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  • 1979, l’année qui changea le monde, Episode 06 : « Apocalypse Now »

     

    [kleo_pin type= »circle » left= »yes » right= » » top= » » bottom= » »]          « FOCUS » : un article de fond sur un thème que nos rédacteurs ont sélectionné.

     

     

    L’année 1979 est définitivement une année-charnière, comme la fin d’un cycle. Elle scelle le sort des dernières utopies. Le monde prend une pelle et enterre à la hâte les cadavres encore fumants de nos illusions perdues. Après 1979, rien ne sera plus vraiment comme avant…

     

    Coincée à la fin d’une décennie qui paraît un peu creuse, durant laquelle les dirigeants politiques semblent manquer de charisme (le pâle Carter face au cowboy médiatique Reagan, VGE après De Gaulle et Pompidou), l’année 1979 n’attire décidément pas les flashes. Et pourtant… Que d’événements considérables ont eu lieu cette année-là, autant de tremblements qui ont marqué la face du monde et dont on ressent encore les répliques quarante ans plus tard.

    Révolution iranienne, arrivée de Saddam Hussein au pouvoir en Irak, début de la Guerre d’Afghanistan qui mènera à la chute de l’URSS et à l’apparition du terrorisme islamiste, second choc pétrolier et crise économique mondiale, paix entre Israël et l’Egypte, fin des Khmers Rouges… Il n’est pas insensé de penser que 1979 a en réalité été l’année la plus importante de l’après-Seconde Guerre Mondiale.

     

    Palme d’or à Cannes en 1979, le film de Coppola a marqué l’histoire du cinéma par son tournage apocalyptique, les caprices de Marlon Brando et les millions de dollars engloutis. Mais quarante ans plus tard, le cinéaste impose sa maestria et sa maîtrise avec un superbe nouveau montage, baptisé « Apocalypse Now Final Cut ».

     

    C’était il y a quarante ans, les écrans de cinéma rougissaient de flammes sur la musique des Doors, des palmiers brûlaient en torche… Le fantasque lieutenant-colonel Kilgore bombardait une plage du Vietnam au son de « La Chevauchée des Walkyries » de Wagner. Et lâchait ces mots comme une bombe de plus dans ce déluge de feu : « J’adore l’odeur du napalm au petit matin »…

    Avec cette réplique et cet assaut d’hélicoptères, comme avec d’ailleurs beaucoup d’autres scènes mémorables au fil du voyage halluciné du capitaine Willard (Martin Sheen), traquant le colonel Kurtz (Marlon Brando) pour l’éliminer, en pleine guerre du Vietnam, « Apocalypse Now » a fini par prendre la place qu’il méritait dans l’histoire du cinéma. Majestueusement… Pourtant, c’est dans l’incertitude totale que le film de Francis Ford Coppola commença sa carrière, en 1979.

     

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    Fort du succès des « Parrain I et II », Francis Ford Coppola présente en 1979 au Festival de Cannes son nouveau projet inspiré du roman de Joseph Conrad, « Au Cœur des Ténèbres » (non crédité au générique). Il obtient la palme d’or ex-aequo avec « Le Tambour » de Volker Schlöndorff. Un destin inespéré pour un film dont le tournage fut tout bonnement catastrophique. Entre les crises du réalisateur, les caprices des acteurs, les maladies tropicales et la drogue, rien ne prédestinait « Apocalypse Now » au succès dont il fut couronné à l’époque.

    Pourtant, dès sa toute première projection à Cannes en 1979, Coppola n’est pas franchement satisfait du résultat et considère cette première version comme étant toujours « a work in progress ». Il en proposera donc une nouvelle version 22 ans plus tard, en 2001, rallongée de 49 minutes et renommée « Apocalypse Now Redux ». Aujourd’hui, le réalisateur récidive en sortant « Apocalypse Now Final Cut », qui devrait (selon ses propres dires…) être la version ultime de son chef d’oeuvre absolu. 40 ans, c’est le temps qu’il aura fallu à Coppola pour être enfin satisfait de son film le plus emblématique…

     

     

     

    « Apocalypse Now n’est pas un film sur le Viêt Nam, c’est le Viêt Nam. Et la façon dont nous avons réalisé Apocalypse Now ressemble à ce qu’étaient les Américains au Viêt Nam. Nous étions dans la jungle, nous étions trop nombreux, nous avions trop d’argent, trop de matériel et petit à petit, nous sommes devenus fous. » (Francis Ford Coppola)

     

    « Apocalypse Now » nous conte donc l’histoire du Capitaine Willard, missionné en pleine guerre du Vietnam pour trouver et éliminer le Colonel Kurtz, officier des forces spéciales, brillant mais soupçonné de mener sa propre guerre. Ce qui ne devait être qu’une simple opération va se transformer en voyage initiatique et en une prise de conscience choquante de l’horreur de la guerre. Pour être au plus près de la réalité, Coppola n’a d’ailleurs pas hésité à utiliser de vrais cadavres pour certaines scènes…

    Le film s’ouvre sur le jeune capitaine Willard, cloîtré dans une chambre d’hôtel de Saïgon, mal rasé, imbibé d’alcool et sorti de sa prostration par une convocation de l’état-major américain. Le général Corman lui confie une mission qui doit rester secrète : éliminer le colonel Kurtz, un militaire aux méthodes quelque peu expéditives et qui sévit au-delà de la frontière cambodgienne.

     

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    Coppola nous livre à travers son film une sévère critique de la guerre du Vietnam, ce qui sera cependant contredit par certains journalistes ou chroniqueurs à l’époque de sa sortie. Rappelons que l’opinion publique était dans son ensemble défavorable à l’engagement américain en Indochine et que lorsque les vétérans finirent par rentrer au pays, ils furent accueillis non pas en héros, mais plutôt comme des parias et des criminels. En plus de la violence et des abus inhérents à tout conflit, l’inutilité de la présence de l’armée américaine était au cœur des critiques.

    « Apocalypse Now » reflète ainsi le manque de conviction notoire de ces soldats américains, désœuvrés, perdus, qui ne savent même plus pourquoi ils se battent. Ce n’est pas pour rien que dans la scène de la colonie française, le propriétaire de la plantation assène à Willard : « Vous les américains, vous vous battez pour rien du tout ». L’isolement et l’absence de but les poussent donc à toutes les folies.

     

     

     

    Au milieu de ce chaos, Martin Sheen, l’implacable Willard, à la tête de son commando improbable, progresse le long de la rivière, bien décidé à trouver le fameux Kurtz. Au fil de l’eau, il devient spectateur d’un monde complètement à la dérive et comprend peu à peu les raisons qui ont pu faire sortir le brillant colonel des Forces Spéciales du droit chemin. Ce dernier reste d’ailleurs une énigme jusqu’à la toute fin. Le suspense quant à son identité et sa véritable apparence monte crescendo, jusqu’à ce que l’on découvre, sortant de l’ombre, un Marlon Brando métamorphosé. À la fin du film, les deux personnages ne font pratiquement plus qu’un, tant leurs visions respectives de cette guerre et plus généralement du monde semblent désormais liées pour toujours.

     

     

     

    En 1979, à Cannes, la présidente du jury, Françoise Sagan, restera absolument hermétique à « Apocalypse Now », pour lequel le Festival avait été contraint d’accepter au préalable tous les ordres, contre-ordres, caprices et diverses contraintes techniques. Sagan ne jure en fait que par « Le Tambour » de Volker Schlöndorff… Gilles Jacob, conscient quant à lui de l’ampleur de l’œuvre de Coppola, déroge même à la règle qui interdit à un cinéaste déjà lauréat de la Palme d’or de revenir en compétition (Coppola l’avait obtenue cinq ans plus tôt pour « Conversation Secrète »).

    Car un vent nouveau souffle sur Cannes cette année-là… En fait, tout a basculé trois ans plus tôt avec la palme d’or à Martin Scorsese pour « Taxi Driver », qui a fait l’effet d’un électrochoc. On dit que le vieil Hollywood, celui des John Ford et des Vincente Minnelli, est à l’agonie. La relève est là, piaffante d’impatience. On les surnomme les garnements (Movie Brats). Ils détestent les grands studios – Fox, MGM, Warner, Columbia, Universal, Artistes Associés – et inventent déjà le cinéma du XXIème siècle avec des superproductions délirantes.

    C’est une tribu qui rêve de gloire et va qui va révolutionner le cinéma mondial, en pesant « accessoirement » des milliards de dollars au box-office : Roger Corman, Steven Spielberg, George Lucas, Martin Scorsese, Paul Schrader, Michael Cimino, Brian de Palma et Francis Ford Coppola. Justement, ce dernier a choisi son heure pour débarquer en force à Cannes en 1979, avec son film spectaculaire et nietzschéen, présenté en première mondiale. Car après ce festival, rien ne sera plus comme avant… La suite est à lire dans l’excellente série d’articles du Point parue en août 2019, à l’occasion du 40ème anniversaire du chef d’oeuvre de Coppola et de la sortie du « Apocalypse Now Final Cut », version restaurée en 4 K Dolby Atmos, conçue par le réalisateur comme ultime et définitive…

     

     

     

    « Apocalypse Now » en 8 Minutes by Blow Up (Arte)

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    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] « Apocalypse Now, la faillite de l’histoire » (Le Monde Diplomatique, 1979) 

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »]  Wikipedia

     

     

     

  • Marlon Brando et Tetiaroa, sa seule histoire d’amour

     

     

    Il y a quinze ans, presque jour pour jour, disparaissait l’un des derniers monstres sacrés de Hollywood. Marlon Brando nous quittait le 1er juillet 2004. Portrait d’un acteur hors du commun, qui vécut un amour inconditionnel pour la Polynésie française.

     

    Marlon Brando fût sans conteste l’un des acteurs parmi les plus influents de toute l’histoire du cinéma, de l’aveu même de ceux qui sont aujourd’hui la référence en la matière : Dustin Hoffman, Robert de Niro, Al Pacino, Paul Newman, Jack Nicholson, Johnny Depp et bien d’autres encore.

    Au fil de sa longue carrière cinématographique, Brando n’a eu de cesse que d’évoquer sa rencontre avec le monde polynésien, qui servit d’ailleurs de cadre au tournage de la deuxième version des « Révoltés du Bounty » en 1962, sur les lieux mêmes de cette histoire rocambolesque mais authentique, à Matavai.

     

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    Il l’évoquait d’ailleurs dans son livre autobiographique « Les chansons que m’apprenait ma mère » paru en 1997 : « Je dois à Tahiti les plus beaux moments de ma vie. Si j’ai jamais approché la paix véritable, c’est sur mon île ». L’île de Tahiti le fascinait au point qu’il n’a pas hésité à refuser l’offre que lui faisait David Lean d’incarner « Lawrence d’Arabie » à l’écran en 1962, de peur d’être éloigné d’elle trop longtemps. Le réalisateur projetait en effet de tourner son film en Jordanie, sur une période de six mois, période jugée trop longue par la star qui avança le prétexte fallacieux de craindre de « s’évaporer comme un flaque ».

     

    Tetiaroa, l’île d’une autre vie

    De cette grande réalisation épique dont on lui fera porter la responsabilité de son coût exorbitant, Marlon Brando sortira avec cette image d’excentrique impossible à gérer. Une image qui lui collera à la peau jusqu’à la fin de sa vie. Francis Ford Coppola aurait pu lui aussi en faire les frais lorsqu’il a fallu présenter à La Paramount la candidature de l’acteur pour le rôle principal du « Parrain 1 ». Mais l’histoire en a décidé autrement et le rôle du Parrain parachèvera l’entrée de Marlon Brando au Panthéon des plus grands acteurs de sa génération.

     

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    Sur son atoll de Tetiaroa, payé 200.000 dollars en 1966, Marlon Brando se construit son monde à lui, pour mieux fuir la presse et l’univers d’Hollywood pour lesquels il ressent un profond dédain. Il y fonde une autre petite famille, avec sa femme Tarita et ses deux enfants, Tehotu et Cheyenne. Sa fille Cheyenne qui disparaîtra tragiquement en 1995, à l’âge de 25 ans.

    Son épouse tahitienne Tarita Teriipaia, rencontrée sur le plateau des « Révoltés du Bounty », qualifie sa vie avec la légende de « déchirure ». Pendant 42 ans, Brando interdira en effet à sa compagne de lui exprimer son amour. Un an avant sa mort, l’acteur brise enfin la carapace qui l’emprisonne depuis si longtemps et se met à marmonner comme dans ses films un silencieux « je t’aime » à l’adresse de Tarita…

    Les cendres de Marlon Brando furent dispersées à sa demande dans la Vallée de la Mort aux États-Unis et à Tetiaroa.

     

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    A deux pas de Tahiti, un hôtel hors normes est inauguré le 1er juillet 2014, dix ans jour pour jour après la disparition de la star. Ses 35 villas posées sur l’atoll de Tetiaroa où vécut Marlon Brando inventent un nouvel art hôtelier : prestations grandioses, nature magnifiée, écologie respectée. Robinson est enchanté…

     

    Tumi a 26 ans, la grâce d’une sirène née du lagon clair et un regard dans lequel volent les oiseaux de mer. Elle les connaît tous, ils sont sa passion. Aigrette sacrée, fou à pieds rouges, sterne fuligineuse, nodi noir, frégate du Pacifique… Elle suit chaque couple, veille sur les nichées, prière de ne pas déranger.

    Accompagnatrice d’excursions et formée aux sagesses de la nature, Tumi est princesse de Tetiaroa, l’atoll de six kilomètres carrés dont les 13 îlots, ici on dit « motu », flottent à 53 kilomètres au nord de Tahiti. Tous les Polynésiens savent que cette galette de corail coiffée de cocotiers et de filaos était jadis le refuge de la dynastie royale des « Pomare » (XVIIIème et XIXème siècles). Les souverains tahitiens venaient en famille y faire la pause, s’y ressourcer.

    En ces temps initiaux, le ciel était volontiers courtois et dispensait d’utiles conseils de gouvernement, désignait les traîtres à sacrifier sur l’autel (« marae ») des dieux « maho’i » autant que les jeunettes à épouser dès demain. Le « mana », l’esprit des îles, scellait alors une sensuelle harmonie entre une nature prodigue et la sérénité des hommes.

    Les rois ont filé, le mana est resté. Aujourd’hui, Tetiaroa brille de nouveaux feux. Tumi aussi, héritière des lumières de son peuple, d’un fil tendu entre ciel et lagon. Sûr qu’elle sait parler avec le vent, les fleurs et les étoiles. Exactement comme le faisait son grand-père, Marlon Brando. Il vécut ici, de 1970 à 1990, en Robinson magnifique : « Mon esprit s’apaise toujours quand je m’imagine la nuit, assis sur mon île du Pacifique », racontait-il.

    Le 1er juillet 2014, soit dix ans jour pour jour après la disparition du propriétaire des lieux, The Brando était inauguré à Tetiaroa. Un hôtel hors normes… Première bonne nouvelle : aucun bungalow sur pilotis comme on en trouve communément dans ce genre d’endroits, mais 35 villas pelotonnées au beau milieu des arbres, en harmonie totale avec ce lieu d’exception. Bref, une cachette dont on se confie le secret entre bonnes fortunes, un refuge à faire rêver tous les voyageurs en quête d’ailleurs.

     

     

     

     

    L’hôtel est né d’une folie. Celle de Marlon, d’abord. Venu ici en 1960 à l’occasion du tournage du film « Les Révoltés du Bounty », dans les eaux mêmes où Fletcher Christian déclencha la mutinerie contre le capitaine Bligh en 1789, il en repartit avec une épouse, Tarita, qui joue le rôle de Maimiti, sa conquête polynésienne à l’écran, et la ferme intention d’acquérir Tetiaroa : « C’est encore plus beau que tout ce que j’avais pu imaginer ».

    L’atoll appartient à la fille d’un dentiste qui n’y met jamais les pieds. 200.000 dollars plus tard et après avoir promis de n’abattre aucun arbre endémique, Brando tient son royaume polynésien. Tout à son euphorie, il veut en faire le paradis sur terre, son An 01 à lui, très loin des sunlights et des prétentions d’Hollywood. Il fait construire 14 « fare » (maison, en tahitien) grands ouverts sur le merveilleux bleu pâle du lagon, histoire de partager l’émotion, paréo et pieds nus dans le sable, avec quelques égarés de passage.

    A Tarita, à ses enfants, le géant éclaire son utopie : « Etablir à Tetiaroa une communauté autosuffisante où se trouveraient associés la recherche et la formation, l’agriculture, l’aquaculture et le tourisme, au sein d’un environnement préservé pour le bénéfice de tous. Et créer une communauté non polluante qui ne bouleverserait pas l’équilibre écologique du lagon. »

    Toutefois, du rêve à sa réalisation… Un mini-hôtel, un élevage de tortues puis de homards, des recherches menées sur l’atoll par la Fondation Cousteau, rien ne marche. En 1990, Brando quitte Tetiaroa. Il n’y reviendra pas…

     

     

     

    Heureusement, le mana veille… Et si le délire générait l’avant-garde ? Et si le rêveur croisait un entrepreneur ? Et si, d’une passion commune, ils inventaient ensemble l’impossible ? Richard Bailey, tout le monde l’appelle Dick, est également californien. Sa bobine d’étudiant cache une heureuse soixantaine. Francophile émérite capable de glisser dans la même phrase « paradigme » et « nonobstant », Bailey a construit, en trente années, le premier pôle hôtelier de Polynésie. L’enseigne Pacific Beachcomber brille à Tahiti, à Moorea, à Bora-Bora (deux adresses), ainsi que sur deux paquebots de croisières dont le fameux Paul Gauguin.

    A partir de 1999, il croise Brando ici, là-bas, ailleurs. Ensemble, ils parlent nature, hôtel, innovation, héritage polynésien. C’est décidé, son graal sera Tetiaroa.

     

    « Lorsque nous évoquions l’avenir de son atoll, nous avions la même vision : la protection absolue et non négociable de sa nature (14 espèces d’oiseaux, 158 espèces végétales dont 38 indigènes, 167 familles de poissons, etc.), son ouverture aux chercheurs et aux visiteurs, l’invention d’un site touristique à l’impact proche de zéro. Marlon avait mille idées sur la question. Je me suis engagé à en respecter l’esprit. » (Richard Bailey)

     

    Brando s’éteint le 1er juillet 2004, et une partie de ses cendres est dispersée sur l’atoll. Dick rentre à Tahiti avec le dossier The Brando ficelé et financé. Passons sur les embûches. Les neuf héritiers qui se chamaillent, les écologistes locaux qui hurlent à la trahison, l’absence de passe qui complique l’arrivée des engins de construction, l’évacuation des fosses dont Brando faisait ses décharges, la nécessité de rectifier l’angle de la piste d’atterrissage, les ministères tahitiens qui rechignent…

    Le 1er juillet 2014, dix ans jour pour jour après la mort de Marlon, Dick et Philippe Brovelli, son bras droit depuis toujours, avec Silvio Bion, nommé directeur, inaugurent l’hôtel The Brando. Mission accomplie.

     

     

     

    Deux des fils de la star sont présents. Teihotu, 46 ans, fils de Tarita et père de Tumi. Il est resté longtemps le seul habitant de Tetiaroa, préférant la chanson des vagues s’abattant sur le récif aux lumières de la ville. Et Miko, né d’une autre épouse, son contraire, adorant les micros, détaillant ses trente années passées à Los Angeles aux côtés de Michael Jackson.

    Il est venu avec un flacon d’Eau Sauvage, aussitôt donné à Dick Bailey : « Il a appartenu à Marlon. Tu asperges les différentes parties de l’hôtel, pour que papa soit encore là ». Tumi a souri. Elle préfère cette intimité familiale à l’idée hollywoodienne un temps caressée d’accueillir ici la caste du Parrain, avion piloté par Travolta avec à bord Brad et Angelina, de Niro et Nicholson, Madonna et Beyoncé, Barbra, Sean, Leonardo…

     

    Les paillettes, peut-être, mais l’héritage Brando exigeait aussi de la sincérité et de la profondeur. Bailey portait le devoir de bâtir un microcosme inspiré, pensé pour remporter la bataille de l’énergie. Trois sources ont été retenues afin d’alimenter le domaine et ses 35 villas servies par 150 membres du personnel.

     

    En premier, le SWAC (Sea Water Air Conditioning), une géniale idée de Brando. Son principe : puiser l’eau du Pacifique à grande profondeur (ici, 935 mètres) là où elle est à 4°C, grâce à un tuyau de 2,5 kilomètres de long, afin d’assurer la climatisation du domaine et d’alimenter le spa en eau à la pureté millénaire. Coût : 6,5 millions d’euros et zéro émission.

    Deuxième source d’énergie, le soleil. Quelque 2.400 panneaux solaires sont installés le long des 775 mètres de la piste d’atterrissage de l’atoll. C’est assez pour éclairer les villas, les lieux communs (deux restaurants, deux bars, des salons) et les logements du personnel.

    Enfin, par sécurité, une petite unité de transformation d’huile de coprah (extraite de la noix de coco). Sans oublier la récupération des eaux de pluie, une station de dessalement d’eau de mer et le recours parcimonieux à la nappe phréatique.

    Le diktat vert génère une répartition quasi militaire des ressources : la désalinisation est réservée aux salles de bains, le potager hors-sol est arrosé avec les eaux usagées retraitées, la buanderie puise dans la nappe, etc… Et, pour les déplacements, c’est  en mode voiturettes électriques à l’heure du ménage ou du service en villa et bicyclette quand les résidents veulent faire le tour de l’atoll en suivant le chemin glissé sous la cocoteraie ou bien juste se rendre au bar, au restaurant, au spa (2.000 m²) ou sur le court de tennis tapissé de moquette façon gazon anglais.

    A Tetiaroa, une seule règle de vie édictée par Philippe Brovelli et Silvio Bion : « L’envie du moment. Chacun mange quand il le souhaite, boit ce qu’il veut, fait ce qui lui plaît ». On ne saurait inventer plus belle équation du bonheur. Du coup, certains clients ne sortent jamais de leur villa. Avec 95 mètres carrés pour deux (chambre au lit de star, salle de bains et salon), une vaste terrasse solarium, une piscine privée, un kiosque idéal pour une dînette les yeux dans les yeux, un écran connecté au monde entier, le service permanent d’un majordome et un accès direct à la plage des Sirènes (généralement déserte) tapissée par un lagon au bleu unique. On les comprend…

    Pourtant, impossible de ne pas succomber au charme des installations du Brando. Le restaurant de plage et sa déclinaison gastronomique, « Les Mutinés », 20 couverts seulement, réservation obligatoire, une carte courte, un délice inclus dans le tarif de base et une cave aux références aussi grandioses qu’inattendues sous ces latitudes (en supplément). Guy Martin a délégué ici Antoine Gonzalez, un trentenaire passionné, pour réinventer la cuisine des îles avec le mahi-mahi, le thon ou la bonite, avec aussi des saint-jacques à peine saisies enveloppées de jus de yuzu et céleri, des crevettes rôties à l’huile de chorizo, bouillon aux saveurs de paella…

    Les bars ensuite, pieds dans le sable au milieu des pandanus ou bien perché sur la terrasse dominant la vaste piscine. Architecte et décorateur ont retenu l’idée du nid, joli tressage en alvéoles de bois locaux. Une réussite qui inspire Aurélien, chef barman inventeur d’une vingtaine de cocktails dédiés à Tetiaroa. Entre autres, le « Dirty Old Bob » (en hommage à l’assistant de Marlon) : bourbon, ananas, miel des ruches installées à l’abri de la cocoteraie, citron vert et bitter. Ou le « Tetiaroa Waters », référence au bleu unique du lagon : vodka dans laquelle ont infusé des fleurs de tiare, jus de pamplemousse, eau de coco glacée, trait de curaçao.

    Le « Spa Deep Nature », enfin, niché dans la palmeraie, à l’écart des villas. Un soin quotidien est inclus dans le séjour. Ses concepteurs promettent les recettes du bien-être telles que les inventa la tradition polynésienne.

     

     

     

    Brando avait exigé que ces basiques hôteliers soient complétés par une sorte d’université des îles, un centre d’études pour experts et scientifiques. Deux entités complètent donc le dispositif. La Tetiaroa Society, présidée par Hinano Bagnis, est l’organisme de recherche installé sur l’atoll. Son laboratoire high-tech peut accueillir une douzaine de chercheurs, qui travaillent aussi bien sur l’acidité de l’océan que sur la migration des baleines à bosse (juillet et août), le développement du corail, la nidification des sternes blanches, la population des requins et des raies manta.

     

     

     

    Quant à l’association Te Mana o te Moana, elle fait le lien entre la préservation de ce fragile écosystème et la clientèle. Sa présidente, la vétérinaire Cécile Gaspar, est une experte des tortues vertes. Ses observations montrent qu’elles font un périple de trois mois et 4.500 kilomètres, jusqu’aux îles Fidji, avant de revenir pondre à Tetiaroa, entre octobre et mars. Les hôtes du Brando peuvent accompagner les chercheurs, qui deviennent alors semeurs de savoirs. Pareillement, ils partent à la découverte des motus en compagnie des guides de Te Mana o te moana. Côté ciel comme dans l’eau, pour admirer les damzelles, ces mini-poissons bleu Klein qui bécotent les bouquets de corail. Approcher, oui ; admirer, certainement ; altérer, pas question.

    Quand elle accompagne les curieux jusqu’à Tahuna Iti, le motu aux oiseaux, Tumi raconte, jumelles à la main, le bulbul à ventre rouge, la frégate ariel, la marouette, la sterne à dos gris. Jamais elle ne révèle sa filiation, encore moins sa fierté d’être la gardienne d’un trésor. Son grand-père le promit un jour : « Si j’en ai le pouvoir, Tetiaroa restera toujours un endroit qui rappellera aux Tahitiens ce qu’ils sont et ce qu’ils étaient des siècles auparavant ». Tumi regarde le ciel, ouvre grands les bras pour s’offrir au vent du large et aux parfums d’océan. Elle est le mana de Tetiaroa.

     

    C’est bel et bien Marlon Brando lui-même qui a voulu Tetiaroa telle qu’elle est aujourd’hui, dans ses moindres détails. Car cette vision qu’il eut de son île correspond point par point à ses valeurs, à sa conception du positionnement de l’homme au sein de cette nature qu’il se doit de respecter, ainsi qu’aux positions fortes que l’acteur a toujours défendues, au risque de se mettre à dos une partie de l’industrie du film, comme ce fut d’ailleurs le cas.

    Mais Tetiaroa est aussi la preuve qu’un projet de cette ampleur nécessite la conjonction parfaite du rêve et du pragmatisme. Et lorsque ces deux visions cohabitent dans le respect, tout semble possible. 

     

     

     

    Source : Jean-Pierre Chanial pour Le Figaro

     

     

     

  • Focus | Marlon Brandon, l’ange déchu

     

     

    Tout homme a sa part d’ombre… Et aucun autre acteur que Marlon Brando n’aura à ce point magnifié et dédaigné son métier. Son histoire, c’est celle d’un acteur qui avait hérité d’une beauté diabolique, d’un génie indécent, d’un magnétisme qui aura fasciné les femmes comme les plus grands réalisateurs, et qui pourtant, n’aura eu de cesse que de contrecarrer les plans que Dieu lui-même avait échafaudés pour lui. Au lieu de ça, il finira seul, prisonnier de ses démons et de son plus mauvais rôle, son propre rôle…

    En 1979 sort sur les écrans « Apocalypse Now » de Francis Ford Coppola. Marlon Brando y incarne le torturé Colonel Kurtz, et les critiques verront un parallèle troublant entre son personnage et sa propre existence, à savoir celle d’un homme solitaire et perdu. Et pourtant… Ces quelques scènes où apparait Brando, le crâne rasé, dans la semi-obscurité, ne font que confirmer l’étendue de son talent unique. Le film est remarquable, certes, mais ce sont ces scènes avec Brando qui resteront à jamais gravées dans la mémoire collective. Car on parle bien de celui qui inspirera plusieurs générations d’acteurs, de James Dean à Johnny Depp, en passant par Paul Newman, Steve Mc Queen, Robert Redford, Al Pacino, Jack Nicholson, Robert de Niro ou Dustin Hoffman…

    En 1943, Marlon Brando intègre par hasard The Actor Studio de New York, et le cours de Lee Strasberg. Sous la houlette de Stella Adler, il se forme à la méthode de Konstantin Stanislavsky, à savoir une nouvelle façon d’approcher les rôles, fondée sur la vérité des sentiments, l’improvisation et l’oubli du scénario originel, pour un approfondissement psychologique du personnage, allant parfois jusqu’à l’excès. Stella Adler déclarait à son sujet : « Marlon n’a jamais réellement eu besoin d’apprendre à jouer. Il savait ».

    En huit années, de « C’était des hommes » (The Men, 1951) à « L’homme à la peau de serpent » (The Fugitive Kind, 1959), Brando marquera d’une empreinte indélébile le cinema mondial, en s’imposant comme l’un des tout meilleurs acteurs de tous les temps, précipitant le déclin de la génération des acteurs shakespeariens comme Laurence Olivier. Au long de cette décennie marquée à son sceau, Marlon Brando sera nommé à cinq reprises pour l’oscar du meilleur acteur, qu’il obtiendra en 1955 pour « Sur les quais » (On The Waterfront, 1954), et il deviendra l’icône de toute une génération avec le rôle de Johnny dans « L’équipée sauvage » (The Wild One, 1953).

    Cette légende, construite dans les années 50, c’est à croire que Brando s’est ensuite évertué à la détruire, et à se détruire lui-même, à petit feu, dans les décennies qui suivirent. En effet, dès le début de sa carrière, Marlon Brando montre déjà le plus profond mépris pour le métier d’acteur, comme pour le star system hollywoodien, ou plus généralement le milieu du cinéma. Il déclarait « Je trouve le métier d’acteur détestable, désagréable ». Ces derniers lui rendirent bien, lassés de son imprévisibilité, de ses caprices, de ses exigences financières astronomiques, comme de ses prises de position souvent cyniques, voire dérangeantes.

    Marlon Brando aura refusé tout au long de sa carrière tellement de rôles, dont certains se seront par la suite avérés être de grands rôles, parmi lesquels Laurence d’Arabie en 1962, tout comme les récompenses qu’il ne daignera pas aller chercher… A commencer par son oscar pour Le Parrain. Embaucher Brando, c’était devenu une réelle gageure pour les réalisateurs, comme les producteurs. Ce lent suicide artistique entamé dans les années 60 sera néanmoins ponctué de quelques chefs d’oeuvre, tels que « Le Parrain » (The Godfather, 1972), « Le dernier tango à Paris » (Ultimo Tango a Parigi, 1972) ou « Apocalypse Now » (1979).

    Redécouvrez absolument les multiples facettes de ce génie torturé, disparu il y a dix ans…

     

     

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    The Chase (1966)

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