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  • Focus | La légende de Robert Johnson

     

     

    Robert Johnson n’est pas un bluesman parmi tant d’autres… Avant lui, il y eut bien quelques bluesmen fondateurs, de W.C. Handy à Charlie Patton, en passant par Tommy Johnson, parmi lesquels certains sont d’ailleurs passés à la postérité. Après lui, et jusqu’à nos jours, pléthore de bluesmen ont bien-sûr continué à écrire l’histoire de cette musique… Mais Robert Johnson est le blues.

     

    D’abord, cette vie… Une vie digne des plus beaux romans de Balzac, à la dramaturgie imparable, et où tous les ingrédients sont réunis pour forger la légende de Johnson, qui se confondra peu à peu avec la légende de cette musique qu’il aura contribué à rendre si populaire : le blues… Robert Leroy Johnson serait né le 8 mai 1911, à Hazlehurst, dans le sud du Mississippi, l’état alors le plus dur à l’encontre de la communauté noire, pourtant majoritaire. Enfant naturel et petit-fils d’esclaves, son existence d’affranchi n’a cependant rien à envier à celle de ses grands-parents. En effet, après l’abolition de l’esclavage en 1865, ces anciens esclaves sont devenus des employés exploités par ceux qui étaient jusqu’alors leurs « maîtres ». C’est donc dans ce climat de misère et de chaos familial que Robert Johnson vit sa plus « tendre » enfance et son adolescence, balloté entre une mère ayant déjà enfanté à dix reprises, un père « inconnu », Noah Johnson, que Robert n’aura de cesse que de rechercher toute sa vie, des beaux-pères successifs, mais aussi des villes, des écoles, et divers noms de famille, entre Spencer, Dodds ou Willis… Ca n’est d’ailleurs qu’à seize ans qu’il adoptera définitivement le nom de Johnson.

    A quatorze ans, Robert Johnson abandonne la guimbarde pour l’harmonica, qui restera pendant longtemps son instrument de prédilection. Mais c’est à la fin des années 20 qu’il rencontre deux figures mythiques du blues, qui lui enseignent les rudiments de cette musique : Charlie Patton (1891 – 1934), le père du « Delta Blues », une des toutes premières formes de blues, qui inspirera bon nombre de musiciens malgré sa courte carrière, de John Lee Hooker à Son House, en passant par Howlin’ Wolf, Robert Palmer, Bob Dylan, jusque The White Stripes et… Francis Cabrel, et Willie Brown (1900 – 1952), dont on sait peu de choses, si ce n’est qu’il collabora régulièrement avec Patton jusqu’à la mort prématuré de ce dernier.

    En 1929, à l’âge de dix-huit ans, Robert Johnson découvre donc le blues, et se met à la guitare, sans abandonner pour autant l’harmonica, pour lequel il a confectionné un support qui lui permet de jouer des deux instruments en même temps.

    Mais c’est en 1930 qu’un événement tragique le précipite définitivement dans les bras du blues, la « musique du diable »… Sa femme de seize ans perd la vie, ainsi que leur enfant, suite à un accident qu’il aurait lui-même provoqué. Robert Johnson est anéanti, et pour calmer son immense peine, il se réfugie corps et âme dans la musique. C’est à cette période qu’il rencontre Son House, qui le ridiculise en public lors d’un concert : « tu ne sais pas jouer de la guitare, tu fais fuir les gens ».

    Vexé par cet affront, Robert Johnson retourne s’installer à Hazlehurst, sa ville natale, et il y rencontre Ike Zinnerman qui deviendra son mentor et le poussera à prêcher la « mauvaise parole » du blues dans les états du Sud. Cet homme étrange disait devoir la maîtrise de son instrument à la fréquentation d’un cimetière ; il exerce une influence certaine sur Robert, qui répétera à maintes reprises avoir appris à dominer sa « six cordes » à minuit, sur les tombes…

    Lorsqu’il revient à Robinsonville deux ans plus tard pour montrer ses progrès à Son House et Willie Brown, ceux-ci sont stupéfaits par la virtuosité et le talent sans bornes du jeune homme. C’est à ce moment précis que nait la légende de Robert Johnson, selon laquelle il aurait conclu un pacte avec le diable, une nuit sombre, à un carrefour au fin fond du Mississippi. Car ces années d’apprentissage et de concerts minables dans tous les « juke-joints » de l’état ne peuvent pas expliquer une telle métamorphose…

    Voilà ce que relate sa chanson « Crossroads » (enregistrée en novembre 1936) : un soir, à minuit, en pleine misère et en plein désarroi, le Diable lui a rendu visite à ce carrefour, pour lui proposer un pacte : le talent en échange de son âme. Ainsi, le blues ne pouvait pas mieux justifier cette appellation de « musique du diable »…

    Mais en réalité, cette légende proviendrait de son homonyme, Tommy Johnson, qui aurait vendu son âme au diable en échange de sa virtuosité à la guitare. Et Robert n’aurait fait que reprendre cette légende à son compte, à moins qu’elle ne lui ait été attribuée par erreur. C’est d’ailleurs le personnage de Tommy Johnson qui apparait dans O’Brother des frères Coen. De quoi finalement continuer à alimenter la polémique, et donc la légende de Robert Johnson…

    Et pour parachever le tout, Robert Johnson n’aura gravé durant sa courte carrière, sur vinyle et à la postérité, que 29 chansons en tout et pour tout, enregistrées lors de deux uniques sessions studio, en novembre 1936 à San Antonio, puis en juin 1937 à Dallas. La légende veut qu’il aurait écrit une 30ème chanson, mais que le Diable l’aurait gardée pour lui… Ce morceau qu’il n’a pas eu le temps d’enregistrer serait « Mister Downchild », repris ensuite par Sonny Boy Williamson.

    Mais Robert Johnson, c’est aussi trois uniques photos prises de son vivant, ainsi que trois tombes réparties dans l’état du Mississippi, son lieu de sépulture le plus probable étant Morgan City, où l’on peut lire sur la pierre tombale dressée en 1991 : « Ci-git Robert Johnson, roi des chanteurs du Delta Blues. Sa musique fit vibrer un accord qui continue de résonner. Ses blues s’adressaient à des générations qu’il ne connaîtrait jamais, et transformaient en poésie ses visions et ses peurs ».

    Le 16 août 1938, Robert Johnson meurt des suites d’un mystérieux empoisonnement… par un mari jaloux, après avoir agonisé pendant trois jours, dira encore la légende. Il n’avait que 27 ans. Pour la petite histoire… Ou pour la grande, il est le tout premier membre fondateur du fameux « Club des 27 » réunissant les artistes morts à 27 ans.

    Robert Johnson accédera à un début de notoriété en 1961, avec la sortie de l’album « King of the Delta Blues Singers », et deviendra ensuite la référence absolue pour toutes les générations de musiciens qui lui ont succédé, au-delà des frontières du blues, de Muddy Waters à Jimi Hendrix, en passant par John Lee Hooker, Elmore James, Robert Lockwood, Eric Clapton, les Allman Brothers, ou encore les Rolling Stones.

    A noter que tous les enregistrements de Robert Johnson ayant pu être récupérés, y compris les inédits, sont disponibles sur le double CD : « Robert Johnson – The Complete Recordings » (Collection Roots N’Blues – Sorti chez CBS en 1990 et réédité chez Sony Music Entertainment en 1996).

    Et pour finir, vous pourrez visionner Crossroads, film américain de Walter Hill sorti en 1986, qui évoque Robert Johnson à travers l’histoire d’un jeune guitariste blanc qui part à la recherche de la « légendaire » 30ème chanson du bluesman.

    Pour toutes ces raisons, Robert Johnson est le blues…

    Et là, pour la peine, ça n’est pas une légende…

     

     

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    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Robert Johnson Blues Foundation

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »]  robertjohnson.fr

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Robert Johnson @ Deezer

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] La Chronique d’André Manoukian

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »]  Supernatural Crossroad Blues Intro

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »]  Eric Clapton – Session For Robert Johnson – Me And The Devil Blues

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »]  Robert Johnson – Supernatural – Crossroad Blues

     

     

     

  • Hervé Muller a rejoint son pote Jim…

     

     

    Son nom n’évoquera pas forcément grand chose aux jeunes générations, mais Hervé Muller était l’une des plumes les plus affutées des magazines Best, Actuel ou Rock & Folk, de la fin des années 60 au début des 80′. Il nous quittait le 22 mars 2021, sur la pointe des pieds…

     

    Le journaliste et auteur, né dans l’est de la France et âgé de 72 ans, souffrait depuis les années 80 de fibromyalgie, une maladie rare qui lui occasionnait, entre autres, de terribles troubles du sommeil. Entre la fin des 60’s et celle des 70’s, cet ami intime de Jim Morrison aura collaboré à Best, Actuel, Rock & Folk, Libé et le Matin de Paris.

    Si une de ses vieilles connaissances, une autre légende du journalisme musical, Gérard Bar-David, ne nous avait pas alertés, nous ne l’aurions probablement jamais su… Car cette triste nouvelle, nous aurions dû l’apprendre dans les colonnes de Libération ou de Rock & Folk, deux médias amnésiques qui existent pourtant toujours aujourd’hui, avec lesquels Hervé Muller avait pendant longtemps collaboré et apposé sa fameuse signature au bas de nombreux articles. Hélas, plus personne au sein de ces rédactions ne semble vouloir s’en souvenir…

    Hervé Muller était pourtant un immense rock-critic, même s’il était aussi doté d’un solide caractère de cochon. Fameux journaliste rock à Actuel, Best, Rock & Folk, correspondant aux USA de Libé, auteur à succès et biographe de Jim Morrison, Hervé était un vrai héros du rock, jusqu’à ce que la maladie le rattrape au crépuscule des années 80.

     

     

     

    Au printemps 1971, c’est chez Hervé Muller qu’échoue Jim Morrison une nuit, ramassé ivre mort devant la porte de la Cantine du Circus par un ami du journaliste, Gilles Yepremian. Les deux hommes se lieront d’amitié. Muller consacrera une première biographie au Roi Lézard en 1973, « Jim Morrison, au-delà des Doors », puis nous livrera sa version des faits sur les derniers jours du leader des Doors à Paris, avec « Jim Morrison, mort ou vif », publié en 1991, vingt ans après la disparition de Morrison.

    A la fin des années 70, Hervé Muller assure la rubrique rock du Matin de Paris. Au même moment, après avoir produit le premier album éponyme de Trust en 1979, il devient le manager d’un jeune espoir de la variété-rock hexagonale, du nom de Jean-Patrick Capdevielle. La même année, ce dernier cartonne avec son hit « Quand t’es dans le désert », extrait de son premier 33 tours. Mais au début des années 80, Hervé Muller s’installe à New York et disparaît des écrans-radars. On le retrouve à Paris quinze ans plus tard, en 2006, lorsqu’il témoigne dans un documentaire de Michaëlle Gagnet consacré à Morrison, intitulé « Les derniers jours de Jim Morrison ».

    Son vieux compère Gérard Bar-David lui rendait ainsi un dernier hommage, dans un article intitulé « Le dernier voyage d’Hervé Muller », publié sur son site Gonzo Music le 11 mai 2021 : « Atteint de de fibromyalgie, une maladie rare qui lui occasionnait, entre autres, de terribles troubles du sommeil, il pouvait s’endormir en un clin d’œil, en plein jour, comme s’il tombait en état de léthargie instantanée. Il souffrait également du « Complexe de Diogène », entassant chez lui tout ce qu’il pouvait. Sans doute aussi la solitude devait lui peser. Hervé ne devait pas vraiment supporter l’homme qu’il était devenu.

    Gravement malade, il devait absorber une foultitude de médicaments, dont certains contre l’hypertension artérielle. Or il semblerait que ces derniers temps, il aurait omis de suivre son traitement. Le médecin-légiste a conclu qu’il était décédé d’un arrêt cardiaque. Et aujourd’hui, nous avons enfin pu accompagner Hervé Muller pour son dernier voyage. C’était au Père-Lachaise, juste à côté de là où repose son vieux pote Jim depuis déjà un demi-siècle et, de surcroit, le jour anniversaire de la mort de Bob Marley. Un signe !  Nous sommes le mardi 11 mai 2021… So long Hervé Muller… »

     

     

     

  • Jim Morrison, derniers jours à Paris

     

     

    Fondé en juillet 1965 à Los Angeles, The Doors n’aura existé que huit ans. Huit années et six albums studio enregistrés par la formation originelle, qui ont suffi à faire entrer ses membres dans la légende. D’abord avec des titres emblématiques qui ont jalonné la carrière du groupe, comme « Break On Through » ou « Light My Fire », mais aussi et surtout grâce à son leader, le chanteur Jim Morrison.

     

    Poète maudit, véritable performer, cet artiste charismatique et tourmenté a eu une vie pour le moins tumultueuse, faite d’excès en tout genre. Sa disparition précoce, le 03 juillet 1971 à Paris, a contribué à créer la légende mais a mis un terme à l’une des aventures musicales parmi les plus novatrices du 20ème siècle. The Doors sera finalement dissout en 1973, deux ans après la mort de son chaman. Six ans plus tard, la voix de Jim Morrison sur le titre « The End » contribuera à façonner une autre légende, celle du film de Francis Ford Coppola :  « Apocalypse Now ».

    Lorsqu’il arrive à Paris le 12 mars 1971, Jim Morrison a 27 ans et il semble décidé à tourner définitivement la page de ses années Doors. Condamné par la justice américaine pour son comportement jugé obscène lors de la première date de leur grande tournée américaine, à Miami le 1er mars 1969, après un an et demi d’un procès qui l’aura terriblement éprouvé, il souhaite changer de vie, se réinventer, et surtout laisser derrière lui son pire ennemi : l’alcool. Gilles Yepremian a fréquenté le chanteur à l’époque, après l’avoir recueilli un soir, ivre mort. « Le rock le fatiguait. Il s’autodétruisait à petit feu, pour casser cette image de rock star qui lui collait à la peau ».

     

     

     

    « A 27 ans, je suis trop vieux pour être chanteur de rock… »

    Jim Morrison, très affecté par les disparitions récentes de Brian Jones, Janis Joplin ou Jimi Hendrix, n’a plus goût à rien, à part pour la poésie, mais qui ne parvient cependant pas à lui rendre un semblant d’équilibre et de sérénité. Sam Bernett dirigeait alors le Rock’n’Roll Circus, une boîte à la mode, dont l’ex-leader des Doors devint un client assidu. « C’était un garçon dont le comportement pouvait changer du tout au tout en l’espace d’une minute. Il pouvait être agréable, adorable, de bonne compagnie et de bonne conversation, mais le problème, c’est qu’il buvait énormément, et dès lors qu’il avait dépassé la limite, il devenait vite insupportable et ingérable ».

    Le Rock’n’Roll Circus, cette discothèque parisienne où se retrouvaient les célébrités du moment, en ce début des années 70. De nombreuses anecdotes racontent les nuits sulfureuses durant lesquelles se croisait toute la faune d’artistes aux tenues excentriques, de Michel Polnareff à Yves Saint Laurent et Pierre Bergé, venus s’encanailler avec les mauvais garçons, les dealers et les groupies accrochées aux pattes d’eph’ de Keith Richards, Mick Jagger ou Jimi Hendrix.

     

    « Pourquoi je bois ? Pour pouvoir écrire de la poésie… »

    A Paris, Jim Morrison chine chez les bouquinistes, sur les quais de Seine. Lui qui veut devenir poète, il lit beaucoup et aime s’asseoir durant des heures sur un banc, place des Vosges, pour écrire ce qui ne restera que l’ébauche de son oeuvre littéraire. « Il dit qu’il veut mener les adolescents au-delà de l’odyssée juvénile traditionnelle. Il veut leur faire atteindre le champ symbolique de l’inconscient, dans le cadre d’un projet à la fois culturel et poétique. » (Hervé Luxardo, historien, Université Paris III Sorbonne).

     

    « Jim Morrison est mort, mais son corps bouge encore. » (Le Figaro, juillet 1971)

    Mais dans la nuit du 2 au 3 juillet 1971, le corps sans vie de Jim Morrison est retrouvé à Paris, dans la baignoire de l’appartement qu’il occupe avec sa compagne Pamela Courson, au 3ème étage du 17/19 Rue Beautreillis, dans le quartier du Marais. Ce décès aux circonstances mystérieuses ne sera rendu public que quelques jours plus tard par ses amis Agnès Varda et Alain Ronay, qui organiseront à la hâte ses obsèques au Père Lachaise, auxquelles n’assisteront d’ailleurs que cinq personnes. Arrêt cardiaque ? Overdose ? Suicide ? Complot de la CIA ? Étrangement, la police n’ordonne aucune autopsie, suscitant des interrogations qui n’en finiront plus, dès lors, de nourrir le mythe du chanteur poète au destin tragique.

    Avec cette mort brutale, Jim Morrison rejoint le Club des 27, constitué de ces icônes libertaires, parmi lesquelles Janis Joplin, Brian Jones, Jimi Hendrix ou Robert Johnson, toutes foudroyées à 27 ans, et qui se seront, chacune à leur manière, brûlé les ailes dans un combat perdu d’avance contre leurs démons intérieurs. En 1970, il ironisait, en déclarant à qui voulait bien l’entendre : « Vous êtes en train de boire avec le numéro 4 », comme pour conjurer le sort. Ou pas…

     

     

     

    Entre espoir et dérive, en éclairant les circonstances de la disparition du Roi Lézard et ses zones d’ombre, le documentaire d’Olivier Monssens, « Jim Morrison, derniers jours à Paris », produit en 2021 pour Arte, tente ainsi de percer le mystère de l’homme derrière la légende, et en particulier de celui qu’il était devenu ces derniers mois à Paris, après avoir fui les États-Unis, laissant derrière lui sa panoplie de rock star.

    Dans cet exil volontaire, le génie tourmenté balance entre espoirs d’une nouvelle vie auprès de ses héros littéraires, Rimbaud en tête, et errance autodestructrice dans un Paris où la contreculture commence à flirter avec l’héroïne. Enrichie de nombreuses archives, une enquête sur un cold case, doublée d’un portrait brossé par ceux qui l’ont connu pour, peut-être, refermer le dossier Morrison, un demi-siècle après sa mort. Entre portrait documenté et investigation, un retour sur les derniers mois du chanteur des Doors, Jim Morrison, dont la mort brutale et mystérieuse à Paris en juillet 1971 n’a cessé de nourrir le mythe.

    A checker également l’ouvrage « Jim Morrison, mort ou vif » publié en juin 1991 par le chroniqueur Hervé Muller, qui nous a quittés en mars 2021. On lui doit d’ailleurs certains des tout derniers clichés de Morrison saisis à Paris, parmi lesquels la photo à la une de cet article… So long, Mr Muller.

     

    Quand je jette un regard en arrière sur ma vie
    Je suis frappé par des cartes postales
    Instantanées, détériorés,
    Posters fanés d’un temps qui m’échappe…

     

    Documentaire d’Olivier Monssens (France, 2021, 52 mn)

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    Documentaire de Michel Dailloux (France, 2006, 50 mn)

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  • Alexandre Desplat, le plus hollywoodien des compositeurs français

     

     

    Avant de parcourir de manière éclectique et subjective la discographie d’Alexandre Desplat, on doit d’abord se demander pourquoi autant de talents, à l’instar de cet ancien élève du Conservatoire de Paris, préfèrent les collines hollywoodiennes aux verts pâturages français. Pour Alexandre Desplat, cette migration date de 2003, depuis que son travail pour le film « La Jeune Fille à La Perle » lui ouvrit des portes et des fenêtres sur un monde plus large et probablement plus reconnaissant.

     

    Tout comme les scénaristes, les compositeurs pour le cinéma ne nagent pas vraiment dans l’opulence, au pays de Molière et de Berlioz. Et même si ce flûtiste accompli croule désormais sous les sollicitations des réalisateurs étrangers, il faut bien reconnaître qu’outre-Atlantique, on prend bien plus au sérieux la discipline de la musique pour le cinéma. Sans compter que les projets proposés là-bas sont en général plus excitants que ceux qui peuvent se monter en France.

    Même si Alexandre Desplat collabore depuis longtemps avec Jacques Audiard ou Roman Polanski, avec la même fidélité que celle qui lie depuis toujours John Williams et Steven Spielberg, ou fut un temps Danny Elfman et Tim Burton, force est de constater que le cinéma français est bien trop étriqué pour satisfaire les ambitions du compositeur des bandes originales de « The Ghost Writer » ou « Un Prophète ».

     

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    Mais grand bien lui en prit, car depuis une vingtaine d’années, un nombre considérable de films américains auront vu leurs histoires enluminées de ses partitions raffinées et exigeantes.

     

    Même si Alexandre Desplat se revendique souvent des grands maîtres hollywoodiens, tels que John Williams ou Bernard Herrmann, il puise également ses influences dans un héritage bien français, de Ravel à Poulenc, en passant par Saint-Saëns et Debussy. Car c’est bien la sophistication des accords, des enchaînements ou des trouvailles purement formelles qui caractérise le mieux sa musique. En marge de ces illustres références, l’ancien collaborateur de Karl Zéro et Eric Morena a également étudié très consciencieusement les musiques brésiliennes et africaines.

    Mais il est vrai que nombre de ses compositions surfent sur le travail du grand John Williams. Nous pensons évidemment à la B.O. du film de David Fincher, « Benjamin Button », le plus williamesque de ses scores. C’est d’ailleurs en découvrant « Star Wars » dans une salle de cinéma en 1977 qu’il réalisa que ce qu’il voulait vraiment faire, c’était composer de la musique pour des films. La puissance symphonique au service d’images sur un écran déclencha cette vocation, comme une absolue évidence.

     

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    Mais plus encore qu’un Hans Zimmer, autre compositeur européen plébiscité et apprécié des réalisateurs américains ainsi que du grand public, Desplat sait sans cesse se réinventer et repousser à l’extrême les limites de ses inspirations. Il n’y a qu’à constater le travail accompli pour une autre grande collaboration qu’est celle avec Wes Anderson, pour se rendre compte de la richesse des thématiques de ce compositeur « Frenchy ».

    S’il aime avant tout l’ampleur orchestrale, Desplat aime aussi chercher, fouiner du côté des instruments du monde et leurs sonorités originales. Wes Anderson justement, et ses films comme « The Grand Budapest Hotel » ou « L’île aux Chiens », dans lesquels sont convoquées des sonorités traditionnelles, avec des instruments peu ou jamais utilisés dans des productions de ce type. Les Biwa, Koto, Konghou et Yamatogoto pour le Japon, ou encore l’Atabaque, le Conga, le Pandeiro pour l’Europe de l’Est.

     

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    Alexandre Desplat va donc au fond des choses, en ne se contentant pas simplement d’illustrer des séquences. Il a besoin de comprendre et d’aimer ce qu’il voit. De cette même nature intransigeante qu’un Ennio Morricone, avec cette même façon d’appréhender l’histoire, il va apporter une résonance, une vérité aux images. Sa propre imagination va ainsi se réapproprier le film en question, avec toute la profondeur nécessaire. Et sa musique va s’enraciner profondément, prenant parfois le pas sur l’image, en permettant au film d’exister encore plus.

    Avec ses œuvres les plus significatives, notamment « Un Prophète », « Birth », « Le Discours d’un Roi », « Rise of The Gardians » ou « Les Frères Sisters », Alexandre Desplat fait en sorte de ne jamais resservir le(s) même(s) (Des)plat(s)… [Humour] Avec plus de 150 œuvres composées pour le cinéma, la télévision ainsi que le spectacle vivant, celui qui est derrière le thème délicat de présentation des Studio Canal, avec cette flûte aérienne, parvient toujours à se renouveler et surprendre son auditoire.

     

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    En 2019, il crée son premier opéra dit de chambre, d’après un roman japonais intitulé non sans humour « En Silence ». Quelques dates seulement seront prévues pour découvrir un travail plus personnel et introspectif. Nommé huit fois aux Oscars entre 2007 et 2020, Alexandre Desplat est sacré à deux reprises, pour « The Grand Budapest Hotel » de Wes Anderson en 2015 et pour « La Forme de l’Eau » de Guillermo del Toro en 2018.

    Malgré le succès, Desplat a appris l’humilité à Hollywood et la gestion intransigeante de son égo. Il connaît sa place et sait d’où il vient. Ce travailleur acharné, ce stakhanoviste infatigable et digne héritier de George Delerue, insuffle sans cesse dans son œuvre ces ambiances lyriques et délicates qui font sa marque de fabrique, ce romantisme sans fausse pudeur pour ourler les histoires que l’on nous raconte.

    Même pour des partitions enlevées et spectaculaires, comme pour le dernier épisode de « Harry Potter », « Godzilla », « Syriana » ou « Argo », Alexandre Desplat impose toujours une douceur qui enrobe le tout, malgré le tumulte des coeurs et autres cuivres de circonstance. En tout cas, difficile de comprendre comment ce magicien s’y prend. C’est sans doute pour ses recettes secrètes que les Américains font si souvent appels à ses services, tant il possède cette faculté d’apaiser les moments les plus furieux de ses partitions, contrairement à un Jerry Goldsmith, pourtant grand mélodiste.

    Deux Oscars, trois Césars, un Ours d’argent, une pléthore de Grammy Awards, Golden Globes, Etoile d’Or et encore tant d’autres récompenses à la chaîne, viennent souligner sa maestria et son génie protéiforme. Car Alexandre Desplat a bel et bien cette façon à lui de concevoir la musique, afin de tapisser les univers qu’il explore, pour chaque nouvelle quête.

    A bientôt 60 ans, aussi à l’aise dans le film intimiste que d’action, en passant par le fantastique, la science-fiction ou le film historique, Alexandre Desplat est aussi prolifique qu’intransigeant, et n’a pas encore abattu toutes ses cartes. Gageons donc qu’il nous réserve encore quelques beaux moments musicaux dans les années à venir.

     

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  • Comment le titre de Phil Collins « In the Air Tonight » a influencé Michael Mann, le réalisateur de « Miami Vice »

     

     

    Il y a 40 ans, le 09 janvier 1981 précisément, sortait le titre « In The Air Tonight », premier extrait de l’album « Face Value » de Phil Collins. Ce morceau constituera la première incartade en solo du batteur / chanteur, suite à sa prise de distance avec Genesis deux ans plus tôt, et marquera le début d’une carrière très prolifique. A tous ceux qui avaient entre 15 et 20 ans en 1981, cette chanson parle forcément et rappelle quelques souvenirs gravés à jamais dans leur mémoire, entre slows langoureux et échanges de salive interminables…

     

    Dans « In The Air Tonight », Phil Collins exprime toute la colère ressentie suite au divorce d’avec sa première femme, Andrea Bertorelli. On y trouve ainsi des paroles d’une violence rare, telles que « If you told me you were drowning, I would not lend a hand » (« si tu me disais que tu te noyais, je ne te tendrais même pas la main »). Le chanteur dut d’ailleurs se justifier plus tard, en expliquant que la noyade à laquelle il faisait allusion était purement symbolique.

    « In The Air Tonight » devint le titre emblématique de la carrière de Phil Collins, pour sa production atmosphérique, l’originalité de sa structure, son thème sombre et l’intensité de sa rythmique. Avant qu’il ne sorte en single, Phil Collins proposa le morceau à son groupe de l’époque, Genesis, mais ses acolytes refusèrent de l’intégrer à leur répertoire, jugeant la chanson trop « simple ». Le succès de l’album « Face Value » fut tel qu’il incitera pourtant Genesis à changer ensuite radicalement de direction musicale. Le clip de la chanson, réalisé par Stuart Orme, a été parmi ceux diffusés le premier jour de lancement de MTV en 1984.

    Une légende contemporaine est née autour de cette chanson : les paroles feraient référence à un fait divers, à savoir une noyade accidentelle durant laquelle un proche de la victime ne lui vint pas en aide, tandis que Collins aurait été témoin de la scène mais n’aurait pas pu intervenir à temps. Parmi les différentes variations de cette légende urbaine, certaines prétendent que le chanteur aurait invité par la suite cette personne à l’un de ses concerts et l’aurait fixée du regard durant toute la chanson, ou bien qu’un projecteur aurait été braqué sur elle. Eminem fait également référence à « In The Air Tonight » dans son tube « Stan ». Le Stan en question, qui s’adresse dans la chanson à son idole, Eminem lui-même, compare sa situation personnelle à la noyade décrite dans la chanson de Phil Collins.

    Mais quel rapport avec Michael Mann et la série « Miami Vice », me direz-vous ?

     

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    I can feel it coming in the air tonight
    Oh, Lord
    And I’ve been waiting for this moment for all my life
    Oh, Lord
    Oh, Lord…

     

    Le 16 septembre 1984, deux mois après le lancement de la chaîne musicale MTV le 19 juillet de la même année, le premier épisode de la série « Miami Vice » produite par Michael Mann est diffusé sur le réseau NBC. « Miami Vice représentait un changement radical vis-à-vis de tout ce qui était produit pour la télévision à l’époque ». Pour la première fois, une série est construite autour de la musique qui est censée l’habiller. Et pour cause, le cahier des charges qualifie le projet de série « MTV Cops ». C’est ainsi que « Miami Vice » se distingue par sa mise en scène faisant constamment référence à la culture new wave et à la musique des années 1980, avec pour coeur de cible la « Génération MTV ».

     

    « J’ai beaucoup regardé MTV, à l’époque, et « In the Air Tonight » était mon morceau de musique préféré », dit Mann, qui réalisera et produira ensuite quelques monuments du cinéma des années 90, entre « Heat », « The Insider » et « Ali ».

     

    Ça n’est donc pas un hasard si nous retrouvons « In The Air Tonight » dans la playlist du premier jour de diffusion de MTV aux Etats-Unis en juillet 1984, dans le pilote de « Miami Vice » comme dans le tout premier volet de la série, intitulé « Brother’s Keeper », diffusé le 16 septembre 1984 sur NBC… Car Michael Mann conçoit chaque épisode comme un clip vidéo, où la musique est forcément omniprésente. Contrairement aux autres séries de l’époque qui utilisent des réinterprétations de chansons rock, les producteurs de « Deux Flics à Miami » destinent plus de 10.000 dollars par épisode à l’achat des droits d’auteur des tubes de l’époque. Et pour un musicien, pouvoir placer un de ses titres sur la série était immanquablement un gage pour stimuler ses ventes. De nombreux artistes ont ainsi vu une ou plusieurs de leurs chansons habiller des scènes de « Miami Vice ».

    Dans la bande-son de ce premier épisode, outre l’habillage musical du compositeur d’origine tchèque Jan Hammer, également responsable du générique, on retrouve The Rolling Stones, Cyndi Lauper, Lionel Ritchie et Rockwell. Quant au titre de Phil Collins, il illustre magistralement la séquence devenue culte, lorsque Ricardo Tubbs et Sonny Crockett, au volant de sa fameuse Ferrari Daytona Spyder noire, se rendent à un rendez-vous avec le trafiquant de drogue colombien Esteban Calderone. Le non-moins célèbre fill de batterie intervient au moment où Crockett sort d’une cabine téléphonique et monte à bord de la voiture.

     

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    « C’est probablement la séquence-prototype de Miami Vice », déclarait le réalisateur de l’épisode, Thomas Carter, au magazine TIME en 1985, tout en se félicitant d’avoir eu l’idée de génie d’utiliser la chanson de Collins pour cette scène.

     

    Mais parmi les centaines de titres qui furent utilisés dans les 108 épisodes de 52 minutes, ainsi que dans les trois épisodes de 90 minutes, Michael Mann avouera plus tard que c’est vraiment « In The Air Tonight » qui aura le plus collé au rendu visuel souhaité par le producteur. « Cette chanson est tellement bonne, en termes d’ambiance et de mélodie. Elle aura définitivement marqué de sa patte le programme ». Mann a étudié à la London Film School dans les années 60 et il cite souvent en référence « Alexandre Nevski », la composition de Sergei Prokofiev adaptée à l’écran par le réalisateur Sergei Eisenstein, « la plus parfaite collision entre la musique et l’image ».

    Car Mann voulait dès le départ insuffler à la série une sorte de sens hollywoodien du spectacle. « Avec Miami Vice, nous faisions des films d’une heure, pour la télévision ». Et qui dit cinéma et grand écran dit musique et bande-son. C’est ainsi qu’ils adoptèrent une méthodologie différente de ce qui pouvait se pratiquer sur les séries concurrentes de l’époque. Les rushes des épisodes étaient livrés chez Jan Hammer, qui jouait directement sur l’action qui se déroulait à l’écran, sans être dirigé par Michael Mann. Ce dernier n’intervenait ensuite que pour d’éventuels ajustements. Quant au montage final de chaque épisode, il se faisait en fonction de la bande-son, quitte à couper ou à raccourcir certaines scènes pour qu’elles collent parfaitement à la musique.

    A noter également que « Miami Vice » fut la première série-télé a être diffusée en stéréo. Tout ça pour dire, Michael Mann doit beaucoup à la chanson de Phil Collins…

    Pardon ? Comment ça, « In The Air Tonight » n’est pas un slow ?? Mais… Mais je me vois encore, à quinze ans, danser langoureusement sur cette chanson !

     

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  • Ghost in the Shell, quand le cyberpunk du Soleil Levant devient une référence mondiale – Partie 3

     

     

    « Ghost in the Shell » est le titre anglophone d’une œuvre de science-fiction de Masamune Shirow, publiée entre 1989 et 1991, et qui donna lieu par la suite à de nombreuses déclinaisons, le plus souvent réussies. Afin de célébrer dignement le trentième anniversaire de la franchise de cyberpunk nipponne qui a popularisé le genre dans le monde entier, au point de devenir la référence ultime du genre dans la pop-culture de science-fiction, un tour d’horizon de « Ghost in the Shell » ainsi que des thèmes qu’elle aborde s’impose…

     

    Ghost in the Shell: Solid State Society

    Ce téléfilm de 90 minutes datant de 2006 est en fait la suite de la seconde saison, et conclut les sujets mis en suspens lors de la saison précédente.

    On apprend dans ce film dont l’action se déroule en 2034 que le major Motoko Kusanagi a quitté la Section 9 et travaille désormais à son compte. « Solid State Society » relate une nouvelle enquête, entre usurpation d’identités, enlèvement d’enfants et vol de ghosts, impliquant un mystérieux hacker surnommé le Marionnettiste (Puppeteer ou Puppet Master en Anglais). Le major au visage de poupée de porcelaine rejoint finalement la Section 9 dirigée par Togusa, qui travaille sur la même affaire. Le téléfilm « ressuscite au passage les Tachikoma, dont la mémoire avait été sauvegardée (ou quand l’informatique permet des ficelles scénaristiques…).

    Le staff pour ce téléfilm à gros budget est le même que celui des deux saisons de « Stand Alone Complex » et Yōko Kanno en signe de nouveau la bande originale. A noter que les scénaristes profiteront de ce téléfilm pour faire résoudre des intrigues en suspens depuis la deuxième saison par leurs personnages, mais en amenant au passage de nouvelles interrogations et en faisant de nombreux clins-d’œil aux films de Mamoru Oshii.

     

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    Ghost in the Shell: Arise

    Cette série de 2013 se déroule en 2027, et il s’agit en fait d’une préquelle de toutes les saisons qui la précèdent. On y retrouve ainsi une Motoko plus jeune et plus nerveuse. Son physique la fait ressembler à une adulte à peine sortie de l’adolescence, et son caractère est encore « en construction », tout comme son corps cybernétique différent de sa version manga (et par extension de sa version dans « Stand Alone Complex »). Dans une série de cinq OVA d’une heure, on suit les aventures d’une Section 9 tout juste formée par le gouvernement. On assiste dans « Ghost in the Shell: Arise » à la construction progressive des relations entre les divers personnages. Par exemple, les décisions d’Aramaki y sont contestées par ses subordonnés, alors qu’il est au contraire très respecté dans les autres œuvres.

    On note toutefois dans cette série quelques incohérences, comme le fait de voir tous les membres de l’équipe déjà présents depuis un certain temps, voire un temps certain, tandis que Togusa était présenté comme un « bleu » dans « Stand Alone Complex ». De plus, pourquoi donner cet aspect « adolescent » à Motoko, alors que le postulat de base de la saga nous la présente comme une militaire accomplie et que, de surcroît, son passé avait déjà été dévoilé dans « Ghost in the Shell: The Stand Alone Complex, 2nd Gig », où elle avait déjà un corps d’adulte ?

    Pour cette nouvelle saison, le staff est différent, même si c’est toujours Production I.G qui est aux manettes. L’aspect graphique des dessins est toujours aussi bluffant, mais les réflexions métaphysiques sont moins présentes et le récit fait plus place à l’action et aux manœuvres politiques que dans les autres séries. Cela n’empêche cependant pas les morceaux de bravoure, comme l’affrontement entre la Section 9 et une horde de robots lancée à sa poursuite. Côté technologie, on découvre les prédécesseurs des Tachikoma, les Logikoma, de taille beaucoup plus imposante et moins sophistiqués, montrant la progression de la technologie entre les différentes séries.

     

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    Ghost in the Shell: The New Movie

    Ce film fait suite à « Ghost in the Shell: Arise » et tente de réinventer le contexte de la franchise, tout en conservant les fondamentaux, ce qui donne un sentiment de manque de continuité flagrant, même si Production I.G est de nouveau à la tête du projet, avec une animation toujours aussi bluffante.

    Malgré ses qualités graphiques indéniables, cet opus ne convainc pas le public. Motoko et l’équipe ne semblent pas être les mêmes et surtout, on note une rupture nette avec les scénarios aux histoires complexes auxquels « Ghost in the Shell » nous avait toujours habitués.

     

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    Ghost in the Shell, le film Live

    Dans ce nouvel opus-événement de la franchise, l’actrice Scarlett Johansson incarne le Major Kusanagi. Et l’histoire prend délibérément le contre-pied de l’œuvre originale, en nous présentant le Major comme le premier cyborg intégral, avec la volonté affichée de rendre le personnage unique (pour le rendre plus impressionnant ? Ou bien Hollywood serait-il tombé dans le piège du « Special Snowflake » ?), tandis que les cyborgs intégraux pullulent et sont fabriqués en série dans le Manga originel comme dans le film de 1995 ou les différentes séries.

    L’intrigue y est plus simple, voire simpliste, et certaines scènes ne font que reprendre ce que l’on avait déjà vu dans le film d’animation de 1995. Si vous attendez un scénario aussi peu manichéen que dans les séries et les films de Mamoru Oshii, alors passez votre chemin…

    Dans ce long-métrage sorti en 2017, Motoko Kusanagi lutte contre un terroriste qui s’en prend à une société en particulier, car cette dernière, qui avait déjà fabriqué le corps du Major, a ensuite fait du terroriste le premier cyborg intégral. Mais le prototype est raté, contrairement au Major. Notre antagoniste principal a désormais comme objectif sa vengeance, pure et simple, ce qui l’éloigne sensiblement du caractère du Puppet Master du Manga originel, retors et calculateur.

    Malgré cela, on notera une tentative assez maladroite, comparée à l’œuvre d’origine, de faire de notre Major préférée un personnage en quête d’identité. Elle apprendra qu’elle était à l’origine Japonaise (et s’appelait… Motoko Kusanagi), puisque cette fois l’action se déroule à Los Angeles, et que cette identité lui avait été cachée par la société qui en a fait une cyborg, après, bien-sûr, lui avoir lavé le cerveau.

    Et sa quête d’identité ne commence qu’au moment où elle a des flash-backs. Bref, on retombe dans le cliché de la méchante-corporation-qui-manipule-tout-le-monde, et le questionnement de Kusanagi sur son identité et son individualité est rapidement abordé, sans la profondeur du Manga originel, voire du film d’animation de 1995.

    Tout bien considéré, le scénario du film et la recherche d’identité du Major nous renvoient de manière assez évidente à l’intrigue du « Robocop » de Paul Verhoeven, sorti  trente ans plus tôt, en 1987. En effet, Le personnage de Murphy y est cybernétisé par une entreprise (l’OCP), afin de servir dans les forces de police. Mais Murphy finit par partir à la recherche de son identité, après avoir découvert qu’on lui avait lavé le cerveau. Ce qui donne malheureusement au film avec Scarlett Johansson un sentiment de réchauffé désagréable à voir, tant l’oeuvre originelle est peu respectée.

    La version 2017 de « Ghost in The Shell » ne rencontre finalement pas le succès escompté, malgré la présence de la star américaine, et certains n’hésitent pas à dire que pour une œuvre abordant les thèmes de l’âme et de la nature humaine dans un monde hyper-technologique, le film manque justement… cruellement d’âme, en passant à côté du sujet, pour simplifier l’histoire. Ce qui s’avère être l’erreur fatale des studios Paramount et Dreamworks, sachant que c’est la complexité de l’intrigue qui a fait la renommée du film de Mamoru Oshii et du Manga originel, avec une Motoko Kusanagi qui connaissait son identité depuis le début, même si elle doutait souvent d’elle-même. Tout ça passe à la trappe, pour donner ce bien pâle Robocop au féminin…

     

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    Ghost in the Shell SAC_2045, la série Netflix

    C’est la suite directe des séries « Stand Alone Complex » et du téléfilm « Solid State Society ». On y retrouve le même staff à la production, mais le dessin est désormais en 3D et les premières images que nous avons pu voir en 2020 étaient pour le moins décevantes, tant certains des personnages y sont méconnaissables. Les quelques extraits visibles l’année dernière dévoilaient aussi une animation au ralenti, là où la série 2D faisait des merveilles, en termes de fluidité comme de rapidité.

    On a quand même la crainte d’un traitement de cette franchise identique à celui que « Les Chevaliers du Zodiaque » ont subi, avec cet aspect « playmobil » des dessins.

     

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    Conclusion pour un océan de données pas si virtuelles

    Faire un article sur « Ghost in the Shell » est une tâche ardue, tant le contenu des histoires est riche et fouillé (qui a dit fouillis ?). Et il y a tellement à dire que le risque est de  finir par s’y noyer…

    « Ghost in the Shell » puise ainsi dans les poncifs du genre Cyberpunk, tout en y apportant ses propres codes visuels, techniques et narratifs, dans un genre de science-fiction dont l’un des enjeux est de concevoir de l’anticipation dans un futur proche, d’où une très grande maturité dans les thèmes abordés par les différentes adaptations de l’œuvre de Masamune Shirow.

    Mais la franchise-star démontre aussi que l’animation au Japon est désormais un média mûr et adulte, en abordant des sujets qui sont d’habitude propres aux histoires policières et d’espionnage. Car « Ghost in the Shell » ne se cantonne plus à la catégorie « œuvre pour enfants », au vu du sérieux des thèmes abordés. On peut ainsi constater que les fans occidentaux du Manga ont bien intégré cette réalité ; l’animation japonaise est dorénavant capable d’aborder tous les sujets, du plus enfantin au plus mature.

    Pour en revenir à l’œuvre, si dans le Manga originel de Masamune Shirow, l’action se passe dans un futur proche, en 2021, soit trente ans après sa première publication, on devrait à présent plutôt évoquer un futur très proche… Certes, aujourd’hui, on ne croise pas (encore…) dans la rue de cyborgs intégraux comme dans « Ghost in the Shell », la technologie pour greffer un cerveau dans un corps mécanique étant encore science-fictive.

    Il n’en reste pas moins que, d’un point de vue scientifique et technologique, il existe déjà depuis 2012 des prototypes de prothèses mécaniques commandées directement par les nerfs-moteurs des patients. Et la même année, une autre équipe de chercheurs avait réussi à redonner le sens du toucher à un patient amputé, toujours via une prothèse. Tout ça pour dire, ça n’est plus de la science-fiction.

    Aujourd’hui, les deux techniques sont associées pour d’autres prototypes, rendant une partie du corps de nouveau fonctionnelle à la personne équipée, même si le coût de ces prothèses artificielles reste encore prohibitif. Mais il ne serait pas impossible que dans dix ou vingt ans, ce type de prothèses soit de plus en plus répandu. Et c’est ce qui fait du genre Cyberpunk et de « Ghost in the Shell » en particulier des œuvres qui nous interpellent.

    Les mondes qui y sont décrits sont parfois bien proches du nôtre, notamment dans les relations entre entreprises et états, avec des sociétés devenues si puissantes qu’elles affichent un chiffre d’affaires parfois équivalent au PIB d’un état. Et ça, vous en conviendrez, ça n’est déjà plus de la fiction, avec les GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple).

    Avec l’évolution actuelle de la technologie et des réseaux d’information, particulièrement omniprésents avec Internet et les smartphones, on peut même se demander si le Web n’évoluera pas pour finir par ressembler au Net de « Ghost in the Shell ». Et on peut également se poser la question suivante : le Cyberpunk est-il un genre visionnaire ou ne fait-il qu’extrapoler, voire de broder sur ce qui existe d’ores-et-déjà ?

    En constatant aujourd’hui la montée en puissance du mouvement transhumaniste, avec comme but ultime, en tout cas pour ses membres les plus extrémistes, de faire fusionner l’Homme et la Machine, on peut revoir « Ghost in the Shell » à l’aune de l’interrogation suivante : quelle est le rapport actuel entre l’Homme et la Machine, ou avec la technologie ? Car c’est bien cette question centrale que pose l’œuvre, en se nourrissant des symboles du passé et des inquiétudes du présent sur l’avenir.

    Certes, il s’agit là d’un avis personnel, de surcroît à 200 % subjectif, mais s’il n’y avait qu’une seule œuvre à recommander dans le genre Cyberpunk, ça serait donc celle-là, tant l’univers décrit nous semble à la fois familier et éloigné. Et je recommanderais à tout fan de science-fiction de regarder la première saison de « Stand Alone Complex ». L’univers de Masamune Shirow y est parfaitement retranscrit par Kamiyama, même s’il y apporte sa propre touche. L’oeuvre du maître a offert au Cyberpunk la référence dont le genre avait besoin pour être connu d’un plus large public, en sortant du cadre strict des seuls fans de SF, et ce grâce à son approche de l’œuvre adaptée pour le petit écran, mêlant enquêtes policières et brigades d’intervention.

    « Ghost in the Shell » est ainsi devenue une œuvre de science-fiction parmi les plus incontournables, en inspirant par exemple les frères Wachowski pour leur trilogie « Matrix », ou en bluffant James Cameron, lui qui ne tarit pas d’éloge lors de la sortie du film de 1995, en qualifiant l’oeuvre de Mamoru Oshii de visionnaire.

    Alors, n’hésitons pas à nous plonger à corps perdu (ou nous replonger) dans l’univers de Masamune Shirow et les aventures de ces cyborgs, dans un monde entre chair et métal, entre traditions du passé et futur incertain, où l’individu se cherche, au coeur du flux de données réelles et informatiques.

     

     

    « Ghost in the Shell, quand le cyberpunk du Soleil Levant devient une référence mondiale », c’est fini… Retrouvez prochainement de nouveaux articles consacrés à l’univers du Manga dans le Magazine Instant City…

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Dans les Episodes Précédents » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Ghost in The Shell, la Saga – Partie 1 

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Ghost in The Shell, la Saga – Partie 2

     

     

     

  • De Gainsbourg à Gainsbarre : seul l’amour est un art

     

     

    Serge Gainsbourg est un monde à lui tout seul, un concept. Une immensité aussi grande que contrastée. C’est un océan puissant, profond et tour à tour sombre, étincelant, élégiaque ou vociférant, en fonction des flux et reflux du temps. Et la lune, maîtresse argentée, l’a souvent brinquebalé, en yo-yo schizophrénique.

     

    Capable de composer des chansons aux mélodies sublimes et aux textes ciselés comme de sorties publiques plus problématiques, Serge Gainsbourg était ce Docteur Jekyll et Mister Hyde soumis à l’astrologie et aux femmes, esclave de son signe zodiacal et de son thème astral. Ses frasques et ses attitudes sont aussi célèbres que ses chansons. Gainsbourg était bélier ascendant poisson, l’eau et le feu. Il a véhiculé, tout au long de ces trente années passées sous les feux de la célébrité, autant de paradoxes, d’excès et de fulgurances, dans le seul but de se construire un personnage de légende ; plus qu’une carrière, une épopée.

     

    « Je t’aime et je crains de m’égarer et je sème des grains de pavot sur le pavé de l’anamour. »

     

    Peintre et romancier avorté, nourri de poésie et de littérature du 19ème siècle, Gainsbourg voue un culte et une obsession à Rimbaud, Musset, Baudelaire, Edgar Alan Poe, et chez les écrivains, à Oscar WildeLe Portrait de Dorian Gray ») ou Benjamin ConstantAdolphe ») ; mais surtout à sa bible absolue, la matrice de toute son œuvre et de ses pulsions, « A Rebours » de Joris-Karl Huysmans. Et c’est ainsi qu’il deviendra ce dandy flamboyant, cynique et passablement méchant, qui jette sur le monde un regard désinvolte.

     

    « Ce mortel ennui qui me vient quand je suis avec toi… »

     

    Vous ne lui trouverez pas d’équivalent créatif et artistique dans le reste du paysage musical et lexical. Sans le savoir, Gainsbourg a su remixer avant l’heure Brahms, Chopin, Beethoven, Schumann, Khatchaturian, Sibelius, Dvořák, pour reprendre ces mélodies appartenant à l’inconscient collectif et leur apporter sa prose et ses humeurs.

    Ce fils de parents juifs russes ayant fui le communisme n’aura jamais autant rendu leurs lettres de noblesse à la langue française comme à ces illustres compositeurs. Et ce qu’il aura raté ou perdu dans la peinture, il le retrouvera dans la musique et la chanson, qu’il appelait pourtant un art mineur.

    Plus encore que ses quelques percées dans la réalisation pour le cinéma ou la publicité, il composera également des musiques de films (« La Horse », « Ce Sacré Grand-Père », « Je T’aime Moi Non Plus », « Mister Freedom », « Slogan », « Cannabis », « Manon 70 »…), en leur apportant une plus-value indéniable, tant en termes de qualité que d’émotion, qui transcenderont les longs-métrages eux-mêmes. Des mélodies, des sonorités à la modernité évidente, qui se dissocient instantanément des images et dont on se souvient encore aujourd’hui, contrairement aux films qu’elles habillèrent…

    De la fin des années 50 jusqu’au début des années 90, le petit Lucien Ginsburg, qui deviendra tour à tour Serge Gainsbourg puis Gainsbarre, en une lente et sinueuse métamorphose, nous aura gratifié d’une œuvre himalayesque. Ce petit garçon juif arborant fièrement son étoile jaune comme on porte une étoile de shérif, sans doute déjà enclin à l’anti-conformisme et avec sa vision du monde toute personnelle, cet enfant malingre aux oreilles décollées, transportera longtemps une pelletée de complexes. Se sachant laid ou pensant l’être, il cultivera toute sa vie un art de la provocation et du bon mot, quitte parfois à être méchant en blessant les autres.

     

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    Telle la petite chenille, il a commencé simple pianiste sous la houlette de Boris Vian, puis s’est déployé comme un papillon noir et or. Son œuvre n’a eu de cesse que de croître, à raison de tubes incontournables et de chansons inoubliables. Il fut toujours à la recherche de collaborateurs rares et talentueux, entre Alain Goraguer pour la patte jazzy, Michel Colombier et l’avènement pop, Jean-Claude Vannier pour les expérimentations psychédéliques ou Jean-Pierre Sabard pour des sons plus « FM ». Autant d’inspirations et de rencontres, pour mieux créer encore et canaliser toute cette passion, ce sacerdoce imposé par une exigence sans limite. Ces arrangeurs ont servi les créations de Gainsbourg comme des écrins et les diamants qu’ils renferment.

    Chaque décennie recèle un ton et évoque un univers bien défini, où Serge surfe allègrement sur les genres et les attentes, pour dépasser aussi les lignes imposées par l’époque. Il ne veut pas simplement se contenter de recracher de petites chansons à succès, bien sages, à l’image d’un Claude François, car son objectif ultime est de sublimer le moment et s’inscrire toujours, à la manière d’un Ronsard, d’un Baudelaire, dans un(e) geste définitif(ve).

    Ces volutes Gitanes, la fragrance Van Cleef & Arpels, cette verve au débit saccadé et narquois, ont séduit les plus belles femmes. Et il en a fait chanter plus d’une… Blondes, brunes, rousses, elles se sont toutes bousculées pour venir roucouler les mots que Gainsbourg leur sculptait sur mesure, tel un Michel-Ange torturé, fougueux et génial. Certaines sont restées plus longtemps que d’autres, avec ce privilège d’être dans l’intimité de l’homme à la Rolls Royce, comme un collier de perles qu’on ne quitte jamais, même pour dormir. Bardot, Gréco, Deneuve, Bambou

    Et puis il eut Jane, à qui l’auteur de « Je t’aime moi non plus » consacra tout un album, « Histoire de Melody Nelson », probablement son chef-d’œuvre. Pour l’ex-épouse du compositeur anglais John Barry, Gainsbourg déploie toute son imagination et écrit ses textes les plus forts, les plus fous, ceux qui donnent l’impression de léviter.

     

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    « Ecoute ma voix, écoute ma prière. Écoute mon cœur qui bat, laisse-toi faire… »

     

    A Jane Birkin, Gainsbourg offre autant de chansons sublimes. Il n’a pas peur de les rendre meilleures, et bien plus encore que celles qu’il se réserve. L’amour rend aveugle. L’amour rend fou. L’amour rend meilleur aussi. Si Serge Gainsbourg ne sait pas dire « je t’aime », parce que tout compte fait, sa pudeur et sa timidité souvent le rongent, il s’emploie par des moyens détournés à déployer sa prose et son lyrisme, pour hurler ses sentiments en des élégies somptueuses et des musiques sophistiquées.

    Il était un poète à fleur de peau qui se cachait derrière la subversion et l’insolence…

    Jane Birkin possède une voix fragile et candide, mais en théorie pas celle conçue pour chanter. Et pourtant, c’est toute l’histoire de la chanson française que cet artiste au physique étrange révolutionne. Les mots collent ici au plus près de la tessiture de la petite Anglaise. Ce sont presque des feulements qui parfois expriment autant de caresses, de désirs et de tristesse. La chanson va devenir intime, tellement proche. Une fois de plus, Gainsbourg étonne, innove. Avec l’élégance dont il s’entoure pourtant et cette manière de ne pas y toucher, il grave tout un répertoire dans le marbre.

    En 1971, sort dans les bacs le nouvel album du propriétaire du 5 bis rue de Verneuil. S’inspirant des riffs langoureux et hypnotiques de Jimi Hendrix, Serge Gainsbourg imagine toute une histoire dans laquelle il décrit un personnage sorti tout droit d’un roman caché de Lewis Caroll. Presque androgyne et encore enfant, Gainsbourg tient la ligne de crête dans ses descriptions, avec des allusions qui aujourd’hui l’enverraient tout droit au tribunal, accusé par nos nouveaux inquisiteurs, serviteurs infatigables de la bien-pensance.

     

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    « Comment tu t’appelles ? Melody ! Melody comment ? Melody Nelson ! Melody Nelson a les cheveux rouges et c’est leur couleur naturelle. »

     

    Tout dans ce nouvel opus n’est que somptuosité et magnificence. Avec cette « Histoire de Melody Nelson », Gainsbourg tutoie les astres. Hélas, ces idiots qui constituent le public de l’époque préfèrent se bâfrer de Mike Brant et autres chanteurs bellâtres du moment. C’est un échec commercial et critique cinglant, avec moins de 18.000 copies vendues. Gainsbourg en gardera longtemps une aigreur et une douleur, tel un ulcère. Mais il va prendre sa revanche, à sa façon.

    Avec « L’Homme à Tête de Chou », qui sort cinq ans plus tard, Gainsbourg réitère pourtant avec le principe de l’album-concept. Ce nouvel opus peut s’écouter comme l’autre versant de celui de 71. Une version plus glauque, plus sordide, de cette Melody, être diaphane et fantastique, devenue désormais une simple humaine prénommée Marilou. Une coiffeuse un peu vulgaire et passablement intéressée, qui rend dingue celui qui est tombé en pâmoison sous ses charmes de shampouineuse. Elle le mènera à sa perte, avant que celui-ci, dans un éclair de lucidité, ne lui fasse la peau en lui fracassant le crâne à coup d’extincteur d’incendie.

     

    « … elle a sur le lino, un dernier soubresaut, une ultime secousse.
    J’appuie sur la manette, le corps de Marilou disparaît sous la mousse… »

     

    Gainsbourg aura tout testé, tout tenté, avec des fortunes diverses, même avec deux albums Reggae et un ultime album Funk, très dispensable.

    Si Serge Gainsbourg, à l’instar d’un Gilbert Bécaud, ne tombera jamais dans l’oubli, c’est parce qu’il était habité par l’amour et sa passion des femmes. C’est ce qui reste et qui vibre à chaque nouvelle écoute de son œuvre. Qu’il les chante ou qu’il les ait fait chanter, chacune d’entre elles nous habite et nous subjugue. De la petite chansonnette (« Le Poinçonneur des Lilas », « L’Ami Caouette ») à la définitive (« 69 Année Erotique », « Je suis venu te dire que je m’en vais »), cette précision du mot, cette musique et ses arrangements, alliés à la désinvolture qui le caractérisait, ne peuvent pas nous faire oublier que ce dandy absolu était d’une ultra et hyper-sensibilité qui lui permettait ainsi de voler au-dessus des contingences et des hommes. Son œuvre polymorphe et précieuse s’enracine dans notre culture. On a chacun une chanson, un air, une phrase, une rime, de celui qui fumait des Gitanes lorsque Dieu, lui, préférait les Havane.

     

    « Sorry angel, sorry so, c’est moi qui t’ai suicidée mon amour, moi qui t’ai ouvert les veines.
    Je sais maintenant tu es avec les anges pour toujours, pour toujours et à jamais. »

     

     

     

  • Daft Punk : Voilà, c’est fini…

     

     

    Une fois de plus, les Daft Punk sont là où on les attend le moins… Tandis que des rumeurs persistantes couraient depuis déjà plus d’un an sur la sortie imminente de leur cinquième album, sept ans après « Random Access Memories », ou encore sur la composition de la musique du prochain long-métrage de Dario Argento, ce lundi 22 février, nous apprenions leur séparation, annoncée laconiquement par le biais d’une vidéo intitulée « Epilogue », publiée sur YouTube.

     

    Comme quoi la vie est parfois étrange… Il y a quelques jours, nous pensions célébrer prochainement les 25 ans de l’album de Daft Punk, « Homework », certes sorti en France le 20 janvier 1997, mais réalisé en 1996. Car avec ce premier Lp du duo français, on parle bien de la pierre philosophale de la French Touch.

    Quelques années après que Laurent Garnier et Erik Rug eurent commencé à faire résonner le son français hors de nos frontières, et que dans leur sillon, d’autres artistes posaient les bases du mouvement au tout début des années 90, de La Funk Mob (Cassius) à Dimitri from Paris, en passant par DJ Yellow, Bob Sinclar, Jack de Marseille, Jérôme Pacman ou Shazz, St Germain publiait son immense « Boulevard » en septembre 1995, Motorbass nous gratifiait de son sublime « Pansoul » en 1996, Etienne de Crécy nous balançait son emblématique « Super Discount » la même année. Ces trois albums essentiels connaissent un succès mondial et sont encensés par la presse internationale.

    Et pendant ce temps… Thomas Bangalter, né à Paris le 03 janvier 1975, et Guy-Manuel de Homem-Christo, né à Neuilly-sur-Seine le 08 février 1974, se rencontraient au Lycée Carnot le 06 juin 1986. En 1992, les deux adolescents fondent Darlin’ avec Laurent Brancowitz, futur guitariste du groupe versaillais Phoenix, en hommage à la chanson des Beach Boys.

     

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    Même si la carrière de Darlin’ est éphémère et confidentielle, le premier et unique single éponyme du groupe inspirera à Dave Jennings, un journaliste du magazine anglais Melody Maker, une critique passablement cinglante, en qualifiant la musique du trio de « daft punky trash », littéralement « déchets de punk idiot ».

     

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    En 1993, reprenant à leur compte la citation du fameux journaliste, Thomas et « Guy-Man » fondent le duo Daft Punk. Quelques mois plus tard, en septembre 93, durant une rave organisée à EuroDisney par le Dj anglais Nicky Holloway, les deux comparses rencontrent Stuart McMillan et Orde Meikle, les patrons du label écossais Soma Quality Recordings et membres du duo techno Slam, qui se produisent également ce soir-là.

     

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    Le lendemain, les deux Slam se rendent chez les parents de Thomas Bangalter, à Montmartre. Ils y écoutent quatre titres, dont trois vont se retrouver sur le Ep « The New Wave », paru chez Soma au printemps 1994. Ce maxi passe relativement inaperçu, mais à défaut du succès escompté, la « techno adolescente française » de Daft Punk retient malgré tout l’attention de quelques journalistes et critiques anglais….

     

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    En revanche, confidentiel, le second single du duo qui sort en mai 1995, toujours chez Soma, ne le restera pas longtemps… Le morceau « Da Funk » (SOMA 025), avec sa basse surpuissante et sa boucle acid entêtante, va marquer les années 1990 et bien au-delà. Le brûlot électro paraît dans la foulée sur la compilation « Soma Quality Recordings – Volume 2 » le 30 octobre 1995.

     

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    Toujours en 1995, tandis que Thomas Bangalter crée son propre label Roulé, avec comme première sortie le fameux « Trax On Da Rocks », « Da Funk » traverse la Manche d’une traite – retour à l’envoyeur – pour atterrir sur la compilation « Future Funk » de Radio Nova. Après un troisième et ultime Ep publié chez Soma, « Indo Silver Club » (SOMA 035), le duo français signe finalement chez Virgin Records en octobre 1996. La révolution est en marche…

     

     

     

    « Que sait-on exactement de Daft Punk, à quelques jours de la sortie de son premier album Homework ? Que ce duo est effrontément jeune. Qu’il est français mais émoustille l’étranger (Angleterre, Etats-Unis) comme peu d’autres avant lui. Que ses membres gardent chacun leur label indépendant tout en ayant signé avec la multinationale Virgin pour leur projet commun. » (David Blot pour Les Inrocks, janvier 1997)

     

    Le 20 janvier 1997, « Homework » sort dans les bacs, et c’est une grosse claque dans la gueule. La Daft Punk Mania déferle sur le monde et rien ne pourra plus l’arrêter. A l’instar du livret intérieur de l’album, qui expose toutes leurs obsessions musicales (du poster de Kiss à l’autocollant d’Andy Gibb, de la pochette de Chic à la carte postale des Beach Boys, en souvenir de leur premier groupe Darlin’), ils révèlent une machine à danser et à penser la musique électronique. Même si le disque divise une partie de la critique, personne n’imagine encore la déflagration, la secousse tellurique qu’« Homework » va produire sur l’échelle de Richter de la planète musicale.

    Comme si les deux compères pressentaient déjà ce qui les attendaient et cherchaient à se protéger de cette tornade qui allait tout embarquer sur son passage, ils se réfugient derrière de simples masques, achetés pour un shooting photo par leur manager Pedro Winter dans un magasin de farces et attrapes. Puis, au fil du temps, le duo travaille son image et crée sa légende. Tandis que les masques deviennent des casques futuristes pour la promotion de leur deuxième album, « Discovery », Thomas Bangalter et Guy Manuel de Homem-Christo s’éloignent des médias pour parfaire leur art de l’absence. Et Daft Punk devient une griffe, une abstraction, un concept…

     

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    Alors voilà, 28 ans de carrière, quatre albums studio, quelques pas de côté et 10 millions de disques plus tard, les Daft Punk se séparent. Et on se dit d’abord un truc du genre « oui, ok, encore un coup de com… ». Et puis, en y réfléchissant bien, on se dit ensuite « 28 ans, quand même… », et peu à peu, les souvenirs reviennent.

     

    Avril 1995, Camden Market à Londres, avec Jojo (Jojo comme Jean-Sebastien Bach…), des affiches fleurissent sur les murs de la ville : Daft Punk Live. Quelques mois plus tard, « Da Funk » commence à tourner sur Nova et ça ne ressemble pas vraiment à ce qu’on a l’habitude d’entendre… Toujours en 1995, on découvre « Trax On Da Rocks » d’un certain Thomas Bangalter, sans faire tout de suite le lien avec Daft Punk.

     

     

     

    Janvier 1997, de retour de soirée au petit matin, chez Jojo (toujours Jojo, comme Jean-Sebastien Bach…)… On déchire le cellophane et on pose « Homework » sur la platine. « Ah ouais, quand même… ». Le 11 avril 2013, la boucle est bouclée. 18 ans presque jour pour jour après avoir découvert pour la première fois le nom de Daft Punk sur une affiche à Londres, un teaser de 1:51 min est diffusé sur l’écran géant du Festival de Coachella, devant un public en fusion. Une semaine plus tard, « Get Lucky » déferle sur les radios et chaînes de Tv du monde entier. Daft Punk rentre dans la légende.

     

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    Et on réalise que les Daft Punk font finalement partie du décor depuis toujours, qu’ils ont participé comme les autres artistes cités au début de cet article aux prémices de la French Touch, mais qu’ils en sont ensuite devenus les véritables accélérateurs. Car sans qu’on s’en rende vraiment compte, ils ont intégré la bande-son de nos trente dernières années, à l’instar d’un Jimi Hendrix ou d’un James Brown, en d’autres temps, et on s’est habitué à ce rythme auquel ils nous ont astreints, entre absence, attente et buzz mondial. En l’espace de 25 ans, ils ont su imposer la musique électronique au monde entier, en écrivant leur partition réglée au cordeau, avec intelligence et détermination, mais sans jamais vendre leur âme ni céder aux sirènes du remix facile. Alors oui, petit pincement au coeur…

     

    « L’underground, c’est un mot con. Si tu veux faire de la musique et que tu veux en vivre, tu ne cherches pas l’underground. Être underground, c’est être inconnu. Le simple fait de vendre cinq mille disques dans le monde, ça suffit à sortir de l’underground. La vraie différence se fait entre ce qui est authentique et ce qui est calibré. » (Thomas Bangalter, interviewé par David Blot pour Les Inrocks, janvier 1997)

     

    Daft Punk : « Epilogue » (1993 – 2021)

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  • Possession : La grande symphonie du mal

     

     

    Le film « Possession » surgit dans les salles de cinéma en 1981, comme le diable derrière la fenêtre, sans que personne n’ait pu se préparer à un tel choc esthétique et visuel. Avec cette œuvre qui sent le soufre, on navigue entre miracle et hérésie. Et c’est avec sidération que l’on contemple comment tout, jusqu’à l’anecdotique, est utilisé et mis en scène. D’abord les personnages, qui deviennent devant la caméra de celui qui est à l’œuvre des pantins dont les fils ont été coupés, mais qui agissent brusquement et sans logique, dans cette nouvelle liberté acquise. Que se passe-t-il alors, lorsque les marionnettes deviennent maîtresses de leurs gestes et de leurs émotions ?

     

    Et celui qui est à l’oeuvre derrière la caméra, justement, le réalisateur polonais de « Possession », Andrzej Zulawski, n’en est pourtant pas à son coup d’essai. À l’instar d’un Maurice Pialat ou d’un Abdellatif Kechiche, le réalisateur de « L’important c’est d’aimer » n’a jamais eu pour habitude de dorloter ses comédiens. Il en attend beaucoup, énormément, jusqu’à la folie. Il est de cette famille de cinéastes qui essorent leurs comédiens. Il en presse ainsi tout le jus pour les laisser, à la fin, exsangues. C’est amusant d’ailleurs, lorsqu’on pense à Sophie Marceau, malmenée par Pialat durant le tournage du film « Police » en 1985, et qui enchaînera la même année avec « L’Amour Braque » de Zulawski, dont elle deviendra en prime la compagne. Comme quoi, qui aime bien, châtie bien…

    Chacun de ses films, Andrej Zulawski les conçoit comme des catharsis, des réceptacles pour ses propres démons, ses obsessions. « Possession » est pensé en réaction à un projet avorté juste avant, le film « Sur le globe d’argent » qu’il achèvera finalement en 1987. Mais ce que Zulawski va accomplir avec « Possession », c’est une forme de monstruosité impensable, innommable, et jamais, avec une œuvre pour le cinéma, on se sera approché aussi près des enfers et de la folie. L’œuvre du romancier H.P. Lovecraft n’aura d’ailleurs à aucun moment été ressentie avec autant d’écho, tant les motifs du film sont dépeints avec exactitude et similarités. Les pires représentations des fameuses abominations exprimées dans les écrits de l’auteur américain, se manifestent ici grâce à des images jumelles et troublantes.

    Même si ce film date de 1981, il n’a en soi jamais perdu de sa superbe méphitique. On peut le voir également comme une extension de « Rosemary’s Baby », « Le Locataire » ou « Répulsion » de Roman Polanski, voire même « Chromosome 3 » de David Cronenberg ; des œuvres immersives où l’on vous plonge dans la psyché des protagonistes, avec la matérialisation physique des pires horreurs qui rôdent dans leurs esprits tourmentés.

     

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    Plus que malaisant, « Possession » est un viol qui ira chercher très loin dans vos chairs ce que vous redoutez le plus. Isabelle Adjani, qui est le choix d’évidence dès le départ, refuse pourtant catégoriquement le projet, qu’elle juge trop sombre, trop dangereux pour elle. C’est Bruno Nuytten, directeur de la photographie, engagé pour nimber le film de cette lumière tour à tour grise, bleutée et orange, et également à l’époque l’époux d’Isabelle Adjani, qui parvient à convaincre l’actrice.

    Rétrospectivement, l’ancienne pensionnaire de la Comédie-Française regrette ce film amèrement. Il en résultera un grand traumatisme et elle fustigera le réalisateur de lui avoir fait sortir des choses qu’elle ne soupçonnait pas. Des choses qu’elle n’aurait jamais voulu connaître…

    En effet, ce qu’Isabelle Adjani déploie pour son rôle relève de la gageure. C’est dans un maelström d’émotion, de sang et d’injures que gicle, qu’éructe le long-métrage jusqu’à nous. La scène d’anthologie dite de la fausse couche dans les couloir du métro berlinois est à ce titre une expérience sensorielle et traumatique inégalée, à ranger sur la même étagère que celle de Romy Schneider dans « Le Vieux Fusil ». Quant à d’autres séquences du film, elles pourraient évoquer « Requiem pour un Massacre » ou encore « L’Exorciste ».

    On peut interpréter ce film fou comme une œuvre politique, du fait déjà du décor dans lequel est plantée l’action (le Berlin d’avant la chute du Mur), avec ses vastes immeubles abandonnés et sinistres. On peut y voir aussi, à la façon de l’auteur de « La Fidélité », un pamphlet sur le mariage et la rupture, à base de couteau ménager électrique et de matérialisation monstrueuse de choses impies, soupirantes et humides. Le parti pris audacieux de cette histoire est de saisir à bras-le-corps la représentation de l’horreur que constitue l’autre, comme ce que Jean-Paul Sartre avait diagnostiqué, mais en pire, en indicible.

     

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    « Une jeune femme enfermée entre les murs d’un Berlin assiégé par les forces du Mal, physiques et obscures, prend pour amant un hippie ridiculement attardé, produit d’elle-même et aime un monstre difforme qui prendra figure de son mari, embourbé et encanaillé dans une politique d’espionnage. Le Bien contre le Mal. Le Mal gagnera, mais la femme et l’homme retrouveront leur amour, tragique, futile et sans usage. Aux dernières images, la guerre éclatera. Il y a toujours une guerre. » (Andrzej Żuławski cité par Jérôme d’Estais dans son livre « Un testament écrit en français »)

     

    Le personnage joué par Adjani entretient donc une relation amoureuse et sexuelle avec une ignoble créature qui se terre dans un appartement, où suintent la moisissure et la putréfaction, avant que celle-ci ne finisse par se muer en un Doppelgänger qui prendra peu à peu la place de son mari (interprété par Sam Neil). Anna aura elle aussi son double, Helen, afin d’exprimer toute une symbolique qui s’imbrique dans la narration et le cheminent tortueux de l’histoire. Un film donc hautement symbolique, où tout s’exprime agressivement, comme une réaction, celui d’un corps qui réagirait à la maladie. Laquelle ? Probablement l’être humain.

    Pour la petite histoire, le concepteur de la créature à tentacules du film, Carlo Rambaldi, réalisera un an plus tard pour Steven Spielberg l’extra-terrestre le plus connu de toute la galaxie. On peut ainsi dire qu’avec la création de cet être messianique venu des étoiles, au long doigt lumineux, le peintre et sculpteur italien se sera ainsi évité un mauvais karma, en ayant donné jour à cet amant impie qui se répand sur Isabelle Adjani.

     

    Film d’auteur horrifique

    « Possession », malgré son ton halluciné et auteurisant, n’en demeure pas moins un vrai film d’horreur. Avec son manque d’humour revendiqué – l’humour qui n’a d’ailleurs jamais été caractéristique du cinéma de Zulawski – l’oeuvre affiche cependant une tonalité burlesque, grotesque, qui nous tétanise. En réaction à son divorce qui l’affecte profondément, le réalisateur de « La Note Bleue » peut se défouler et surréagir à ce qu’il est en train de vivre. Et on peut gager que la séparation à l’écran ne se passera pas dans la douceur et la diplomatie…

    On peut tout à fait ne pas goûter aux sombres et hystériques visions du réalisateur polonais, tout en reconnaissant la maîtrise de son film et ses fulgurances, telles autant de gifles et de coups. « Possession » vient de ressortir en blue ray, bénéficiant d’une restauration méticuleuse de ses images. N’hésitez pas à redécouvrir cette œuvre remastérisée et apprécier un cinéma extrême et totalement libre. Une œuvre douloureuse, difficile, mais rare.

     

     

     

     

  • Lupin : du mainstream sinon rien

     

     

    A l’heure des plateformes de streaming (Netflix, Canal+, OCS, Prime Video, Apple, HBO…), toujours plus compétitives en terme de contenu, où l’on nous propose des séries à la qualité qui dépassent souvent celle de certains longs-métrages de cinéma, « Lupin » tente le pari de réinventer le grand récit populaire, universel, en essayant de plaire à un maximum de spectateurs.

     

    Là où le principe même de la série a été révolutionné dès la fin des années 90, avec des contenus conçus pour toucher tel ou tel public en particulier (« Oz », « Six Feet Under », « The Wire », « Sopranos »…), avec l’idée que chacun pouvait avoir sa propre série, pour « Lupin », les auteurs ont quant à eux imaginé conquérir la plus large audience possible, maintenant et tout de suite, sans même choisir une cible en particulier, non… Avec cette nouvelle version de Lupin remis au goût du jour, c’est comme la devise des supermarchés : « Tout doit disparaitre ! » et « Grandes remises au rayon fromages ! »

    Arsène Lupin appartient au cercle de ces références emblématiques tirées de l’imaginaire collectif. Bien que les livres à la gloire du gentleman-cambrioleur n’aient jamais été ouverts par les plus jeunes, que la série avec Georges Descrières soit maintenant trop ancienne pour que la plupart d’entre nous s’en souviennent vraiment, ou que la chanson de Dutronc ne soit plus que rarement jouée à la radio ou à la télé, il y a malgré tout cette griffe, cette marque, qui est parvenue à traverser les décennies et évoquer encore aujourd’hui quelque chose au plus grand nombre. Et tout cela suffit à visualiser le personnage en frac et chapeau-claque, tour à tour élégant et sophistiqué, détroussant les baronnes de leurs bijoux tout en butinant leur cœur…

    Ce qui aurait pu tout d’abord paraître audacieux et original, en utilisant l’image consensuelle et sympathique d’Omar Sy pour incarner ce Lupin 2.0, va finalement très vite s’avérer aussi le principal défaut de cette nouvelle version du gentleman-cambrioleur. Le comédien originaire de Trappes, vivant désormais à Los Angeles, est pourtant incroyablement fédérateur. Il est incontestablement très aimé des Français, avec cette image réconfortante et joviale qu’il se trimballe depuis le SAV, avec son copain et faire-valoir Fred Testot.

    Seulement voilà, Omar Sy, n’est pas un très bon comédien. Et il ne l’a jamais été. C’est une nature. Il peut être drôle et il a le rire communicatif, l’oeil qui frise, certes, mais cela ne peut pas suffire quand il faut, tout au long d’une série, assurer des scènes plus dramatiques ; lorsque il est censé, par exemple, pleurer la mort d’un compagnon auquel il tenait particulièrement. Son jeu s’avère alors extrêmement limité. Ce qui semble être un comble, quand on sait quel héros emblématique il incarne, à savoir le maître du déguisement et du travestissement, celui qui peut être n’importe qui d’autre. Gênant…

    Sans même oser évoquer un autre problème de taille qui a ici son importance. Une importance capitale… Il est noir et aussi assez grand. Ce n’est donc pas très évident à se figurer le héros originel dans un tel récit, lorsque le personnage doit, à l’insu de tous, se dissimuler derrière une simple moustache et une casquette, devant les caméras de surveillance et divers autres dispositifs de contrôle. C’est là justement où intervient la fameuse « suspension d’incrédulité ». Le spectateur devra tacitement accepter tout et n’importe quoi, jusqu’à ce non-sens total. On assiste alors à des scènes pour le moins ridicules, durant lesquelles on diffuse des portraits-robots de Lupin, mais que jamais personne ne parvient à reconnaître le coupable. Exactement comme lorsque Superman enlève son costume, chausse des lunettes et devient Clark Kent, sans que personne ne fasse le lien entre les deux.

    Une autre maladresse qui plombe sacrément cette histoire de vol de collier et de vengeance larvée, c’est qu’en voulant cocher toutes les cases du progressisme, alors que la thématique du sujet ne demandait pas autant de zèle, l’intrigue et les protagonistes vont voir leur quête court-circuitée par des petits moments embarrassants, comme si on nous balançait, au moment le moins opportun, des spots télé contre le racisme, la violence faite aux femmes ou tout autre sujet lié à l’actualité sociétale du moment. Ainsi, à plusieurs reprises, on nous sert à la louche des sorties totalement hors sujet, liées à des revendications féministes ou, concernant le héros, à des interactions avec des protagonistes racistes comme on en fait plus.

    Des allusions douteuses et grossières, voire des comportements ignobles, émanant de surcroît de personnages qui dans la vraie vie n’auraient jamais l’occasion de se comporter de la sorte. Ce commissaire-priseur, par exemple, ou encore cet homme d’affaire immensément riche et extrêmement cultivé, qui a forcément par son travail des relations professionnelles avec toutes sortes de nationalités. Et tout deux se permettraient de plaisanter sur sa couleur de peau ou sur son appartenance à telle ou telle espèce de primate ? Désolé mais ça ne fonctionne pas car c’est juste inconcevable. Les dialoguistes arrivent ainsi à mettre dans la bouche de leurs acteurs des allusions ou des formules dignes des pires beaufs racistes façon Dupont-La Joie, ou d’enfants dans la cour de récréation. Tout ceci rend finalement l’ensemble maladroit et stupide.

     

    Alors, si on accepte avec mansuétude, comme postulat de départ, ces choix éditoriaux putassiers, pour se focaliser sur ce qu’on tente de nous vendre, à savoir le grand évènement Netflix du moment, la série popcorn et ultra-fun par excellence, le feuilleton qui pourrait même détrôner « La Casa del Papel »… Eh bien, comment dire… Oups…

     

    Il résulte de ces choix pour le moins hasardeux qu’avec « Lupin », on a très vite l’impression de regarder une série policière TF1 sous anabolisants, croulant sous de multiples références mal recyclées (à commencer par « Thomas Crown » et « Le Prestige »…). Mais une série TF1 quand même… La réalisation est certes nerveuse et rythmée, avec des plans très courts, surtout pour éviter au spectateur de trop se concentrer sur la piètre qualité de la mise en scène comme de la photographie. Afin de donner une vague impression d’opulence et apporter à l’ensemble une ampleur « cinématographique », mais surtout pour masquer la pauvreté des décors, on saupoudre le tout de plans tournés avec un drone et de mouvements de caméra circulaires, trop systématiques pour être honnêtes.

    Il y a bien quelques scènes d’action, surtout concentrées dans le premier épisode, avec le vol du collier au Louvre, mais qui là aussi paraissent au final bien cheap. Car tout est bien trop mécanique et terne. Le récit et les enjeux manquent quant à eux d’immersion. Quitte à tourner avec peu de moyens, on aurait pu imaginer une mise en scène plus organique, collant plus aux semelles des personnages. En l’état, on se contente de travellings inutiles, qui tentent de donner le change à des scènes toutes aussi statiques les unes que les autres.

    Si la réalisation reste dans l’ensemble assez fluide et le rythme des épisodes sans temps mort, c’est d’abord lié au fait que les acteurs doivent débiter leur texte très vite, trop vite, probablement dans le but de ne pas ennuyer un spectateur ingrat, sevré au zapping intempestif, télécommande dans une main et téléphone portable dans l’autre.

    Côté scénario, là encore, force est de constater que tout est téléphoné de bout en bout, en enfilant des coups de théâtre et des surprises émoussés, avant même qu’ils ne produisent l’effet escompté, comme avec un collier de nouilles. Peut-être un bon point pour les flash-backs et notamment le jeune acteur qui interprète le rôle-titre à 15 ans. Probablement les passages les plus réussis du programme, parce qu’ils apportent justement un peu de pose et de romantisme.

    Si Omar Sy prodigue autant de sympathie et de chaleur autour de lui, malgré son jeu calamiteux, dans le registre du charme et de l’humour, qu’en est-il du reste de la distribution ? Il est évident que dans cette production, la direction d’acteur importe peu. Tous les comédiens font ce qu’ils peuvent pour faire exister leur personnage, mais là encore, on croit voir un feuilleton estampillé TF1. Les policiers, en tête, sont réduis à une somme de clichés et de lieux communs assez consternants. Alors, face à ce constat d’échec à renouveler le genre, où chercher d’autres pistes pour donner du relief  à tous ces rôles ?

    Il y a bien Nicole Garcia (on se demande bien ce qu’elle vient faire dans cette galère, sinon cachetonner…) qui apporte un peu de grâce et de tact, avec sa classe habituelle. Une bonne histoire de ce genre, c’est aussi un antagonisme réussi. Ici, le salaud de service est totalement raté. Voilà un méchant tout droit sorti d’un épisode de « Joséphine Ange Gardien » ou de « Scoubidou » (mais pourquoi est-il aussi méchant ?… Pasqueeeeeuuu !!). Alors en effet, oui, Il est très très méchant, odieux, colérique, vociférant, sans une once de subtilité, affublé de tous les défauts de la terre et bien raciste, en prime. On a du mal à croire d’ailleurs qu’il ait pu rester marié tout ce temps avec son épouse incarnée par Nicole Garcia, qui semble plus mesurée, concrète, réelle.

    Au final, c’est tout au plus embarrassant et grossier, car on sent tellement dans cette version de Lupin l’envie de caresser sans cesse le spectateur dans le sens du poil et de le placer évidemment du bon côté du manche. Des gens riches, cons et racistes. Des policiers débiles, au Q.I. pas plus élevé que celui d’une vache, et un héros qui touche à peine le sol. Parce qu’il serait noir et que ce genre de rôles est rarissime dans le paysage audiovisuel comme cinématographique, on devrait donc tous être cléments et juger du bien-fondé de l’entreprise, en fermant les yeux sur l’incurie de ce que l’on nous propose ? On y voit là une sorte de discrimination positive balourde, où on nous explique qu’importe si tout cela est intrinsèquement de qualité ou pas. Non, le héros est noir et ça c’est vraiment super !

    Soit…

    Régulièrement tartignole dans sa manière de voir notre époque, voulant coller à l’actualité et avec ce souci constant de tout aseptiser, « Lupin » loupe pas mal de coches et se vautre dans la veulerie la plus crasse.

    Quant à l’histoire et ses péripéties, tout semble tellement simple et plié d’avance, pour ce héros bien falot et sans substance. Jamais on ne le voit préparer ses tours de passe-passe. On a beau nous le montrer dans son repaire de Fantômas, enfoncé dans son gros fauteuil design Habitat, avec tous ses écrans et ses costumes en fond, jamais on ne sait comment il parvient logistiquement à mettre au point ses coups seul, sans équipe ou presque. Il a bien un ami d’enfance, un brocanteur fadasse, mais très gentil.

    A force de trop d’ellipses et de deus ex machina, toutes ces facilitées scénaristiques tuent l’histoire globale et donnent l’impression que l’on regarde une longue bande-annonce à la gloire de ce héros. Aucune difficulté ne semble le contraindre ou le mettre dans l’embarras. On devrait donc appeler cette série « Super Arsène », tant son héros semble sorti tout droit d’un Marvel, plutôt qu’inspiré des écrits de Maurice Leblanc.

    Le Lupin de Netflix a toujours trois longueurs d’avance sur tout. Il a le don d’ubiquité, est passe-muraille ou peut encore changer la matière à sa guise. C’est Thanos, en fait. Le mot d’ordre ici, c’est « ta gueule, c’est magique, c’est comme ça et voilà, circulez ! ». À croire que le simple fait d’avoir hérité de son père cet « Arsène Lupin, gentleman-cambrioleur », qui va d’abord devenir le livre de chevet du jeune Assane Diop, va ensuite conférer au héros une somme de pouvoirs magiques qui lui permettront de réaliser tous les tours dont il nous gratifie tout au long de ces cinq premiers épisodes.

    Bref, une série française de plus qui fait « sploutch » pour avoir voulu plaire au plus grand nombre, qui a tout misé sur le crédit sympathie de son acteur principal en faisant l’impasse sur tous les autres personnages. Des péripéties mal fichues et rarement excitantes. Le jeu binaire de la plupart des comédiens qui, hélas, n’ont pas grand chose à se mettre sous la dent en terme de développement psychologique. Quant au succès et à l’engouement que « Lupin » connaît, il faut admettre que c’est un sacré mystère, lorsque l’on sait que les mêmes fans qui crient ici au génie vont aller chipoter sur le final d’autres séries définitivement plus dingues.

    Les moins convaincus se contenteront de trouver la série agréable, sympa, fraîche, malgré son avalanche d’improbabilités, de paresses scénaristiques et d’acteurs sous-employés… Bien, bien, bien… En tout cas, « Lupin » bénéficie un peu partout d’une incroyable bienveillance, pour ne pas dire d’un assentiment unanime. Comme quoi, les goûts et les couleurs…

     

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