Catégorie : Peinture

  • Edward Hopper, peintre des illusions perdues

     

     

    Dans « Nighthawks », le célèbre tableau peint par Edward Hopper en 1942, personne ne parle. Chacun y est isolé dans son monde. L’œuvre est une icône tellement forte qu’elle résonne de plus en plus, et est aujourd’hui très souvent utilisée ou détournée, que ce soit dans une pub pour des Lego, ou dans un clin d’œil à Star Wars…

     

    Chaque exposition de ce peintre est un événement… Car Edward Hopper est un mythe, mais surtout une belle énigme. Alors pourquoi une peinture si mélancolique ? Quels sont ses secrets ? Et pourquoi fascine-t-il autant les graphistes et le cinéma ?

    Hopper est né en 1882. Il va ainsi prendre de plein fouet la crise économique de 1929. Avec quelque douze millions de personnes plongées dans la misère et un taux de chômage de 24 %, c’est une période maudite de l’histoire américaine qui laissera des traces dans sa peinture. Très souvent, dans ses tableaux, on trouve des couleurs inquiétantes, une solitude troublante et une mélancolie qui mettent mal à l’aise. Les personnages semblent pris au piège dans les limites du tableau.

     

    « Les tableaux de Hopper sont les écrans de projection des fantasmes de ceux qui les regardent. » (Didier Ottinger, commissaire de l’exposition Hopper au Grand Palais en 2016)

     

    Les lectures des tableaux de Hopper peuvent être multiples. Parmi ceux-ci, le plus célèbre, « Nighthawks », où quelques personnages s’attardent dans un bar de nuit, dans une ambiance verdâtre. Une source possible d’inspiration de la scène est une nouvelle d’Ernest Hemingway, « Les Tueurs », écrite en 1927. Hopper est en effet un grand admirateur de l’écrivain qui, pour lui, représente la vraie littérature américaine, débarrassée de la narration à l’eau de rose.

    Autre piste, le « Café de Nuit » à Arles de Van Gogh, peint en 1888. Ou encore « La Ronde de Nuit » de RembrandtNighwatch » en anglais). En tout cas, « Nighthawks » peut être en lien avec la réalité directe de l’époque : il a été peint juste après Pearl Harbour, à un moment où les Américains sont en pleine psychose.

     

     

     

     

    A l’instar des photographies de Walker Evans, Edward Hopper ne peint pas des personnages, mais nous dépeint une époque, nous campe un décor et nous fait ressentir une ambiance, une atmosphère. Les plans sont larges, et contrastent étonnamment avec l’immobilisme et l’attente qui règnent dans ses tableaux. Comme si ces êtres qui les habitent, qui n’en sont qu’une composante parmi d’autres, espéraient en vain que quelque chose se passe.

     

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    Hopper est le peintre des illusions perdues, et ses tableaux résonnent étrangement aujourd’hui, sur fond de crise économique latente, de repli sur soi, d’individualisme, de peur de l’avenir et de pandémie mondiale. « Nous vivons tous dans un tableau de Hopper… », tweetait ironiquement le biographe Michael Tisserand, confiné comme plus de trois milliards de ses congénères dans le monde en mars et avril 2020.

     

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    Témoin direct de l’évolution consumériste de l’Amérique, le peintre Edward Hopper s’opposera toute sa vie à cette fatalité. Les personnages de ses tableaux, passifs, seraient-ils des figures d’une protestation silencieuse ? Dans ses oeuvres, le temps est suspendu, mais beaucoup s’y dit…

     

    Célèbre pour ses personnages seuls et ses paysages urbains déserts, Edward Hopper aura su capter la solitude post-moderne, dans ce qu’elle a de plus inquiétant. En mars et avril 2020, ce qui semblait allégorique jusque là devint, littéralement, le portrait quotidien de trois milliards d’êtres humains confinés. Par un charmant anachronisme, nous tenons là l’artiste de l’ère du coronavirus.

    Pour preuve que « Nighthawks » dépeint une situation humaine et sociale qui semble être encore d’actualité, jamais aucun tableau n’aura inspiré autant d’adaptations ou de détournements. En voici un petit florilège, en commençant forcément par l’original…

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • L8zon, le crayon comme porte-voix

     

     

    Chez L8zon, la passion du dessin s’enracine dans l’enfance. Le crayon comme porte-voix, tel un étendard qui, couplé à son addiction à la musique punk rock, lui servira à exprimer pleinement sa révolte intérieure contre une société qui ne lui convient pas.

     

    Autodidacte, Stéphane Leroy aka « L8zon » utilise le crayon et le pastel pour mieux explorer d’autres continents, ceux de paysages hyperréalistes puis surréalistes. Autant d’univers qui restent à inventer… Mais cette technique, trop limitée à son goût, ne permet pas à l’artiste touche-à-tout de s’exprimer comme il l’entend : pleinement. Quant au format, trop réducteur, il ne lui suffit plus.

    L8zon a besoin d’air, d’espace, d’amplitude. Il se tourne alors vers la bombe aérosol et les pochoirs font leurs premières incursions dans ses oeuvres. La contrainte s’évapore tandis que l’art urbain devient sa marque de fabrique.

    Travailleur acharné, L8zon n’a de cesse que d’affiner sa technique, le grain de ses créations, afin d’obtenir cet hyperréalisme dont il rêve tant depuis des années. Les supports divers qu’il utilise, entre palette, carton, ardoise ou encore disque vinyle, lui offrent toute une gamme de moyens, dans le seul but de s’affranchir des règles établies.

    La liberté est désormais la muse qui guide ses mains, l’amenant jusque dans les collèges, afin de transmettre et faire naître, qui sait… Cette étincelle d’indépendance chez des élèves en quête de sens, gardant en mémoire cet élève qu’il fut aussi.

    Au cours de ces mois éprouvants que nous venons de traverser, comme d’autres street artists, L8zon s’est senti obligé d’évoquer l’actualité dans ses dernières oeuvres, d’abord pour y transmettre un message, mais aussi afin de participer à l’effort de soutien aux personnels soignants des Ardennes, dans cette région qu’il aime tant.

    A découvrir…

     

     

     

     

     

     

     

    © Toutes les photos utilisées dans l’article sont publiées avec l’aimable autorisation de L8zon

     

     

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  • Florent Touchot et sa petite musique

     

     

    Artiste plasticien et photographe, Florent Touchot travaille le papier, la matière brute et urbaine, mais aussi le plexiglass qu’il utilise comme support photographique. Ses pièces sont exposées en France, en Chine, aux Etats-Unis, en Angleterre ou encore en Allemagne.

     

    Florent Touchot trouve son inspiration dans la diversité et le mouvement incessant de la vie urbaine. Ses sujets de prédilection : les perspectives du métro aérien parisien, les gares, l’architecture française, les rues de Paris, Marseille et New York, mais aussi les icônes pop. Ses créations sont influencées par la culture urbaine et populaire, entre tradition et modernité.

    Sa technique de création est mixte, entre collage, marouflage, photographie et acrylique sur toile. Florent Touchot utilise comme base des morceaux d’affiches récupérés dans le métro parisien, les brocantes ou directement sur les murs de Marseille et Paris, au gré de ses déambulations.

    Son travail consiste ensuite à superposer ces compositions de collage avec des tirages photographiques sur plexiglass. Son approche novatrice allie le « désordre » des morceaux de lacérations urbaines extraits de leur « milieu naturel » à la rigueur de la composition de l’image photographique.

    L’univers de Florent Touchot est dynamique et coloré. En arrachant les couches de papier au fil de ses pérégrinations urbaines, il dévoile des histoires, ses histoires… On entre dans le coeur même de l’œuvre, par un jeu de reflet et de transparence. La profondeur des superpositions, entre publicités froissées, grattées, déchirées, sculptées afin de leur donner un relief, une dynamique visuellement cohérente et les impressions photographiques, se trouve accentuée par le noir sur des plaques de plexiglass.

    C’est alors qu’apparaissent des jeux d’optique, d’ombre et de lumière sur les murs de la ville, qui mettent à l’épreuve notre propre ressenti comme nos souvenirs les plus enfouis. On y retrouve des sensations, des images, des couleurs, des typographies, des mots et des souvenirs familiers, mis en scène et partagés par l’artiste. Les toiles de Florent Touchot parlent à chacun de nous et nous offrent une vision chaotique dans laquelle l’ordre se fait finalement au gré de notre mémoire personnelle et intime.

    Nous ne pouvions pas évoquer le travail de Florent Touchot sans préciser qu’aujourd’hui, les expositions sont annulées, les salons repoussés et les ateliers fermés. Il ne reste donc que le web pour offrir de la visibilité aux artistes. La situation que nous connaissons depuis deux mois est inédite. Alors saisissons cette occasion unique de nous arrêter un moment, de prendre un peu de recul et de repenser à ce qui constitue les fondamentaux de notre vie, entre famille, nourriture du corps comme de l’âme…

    Certes, une oeuvre d’art, quelle qu’elle soit, n’a jamais changé le monde, mais elle participe à notre équilibre intérieur. Eh oui, évidemment, lorsque les temps sont durs et que nous ne sommes pas le patron de LVMH, nous pouvons être réticents à nous offrir une oeuvre qui nous murmure à l’oreille, à chaque fois que nous la voyons, mais ça ne nous empêche pas de donner tout l’écho possible à l’artiste qui l’a créée.

    Jusqu’au moment où, dans des jours meilleurs, nous ne sommes (évidemment…) toujours pas le patron de LVMH, mais nous décidons néanmoins de nous lancer, car nous avons besoin des artistes, ceux qui nous susurrent leur petite musique à l’oreille, comme ils ont besoin de nous, dans des périodes troubles comme celle que nous connaissons aujourd’hui… Après tout, une oeuvre nous est probablement plus essentielle que vingt jeans estampillés « Made in Bangladesh » à 135 euros pièce chez G Star, vous ne pensez pas ?

     

    « Sous la plume, sous le pinceau, sous le burin, toute vérité se réduit seulement à une vérité artistique. » (Romain Gary)

     

     

    « Orchestration » (Pièce unique, 2019) – Technique mixte sur toile, impression sur plexiglass (100 x 100 cm)

     

    « Lacérations Parisiennes » (Pièce unique, 2019) – Technique mixte sur toile, impression sur plexiglass (100 x 100 cm)

     

    « Ciel de Traîne » (Pièce unique, 2019) – Technique mixte sur toile, impression sur plexiglass (100 x 100 cm)

     

    « Brut » (Pièce unique, 2019) – Technique mixte sur toile, impression sur plexiglass (130 x 89 cm)

     

    « Matts Grill » (Pièce unique, 2020) – Technique mixte sur toile, impression sur plexiglass (130 x 97 cm)

     

    « Smith’s Bar » (Pièce unique, 2017) – Technique mixte sur toile, impression sur plexiglass (65 x 92 cm)

     

    « Piccadilly Circus » (Pièce unique, 2020) – Technique mixte sur toile, impression sur plexiglass (130 x 89 cm)

     

    « Fifth Avenue » (Pièce unique, 2019) – Technique mixte sur toile, impression sur plexiglass (89 x 130 cm)

     

    « Au Revoir Paris » (Pièce unique, 2019) – Technique mixte sur toile, impression sur plexiglass (92 x 60 cm)

     

    « Départ en Vacances » (Pièce unique, 2019) – Technique mixte sur toile, impression sur plexiglass (130 x 81 cm)

     

    « London Eye » (Pièce unique, 2020) – Technique mixte sur toile, impression sur plexiglass (89 x 130 cm)

     

    « La Tamise » (Pièce unique, 2019) – Technique mixte sur toile, impression sur plexiglass (81 x 130 cm)

     

    « Un Pez » (Pièce unique, 2019) – Technique mixte sur toile, impression sur plexiglass (60 x 92 cm)

     

    « Coca » (Pièce unique, 2017) – Technique mixte sur toile, impression sur plexiglass (46 x 33 cm)

     

     

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  • Pierre Soulages fêtait ses cent ans le 24 décembre

     

     

    Pierre Soulages, un des plus grands artistes vivants, fêtait ses cent ans le 24 décembre 2019. Retour sur 80 ans de création, des brous de noix de ses premières oeuvres à l’Outrenoir, en passant par les fameux vitraux de l’abbatiale de Conques.

     

    Pierre Soulages fêtait donc son centième anniversaire ce mardi 24 décembre. Et le père de l’Outrenoir travaille toujours. Trois des œuvres exposées dans le cadre prestigieux de l’exposition-hommage du Louvre, qui a débuté le 11 décembre, ont d’ailleurs été peintes en 2019. Retour sur plus de 80 ans de carrière du plus grand artiste français vivant.

     

    « Enfant, je préférais tremper mes pinceaux dans l’encre noire plutôt que d’employer des couleurs. On m’a raconté que je faisais de grands traits noirs sur le papier, j’aurais répondu que je faisais de la neige », racontait Pierre Soulages en 2009, lors de la rétrospective organisée par le Centre Pompidou pour ses 90 ans. Il rendait ainsi le blanc du papier plus blanc en mettant du noir…

     

    Pierre Soulages a toujours aimé le noir : « Ce fut la couleur de mes vêtements dès que j’ai pu les choisir. Ma mère était outrée. Elle me disait : ‘Tu veux déjà porter mon deuil ? » », racontait-il à l’AFP en février dernier. Et c’est aussi en noir qu’il s’est marié en 1942 avec Colette, dont il partage la vie depuis 77 ans. En 1979, Pierre Soulages a commencé à ne mettre que du noir sur ses toiles, inventant ce qu’il a appelé l’Outrenoir, un autre « champ mental que le noir ».

     

     

     

    Le choc de Conques

    Pierre Soulages est né en 1919 à Rodez, dans l’Aveyron. Son père, un carrossier qui fabrique des charrettes, meurt alors qu’il n’a que sept ans. Il est élevé par sa mère et sa sœur plus âgée que lui. Enfant, il s’évade en fréquentant les artisans de son quartier. Il en gardera un goût pour les outils, utilisant des pinceaux de peintre en bâtiment ou fabriquant lui-même ses instruments.

    Lors d’un voyage de classe, il visite l’abbatiale romane de Conques (dont il créera les vitraux, bien des années plus tard), un choc esthétique qui décidera de sa carrière : « C’est (…) là, je peux le dire, que tout jeune, j’ai décidé que l’art serait la chose la plus importante de ma vie », disait-il dans un entretien à la Bibliothèque Nationale de France en 2001.

    Il peint régulièrement à partir de 1934 et monte à 18 ans à Paris pour préparer le concours de l’Ecole des Beaux-Arts. Il est admis mais il trouve l’enseignement médiocre et décide de retourner à Rodez.

    La période de la guerre est mouvementée : il est mobilisé en juin 1940, démobilisé début 1941, il étudie à l’Ecole des Beaux-Arts de Montpellier, puis travaille dans un vignoble sous une fausse identité pour échapper au travail obligatoire en Allemagne.

     

     

     

    Soulages, ce n’est pas que le noir

    La carrière de peintre de Pierre Soulages commence réellement quand il s’installe à Courbevoie, en banlieue parisienne, avec Colette, en 1946. D’emblée, ses œuvres sont abstraites. Il combine d’épaisses lignes verticales, horizontales, obliques, comme des idéogrammes. Il peint sur papier avec du brou de noix, sur des verres cassés avec du goudron.

    Au-delà de Conques, il a été impressionné par l’art pariétal, dans lequel il puise ses couleurs. Des couleurs sourdes, de l’ocre au noir en passant par le rouge ou des bruns plus ou moins intenses. Pierre Soulages a employé le brou de noix, le goudron, le noir de fumée, le noir d’ivoire, toutes matières organiques qui réfèrent à l’art de la préhistoire, aux premiers signes tracés à l’aide d’un morceau de charbon de bois dans l’obscurité des grottes. La peinture de Pierre Soulages dialogue avec la Peinture elle-même…

    A partir de 1951, Soulages pratique aussi la gravure, sur plaques de cuivre. Ses estampes de petite taille utilisent toutes ces couleurs, en contraste avec le noir. Il réalise plus tard des lithographies où il utilise des couleurs plus vives, rouge vermillon, jaune vif, bleu. Puis des sérigraphies (c’est une sérigraphie de Soulages qui est d’ailleurs utilisée pour l’affiche du festival d’Avignon en 1996). Sur papier, il peint des gouaches où il introduit des bleus intenses et lumineux.

    Dans ses peintures des années 1950-1970, il fait contraster des formes noires avec des fonds colorés, puis il fait apparaître les couleurs du fond en raclant le noir. Ou bien il fait contraster le noir avec le blanc.

     

     

     

    L’outrenoir : le noir et la lumière

    C’est en 1979 que Pierre Soulages invente le mythique Outrenoir et ces toiles, pour lesquelles il est le plus connu, où il n’utilise que le noir. En 2009, lors de la rétrospective du Centre Pompidou, il expliquait à l’historien de l’art Hans-Ulrich Obrist que l’Outrenoir est né alors qu’il était en train de « rater une toile. Un grand barbouillis noir ». Déçu par le résultat, il est allé dormir. « Au réveil, je suis allé voir la toile », racontait-il. « Et j’ai vu que ce n’était plus le noir qui faisait vivre la toile mais le reflet de la lumière sur les surfaces noires. Sur les zones striées, la lumière vibrait, et sur les zones plates tout était calme ». Un nouvel espace s’ouvre, pour lui, devant la toile : « La lumière vient du tableau vers moi, je suis dans le tableau ».

     

    « Pour ne pas limiter ces peintures à un phénomène optique, j’ai inventé le mot Outrenoir, au-delà du noir, une lumière transmutée par le noir et, comme Outre-Rhin et Outre-Manche désignent un autre pays, Outrenoir désigne aussi un autre pays, un autre champ mental que celui du simple noir. » (Pierre Soulages)

     

    Il se met alors à jouer avec la matière de la peinture noire qu’il travaille avec des outils, créant du relief, la rendant luisante ou mate. Dessus, la lumière produit des changements de couleur. D’une toile en trois panneaux (Peinture 222 x 449 cm, 30 septembre 1983) qu’il avait observée chez lui à Sète, près de la Méditerranée, et qu’il présentait au Centre Pompidou en 2009, Pierre Soulages a dit : « Certains matins, elle est gris argent. A d’autres moments, captant les reflets de la mer, elle est bleue. A d’autres heures, elle prend des tons de brun cuivré (…). Un jour, je l’ai même vue verte : il y avait eu un orage et un coup de soleil sur les arbres qui ne sont pas loin de là ».

     

     

     

    Voir Soulages, de Conques à Rodez

    Les vitraux de l’abbatiale de Conques, une commande publique, sont une des grandes œuvres de Pierre Soulages. Elles lui ont demandé sept ans de travail, entre 1987 et 1994. Pour les 104 verrières, il a imaginé un verre particulier, créé avec le maître-verrier Jean-Dominique Fleury. Il utilise l’opacité et la transparence qu’il a réparties pour faire varier les intensités lumineuses en fonction de l’heure du jour : cela a donné des effets de couleurs inattendus. Des lignes fluides, obliques, légèrement courbes, courent sur le verre.

    Un autre lieu qu’il faut visiter absolument pour rencontrer Soulages, c’est le musée qui lui est consacré dans sa ville natale et qui possède le plus important ensemble de ses oeuvres. Le Musée Soulages de Rodez a ouvert ses portes en mai 2014. L’artiste en a accepté l’idée à condition qu’il soit ouvert à d’autres artistes. Il a fait une donation de 500 pièces au musée, dont de nombreuses gravures, des gouaches, des encres, des brous de noix, des huiles sur toile et tous les travaux liés à la création des vitraux de Conques (notamment les cartons). Il y a ajouté quatorze peintures dont un Outrenoir de 1986.

    Pour ses cent ans, le Louvre rend hommage à Pierre Soulages en exposant dans le Salon Carré une sélection d’une vingtaine d’œuvres couvrant toute sa carrière, prêtées par les grands musées du monde (du 11 décembre 2019 au 9 mars 2020). Le Centre Pompidou expose également une sélection de 14 des 25 œuvres de l’artiste conservées dans sa collection, dont sept provenant du legs de Pierrette Bloch jamais encore montrées au Centre. Le Musée Fabre de Montpellier, qui possède une collection importante de Soulages, lui rend aussi hommage avec un parcours enrichi de nouvelles oeuvres, dont des prêts.

     

    Source : France Info Culture

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Pierre Soulages, derrière le noir, la quête de la lumière

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    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Le Siècle Soulages à Rodez

     

     

     

  • Quand Jim Fitzpatrick créait la pochette de l’album « Black Rose, a Rock Legend »

     

     

    Suivons les étapes successives de la conception de la pochette de l’album mythique de Thin Lizzy « Black Rose, a Rock Legend » par le dessinateur Jim Fitzpatrick en 1979.

     

    Voici quelques-unes des planches préliminaires du design de la pochette de l’album de Thin Lizzy sorti en 1979, « Black Rose, a Rock Legend », commentées par son créateur lui-même…

    En général, le travail de conception du design d’une pochette d’album démarre par un brief avec le groupe ou la maison de disques, mais dans ce cas précis, le dessinateur Jim Fitzpatrick deala à l’époque uniquement avec Phil Lynott, en solo.

    Les deux compères se connaissaient déjà plutôt bien et Phil Lynott participa activement à la création de cette pochette devenue mythique, en s’appuyant d’abord sur des esquisses brutes tracées au crayon ou sur de simples griffonnages, voire au téléphone… Vous savez, à cette époque bénie où un simple coup de fil depuis Dublin à Londres coûtait un bras…

    Dans le cas de « Black Rose », Phil Lynott souhaitait dès le départ une pochette assez réaliste. « Rien de bien compliqué », comme il se plaisait à le dire. Mais compliqué, ça le fut finalement. Car l’idée de départ d’une rose noire assez réaliste s’avéra en fait beaucoup plus complexe à réaliser que prévu.

    Lynott avait demandé auparavant à un photographe londonien de lui soumettre des clichés d’une rose noire pour la pochette d’un single extrait du futur album. Pour prendre ces photos, une belle rose rouge avait été pulvérisée avec de la peinture noire et fanée artificiellement pour les besoins de la photo. Le résultat ne fut pas vraiment satisfaisant et la rose paraissait plus morte qu’un clou de cercueil…

    Pendant ce temps, Jim Fitzpatrick faisait de son coté quelques essais, en partant de clichés en noir & blanc de roses qu’il tentait de coloriser. Mais Lynott n’était pas plus convaincu.

    Voici donc quelques ébauches de la fameuse pochette que Jim Fitzpatrick a déterrées pour nous…

     

    01. Esquisse brute d’une rose noire, tirée d’une photo de vraie rose, mais qui semblait quelque peu… morte.

     

     

     

    02. Phil suggéra aussi l’idée d’une pochette un peu sexy, suite à une conversation assez arrosée un soir au Bailey Pub à Dublin. Le dessinateur imagina donc une rose noire tatouée sur la cuisse d’une femme, mais l’idée ne fut pas retenue, jugée trop sexiste et macho. Une version en couleur existe, mais toujours enfouie à ce jour dans le fatras du grenier de Fitzpatrick…

     

     

     

    03. Une composition brute utilisant une police de caractère de type élisabéthain fleuri.

     

     

     

    04. Une autre composition griffonnée au crayon de bois, se rapprochant déjà plus du résultat final.

     

     

     

    05. Jim Fitzpatrick part finalement sur cette dernière idée et dessine au crayon cette magnifique rose noire. Après quelques tentatives infructueuses, le résultat lui semble assez satisfaisant pour le soumettre à Lynott qui lui donne son feu vert quelques jours plus tard. « J’adore, Jimmie. Tu peux partir là-dessus. »

     

     

     

    06. Le croquis final au crayon de bois, avec logo et lettrage du titre.

     

     

     

    07. L’étape suivante de la pochette ainsi que le lettrage définitif du titre de l’album restent introuvables au fin fond du grenier de Fitzpatrick…

     

     

     

    08. Le lettrage définitif du titre de l’album au stylo et à l’encre, de style élisabéthain, inspiré du travail du célèbre typographe anglais Herb Lubalin pour le magazine « Avant-Garde » qui paraissait à la fin des années 60.

     

     

     

    09. Le croquis final réalisé au crayon, très détaillé, fut ensuite photographié, tracé et redessiné à l’aérographe, puis peint à l’aide d’encres transparentes afin de laisser les lignes de crayon apparentes. Le fond était composé de plusieurs couches successives de peinture bleue, séchées et fixées au vaporisateur.

     

     

     

    10. Le résultat final, avec l’ajout de gouttes de sang sur la rose, pour que la pochette ne se résume pas à un vulgaire croquis botanique. L’idée de ces gouttes de sang surgit juste avant que la maquette ne soit livrée pour impression.

     

     

     

    Quant à l’idée initiale de la pochette de l’album « Black Rose, a Rock Legend », elle provient d’un poème qu’on apprenait à l’école en ce temps-là, un de ces vieux poèmes irlandais dont Phil Lynott s’inspirait tant : « I See His Blood Upon The Rose », écrit en 1916 par le leader nationaliste irlandais Joseph Mary Plunkett, qui fut exécuté durant l’écrasement de l’insurrection la même année et qui en reste encore aujourd’hui l’icône.

    Lorsque Fitzpatrick soumit l’idée à Lynott, il fut emballé. Le dessinateur avait besoin d’un ou deux jours supplémentaires pour finaliser la maquette définitive, mais pressé par le temps, il fut contraint de travailler toute la nuit pour pouvoir livrer son oeuvre à la maison de disques.

    Quarante ans après la sortie de l’album mythique de Thin Lizzy, Jim Fitzpatrick est toujours aussi fier d’en avoir réalisé la pochette, en collaboration avec son ami Phil Lynott, disparu en 1986 : « Yep, Philip, really, really loved this one, and the rest is only rock history ».

     

     

     

  • Miss.Tic habille les murs et déshabille son âme

     

     

    Depuis trente-quatre ans, Miss.Tic sillonne Paris, semant sur les murs de la capitale ses pochoirs de femmes sexy agrémentés de messages tant poétiques qu’incisifs. En octobre 2015, elle fêtait ses trente ans de street art avec la sortie d’un livre : « Flashback, 30 ans de carrière ».

     

    Ses femmes sont fatales : décolleté plongeant, robe colorée, silhouette séduisante. À côté d’elles, on peut lire « Je t’aime temps », « On ne radine pas avec l’amour » ou encore « L’avenir a une excellente mémoire ». La street artist Miss.Tic s’expose librement sur les murs de Paris depuis 1985, entre désinvolture et poésie. Elle offre à voir la liberté féminine, provocante et assumée, à travers des pochoirs de silhouettes de femmes sans cesse renouvelées.

    Pour célébrer ses trente ans de révolte artistique, Miss.Tic nous offrait donc en octobre 2015 son livre-rétrospective « Flashback, 30 ans de carrière ». Sans prétendre y recenser toute sa carrière, elle y revenait cependant sur des moments clefs qui l’ont fondée. Les images, les souvenirs et les confidences s’y mêlent, et lèvent une partie du mystère Miss.Tic.

     

     

     

    Retrouvons Miss.Tic en interview. C’était en février et c’était bien…

     

    Miss.Tic, une de vos passions depuis toujours est de rendre l’art accessible à tous. Si on montre votre travail à n’importe qui, il se dira sûrement : bien-sûr, je ne connais qu’elles. Ces femmes brunes et sexy dessinées au pochoir et accompagnées de messages aussi poétiques qu’incisifs. D’où vous vient cette volonté de démocratiser l’art ?

    Démocratiser, c’est un terme que je n’aime pas beaucoup. Je préfère l’idée de rendre l’art accessible à tous. Et c’est vrai que j’ai toujours souhaité démolir ce mur qui empêche le commun des mortels d’accéder librement aux lieux où l’art s’expose en général, les galeries, les musées. Et le fait de montrer mon travail dans la rue, en allant au devant des gens, y a contribué.

     

    On vous trouve aussi sur des briquets ou des affiches. Pourquoi ce besoin de multiplier les supports ? C’est une façon d’être visible par le plus grand nombre ?

    Absolument. C’est imposer sa marque partout, en montrant de l’art et de la poésie plutôt que de la publicité.

     

    Mais en vous affichant sur des objets commerciaux tels que des briquets, vous ne craignez pas de banaliser vos oeuvres, de les galvauder ?

    Quand on tient ce briquet, on n’a pas vraiment l’oeuvre en tant que telle dans la main mais plutôt sa représentation. C’est une reproduction, et j’avoue que je n’ai rien contre le fait que mes oeuvres puissent être reproduites.

     

    Vous avez été la toute première artiste à utiliser les murs de Paris comme support. C’était dans les années 80. Comment vous est venu cette idée ?

    Cette idée m’est venue grâce aux autres. J’avais passé deux ans et demi aux Etats-Unis, à l’époque de la naissance du hip-hop, du graph et du tag. A Paris, c’était l’époque où les étudiants des Beaux-Arts commençaient à peindre sur les palissades et à détourner les messages des grandes affiches publicitaires au format 4 X 3 mètres. En rentrant des US, ce concept m’a plu et je me suis dit qu’il y avait peut-être quelque chose à faire avec tout ça. 

    Dans le contexte de ces mouvements artistiques naissants, c’était toujours uniquement des images qui étaient créées. Etant très sensible à la littérature et à la poésie, j’ai pensé qu’en associant du texte à des images, ça pouvait être intéressant. 

     

     

     

    Vous avez aussi un rapport très fort à Paris.

    Oui, je suis née à Paris. Comme tous les gens nés quelque part, cette ville, j’y ai mes racines. 

     

    C’est une façon de vous inscrire dans la mémoire de Paris, justement.

    Oui, j’avoue que c’était aussi mon but… 

     

    Alors, s’exprimer sur les murs, rappelons que c’est une activité illégale. Ça veut dire que vous deviez travailler la nuit, en silence et le plus discrètement possible. Ça vous est arrivé souvent de finir au poste.

    Oui, je dois admettre que ça m’est arrivé très souvent. Jusqu’en 1997, date à laquelle j’ai du arrêter cette activité « nocturne »… J’ai été en procès, la procédure a duré deux ans, et j’ai été condamnée à payer une forte amende. Ce qui signifiait aussi que si je recommençais, je risquais de gros problèmes. J’ai donc changé de stratégie, à savoir que j’ai commencé à faire des repérages et à demander l’autorisation… Donc, depuis 2000, toutes mes interventions sont légales et autorisées par les propriétaires des murs sur lesquels je peins. Mais dès lors où j’obtiens l’autorisation, je demande à avoir carte blanche.

     

    J’imagine que les gens se battent pour avoir une de vos oeuvres sur leurs murs.

    Eh bien, détrompez-vous, pas tant que ça. Les gens sont très timorés, et ils préfèrent toujours que ce soit chez leur voisin. 

     

     

     

    Cet art urbain a souvent été assimilé à du vandalisme, mais on note pourtant depuis quelques années un retour en force du street art. Comment expliquez-vous ce regain d’intérêt ?

    Le mouvement a mis beaucoup de temps à s’imposer alors qu’il existait déjà depuis longtemps. Ce qui a déclenché cet engouement, c’est Banksy, qui est aujourd’hui très connu, et dont les oeuvres valent une fortune. Depuis 2005, les Anglais ont reconnu ce mouvement, et c’est vrai que le contexte a nettement changé et le marché s’intéresse maintenant plus à nous.

     

    Miss.Tic, ça vient d’où, ce nom ?

    Miss.Tic, c’est la petite sorcière dans Picsou. Celle qui essayait de lui voler le sou fétiche. 

     

    Vous pensez que vous auriez créé le même style d’oeuvres, si vous n’aviez pas été forcée de peindre dans la clandestinité à l’époque ?

    Je dois reconnaître que le fait de devoir me cacher pour peindre m’a beaucoup ennuyé. Passer mes nuits dans les commissariats, ça n’est pas forcément ce qui m’excitait le plus…

     

    Votre marque de fabrique, ce sont des femmes brunes et sexy réalisées au pochoir, accompagnées de textes poétiques. Mais qui est donc cette femme fatale que l’on dirait sortie tout droit des magazines féminins ? Un peu stéréotypée, quand même ?

    Très stéréotypée. Et elle vient justement des magazines féminins.

     

     

     

    Et quel est le message ?

    Je parle de la femme d’aujourd’hui, de la femme contemporaine. J’utilise cette image de la femme qu’on nous donne à voir dans les médias, dans la publicité, dans les revues. En revanche, je cherche à lui faire dire quelque chose, à donner du sens à sa présence.

     

    Casser un peu ces stéréotypes ?

    Non, en fait, je ne cherche pas à les casser. Au contraire, je vais jusqu’à l’hyperbole de la séduction et de sa féminité. Etre femme, c’est être féministe, et ne pas lâcher une chose pour une autre… Nous, les femmes, nous avons nos armes traditionnelles, et puis beaucoup d’autres à encore inventer. 

     

    Vous êtes féministe ?

    Oui, je pense… Etre féministe, dans mon cas, c’est un état de fait. Je ne suis pas une militante de la cause féministe. Je ne fais partie d’aucun mouvement. J’essaie surtout d’être une femme libre.

     

    A travers vos oeuvres représentant ces femmes très stéréotypées, mais accompagnées de phrases fortes…

    Oui, de sentences, d’aphorismes, qui tentent de développer une pensée, qui donnent à réfléchir. Des femmes qui pensent et qui disent des choses.

     

     

     

    Vos jeux de mots qui accompagnent ces portraits font autant sourire que réfléchir. Quelques exemples : « J’ai du vague à l’homme », « fais de moi ce que je veux », « devenir simple, c’est compliqué »… Comment ça se passe ? Vous partez de mots puis vous dessinez ?

    Tout part de l’écriture, qui m’inspire ensuite les personnages. 

     

    Vous avez toujours aimé jouer avec les mots ?

    Oui, j’ai découvert la littérature grâce à ma mère, qui lisait beaucoup. Et à huit ans, j’ai découvert Jacques Prévert, et là, le choc. Prévert m’a ouvert toutes les portes, vers les poètes, les surréalistes.

     

    Et écrire, des recueils de poésie, des livres, des romans, c’est une idée qui vous accompagne ?

    Pas pour le moment. J’ai sorti des bouquins, plutôt basés pour le moment sur mes oeuvres. Mais je n’ai jamais fait de recueil de poésie. Ma poésie, elle est dans mon travail plastique.

     

    Vous avez tout de même illustré les mots de la langue française dans l’édition 2010 du Petit Larousse. C’est un travail dont vous êtes fière ?

    Oui, c’était très exaltant. Ils ont fait appel à plusieurs artistes. Un beau projet.

     

     

     

    Vous avez aussi illustré l’affiche d’un film de Claude Chabrol, « La Fille Coupée en Deux ». Encore un bel exercice ?

    Un bel exercice, mais surtout une très belle rencontre avec Chabrol.

     

    D’autres projets à venir, du même genre ? Affiches de films, couvertures de livres ?

    Oui, j’ai participé à pas mal de projets de collaboration ces dernières années. J’ai travaillé par exemple avec Marc Jacob pour son premier défilé chez Louis Vuitton, avec Kenzo pour un t-shirt en tirage limité, avec Givenchy, et d’autres. J’aime assez le principe de la collaboration. Ça m’oblige à travailler dans un cadre précis, sur des idées auxquelles je n’aurais pas forcément pensé. C’est très exaltant. Et puis ce sont aussi des rencontres avec tous ces créateurs. 

     

    Ce sont eux qui viennent vous chercher ?

    Oui, pour le moment, on est venu me chercher. J’avoue avoir beaucoup de scrupules à aller proposer des choses. 

     

    Alors aujourd’hui, après des milliers de pochoirs, des dizaines d’ouvrages, des centaines d’expositions, qu’est-ce qui vous motive encore et qui vous donne l’envie de continuer à créer ?

    C’est un peu comme lorsqu’on fait l’amour… Plus on le fait, plus on a envie de le faire. Et bien moi, plus je peins, plus j’ai envie de peindre.

     

    A (re)découvrir d’urgence…

     

    © Propos recueillis par Véronique Mounier

    Image associée

     

     

     

     

    Crédits Photos (détails) :

    1 : Miss Tic, On ne radine pas avec l’amour, 2015 © Miss Tic
    2 : Miss Tic, La poésie est un luxe de première nécessité, 2015 © Miss Tic
    3 : Miss Tic, L’avenir a une excellente mémoire, 2015 © Miss Tic.
    4 : Miss Tic, Je t’aime temps, 2015 © Miss Tic.

     

     

     

  • Rétrospective Vasarely au Centre Pompidou : Le Partage des Formes

     

     

    Jamais une rétrospective ne lui avait été consacrée en France : Victor Vasarely, le père de l’art optique, est célébré au Centre Pompidou à Paris. L’œuvre foisonnante, parfois méconnue, de cet artiste d’origine hongroise, qui aura marqué la culture populaire de l’époque, est à revoir jusqu’au 6 mai 2019.

     

    Enfin la première grande rétrospective française consacrée à Victor Vasarely, considéré comme le père de l’art optique. Il était l’un des artistes préférés du couple Pompidou dans les années 70, et le voici mis à l’honneur au Centre Beaubourg. Des images colorées et géométriques aux dessins qui jouent sur l’illusion, son art s’impose dans la vie quotidienne. Son oeuvre fut ensuite quelque peu méprisée. Elle est donc réhabilitée plus de vingt ans après la disparition de l’artiste.

     

    C’est moi qui ai imaginé ce logo…

     

     

     

    ou la façade du siège historique de la radio RTL Rue Bayard en 1972…

     

     

     

    J’ai réalisé le décor de l’émission télé « La Une est à Vous » en 1973 ou encore la pochette de l’album « Space Oddity » de David Bowie. Qui suis-je ?

     

     

     

    Victor Vasarely, artiste hongrois, père de l’art optique et fervent défenseur de l’art pour tous : « Je considère que l’art doit être la nourriture de tout le monde ». Retour sur l’oeuvre prolifique de cette figure des années 60, disparue en 1997, en compagnie de son petit fils, Pierre Vasarely.

     

    « Vasarely n’était pas seulement utopiste ou utopique, il était aussi visionnaire. » (Pierre Vasarely)

     

    Lorsqu’il arrive en France en 1930, de sa Hongrie natale, Victor Vasarely a 24 ans. Il exerce d’abord la profession de graphiste dans les grandes agences publicitaires de l’époque. Il vient de terminer sa formation auprès de son compatriote Sandor Bortnyik, une des figures de l’avant-garde constructiviste.

     

    Sandor Bortnyik : « The New Adam » (1924)

     

    Sandor Bortnyik : « The New Eve » (1924)

     

     

    « La philosophie qui anime sa création, c’est celle de l’art utile. L’art utile et la forme efficace… » (Arnauld Pierre, Commissaire de l’exposition)

     

    Le jeune Vasarely a déjà trouvé son leitmotiv, mais il lui reste à forger son style. Et c’est à Belle-Île, sur une plage de galets, que lui vient l’inspiration…

     

    « Vasarely a une sorte de révélation du sentiment océanique, de l’unité de toute chose. Il contemple les formes d’un galet, il observe le rythme des vagues, la forme des nuages ou celle du soleil qui se couche à l’horizon et qui s’écrase peu à peu à ses pôles… Il comprend que tout cela est uni, finalement, par les mêmes forces, les mêmes formes fondamentales. » (Arnauld Pierre)

     

    Victor Vasarely : « Belle-Isle GP » (Huile sur Isorel, 1952) © Philippe Migeat

     

     

    Vasarely invente ainsi sa « géométrie du réel ». Il retranscrit à travers ces formes abstraites les paysages de l’île grecque de Santorin, du Vaucluse ou encore de la mer des Caraïbes. Mais c’est surtout à partir de 1950, quand il peint ces lignes noires et blanches, qu’il crée l’événement. Ses toiles deviennent synaptiques et mobiles ; il vient de donner naissance à l’art optique.

     

    Victor Vasarely : « Vegaviv II » (1955)

     

     

    « Il cherche absolument l’activation de la vision. Vasarely est un artiste qui s’intéresse non seulement aux formes, mais aussi à la perception de ces formes. Ses oeuvres nous placent face à des forces actives. Et ces forces, il les compare à celles qu’émet le cosmos, ou à celles qui unissent la matière comme aux forces intra-atomiques. » (Arnauld Pierre)

     

    Ce nouveau courant fait des émules. De nombreux artistes de sa génération expérimentent à leur tour. En 1955, Vasarely expose aux côtés de Marcel Duchamp ou encore Alexander Calder.

     

    « L’idée, au bout de quelques années, a énormément plu aux Américains. Et c’est à cette période qu’un manager a décidé de nommer cette nouvelle tendance de la peinture « Optimal Art », qui est rapidement devenue « Op Art ». » (Entretien entre Michel Polnareff et Victor Vasarely, 1968)

     

    Au fond, l’Op Art est le Pop de l’abstraction… C’est ainsi que Vasarely donnera à l’Op Art les couleurs de la Pop Culture. Et pour le vulgariser plus encore, l’artiste met au point un alphabet plastique, sorte d’espéranto composé de formes et de couleurs, censé faciliter la reproduction de ses oeuvres.

     

    Victor Vasarely : « Estampe Koska A » (1974)

     

     

    « A la toute fin des années 50, Vasarely dépose une sorte de brevet, afin de conceptualiser l’idée d’un langage visuel universel, qui serait constitué d’une suite de petites unités. Ces unités, ce sont des formes carrées, d’une certaine couleur, dans lesquelles sont incrustées d’autres formes simples, telles que des ronds, triangles, carrés d’une autre couleur. Et ce concept ne lui appartient d’ailleurs pas totalement. Il dit, au fond : emparez-vous de cela, et on engendrera ensemble un nouveau folklore planétaire. » (Arnauld Pierre)

     

    Victor Vasarely : « Kroa MC » (1970)

     

     

    « Il est dans un discours totalement révolutionnaire pour l’époque. Avec ce désir, avant les autres, de faire descendre l’art dans la rue. Que son art soit un art social, et qu’il puisse profiter au plus grand nombre. » (Pierre Vasarely, Président de la Fondation Vasarely)

     

    De la vaisselle aux couvertures de magazines, en passant par la décoration, la mode et l’architecture, au coeur des années 60, Victor Vasarely est partout. Artiste prolifique, il inonde les foyers français et ne s’offusque pas qu’on le copie. Tant et si bien qu’à la fin des années 70, on frôle l’overdose…

     

     

     

    « Trop de Vasarely tue Vasarely… Ayant réussi à ce point, et bien au-delà de ses espérances, Vasarely a subi le classique retour de bâton. Le pendule repart en arrière, ce que les gens ont adoré à un moment est détesté, et on efface Vasarely durant un quart de siècle. Jusqu’à aujourd’hui, pratiquement, où on redécouvre cet artiste majeur. » (Arnauld Pierre)

     

    L’art optique suscite ainsi de nouveau l’intérêt du public. Mais il inspire aussi les artistes de la nouvelle génération, comme Miguel Chevalier et sa « Pixel Wave » en 2015. La doctrine de Vasarely, quant à elle, n’a finalement pas pris une ride… Ce que l’artiste hongrois a complètement changé dans le monde de l’art, c’est une approche totalement débarrassée de toute sacralité qui s’attachait au mythe de l’artiste génial…

     

    Miguel Chevalier : « Pixel Wave » (2015)

     

    Miguel Chevalier : « Pixel Wave » (2015)

     

     

    « Il était véritablement un théoricien de cette recherche appliquée, qui voulait que l’artiste devait quitter son piédestal de créateur. Il s’agit vraiment pour lui d’engendrer un art populaire, qui finisse par échapper complètement à son créateur. » (Pierre Vasarely)

     

    « Vasarely, le Partage des Formes » à découvrir au Centre Pompidou jusqu’au 06 mai 2019. Quant aux oeuvres monumentales du père de l’art optique, elles sont aussi visibles à la Fondation Vasarely qui vient tout juste de rouvrir ses portes à Aix-en-Provence.

     

     

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  • Pierre Soulages, derrière le noir, la quête de la lumière

     

     

    Pierre Soulages, le maître du noir et de l’outrenoir, est exposé actuellement dans son musée de Rodez, et il fera l’objet d’une grande rétrospective au Musée du Louvre à la fin de l’année 2019, afin de célébrer son centième anniversaire. 

     

    Pierre Soulages, le plus célèbre peintre et sculpteur aveyronnais, aura cent ans cette année. Il commence sa carrière en 1946, mais le véritable tournant survient en 1979, il y a précisément 40 ans, quand il révolutionne l’art abstrait en inventant le terme « Outrenoir ». Revenons sur le style d’une des plus grandes figures de la peinture informelle.

     

    « J’étais en train de rater un tableau, en train de me noyer dans une sorte de marécage noirâtre, lorsque je me suis aperçu que je faisais une autre peinture… » (Pierre Soulages, avril 2012)

     

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    « Il utilise un seul pigment de noir, le noir d’ivoire, depuis toutes ces années. Et ce pigment de noir donne ces toiles merveilleuses. Lorsque vous êtes devant une peinture de Pierre Soulages, le noir n’est pas uni, n’est pas lisse et n’est pas toujours posé de la même manière… Derrière ce noir, il y a en fait toujours une quête de la lumière. » (Camille Morando, Historienne de l’art)

     

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    « Ce qui compte pour moi, c’est toujours le reflet sur l’état de surface. Quand c’est lisse, cela donne une lumière différente que lorsque l’on utilise un pinceau… On obtient alors des stries qui font vibrer la lumière. C’est sur ce principe que se fonde ce que je fais avec ma peinture. Ma passion pour le noir, d’autres l’avaient éprouvée avant. Puisque déjà il y a 350 siècles, les hommes descendaient dans les endroits les plus obscurs de la terre, dans les grottes – il n’y a pas plus sombre qu’une grotte – et il allaient y peindre avec du noir… » (Pierre Soulages, avril 2012)

     

    Le travail de Soulages sur ce noir donne soit des aplats extrêmement mats, soit des stries lumineuses, et ce noir devient peu à peu gris, blanc, vert, en variant selon votre positionnement face au tableau.

     

    Pierre Soulages : « Peinture 181 x 244, Triptyque, acrylique sur toile » (25 février 2009)

     

     

    « Celui qui regarde le tableau se retrouve dans le tableau… Et lorsque celui qui regarde ce tableau se déplace, il ne perçoit pas toujours le même reflet, et ne contemple en fait jamais le même tableau… Ce tableau est présent dans l’instant même du regard. Une seconde plus tard, ça n’est plus tout à fait le même. C’est la caractéristique principale du genre de peinture que je fais aujourd’hui. Un rapport différent à l’espace et au temps, de celui de la peinture traditionnelle. » (Pierre Soulages, avril 2012)

     

    La peinture de Soulages est abstraite, mais contrairement à Malevitch ou Mondrian, il n’y a pas de théorie dans ses oeuvres. Soulages n’est pas un conceptuel, et il ne travaille pas avec un récit philosophique sous-jacent.

     

    Kasimir Malevitch : « Carré Noir sur Fond Blanc » (1915)

     

    Piet Mondrian (1872-1944) : « Composition with Yellow, Blue and Red » (1937-42)

     

     

    « Je n’ai pas inventé l’art abstrait, mais lorsque j’étais enfant, j’aimais les arbres sans feuille… Si on aime les formes d’un arbre, on les distingue. Certains arbres sont noueux, torturés, d’autres sont purs et droits. Et au fond, on regarde un arbre comme on peut contempler une sculpture abstraite. Ce sont les qualités physionomiques des formes qui provoquent l’émotion. » (Pierre Soulages, avril 2012)

     

    « Cette place que l’on laisse à l’imagination du spectateur, à ce qu’il ne voit pas, à travers ce qu’il voit, ça me paraît très important, très actuel et très propre à notre travail de peintre abstrait. » (Pierre Soulages, mai 1981)

     

     

    Vous pourrez découvrir (ou redécouvrir…) Pierre Soulages sous toutes ses coutures au Musée du Louvre, du 11 décembre 2019 au 9 mars 2020, à l’occasion de la rétrospective qui lui sera consacrée. Un hommage exceptionnel au peintre qui fêtera ses cent ans (il est né le 24 décembre 1919), à travers une exposition inédite et personnelle installée dans le cadre prestigieux du Salon Carré, situé entre la Galerie Apollon et la Grande Galerie.

    Le Salon Carré, écrin à la hauteur de cet artiste iconique, qui l’affectionne tout particulièrement… Car y sont présentés les Primitifs italiens, « dont les oeuvres caractérisent pour lui l’évolution de la peinture occidentale et le passage à une représentation de l’espace tridimensionnel ». Quant à l’exposition, celle-ci prendra la forme « d’une sélection d’oeuvres majeures illustrant chacune de ses sept décennies, provenant des plus grands musées français et étrangers ».

    L’idée derrière cette rétrospective ? « Montrer à la fois la continuité d’une oeuvre toute entière élaborée à l’intérieur de la même conception d’une abstraction », s’exprimant en particulier par « des titres purement classificatoires (technique, dimensions, date) et la rupture intervenue à mi-chemin, en 1979, qui donna naissance à une peinture neuve ». C’est en effet à cette époque que Pierre Soulages propose ce qui deviendra sa couleur fétiche, « l’outrenoir ».

    Une exposition qui joue également sur la lumière et son rapport intime avec le noir, caractéristique de l’oeuvre de Soulages. Bref, une exposition toute en nuances à découvrir pour les amateurs du noir et de ses variantes.

    A ne rater sous aucun prétexte…

     

     

     

  • Le Siècle Soulages à Rodez

     

     

    Né le 24 décembre 1919, le peintre français Pierre Soulages est entré dans sa centième année. Pour célébrer l’évènement, le Musée Soulages de Rodez expose pour la première fois la totalité des peintures sur papier de l’artiste, soit près de 120 œuvres.

     

    « C’est la première fois que la totalité des peintures sur papier, réalisées par le peintre entre 1946 et 2004, est présentée au musée. Pour cette raison, c’est un évènement tout à fait unique », souligne Benoît Decron, le directeur du Musée Soulages.

     

    Et cette exposition fera date, en effet… L’institution, qui possède environ un quart des peintures sur papier de l’artiste, ne les montre habituellement jamais ensemble, pour des questions de conservation des oeuvres. La salle d’exposition en accueille actuellement une centaine, quand une vingtaine d’autres sont présentées dans les collections permanentes. Toutes sont désormais protégées par des verres spéciaux. Ces peintures sur papier occupent ainsi une place essentielle dans l’oeuvre de Pierre Soulages.

     

    « Soulages prétend que tout vient de là… S’il n’avait pas réalisé ces peintures sur papier, il n’aurait pas pu évoluer dans sa technique picturale, d’abord à l’huile et plus tard à l’acrylique. » (Benoît Decron, Directeur du Musée Soulages à Rodez)

     

    « Brou de noix sur papier 63,8 × 48,5 cm », 1947. Musée Soulages, Donation Pierre et Colette Soulages ADAGP 2018 © Photo Christian Bousquet

     

     

    Car ces peintures sur papier, composées d’abord dans les années 40, puis dans les années 1950, c’est précisément ce qui va faire la renommée de Pierre Soulages ; des signes, des formes extrêmement strictes, très austères, qui le différencient totalement des autres artistes français et qui l’ont rapidement propulsé au niveau international, aux côtés des Américains ou des Allemands.

     

    Dans la salle d’exposition, l’accrochage rend spectaculaire la présentation de cette centaine de peintures sur papier. On y découvre les premiers fusains de l’artiste de 1946 – il n’y en a pas d’autres dans les collections publiques françaises – les brous de noix – le peintre est le seul à utiliser cette matière première empruntée aux ébénistes – mais aussi les encres de Chine et les gouaches. Soixante-dix ans de création, de recherche et d’inventivité et une œuvre en constante évolution. Parmi les peintures présentées, une gouache de 1973 très caractéristique du travail de Pierre Soulages.

     

    « Gouache sur Papier 71,1 x 54,6 cm », 1973. Musée Soulages, Donation Pierre et Colette Soulages ADAGP 2018 © Photo Christian Bousquet

     

     

    « Dans cette oeuvre, on a un fond de bleu qui est préparé au lavis de bleu, et puis par-dessus, on a des passages de bandes de gris, à la fois verticalement et horizontalement, des croisements, donc parfois du bleu qui devient gris et vice versa. Et en avançant vers le regard du spectateur, ce qui est passé sur le dessus du papier, toujours au pinceau, ce sont de grandes masses de noir. Ces peintures sur papier vont en quelque sorte préfigurer ce que sera l’outrenoir. Vous pouvez d’ailleurs en admirer toute une série au musée. Ils sont extrêmement rares et parmi les œuvres les plus appréciées des visiteurs », explique Benoît Decron.

     

    A bientôt cent ans, Pierre Soulages continue de réaliser environ 25 oeuvres par an, et probablement que bien d’autres peintures sur papier dorment encore dans le secret de son atelier…

    « Pierre Soulages, œuvres sur papier », une exposition à voir au Musée Soulages de Rodez jusqu’au 31 mars.

     

     

     

  • Ella & Pitr, pour ceux qui rêvent

     

     

    Ella & Pitr, tous deux originaires de Saint-Etienne, se sont rencontrés par hasard en 2007. Tandis qu’Ella collait des affiches, Pitr cherchait une suite logique et cohérente à dix ans de graffiti. Ils se sont très vite « mis à la colle », et depuis, ils ne se sont plus quittés, se forgeant peu à peu une réputation solide dans le monde du street-art.

     

    Ella & Pitr, aka « Les Papiers-Peintres », forment un duo d’artistes urbains bien singulier. Depuis quelques années déjà, ils peuplent les métropoles du monde entier de géants charismatiques reconnaissables à des kilomètres… d’altitude. Si vous ne connaissez pas encore leur travail, c’est le moment de le découvrir. En 2016, ils frappaient un grand coup en donnant vie à l’un de leurs colosses ensommeillés, au cœur du quartier d’affaires de La Défense. L’œuvre monumentale et éphémère s’intégrait à l’espace public du parvis. Tout un symbole…

     

    « Pendant qu’Ines rêve de camping… » by Ella & Pitr (Parvis de la Défense, 2016)

     

    « Sur le parvis de la Défense, le personnage représente une femme d’affaire qui dort. Son titre : « Pendant qu’Inès rêve de camping… ». A quoi rêvent les autres ? Et à quoi rêvent ceux qui doivent camper tout l’hiver rue de Flandre à Paris ? Inès est un hommage à ceux qui dorment dans les sous-sols de la Défense ou sous le métro aérien de Paris, car sous le flux des salary men grouille une fourmilière étrange de laissés pour compte. Inès est un pont entre ceux qui rêvent… et ceux qui rêvent. »

     

    L’histoire d’Ella et Pitr débute par une rencontre, à Saint-Etienne, en 2007. « Une nuit, elle réalisait ses premiers collages dans la rue et moi j’affichais des trucs pour un rassemblement de hip-hop », raconte Pitr (prononcez « pitre »). « On a échangé nos numéros de téléphone, enchaîne Ella. Il est venu chez moi quelques jours plus tard, et on a dessiné toute la soirée ». A 4 h du matin, ils partent à la recherche du mur idéal et composent leur première oeuvre commune. La sortie nocturne se solde par l’escalade du Mont Pilat, juste pour voir le soleil se lever sur la ville.

    L’amour au premier collage… et la naissance d’un couple artistique : Les Papiers Peintres. « On a commencé par fabriquer des bonshommes en papier et puis… des vrais ! », plaisante Pitr. Aujourd’hui parents de deux garçons de neuf et six ans, ils multiplient les paroles ou gestes tendres. Dans leur appartement situé sur les hauteurs de « Sainté », une grande pièce claire leur sert d’atelier. Ils travaillent ensemble, mais n’ont pas de règles. « Parfois, c’est Ella qui prend en main une maquette pendant que je prépare la logistique, ou inversement ».

     

     

     

    Boulimiques de création, Ella et Pitr passent sans cesse d’un projet à l’autre, variant les techniques (peintures à l’acrylique, à l’huile ou à la bombe, sérigraphie, collage…) et les surfaces : toiles ou pistes d’aéroport, rideaux de fer des magasins ou coquillages… rien ne les arrête ! Et ils voient les choses en très, très grand. En témoignent ces colosses assoupis au milieu des grandes villes de la planète, sur les toits ou les murs de Montréal, Valparaiso, en passant par Saint-Etienne, bien sûr.

    Leur géant en short de 21.000 m2, qui a trouvé le sommeil au sommet d’un entrepôt, à Klepp en Norvège, est d’ailleurs considéré comme le plus grand graffiti du monde ! (mais ne les qualifiez surtout pas de street artists, ils détestent). « On cherche toujours à dépasser nos limites et les murs ont aussi les leurs. Ce qu’il y a de plus imposant, ce sont les surfaces au sol. On a donc basculé à l’horizontal… », explique Ella, qui refuse toutefois « tout discours intellectuel » pour justifier cette démarche. « On tient quand même à dessiner des personnages endormis contrastant avec le chaos des villes », selon Pitr.

     

     

     

    Ces gigantesques figures à l’esthétique enfantine sont généralement exécutées à l’acrylique. Elles constituent « une famille de témoins silencieux et éphémères en milieu urbain ». Elles sont inspirées de leurs proches (oncles et tantes) ou sont issues de l’imagination de leur progéniture, de leurs carnets de voyage… Pour leur donner vie, il faut prendre de la hauteur. Ils utilisent ainsi Googlemap ou des drones. Les spots sont choisis ensemble : « Soit on prépare les croquis en fonction d’un endroit qui nous plaît, soit on marche des heures dans les rues à la recherche du support adéquat », détaille Pitr.

     

     

     

    En peignant ce monumental migrant sur le barrage abandonné du Piney, près de Saint-Etienne, Ella et Pitr ont réinvesti la dimension verticale. « Avec un accès à un mur pareil, on n’allait pas dessiner une petite fille tenant un ballon en forme de coeur », ironise Pitr, en référence à une célèbre pièce de Banksy. Alors, pourquoi ce sujet ?

    Pas de message, « mais plutôt une idée générale, sans se montrer moralisateurs. C’était une façon de rendre visible un drame bien réel et que tout le monde fait semblant de ne pas voir. Avec un réfugié géant de 47 m de haut, en plein milieu du paysage, on ne peut plus nier le problème… ». « Le Naufrage de Bienvenu » (c’est son petit nom) est aussi synonyme de prouesse technique, avec son lot « de frayeurs lors de la descente en rappel » se souvient Ella, en tendant une photo de ses deux fils suspendus à des cordes. L’aventure, c’est l’aventure…

     

     

     

    Depuis maintenant près de six ans, Ella et Pitr ont donc basculé dans la démesure, parcourant le monde en peignant les géants qui apparaissent vus du ciel dans leur vidéo « Par Terre ». la première oeuvre de cette série a été peinte sur une piste de décollage d’un aéroport désaffecté de Santiago de Chile en 2013.

    A découvrir…

     

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    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour Aller Plus Loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Ella et Pitr Officiel

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Propos recueillis par Elisabeth Blanchet pour LM Magazine