue encore aujourd’hui à se vendre en librairie. 

     

    Dix ans après Woodstock et à la fin de cette décennie des années 70 qui avait salement douché les derniers espoirs des baby boomers, le monde était de nouveau confronté à la dure réalité des événements, bien loin des rêves d’amour et de paix partagés par la génération précédente de petits bourgeois citadins préservés des guerres et des crises qu’avaient pu connaître leurs parents.

    En 1979, le livre avait fait l’effet d’une bombe. « Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée… » racontait l’adolescence de Christiane Felscherinow, jeune SDF allemande rencontrée par les journalistes Kai Hermann et Horst Rieck, qui ont écrit cette histoire suite aux nombreux entretiens qu’ils ont pu avoir avec elle. Cet ouvrage avait ouvert les yeux de toute une génération sur les problèmes de la drogue et de la prostitution, mais plus largement sur le désespoir des jeunes. Écoulé à près de cinq millions d’exemplaires et traduit dans une vingtaine de langues (parution en Français en 1981), ce livre est devenu un best-seller qui continue à se vendre aujourd’hui.

    Ce qui devait être une simple mise en garde tourne tragiquement à l’inspiration malsaine, entre drogue et prostitution, sur fond de mouvement Punk. L’héroïne du roman autobiographique allemand « Moi Christiane F. » devient rapidement un modèle. La vie de l’auteure inspire toute une génération qui imitera ses déboires jusqu’à inquiéter les autorités allemandes.

     

    « Ce livre terrible a connu un retentissement considérable en France et dans toute l’Europe. Ce que raconte cette jeune fille sensible et intelligente qui se prostitue à la sortie de l’école pour payer sa dose quotidienne d’héroïne et la confession douloureuse de la mère font de Christiane F. un livre sans exemple. Il nous apprend beaucoup de choses, non seulement sur la drogue et le désespoir, mais aussi sur la détérioration du monde d’aujourd’hui. »

     

    En 1981 sort au cinéma l’adaptation du roman-témoignage, conçu à l’origine pour être publié sous la forme d’article dans les colonnes du magazine Stern. Berlin la Mythique nous y révélait ses traits les plus sombres et le film nous dépeignait cette jeunesse souterraine vivant nuit et jour aux alentours de la station de métro du Zoo. On se souvient évidemment de « Christiane F. », la bande originale de David Bowie, regroupant des titres déjà parus sur les albums précédents du chanteur, en particulier ceux de sa période berlinoise, « Heroes » (1977) et « Lodger » (1979), et les chansons « TVC 15 » et « Stay » qui y figurent dans leurs versions raccourcies parues à l’origine en 45 tours.

     

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    La nouvelle vie de l’auteure de « Moi, Christiane F. »

     

    En 2013, trente-quatre ans après la première publication de « Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée… », paraissait « Moi, Christiane F., la vie malgré tout », la suite du célèbre témoignage devenu culte. Christiane Felscherinow s’y confiait à la journaliste Sonja Vukovic. Elle racontait notamment comment elle fut rattrapée par ses démons. A 21 ans, après cinq ans d’abstinence, la jeune femme reprenait de l’héroïne…

     

    « C’est ce jour, il y a cet Africain qui a sonné à la porte de notre colocation à Hambourg… Il voulait qu’on stocke des paquets… Et il n’est jamais revenu, il a dû se faire arrêter… Alors voilà, il y avait ces cartons dans le grenier, et je sentais, je devinais ce qu’il y avait dedans », raconte-t-elle à « M le Magazine du Monde ».

     

    A 33 ans, l’Allemande donna naissance à son premier enfant, un petit garçon prénommé Philip. Mais toujours à cause de la drogue, elle en perdra la garde. Aujourd’hui, Christiane suit toujours un traitement de substitution à la méthadone et son corps souffre encore des séquelles de son addiction. Elle est atteinte d’une hépatite C et d’une cirrhose du foie…

     

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  • 1979, l’année qui changea le monde, Episode 02 : London Calling

     

    [kleo_pin type= »circle » left= »yes » right= » » top= » » bottom= » »]          « FOCUS » : un article de fond sur un thème que nos rédacteurs ont sélectionné.

     

     

    L’année 1979 est définitivement une année-charnière, comme la fin d’un cycle. Elle scelle le sort des dernières utopies. Le monde prend une pelle et enterre à la hâte les cadavres encore fumants de nos illusions perdues. Après 1979, rien ne sera plus vraiment comme avant…

     

    Coincée à la fin d’une décennie qui paraît un peu creuse, durant laquelle les dirigeants politiques semblent manquer de charisme (le pâle Carter face au cowboy médiatique Reagan, VGE après De Gaulle et Pompidou), l’année 1979 n’attire décidément pas les flashes. Et pourtant… Que d’événements considérables ont eu lieu cette année-là, autant de tremblements qui ont marqué la face du monde et dont on ressent encore les répliques quarante ans plus tard.

    Révolution iranienne, arrivée de Saddam Hussein au pouvoir en Irak, début de la Guerre d’Afghanistan qui mènera à la chute de l’URSS et à l’apparition du terrorisme islamiste, second choc pétrolier et crise économique mondiale, paix entre Israël et l’Egypte, fin des Khmers Rouges… Il n’est pas insensé de penser que 1979 a en réalité été l’année la plus importante de l’après-Seconde Guerre Mondiale.

     

    Never Mind The People

    Du côté de l’Angleterre, l’arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher en mai 1979 laisse présager des lendemains bien douloureux. Le pays se débat en effet dans une crise économique et sociale terrible, ultime convulsion d’un monde en pleine mutation. Les usines et les mines de charbon ferment les unes après les autres, laissant sur le bord de la route deux générations de Britanniques, condamnés au chômage de masse et à une inéluctable paupérisation.

    « L’hiver du mécontentement », le roman de Thomas B. Reverdy, dont le nom a figuré sur la liste du Goncourt en 2015, a pour cadre cette Grande-Bretagne de 1978-1979, paralysée par des grèves monstrueuses qui vont finir par propulser à la tête du gouvernement une inconnue, Margaret Thatcher, femme inflexible.

    Le pays entre dans une nouvelle ère, celle des jeunes loups aux dents aiguisées, bientôt connectés à l’ensemble de la planète, sans morale, sans dieu, vénérant le fric plus que leur propre mère. Ils préparent la grande révolution à venir, celle qui n’a pas besoin de grand soir, de rêves romantiques, d’idéaux en stuc… Ils veulent prendre les commandes de la City, devenir banquiers, actionnaires, hommes d’affaires, assureurs, courtiers, avocats fiscalistes… Et les ouvriers qui crèvent dans leurs bâtiments de briques insalubres, ils s’en foutent, à vrai dire…

     

    « Le reste, on va le liquider. Privatisations, faillites en série, licenciements massifs. Ce sera les grands soldes d’hiver, avant changement de collection (…). Les chômeurs seront de plus en plus nombreux. Mais au moins, ils seront de droite. »

     

    C’est dans ce contexte que sort l’album « London Calling » des Clash  : un album dont la chanson-titre est un appel à la révolte des laissés-pour-compte dans une Angleterre qui a vu le rock devenir punk dans la foulée des tensions sociales. Quarante ans après, l’hymne punk « London Calling » fait partie de la légende du rock.

     

    Punk, la musique de la colère

    Les Beatles sont séparés depuis moins de dix ans et l’époque du Peace & Love et des bed-in semble désormais bien lointaine. La situation économique et sociale a fait surgir de nulle part le Punk, la musique du désespoir et de la colère portée telle un étendard par des groupes comme les Sex Pistols. « Le mouvement punk arrive. C’est un grand coup de pied dans la fourmilière. On ne sait pas bien jouer mais on a une énergie… On va vous montrer. On est là pour défoncer la porte et c’est ce que l’on va faire. » (Alain Lahana, producteur de festivals)

    Et puis un jour de décembre 1979 explose sur les ondes le titre « London Calling ». Un appel à la résistance qui ramène les Anglais quarante ans en arrière, quand ils écoutaient Radio Londres. Un hymne subversif signé The Clash, un groupe punk né en 1976 dans la banlieue londonienne de Ladbroke Grove, sous l’impulsion du duo Joe Strummer et Mick Jones, tous deux à la guitare et au chant.

    Avec ce troisième album studio, The Clash nous livre un instantané saisissant de l’époque et un chef-d’œuvre qui marquera l’histoire de la musique en devenant l’un des meilleurs albums de rock de tous les temps. « London Calling » est un mélange de styles musicaux extrêmement convaincant, animé par une passion pour l’action et un désir féroce de justice sociale, hurlant des paroles qui restent finalement très actuelles.

     

    « London calling to the faraway towns
    Now war is declared, and battle come down
    London calling to the underworld
    Come out of the cupboard, you boys and girls
    London calling, now don’t look to us. » 

     

    Le premier couplet est sans équivoque :

    « L’appel de Londres aux villes lointaines
    Maintenant la guerre est déclarée et la bataille approche
    L’appel de Londres au monde souterrain
    Sortez du placard, vous tous garçons et filles. » 

     

    Et les icônes en prennent un coup…

    « Phoney Beatlemania has bitten the dust » 
    « Toute cette Beatlemania bidon a mordu la poussière »

     

    Le regard sur le monde est désabusé, sans illusion :

    « The ice age is coming, the sun’s zooming in
    Engines stop running, the wheat is growing thin
    A nuclear error, but I have no fear
    ‘Cause London is drowning, and I live by the river. »

    « L’âge de glace arrive, le soleil se rapproche de plus en plus
    Les machines s’arrêtent, les récoltes de blé sont maigres
    Une erreur nucléaire, mais je n’ai pas peur
    Car Londres est en train se noyer et je vis près de la Tamise. »

     

    L’album « London Calling », The Clash l’ont voulu double mais vendu au prix d’un simple, avec déjà dans l’idée d’en faire tant un manifeste social qu’un appel à la résistance. Et sa pochette reprend la police de caractères et la mise en page du premier album d’Elvis Presley sorti 23 ans plus tôt. Déjà 23 ans… Juste 23 ans, on ne sait plus bien comment le dire. En tout cas, les deux covers semblent vouloir exprimer la même énergie et la même rage, entre un Paul Simonon fracassant sa basse sur scène et Presley qui fait souffler avec son album un vent délibérément nouveau sur la musique américaine. Le monde change, de plus en plus vite…

     

     

     

    « Ils se permettent de dire : on vient de là mais on le réinterprète et on a le droit de faire ce qu’on veut. C’est une manière de dire on vous emmerde ! » (Manuel Rabasse, auteur de « Anarchy in the UK » publié aux Editions Camion Blanc)

     

    The Clash ont gravé dans le marbre de la légende du rock un hymne punk qui a secoué le monde bien au-delà des frontières de la vieille Angleterre. Le magazine Rolling Stone a d’ailleurs classé « London Calling » à la 8ème place dans la longue liste des 500 plus grands albums de tous les temps. Avant leur séparation en 1986, Joe Strummer et ses acolytes nous livreront encore deux monuments, « Should I stay or Should I Go? » et « Rock The Casbah ».

     

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    « London Calling » fête donc ses quarante ans, et c’est l’occasion rêvée pour rendre hommage à l’album culte de The Clash, avec une exposition événement dans la capitale britannique.

     

    Le carnet d’un tout jeune Joe Strummer, sa machine à écrire, la basse cassée par Paul Simonon sur la scène du Palladium à New York, le brouillon des paroles de « London Calling », les baguettes de Topper Headon, des tenues portées sur scène, des photos, des films… Du 15 novembre 2019 au printemps 2020, le Museum of London accueillera une exposition gratuite consacrée à l’une des figures de proue du mouvement Punk outre-Manche.

    Le mythique troisième album de The Clash « London Calling » a eu, dès sa sortie le 14 décembre 1979, un impact déterminant. « Un cri de ralliement pour les Londoniens et à travers le monde. Les paroles de l’album reflètent les problématiques de l’époque, dont beaucoup sont encore d’actualité », affirme Beatrice Behlen, conservatrice principale du département Mode et Arts Décoratifs du Museum of London. Une contemporanéité renforcée par l’émancipation du Punk « traditionnel » pour des influences musicales plus diverses.

    Un livre célébrera également l’anniversaire de l’album. Les fans y trouveront des reproductions de manuscrits, des photos et du contenu inédit… à feuilleter avec la réédition de « London Calling » en CD incluse. Et les plus nostalgiques ont jusqu’au 11 octobre pour explorer leur grenier à la recherche de leur bon vieux magnétophone, afin de profiter de la réédition de l’album sur cassette (également disponible en CD et vinyle).

     

    Sources : eil.com / Wikipedia / Causeur

     

     

     

  • 1979, l’année qui changea le monde, Episode 01 : Mad Max

     

    [kleo_pin type= »circle » left= »yes » right= » » top= » » bottom= » »]          « FOCUS » : un article de fond sur un thème que nos rédacteurs ont sélectionné.

     

     

    L’année 1979 est définitivement une année-charnière, comme la fin d’un cycle. Elle scelle le sort des dernières utopies. Le monde prend une pelle et enterre à la hâte les cadavres encore fumants de nos illusions perdues. Après 1979, rien ne sera plus vraiment comme avant…

     

    Coincée à la fin d’une décennie qui paraît un peu creuse, durant laquelle les dirigeants politiques semblent manquer de charisme (le pâle Carter face au cowboy médiatique Reagan, VGE après De Gaulle et Pompidou), l’année 1979 n’attire décidément pas les flashes. Et pourtant… Que d’événements considérables ont eu lieu cette année-là, qui ont marqué la face du monde et dont on sent encore les conséquences aujourd’hui.

    Révolution iranienne, arrivée de Saddam Hussein au pouvoir en Irak, début de la Guerre d’Afghanistan qui mènera à la chute de l’URSS et à l’apparition du terrorisme islamiste, second choc pétrolier et crise économique mondiale, paix entre Israël et l’Egypte, fin des Khmers Rouges… Il n’est pas insensé de penser que 1979 a en réalité été l’année la plus importante de l’après-Seconde Guerre Mondiale.

    Au cinéma, un film va cristalliser les peurs de l’humanité face à un avenir bien incertain qui semble lui être promis : « Mad Max ». Dans un futur dystopique, l’essence est devenue une denrée rare et des hordes motorisées terrorisent la population sur les routes et dans les campagnes. L’état a créé une force spéciale, la MFP (Main Force Patrol), afin de tenter d’endiguer ce phénomène. Max est policier au sein de la MFP. Avec son ami et collègue Goose, ainsi que quelques autres, il tente de faire respecter la loi dans un monde en proie au chaos.

    Un dangereux criminel s’évade d’une prison et tue un policier avant de lui voler son véhicule. Le Nightrider met en échec ses poursuivants avant d’être pris en chasse par Max, au volant de son Interceptor. S’ensuit une course poursuite effrénée qui se terminera par la mort du criminel. Quelques jours plus tard, une bande de motards arrive pour venger le Nightrider. Ils vont s’en prendre aux amis et à la famille de Max, et dès lors ce dernier va prendre la route et les armes afin de rendre la justice.

    « Mad Max », réalisé par George Miller en 1979, se positionne à la croisée de deux genres très en vogue aux USA dans les années 70 et 80 : le « Road Movie » et le « Vigilante Flick ». L’un pour son message de liberté et l’autre pour l’exorcisation des pulsions meurtrières d’une nation au bord du gouffre. Si « Mad Max » s’inspire de ses illustres prédécesseurs, comme « Easy Rider » (1969), c’est surtout au « Vanishing Point » (1971) de Richard C. Sarafian que le film de Miller emprunte le plus.

    Mais si Kowalski, le héros de « Vanishing Point », est un hors-la-loi épris de liberté face à une autorité toujours plus restrictive, le héros de « Mad Max » est de l’autre côté de la barrière : un policier face à une horde sauvage motorisée. Fini le temps des gentils motards tourmentés, tels Marlon Brando dans « L‘Equipée Sauvage » (de László Benedek en 1953)… Non, les criminels de « Mad Max » sont quant à eux de véritables tueurs, violant, assassinant et pillant tout sur leur passage.

    George Miller réalise donc le pendant négatif du film de Sarafian, avec un héros policier, mais surtout, il enfonce le clou avec une mise en scène totalement folle. Car « Mad Max » est filmé au ras de la route et au plus près des véhicules, monstres de puissance, dans des scènes d’action spectaculaires se terminant le plus souvent par des cascades éblouissantes.

    Si la route est le personnage principal du film, le policier incarné par Mel Gibson va devenir peu à peu (aux yeux du public) ce qu’il ne souhaitait surtout pas, à savoir un héros, vengeur et implacable. C’est là que le film de Miller rejoint en partie le genre « Vigilante Flick », popularisé à partir de 1974 avec « Un Justicier dans la Ville » interprété par Charles Bronson, et quelques années plus tard dans le film de John Flynn, « Rolling Thunder » (1977). Une fois la frontière passée, Max n’aura plus qu’un seul compagnon : la route.

    Les désillusions politiques dans le monde ont toujours amené le cinéma à se renouveler, à aller plus loin. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les années 70 ont été la décennie la plus riche en terme de création cinématographique (pour l’essentiel aux Etats-Unis). La guerre du Vietnam, les trahisons des chefs d’état (Nixon en tête), les crises pétrolières… Le bouleversement arrive avec des films comme « La Dernière Maison sur la Gauche » (1972), « L’Exorciste » (1973), « Massacre à la Tronçonneuse » (1974), « Taxi Driver » (1975), « Apocalypse Now » (1979) et bien sûr « Mad Max ».

    Les metteurs en scène innovent et repoussent sans cesse les limites, pour accoucher d’oeuvres violentes et radicales s’attirant souvent les foudres de la censure, notamment en France. Pendant presque dix ans, certains films resteront ainsi invisibles en dehors de certains festivals, et encore étaient-ils le plus souvent projetés avec des copies tronquées. L’exemple le plus flagrant reste le film de Tobe Hooper, « Massacre à la Tronçonneuse », qui n’arrivera sur nos écrans qu’en 1982, tout comme « Mad Max ». En effet, le film de George Miller, interdit pendant trois ans dans l’hexagone, n’obtient son visa qu’en 1982. Il sortira donc sur les écrans la même année que sa suite « Mad Max 2 »…

     

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    Sources : unidivers.fr / Wikipedia

     

     

     

  • L’album mythique d’AC/DC « Highway to Hell » fête ses 40 ans

     

     

    Le 03 août 1979, AC/DC sortait son sixième album studio, « Highway to Hell ». Ce jour-là, tout fan inconditionnel du groupe australien s’est probablement rué au magasin de disques le plus proche, est ensuite rentré chez lui à la hâte, a posé le vinyle sur sa platine, non sans une certaine excitation, et les premiers accords du morceau éponyme qui ouvre l’album se sont instillés dans son esprit pour toujours. Et il y a fort à parier que cette même scène se soit reproduite partout dans le monde ce vendredi 03 août…

     

    Car quarante ans plus tard, force est de constater que lorsque nous faisons le compte, rares sont les albums qui évoquent quelque chose à toutes les générations qui se sont succédées depuis leur sortie. Rares sont aussi les albums dont tout le monde connaît les premiers accords, identifiables en une seule seconde, et dont la pochette est presque aussi célèbre que les morceaux qui y sont gravés. Mais ce qui est sûr, c’est que parmi ces albums figure forcément « Highway to Hell ».

     

    Parfaite symbiose

    Le 27 juillet 1979, il y a donc quarante ans, le groupe de hard rock australien sortait son magnum opus, d’abord chez lui en Australie puis le 03 août partout dans le monde. L’album qui allait mettre tout le monde d’accord : des fanatiques de punk bien senti aux traditionalistes du rock ‘n’ roll pur et dur, en passant par les métalleux pro-Black Sabbath et les familles biberonnées à la pop britannique. Car « Highway to Hell », c’est l’album qui va définitivement propulser AC/DC au rang d’icône du rock.

     

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    Quand « Highway to Hell » paraît, les Australiens ont déjà plusieurs albums à leur actif, et tous ont connu un retentissement plus ou moins important en Australie comme à l’international. Ils se distinguent invariablement par des rythmes lourds, des accords de guitare rythmique imposants, grattés par la cheville ouvrière du groupe, Malcolm Young. Son frère Angus arrache quant à lui de sa fameuse Gibson SG des chorus démoniaques, virevoltant lorsque la voix de l’extravagant chanteur Bon Scott ne s’empare pas de tout l’espace sonore. Les chansons d’AC/DC sont la définition même de la symbiose d’un groupe, dont aucun des membres n’aurait pu exister sans les autres…

     

    « AC/DC, c’est de la musique rock ’n’ roll. Rien de plus, rien de moins. Peut-être jouée un peu plus fort, mais il n’y a aucune autre différence… » (Angus Young)

     

    Avec des chansons comme « It’s a Long Way to the Top », « T.N.T. », « Let There Be Rock », « Whole Lotta Rosie » ou « Riff Raff », AC/DC s’est peu à peu imposé comme le groupe maître du rock qui tache, tirant le meilleur parti de l’héritage de Led Zeppelin mixé à une passion prononcée pour le blues aux racines prolixes. Certains classent même Angus et sa bande dans la case heavy metal, aux côtés de Black Sabbath et Judas Priest. Ce que le guitariste réfute : « C’est de la musique rock ‘n’ roll. Rien de plus, rien de moins. C’est peut-être un peu plus fort, mais il n’y a aucune autre différence ».

     

    De géant australien à légende internationale

    Du rock ‘n’ roll pourtant unique, particulièrement identifiable. Et en partie grâce à « Highway to Hell », qui cristallise en 1979 toutes les attentes qui entouraient AC/DC. L’album fait ainsi passer le groupe du statut de géant australien à celui de légende internationale, capable de remplir des stades immenses, quel que soit le pays où il se produit. On se souviendra évidemment de certains shows démesurés, comme au stade de River Plate à Buenos Aires en 2009 ou encore au Stade de France la même année. Mais le concert qui marquera les esprits pour l’éternité est celui du 09 décembre 1979 au Pavillon de Paris, qui servira de base au documentaire musical « Let There Be Rock » réalisé par Eric Dionysius et Eric Mistler, sorti sur grand écran en 1980, et qui restera à l’affiche de quelques cinémas parisiens pendant des années…

     

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    La recette de « Highway to Hell » repose en partie sur sa production. Robert « Mutt » Lange est imposé pour produire l’album, et lui donne une sonorité moins brute, plus accessible à la bande FM. Laissant les influences blues au « Some Girls » des Rolling Stones, les membres du groupe s’ingénient à écrire des refrains en forme d’hymnes puissants, assimilables par une foule gigantesque.

    C’est avec cette stratégie en tête que naissent des tubes. « Highway to Hell » en premier lieu, la chanson ultime du groupe, qui fixe sur bande toute l’ambition de ce disque monstre. Les parties de guitare semblant mener une course effrénée contre la batterie, la voix d’orfèvre de Bon Scott et son refrain plus qu’iconique en font un objet d’adoration pour tout amateur de rock.

     

    Usine à tubes

    Et si la chanson-titre est la plus célèbre, le reste de l’album n’a pas à rougir. « Girls Got Rhythm » ne peut que faire s’agiter une longue chevelure de métalleux. « Walk All Over You » calme le jeu sur son lourd refrain pour mieux projeter son énergie sur des couplets diaboliques. « If You Want Blood (You Got It) » offre peut-être le riff de guitare le plus typique d’AC/DC. Si on y ajoute « Shot Down in Flames » ou encore « Night Prowler », le disque ressemble plus à une crasseuse usine à tubes qu’à un album de rock.

     

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    Et à l’écoute des mécaniques de cette usine, il est aisé de comprendre en quoi « Highway to Hell » a pu devenir un objet sacré du rock. En quelques albums, AC/DC est passé d’un hard rock costaud aux influences blues à un hard rock démentiel, taillé pour enflammer (plus ou moins littéralement) les foules.

     

    Chant du cygne involontaire

    Mais cet album ne limite pas son statut culte à sa seule qualité intrinsèque. Son histoire a aussi son rôle à jouer. Le 19 février 1980, après une soirée trop alcoolisée, la voix emblématique du chanteur Bon Scott s’éteint définitivement. Il avait 33 ans, et laisse derrière lui un public orphelin et un groupe au bord de la rupture. « Highway to Hell » restera son chant du cygne involontaire.

    En hommage à son chanteur charismatique, et avec le petit nouveau Brian Johnson derrière le micro, AC/DC publiera en juillet 1980 « Back in Black », qui deviendra d’ailleurs le deuxième album le plus vendu de tous les temps derrière « Thriller » de Michael Jackson sorti en 1982. Et si quelques titres de « Back in Black » résonnent encore dans les têtes des rockers des années 80, comme « Hells Bells » ou « Shook Me All Night Long », les riffs simples mais ravageurs de « Highway to Hell » devraient garder encore longtemps la première place dans leurs coeurs. Et lui permettre de rester l’Album d’AC/DC, avec un grand A…

     

     

    Article de Thomas Hermans (FranceInfo Culture) et Christophe Mayet (Instant City)

     

     

     

  • Alien ou la Saga tuée dans l’œuf…

     

     

    C’est en 1979 que surgit dans les salles sombres des cinémas du monde entier « Alien, le Huitième Passager ». L’affiche du film montre un gros œuf qui se fendille par le dessous et d’où émerge une lumière verdâtre. On se souviendra aussi d’une phrase laconique qui accompagnait l’événement : « dans l’espace, personne ne vous entend crier ».

     

    Par son approche inédite du film d’horreur, qui mélange thriller et science fiction, « Home Invasion » et Lovecraft, « Alien, le Huitième Passager » de Ridley Scott va surprendre puis terroriser des millions de spectateurs. Ce public fraîchement habitué à l’univers de « Star Wars » pensait naïvement que dans l’espace, c’était forcément plus cool… Sur la terre ferme, on avait certes déjà eu droit à « Massacre à la Tronçonneuse » puis à « L’Exorciste » qui campaient sacrément le décor ; dans l’eau, aux « Dents De La Mer » et dans la forêt, à « Délivrance ». Des films qui avaient imposé leurs initiales au genre et qui restent gravés à tout jamais dans l’inconscient collectif… En revanche, dans l’espace, on avait plutôt affaire aux bases et aux vaisseaux spatiaux, aux pistolasers ou aux bons sentiments.

    Mais ça, c’était avant…

    La lumière s’éteint. Le film commence. La musique de Jerry Goldsmith propose, sur la base de quelques notes de cuivres, un thème aussi doux qu’inquiétant pour accompagner les premières images de l’espace infini, des étoiles, des planètes, puis des bâtonnets se regroupent au centre de l’écran pour finir par former le mot « Alien »…

     

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    Le vaisseau cargo Nostromo rentre sur terre. A son bord, l’équipage se trouve en cryo-sommeil. Alors qu’il passe non loin d’une planète inconnue, les ordinateurs captent un signal de détresse. Tout le monde est alors réveillé et décide d’organiser une mission de sauvetage. Ceux qui se rendent sur le lieu découvrent l’épave d’un gigantesque vaisseau spatial à la forme étrange. Après une petite visite à l’intérieur, l’un des protagonistes, plus curieux que les autres, tombe sur de gros œufs de Pâques.

    Pourtant, ce qui en sortira ensuite ne ressemble pas vraiment à un lapin en chocolat mais plutôt à une grosse bestiole repoussante, croisement improbable entre une araignée et une paire de testicules. Le gloumoute qui surgit telle une mauvaise blague va se ficher sur le visage du malheureux membre d’équipage qui en prenait soin, après avoir préalablement brûlé la visière du casque de sa combinaison spatiale. Dans la salle de cinéma, tout le monde est calmé…

    Le public va par la suite assister, médusé, à une autre scène qui restera probablement dans les annales comme l’une des visions les plus traumatiques du cinéma. Le truc en forme de main posé sur le visage de sa victime a visiblement eu le temps de pondre quelque chose dans son corps, mais personne ne s’en doute encore. Alors que l’homme placé en quarantaine, après avoir sombré dans le coma, reprend conscience sans la chose sur son visage, qui est retrouvé morte et toute desséchée, on est rassuré et déjà prêt à replonger dans un sommeil profond afin de continuer son voyage.

    Lors d’un dernier déjeuner où tout l’équipage est présent, avant de retourner dormir, tout avait pourtant bien commencé mais la digestion de la salade de pomme de terre va s’avérer plus difficile que prévue… La salle, cette fois-ci sidérée, va assister à l’éclatement de l’intérieur du ventre du pauvre type, qui aurait mieux fait ce jour-là de rester chez lui. Une nouvelle créature, à l’apparence cette fois d’un cornichon à mâchoires, lui sort du bide, salut tout le monde puis part à toute vitesse se cacher dans les recoins sombres du vaisseau spatial.

     

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    Avec ces deux scènes électrochocs, « Alien, le Huitième Passager » rentre instantanément dans le registre des standards de l’horreur, comme ses glorieux aînés cités précédemment. On avait peur sur terre, dans les campagnes, dans les villes, dans les océans et on aura désormais peur aussi dans l’espace. La suite de ce film est une course poursuite dans les méandres du vaisseau, au cours de laquelle on assiste, impuissant, à l’élimination méthodique de tout l’équipage par le fameux cornichon à mâchoires qui entre-temps sera devenu assez balèze…

    Pour la petite histoire cinéphilique, au risque de paraître tatillon, il faut savoir que les deux scénaristes du film, Dan O’Bannon et Ronald Shusett, avaient quelque peu repompé l’intrigue d’un film de Mario Bava datant de 1965, « La Planète Des Vampires », dans lequel il était également question d’un vaisseau spatial qui recevait un S.O.S. provenant d’une planète inconnue. L’équipage qui s’était rendu sur les lieux s’apercevait trop tard qu’il ne s’agissait pas d’un appel au secours mais plutôt d’une mise en garde. Voilà pour la petite séquence sodomie de mouche…

    Mais reprenons…

     

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    « Alien » premier du nom va donc propulser le jeune réalisateur britannique Ridley Scott en orbite. Avec ce seul succès à son actif, ce réalisateur venu de la publicité, qui n’avait produit auparavant qu’un seul film, « Les Duellistes », va désormais avoir toute la latitude requise à entreprendre ce qu’il souhaite. Il se lance ainsi dans son projet suivant, tiré d’une nouvelle de Philip K.Dick intitulée « Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? », et rebaptisé pour l’occasion « Blade Runner ».

    Aujourd’hui encore, « Alien, le Huitième Passager » est l’exemple parfait de ce que la conjonction entre plusieurs talents peut engendrer de plus créatif, depuis la direction artistique jusqu’à la réalisation, en passant par la musique, les visuels et bien-sûr le casting. La jeune actrice Sigourney Weaver qui campe le personnage du lieutenant Ripley va d’ailleurs devenir une marque de fabrique du film hollywoodien. La femme forte et intelligente, celle qui aura toujours le dernier mot…

    Mais la véritable vedette du premier volet de la saga « Alien » est bien évidemment le monstre lui-même. Dans un film qui se voulait hyper-réaliste, il était inenvisageable d’y exposer une créature issue d’un bestiaire déjà vu mille fois. Il fallait donc trouver un nouveau concept de xénomorphe qui aurait sa propre logique, un passif, une mythologie et qui soit plausible dans la réalité.

    C’est en Suisse que fût finalement déniché celui qui donnera naissance à la créature légendaire et pas très sympa : L.G. Giguer, un artiste peintre et sculpteur, aux visions cauchemardesques à base d’hommes et de femmes bio-mécaniques, dans lesquelles s’entrelacent et se fondent organismes, phallus, vagins, totems et diverses ornementations ; de parfaites illustrations pour agrémenter un univers Lovecraftien à souhait… Il crée ainsi pour les besoins du film le monstre insectoïde et bio-mécanique parfait. Une créature aussi élégante que répugnante…

    Malgré l’énorme profit que génère le premier opus de la future saga « Alien », La Fox ne va malheureusement pas pouvoir prévoir une suite de sitôt, d’abord parce que Ridley Scott ne souhaite pas revenir dessus. Il a son autre projet qui lui tient à cœur. Même si le potentiel est pourtant énorme, Il faudra attendre sept ans pour que sorte au cinéma une suite intitulée sobrement « Aliens ».

    C’est donc en 1986, sous l’impulsion de James Cameron qui vient de casser la baraque avec son « Terminator » que cette suite voit enfin le jour. Le futur réalisateur du succès hors norme « Avatar » ne prend pas les choses à la légère. Après le thriller spatial claustrophobe qu’avait réalisé son prédécesseur, Cameron voit les choses en bien plus grand. Car quitte à revenir sur cette histoire de monstre dans l’espace, autant y aller à fond…

    Le « S » rajouté au titre donne d’ailleurs le ton. Il n’y a plus un mais désormais plusieurs centaines de xénomorphes à combattre, et quoi de mieux pour tenter d’anéantir ces cancrelats géants que de leur envoyer les Marines. Mais James Cameron n’est pas non plus un bourrin à la Michael BayTransformers », « Armageddon »), il saura jouer sur différents tableaux et différentes échelles.

    Ripley (Sigourney Weaver) reprend du service et c’est évidemment elle qui aura le dernier mot à la fin. Non mais ! D’une femme forte et courageuse dans le premier opus, elle devient, sous la houlette du nouveau réalisateur, une combattante aussi dangereuse que tout un régiment de militaires endurcis. Cameron va pousser les curseurs très loin et offre un film furieusement guerrier. Il enchaîne les scènes d’anthologie, avec un duel final mano a mano entre Ripley et la reine des Aliens absolument homérique.

    Si la version de James Cameron perd certes en mystère, nuance et stylisation, elle y gagne en revanche nettement sur l’aspect spectacle à grande échelle et générosité en scènes d’action en tous genres. « Aliens » sera de nouveau un beau succès, même si les critiques ne goûtent pas totalement sa tonalité jugée trop belliqueuse. Et beaucoup lui préféreront finalement les atours méta de son illustre prédécesseur.

    Orgasmique…

     

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    Il faudra encore attendre six ans pour que la Fox trouve le nouveau réalisateur capable de continuer à entretenir le mythe « Alien ». C’est au tour du jeune David Fincher, issu du clip et de la publicité, de s’essayer à renouveler la franchise. L’idée est maintenant évidente… Il s’agit de changer de ton à chaque nouvel opus, avec comme seul fil rouge, le ou les xénomorphes et le personnage de Ripley.

    Pour ce troisième épisode tout aussi sobrement intitulé « Alien 3 », l’expérience va virer au cauchemar pour le réalisateur. En effet, Fincher, malgré son peu d’expérience en matière de réalisation, montre une appétence pour les idées originales et visionnaires. Ce qui n’est pas du goût du studio qui l’a engagé et qui voyait en lui seulement un bon faiseur surnommé à Hollywood « Yesman ». David Fincher, quant à lui, a une idée bien précise de la façon dont il compte aborder ce troisième chapitre.

    Après la furie martiale et XXL de James Cameron, le futur réalisateur de « Seven » souhaite aller dans une toute autre direction. Plusieurs versions du scénario vont être d’abord proposées, avec des concepts assez fous tels que cette option dans laquelle l’histoire se déroule sur une planète forestière habitée par des moines dépourvus d’armes et qui devraient combattre les monstres par d’autres moyens. David Fincher verrait en effet assez une rencontre entre Alien et une ambiance moyenâgeuse. Difficile à faire avaler aux executives de la Fox, en tout cas…

    Finalement, alors que le tournage commence sans que le scénario ne soit achevé, Fincher convainc en partie le studio de le laisser tourner ce qu’il a en tête. L’histoire va se situer dans un pénitencier à l’autre bout de la galaxie, dans lequel les anciens prisonniers vivent tels des moines et se servent du lieu comme d’un purgatoire, là même où ils ont trouvé la foi en créant une religion nouvelle issue du christianisme. C’est avec l’arrivée de Ripley dans sa navette, qui se crashe non loin de la communauté, que les ennuis vont commencer. Ayant fait vœu de chasteté, tous ces hommes ne sont pas forcément enclins à accueillir une femme, et encore moins lorsque celle-ci amène avec elle un de ces fameux œufs.

    Le film est aux antipodes tant du premier que du second chapitre de la Saga « Alien ». David Fincher propose une œuvre gothique et austère, mâtinée de références bibliques. En affichant le parti pris de pas faire figurer la moindre arme à feu dans le film, il crée un univers complètement inédit et offre au monstre une nouvelle lecture à la série. Ultime provocation, il tue Ripley qui portait elle aussi un Alien en elle et qui se sacrifie en se jetant dans une cuve de plomb en fusion, dans un final christique du plus bel effet, le tout illustré par le magnifique score d’Elliot Goldenthal.

    Cependant, à sa sortie, « Alien 3 » divise aussi bien le public que la critique. Les plus enthousiastes y voit un superbe objet sombre et fascinant, quand les plus fervents adeptes du premier volet le trouve trop éloigné du concept originel. Ce sera aussi le film de la saga qui marchera le moins bien en salle, car trop particulier, mais qui au fil des années deviendra culte. « Alien 3 » est censé clôre la saga en une trilogie aussi hétérogène que captivante…

     

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    Pourtant, en 1997 sort en salle un nouvel épisode de la Saga, « Alien, La Résurrection »…

    Depuis « Alien, le Huitième Passager », l’actrice Sigourney Weaver a pris beaucoup de poids à Hollywood. Non pas qu’elle ait considérablement grossi en se gavant de pizza et de banana split, mais plutôt qu’elle est devenue absolument incontournable. C’est aujourd’hui elle qui a le pouvoir de choisir les projets dans lesquels elle souhaite s’investir. Et ce sera le cas pour la mise en chantier d’un nouvel « Alien ». N’ayant pas été très convaincue par son sort à la fin d’« Alien 3 », elle décide de remettre le couvert et de faire revenir d’une manière ou d’une autre l’increvable Ripley.

    Co-productrice cette fois-ci, la Danna Barrett de « Ghostbusters » va s’enquérir elle-même du prochain réalisateur. Et son choix se portera sur un Français, Jean-Pierre Jeunet, le co-auteur de « Delicatessen » et de « La Cité des Enfants Perdus ». L’actrice-productrice aime son univers particulier et décalé et pense que cela collera parfaitement à cette renaissance.

    « Alien, La Résurrection », malgré une indéniable bonne volonté et des idées intéressantes, se soldera par un semi-échec au box office. Paradoxalement, le film n’a ni l’ampleur d’« Aliens », ni le côté mystérieux d’« Alien 3 » et comparé à « Alien, le Huitième Passager », ne fait plus peur du tout…

    En tentant d’injecter dans ce 4ème opus de l’humour et de la distanciation, le futur architecte du « Fabuleux Destin d’Amélie Poulain » a réduit à néant toute forme d’intensité et de rythme. Le film relève parfois presque plus du pastiche que d’un simple premier degré. Et si « Alien, La Résurrection » peut toutefois séduire grâce à des trouvailles stylistiques et des idées intéressantes en exploitant la mythologie d’origine, jamais il n’offre le spectacle fort et intense que l’on était en droit d’attendre.

    C’est d’ailleurs l’un des films de la saga qui vieillira le plus mal et le revoir le ferait paraître assez anecdotique comparé à ses ainés.

    Cette tétralogie se clôt donc cette fois-ci bel et bien, sur un film bancal et embarrassant.

     

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    Nous n’allons pas nous étendre sur les deux tentatives avortées que furent « Alien vs Predator » (2004) et « Alien vs Predator: Requiem » (2007) pour des raisons d’éthique personnelle. En effet, ces deux « œuvres palimpsestes » qui, comme leurs titres l’indiquent, voient des Xénomorphes affronter des Predators, n’avaient comme unique but que de faire plaisir à une nouvelle génération plus sevrée aux jeux vidéo qu’au cinéma.

    On a longtemps cru que cette fois-ci le sort en était jeté et que la Fox laisserait tranquille une bonne fois pour toutes le xénomorphe le plus mignon de la galaxie. Pourtant, c’est bien le papa d’Alien en personne qui revient à la charge. Ridley Scott décide de réactiver la franchise, lui qui ne voulait plus en entendre parler, pour des raisons qui auraient curieusement un lien avec le décès de son frère réalisateur, Tony Scott.

    En 2012 sort donc en salle « Prometheus ». Le réalisateur de « Gladiator » va proposer cette fois-ci un prequel à son propre film sorti en 1979.

    A noter qu’à la même époque, le réalisateur sud-africain Neil BlomkampDistrict 9 ») travaille aussi sur un projet « Alien » qui aurait été, s’il avait vu le jour, une suite directe au « Aliens » de James Cameron, avec encore et toujours Sigourney Weaver dans le rôle de Ripley. Un reboot, en quelque sorte, qui aurait ainsi passé à la trappe tant la version de David Ficher que celle de Pierre Jeunet. Le projet était sur le point d’être lancé par la Fox. Des visuels comme le scénario était prêts et le film allait rentrer en pré-production…

    Sauf que ce vieux briscard de Scott coiffe tout le monde au poteau, en faisant valoir son ascendant sur l’œuvre complète, dont il devait toujours avoir les droits, balaie d’un revers de la main tout le travail déjà effectué par Blompkamp et son équipe pour imposer sa propre version. Tout est réuni pour qu’il pose alors sur la table avec autorité cette nouvelle histoire révisionniste-créationniste sur la genèse des xénomorphes et par la même occasion la nôtre aussi.

    Si l’on ne tient pas compte de l’énorme attente générée par ce nouveau volet de la Saga, entretenue de part et d’autre par une pluie de vidéos virales sur internet, de sites en tous genres, de forums et autres bandes annonces plus tapageuses les unes que les autres, il faut aujourd’hui considérer ce volet supplémentaire réalisé par Ridley Scott simplement comme ce qu’il est, au fond, à savoir un film peu cohérent dans l’ensemble de la série et au rendu bien inférieur à la somme de fantasmes et de croyances créés en amont de sa sortie.

    D’ailleurs, cette méthode de communication, cette forme de stratégie publicitaire employée afin de provoquer une attente et susciter une envie, n’est pas dénuée de risque et peut fortement desservir une oeuvre, car elle embarque tous ceux et celles qui attendent le film à l’aune de leur propre psyché. Chacun se construit son propre film, sa propre histoire, avec les fragments et les quelques éléments mis à sa disposition… Forcément, les attentes seront immenses et impossibles à combler.

    Pour « Prometheus », les images ou visuels lâchés au compte-gouttes dans l’année qui précéda sa sortie étaient à chaque fois alléchants. Les infos suggéraient beaucoup de mystère, de trouvailles démentes, le tout assorti d’une intrigue révolutionnaire.

    Ridley Scott est avant tout un créateur de l’image et de la forme. Ce n’est pas le scénario qui chez lui est le plus important, c’est le support qui prédomine. Ses films totems que sont « Alien », « Blade Runner » ou encore « Legend » sont devenus des oeuvres références, surtout pour ce qu’ils véhiculent comme force picturale. L’histoire en soi part d’une idée forte et l’intrigue est à chaque fois simple et directe. C’est pour cela que ces films étaient réussis : ils étaient évidents. Le sens du détail, par lequel chaque objet avait une histoire. Jusqu’aux costumes et décors, pour signifier que le monde qui nous était dépeint était tangible.

    « Prometheus », qui devait d’abord s’intituler « Paradise », se revendiquait comme une sorte de nouveau « 2001, l’Odyssée de l’Espace » ; une nouvelle référence ultime qui viendrait remettre les pendules à l’heure en matière de SF pure et dure. Cette énorme production de 150 millions de dollars, opulente et fière, nous fut livrée sur un char de Ben-Hur, au son des trompettes et hautbois… Pour qu’il n’en sorte finalement qu’un ridicule petit « pouet », tant l’intrigue est indigente…

     

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    Le film tente d’occuper plusieurs registres à la fois, dont celui qui renoue avec le premier « Alien » ; l’horreur viscérale, la peur, l’angoisse. « Prometheus », tel un mille-feuilles indigeste, superpose plusieurs couches de lignes directrices. On essaye de suivre tout cela jusqu’à la fin, sans jamais avoir réellement tout compris et surtout sans pouvoir appréhender où cela va nous mener. Au final, le film s’avère totalement nébuleux. Quant aux nombreux protagonistes, ils sont traités comme des personnages de sitcom, avec un petit détail simpliste pour définir tel ou tel caractère.

    Le scénario est à ce titre l’un des plus mauvais scripts agencés et structurés pour ce genre de productions, qui ait pu être proposé depuis bien longtemps. On a finalement l’impression de voir en « Prometheus » la somme des longs-métrages de SF parmi les plus médiocres de ces dernières années, entre « Supernova », « Event Horizon » ou encore « Sunshine ». Chacun de ces films présentait pourtant des pitchs intéressants empruntés à la littérature SF, avec des auteurs comme Isaac Asimov, Arthur C. Clarke ou Philip K.Dick, mais du fait de nombreux problèmes de production et de respect des délais, ils avaient dû se débarrasser en route de pas mal d’éléments pour en arriver finalement à une seule et unique intrigue convenue, à savoir des courses-poursuites entre héros et méchants dans des couloirs exigus, ou encore cet intenable compte à rebours avant que tout ne nous pète à la gueule…

    « Prometheus » nous promettait des merveilles et nous n’avons eu en retour qu’un début beaucoup trop long et ennuyeux ; « Prometheus » laissait augurer des révélations à nous en laisser bouche bée et nous avons trop vite sombré dans de banales scènes d’horreurs et d’effets spectaculaires obligés. Nous finissons par perdre pied en oubliant les tenants de l’histoire, ses enjeux. Quant au scénario, il est tellement mal fichu dans ses ressorts et l’interaction entre les protagonistes, que l’on a du mal à comprendre le ton réel du film. Le score de Marc Streitenfeld est à ce titre à la hauteur de ce qu’est le film ; une musique fade, sans profondeur, sans caractère ni identité.

    Au final, ce pénultième volet en date de la Saga « Alien » réalisé par Ridley Scott n’est ni viscéral, ni effrayant, ni sujet à réflexion, ni même étonnant. Il recèle néanmoins des images sublimes et des tableaux somptueux, à la manière d’un luxueux artbook à l’éloge de tous ceux qui ont contribué à son élaboration. Mais en tant que film, en tant qu’oeuvre, « Prometheus » est un produit sans âme et sans conviction. Un oeuf sans jaune…

     

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    Et Ridley Scott va encore enfoncer le clou et tenter de boucler la boucle, puisqu’il souhaitait réaliser une trilogie en 1979, avant de ne plus vouloir finalement réaliser une trilogie… Vous me suivez ? Avec « Alien: Covenant » sorti en 2017, il emploie de nouveau les mêmes méthodes de communication que pour « Prometheus », avec fausses publicités sur Youtube, teasers, etc… pour faire exister son film comme un univers plein et cohérent et surtout générer la même attente chez le public.

    Avec cet ultime opus, on ne touche même plus le fond, mais on creuse… En l’espace de deux films, Scott aura réussi à saborder complètement son œuvre matricielle, comme un dernier bras d’honneur à tous les fans de cette mythologie. En voulant apporter des réponses à ce qui faisait justement le mystère et l’étrangeté des épisodes originels, le réalisateur enterre la saga « Alien » une bonne fois pour toutes, pour l’éternité…

    Comme le chante Dominique A : « on ne souhaite pas la mort des gens, ce n’est jamais assez méchant ». Espèrons juste qu’après la disparition de Ridley Scott, un réalisateur plus inspiré et passionné pourra surgir de l’éternité et saura ressusciter notre monstre préféré et son si beau sourire de cornichon géant à double mâchoire…