Il paraît que ça n’est pas bien de dire que c’était mieux avant…
Pourtant, en ce qui concerne la musique de film, il faut quand même bien avouer qu’on a connu de sacrées révolutions dans le courant des années soixante, avec des compositeurs et musiciens qui ont entièrement redéfini le genre.
Tandis que depuis les années 30, les Erich Wolfgang Korngold, Max Steiner ou Miklos Rozsa balisaient le cinéma américain, et du coup le cinéma mondial, de leurs scores symphoniques, pompieristes et illustratifs, c’est avec l’arrivée de Bernard Herrmann dans le courant des années 40, puis avec Alex North dans les années 50, un arrangeur qui venait du monde du jazz et de la musique dissonante, que les choses vont changer dans le paysage sonore de la musique de film.
Des musiciens qui viendront quant à eux non pas du classique et de formations strictes, mais plutôt du jazz et de la musique expérimentale, emboîteront le pas de ces glorieux précurseurs, d’Ennio Morricone en Italie à Lalo Schifrin en Argentine, en passant par François de Roubaix en France, Jerry Goldsmith aux Etats-Unis et enfin John Barry au Royaume Uni.
Je reviendrai bientôt avec plaisir sur chacun de ces compositeurs, mais penchons-nous aujourd’hui sur le cas du plus jazzy d’entre eux… Même si John Barry, à l’instar de ses confrères cités plus haut, n’a pas le patronyme reconnaissable entre mille pour le commun des mortels, ses musiques, en revanche, se chargeront de le rendre unique.
Si James Bond est parvenu aujourd’hui au stade ultime de l’universalité, jouissant d’une identité si forte à travers le monde, ça n’est sûrement pas grâce à la qualité intrinsèque de ses films, non. Cela tient plutôt du fantasme, de l’inconscient collectif, car dès que surgit sur la droite de l’écran cette silhouette élégante en smoking, qui se met à tirer dans notre direction, avec cette célèbre vue suggestive de l’intérieur du canon d’un revolver (sublime représentation graphique de tout un univers exprimée en quelques secondes), que monte cette musique qui explose en un mélange de cuivres, de cordes et de guitare électrique, ce thème de Bond ouvrant chacun des films depuis « Docteur No », le premier de la série, on sait ce que l’on voit et on comprend ce qui est une évidence.
Du jazz, de la mélodie romantique poussée parfois jusqu’à son point de rupture, des apports judicieux d’instruments étonnants, et toujours ce quelque chose de mélancolique, toujours… Mais surtout, cette musique qui devait sonner « nouveau » et moderne, à l’époque où toutes ces compositions ont vu le jour. Il faut d’ailleurs préciser que le thème original de James Bond fut en fait composé par Monty Norman, avant que John Barry ne le ré-arrange, pour lui conférer toute cette modernité et cet élan incroyable.
Pour Bond, c’est donc l’apport du jazz et de ces cuivres puissants trouvant leur paroxysme avec les scores de « Goldfinger », « Thunderball » ou le chef d’œuvre « You Only Live Twice », ainsi que les collaborations avec des interprètes comme Shirley Bassey ou Nancy Sinatra, qui soulignent tout le génie du premier mari de Jane Birkin. Et puis il y a aussi le symphonique flamboyant, toujours avec cette touche d’amertume, comme « La Rose et La Flèche » de Richard Lester, « Boom » de Joseph Losey, « La Vallée Perdue » de James Clavell ou « Out Of Africa » de Sydney Pollack.
John Barry fut finalement à l’aise dans presque tous les genres. Même avec « Le Trou Noir », une production S.F. encombrante produite par Walt Disney en 1979, qui comptait bien surfer sur le succès du premier Star Wars arrivé deux ans plus tôt. Un film assez raté, mais qui devint grâce au score de John Barry une sorte de long poème contemplatif et étrange.
Il ne faudrait pas oublier dans cette énumération succincte des plus grands succès de John Barry le générique de « The Persuaders » (Amicalement Vôtre). Sublime morceau venant de nul part, sorte de variation s’inspirant de mélodies d’Europe de l’Est, dans laquelle sont conviés des instruments tel que le cimbalom, le Moog et le clavecin. Si la série a forcément vieilli, ce générique reste encore et toujours un sommet du genre.
Pas de date de naissance ni de décès de John Barry ici, parce qu’on s’en fout, en fait. Tant sa musique reste puissante, belle, racée et éternelle.
En 2014, le légendaire groupe américain de hip-hop De La Soul célébrait le 25ème anniversaire de la sortie de son premier album « 3 Feet High And Rising ». Afin de fêter cet événement dignement, nos trois compères annonçaient la prochaine sortie de leur 8ème album « And The Anonymous Nobody ».
Particularité de ce dernier opus, il a été intégralement financé par les fans du groupe. Le projet était ainsi présenté sur le site de crowdfunding Kickstarter en mars 2015, avec un objectif à atteindre de 110.000 $ pour la production du disque. En effet, avec sept albums à leur actif en 25 ans depuis l’iconique « 3 Feet High And Rising » sorti en 1989, dont le dernier en date, « The Grind Date », remontait déjà à 2004, les membres de De La Soul ont ressenti l’impérieuse nécessité de revendiquer une indépendance artistique totale, en se passant dorénavant de label. L’objectif initial était atteint en quelques heures, à la hauteur de la légende… La souscription prenant fin le 30 avril 2015, ce furent finalement plus de 600.000 $ qui étaient collectés à cette date…
Le son du groupe originaire de Long Island s’appuie depuis sa formation en 1988 sur l’utilisation assumée de samples, intégrant ainsi tous les styles de musique qui ont pu l’inspirer depuis trente ans, du jazz à la soul, en passant même par Serge Gainsbourg, sur leur troisième opus « Buhloone Mind State » sorti en 1993, ou encore les Whatnauts et leur classique « Help Is On The Way » dans le titre « Ring Ring Ring », extrait de l’album « De La Soul Is Dead » (1991).
Rien de plus normal et légitime, donc, que de retrouver un des groupes parmi les plus iconiques du hip-hop égrener ses hits mythiques aux côtés de Common et The Roots pour le concert « Love & Happiness: An Obama Celebration » en novembre 2016. Bon, ne voyez rien de politique dans mes propos, mais ça avait quand même plus de gueule, en ce temps-là…
Avec « And The Anonymous Nobody », les trois compères nous surprennent encore, puisqu’ils s’y auto-samplent effrontément, faisant un magnifique pied de nez aux avocats à l’affut de la moindre suspicion de plagiat… En effet, suite aux dernières condamnations (l’affaire Blurred Lines, notamment…), tous les samples présents sur ce nouvel album proviennent de jams sessions live ou studio, auxquelles ont d’ailleurs participé quelques guest stars, comme David Byrne, 2 Chainz, Usher, Pete Rock, Roc Marciano, Estelle, ou encore Snoop Dogg.
En septembre 2015, le trio s’excusait auprès de ses fans pour le retard pris dans la production de ce dernier opus : « Hello Fellow Humans, well… We’re working hard to get this album sounding right for your vents to receive. Please accept our apologies for the delay in updates».
Allez maintenant, afin de vous replonger dans l’histoire d’un monument du hip-hop, vous pourrez toujours regarder un reportage que Tracks leur consacrait en 2014, et pour vos oreilles, nous ne saurions trop vous conseiller d’écouter la mixtape sortie la même année : « Smell The Da.I.S.Y. (Da Inner Soul Of Yancy) » (pressage indépendant).
Ancien chroniqueur de jazz au Monde, Lucien Malson publiait le 8 mai 1968 une critique enjouée à l’issue d’un concert à l’Olympia de la légende de la soul, Aretha Franklin, décédée le 16 août.
8 mai 1968. Que le jazz ait fécondé les variétés, qu’il ait eu avec elles des rejetons plus ou moins charmants, qu’il ait en tout cas modifié l’apparence de l’art populaire occidental, voilà ce dont on ne peut douter. D’autre part, ce grand séducteur voyage sous des noms nouveaux et, muni de faux papiers d’identité, va de New York à Londres et de Londres à Paris. Qu’est-ce donc que le « rhythm and blues » authentique, sinon une musique qui n’existe que pour le swing et ne vaut que par lui ?
En ce domaine, les Noirs des Etats-Unis nous ont toujours paru difficilement imitables, non par le fait de quelque génie racial – à supposer qu’il soit concevable, celui-ci se trouverait aujourd’hui fort dilué – mais en raison des circonstances de leur vie. Ce n’est pas un hasard, par exemple, si les talents de la plupart des chanteuses de couleur, depuis la guerre, éclosent dans les églises avant de s’épanouir dans les salles de concert. Cette expérience du rythme extatique, dès l’enfance, a marqué Fontello Bass, Mitty Collier, Byrdie Green, Etta James, Gloria Jones, Kitty Lester et, bien sûr, Aretha Franklin, que nous avons applaudie hier soir aux galas d’Europe 1.
La voix puissante d’une Mahalia Jackson et un tempérament scénique remarquable
Aretha Franklin, fille d’un pasteur baptiste, née à Memphis en 1942, s’est consacrée d’abord au gospel song et, pendant sept ans, jusqu’à la saison dernière, à toutes les formes de l’art vocal de divertissement chez Columbia. Désormais, Atlantic la révèle telle qu’elle est au plus profond d’elle-même : musicienne de jazz dans l’âme, et que la critique, outre océan, compare déjà – un peu hâtivement – à Ray Charles.
La troupe d’Aretha Franklin, c’est vrai, s’apparente à celle de Charles. Elle apporte partout où elle passe un mélange réjouissant de chants et de danses, de musique et de spectacle. Pourtant, le groupement criard et assommant, qui assure la première partie, n’a rien à voir avec celui de son illustre confrère ni même avec l’ensemble de James Brown. Les douze musiciens jouent selon le vieux principe du « chacun pour soi et Dieu pour tous » et ne se rachètent qu’après l’entracte en accompagnant tout de même assez bien la chanteuse. Celle-ci a la voix puissante d’une Mahalia Jackson et un tempérament scénique remarquable. Sa très jeune sœur, Caroline Franklin, anime un aimable trio vocal qui tient ici le rôle des « Raelets ».
Tant de force et tant de grâce alliées font merveille. Le public parisien a beaucoup aimé une Aretha Franklin qui se promet de revenir et nous donne ainsi l’espoir d’assister plus souvent à ces « soirées de la 125ème Rue », auxquelles nous restons très attachés.
Source : Archive du journal « Le Monde » du 08 mai 1968
Salut Salon est un quatuor féminin créé à Hambourg (Allemagne) en 2000 par deux amies d’enfance, Angelika Bachmann et Iris Siegfried (violonistes), associées à Sonja Lena Schmid (violoncelle) et à Anne-Monika von Twardowski (piano).
Les quatre jeunes musiciennes de Salut Salon, par leur féminité éclatante, leur sensibilité, leur virtuosité et la diversité de leur répertoire, allant du classique aux airs populaires, en passant par le jazz ou la pop, contribuent à rendre accessible leurs instruments, sans toutefois les désacraliser.
Mais Salut Salon, ce sont aussi des actions humanitaires et éducatives, qui viennent en aide à l’enfance, de par le monde. Comme à Viña del Mar, au Chili en 2011, dans le cadre du projet Escuela Popular de Artes soutenu par l’organisation caritative « Kindernothilfe ».
Le nom du quatuor, « Salut Salon », a été choisi à l’occasion du 90ème anniversaire du Salon Littéraire et Musical de Hamburg-Eppendorf ; il évoque aussi l’oeuvre la plus connue d’Edward Elgar, « Salut d’Amour », qui deviendra un des premiers morceaux de bravoure du quatuor.
C’est en 1968 qu’Aretha Franklin pose pour la première fois le pied en France (et en Europe) pour une tournée. Dans la foulée de sa signature chez Atlantic l’année précédente et de son premier tube mondial, « Respect », celle qu’on n’appelle pas encore la « Reine de la Soul » se produit à l’Olympia le 6 mai 1968, non loin d’un Quartier Latin déjà bouillonnant.
Aretha Franklin bénéficie déjà d’un solide succès en France qui lui permet de remplir l’Olympia lors des deux concerts organisés le même jour, un lundi, le jour de « Musicorama », les concerts organisés par Europe 1. Quelques semaines plus tard, sortira d’ailleurs l’album live « Aretha in Paris ».
La chanteuse fait un triomphe en France
La presse accueille avec enthousiasme ce premier concert parisien. Lucien Malson dans Le Monde salue « un mélange réjouissant de chants et de danses, de musique et de spectacle » et évoque « tant de force et tant de grâce alliées qui font merveille ». Kurt Mohr, la plume rythm & blues de Rock & Folk et grand passeur de la musique noire américaine en France, s’emballe : « Ce que nous avons entendu avec Aretha Franklin, ce n’est pas seulement l’une des plus grandes voix de ces cinquante dernières années, mais une artiste au sommet de sa forme. Ce n’est pas dans dix ou vingt ans qu’il faudra se réveiller pour la découvrir, mais maintenant ! ».
Elle reviendra triompher à l’Olympia en 1971, et ce malgré une presse presque silencieuse. Elle avait déjà un public qui lui vouait un culte.
Extrait du concert d’Aretha Franklin à l’Olympia le 21 juin 1971. Elle chante « Respect », accompagnée par trois choristes et l’orchestre King Pins sous la direction de King Custis (with courtesy of INA, Institut National de l’Audiovisuel)
« La mort, ce n’est désagréable que pour ceux qui restent… »
Mon grand Jacques, voilà, tu t’en es allé. Tu as fini par partir, et probablement sans te retourner. Trop fier, peut-être, mais aussi trop sensible et modeste pour ne pas nous quitter, comme ça, l’air de rien, sur la pointe des pieds. C’est à peine si on ne t’a pas entendu siffler nonchalamment, pour nous faire croire que tu étais encore là. Alors, puisque tu ne t’es pas retourné, je le ferai à ta place, si tu me le permets.
Car, pour moi, tu étais le dernier saltimbanque, de cette lignée d’artistes qui symbolisait tant la France d’avant, depuis Charles Trenet, que tu aimais tant, à Yves Simon et Georges Moustaki, en passant par Edith Piaf, Serge Gainsbourg, Leo Ferré ou Boris Vian. Je sais bien que tu tiquerais de m’entendre dire ça, alors que tu n’as finalement jamais été en décalage avec le monde dans lequel tu évoluais.
Non, ce que je veux dire, c’est que tu as accompagné les changements du monde, le corps dedans et l’esprit ailleurs. Ailleurs comme au dessus, avec recul, distance et empathie. Mais toujours les pieds bien ancrés dans son temps, le grand Jacques…
« Tu t’es passé
Aux écouteurs
Ce truc d’Higelin,
Remember… »
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Tu es né avec la guerre. De ton enfance, tu as gardé cet amour charnel de la musique, et du jazz en particulier. Comme ton alsacien de père, cheminot et musicien, te l’a inculqué, tu en feras de même plus tard avec tes propres enfants. A l’âge de 14 ans, tu passeras même une audition au Théâtre des Trois Baudets avec un autre grand Jacques, Canetti, qui remarquera ton talent précoce, mais qui ne te retiendra finalement pas du fait de ton jeune âge, tout en te donnant rendez-vous « dans dix ans ».
« Môme, je voyais La Nouvelle-Orléans en rêve, par la musique. Je remontais le ressort du phonographe et je m’allongeais très vite pour pas rater le début. Crrr, crrr, je fermais les yeux… Et là, je recevais des images pendant trois minutes, des musiciens en train de jouer, les bars enfumés, les rues, les enseignes. Je me repassais toujours les mêmes 78 tours parce que je voulais VOIR. Ça me bouleversait parce que j’avais l’impression de faire un super saut dans le temps. » (Interview donnée à Libération le 17.02.2010)
Alors, comme Jacques Canetti t’avait donné rendez-vous dans dix ans, c’est vers le Cours Simon et l’Art Dramatique que tu te tournes à 16 ans. Ton premier petit rôle au cinéma, tu l’obtiens en 1959 avec « Nathalie Agent Secret ». En plus de 50 ans, à ton corps défendant, tu ne quitteras jamais vraiment le cinoche, avec une trentaine de films au compteur, quelques productions télé et diverses pièces de théâtre.
Mais à ton retour de l’armée en 1962, tu prends les deux décisions les plus importantes de toute ta vie : tu ne veux plus être comédien et tu seras musicien. Tu retrouves le guitariste Henri Crolla, fils adoptif virtuel de Jacques Prévert et Paul Grimault, frère de rue de Mouloudji et accompagnateur d’Yves Montand, que tu avais connu en 1959 sur le tournage du film « Saint-Tropez Blues ». C’est Henri qui t’avait initié à la guitare avant l’armée…
De ta correspondance avec la comédienne Irène Lhomme avec qui tu as joué sur le film d’Henri Fabiani, « Le bonheur est pour demain», tu as gardé le goût des mots, que tu cultives désormais en écrivant tes propres chansons. « Chanter une chanson, c’est raconter une petite histoire de trois minutes ».
En 1962, tu deviens donc guitariste… Commence alors pour toi ton lent apprentissage du métier. Tu traînes les cafés-théâtres, tu te cherches mais tu n’oses pas encore chanter tes propres textes. Moustaki te prend sous son aile et tu vas l’accompagner sur ses tours de chant pendant quelque temps. Malgré les bonnes résolutions prises à ton retour de l’armée, tu referas tout de même quelques crochets par le cinéma, en particulier avec « Bébert et l’Omnibus » d’Yves Robert en 1963. « Faut bien bouffer… ». Tu n’as pas à te justifier, il était pas mal, ce film.
« Il faut dire que Jacques a une silhouette assez romantique. Avec ses grands manteaux, ses cheveux un peu en bataille. En France, on avait cette nostalgie de Gérard Philippe, mort trop jeune. Tous ces rôles, Le Prince de Hambourg, Caligula, servis par cette figure magnifique d’acteur, voulant faire la révolution, avec cette volonté de rendre accessible le théâtre au plus grand nombre et toucher tous ces gens qui n’y vont jamais… Il y avait une parenté entre le jeune Higelin et Gérard Philippe… » (Rufus)
Et là, comme quoi le destin est parfois écrit, tu retrouves par hasard Jacques Canetti en 1964, précisément dix ans après votre première rencontre… Comme convenu… Canetti travaille sur la première anthologie discographique des chansons de Boris Vian, « Boris Vian 100 Chansons », et il te propose d’enregistrer sept chansons de l’artiste aux mille facettes, dont certaines alors inédites. Tu mets même un texte de Vian en musique : « Je Rêve ». Ce titre sera d’ailleurs ton tout premier enregistrement en tant que compositeur interprète, et tu figureras sur cette anthologie aux côtés de Serge Reggiani, Pierre Brasseur, Catherine Sauvage, Cécile Vassort, Philippe Clay ou encore Lucienne Vernay. Excusez du peu…
« C’est un disque qui est réalisé dans une allégresse folle. Je m’en souviens très bien car j’étais présente aux enregistrements, même si j’étais encore petite. Jacques Higelin était déjà extraordinaire. Il était gai, talentueux, avec cette folie en lui, cette gentillesse et cette tendresse qui le caractérisaient. Mais parmi toutes les qualités qu’on reconnaît à Higelin, on en oublie souvent une, et de taille : c’est un très grand musicien. Le disque paraît, dans une édition somptueuse, mais ne marche pas du tout… » (Françoise Canetti, la fille de Jacques)
Jacques Canetti te présente alors le parolier Marc Moro, alias « Mac Ormor », et t’encourage à te lancer dans le grand bain. Ensemble, vous faites « Priez pour Saint-Germain-des-Prés ». C’est aussi à cette époque que tu rencontres des artistes qui deviendront pour la plupart de vieux compagnons de route : Marc’O, Rufus, Bulle Ogier, Jean-Pierre Kalfon, Georges Moustaki, Areski Belkacem et bien-sûr celle qu’on prendra pendant si longtemps pour ta soeur, Brigitte Fontaine.
En 1966, tu tombes raide dingue de Nicole Courtois, ta Nini, avec qui tu auras ton premier enfant, le petit Arthur. Il en aura fait du chemin, le p’tit Arthur, entre ses premiers pas dans la chanson en 1971 avec son « petit tambour du roi » sur ton album « Jacques Crabouif Higelin » et aujourd’hui…
Avec Brigitte Fontaine et Rufus, à La Vieille-Grille puis au Théâtre des Champs-Élysées, tu crées la pièce « Maman j’ai peur » qui obtient un succès critique et public si important qu’elle restera plus de deux saisons à l’affiche à Paris et donnera lieu à une tournée européenne.
Je fais ta connaissance en 1977, avec le film de Gérard Pirès sorti en 1973, «Elle court, elle court la banlieue ». Bon, faut dire ce qui est, pas forcément un chef d’oeuvre… Mais ce petit film sans prétention a toujours gardé une place particulière dans mon coeur. On venait tout juste de rentrer d’Afrique, et ce long-métrage dépeignait la vie à Paris, si étonnante pour de petits sauvages comme nous, et cette banlieue, fantasmée, empreinte de modernité, Orly, le périphérique (récemment ouvert et déjà bouché), Fip Radio, tout ça, quoi…
En 1973, le « Métro-Boulot-Dodo » commençait ainsi sa carrière de leitmotiv à la mode. Une étude sociologique servit de point de départ et d’alibi scientifique au film, illustration légère et enlevée de l’odyssée urbaine de millions de Parisiens et de banlieusards.
Au pas de charge aller-retour, Gérard Pirès (le futur réalisateur de Taxi) poursuivait les trépidantes cohortes des heures de pointe. Fort malicieusement, la satire sociale chatouille là où ça fait mal, mais sait s’arrêter aux limites de la fantaisie et de la farce vaudevillesque (Victor Lanoux s’attaquant à son rival au moyen d’un véhicule de chantier). Avec Marthe Keller, vous rivalisiez de jeunesse et de charme dans ce petit film joyeux, baigné de musique pop, sympathique instantané d’une époque qui semble aujourd’hui si lointaine.
Et puis, je commence à découvrir le musicien. Et quel musicien… Tu te tournes résolument vers le rock avec les albums « BBH 75 » puis « Irradié », auquel participe Louis Bertignac, futur guitariste de Téléphone. Avec l’album « Alertez les bébés ! » où alternent compositions rock et chansons, tu reçois d’ailleurs le prix de l’académie Charles-Cros. Quand même…
Tu deviens alors, dans les années qui suivent, un des chanteurs rock parmi les plus populaires de France, notamment grâce à des prestations scéniques où tu donnes beaucoup de ta personne, dans une débauche d’énergie communicative avec le public. « No Man’s Land », avec « Pars » (ton premier tube en 1977), le double album « Champagne et Caviar » (initialement sorti en deux albums simples : « Champagne pour tout le monde » et « Caviar pour les autres… »), et l’album en public « Higelin à Mogador », font de toi l’égal de Bernard Lavilliers ou de Téléphone.
« À l’époque, les choses étaient bloquées pour moi, je tournais en rond, ça n’allait pas. Alors j’ai pris une mitrailleuse […] Nous avions le sentiment d’être des perdants magnifiques, véhiculant un esprit combatif, une classe sauvage. J’étais une lame de couteau. »
Dans les années 80, je te découvre aussi sur scène, et là, quelle claque… De l’intimiste Cirque d’Hiver en 1981, « un endroit qu’on peut prendre comme ça et serrer sur son coeur », à la démesure de Bercy en 1985, tu marques définitivement l’histoire de ton empreinte d’incroyable musicien et d’immense showman. On te voit et on t’entend partout, sur disque, en concert, chez les Carpentier, avec une programmation quelque peu inhabituelle pour l’émission, et toujours un peu au cinéma.
Pour graver dans la cire l’incroyable aventure de Bercy à l’automne 1985, tu sors ton triple album « Higelin à Bercy » et tu resteras un mois à l’affiche de cette salle immense, inaugurée l’année précédente. Tu chantes dans un décor de cinéma, avec scènes tournantes, plateaux mobiles, effets multiples, arrivée des musiciens en jeep ou en moto…
Après le rock, c’est la world music qui pénètre ton monde, toi qui aimais tellement l’Afrique : tu invites Mory Kanté et Youssou N’Dour à venir t’accompagner, eux qui étaient encore complètement inconnus du grand public. Un soir, même, Barbara et Gérard Depardieu (en pleine préparation de leur spectacle commun, « Lily Passion ») te rejoignent également sur scène. Quel souvenir, mon Jacques…
« Je lis plus les journaux alors j’ai peur de rien, la télé, la radio, c’est du mou de veau pour les chiens. »
Ah oui, je voulais aussi te dire que jamais je ne pourrais te reprocher tes prises de position ou tes engagements, que je n’ai pas toujours partagés, j’avoue, car toi, contrairement à beaucoup d’autres, tu l’as toujours fait avec sincérité, honnêteté et naïveté. C’est important, la naïveté. Comme disait Bashung – lui aussi, tu l’aimais bien : « Etre naïf, c’est être novateur, parce qu’il faut être vraiment naïf pour découvrir autre chose ». Et finalement, je tombe toujours d’accord avec toi…
Désolé, mon grand Jacques, mais il m’aura fallu un peu de temps pour réaliser qu’avec toi disparaissait notre enfance… J’espère juste que tu seras parti fier du chemin accompli depuis tes premiers pas à Chelles, et de ce que tu auras transmis à tes enfants. So long, mon grand Jacques…
Le clubbing gay naît en Europe dans les années 1920, avec le Magic City à Paris, et le quartier de Schöneberg à Berlin. Enfin, les gays peuvent se rassembler pour autre chose que de la drague interdite, mais pour s’amuser et danser.
Les émeutes de Stonewall en 1969 à New York lancent le grand mouvement de libération gay, et l’année suivante voit la naissance des gay prides où les LGBT marchent par milliers, drapeaux à la main, pour l’égalité des droits.
Dans les années 70, le clubbing gay voit émerger sa musique hédoniste et folle, la Disco, et pour la première fois, les clubs gay deviennent des lieux de mixité sociale, comme au Loft et au Paradise Garage, à New York.
Le Palace et le Studio 54 deviennent mythiques, autant pour le chaos de la queue à l’extérieur que pour la fête sans limite à l’intérieur. On y transpire beaucoup et les drogues n’y sont pas pour rien.
La Disco s’affirme comme un genre musical majeur, Donna Summer en est la reine, mais le backclash survient avec la campagne « Disco Sucks », mouvement homophobe déguisé qui brûle par milliers les vinyles de Disco dans des stades géants.
La Disco se réinvente alors avec la House de Frankie Knuckles, dans son temple, The Warehouse, boîte gay de Chicago d’abord fréquentée par les blacks et les latinos. C’est la période des hymnes utopistes comme le prophétique « Promised Land » de Joe Smooth.
A Londres, dans les années 80, pour échapper à l’hécatombe du sida, les gays se réfugient dans un clubbing de carnaval où le déguisement outrancier est de rigueur, avec les soirées « Taboo » puis « Kinki Gerlinky », et aujourd’hui « Sink The Pink ». Aux Etats-Unis, on mélange le déguisement et la danse, et ça donne le « Vogueing ». Les gays latinos et blacks de New York s’exhibent dans des chorégraphies hyper codées, spectaculaires, jambe en l’air, où la performance compte autant que les marques de respect du public. Oui, enfin, se faire respecter…
Dans les années 90, c’est l’explosion des super clubs gays commerciaux, le Queen sur les Champs-Elysées, le Heaven à Londres ou le Tunnel à New York. Des sanctuaires avec leurs rituels, comme quand le Dj Junior Vasquez braque le projecteur sur le meilleur danseur de la piste, lui conférant un statut de légende pour la communauté.
Heureusement, il reste des poches underground à Berlin ou à Paris, avec les filles du « Pulp » de 1997 à 2007, dont l’énergie n’est toujours pas dissipée. Et puis il y a l’exubérance des « Circuit Parties » géantes, à Miami, Miconos, Barcelone et Ibiza, avec apologie aliénante des corps parfaits.
Aujourd’hui, on se retrouve à la « Flash Cocotte », à la « Horse Meat Disco », au « Smart Bar » et au « Laboratory », ces bulles où on vient se sentir protégé, libre, exister sans discrimination, tout ce qui fait que le clubbing gay est… Sexy Demain !
Motorbass, c’est d’abord un groupe de musique électronique français formé en 1992 par Philippe Zdar et Etienne de Crécy, deux noms étroitement liés à l’émergence de la scène house française. A l’époque, le premier opère déjà au sein de La Funk Mob (qui allait devenir Cassius), auteur d’une poignée de maxis mythiques de abstract hip-hop pour le label londonien Mo Wax. Quant au second, il officie en tant qu’ingénieur du son au studio +XXX (Plus Trente), aujourd’hui fermé. C’est d’ailleurs là qu’ils se rencontrent pour la première fois, Etienne de Crécy enregistrant avec Niagara, tandis que Philippe Zdar travaille avec MC Solaar dans un studio voisin.
Après quelques maxis pour se faire la main, ils enregistrent l’album « Pansoul » en 1996, sous le nom de Motorbass, aujourd’hui considéré par beaucoup comme l’album fondateur de la « French Touch ». Et Dieu sait s’il y eut du lourd cette année-là en France… Entre le premier album de Daft Punk, « Homework » (chez Virgin), Etienne de Crécy et son concept-album « Super Discount » (chez Solid), Alex Gopher et son maxi devenu classique, « Est-ce Une Gopher Party Baby? » (toujours chez Solid), l’électro française commence à faire sacrément parler d’elle. Sans oublier « Boulevard » de St-Germain (sorti l’année précédente chez F Communications), ou encore le « Moon Safari » des Versaillais de Air en 1997…
Alors, dans un contexte aussi prolifique et riche qu’en cette année 1996, qu’est-ce qui fait que cet album ait conservé depuis lors une place si spéciale dans le coeur des amateurs de musique électronique ? Peut-être parce que ce disque épuisé dès sa sortie « sent la sueur du dance-floor, la crasse funk et le défoulement house » déclarait Ivan Smagghe, lorsqu’il chroniquait l’album pour les Inrocks en 1995. « La production est magistralement sale et complexe, passée dans trente-six filtres et remoulinée, laissant de l’espace à la mélodie sans oublier l’énergie sauvage. De la rage de Flying Fingers à la subtilité de Neptune, du tubesque Wan Dence à l’hypnotique Ezio, jamais Motorbass n’oublie l’essentiel, à savoir ce groove qui manque si souvent aux albums house et techno ». Nous y sommes, le mot est lâché : groove… Car c’est bien de groove dont il est question lorsqu’on évoque cet album fondateur.
Et pour faire de « Pansoul » un truc encore plus mythique, après sa sortie en 1996, nos deux comparses de Motorbass vogueront ensuite vers leurs projets solo respectifs : Philippe Zdar avec Cassius et Étienne de Crécy avec Superdiscount. Pour ceux qui n’ont pas eu la chance de se procurer cet album en vinyle, espérons qu’ils se seront rués sur la réédition de 2003.
A présent, presque vingt ans après la sortie de « Pansoul », que reste-t-il de Motorbass ? « Des morceaux cultes, des catastrophes, des stars, des instruments taillés pour la légende » (Les InRocks, août 2015), et un studio d’enregistrement où se pressent toutes les pointures de la scène musicale internationale, de Phoenix à Sebastien Tellier, en passant par Kanye West, Pharrell Williams, The Rapture ou Cat Power, qui viennent confier la réalisation de leurs albums respectifs au gourou des lieux, maître Philippe Zdar.
Touche Française : les principaux acteurs de la French Touch reviennent sur les secrets de cette musique, leurs influences et décryptent le phénomène.
Arte vous propose une plongée visuelle et sonore au cœur d’un mouvement qui a su replacer la France sur la carte du divertissement international. Du pionnier Laurent Garnier aux influences métissées de Motorbass, des révolutionnaires Daft Punk aux électrons libres et pop Sebastien Tellier ou Air, en passant par l’electroclash de Vitalic, Touche Française revisite la French Touch, qui a fait danser et rêver la planète, à travers une playlist de douze morceaux emblématiques de la musique électronique française de 1995 à aujourd’hui.
Une websérie documentaire de 12 x 6’ écrite par Jean-Francois Tatin, réalisée par Guillaume Fédou et Jean-Francois Tatin, et coproduite par Arte France et Silex Films.
Episode 1/12 : « Black Chimie », les « Flying Fingers » de Motorbass
Les ex-Motorbass Philippe Zdar et Etienne de Crécy reviennent sur la création de l’album « Pansoul » (1996), entre les synthés de leur coloc à Montmartre et les rencontres en studio, quand un certain Jimmy Jay, producteur de MC Solaar, a posé ses « Flying Fingers ». Considéré par beaucoup comme l’album fondateur de la French Touch, « Pansoul » est révélateur du son métissé de l’époque, un « Son » house influencé par le Hip-Hop et le Funk. C’est aussi le temps des raves mémorables qui ont contribué au succès de la Techno, où l’on danse encore ensemble et pas encore devant le DJ…
Episode 2/12 : « Techno Combat », le « Flashback » de Laurent Garnier
Le pionnier de la « House » Laurent Garnier raconte comment « Flashback » a réussi à faire entrer la culture Techno sur la bande FM – jusqu’aux Victoires de la Musique ! – tout en respectant les quotas de chanson française imposés par le gouvernement, à une époque où la musique électronique a pour ennemie sa propre image, celle d’une musique de voleurs et de drogués. Un succès qui croit avec le développement des soirées comme les « Wake Up » qu’il organise alors au Rex Club à Paris.
Un globe interactif avec chaque station de chaque moyenne et grosse ville, des petites ondes de quartier aux radios nationales.
Vous connaissez sans doute déjà le super site radiooooo.com qui propose des playlists en fonction du pays et de l’époque que vous choisissez. Il existe maintenant Radio Garden, qui vous permet d’écouter une grande partie des radios qui diffusent et diffusaient dans le monde entier. Le site se présente sous la forme d’un globe interactif, à vous de choisir une ville, puis la station de radio que vous souhaitez écouter.
Quelques clics à peine et vous voilà ainsi sur une radio de quartier de Manchester ou l’une des stations de Buenos Aires. Que ce soit des radios nationales, locales ou web radios : tout y est, et même plus encore.
Mises à part les radios, l’onglet « History » permet de voyager dans le temps et écouter la radio d’une autre époque. On peut par exemple tomber sur une émission française du 2 novembre 1937. L’onglet « Jingle » vous permet d’écouter les différents jingles qui existent autour du globe, le tout analysé dans un petit texte. « Stories » n’est pas encore disponible en français mais permet de s’attarder sur des discussions culturelles, géographiques, historiques dans différentes stations de radio, comme des podcasts qui documentent l’histoire de la Radio. Ce site est une mine d’or, il faut juste prendre garde à ne pas se perdre dans les limbes radiophoniques.