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  • Silence Plateau | Mes Meilleurs Copains

     

     

    Sorti en 1989, « Mes Meilleurs Copains » de Jean-Marie Poiré a été victime d’un mauvais timing… Les films de type « Bromance » ou « week-end à la campagne entre amis » n’étaient pas encore à la mode et on peut même dire que « Mes Meilleurs Copains » fut précurseur dans le genre.

     

    Mais le fait est que ce film fut vraiment un bide à sa sortie en salle et qu’il ne gagna ses galons d’oeuvre-culte qu’au fil de ses maintes diffusions à la télévision, à l’instar du « Père Noël est une Ordure ». Pourtant, « Mes Meilleurs Copains » est probablement le film le plus sincère et le plus touchant de Jean-Marie Poiré, comme une invitation introspective à l’amitié, aux souvenirs et aux histoires d’amour foireuses.

     

    « J’ai failli crever, moi, avec ce film ! Je suis resté deux ans sans travailler après. J’aimais bien le film, je le trouvais sympa mais j’aurais bien aimé qu’il marche un peu mieux, parce que j’étais au bord de changer de métier, là, pour le coup ! » (Jean-Marie Poiré)

     

    « Mes Meilleurs Copains » est un appel du pied à tout ce qui peut nous renvoyer à une nostalgie pétrie de souvenirs collectifs et de situations jumelles à nos propres jeunesses. Tous les acteurs sont parfaits, employés de manière juste. Le film ne se contente pas d’être drôle, avec ses scènes de flash back, mais la tendresse et les moments qui embuent les yeux sont aussi nombreux. Gérard Lanvin en contre-emploi de bourgeois ringard, le regretté Philippe Khorsand en metteur en scène jaloux et vindicatif, Jean-Pierre Bacri en publicitaire gay amer, Christian Clavier… en Christian Clavier, et enfin une découverte enchantée avec Jean-Pierre Darroussin en guitariste perché sous Xanax.

     

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    « Mes Meilleurs Copains », c’est à la fois le « Péril Jeune » de Cédric Klapisch et le « Vincent, François, Paul et les Autres » de Claude Sautet ; ce genre de films choraux, si bien écrits et si simplement filmés, où tout est évident dès le début, qui nous embarquent dans un monde parallèle dans lequel on voudrait aussi se trouver et pouvoir partager ces moments-là avec les personnages.

    Sur un canevas assez simple, Poiré nous présentent des potes d’enfance amoureux dans le passé de la chanteuse de leur groupe d’adolescents, qui se retrouvent tous lors d’un week-end en Normandie, dans la maison de l’un d’eux, où est également conviée la fameuse muse qui vit désormais au Québec et qui, quant à elle, est devenue une star de la chanson. Les souvenirs vont très vite remonter à la surface, avec les règlements de compte habituels, les déceptions, les regrets et les petites mesquineries qui collent en général à ce type de situations.

    Alors oui, Il n’y a peut-être pas tout à fait la magie des dialogues de « Clara et les Chics Types » sous la houlette de Jean-Loup Dabadie, ou encore la mise en scène ample à souhait d’un Sautet pour « Vincent, François, Paul et les Autres », mais la générosité des situations et des anecdotes qui remplissent l’histoire de ces meilleurs copains, comme un album de photos trop rempli, fait que le film se voit et se revoit, en y découvrant toujours de nouvelles répliques et de nouveaux regards dans les yeux de ces acteurs, au diapason, qui les rendent à chaque fois encore plus crédibles dans leurs rôles respectifs.

     

     

     

  • Lars von Trier : du lard, de l’art, du Lars… ou du cochon

     

     

    Parmi la longue liste des réalisateurs clivants qui aiment entretenir cette image immorale et extrême de leur art, on peut dire que Lars von Trier y tient une place de premier choix. En France, dans le même registre, on pense tout de suite à Gaspard Noë, le maître étalon de ce qui se voudrait un cinéma révolutionnaire et extrême.

     

    « Element of Crime », « Epidemic » et « Europa », les trois premiers vrais films du cinéaste danois Lars von Trier, après qu’il eut réalisé moult courts-métrages, possédaient pourtant un certain parfum de nouveauté, entre expérimentation, travail sur l’image et le son. Ici, il re-visitait le polar, la SF ou la fable politique avec personnalité et audace. De 1984 à 1991, il aura en tout cas tracé les sillons d’un cinéma nouveau, formel et étonnant. La noirceur était également déjà au rendez-vous, mais plus comme une figure de style et une volonté anticonformiste de ne pas être confondu avec l’esthétique de l’époque.

    A partir de « Breaking the Waves » (1996), sorti après son incursion furtive dans le fantastique pur avec sa mini-série « The Kingdom » (« L’Hôpital et ses Fantômes »), produite pour la télévision danoise et distribuée en salle en France sous la forme d’un film en deux parties, assez indigeste, la dépression qui semblait couver depuis toujours se manifeste au grand jour.

    Le réalisateur des « Idiots » et co-inventeur du concept pipo « Le Dogme » part très loin dans un délire hystérico-judeo-chrétien-pensum à base de relecture de la Bible, mais à l’envers, d’un cynisme déguisé en princeps philosophique assorti d’un nihilisme gothique et d’actrices marionnettes qu’il se plaît tant à malmener. Tout cela à grand renfort de tout ce qui choque et qui pourrait, voire qui se doit, d’ulcérer les âmes bien pensantes.

    Seulement, ce cinéma-là ne s’adresse pas pour autant aux bonnes personnes. Le public qui le suit est constitué globalement de tous ceux qui ont envie de briller dans le noir de l’inculture cinématographique générale, en se calant dans les angles aigus de ce cinéma hermétique et bien au creux d’un soit-disant rejet de l’humanité. « Breaking the Waves », le chemin de croix d’une femme (de toutes les femmes ?), dans le but de retrouver, ou de perdre, ce qui lui restait d’humanité. Une vision de la femme comme éternelle martyre face à l’homme, pudride, lâche et érotomane.

    N’est pas misanthrope qui veut, et même Maurice Pialat, haï et craint de son vivant, savait raconter des histoires, avec des personnages forts qui nous enveloppaient de leur trajectoire jusqu’à son terme. L’empathie restait tout de même un vecteur primordial pour que l’on puisse adhérer.

    La filmographie de Lars von Trier prend donc un virage à 90 degrés précisément à partir de « Breaking the Waves » et la critique le couvre aussitôt de louanges. Même si on ne saisit pas vraiment où il veut en venir, les festivaliers de tous poils pressentent le potentiel du réalisateur danois, surtout s’il persévère dans ce sens, en choquant le bourgeois et en nous proposant cette description à la hache de la femme, élevée au rang d’éternelle pécheresse.

     

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    Alors, on prétendra forcément que c’est là toute la force de l’humour protestant des gens du nord. Soit… Mais là aussi, n’est pas Pasolini qui veut. Et il ne suffit pas de montrer des horreurs, le tout agrémenté d’une réalisation convulsive et parkinsonienne pour savoir exposer froidement sa vision du monde et sa haine de l’humain.

    La liste des actrices qui rêvent alors d’être « secouées » par cet artiste hautement névrosé et qui acceptent, comme Nicole Kidman, Björk ou Charlotte Gainsbourg, de « jouer » un peu à ces laborieuses constructions conceptuelles aussi prétentieuses que malsaines, s’allonge… Des cimes seront atteintes avec notamment « Antichrist » et « The House that Jack Built ».

    Le réalisateur de « Dancer in the Dark » empile les visions les plus subversives et les plus dérangeantes, avec comme seul et unique but à atteindre, celui de nous retrouver la tête dans la cuvettes des toilettes. Ses obsessions morbides aux relents de bile, toujours confites de judéo-christianisme, n’évoquent en réalité plus grand-chose de très en phase avec notre époque.

    Tout n’est cependant pas à jeter dans sa filmographie… Parmi ses oeuvres les plus ludiques ou les plus regardables, dans l’approche originale de leur sujet, on peut noter « Dog Ville » et le diptyque « Nymphomaniac ». Sans doute car Lars von Trier nous y démontre qu’il peut parfois laisser de côté ses obsessions sur le martyr du Christ et de l’éternelle culpabilité judéo-chrétienne.

    Mais le summum du lavement à la façon von Trier sera atteint avec « Melancholia », qui ne déroge pas à la règle et nous impose une enfilade de scènes interminables mettant en scène des personnages qui se balancent des saloperies à la figure, un peu à la manière d’un film de Patrice Chéreau, mais sans la manière et sans qu’à aucun moment, on en comprenne réellement les enjeux. Il y a ce vague concept de fin du monde, avec pourtant cette assez belle idée d’une planète géante qui viendrait percuter notre bonne vieille terre, et par la même occasion balayer nos petites mesquineries, notre pénible égocentrisme, nos minables problèmes d’égo, notre humanité moribonde et exténuée…

     

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    Et il faut bien avouer que sur le papier, l’idée donnait envie, avec ces premiers plans et le prélude de l’opéra « Tristan et Yseult » en fond musical, qui sonne comme une installation grandiose à la Fondation Cartier ou au Palais de Tokyo… Mais seulement, on est assis dans une salle de cinéma ou dans son salon, tout cela dure des heures et Wagner, au bout d’une quinzième écoute sur des ralentis d’une planète mauvâtre qui se rapproche inexorablement de notre terre, finit par nous saouler dans les grandes largeurs en nous dégoûtant du compositeur allemand, avec comme dirait Woody Allen, « l’envie irrépressible d’envahir la Pologne »…

    « Melancholia » est un film malade, dans le sens où il est réalisé par un homme qui peut faire à peu près ce qu’il veut, sans qu’aucune voix ne s’élève à la ronde, pour lui suggérer que peut-être que cette grande liberté artistique, cette audace créative, cette folie domptée et libératrice qui caractérisent un artiste, qu’il soit cinéaste, musicien, plasticien ou photographe, se sont ici muées en une sorte de vide embarrassant. Au-delà de toute considération esthétique, formelle ou de fond, la vision de ce « film » ne vaut peut-être que par ses quinze premières minutes et ses cinq dernières…

    Alors on peut aussi renvoyer dos à dos Lars von Trier et un autre cinéaste qui a aussi sa carte et qui, quoi qu’il fasse, aura l’assentiment d’une certaine presse quand, dans le même temps, il sera décrié par un large pan du public : David Lynch. Et j’en suis féru… Mais c’est comme ça ! Lynch me touche et fait vibrer une part de mon être et de mon inconscient, tandis que Lars von Trier me révulse lorsque qu’il est, pour d’autres cinéphiles, une source infinie de réflexion et de plaisir. Une façon de se faire violence et d’aimer tremper les mains dans un dissolvant…

    Sur un plan gustatif, en ce qui me concerne, j’ai toujours préféré la chair du poisson à celle du porc…

     

     

     

  • Insiders : une saga haletante en 10 volumes

     

     

    « Insiders » – Bartoll (scénario) + Garreta (dessin) – 10 tomes – Editions Dargaud – 2002/2011

     

    Un Conseil qui comprend tous les membres mafieux du monde et dirige la planète en sous-terrain. Des gouvernements corrompus et marionnettes. Deux présidents en quête de vérité et une femme, agent spécial, prête à devenir le bras armé de cette vérité.

     

    Avec la saga « Insiders »,  on est dans la BD d’action, entre espionnage et guerre, politique et mafia. Le texte est extrêmement dense, ainsi que le scénario qui demande beaucoup de concentration au départ pour entrer dans l’intrigue. On aimerait que les dessins soient plus lents, avec davantage de gros plans et moins de plans larges ou panoramiques qui passent trop rapidement d’un instant à un autre sans prendre le temps de souffler ou d’apprécier le détail, ou encore de réfléchir davantage à une situation donnée avec plus de zooms.

    On trouve dans certaines planches, des cartouches avec des informations réelles : le scénario est présenté comme une œuvre de fiction, mais plusieurs références renvoient à des faits ou des instances réelles qui donnent envie au lecteur d’aller y voir de plus près et de faire quelques recherches sur le net pour vérifier les informations. On sent derrière l’histoire à grosses ficelles, des parcelles de vérité glissées entre les vignettes.

    On est entre « XII » et « Mission Impossible » version féminine. En première lecture, on a du mal à croire à cet agent à qui tout réussit, façon James Bond. Mais en seconde lecture, on est happé petit à petit par le texte, le contexte et les références un peu mystérieuses et complotistes. On sent l’influence journalistique de l’ancien grand reporter qui en a vu de belles et le laisse entendre en décryptant des rouages secrets visibles à travers certains grands événements du monde.  Dans la série « plus c’est gros, plus ça passe », de l’Afrique à l’Afghanistan, puis de la Russie à la Chine, on se laisse entraîner dans cette grande saga de 10 volumes sur les pas de Najah.

    Jean-Claude Bartoll est espagnol. Il est né en 1962 (57 ans). C’est un ancien grand reporter qui a travaillé pour des agences de presse internationales. Renaud Garreta (54 ans) est diplômé de l’Ecole Supérieure d’Arts Graphiques, auteur de la trilogie « Fox One » et de la série « Le Maître de Benson Gate » avec Fabien Nury.

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Insiders @ Editions Dargaud

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Insiders @ Humanoïdes Associés

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Interview de Renaud Garreta

     

     

     

  • Retour sur la série anglaise mythique des 90’s : Absolutely Fabulous ou Ab-Fab

     

     

    A l’aune des années 80, les gays n’avaient pas encore vraiment trouvé leur série télé fétiche. Attention, pas l’un de ces programmes où l’on essaierait de singer cette communauté et ses représentants par le truchement d’infâmes caricatures démagogiques pour familles lyophilisées qui ne devraient surtout pas vaciller devant leurs postes, mais une série qui viendrait bousculer les codes. Et puis explosa sur nos écrans la bombe « Absolutely Fabulous »…

     

    Car dans tous ces programmes, de manière éparse et incongrue, on y secouait des ersatz d’homosexuels, tels des épouvantails, sans que l’on saisisse vraiment le but avoué de la manoeuvre. L’initiative, au bout du compte, se révélait souvent maladroite, en verrouillant toujours et encore les idées reçues par des stéréotypes éculés, rances.

    Dans les années 2000, il y eut bien quelques tentatives à la télé, pour essayer d’illustrer en image la culture « Gay » et décrypter le mode de vie de ces hommes ou ces femmes homos. Bof, bof, bof… Toujours trop lisse. Des séries anglaises ou américaines ont aussi tenté de séduire les spectateurs, mais en vain. Les plus connues, de « Queer As Folk » à « Angels in America », en passant par « The L World » ou la dernière en date, « Looking », essaient depuis une quinzaine d’années de braquer les projecteurs sur des microcosmes LGBT urbains, de petites bulles dans lesquelles frétillent des panels représentatifs de ce que serait la communauté Gay aujourd’hui. Bref, de la discrimination positive en infusion servie dans un joli service en porcelaine…

    Avec ces séries, on peut donc assister à de bien gentillets enfilages de perles et d’anecdotes sur la vie de tous les jours et les états d’âme de tous ces métrosexuels qui s’aiment entre eux. Le problème, qui rend l’exercice en général peu crédible, c’est qu’ils sont tous jeunes, beaux, blancs (avec ici et là peut être un Latino ou un Afro pour donner cette petite touche Benetton qui fait encore mouche…), parfaitement sculptés dans ce moule à fantasmes d’une représentation qui n’existe pas vraiment dans la vraie vie… Bref, tout cela sonne hélas parfaitement faux…

    Alors que ces séries conçues spécialement pour la télé et le câble, toujours plus nombreuses, accessibles et généralement de bonne facture, devraient en toute logique entacher sérieusement la crédibilité des films réalisés pour le cinéma, on constate paradoxalement que c’est plutôt au cinéma que les gays sont le mieux représentés, avec originalité, audace et le souci de s’accompagner de véritables questionnements, en tentant d’éviter le piège de la sempiternelle version gay de « Sex and the City ».

    On se souviendra ainsi de « Maurice » de James Ivory, ou vingt ans plus tôt de « Reflet dans un Œil d’Or » de John Huston, deux films qui parlaient à deux époques différentes de la difficulté d’être ou de vivre en tant qu’homosexuel dans une société aveugle et sourde, toute entière trempée dans un bain amniotique d’hypocrisie complaisante.

     

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    Plus récemment, « Moonlight » de Barry Jenkins retraçait le parcours d’un jeune garçon afro-américain dans une banlieue de Miami, à trois époques différentes de sa vie, durant lesquelles, se découvrant gay, il devra essayer d’exister tel qu’il est ; une histoire sur l’identité, sur ce que nous sommes et comment le savoir et l’accepter. Un film réalisé par un noir, avec uniquement des acteurs noirs au générique et comme sujet central la perception de l’homosexualité chez les Afro-Américains. Autant dire, une sacrée révolution…

    Mais revenons à présent au sujet premier… Car paradoxalement, et c’est probablement là où réside toute l’ingéniosité de son concept, la série anglaise « Absolutely Fabulous », diffusée sur BBC Two entre 1992 et 2004, n’a jamais mis en avant des personnages ouvertement gay ou évoluant dans cet univers.

    Avec Ab Fab (diminutif du titre de la série, employé pas les aficionados), on avait plus affaire à une ambiance, un ton, mais surtout à la fibre même, l’ADN de ce que pouvait être le gay de ces années 90 et ce à quoi il aspirait, en référence à un mode de vie, de la musique à la culture, en passant par le relationnel, le vocabulaire ou encore la situation propre à l’époque.

    Les deux héroïnes de ce feuilleton, Patsy et Edina, ne renvoyaient pas à une image policée et constructive qui tendait à dire : « regardez, on est pareil, on veut la même chose, on souhaite être en couple, adopter des enfants et passer des week-ends à la campagne avec un gros chien pleins de poils ». On était en effet bien loin, en ce début des années 90, des sermons en camaïeu de ce simulacre de « Mariage Pour Tous » qu’on a tenté de nous vendre récemment…

     

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    Ces deux nanas, qui évoluaient dans le milieu de la mode et de l’évènementiel, étaient complètement déjantées ; des quadras bien tassées, refusant de vieillir et de se plier aux normes de la société. Elles menaient des vies totalement à rebrousse-poil du tout un chacun, égoïstes et hédonistes à souhait. Et c’est en toute désinvolture qu’elles pratiquaient l’alcoolisme, la toxicomanie, la chirurgie esthétique à toute heure de la journée… Ces deux pouffiasses hystériques ne reculaient devant aucun excès, dans le seul but de contenter leur appétit de clinquant et d’éphémère.

    Le gay, en ce début des années 90, se reconnaît immédiatement dans cette ode à la liberté et à l’individualisme. Plus qu’une série gay ou une série Queer, c’était un hymne décomplexé à la vacuité, au plaisir sous toutes ses formes, à la vulgarité et tout un tas d’autres éléments pouvant se raccrocher au chapelet de l’insouciance et ce luxe si rare que l’on tente désespérément d’enfermer dans un flacon à l’abri du temps qui passe : la jeunesse… Mais « Absolutely Fabulous » était avant tout une série ultra drôle scénarisée et produite par Jennifer Saunders, la créatrice et actrice principale de ce show, moitié du duo « French & Saunders ».

    Pourtant, l’idée d’ouvrir les esprits à un peu plus de tolérance est un combat qui pourrait même remonter aux années soixante. Cette décennie avait déjà proposé bien des programmes assez subversifs… A commencer par la série « Les Mystères de L’Ouest », dans laquelle James West arborait ses petits futals hyper moulants lui dessinant bien les fesses, ou ses vestes spencers lui arrivant au-dessus des hanches… Sans parler des rapports intrigants qu’il entretenait avec son acolyte Artemus Gordon, adepte du travestissement sous toutes ses formes… Ou à ces scènes de bagarres avec des marins musclés dans des bars uniquement fréquentés par des hommes, tout droit sortis des illustrations de « Tom of Finland ».

    Mais « Absolutely Fabulous » reste indiscutablement la série la plus proche de ce qu’était il y a encore vingt ans le mode de pensée de quiconque se revendiquait « Gay ». Comme le dernier rempart avant l’uniformisation des esprits…

     

    25 ans après la première diffusion française sur Canal+ de la série « Absolutely Fabulous », retrouvons avec délectation la VOST jusqu’alors introuvable de cet épisode culte de la saison 3 datant de juin 1996 (Canal Jimmy).

     

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  • Yves Saint Laurent vs Saint Laurent

     

     

    Saint Laurent toujours, Saint Laurent for ever…

     

    Revenons sur deux films sortis à quelques mois d’intervalle en 2014. Si le premier s’est offert de beaux chiffres au box office, en ayant reçu au préalable la bénédiction de Monsieur Bergé, pour au final un rendu bien lisse et une réalité corsetée et servile, le deuxième, en revanche, déjà conspué alors que son tournage n’avait même pas encore démarré, proposait une vision du couturier, de sa vie et de son œuvre, plus viscérale et incandescente. Même s’il fut préféré par la presse, le film sera toujours évoqué en deuxième position, et finira par être un échec public.

     

    « Yves Saint Laurent » de Jalil Lespert

     

    Si on n’a jamais vu le magnifique documentaire de Pierre Thoretton, « L’Amour Fou », dont ce « Yves Saint Laurent » reprend sans vergogne aucune toute la trame, ou lu le livre d’Alicia Drake, « Beautiful People », peut-être alors trouvera-t-on un intérêt tout relatif au premier film de Jalil Lespert.

    Pédagogique dans sa forme, de facture digne d’un téléfilm de luxe de France 2, ce premier film sorti en salle, consacré au plus célèbre des couturiers français, s’évertue à empiler sagement les différents épisodes clés de la vie et la carrière de Saint Laurent. Les évènements se suivent et sont égrenés dans une cadence métronomique. Tout est en ordre, rangé dans des tiroirs, des compartiments, et rien ne dépasse.

    Pierre Niney singe plus le génie de la mode qu’il ne l’incarne réellement. Il ne réinvente définitivement pas Saint Laurent et ne cherche pas plus à se l’approprier. Il se contente juste de restituer des motifs, ce que l’on connaît en fait de cet homme au travers des images télé ou divers autres documents. Certes, il y a la voix, les manières, les attitudes, les gestes, mais cela ne procure rien d’autre que le contentement du spectateur ébloui par l’imitation parfaite d’un perroquet. « Yves Saint Laurent » n’offre aucune possibilité de rêver ou de s’abandonner. On reste à distance de ce ballet d’ombre.

     

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    « Saint Laurent » de Bertrand Bonello

     

    L’angle que choisit Bertrand Bonello pour aborder « son » Saint Laurent est forcément plus casse-gueule. En essayant de pénétrer la psyché du couturier, le réalisateur de « L’Apollonide » s’évite ainsi tout l’aspect biographique et distant vis-à-vis des personnages. On est là dans la tête du génie névrosé et c’est donc de son point de vue que l’on traverse ce film si organique.

    Nous voici dans les 70’s, soit la décennie la plus riche en événements et en créativité. C’est aussi une époque durant laquelle le fameux trio « sexe, drogue et rock’n’roll » n’a jamais aussi bien été représenté.

    L’autre idée géniale du film est de ne pas tenir compte d’une quelconque chronologie. Dans la deuxième partie, on fait des allers retours permanents entre les derniers jours de Saint Laurent et ses années fastes. Elégante façon de signifier que Saint Laurent et son oeuvre perdureront longtemps après sa disparition.

    « Saint Laurent », outre son souci de nous distiller des informations factuelles sur Yves Saint Laurent, se permet aussi des embardées baroques, tant Bertrand Bonello n’oublie jamais qu’il fait surtout et avant tout du cinéma. Il emprunte donc à Visconti, sans doute l’un des réalisateurs les plus proustiens de son temps (« Le Guépard », « Mort à Venise », « Les Damnés », « Rocco Et Ses Frères »), un de ses acteurs fétiches, mais aussi ses questionnements sur le temps et ses formes.

    Dès l’ouverture du film de Bertrand Bonello, on voit un homme de dos, fluet mais à l’allure élégante, entrer dans un hôtel pour se diriger jusqu’à la réception où il dit avoir réservé une chambre. Lorsque le concierge lui demande sous quel nom la chambre a été retenue, l’homme que l’on découvre enfin de face, avec ses lunettes à monture d’écaille et à l’attitude éthérée et timide prononce juste  « Swan », le nom du célèbre personnage de « La Recherche Du Temps Perdu » de Marcel Proust, écrivain cher à Saint Laurent. Le réalisateur de « L’Apollonide » exprime ainsi immédiatement ce qu’était Saint Laurent, sa psyché, sa force et ses faiblesses. D’une élégance tenue jusqu’au bout, « Saint Laurent » est le film ayant su capter l’âme d’une époque, son énergie vénéneuse et puissante.

     

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    On ne saura jamais vraiment qui était Saint Laurent, derrière ses robes, ses tissus, ses soirées, ses amants. Il était le héros d’un roman, de son histoire. Un être de papier qui grâce à Pierre Bergé put devenir l’un des plus grands couturiers de l’histoire de la mode.

     

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    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

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    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : Photographe dévoreur d’images

     

     

     

  • Suspiria 2018 : et dansent les Sorcières…

     

     

    On avait tout à craindre de ce remake du mythique « Suspiria » sorti en 1977, même si son réalisateur Luca Guadagnino brille sous un vernis chic avec ses deux derniers films, « A Bigger Splash » et « Call Me By Your Name ».

     

    En s’attaquant au chef d’œuvre de Dario Argento sorti en 1977, Luca Guadagnino tente un pari culotté, fou et selon ses détracteurs, tout simplement pétri de vanité… Car beaucoup le considèrent, au même titre qu’un Paolo Sorrentino, tout juste capable d’étaler de belles images, sans une once de réflexion ou de cohérence.

    « Suspiria » est le premier volet de la « Trilogie des Enfers » (ou « Les Trois Mères »), qui comprend ensuite « Inferno » (1980) et « Mother of Tears » (2007). Ces trois films nous immergent dans des récits de sorcellerie et d’horreur, dont l’action se déroule dans trois grandes villes européennes.

    Le « Suspiria » de Dario Argento s’appréhendait ainsi comme un conte horrifique, une sorte de relecture du roman « Alice au Pays des Merveilles » de Lewis Carroll. Ses couleurs, ses décors, sa mise en scène et son ton général nous embarquaient dans une expérience sensorielle, hypnotique et onirique, telle une sorte de sortilège.

    Un film effrayant et beau, qui fascine toujours autant, comme ces histoires que l’on raconte aux enfants. Pour ceux qui l’ont découvert à sa sortie, force est de constater qu’il ne les a plus jamais quittés…

    On se demandait donc comment Luca Guadagnino, le réalisateur qui avait déjà remaké avec « A Bigger Splash » le film mythique de Jacques Deray, « La Piscine », avec Delon, Schneider et Ronet, et qui affichait d’évidentes accointances avec le cinéma d’Eric Rohmer, allait bien pouvoir nous surprendre avec sa relecture du mythique « Suspiria »…

     

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    Le « Suspiria » version 2018 n’est définitivement pas un film de commande, un de ces succédanés que l’on voit fleurir chaque année, ces sempiternels remakes de classiques des années 70 et 80. Non ! Car de toute évidence, Luca Guadagnino chérit le film de Dario Argento et le considère, selon ses propres dires, comme l’un de ses films préférés… En souhaitant se le réapproprier, il déconstruit malgré tout complètement l’œuvre de son mentor italien.

    L’histoire se situe toujours en 1977, mais le parallèle entre les deux films s’arrête là. On délaisse la ville de Fribourg pour Berlin, en pleine époque dite « des années de plomb », celles de la bande à Baader et du fameux mur. Ici, point d’ambiance onirique et de lumières primaires. On est dans une réalité crue où se disputent les gris, les ocres et les bruns ; que des couleurs passées… Fini l’art nouveau poétique et tortueux, on passe à l’art déco, brut, ample et froid.

    Le fantastique est pourtant bien au rendez-vous, mais il nous est suggéré non par une ambiance mais par la mise en scène. Guadagnino prend ses distance avec l’œuvre matricielle dès le début, et il préfère tout expliquer, tout rationaliser, pour mieux ensuite nous plonger dans l’horreur et l’incrédulité.

    Il utilise également beaucoup mieux ce collectif de femmes qui vivent ensemble, avec de vraies personnalités accordées. Il en est de même pour tout ce qui entoure la danse, puisqu’il en fait le pivot central de l’histoire quand Dario Argento n’en faisait qu’un prétexte. Le maître italien a toujours été un fétichiste et un plasticien. Il préférait s’attarder sur les détails d’un décor plutôt que sur ceux d’un visage.

    Dans les premiers rôles, Tilda Swinton joue Madame Blanc, la chorégraphe largement inspirée d’une autre célèbre danseuse et chorégraphe allemande, Pina BaushDakota Johnson tellement insignifiante dans le diptyque lénifiant, « 50 Nuances de Grey », s’empare ici de son personnage à bras-le-corps, avec autant d’ingénuité que de perversité.

    Car ce « Suspiria » version 2018 est d’abord un film de femmes, dans lequel celles-ci occupent l’espace à 95 % et où on nous les représente tour à tour puissantes, mystérieuses, souriantes et solidaires. Jamais on nous avait d’ailleurs dépeint un univers de sorcières avec autant de sincérité et de crédibilité. Le film en est au final d’autant plus déstabilisant.

     

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    Le « Suspiria » de Guadagnino n’est certes pas un film facile… Pour les fans de jump scares et autres effets de manche, ils en seront pour leur frais. Si le film se révèle pourtant toxique à souhait, en distillant une atmosphère étouffante et malsaine, il ne cherche pas à faire plaisir et caresser dans le sens du poil. Sur 2h30 que dure le métrage, plusieurs histoires s’entremêlent sans véritable conclusion ni réel début.

    Seule certitude, ces sorcières ont toujours été là et le seront encore bien longtemps après. Elles nous laisse juste partager des moments de leur vie et de leur quotidien, mais le sens profond de leur existence nous dépasse, même s’il y est question en filigrane de quête de pouvoir. Malgré sa thématique et ses enjeux, ce « Suspiria » reste un film intime, qui se chuchote à l’oreille comme certains morceaux qu’on apprécie et que l’on préfèrera écouter au casque, et seul.

    Pour la musique, c’est Thom Yorke qui se charge de composer une partition mélancolique et belle, quand celle de la version de Dario Argento était signée par le groupe de rock progressif italien Goblin. Le piano et la voix plaintive du chanteur du groupe Radiohead se baladent et se marient parfaitement aux images, pour offrir un ton général doux, triste, mais paradoxalement réconfortant et enveloppant.

    S’il est néanmoins imparfait, en souffrant de problèmes de rythme et de compréhension, ce « Suspiria » deuxième du nom mérite une seconde chance, tant il fut boudé à sa sortie et injustement très vite oublié. Car il reste une ode magnifique à la féminité, mystérieuse, dangereuse, puissante, multiple, tellurique et radieuse ; un hymne à la volupté des corps, de la danse et de son pouvoir.

     

     

     

  • Le Cinéma de Wes Anderson : La Mélancolie c’est Chic

     

     

    Dès son premier film « Bottle Rocket » en 1996, le réalisateur américain Wes Anderson affichait déjà une identité forte et surlignée, qui n’aura de cesse que de s’auto-alimenter au fil de sa carrière.

     

    Notre monde, en passant par le prisme de Wes Anderson, né à Houston au Texas il y a cinquante ans, devient une dimension parallèle. Un monde familier, mais en biais, où tout semble obéir à d’autres règles quantiques. Un univers intemporel dans lequel tout est suspendu, flottant… Ses films forment un tout ; un écosystème dont il serait le maître, le marionnettiste.

    Il y a quelque chose de Legoland dans cette vision autiste, comme une maison de poupée géante. La visiter provoquera en chacun de nous une sensation d’enfermement, d’étouffement, tant les visions ultra-léchées ne laissent jamais de place au hasard. Tout est sous contrôle, encadré, dans le sens le plus littéral du terme. Les plans de ses films sont des tableaux où même le passage d’un oiseau dans le ciel a été prévu…

     

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    Cette psychorigidité peut rappeler d’ailleurs celle de Peter Greenaway, qui était peintre avant d’être réalisateur. Il ne se tourna vers le cinéma que dans les années 80, comme pour créer une extension à son univers originel. On pense évidemment aussi à Tim Burton, adepte d’univers ultra-codifiés, même si cela fait déjà plus d’une quinzaine d’années que ses marottes et son maniérisme se sont retournés contre lui et l’ont enfermé à double tour dans l’armure d’un robot qui désormais photocopie ses films plus qu’il ne les crée de toutes pièces…

    Wes Anderson, quant à lui, affiche une filmographie plus restreinte et ne semble pas pour le moment trop tiraillé par les sirènes du succès ou la récupération malhonnête d’une certaine presse Indé. Il mène sa barque au gré de ses propres courants et de ses illuminations. Ses marottes à lui passent plutôt par les teintes de la mélancolie, de ces époques surannées et joyeuses. Il garde en lui cet espoir fané, comme le sentiment contrit que ce qui peut arriver de meilleur était forcément avant, et que le souvenir en est le plus parfait stimulant. Cette fameuse joie d’être triste…

    Dans ses films, les personnages, globalement dépressifs, adultes, enfants et animaux compris, aspirent à quelque chose de meilleur, mais sans trop y croire. Ils voudraient changer le cours des choses par eux-mêmes, dans ce monde clos tel une maison de repos, mais rien n’évoluera jamais vraiment car c’est un peu comme demander à quelqu’un de courir sur une étagère. Tout sera toujours à sa place, même dans quinze ans…

    Il y a dans le cinéma de Wes Anderson flegme et politesse feutrée, la musique rassurante d’une vieille horloge dans le salon de cette tante anglaise qui vous reçoit à l’heure du thé, pour siroter ensemble un thé au citron en dégustant des Short Bread au gingembre.

    Ces tableaux, avec le cadre intégré où le temps possède son propre tempo, montrent tout en aplat ; des êtres animés qui n’ont jamais d’ombre. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Anderson a réalisé deux films en stop motion, avec pour le coup de vraies marionnettes, pour aller plus loin encore et tenter de coller le plus près possible à ses obsessions et ses visions.

    « Fantastic Mr Fox » (2010) et « L’île aux Chiens » (2018), deux formidables contes où l’anthropomorphisme nous rappelle que l’animal, même s’il est doué ici de parole, n’est pas semblable à l’homme mais juste une extension de sa réflexion et de son intelligence. Deux films d’animation où toutes les névroses du réalisateur sont traitées comme des histoires pour enfants, avec de l’action et des rebondissements, mais sans jamais se départir de cette distance courtoise installée dans le seul but de mieux critiquer l’espèce humaine et la punaiser au mur.

     

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    L’enfance est omniprésente dans les œuvres de Wes Anderson, au travers d’adultes tous pleins de regrets et de morgue, qui s’épanchent sur leur vie ; comme sur une route, lorsqu’on hésite entre repartir en arrière ou alors continuer droit devant, une route sur laquelle il faudra tout de même avancer un peu et tenter de vivre… Les enfants n’y sont jamais traités comme tels mais plutôt représentés à l’égal des adultes.

    De petites personnes qui font des plans, qui réfléchissent et qui semblent avoir déjà tellement vécu. L’idée de l’enfance et de sa naïveté passe en fait par l’image des films et leur forme. L’enfant est un double, revenu du passé, qui interroge. Il n’a jamais cette image d’innocence et de naïveté, mais fait plutôt figure de vecteur, de lien fort et de placebo pour se (re)construire à nouveau après telle ou telle épreuve.

    Parmi ses films les plus marquants, « La Famille Tenenbaum » fut un rendez-vous miraculeux lorsqu’il sortit en 2001. Nous n’avions pas encore totalement digéré le style de Wes Anderson, mais son art du papier crépon prenait déjà forme et servait merveilleusement l’histoire et ses personnages. On avait affaire à un film délicat, précieux, émouvant, drôle. Tout ce qui devait constituer l’esthétique Anderson était déjà là, et on imaginait avec peine comment le réalisateur allait pouvoir se renouveler, étonner encore, s’il gardait ce même maniérisme, cette intensité dans le détail.

     

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    En 2004, « La Vie Aquatique » constituait une sorte de déclinaison au film précédent, mais dans un décor différent. L’univers précieux d’Anderson était cette fois-ci transposé en version maritime. Cela fonctionnait encore, et le charme opérait.

    « A Bord du Darjeeling Limited » (2007), même s’il pouvait un temps surprendre dans ses nouvelles idées de mises en scène et ses péripéties forcées, avec cette tentative de renouveler cette forme cartonnée avec là encore un nouveau décor – le train, l’Inde, le mouvement pour répondre à l’immobilisme de ces trois frères – sonnait pourtant comme un aveu de redite.

     

    Ces trois œuvres forment ainsi une trilogie dont le thème premier tourne autour de la paternité, de la filiation et de la peur de l’atavisme. Mais peut-on justement répéter à l’infini le même concept ? Est-ce qu’un photographe ou un peintre refait toujours la même chose ?

     

    « Moonrise Kingdom », le sixième film de Wes Anderson, souhaite ainsi s’affranchir de ses trois prédécesseurs, en proposant, avec une affiche qui en dit long sur ce que l’on est invité à voir, une continuité pour les aficionados mais de nouvelles formes à malaxer. Le film semble en effet avoir été conçu pour dénicher de nouveaux adeptes de son univers codifié, tout en caressant dans le sens du poil les fans déjà convertis. Dès le générique, tout dans ce nouvel opus sent le musée, l’exposition, l’encombrement, l’amoncellement. Pour ceux qui découvrent cet univers pour la première fois, il y aura certes la surprise, l’émerveillement sans doute… Mais pour les autres, on se sent à l’étroit dans « Moonrise Kingdom » ; un manque flagrant d’oxygène…

     

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    Cette histoire d’amour entre deux pré-ados n’évoque décidément que des impressions de souvenirs polis mais froissés, sans odeur ni âme. Les mêmes thèmes répétés tout au long du film et époussetés pour l’occasion, paraissent maintenant si prévisibles, si aseptisés, que l’ennui guette à chaque nouvelle scène.

    Quant aux acteurs, fussent-ils utilisés comme fétiches, tel ce bon vieux Bill Murray qui n’a ici pas grand chose à se mettre sous la dent, si ce n’est juste le fait d’être de la partie – « d’en être » – ou toutes les nouvelles têtes (Bruce Willis, Tilda Swinton) qui viennent à leur tour sans doute caresser le vernis de cette oeuvre chic et hype, tout le monde a l’air de s’ennuyer ferme.

    Tout ce principe figé et pince-sans-rire, conçu pour être une marque de fabrique, cette fois-ci ne prend pas. Les péripéties se succèdent telles un cahier des charges. Le duo, tant le garçon que la fille, n’a aucun charisme et ce qui avant nous amusait, comme le fait de ne jamais voir sourire une seule fois les personnages, rend tout le monde juste antipathique.

    Mais fort heureusement, succède à l’insipide « Moonrise Kingdom » le magnifique « The Grand Budapest Hotel » qui marque le retour en grâce du réalisateur de Rushmore. Le film explore de nouvelles thématiques, de nouveaux personnages, et introduit avec cette fresque historique de nouveaux enjeux. Le charme et la magie sont revenus. Le miracle opère et on est surpris, ébahi, enchanté de cette façon virevoltante qu’a Wes Anderson de faire danser autant de personnages (ou de marionnettes…), sans jamais s’emmêler dans les fils. La poésie est intacte et la musique d’Alexandre Desplat contribue à la beauté de ce film.

     

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    A croire que Wes Anderson a encore bien des choses à nous raconter et que son coffre à jouets n’est pas vide. Nous avons hâte de découvrir son prochain film actuellement en post production, « The French Dispatch ». Le réalisateur reste unique dans son genre et est sans doute le seul dans sa partie à émerveiller de façon si intime, juste pour nous.

     

     

     

  • Les Réseaux Sociaux by Hubert

     

     

    Dans ma série de billets d’humeur devenue culte, « Hubert a des p*bip*ains de problèmes dans la vie », je souhaitais aborder aujourd’hui : ceux qui vivent des réseaux sociaux.

     

    Ah, s’esbaudir de ce monde actuel qui n’en finit plus de nous épater et de nous faire rêver… Andy Warhol a dit un jour « A l’avenir, chacun aura son quart d’heure de célébrité mondiale ». S’agirait-il de l’ultime représentation de nos vanités, où vont se conjuguer talent pour le néant, savoir-faire du vide et accessoirement délire mégalomaniaque à tendance schizophrénique ? Voici venu le temps des Influenceuses, des YouTubeurs, des rires et des chants. Avec Internet, c’est tous les jours le printemps. C’est l’univers joyeux des ados heureux, des débiles gentils, oui… oui, c’est un paradis…

    Depuis l’avènement de ce que l’on appelle aujourd’hui « La Toile » et l’émergence de toutes ces nouvelles manières de communiquer, avec l’arrivée des smartphones et de leur capacité en perpétuelle évolution, pléthore d’égos ont pu enfin enfler en toute liberté, sans se voir écartés, bâillonnés, censurés. De façon exponentielle, on a vu fleurir comme narcisses au printemps (métaphore consensuelle, plutôt que d’avoir à évoquer des boutons blancs sur le visage puis sur tout le corps, avec du pue et des asticots en prime…), de parfaits inconnus hier qui, du jour au lendemain, ont envahi ces territoires virtuels.

    Les Youtubeur(ses), les Influenceur(ses), se sont donc auto-proclamés un beau matin, à leur réveil, détenteurs de la simple et pure vérité. Ils seraient le fer de lance, l’étendard de toute une génération en parlant uniquement… D’eux, juste d’eux… D’elles, d’eux, ou encore de leur point de vue, Moi, Je… Je, moi… Moi-Je.

    Alors bien-sûr, on peut concevoir différents angles d’attaque pour aborder le « MOI-JE », comme les secrets de beauté, de minceur, le domaine de la mode, le bon vieux coup de gueule sur n’importe quel sujet dont on ignore à peu près tout, des crottes de caniches sur les trottoirs à la dernière collaboration de la marque H&M avec un célèbre styliste. Des critiques de cinéma ou de jeux vidéo, des apprentis-comiques, des divers complotistes aux geeks en tout genre… Une faune sans limite peut désormais s’exprimer sans avoir à demander ni conseil ni autorisation. Se côtoient ainsi l’à peu près comme plus souvent le pire. De Norman à Soral, choisis ton camp, camarade…

    Grâce au nombre de vues de leurs vidéos, les plus suivis vont toucher des émoluments directement de la publicité, qui est venue se coller comme la vérole sur le bas-clergé à cette manne inopinée. Une nouvelle façon de gagner sa vie qui crée tous les jours des vocations dans ce domaine.

    Mais encore faut-il avoir alors quelque chose de vraiment pertinent à déclamer aux autres simples mortels restés dans l’ombre. Les Grecs comme les Romains avaient bien l’Agora ; un lieu purement démocratique où l’on pouvait venir exprimer ce que l’on voulait, mais à visage découvert.

    Je ne parlerais donc pas de tous ceux restés dans l’anonymat feutré, au chaud, qui à chaque seconde rebondissent sur l’actualité ou sur tout ce qui peut défiler sous leurs yeux, avec comme unique but de se défouler et d’afficher leur morgue, leur frustration, leur appétence à la méchanceté et à la bêtise. Les commentaires zélés, qui à base d’émoticons et d’injures, réduisent la parole et le sens du mot débat au rang de celui du plus pathétique des Facebook Lives.

    Pour ce qui est des Influenceuses, elles aussi sorties de nulle part, mais qui grâce au concours des réseaux sociaux (Instagram, Youtube, Facebook, Twitter…), apparaissent tous les jours, telles de futiles speakerines ou des évangélistes galvanisés par la forme de leur nombril, squattant les interfaces pour répandre leur érudition de « Moi-Je ».

    Sur le principe d’une téléboutique achat 2.0, les Influenceuses vantent les mérites de telle crème à se tartiner sur la tronche, du rouge hyper-rouge gloss à tendance poupouf, et divers autres produits de beauté, en n’oubliant surtout pas de bien mettre en avant la marque qui les sponsorise. Se déclinent ainsi sur le même principe, chaussures, sacs à main, chatons broyés au Magimix pour en faire des masques pour la peau, recettes de cuisine…

    Sans aucune expérience, aucune légitimité, toutes ces chères petites têtes à claques revendiquent de façon schizophrénique le fait d’être en mesure de parler à leur génération, car elles en font partie intégrante, tout en flottant à des kilomètres au-dessus, parce que sinon elle n’auraient pas atteint un tel stade de notoriété. Si au tout début, l’entreprise pouvait paraître amusante, ludique, honnête, voire même intéressante, il y a aujourd’hui des litres de lait pour le corps et de parfums rances qui ont coulé sous les ponts…

     

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    Toutes récupérées par des marques prestigieuses et des sponsors, ces Denise Fabre du net ne font plus que rabâcher sur un ton monocorde ce que le marketing leur a donné (ou plutôt offert) à promouvoir. Et c’est sans compter sur les dizaines de milliers de followers qui justifient chaque jour l’utilité de ces petites VRP en herbe des produits Avon (vendus à l’époque en porte à porte), au prix d’une terrible hypertrophie du pouce droit…

    Croulant sous les cadeaux, les invitations aux fashion weeks (pour les plus hype d’entre elles) ou les séjours dans les hôtels les plus prestigieux, ces influenceuses sont devenues les nouvelles icônes de notre époque, qui déclenchent de véritables scènes de guerre à chaque apparition publique. De l’hystérie collective, des hurlements, des évanouissements et des pipis dans la culotte comme s’il en pleuvait…

    … Sans avoir produit le moindre album de musique, écrit le moindre livre, réalisé le plus petit film ou la moindre série TV… Non. Juste un tutoriel, une webcam dans une chambre pour parler d’un dentifrice génial, de la housse protectrice à oreilles de panda pour téléphone ou encore du gel au wasabi pour les fesses. De bien mauvaises langues ajouteraient que la plupart de ces petites écervelées ultra-connectées gonfleraient le nombre de leurs fans en les achetant à des sociétés basées en Chine, spécialisées dans ce domaine.

    Il se trouve que les « Suiveurs » qui nous servent de gosses ont bien souvent le même âge que leur gourou, entre 13 et 25 ans en moyenne. Une grande partie sont d’ailleurs des adolescents qui à priori n’ont pas les ressources suffisantes pour se payer les articles que promeuvent leurs idoles. Eh oui, nous ne vivons pas forcément une période des plus opulentes… Face à ce constat, certaines marques seraient d’ailleurs déjà en train de rétro-pédaler. On aurait ainsi dernièrement vu durant des fashion weeks des Influenceuses se faire refouler des shows. Il en résulte retour à la triste réalité, eau dans le gaz, indigestion de paillettes, humiliation, frustration, ricanements, pleurs… VDM, quoi…

    Et évidemment, nous n’avons ici abordé que le cas de ces Influenceuses qui vantent les mérites de tel ou tel produit, mais qui ont eu l’occasion de l’essayer, qui se sont tout de même documentées ; bref, qui ont un peu bûché le sujet… Car il y a le degré encore inférieur, une sorte d’infini abyssal empli de vide et constellé de fautes de Français…

    Et puis il y a les blogueuses qui ne proposent en pâture rien de plus que leur propre personne. C’est possible ? Oui, bien-sûr. Pour cela, il faudra tout de même posséder au moins un joli petit minois de poupée maquillée comme une voiture volée. Le plus souvent mineures, voici des lolitas qui ne font que nous exposer leur quotidien d’adolescentes incomprises tellement qu’elles sont belles de trois-quarts, tellement qu’elles arborent bien le duck face, tellement qu’elles sont fortes en selfie. Elles peuvent parfois pousser la chansonnette, glousser comme des dindes ou raconter des inepties. Tout ça pour dire, ça fout quand même les jetons.

    Voilà, on en est là…

    Une autre mouvance rencontre également un incroyable succès, érigée en modèle à suivre par des milliers de petites gonzesses et de petits jean-foutre, dans la continuité des émissions « Anges de Marseille » et autres joyeusetés télévisuelles pas du tout vulgaires et vraiment très très, mais alors très enrichissantes.

    Pour cette catégorie-ci, c’est évidemment à la télé-réalité que l’on pense, vous vous souvenez, quand un jour une petite quiche, sans autre attribut que deux magnifiques lobes cervicaux portés hauts comme un étendard et maniant le couteau comme personne, a prononcé cette sentence propulsée depuis au pinacle de la langue de Molière : « Non mais allo quoi… ! ». Bon, la quiche en question, même avec son araignée au plafond, est devenue célèbre et accessoirement millionnaire ; et le but ultime à atteindre pour celles et ceux qui ne peuvent supporter leur existence que par ce prisme déformant et criard. Etrange renversement des valeurs et d’un syncrétisme jusqu’à présent fragile mais qui fonctionnait. Peut-on en rire plutôt que d’en pleurer ? Ok, mais en se bouchant le nez…

    Enfin pour terminer, permettons-nous tout de même de faire un grand écart trivial, et relativiser à défaut de juger, à l’aune d’un monde uniformisé et devenu tartignole. D’un côté, nous avons les sapeurs-pompiers qui sacrifient leur vie aux autres, avec abnégation et sans aucune reconnaissance ni considération en retour. Bon, ne grossissons pas le trait démesurément non plus ; dans certaines banlieues, on leur renvoie quand même des frigos, certes, sur le coin de la tronche depuis les toits…

    Et de l’autre côté, toutes ces créatures bi-dimensionnelles à la réalité aléatoire, mi-humaines, mi-photoshopées, qui se voient offrir des fortunes, de la gloire et tout l’amour de foules finalement pas si sentimentales, qui ont enfoui aux tréfonds d’elles-mêmes leurs dieux originels, leurs rêves et leurs espoirs, pour les remplacer par ces ersatz gonflés à l’hélium. Etre coûte que coûte connu ne serait-ce qu’une minute, reconnu, célébré comme les héros naguère, juste pour un sourire de l’autre, qui pourtant ne signifie plus rien. Ô insondable tristesse…

    Mais vous n’êtes pas obligés de me croire…

     

     

     

  • The Neon Demon : Belles de Nuit

     

     

    Avec « The Neon Demon » sorti en 2016, Nicolas Winding Refn n’a définitivement pas fini de magnifier nos cauchemars en susurrant à l’oreille des démons…

     

    Depuis la sensation « Drive », ses scènes d’action ultra-violentes et l’hyper masculinisation de Ryan Gosling, arborant un blouson avec un scorpion brodé au dos, puis avec la castration du même Gosling dans « Only God Forgives », son film suivant dans lequel le héros blond à l’œil passablement vide devient le jouet de sa mère dans un Bangkok fantasmé, le réalisateur Nicolas Winding Refn n’en finit pas de brouiller les pistes et nos certitudes en des tours de passe-passe singuliers. Un glissement où la représentation absolue du mâle finit, avec ce dernier opus « The Neon Demon », par devenir une femme incandescente, souveraine et elle aussi toujours aussi dangereuse.

    Ces trois films forment ainsi une trilogie autour d’une réinvention des années 80, avec une esthétique, des motifs et un son empruntés à cette époque. A l’instar de Wong Kar Waï, Michael Mann, David Lynch, Brian De Palma, ou encore d’un Dario Argento, Nicolas Winding Refn se sert de ses illustres modèles pour à son tour livrer sa perception d’une idée ou deux qu’il utilisera comme prétexte afin de toujours nous raconter un peu le même film. « Drive » avec le polar, le film de vengeance, le cinéma. « Only God Forgives » avec le thème de la mafia, du film noir. Quant à « The Neon Demon », il nous parle du monde de la mode, de la beauté comme vecteur de ce milieu, de la jeunesse comme Nivarna à reculons, de vampirisme, de cannibalisme et de cinéma d’horreur. Des thématiques que le réalisateur de la trilogie « Pusher » va décliner comme autant de reflets et d’éclats de miroir.

    « The Neon Demon » n’est cependant pas une critique de la mode, de son monde ou de ses représentations, pas même encore une vision de la femme, de l’argent, des apparences, de notre société ou de son nihilisme. Non, c’est un trip étrange et maniéré, sophistiqué à l’extrême, sidérant, somptueux, où y apparaissent dans des ambiances toujours plus 80’s les fantômes de films cultes de cette époque. « Looker », « Suspiria », « Les Prédateurs »… Los Angeles est le parfait écrin pour signifier la ville ultime de tous les pêchés, tel un aimant à fantasmes, à désir et à mort. Ville monde-cimetière où des harpies mettent en charpie pour s’en repaître d’innocentes victimes qui découvriraient trop tard ce qui exalte la beauté.

    Si le réalisateur danois de Branson exhume autant de splendeurs cinématographiques venant des eighties, en les agitant sans vergogne dans ce film en un patchwork stylisé, il sait qu’il n’abîme ni ces modèles d’antan, ni ce qu’il tricote aujourd’hui. Le tout forme un poème visuel et vénéneux, une ode fait de lumière aveuglante et d’ombres inquiétantes. Mais en aucun cas, on nous sert un film prétentieux ou poseur. Paradoxalement, il s’agirait plutôt pour Nicolas Winding Refn de son film le plus drôle et le plus léger de toute sa filmographie.

    Le score de Cliff Martinez (probablement l’un de ses meilleurs depuis celui de « Solaris ») hypnotise les images. Là aussi, le compositeur de « Drive » et « Only God Forgives » convoque toutes les sonorités 80’s, électroniques, inquiétantes et luxuriantes, rappelant ainsi Tangerine Dream, Vangelis, Carpenter. Des sonorités flottantes au grès des scènes, comme des îlots… « The Neon Demon » est un archipel perdu dans cet océan amniotique, mais sans eau. Juste du sang. Un sang convoité par des bouches avides et cruelles.

     

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    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Dévoreur Hubertouzot

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : Photographe dévoreur d’images

     

     

     

  • Rick Owens : La Prophétie

     

     

    Après les années 80/90 et l’avènement de cette nouvelle génération de créateurs minimalistes appelée « Anti-Fashion », d’abord Japonais puis Belges, Coréens et même Américains (Yohji Yamamoto, Ann Demeulemeester, Raf Simons, Alexander Wang, Tom Brown), ces vagues successives de talents, qui ont repensé le vêtement en lui donnant du sens, se sont soit essoufflées courant des années 2000, soit diluées dans leurs propres figures de style. Désormais, parmi tous ces labels, surnagent toujours ici et là des étincelles, des fulgurances, mais la magie semble elle s’être bel et bien évaporée.

    Et c’est aussi sans compter avec ce nouveau règne des communicants et divers grands groupes comme LVMH pour enfoncer le clou, en proposant depuis la fin des années 90 de nouvelles tendances ennuyeuses, falotes, sans prise de risque, qui se contentent de reproduire à l’infini des déclinaisons de formes et de styles qui uniformisent toujours un peu plus le paysage de la mode. La petite veste, les petites chaussures, la petite robe, la petite cravate, le pantalon comme ça, avec le petit détail là… Des directeurs artistiques interchangeables qui ricochent de maisons jadis prestigieuses en autres noms récupérés au service du vide et de la fatuité.

     

    A contre-courant total, l’Américain Rick Owens, qui a étudié la mode à Los Angeles, se fraye un chemin pour venir proposer dès 1994 un retour aux sources, avec des lignes radicales, pures, extrêmes. En 2001, il s’ouvre à l’international et sa marque prend alors une nouvelle tonalité, une nouvelle dimension.

     

    Au premier abord, la silhouette Rick Owens se doit d’être futuriste. Impression renforcée lors des défilés qui baignent dans des ambiances bétonnées, froides, énergiques, saccadées, syncopées et rythmées par une bande son électro-transe engourdie d’infra-basses. Silhouettes malingres de mannequins, qui d’un pas rapide souhaitent à peine être vues. Chaussées d’énormes souliers d’inspiration militaire, les silhouettes furtives déambulent, drapées dans des habits fluides, altiers et élégants. Volumes et paradoxes, contradiction et choc… A y regarder de plus près, ces formes, ces allures, renvoient aussi et surtout à un monde du passé, loin, très loin… Une époque Babylonienne. Lorsque l’homme portait la robe et inspirait dans le même temps une impériale masculinité. Les bras dégagés, forts, dessinés, arborant bracelets et bijoux de métal brut. Rick Owens rappelle lui-même cette silhouette antique. Des temps consistant pour les historiens en des sommets de civilisation, juste avant que les religions monothéistes ne s’installent durablement et apportent leur lot de ruines.

    Rick Owens, en parfaite adéquation avec ce qu’il fait, arbore quant à lui une longue chevelure de jais. Son regard est doux et intense à la fois, marque de tous ceux nés sous un signe d’eau, et plus précisément en ce qui le concerne celui du Scorpion. Le style de ses vêtements et de ses accessoires marie cette même intensité et cette même douceur. Le corps se montre car il est sacré. La chair est belle car elle est notre représentation sur terre et le monde tangible de la matière. Mais l’esprit n’est jamais loin. Il flotte au dessus, partout, et il est doux, bienveillant. Il célèbre le corps et doit aussi le protéger. Dans certaines formes des vêtements du Californien mystique, il y a cette notion de protection. Des cocons, voire même des maisons avec des toits nous protégeant des cieux, des dieux et de leurs colères.

     

    Rick Owens semble prophétiser notre avenir. Celui qui ne laissera guère de place pour les plus faibles d’entre nous…

     

    Ce que certains prennent pour de l’outrance n’est chez lui que pure poésie. Et ce que d’autres pressentent comme premier degré et grandiloquence ne voient pas l’infinie délicatesse de ce regard perçant posé sur le monde. Un regard inquiet mais lucide. Savoir comprendre et bien s’entourer… Michèle Lamy, son épouse, est celle qu’il considère comme son égérie, sa muse, quand cet exact contraire semble apporter toute la dose de mystère et de mysticisme qui confère à la Maison Rick Owens cette étrange patine, cette impression sacrée et païenne à la fois. C’est le styliste Panos Yiapanis qui depuis 2003 modélise et concrétise les visions du plus gothique des Américains à Paris.

    Rick Owens est peut-être une synthèse de trente années de mode radicale et anticonformiste, mais il se garde bien de vouloir plaire à tout prix ou de désirer flatter son auditoire. Il est la jonction entre deux mondes parallèles, là même où les époques s’emboîtent, telles des pièces de cuir ou de tissu, comme autant d’oracles. Et l’avenir y est inscrit…

     

     

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