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  • Boy George : L’Interview Taboo (2008)

     

     

    Avant l’arrivée de Leigh Bowery au Taboo à Londres au milieu des années 80, être un freak n’était pas forcément considéré comme une forme d’art. La pop star et Dj Boy George se souvient avec nostalgie de ces soirées mythiques où subversion, glamour et maquillage des corps de la tête aux pieds servaient de prétextes à la musique.

     

    « Habillez-vous comme si votre vie en dépendait ou ne vous dérangez pas », lançait Leigh Bowery en évoquant le dress code indispensable à ses soirées du jeudi au Maximus, près de Leicester Square à Londres. Nous étions en 1985, et le concept de Bowery allaient sortir la capitale britannique de sa torpeur et rendre aux nuits londoniennes leur splendeur d’antan.

    Le Taboo et sa faune radicalement subversive et étrange ne se sont pas seulement inspirés de l’androgynie ludique et décadente de la scène New Romantics émergeante, pour s’imposer comme l’un des courants les plus rafraichissants de la nouvelle scène londonienne ; ils ont pris cette esthétique romantique, l’ont plongée dans du plastique ou du vinyle, l’ont enroulée dans de la fausse fourrure, l’ont couverte de pied en cape de maquillage corporel, l’ont poussée jusqu’à la caricature délicieusement extrême et l’ont offerte en pâture à la piste de danse.

    En deux ans d’existence (1985-1986), avant que la police ne les interdise, les folles soirées du Taboo ont propulsé Leigh Bowery au rang de grand ordonnateur, seul être sur terre à même de définir à quoi la vie nocturne se devait de ressembler. Il inspira nombre de soirées devenues cultes, entre New York’s Campy, Bloody Version et Disco 2000.

    Boy George, qui a ensuite célébré Leigh et sa bande dans la comédie musicale « Taboo » en 2002, n’était pas seulement l’un des amis proches de Bowery, il était également un habitué de ses fêtes – un « homme d’état plus âgé », comme il se plaît à l’évoquer. Dans cet entretien datant de 2008 avec Mark Ronson pour « Interview Magazine », le musicien de 59 ans cette année se remémorait l’émergence de ces sous-cultures britanniques dans les années 80 et ces nuits tumultueuses où les seules règles en vigueur étaient qu’il n’y en avait pas…

     

     

    Mark Ronson : J’aurais préféré que nous puissions faire cette interview à New York, mais apparemment, ça n’était pas possible…

    Boy George : Non, ils ne me laisseront pas entrer aux Etats-Unis. [Rires]

     

    MR : Vous n’y êtes pas autorisé ?

    BG : Je dois faire face à certaines… comment dire… contraintes légales. Mais j’espère que l’année prochaine… [En 2008, Boy George était jugé à Londres, accusé d’avoir attaché, séquestré et battu un escort boy norvégien, Audun Carlsen, qui avait refusé d’avoir des relations sexuelles avec lui. Il était finalement condamné en janvier 2009 à quinze mois de prison ferme…]

     

    « La faune du Taboo était tellement heureuse de se retrouver gavée d’alcool, marinant dans son jus en fin de soirée. C’était antifashion à souhait, dans un sens. Ces gens étaient aussi obsessionnels que les New Romantics, mais paradoxalement, ils agissaient comme s’ils s’en fichaient. » (Boy George)

     

    MR : À quand remonte la dernière fois où vous êtes allé au Taboo ?

    BG : La dernière fois que j’étais là-bas, laissez-moi réfléchir… Ah oui, c’était quand j’ai balayé. [Rires] Est-ce toujours aussi propre ?

     

    MR : Oui, c’est incroyable. Vous avez fait de l’excellent boulot. [Rires] Je pourrais réussir mon examen sur Boy George tellement je connais de détails de sa vie intime. Mais je pensais que nous allions juste parler. D’ailleurs, je compte sur votre compréhension ; je n’ai fait qu’une interview avant celle-ci, avec Malcolm McLaren

    BG : Vous savez, j’ai travaillé très brièvement avec Malcolm.

     

    MR : A l’époque de Bow Wow Wow, non ?

    BG : Oui, j’ai eu ma période punk, moi aussi… [Rires] Et j’étais très ami avec Matthew Ashman, le guitariste de Bow Wow Wow. Il est mort, malheureusement. Il était à l’origine dans Adam and the Ants, avant que Malcolm ne débauche tout le groupe, sauf Adam Ant… [Rires] Malcolm a créé Bow Wow Wow avec Annabella Lwin, qui avait environ 14 ans à l’époque… C’était un bébé.

    A l’époque, j’étais tout le temps fourré chez Malcolm et nous nous faisions vraiment chier, pour tout dire. Alors, on chantait. Il me disait : « Dieu, tu as vraiment une belle voix. J’aimerais que tu fasses partie de Bow Wow Wow ». Je suppose qu’il se disait plutôt : « Tiens, pourquoi ne pas faire venir une drag queen ? ». [Rires] Mon premier concert avec le groupe était au Rainbow Theatre à Finsbury Park. Je suis entré durant le rappel, à la place d’Annabella, et j’ai fait une vieille chanson de Peanuts Wilson intitulée « Cast Iron Arm ». C’était ma toute première performance sur scène et il a fallu littéralement m’y pousser. Le public était déconcerté, en mode « mais qu’est-ce que c’est que ce truc ? ».

     

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    MR : Votre look a-t-il évolué à ce point ?

    BG : Mon look était en fait beaucoup plus extrême. C’était un maquillage plus lourd, plus gothique et j’étais en jupe. Vivienne Westwood, la compagne de Malcom à l’époque, était là avant que je monte sur scène. Elle avait apporté tous les vêtements de sa collection Pirate, et elle me les faisait essayer.

     

    MR : Le nouveau look romantique était tout de même fait de bric et de broc, non ?

    BG : Nous n’avions pas beaucoup d’argent. Alors vous pouviez porter des pièces de créateurs, que vous mélangiez avec des trucs achetés sur des brocantes, ou même des choses que vous aviez volées ou récupérées chez Oxfam. Mais ça se résumait souvent à une ou deux pièces de chez Westwood – comme un chapeau de pirate.

     

    MR : Votre look était plutôt gothique, que vous avez plus tard  incorporé au look « New Romantics ». Mais par quoi avez-vous été spécifiquement influencé durant ces années, avant le Taboo ?

    BG : L’un des événements les plus importants à l’époque, à ne surtout pas manquer, c’était la vente avant fermeture définitive chez Charles H. Fox, un costumier de théâtre très réputé. Je me souviens que nous sommes tous allés à cette liquidation. Tout était vintage, et ça nous a vraiment permis de dégoter de splendides tenues à petit prix. Vous savez, la scène « New Romantics » était vraiment confidentielle. Et même si les médias en avaient déjà pas mal parlé, ça restait un club assez fermé, constitué d’un nombre limité de membres. Mais la popularité venant, les gosses de banlieue ont commencé peu à peu à en adopter les codes. il n’en reste pas moins que cette liquidation de Charles H. Fox a été un élément déterminant dans l’émergence du style « New Romantics ».

     

    MR : Permettez-moi de vous poser des questions sur Warren Street. C’était le tristement célèbre squat où vous habitiez quand vous êtes arrivé à Londres, non ?

    BG : Ouais… Warren Street était the place to be de la « New Romantics », dont les membres étaient principalement des étudiants en art et des personnes qui côtoyaient de près ou de loin les meilleurs designers de l’époque.

     

    MR : Ça n’était donc pas vraiment la misère ?

    BG : Non. Ça n’était pas la misère, certes, même s’il n’y avait pas d’eau chaude et pas toujours d’électricité. [Rires] Mais les gens qui vivaient là ont malgré tout transformé le lieu et l’ont rendu vraiment cool. Au troisième, il y avait même une chambre dans le plus pur style Grèce Antique…

     

    MR : Je regardais récemment le film sur Joe StrummerJoe Strummer: The Future Is Unwritten » (2007)], dans lequel il expliquait comment il avait laissé le hippie derrière lui et avait décidé qu’il était punk, en commençant à vivre dans un squat. Beaucoup de mouvements révolutionnaires sont nés de cette culture squat. C’était comme ça que ça se passait à l’époque ?

    BG : Oh, certainement. J’avais environ 16 ans quand le punk est arrivé. C’était tellement excitant. On était en pleine dépression au Royaume-Uni. Londres était vraiment sombre, grise. Avec l’arrivée de Margaret Thatcher au pouvoir, l’Angleterre est rentrée dans une période vraiment révolutionnaire. Avec cette idée naïve que vous pouviez changer les choses simplement en portant tel ou tel vêtement, ou en adoptant tel ou tel code. [Rires]

     

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    MR : Le punk a donc eu une certaine influence sur vous ? Parce qu’avec le punk, on a le sentiment que n’importe qui peut faire ça. Mais d’un autre côté, vous êtes un vrai chanteur et vous avez une belle voix.

    BG : Certains groupes punk m’ont inspiré justement parce que je pensais : « s’ils peuvent le faire, je le peux aussi »… Et c’est sous l’influence de ces mêmes groupes que j’ai monté ma première formation, In Praise of Lemmings.

     

    MR : Comment s’appelait le suivant ?

    BG : Caravan Club.

     

    MR : Ensuite, de mémoire, il y avait quelque chose en rapport avec les gangs sexuels…

    BG : Oui, Sex Gang Children. L’une des chansons que Malcolm avait écrites pour moi s’intitulait « Sex Gang Children ». J’ai donc utilisé le titre. Nous avons ensuite changé le nom de Sex Gang Children en Culture Club parce que Jon Moss, notre batteur, était parti à Los Angeles en vacances et avait emporté quelques cassettes de démo. Tout le monde adorait la musique mais personne n’aimait le nom. Je me souviens avoir reçu une carte postale de Jon de L.A. disant : « Je ne pense pas que l’Amérique soit vraiment prête pour les Sex Gang Children ».

     

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    « Leigh inventait sans cesse des histoires de personnes se suicidant ou entamant des grèves de la faim parce qu’on leur avait refusé l’entrée au Taboo. » (Boy George)

     

    MR : Avez-vous été frappé par la différence entre les scènes anglaise et américaine ?

    BG : Quand je suis allé à New York pour la première fois, je ne sortais pas vraiment dans les clubs. Culture Club était au sommet et je n’avais pas vraiment le temps d’avoir une quelconque vie sociale. Ce n’est qu’après avoir été à New York à plusieurs reprises que j’ai commencé à sortir. Le club new-yorkais le plus marquant à l’époque pour moi était le Paradise Garage, où ils jouaient de la house. C’était autour de 84-85…

     

    MR : Juste quand le Taboo cartonnait ?

    BG : Exact. C’est à Londres que ça se passait désormais, donc je faisais continuellement des allers-retours. Parfois même, je ne rentrais à Londres que pour une nuit.

     

    MR : Vous étiez plutôt à New York ?

    BG : Oui, mais il y avait le Concorde. [Rires]

     

    MR : L’une des choses uniques à propos du Taboo, c’était la façon dont l’art et l’hédonisme se mélangeaient sans paraître destructeurs.

    BG : A cette époque, je fréquentais des clubs comme l’Area ou le Limelight à New York, tandis que la capitale anglaise connaissait un certain répit en matière de clubbing. Puis le Taboo a ouvert, et le feu des projecteurs s’est de nouveau braqué sur Londres. Leigh Bowery a ouvert en 1985… Les premières semaines, ça a démarré en douceur. Puis soudain, c’était l’endroit où il fallait absolument être et il y avait des files d’attente incroyables à l’entrée.

     

    MR : En quoi la scène du Taboo était-elle différente de la scène « New Romantics » ?

    BG : La scène du Taboo était une sorte de version déconstruite des New Romantics. Et son public utilisait beaucoup des idées visuelles qui avaient déjà été utilisées auparavant. Je me souviens de la première fois où j’ai vu Leigh Bowery et Trojan parader dans un club : ils étaient là, avec leur look « Pakis from Outer Space », et leur maquillage était assez similaire à certains de mes anciens looks. J’aimais beaucoup porter du bleu, fond de teint vert ou jaune, et j’étais donc assez dédaigneux à leur égard au début. Mais en y regardant de plus près, je me suis rendu compte que Leigh – qui a lui-même créé ses looks, avec Trojan – était vraiment un génie. Il n’a pas fallu longtemps à Leigh pour devenir l’une des figures incontournables de la scène clubbing londonienne.

     

    MR : Considérez-vous que vous avez pu être une source d’inspiration pour Leigh, à certains égards ?

    BG : Je ne faisais pas partie de la faune du Taboo de la même manière que je pouvais appartenir à la communauté des New Romantics. Je suppose que j’étais davantage considéré comme une sorte d’homme d’état plus âgé, car je fréquentais les clubs londoniens depuis déjà de nombreuses années. Pour le public du Taboo, j’étais vraiment considéré comme une pop star, quelqu’un de célèbre. Leigh aimait évidemment m’avoir dans son club parce que j’attirais les médias, et il adorait qu’on parle de lui dans la presse.

    Leigh s’exprimait toujours de façon très distinguée, en allongeant les voyelles, de sorte que vous ne saviez jamais s’il était sincère ou s’il se moquait de vous. Si jamais je me hasardais à commenter une de ses tenues, il me coupait : « Oh merci, monsieur Boy George. J’apprécie votre opinion ». Puis il tournait les talons, en faisant des bruits bizarres avec sa bouche. À une époque, il a créé des vêtements de scène pour mes shows, et je suis allé dans son appartement de l’East-End de Londres pour les essayer. Et je dois avouer que j’étais impressionné, tellement il était charmant et original, en plein jour. Son appartement était d’ailleurs décoré comme il s’habillait ; du papier peint Star Trek, des murs en miroir et un énorme piano dans le salon. Tout était étudié scrupuleusement et sous contrôle chez Leigh.

     

    MR : Le public du Taboo a-t-il relégué les nouveaux romantiques au rang de sombres puritains ?

    BG : Le public du Taboo était certainement moins précieux. Ces gens était tellement heureux de se retrouver gavés d’alcool, marinant dans leur jus en fin de soirée. C’était antifashion à souhait, dans un sens. Ils étaient aussi obsessionnels que les New Romantics, mais paradoxalement, ils agissaient comme s’ils s’en foutaient complètement.

     

     

     

    MR : Il semble, sur la base des divers témoignages et des photos, que l’hédonisme était bien plus affirmé au Taboo que n’importe où ailleurs à la même époque. Même un lieu mythique comme le Studio 54 n’arrivait pas à la cheville du Taboo, en termes d’abandon et d’audace.

    BG : Je ne sais pas si c’était plus audacieux, mais l’ambiance y était en tout cas vraiment déjantée. Je pense que la drogue a joué un rôle majeur dans la réputation sulfureuse du Taboo. Les gens consommaient alors de grandes quantités d’ecstasy, arrivée tout droit de New York, au point que certains pouvaient passer la majeure partie de la nuit aux toilettes. Dommage… [Rires]

     

    MR : Quelle était la relation de Leigh Bowery avec les drogues ?

    BG : Je ne suis pas convaincu que Leigh était un gros consommateur… Il buvait beaucoup, certes, mais il était plutôt meneur en matière de mauvais comportement. Il aimait générer le chaos autour de lui, et avec le Taboo, il avait l’occasion de mettre à disposition d’un public trié sur le volet un lieu où il n’y avait pas de règles. Bien-sûr, n’entrait pas qui voulait. Le célèbre portier du club, Mark Vaultier, tendait un miroir aux clubbers qui attendaient à l’entrée et leur posait la question fatidique : « Est-ce que vous vous laisseriez entrer ? ». Leigh créait de fausses listes d’invités et y indiquait les noms les plus farfelus, entre Joan Collins et d’obscures vedettes de soap qui n’auraient jamais pu passer la porte du club. Leigh répandait aussi de sombres histoires selon lesquelles des personnes se seraient suicidées ou auraient entamé une grève de la faim parce qu’elles s’étaient vues refuser l’entrée au Taboo… [Rires]

     

    MR : A votre avis, pourquoi Leigh Bowery fascinait-il autant les gens ?

    BG : Pour moi, la chose la plus intéressante à son sujet était la façon dont il a toujours utilisé son corps comme une déclaration de style. Même s’il était grand et avait de longues jambes, il semblait bien proportionné, voire même sexy, malgré son poids excessif. Je me souviens de l’avoir vu une nuit dans un club gay appelé Fruit Machine, toujours plein de reines musclées à souhait, et Leigh était là, sur la piste de danse, nu, ne portant qu’une paire de grosses bottes lustrées et une coiffe en forme de boule bouffante qui clairement réduisait son champ de vision. Sa virilité était coincée entre ses jambes, uniquement masquée par une sorte de faux vagin révoltant. Leigh n’avait pas de limites et était capable de tout…

    Au sommet de son art, il déformait délibérément son corps pour avoir l’air enceinte ou se parait d’une magnifique paire de seins en resserrant sa taille avec du ruban adhésif. Ses créations étaient souvent à couper le souffle, mais c’était surtout la façon dont il utilisait son corps qui était vraiment nouvelle et tellement rafraîchissante. Je ne vois personne qui l’ait fait auparavant et qui soit allé aussi loin que lui. Il disait souvent : « La chair est mon tissu préféré ». Leigh concevait son exhibitionnisme comme une forme d’art à part entière.

     

     

     

    MR : Leigh et la culture Taboo ont eu une grande influence sur la scène artistique new yorkaise, en particulier sur ce qui allait devenir la scène « Club-Kid ».

    BG : Oui. À peu près au même moment, ou juste après, il y eut l’histoire Michael Alig, qui sonnait le glas de la nuit new yorkaise, ravagée par la drogue et la provocation facile. Car je pense qu’ils ont mal interprété ce qu’était vraiment le Taboo.

     

    MR : Je suis allé à Disco 2000. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à sortir en club. Mercredi soir au Limelight… J’avais 17 ans et j’ai eu la chance de rencontrer Richie Rich et tous ces personnages hauts en couleur. Pour l’ado que j’étais, c’était juste une expérience révélatrice et un spectacle vraiment incroyable.

    BG : Ce qui rendait l’expérience du Taboo fabuleuse, c’était cette recherche vestimentaire perpétuelle et le fait de pouvoir t’abandonner à la danse, comme si tu étais seul au monde et que personne ne te regardait, alors que la piste était noire de monde. Il n’y avait pas de règles et tu éprouvais un sentiment de liberté incroyable. Jeffrey Hinton jouait toutes sortes de musique et ça fonctionnait. Ça me ramenait à l’époque bénie où je faisais deejay au Planet en 1979, où je mixais des choses folles, entre hip-hop et reggae, en passant par « The Sound of Music » [1965] ou d’autres bandes originales de films, peu importe.

     

    MR : Vous préférez transmettre l’émotion à faire matcher les rythmes…

    BG : Absolument. Comme si vous mettiez « The Lonely Goatherd » pour faire fuir les gens, et qu’ils restaient et commençaient à danser. [Rires]

     

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    MR : Le concept originel du Taboo n’était pas forcément d’agréger une scène autour de lui, mais plutôt d’initier un projet artistique et créatif innovant. Tandis que Disco 2000 semblait être plus dans le créneau de la débauche gratuite, sans objectif artistique précis…

    BG : Oui, Taboo était une sorte de célébration du trash, avec le genre de chansons que vous aimiez secrètement, comme « Yes Sir, I Can Boogie » de Baccara. [Rires] Vous savez, des choses que vous ne devriez raisonnablement pas aimer. Ce n’étaient pas des disques crédibles, mais l’ensemble fonctionnait à merveille. Du Donna Summer et des choses qui n’étaient peut-être plus à la mode ou qui n’étaient pas encore à la mode dans les clubs gays, vous les entendiez au Taboo. Je suppose que tous ces clubs New Romantic étaient assez fous, en général. Mais le Taboo est parvenu à se distinguer, avec une approche esthétique et créative encore différente.

     

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    MR : Selon vous, Londres a-t-elle aujourd’hui une vie nocturne qui correspond à celle de l’époque du Taboo ?

    BG : Je ne pense pas que ce soit le cas depuis. Le lieu le plus proche dans l’esprit du Taboo était Nag Nag Nag, qui a fermé l’année dernière [2007]. C’était un club électro qui existait depuis environ sept ans. Même au jour de sa fermeture, il était toujours plein à craquer.

     

    MR : Quand avez-vous réalisé que la courte histoire du Taboo ferait une comédie musicale incroyable ?

    BG : J’ai été approché par ce type, Chris Renshaw, qui avait lu mon livre ainsi que celui de Leigh. Il voulait incorporer les deux personnages, mais il pensait probablement que Leigh n’était pas assez célèbre, avant qu’il ne se rende compte que Leigh et moi étions associés. Ce qui m’a plu, c’est qu’il n’est pas arrivé en disant : « Je veux que vous y mettiez tous les grands succès pop ».

     

    MR : Au final, c’était une partition complètement originale, non ? Il a fallu composer des chansons qui devaient coller à l’histoire, et qui ont été finalement adoptées par le West End et même nommées aux Awards. Qu’avez-vous ressenti ?

    BG : Eh bien, au départ, ils étaient vraiment contre nous. Mais lors des avant-premières de « Taboo », pour la première fois de ma vie, on me qualifiait de grand auteur-compositeur. J’ai pleuré, parce que ça n’étaient pas les trucs habituels, du genre : « Oh, il était toxicomane et puis, il a fait ceci, il a fait cela… ». J’étais reconnu pour ma musique et c’était vraiment énorme.

     

    MR : Pourquoi ça n’a pas marché en Amérique ? Pensez-vous que c’est une histoire de profil du spectateur américain, qui sort le week-end ?

    BG : Je me souviens être monté sur scène à Broadway, dans ce truc de Leigh Bowery pour un morceau comme « Ich Bin Kunst ». J’ai des seins, ce latex dégoulinant sur ma tête, et je sors d’une boîte. Je me souviens juste que le public était vraiment horrifié, parce que la productrice Rosie [O’Donnell] avait présenté le spectacle comme une sorte de combinaison de « Pippin » et « Annie ». Elle annonçait que c’était un show familial… Je pense que Rosie s’est jetée à corps perdu dans la promotion du show. Elle a d’abord installé cet énorme panneau d’affichage à Broadway, et s’en est suivi un énorme buzz. Je me souviens avoir pensé à ce moment : « Oh, elle se met vraiment en jeu, là ». Et puis elle a commencé à avoir mauvaise presse. Vous savez à quel point la presse est puissante à New York, en particulier la presse théâtrale. Elle a donc fait marche arrière, et c’était une erreur. Elle a eu peur. Mais je suppose que c’est compréhensible lorsque vous investissez autant d’argent dans un spectacle.

     

    MR : J’imagine qu’elle l’avait imaginé comme « La Cage aux Folles rencontre Cabaret qui rencontre le Cirque du Soleil », ou quelque chose dans le genre.

    BG : Elle faisait des choses vraiment étranges, comme dire à mon costumier : « Je veux que cette scène soit comme le Fantôme de l’Opéra ». Et nous pensions : « Nooon, là, c’est pas possible ! ». C’était une sorte de combat continuel, très éprouvant pour tout le monde. Mais il y eut aussi des choses incroyables, donc ça reste malgré tout un bon souvenir.

     

    MR : Mixez-vous toujours ?

    BG : Absolument. Je viens de terminer une tournée. J’ai encore quelques sets et je vais faire mon album.

     

    MR : Vous avez toujours joué dans de nombreux clubs, même lorsque vous étiez d’abord reconnu en tant qu’artiste. Quand avez-vous décidé de vous consacrer pleinement à cette activité de DJ ?

    BG : Eh bien, j’ai continué à sortir des disques pendant des années mais la radio ne les diffusait pas au Royaume-Uni… Aujourd’hui encore, ils jouent les vieux trucs, mais pas mes productions plus récentes, quoi qu’il arrive. Je sentais surtout que continuer à faire des disques de façon traditionnelle – les sortir de la même manière, dépenser beaucoup d’argent en promotion, etc… – devenait un exercice inutile. Et à cette époque, il y avait aussi beaucoup de Boys Bands, les formats de diffusion changeaient et je sentais juste que je n’appartenais plus à ce sytème. J’ai donc commencé à mixer en club et je suis vraiment parti dans la House. C’était beaucoup plus excitant. vous êtes plus libre et personne ne vient vous dire quoi jouer.

     

    MR : Qu’est-ce que vous en retirez qui soit si différent de votre activité précédente ?

    BG : Moins de responsabilité et surtout moins de problèmes ! [Rires]

     

     

     

  • Hugh Coltman va où le vent l’emporte…

     

     

    A l’occasion de son concert à l’Espace Carpeaux, Courbevoie, le 30 janvier 2020, rencontre avec un artiste attachant : Hugh Coltman. Britannique, ancien leader du groupe blues-rock The Hoax, avant de se muer en songwriter folk-pop puis en explorateur du plus beau patrimoine du jazz, Hugh Coltman s’affranchit des frontières, des formats et des habitudes. 

     

    Après un album hommage à Nat King Cole qui lui valut une Victoire du Jazz en 2017, le musicien-caméléon Hugh Coltman nous embarquait en 2018 au coeur des racines musicales de la Nouvelle-Orléans. Des drums qui dansent comme dans l’un des légendaires enterrements de la Crescent City, des cuivres gorgés de soul, des guitares mêlant tous les blues et tous les folk…

    Hugh Coltman s’est offert un écrin sublime pour son dernier opus « Who’s Happy? », qui donne lieu à un voyage musical et existentiel, entre confidences chuchotées à notre oreille et grand spectacle. Et il faut bien avouer que le crooner sait comment immanquablement nous embarquer dans ce voyage. Tantôt intimiste, tantôt expansif, mais toujours drôle, l’artiste nous fait partager ses souvenirs d’enfance, son histoire personnelle et ses émotions. A découvrir ou redécouvrir, de toute urgence !

     

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    Hugh Coltman, vous êtes donc l’Anglais qui vit en France et qui échappe au Brexit, c’est bien ça ?

    Ça me déprime, franchement… Une autre question ?

     

    En 2017, vous remportiez une Victoire du Jazz catégorie Voix de l’année. Ça fait quoi ?

    C’était cool. Bon, après, je dois avouer que ça n’est pas forcément un concept auquel j’adhère totalement. La compétition en musique, les récompenses… Mais quand tu reçois le prix, tu es quand même content.

     

    Depuis 2008, vous sortez des albums en France et on adore. Quand vous reprenez « Smile » de Nat King Cole, c’est magnifique. Quand vous chantez en Français « A Défaut » dans « Le Soldat Rose », on kiffe votre petit accent So British. Et puis en mai 2018, vous sortiez « Who’s Happy? », un album qui sent bon La Nouvelle-Orléans. Là, on parle de jazz, mais votre spectre est beaucoup plus large, entre soul, folk et pop. Avec votre dernier disque, vous avez choisi une niche ?

    Déjà, lorsque je compose un truc qui me plaît, j’ai du mal à me restreindre et à me dire « non, cette chanson, ça n’est pas pour ce moment, pas pour ce projet ». Et lorsqu’on me propose des choses, par principe, c’est intéressant. J’ai toujours bossé dans une logique aléatoire. Quand je rencontre quelqu’un, ça peut m’emmener n’importe où et je ne cherche pas à lutter contre ça. J’essaie donc de ne jamais m’enfermer ou me cloisonner à ce qui semble écrit d’avance. Et surtout aujourd’hui, avec les réseaux et les plateformes… Alors, d’un côté, on peut se dire que c’est assez destructeur pour la musique, mais d’un autre côté, ça ouvre des perspectives incroyables. Pour les jeunes amateurs de musique, il y a moins de frontières qu’avant entre les styles ou les origines. Tout sort finalement du même tuyau…

     

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    Et d’ailleurs, c’est assez étonnant de noter que sur ces fameuses plateformes, tous les vendredis, sont publiées des playlists de nouveautés. Car le vendredi, c’est le jour des sorties. Et dans ces playlists, tous les genres sont mélangés, entre hip-hop, soul, jazz, rock ou même variétés… Et peut-être que les jeunes sont finalement plus curieux que ce que l’on croit.

    Oui, je trouve ces playlists assez intéressantes et on peut parfois y découvrir des bons trucs. Ça m’arrive souvent de mettre un album tout en faisant autre chose, et d’un coup, mon attention est attirée par un morceau qui sonne bien. Après, ça dépend évidemment des algorithmes et sur quoi ils t’envoient… Mais ça a des bons côtés.

     

    En 2019, vous vous êtes engagé aux cotés du Secours Populaire, une association qui existe depuis 1945 et dont la mission est d’aider les plus démunis. C’était une année un peu rude pour l’association, avec la perte de leur président emblématique, Julien Lauprêtre, disparu à l’âge de 93 ans. Vous avez rameuté quelques potes et participé au concert Secours Pop Live organisé à la Petite Halle de la Villette en juin dernier. 

    Je dois avouer que j’étais très touché par cette sollicitation. Et il faut dire qu’aujourd’hui, le temps court tellement vite, et qu’on n’a probablement pas fini de voir l’écart entre les classes sociales se creuser. En plus, je trouvais que c’était une bonne occasion de faire quelque chose que je n’avais plus fait depuis longtemps, à savoir un concert en solo, juste guitare et voix. Du coup, je me demandais qui je pouvais inviter à venir partager ce moment avec moi sur scène. et j’étais ravi d’accueillir Tété, Matthis Pascaud, Sandra Nkaké, Gunnar Ellwanger du groupe Gunwood, Marjorie Martinez, Anne Gouverneur, Melissa Laveaux, Raphaël Chassin. Quand avec un simple concert, ce qui motive ma vie, je peux ajouter ma pierre à l’édifice, alors il faut le faire.

     

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    La chanson qui vous a fait connaître en 2008, « Could You Be Trusted », ne correspond plus vraiment à ce que vous faites maintenant. Est-ce que malgré tout, vous pourriez la reprendre aujourd’hui, même d’une manière différente, ou appartient-elle désormais à une période révolue de votre vie ?

    Dans un premier temps, je dirais que non, je ne reprendrais pas cette chanson aujourd’hui. Et puis, en y réfléchissant bien, pourquoi pas. C’est une idée. [Rires]

     

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    A ce propos, c’est facile de naviguer entre divers genres musicaux vraiment différents ? Car on a parfois l’impression que les frontières sont assez fermées…

    Je pense qu’avant, c’était plus compliqué qu’aujourd’hui. Si on prend l’exemple d’un groupe comme Backos, il est difficile de déterminer si c’est du jazz ou non. Et d’ailleurs, je dirais que je m’en fous. Ce qui compte, c’est l’émotion. L’autre exemple, c’est Jeanne Added, qui a évolué pendant longtemps dans l’univers du jazz, avant de lancer ses propres projets dans d’autres directions. Mais toute son histoire dans le jazz enrichit ce qu’elle fait aujourd’hui. Je trouve que les jeunes se foutent beaucoup plus des étiquettes que les générations précédentes. Tiens, je profite de l’occasion pour faire un peu de promo pour une salle à Paris, La Gare, que je soutiens vraiment. On peut y écouter du jazz, mais aussi d’autres styles qui découlent naturellement du jazz. Ce genre d’endroits sont fréquentés par les jeunes et ça casse un peu les codes.

     

    Quand on est plutôt rock ou variétés, c’est vrai que le jazz pur et dur, c’est un peu étrange. Le fait qu’il n’y ait pas de refrain, par exemple. Ou alors qu’il y ait un refrain mais que tu ne t’en rendes compte qu’au bout d’un quart d’heure… Le jazz, c’est tout de même plus compliqué, plus difficile d’accès, non ?

    Et pourtant, à l’origine, ça ne l’était pas. A l’époque, les jazzmen ont commencé à interpréter des chansons pop. Des trucs comme « All Of Me », etc… Ce qu’on appelle aujourd’hui dans le jazz des standards. Et ces chansons étaient souvent reprises sans voix, avec des instrumentistes qui étaient censés représenter les voix. Le but était que le public puisse reconnaître la chanson. Et là, pour le coup, on a vraiment des couplets et des refrains. Evidemment, assez rapidement, on est parti dans le free jazz et d’autres courants du jazz. En ce qui me concerne, mes premières influences étaient vraiment blues et blues-rock.

     

    Et le virage vers le jazz s’est fait facilement ?

    Oui, dans mon cas, vraiment facilement. Pour moi, ce qui compte, c’est le groove. Ce swing qui tourne aussi bien chez Led Zeppelin que chez The Black Keys ou dans le jazz. A l’époque, avec mon premier groupe, The Hoax, on jouait dans des salles aux Etats-Unis, et tu avais cette réaction du public au groove, au swing, quel que soit le style de musique que tu jouais. Et ça, c’est vraiment jubilatoire. Ce côté fédérateur et participatif de la musique. Et surtout dans la musique instrumentale ou d’improvisation, où pour la peine, c’est vraiment un précieux coup de main apporté aux musiciens.

     

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    Hugh Coltman, parlons boutique maintenant… On a adoré votre album « Who’s Happy? » et son ambiance Nouvelle-Orléans. Bon, ça ne vient pas de nulle part puisque vous êtes allé l’enregistrer là-bas. Qu’est-ce que nous préparez pour la suite ? Des envies particulières ? D’autres lieux qui vous inspirent ?

    Pour le moment, je n’ai que des bribes de chansons… Et il y a toujours ce stress, après avoir sorti un disque et l’avoir tourné pendant un temps, d’avoir à se remettre au travail, en partant d’une page blanche. Moi, en fait, je suis un fainéant. Avec mes deux derniers disques, je me réjouissais vraiment de partir en tournée et de présenter ces chansons au public, sur scène. Et d’un coup, on réalise que la tournée touche à sa fin, et qu’il va falloir écrire un nouvel album. Là, paradoxalement, on rentre dans un process assez mécanique, finalement. On se dit : « Bon, on se met à la table et on le fait ». Vous savez, quand on est dans la musique, on reçoit pas mal d’avis de la part des partenaires, des amis, qui ont chacun leur point de vue sur ce que vous faites. Et quand on cogite à ce que va être la suite ; qu’est-ce que tu as envie de dire, et comment tu as envie de le dire, ça peut polluer ton espace mental assez rapidement…

     

    Et là, ça se passe comment ?

    Justement, c’est à ce moment qu’on rentre dans cette sorte de mécanique. Je me dis que je dois écrire une chanson le matin, une chanson l’après-midi. Ou en tout cas, accoucher au moins de quelque chose ; un couplet, un refrain, une mélodie, un squelette de chanson… Et je fais ça pendant trois ou quatre jours, sans me poser de questions… Très simplement, juste avec mon téléphone, ma guitare. Ensuite, on a un peu l’épée de Damocles au dessus de la tête, parce qu’il faut réécouter tout ça, à froid. Et c’est à ce moment qu’on se dit : « Mais c’est canon ! ». [Rires]

     

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  • John Williams : Quand la musique devient du cinéma (Partie 02)

     

     

    La richesse d’une collaboration au long cours entre un cinéaste et un compositeur, qui va perdurer durant des années et donner lieu à de nombreux films, c’est que chacun se nourrit de la sensibilité de l’autre ; comme dans un couple (de cinéma…), il en résulte une forme de quintessence, dont le résultat à l’écran est une osmose parfaite entre le son et l’image.

     

    Bernard Herrmann et Alfred Hitchcock, Pino Donaggio et Brian De Palma, Danny Elfman et Tim Burton, Ennio Morricone et Sergio Leone, Angelo Badalamenti et David Lynch, James Newton Howard et M. Night Shyamalan, Hans Zimmer et Christopher Nolan, Eric Serra et Luc Besson… Bon, le dernier exemple, c’était plus pour rire… Et puis bien-sûr John Williams et Steven Spielberg… Avec comme seules entorses au contrat, « Purple Color » dont la bande originale fut composée par Quincy Jones, « Amblin’ » et le téléfilm « Duel » avec Billy Goldenberg.

    Avec « Rencontres du Troisième Type » sorti en 1977, c’est donc la troisième collaboration entre Williams et le réalisateur de « Schindler’s List ». Steven Spielberg avait été impressionné par le travail musical accompli par John Williams sur des films sortis en ce début des années 70 ; « L’Aventure du Poséidon » (1972), « La Tour Infernale » (1974), « Tremblement de Terre » (1974), mais surtout avec « Reivers » (1969) et « Images » de Robert Altman en 1972. Il s’avère que John Williams est non seulement à même de composer la musique de trois films par an en moyenne, mais il sait de surcroît différencier chaque projet qu’il entreprend. La richesse thématique qu’il est capable de mettre en œuvre et cette facilité avec laquelle il peut jongler entre les différents projets en cours sidèrent Steven Spielberg…

     

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    Pour « Rencontres du Troisième Type », la visite des extraterrestres sur terre ne va pas se solder par une éradication totale de l’espèce humaine, avec force désintégration en bonne et due forme, auxquelles le public était jusqu’alors habitué. Non, déjà afin de ménager un certain suspense, John Williams doit cette fois avoir une approche faite de mystère, tout en instillant une ambiance assez anxiogène.

    Comme il avait pu le faire avec le score du film « Images » d’Altman, Williams s’essaie ici à un style atonal à base de percussions, de sonorités étranges et dissonantes, le tout rehaussé par des chœurs inquiétants. Ce travail presque expérimental rappelle immédiatement le style de Ligeti et son requiem, utilisé d’ailleurs pour l’ouverture de « 2001, l’Odyssée de l’Espace ». En effet, au début du film de Steven Spielberg, on ne connaît pas encore vraiment le dessein de ces visiteurs extraterrestres et la nature de leur démarche.

     

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    Toute une partie du score de « Rencontres du Troisième Type » fera en sorte d’appuyer les spéculations empreintes d’inquiétude des scientifiques en quête de réponses, ainsi que les personnages de Richard Dreyfuss et Melinda Dillon, quant à eux en quête de vérité. On laisse planer le doute jusqu’au final, lorsque John Williams retrouve l’essence du merveilleux. Il reprend donc le thème des cinq fameuses notes jouées au tout début de la grande scène finale, afin de tenter de communiquer avec les extraterrestres, en une suite orchestrale qui fédère ainsi aussitôt les humains et les visiteurs de l’espace. C’est alors une communion musicale qui accompagne le dernier segment du film, tandis que nos divers protagonistes révèlent leurs véritables rôles respectifs dans toutes ces conjonctions, avant le grand départ.

    Avec ce score, nous avons affaire à une musique totalement habitée, inspirée et riche en motifs ; une bande originale qui révolutionne le rôle de la musique au cinéma, puisqu’elle y est également intra et extra-diégétique. La musique est ici un élément-clef dans le processus créatif et dans ce que raconte le film ; dedans, autour et après. On ne peut imaginer alors un autre compositeur que John Williams pour non seulement accompagner les images, mais les redéfinir.

     

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    « E.T., l’Extra-Terrestre » sort en 1982. On peut voir ce film comme le pendant parfait à « Rencontres du Troisième Type » ; une sorte de suite ou de point de vue autre sur cette thématique. Une extension dont le traitement, même s’il reste universel, sera plus linéaire, plus simple, plus pur.

    Pour illustrer cette fois-ci ce récit intime dans lequel la visite d’un extraterrestre est vécue du point de vue d’un enfant, John Williams et Steven Spielberg optent paradoxalement pour une musique orchestrale puissante. Ne craignant pas les envolées lyriques totalement assumées, le compositeur de « Jaws » illustre ici avec beaucoup de force et de mélodie le ressenti du personnage principal, Elliott, face au monde des adultes, et d’autre part l’instauration de sa relation avec son nouvel ami venu de l’espace.

    Pour les amateurs de musique classique, on pense tout de suite à l’univers de Sergueï Prokofiev et notamment « Pierre et le Loup » ou le ballet « Roméo et Juliette ».  Les cors, ainsi que les autres cuivres, employés de manière puissante, créent un relief saisissant, avec cependant des ambiances générales plus douces. John Williams utilise de nouveau le leitmotiv. Chaque personnage aura son thème ou plutôt chaque camp aura son propre motif.

    En effet, l’idée pertinente du projet réside dans le fait que le réalisateur de « A.I. Intelligence Artificielle » a souhaité faire un film à hauteur d’enfant. On regarde donc « E.T. » du point de vue d’Elliott, le jeune héros, avec ses émotions qui se trouvent démultipliées. En s’identifiant à lui, les curseurs du merveilleux et du ressenti sont poussés au maximum et cette musique n’est que l’émanation des sentiments du petit terrien âgé de dix ans.

     

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    John Williams a su également installer des mélodies douces comme jamais il n’en avait composées jusqu’à présent, pour figurer cette enfance, avec son innocence et sa magie. Le piano et la clarinette contrebalancent ainsi les cuivres, dont les cors, qui représentent quant à eux les adultes, et notamment les mystérieux agents du gouvernement qui recherchent le fugitif intergalactique. Ce balancement entre force orchestrale et des modes musicaux plus doux et délicats, en d’incessantes ruptures de ton, rappellent aussi les constructions inattendues et étonnantes d’un autre immense compositeur de la fin du 19ème et début du 20ème siècle, Gustav Mahler.

    On ne peut nier les similitudes avec la symphonie # 1, ou « Titan », du compositeur autrichien, dont le premier mouvement évoque une ambiance de sous-bois et de mystère végétal. Le début d’« E.T. » et cette petite flûte aérienne, à l’instar d’une symphonie, rend hommage au dieu Pan, dieu de la forêt et de la nature, et inscrit de suite cette oeuvre de Spielberg dans une forme classique, définitive et intemporelle.

    Et comme cette musique n’a pas pris une ride depuis 1982, elle enveloppe le film, dans une aura de grand spectacle indémodable, et ce malgré des effets spéciaux qui ont pris un sacré coup de vieux. « E.T. », au même titre que beaucoup d’autres compositions de John Williams, se réécoute aisément comme une partition séparée. L’univers sonore dépeint ou proposé dans le film peut dès lors se décliner pour toute autre rêverie personnelle, tant il est riche et profond, au point qu’il y est impossible de ne voir dans ce score qu’une simple illustration formatée.

     

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    Pour s’en convaincre, ce morceau de bravoure musicale et élégiaque final intitulé « Escape, Chase, Saying Goodbye », où l’on revient à la façon d’un medley sur tous les thèmes entendus dans le film, pour exploser en un bouleversant bouquet final, lorsque E.T. et Elliott se font leurs adieux, que le vaisseau décolle et disparaît dans le ciel. A ce moment-là, les poils sur les bras sont au garde à vous et les larmes brouillent la vue.

    La prochaine partie de cette petite anthologie sur John Williams traitera de la musique pour les films sur l’archéologue le plus célèbre du cinéma d’aventure.

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] « John Williams : quand la Musique devient du Cinéma (Part 01) »

     

     

     

  • French Connection (1978-1982) : Episode 02

     

     

    Plongée dans la France de la toute fin des années 70, les années Giscard : période des grands bouleversements sociétaux et d’un certain sentiment de modernité, entre libéralisation du divorce et éclatement de l’ORTF. Pourtant, la jeunesse s’ennuie et se réfugie alors dans l’émergence de nouvelles scènes rock et new-wave. Parmi les groupes qui s’imposent : Téléphone, Starshooter ou Bijou.

     

    La France où jusqu’alors, malgré les cafés, les flippers, les MJC, la jeunesse s’ennuyait ferme. Et même si le moule traditionnel commençait à se fissurer. Giscard, propulsé en 1974 à l’Elysée, avait abaissé l’âge de la majorité de 21 à 18 ans. Mais en dehors de ça, rien ne semble bouger. La société reste guindée, conservatrice. Aux yeux de la jeunesse, la partie est jouée, les dés sont pipés et la génération d’avant reste aux commandes. Certes, depuis 75, les couples peuvent divorcer plus simplement. Mais les jeunes, eux, s’en foutent, ils ne sont pas mariés. Quant à l’ORTF, dont la mission s’affichait fièrement, « satisfaire les besoins d’information, de culture et de distraction du public », mais qui se trouvait de plus en plus concurrencée par les radios périphériques, elle est démantelée.

    Car la jeunesse semble ne plus croire en rien. Elle a fini par se faire à l’idée que la société, dans ses travers, n’est pas réformable. L’effervescence post-68, le fameux « esprit de mai », tend à se dissoudre peu à peu. Le sociologue Jean Duvignaud, qui vient de passer deux ans à son chevet,  publie en 1975 les résultats de son enquête, « La Planète des Jeunes », dans laquelle il pointe du doigt tant sa soudaine dépolitisation que la perte d’influence progressive du gauchisme sur celle-ci. Selon Duvignaud, la jeunesse deviendrait passive et serait repliée sur ses problèmes personnels. Devant l’échec des croyances, des idéologies, des utopies, elle se réfugie de plus en plus dans ce que le sociologue qualifie de « niches » ; appartements plus chaleureux, métiers plus isolatoires, mais surtout bals, boîtes et drogues…

     

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    « Attitudes » par Marie et Les Garçons. Le groupe se forme à Lyon en 1976, au sein d’une bande de lycéens. Fin 77, leur premier single, « Rien à Dire », un rock efficace, sortait et se retrouvait dans la foulée entre les mains de John Cale, illustre membre du Velvet Underground. Excusez du peu… Quelques mois plus tard, au printemps 78, Marie Girard, d’abord chanteuse puis batteuse du groupe, se retrouve avec les autres à New York, où le groupe enregistre ce deuxième single, « Attitudes », avec le même John Cale au piano. Mais n’allons pas trop vite en besogne… En effet, la new wave et la cold wave à la Française n’arriveront qu’un peu plus tard. Pour l’heure, disons que la jeunesse locale se cherche justement de nouvelles… attitudes.

     

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    De nouvelles attitudes, donc. Des échappatoires, des lieux rien qu’à eux. A Paris, c’est notamment le Golf Drouot, un ancien salon de thé, poussiéreux, quoique pourvu d’un étrange mini-golf de neuf trous, mais ne comptant pas beaucoup plus de clients… Et qu’un type, un certain Henri Leproux, transforme finalement en discothèque. Mais aussi en véritable temple du rock, y installant une scène permettant depuis le début des années 60 à de jeunes groupes de se faire connaître, à l’occasion de tremplins organisés le vendredi soir. C’est sur cette scène qu’avaient démarré tous les pionniers français, de Johnny Hallyday aux Chaussettes Noires. Puis Le Golf Drouot accueille les premières stars anglo-saxonnes, The Who, David Bowie, pour devenir un incontournable de la scène rock tant française qu’internationale.

     

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    « Au Golf Drouot, première surprise, on ne descend pas dans la boîte, on y monte. D’abord, un escalier, un escalier gigantesque… Dont Henri Leproux, le propriétaire des lieux, dira qu’il est plus facile à descendre qu’à monter. Et parfois, c’est pratique. » (Reportage au Golf Drouot – Archive Antenne 2, 21 avril 1976)

     

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    1978, Starshooter et son « Betsy Party »… Starshooter, groupe lui aussi Lyonnais, formé peu de temps auparavant autour du chanteur Kent Despesse, dit Kent Hutchinson ou encore Kent Cokenstock, les musiciens s’affublant tous de noms potaches à consonance anglo-saxonne. Il y a Mickey Snack à la basse, Phil Pressing à la batterie ou Jello à la guitare. Ils ont vingt ans et s’attirent rapidement les éloges de la critique. A sa sortie, « Betsy Party » passe d’ailleurs en boucle sur l’antenne d’Europe 1. Leurs concerts impressionnent par la puissance scénique déployée, malgré les provocations et les jets de canettes de bière. Eux aussi, dès 1977, s’étaient produits sur la petite scène du Golf Drouot.

     

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    Source : Amaury Chardeau pour Juke Box

     

     

     

  • French Connection (1978-1982) : Episode 01

     

     

    Plongée dans la France de la toute fin des années 70, les années Giscard : période des grands bouleversements sociétaux et d’un certain sentiment de modernité, entre libéralisation du divorce et éclatement de l’ORTF. Pourtant, la jeunesse s’ennuie et se réfugie alors dans l’émergence de nouvelles scènes rock et new-wave. Parmi les groupes qui s’imposent : Téléphone, Starshooter ou Bijou.

     

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    Dans la foulée de son accession à l’Elysée en 1974, Valéry Giscard-d’Estaing initie plusieurs grandes réformes sociétales : abaissement de l’âge de la majorité de 21 à 18 ans, instauration du divorce par consentement mutuel, éclatement de l’ORTF, dépénalisation de l’avortement… Pourtant, la jeunesse française s’ennuie. Le sociologue Jean Duvignaud pointe dans « La Planète des Jeunes » (Stock 1975) leur dépolitisation et, face à l’échec des utopies soixante-huitardes, leur repli sur leurs problèmes personnels.

    La révolution Punk s’immisce ainsi dans la brèche et voit l’ouverture des grands clubs parisiens. Le rock français, boudé jusque-là par les grands médias, se fraie un chemin. C’est le début des années Téléphone, Starshooter ou Trust, mais aussi de l’émergence des scènes post-punk et new wave, celles des Edith Nylon ou Taxi Girl. Bref, une certaine idée de la France branchée qui basculera en 81 avec l’élection de Mitterrand, dans laquelle on croise des gens de bonne famille, des fauteuils de velours arrachés, des dandys déglingués et des frites congelées. Retour sur cette période 1978 – 1982…

     

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    Le transistor posé sur la table en acajou du salon, personne ne semble l’écouter. Ni monsieur, enfoncé dans son fauteuil à lire le journal, ni madame qui termine son repassage… C’est un intérieur cossu, confortable. L’année dernière, ils ont installé partout une moquette bégasse, dont ils sont très contents. Dans l’entrée de l’appartement aussi, où trône le téléphone familial. Son fil tirebouchonné, reliant le socle au combiné, a été étiré comme un élastique, jusque sous une porte fermée, derrière laquelle s’est adossée une jeune fille, en pleine conversation.

    Elle souffle sur la mèche qui lui barre le visage, tandis que face à elle, ses idoles rock la toisent, sur papier glacé. Elle échange encore quelques mots à voix basse, puis se contorsionne pour éviter d’arracher le fil. Elle se relève, enfile une veste de cuir achetée la semaine précédente et se glisse sans un bruit hors de l’appartement, loin des causeries présidentielles.

     

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    Dans la ville, ce mardi soir, la nuit est tombée, crevée par les néons des pharmacies ou des PMU. Les juke-box diffusent à plein tube, parmi les papiers gras. Cette France où Giscard, débonnaire, annonce que ça risque encore de se compliquer pendant un moment, que la crise est là. Notre jeune fille en suit les rues anonymes, puis parvenue devant un bar, elle attend en face du kiosque à journaux. Sa copine est en retard et elle hésite à entrer dans le rade, retenue par la présence d’une dizaine d’habitués, avinés au comptoir.

    Par la vitrine, elle avise aussi un groupe de jeunes types, penchés sur un flipper. Elle les trouve pas mal, alors elle les regarde un moment jouer et tirer sur leur clope. Elle n’a pas le son… Elle s’apprête à s’éloigner et faire quelques pas, quand soudain la belle tignasse brune accoudée au flipper tourne la tête vers elle, la dévisage et lui sourit.

     

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    « On te donne trois balles, la première, t’es un môme. Tu prends la cadence, tu entres dans la danse. Dans la violence des chocs, tu comprends ta chance. Tu sais maintenant comment ton histoire commence. »… Signé Louis Bertignac, ce « Flipper » qui clôt le premier album du groupe Téléphone, raconte cette jeunesse qui joue sa vie, de bumper en bumper. Téléphone, qui avait vu le jour le 12 novembre 1976, à la faveur d’un concert donné au Centre Américain de Paris, Boulevard Raspail, à l’emplacement de l’actuelle Fondation Cartier.

    Jean-Louis Aubert, un jeune des beaux quartiers, se rebelle contre son éducation de scout et d’enfant de choeur, et doit s’y produire avec son pote de lycée, le batteur Richard Kolinka. Sauf qu’il leur manque deux musiciens. Pour l’occasion, Ils recrutent donc le guitariste Louis Bertignac et sa copine de l’époque, la bassiste Corine Marienneau. Tous deux avaient joué dans un groupe de hard-rock francilien, les Shakin Street. L’affluence ce soir-là au Centre Américain, 5 à 600 personnes, raconte quelque part l’impatience qui tiraille alors la jeunesse française. 

    Téléphone et sa formule gagnante allait devenir, en l’espace de deux albums et trois années, l’incarnation du renouveau du rock français…

     

    Source : Amaury Chardeau pour Juke Box

     

     

     

  • Les « Bad Girls » des Musiques Arabes au Louvre

     

     

    Tourné dans le désert des Bardenas, à Cordoue, en Tunisie et au Caire avec Soska, première chanteuse de rap d’Égypte, le film de Jacqueline Caux, « Les Bad Girls des Musiques Arabes – du 8ème Siècle à nos jours », évoque le destin de ces « Bad Girls » sans fard et sans voile…

     

     

    La cinéaste et écrivain Jacqueline Caux s’intéresse depuis longtemps à tous les territoires de la musique – de Jeff Mills à Luc Ferrari, de Carl Craig à John Cage – avec une prédilection pour les artistes activistes. En embrassant la cause des « Bad Girls » des musiques arabes, elle rend hommage à ces femmes indociles et briseuses de tabous qui imposent sans fard et sans voile leur talent, leur féminité et leur mode de vie hors norme.

    Des chanteuses-esclaves avant la fondation de l’islam aux stars actuelles du Raï, d’Oum Kalthoum à Hadda Ouakki, en faisant un détour par le Mississippi et les pionnières du blues, Jacqueline Caux campe ces rebelles qui « revendiquent avec une grande combativité leur liberté d’artistes et de femmes dans des contextes politiques particulièrement perturbés ». Cette conférence est aussi un manifeste qui pointe en creux notre désintérêt, notre méconnaissance ou ce que Jacqueline Caux appelle parfois – les jours de colère – « notre racisme culturel » envers ces territoires chantants et insoumis.

    Jacqueline Caux a participé à l’organisation de plusieurs festivals de musiques arabes. Elle a réalisé des courts-métrages expérimentaux et des longs métrages sur la musique et sur la danse, projetés et primés dans de nombreux festivals internationaux ainsi que dans de nombreux musées.

     

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    Les Journées internationales du film sur l’Art explorent chaque année le lien singulier qui unit le cinéma aux autres arts et questionnent le processus créatif et le rôle de l’art dans nos sociétés. Cette 13ème édition reçoit une nouvelle invitée, la réalisatrice Claire Denis, pour trois jours de carte blanche et de rencontres avec des artistes. La seconde partie du programme propose un hommage à la 3ème Scène de l’Opéra National de Paris, un focus sur le Bauhaus ainsi qu’une sélection de films récents et des échanges avec leur réalisateur.

     

    « Les Bad Girls des Musiques Arabes – du 8ème Siècle à nos jours »
    de Jacqueline Caux
    Fr., 2019, 80 min

    Première mondiale à l’Auditorium du Louvre (sous la pyramide), le 26.01.2020 à 20h30

     

     

     

  • La Comédie des Champs-Elysées, un ébranlement de la tradition

     

     

    Un ébranlement de la tradition. Voici comment, en 1913, un parisien aurait pu définir la naissance de ce curieux bâtiment, fruit de l’imagination des Frère Perret, qui abrite aujourd’hui le Théâtre, la Comédie et le Studio des Champs-Élysées.

     

    Première structure en béton armé dans une salle de spectacle, imposante façade de marbre blanc aux lignes épurées : l’édifice, véritable incarnation de la Modernité, pare les bords de Seine d’un style résolument Art Déco. Il faut dire que les plus grands ont concouru à en faire un lieu exceptionnel : Lalique, Vuillard, Bourdelle ou encore Roussel ont marqué l’endroit de leur génie.

    Moderne, la Comédie des Champs-Élysées le sera dès son inauguration en 1913 par Léon Poirier (neveu de Berthe Morisot). Elle révèle en effet son audace dès la fin de la guerre, avec le scandale de la pièce « Le Bœuf sur le Toit » de Jean Cocteau, sous la direction de Jacques Hébertot puis, sous celle de Firmin Gémier, avec la programmation d’auteurs étrangers tels que August Strindberg et sa pièce « Mademoiselle Julie ».

    Symbole de l’avant-garde dès 1922 quand débute l’ère Jouvet, la Comédie continue d’offrir au public de nombreuses pièces qui ont marqué l’histoire du Théâtre : c’est ici que « La Machine Infernale » de Jean Cocteau connaît son premier grand succès. C’est également à cette même époque que naît, sous l’impulsion de Louis Jouvet, le Studio des Champs-Élysées, ancienne galerie de peinture reconvertie en salle de spectacle à vocation de théâtre d’Art et d’Essai. Ce directeur aux trente-quatre pièces, vingt-neuf rôles et vingt décors ancre alors et pour longtemps l’identité du lieu.

    La Comédie se développe ensuite durant quelques années sous des directions brèves et variées (Jean Sarrus, Roger Capgras, Roland Pietri, Claude Sainval), poursuivant toujours la même mission : promouvoir et soutenir le théâtre d’essai. Cette vocation si chère à l’institution est notamment prépondérante sous la direction de Claude Sainval qui verra, dès 1948, Jean Anouilh créer nombre de ses pièces, pour la première fois, à la Comédie.

    Dès 1977, la relève est assurée et la Comédie poursuit sa mission d’excellence, de créativité et d’exigence. Les années Guy Descaux sont rythmées par les performances de comédiens de renom tels que Jean-Claude Brialy, Maria Pacôme, Lambert Wilson, Robert Hirsch. La salle Art Déco sera, quelques années plus tard, sous la direction de Jacqueline Cormier, le cadre de grands succès de Théâtre, notamment « Art », de Yasmina Reza, qui remporte deux Molière en 1995 et dont la renommée est aujourd’hui internationale.

    A partir de 1994, la Comédie, résolument avant-gardiste, s’anglicise sous l’impulsion de Michel Fagadau qui, en véritable connaisseur, programme et met en scène de nombreuses pièces du répertoire anglo-saxon afin de les faire connaître au grand public : Donald Margulies, Bernard Shaw, Agatha Christie, Andrew Payne ou encore Harold Pinter illustrent alors la ligne artistique de l’institution de l’avenue Montaigne. C’est en 2007 que sa fille, Stéphanie Fagadau-Mercier, directrice artistique du Studio des Champs-Élysées programme, pour la première fois, des spectacles à destination du jeune public.

    Depuis le décès de Michel Fagadau en février 2011, Stéphanie Fagadau-Mercier perpétue l’héritage d’un siècle de création théâtrale au sein d’une maison engagée pour la découverte, l’originalité, l’exigence et l’affirmation d’une vraie politique en faveur du Théâtre, dans ce qu’il a de plus vivant, de plus libre et de plus essentiel, prouvant ainsi le dynamisme d’une institution privée centenaire et qui s’efforce, depuis sa naissance, de présenter au public ses propres créations.

    De grands noms du théâtre s’y sont succédés tels que Jacques Hébertot, Louis Jouvet, Jean Anouilh, Jean Cocteau, Claude Sainval, Michel Fagadau, ainsi que des distributions remarquables tels que Pierre Brasseur, Jacqueline Maillan, Fabrice Lucchini, Catherine Frot, Mathilde Seigner, Robert Hirsch, Anny Duperey, Bernard Giraudeau, Jean Piat, Philippe Noiret, Jean Rochefort, Claude Rich, Michel Bouquet, ou encore plus récemment Gaspard Proust.

     

     

     

  • Gaspard Proust : Dansons Vite avant l’Apocalypse

     

     

    Gaspard Proust, le maître de l’humour noir, est de retour sur scène pour les ultimes représentations de ce « Nouveau Spectacle ». Son écriture millimétrée, son phrasé subtil et le regard ironique qu’il porte sur le monde qui nous entoure font de lui un humoriste singulier. Impertinent, cynique et corrosif, vous serez sensible à sa plume et à son humour ravageur.

     

    Que n’a-t-on pas entendu sur Gaspard Proust ? Impertinent, cynique, corrosif, brillant… Il se définit d’ailleurs lui-même comme un « cartésien désabusé » ! Une chose est sûre, dès ses premières apparitions sur scène, il a raflé la mise en conquérant un public depuis lors acquis à sa cause, au point de parvenir à devenir incontournable, sans pour autant être vraiment présent médiatiquement. Celui qu’on a longtemps considéré comme le fils spirituel de Pierre Desproges, n’épargnant rien ni personne, décoche des flèches acérées, l’air de rien, avec son allure de dandy désenchanté.

     

    « Gaspard Proust est dérangeant, sans concession, à l’aise plus que jamais dans son rôle de punk en habit de bourgeois. » (Le Monde)

     

    Petit-fils, par son père, d’une rescapée de Ravensbrück et d’un enrôlé de force dans l’armée allemande, Gašper Pust naît et grandit en république socialiste de Slovénie, avant de s’installer, à cause du travail de son père, en Algérie où il vit durant douze ans. Il y fréquente l’école primaire française d’Hydra, dans une atmosphère « à la Camus, mais pour de vrai ».

    En 1994, à la suite des attentats qui secouent Alger, il quitte le pays pour Aix-en-Provence où il finit sa terminale C dans une institution catholique. Il sort diplômé de la Faculté des Hautes Etudes Commerciales de l’Université de Lausanne et devient gestionnaire de fortunes en Suisse en 2000. Mais il réalise vite qu’il s’ennuie, ne voyant pas de finalité intéressante à ce travail qui n’est motivé que par l’argent. Il concède se sentir très loin de ce qu’il est vraiment…

    C’est alors qu’il perçoit un important bonus, qui lui permet de démissionner et de partir s’installer dans les Alpes, à Chamonix, pour s’adonner à sa passion, l’alpinisme. Il se met ensuite à l’écriture de textes humoristiques et débute sur scène en Suisse, puis à Paris.

    A l’instar d’autres humoristes qui se sont frottés à la vraie vie avant d’entrer dans la carrière, l’histoire de Gaspard Proust commence donc par un triple renoncement… Renoncement au socialisme, au passeport français et à la facilité obscène du monde de la finance. Ce qui dénote d’une intelligence vive, alliée à une lucidité implacable et un détachement face au monde qui l’entoure.

    Et c’est probablement la raison pour laquelle Gaspard Proust se permet tout. Ses plus fidèles aficionados savent que soir après soir, il va taper sans distinction aucune sur les hommes, les femmes, les catholiques, les juifs, les musulmans, les bourgeois, les bobos, les Parisiens, les riches, les pauvres, la gauche ou la droite. Ce qui devrait pourtant nous sembler grotesque et pathétique, Gaspard Proust parvient par son humour sans filtre à nous en amuser.

     

    [arve url= »https://www.dailymotion.com/video/x16gt6e » align= »center » title= »Gaspard Proust déclenche un fou rire en imitant François Hollande » description= »Gaspard Proust » maxwidth= »900″ /]

     

    Tout le monde en prend pour son grade, regarde son voisin, se pince pour y croire avant de s’installer dans un rire généreux et essoufflé par la rapidité avec laquelle cette fine gâchette de l’humour lâche ses coups. Gaspard Proust déteste les interviews et ne se sent bien que sur scène, même si ce n’est en fait pas vraiment lui qu’on vient y voir, « mais ce monstre que le public paie pour être dans la surenchère ».

     

    « Sur scène, il règne encore une vraie liberté, pour peu que l’on construise un truc cohérent et que les gens soient avertis de ce qu’ils vont voir. Mais, moi qui viens d’un pays communiste, une société où on doit tout le temps faire attention avant de s’exprimer m’inquiète. De ce point de vue, la France me fait parfois penser à l’ex-Yougoslavie. La seule différence est qu’on ne risque pas d’aller au goulag, mais qu’on risque plutôt une mort sociale. »

     

    Car Gaspard Proust s’agace qu’on ne puisse plus tout dire en France. Et c’est sûrement l’un des derniers humoristes à ne pas trop se brider de ce point de vue-là qui en fait le triste constat… Mais il s’en fout, il n’est pas Français et n’envisage plus de le devenir… « La France, ce n’est pas seulement une vague idée fumant au dessus de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Non, la France, c’est une réalité brute, c’est une terre, un peuple, une culture ; bref, un monde, avec sa musique, sa respiration. Tourmentée, diverse, fabuleuse. Mais aujourd’hui, je connais peu de personnes venant des pays de l’Est, et je ne parle même pas de nos amis suisses, qui voudraient du passeport français. Car un pays qui se méprise à ce point, qui s’incline devant tout, n’est plus attirant. Qu’est-ce qu’être Français aujourd’hui ? Sincèrement, moi, je ne sais plus ». Celui qui se dit qu’aujourd’hui Serge Gainsbourg « ne pourrait sans doute plus écrire une chanson comme « No Comment » », n’est « pas sûr que Voltaire reconnaîtrait son pays ».

    Alors, pour combattre ce recul de la liberté d’expression, il opte pour le « naturel ». Pour l’instant, il est l’un des rares humoristes à remplir encore les salles, mais il assure que le jour où ça ne marchera plus, « il y aura toujours quelque chose à en apprendre. Je ne recherche pas d’exposition ». Lui préfère compter sur le bouche-à-oreille pour gagner sa vie plutôt que « d’aller me vendre dans des émissions en disant : « Venez, c’est formidable ». Ce n’est pas dans ma nature ».

     

    [arve url= »https://vimeo.com/233271093″ align= »center » title= »Bande-Annonce du « Nouveau Spectacle » de Gaspard Proust » description= »Gaspard Proust » maxwidth= »900″ /]

     

     

    Loin des promos fracassantes, des affiches provocantes, des fixettes pathologiques d’humoriste engagé pétant dans la soie à la Christophe Alévêque ou des interviews larmoyantes façon Stéphane Guillon, vous savez, le gars né à Neuilly, qui critique tout mais qui court les plateaux télé pour expliquer tellement c’est dur de se faire licencier, Gaspard Proust est devenu un véritable phénomène. Son « Nouveau Spectacle », inauguré à la Comédie des Champs-Élysées fin 2016, a déjà attiré 300.000 spectateurs en 450 représentations.

    De retour Avenue Montaigne depuis octobre 2019, le comédien fait salle comble et annonçait au Point en novembre qu’il prolongeait la dernière version de ce seul-en-scène jusqu’en avril 2020. À l’heure où les humoristes font grise mine, il est l’un des seuls à remplir son théâtre. Et ses fidèles parmi les fidèles savent que, soir après soir, il se renouvelle, refuse les facilités et va déranger…

    Il souffle sur ce « Nouveau Spectacle » un vent de fraîcheur et de cynisme qui égalera, à n’en pas douter, le succès de son précédent spectacle, « Gaspard Proust Tapine ». Et nous pouvons faire confiance à son écriture millimétrée, à son phrasé subtil, au regard ironique qu’il porte sur le monde qui nous entoure. Tiens, si nous l’écoutions quelques instants parler des bobos-écolos Parisiens qu’il affectionne tout particulièrement…

     

    « J’ai bien davantage de respect pour les soixante-huitards qui ont eu les couilles d’aller dans le Larzac pour élever des chèvres. Ils ont eu du bon sens et ont surtout appliqué leur idéologie plutôt que faire des fraises en rooftop. Ce localisme de pacotille me fait doucement rigoler. Je trouve ça grotesque. Et on va nous expliquer que c’est écolo ! Quel rapport véritable à la nature peut-on avoir en vivant à Paris ? Est-ce que ces gens ont regardé une fois avec un œil neutre où ils habitaient ?

    Les écolos-urbains, c’est un oxymore. Ils ne comprennent rien à la nature. Ils pensent que faire de l’écologie, c’est arroser trois carottes qui poussent sous un arbre greffé sur un trottoir de la place Monge dans un atelier « écolo-participatif jardinatoire de vivre-ensemble urbain à composter ». Ils ne savent pas ce que c’est d’aller chercher du bois en forêt, de le couper, d’allumer un feu de cheminée. Ils vivent en apesanteur. Si ce n’était que ça, ça m’irait encore, mais, en plus, ils donnent des leçons de morale aux autres. Je veux bien qu’on m’apprenne la vie quand on la connaît. Faire des pistes cyclables au milieu des voitures : quel intérêt ? Il n’y a que d’un esprit malade que peuvent sortir de telles idées. Et le pire ? On en est fier. Ils font tous la course pour être le plus écolo. Dans quel but ? Transformer Paris en Creuse… Mais, allez-y dans la Creuse ! Allez au bout de votre raisonnement, repeuplez les campagnes ! Il y a l’embarras du choix. »

     

    Gaspard Proust, « Dansons Vite avant l’Apocalypse » !

     

    Comédie des Champs-Elysées, Paris
    Du 19 septembre 2019 au 25 avril 2020
    Durée : 1h30 environ

     

     

     

  • John Williams : quand la musique devient du cinéma

     

     

    Vouloir écrire sur un compositeur de musique de film âgé aujourd’hui de 87 ans pourrait tenir de l’exercice d’hommage en boucle et de piété un peu empruntée. John Williams mérite bien-sûr des louanges et de la gratitude de la part de tous ses fans et des mélomanes du monde entier, tant l’expression de son travail, la variété et le nombre de ses chefs-d’œuvre échappent à tout pronostic. Mais tout cela ne serait pas très constructif…

     

    Alors plutôt que de parcourir sagement la biographie de John Williams, tâche ingrate que je laisserai bien volontiers à Wikipédia et aux nombreux ouvrages retraçant déjà en long et en large ses différentes évolutions musicales, je vais me permettre plutôt l’exercice qui consiste à revenir sur ses œuvres les plus fondamentales, ainsi que sur celles qui m’ont le plus impressionné. Un butinage qui ne se souciera ni de date ni de classement de telle ou telle partition écrite par le maestro. Non, J’évoquerai simplement des œuvres impérissables, à l’aune d’un parcours parsemé de trésors et d’émotion.

    Mais avant de s’essayer à une présentation générale de l’homme et d’aborder son positionnement dans l’industrie de la musique de film, on peut déjà commencer par acter que John Williams est sans conteste l’un des plus grand mélodistes qu’Hollywood ait connu et que l’on ne compte plus ses compositions qui ont, ne serait-ce qu’entre 1975 et 1985, célébré et rendu immortels nombre de films, avec des thèmes devenus autant des classiques que les films eux-mêmes : « Les Dents de la Mer », « Superman », « Rencontres du 3ème Type », « Star Wars », « Les Aventuriers de l’Arche Perdue », « E.T., l’Extra-Terrestre »…

    Des mélodies d’emblée fortes et évidentes, que l’on associe étroitement aux métrages ; et le principe immuable de créer un thème reconnaissable entre tous, pour chacun des films auxquels il a pu contribuer. Principe lancé dans les années 60 avec Ennio Morricone, John Barry, Lalo Schifrin, Maurice Jarre et bien-sûr Jerry Goldsmith. Période faste pour la musique de film, quand les studios ne craignaient pas de dépenser sans compter pour créer des B.O. inoubliables. Les années 60, 70 et 80 sont définitivement l’âge d’or de la musique de film. Les Trente Glorieuses, comme un état de grâce, lorsque les musiciens pouvaient réellement créer sans trop se préoccuper des conventions, des modes ou de quelconques sordides impératifs commerciaux.

    Une carte blanche qui a finalement contribué à élever ainsi la Musique de Film au rang d’art majeur et permis qu’elle soit reconnue à sa juste valeur, au point que même encore aujourd’hui, on puisse la jouer lors de concerts qui font immanquablement salle comble ; « Le Seigneur des Anneaux », « Retour vers le Futur », « Star Trek », autant d’oeuvres parmi les plus emblématiques que leurs compositeurs respectifs revisitent régulièrement sur scène… On ne compte d’ailleurs plus chaque année les concerts qui nous proposent de revivre tous ces grands moments de cinéma.

     

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    La musique de film devient ainsi beaucoup plus qu’un simple médium illustratif, mais un art en soi, au même titre que des compositions pour des opéras, ballets ou autres représentations. La musique écrite pour un film devient elle-même un protagoniste du film, un jalon incontournable, une extension de la mise en scène ainsi que de l’histoire qui y est racontée.

     

    C’est dans ce contexte que vont se croiser plusieurs écoles et styles, tout au long de ces années hyper-créatives. Et des figures qui deviendront bientôt incontournables vont révolutionner la musique pour les films…

    Quincy Jones, qui commença sa carrière comme arrangeur puis surtout comme compositeur de musique de film, avant de devenir un producteur célèbre, apporta par exemple des accords de Bossa Nova dès le début des années 60, pour les films qu’il devait illustrer. Bossa Nova d’ailleurs réutilisée à plein régime par Morricone pour un paquet de productions de la deuxième partie des années 60 et essorée jusque dans le milieu des années 70.

    Lalo Schifrin est quant à lui reconnu pour ses thèmes Jazzy hyper-sophistiqués et ses expérimentations sonores. Herbie Hancock apporte un jazz très urbain et atmosphérique. David Shire et Roy Budd seront de leur côté associés à des polars et des thrillers de ces années-là, mais avec en plus une dimension sensorielle inédite. Tous ces nouveaux compositeurs vont ainsi régner en maîtres durant les années 70 et jusque dans les 80’s.

    De la musique moins empesée que celle que pouvaient traditionnellement proposer Miklós Rózsa, Max Steiner, Erich Wolgang Korngold et plus généralement toute cette famille des musiciens des années 30, 40 et 50. Des compositeurs chevronnés, certes, mais qui devaient fournir des scores très didactiques, dans le seul but de souligner des scènes et des péripéties, sans jamais les supplanter.

    On peut dire qu’Alex North et Bernard Herrmann sont probablement les premiers à tirer leur épingle du jeu en sachant faire la transition entre cette musique stéréotypée et redondante qu’on leur commandait le plus souvent et de nouvelles influences. Mais surtout, avec un ton très personnel, une façon nouvelle d’approcher le film à illustrer et de faire ressentir les émotions au spectateur. Ils furent à juste titre des passerelles qui permirent aux nouvelles générations de musiciens et compositeurs, sevrés avant tout au jazz de par leurs formations respectives, de prendre le relais.

    John Williams, Jerry Goldsmith et James Horner, le trio gagnant de la fin des années 70 mais surtout des années 80, vont reprendre à leur compte le principe ultra codifié, pour ne pas dire pompier, d’un style musical tombé en désuétude, issu de cette grande tradition du Hollywood d’antan et qui, après les années 60 et 70, va de nouveau rebattre les cartes.

     

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    C’est aussi avec la fin de ce que l’on appelait le « Nouvel Hollywood » et le retour en force des films à gros budget tout public, que l’orchestre symphonique est réintégré dans le paysage cinématographique. Il va sans dire que tous ne vont pas forcément composer que pour des films prestigieux… Loin s’en faut. Beaucoup vont même créer des musiques parfois plus fortes que les films eux-mêmes.

    Je pense par exemple à la magnifique composition de James Horner pour « Krull », film aujourd’hui totalement oublié mais qui pourtant musicalement est un chef d’œuvre dans son genre. Horner se surpasse dans cette ambiance d’Heroic Fantasy riche, puissante et intense. John Barry et son score « The Black Hole » apporte de la mélancolie et de l’immensité à un film qui sonne désespérément creux, mais que le compositeur attitré des James Bond ne traite pas pour autant par-dessus la jambe. Ambiance majestueuse, infinie, alliée à une parfaite illustration en musique de ce que peut laisser imaginer la puissance d’un trou noir et la terreur qu’il véhicule.

    Jerry Goldsmith, pour la trilogie « The Omen », propose une montée en puissance orchestrale, à mesure que l’antéchrist gravit les échelons et grandit, avec un final tout en apothéose biblique, à grand renfort de chœurs ; alors que les films en soi ne sont que des séries B surfant sur la vague des films millénaristes, avec diablerie et possession.

    Quant à John Williams, ce dernier ne déroge pas à la règle avec le film de Steven Spielberg, « Hook ». Si cette relecture de Peter Pan est un naufrage à tous les niveaux, il reste néanmoins son score, qui s’écoute, en faisant abstraction du film lui-même, comme une œuvre absolument ébouriffante. Une explosion de thèmes et d’envolées saisissants qui expriment à eux seuls tout le culte de Peter Pan, l’esprit d’aventure et toute sa part de rêve et de mélancolie liés à l’enfance qui passe et ne revient pas.

    Ainsi, malgré la médiocrité des films incriminés, paradoxalement, on est surpris par la richesse thématique mise en œuvre pour si peu à offrir visuellement. Tous ces compositeurs, et John Williams en premier lieu, ne sont donc pas que de simples contributeurs au film, mais de grand architectes avec une vision d’ensemble innovante et surtout indépendante.

     

    Passée cette présentation informelle, j’aborderai à présent « L’Empire Contre-Attaque » (l’Episode V de la saga Star Wars).

    Car on a ici affaire à une osmose totale entre la musique et le film. Et elle illustre presque en temps réel l’action qui se déroule à l’ écran. A l’instar de l’opéra, l’orchestration fait écho aux péripéties en devenant le prolongement naturel de l’oeuvre. La saga de George Lucas s’est d’ailleurs toujours vue comme une série de films qui n’aurait pas eu forcément besoin de dialogues, tant la force évocatrice des images et la musique de Williams suffisaient au spectacle et à l’émotion.

    Mais avant d’évoquer « The Empire Strikes Back » sorti en 1980, le score le plus maîtrisé et inspiré qui ait été composé pour un « Star Wars », revenons d’abord trois ans en arrière, avec la découverte de ce compositeur qui s’illustre pour la première fois avec le premier épisode de la Saga, l’Episode IV, destiné à l’origine à n’être qu’un épisode unique : « La Guerre des Etoiles » exploité ensuite sous le nom de « Star Wars, Episode IV : Un Nouvel Espoir ». Sans oublier le double vinyle entièrement noir, avec le logo Star Wars couvrant presque toute la pochette du disque. Magique…

    N’ayant pas encore vu à l’époque ce premier film et finalement découvert John Williams qu’avec l’Episode V (« L’empire Contre Attaque »), il ne s’agissait là pour moi que d’une évocation de ce nouvel univers. Tous les différents thèmes, l’orchestration, leurs motifs, m’avaient pourtant permis de me plonger dans un monde d’une richesse assez folle.

    Alors certes, peut-être n’étais-je pas encore assez pointu en musique de film pour ne pas détecter, dès la première écoute, dans le thème de la fanfare d’ouverture celui d’un film de 1942, « Kings Row », écrit par Erich Wolgang Korngold ; cet immense compositeur chez qui John Williams ira beaucoup piocher, pour se forger un style musical inimitable et grandiloquent, typique de l’époque. « Captain Blood » ou « The Sea Hawk », d’autres œuvres du compositeur du premier film consacré à Robin des Bois, « The Adventures of Robin Hood » (1938), serviront à donner ce fameux ton suranné et désuet au projet de George Lucas. Tout l’esprit sérial, avec ce long déroulé au début pour résumer le suivi des aventures en cours.

     

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    John Williams est avant tout un grand technicien et il saura se plier sans jamais se forcer aux desiderata comme aux exigences de ses nombreux commanditaires ; George Lucas et Steven Spielberg en tête, qui formeront avec le compositeur d’« Amblin’ » un duo indéfectible tout au long de la filmographie du réalisateur de « Duel ».

    A l’origine, George Lucas souhaitait, comme pour Kubrick et son « 2001 l’Odyssée de L’Espace », n’utiliser que des musiques classiques, afin de rendre toute leur majesté à ses visions spatiales et à l’exploration de planètes inconnues. Cela aurait pu d’ailleurs, selon sa propre réflexion, tendre une perche évidente au public et créer un sentiment quasiment d’intimité avec ce qu’il voyait à l’écran.

    John Williams va alors non seulement lui proposer de composer exactement ce qu’il désire, mais avec de surcroît une véritable identité. Une musique nouvelle et pourtant étrangement familière. Une musique qui participe à l’exclusivité du projet. La puissance orchestrale de Williams et son aisance presque insolente deviendront en une poignée de films sa marque de fabrique.

    La qualité mélodique indéniable et une précision infaillible, alliées au brio des morceaux composés, font référence aux travaux d’autres grands compositeurs classiques mais renvoient également au respect sacré que l’on ne peut pas juste afficher comme une évidence. Car John Williams est un orfèvre qui sait viscéralement lier musique et image. Tel un chirurgien qui réaliserait des opérations impossibles dont on ne verrait jamais les coutures…

     

    Star Wars premier du nom était ébouriffant, mais ce n’est rien en comparaison du score qui va être composé pour sa suite…

    Pour cette saga longue de presque 50 ans, Williams fonctionne comme l’avait déjà imaginé Wagner en son temps pour ses opéras, maniant habilement le principe du leitmotiv ; à savoir créer un thème différent pour chaque protagoniste, qui sera utilisé par la suite au grès de l’action et des situations, afin de marquer l’entrée en scène dudit personnage ou encore d’appuyer son implication dans l’intrigue, qu’il soit d’ailleurs présent ou absent à ce moment précis.

    La musique interagit directement avec le scénario et le ressenti du spectateur ou de l’auditeur. Ces différents motifs peuvent alors s’inclurent dans la partition, joués à un moment précis, fut-ce uniquement sur une poignée de notes sur la portée. Convoqué lointainement ou plus précisément par un seul instrument, en ayant pris soin de choisir lequel exactement, afin de signifier ledit personnage et l’état d’esprit avec lequel on en parle, vous ressentirez alors, largement déployée dans vos oreilles, toute la maestria du maître, son sens de l’observation et la précision du travail de dentelière qu’il exécute.

    Cette forme diégétique malaxée minutieusement par Williams, surtout pour les « Star Wars », crée un lien indissociable, viscéral, et ce n’est d’ailleurs pas pour rien que l’on qualifiera ces films de George Lucas de « space opéra ». Dans « La Guerre des Etoiles », exploité ensuite sous le nom de « Star Wars, Episode IV : Un Nouvel Espoir », on trouve ainsi « Le thème de Luke » et également celui de Leïa.

    « Le thème de Luke », appelé également « Le thème de la Force », va ainsi figurer dans tous les autres épisodes de la Saga. Il est autant rattaché au pouvoir des Jedi que celui de la famille Skywalker. Ces quelques notes suffisent immédiatement à exprimer l’audace comme l’espoir ; une lumière face aux ténèbres que représentent l’Empire et le côté obscur de la force.

     

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    L’Episode V : une explosion donnant ainsi la pleine mesure de la fougue et de l’imagination sans limites de Williams…

    On découvre donc dans cet Episode V successivement « Le Thème de Han et Leïa », « Le Thème de Yoda » et le plus emblématique d’entre tous, qui restera comme le plus imparable, la fameuse marche impériale ou « Thème de Darth Vader ».

    D’autres musiques deviendront également cultes, comme « The Asteroïd Field » et ses cordes virevoltantes, illustrant la scène du Faucon Millenium slalomant entre les corps célestes, ou encore « Hyperspace » (utilisé au début du film, puis de nouveau vers la fin, lorsque le Faucon tente d’échapper aux griffes de Vader et que l’on assiste à un dialogue télépathique entre Luke et son « Papa »).

    Un autre grand thème, intitulé « Carbon Freeze / Darth Vader’s Trap / Departure of Boba Fett », souligne plusieurs actions conjuguées, avec notamment le magnifique « Thème de Han et Leïa » précédemment entendu, cette fois-ci fondu et restitué en une complainte beaucoup plus déchirante, lorsque Han est sur le point de se faire congeler. Leïa finit par avouer à Han qu’elle l’aime et celui-ci lui rétorque un laconique « je sais », avec la musique qui s’élève en un hymne tragique mélangé à des bruitages effrayants et le cri de tristesse de Chewbacca.

    Sublime moment de dramaturgie rehaussé une fois de plus par un John Williams au sommet de son art. On assiste là tout bonnement à une scène de « La Tosca » de Puccini, avec la Tosca et Cavaradossi, son bien-aimé, condamné à être fusillé…

     

    [youtube id= »FAcJ358BaA8″ align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    Pour revenir une dernière fois encore sur la Marche de l’Empire et ce morceau intitulé « The Imperial Probe / Aboard The Executor », Williams y laisse subtilement traîner au début du film quelques notes extraites de ce fameux thème, que l’on n’identifie pas encore à une menace. Mais ces quelques mesures planent déjà comme des ombres…

    Lorsque les officiers impériaux finissent par localiser la base rebelle sur la planète Hoth et que l’on voit la majestueuse et néanmoins implacable flotte de Star Destroyers impériaux se déployer, le thème explose alors en une marche militaire sinistre (John Williams s’est d’ailleurs inspiré des marches allemandes du Troisième Reich).

     

    On ressent à ce moment précis un frisson qui nous parcourt l’échine, tant le timing est parfait et la musique créée pour l’occasion semble miraculeuse, transmettant un sentiment autant de crainte que d’admiration.

     

    En substance, la musique de John Williams, ce sont avant tout ces influences des compositeurs classiques européens connus, de la fin du 19ème et début du 20ème siècle, revisités ou utilisés de manière intelligente et ludique.

    Nous verrons dans le prochaine épisode que l’inspiration de Williams sait parfaitement faire le grand écart entre toutes ces influences et que l’on peut retrouver dans son œuvre aussi bien des compositeurs russes et tchèques (car ce sont sans doute ceux qui évoquent le plus d’images et de symboles, de Prokofiev à Dvořák, en passant par Tchaïkovsky, Borodine ou Moussorgski) que les Français, avec Debussy, Ravel et même Bartók à deux reprises.

    J’aborderais donc tout prochainement les deux autres immenses chefs-d’œuvre que sont « Rencontres du 3ème Type » et son pendant intime, « E.T., l’Extra-Terrestre », ou comment John Williams a su appréhender le thème des extra-terrestres en réinventant notre vision sur ce sujet.

     

     

     

  • Fabrice Mathieu is Back

     

     

    En mai 2019, Fabrice Mathieu nous livrait sa vision personnelle du premier pas de l’homme sur la Lune, avec « Moon Shining », un mashup intrigant qui suscita bien des commentaires, tant le parti pris était original. Sept mois plus tard, il nous revient avec son dernier film, « TS: Terminators ». Et là, il faut admettre qu’il a passé la vitesse supérieure…

     

    Le pitch de ce bel hommage rendu par Fabrice Mathieu à Arnold Schwarzenegger et Terminator : plusieurs T-800 sont renvoyés dans le temps par Skynet. Mais leurs ordres de mission respectifs sont brouillés électroniquement par John Connor. Résultat, ils se ciblent tous les uns les autres !

    A l’original et originel « The Terminator » sorti en 1984, ainsi qu’à ses quatre successeurs, Fabrice Mathieu ajoute sa pierre à l’édifice, avec une sorte d’apothéose finale à couper le souffle, digne des plus grands. Pour réaliser ce petit bijou, non content d’emprunter des séquences aux cinq films de la franchise « Terminator », Fabrice Mathieu y adjoint également des extraits de « Hellboy », « Jurassic Park » ou encore « Zombieland », pour n’en nommer que quelques-uns. Le résultat est tellement abouti qu’il s’avère difficile de déterminer où se termine un extrait de film et où commence le suivant…

    Réalisateur, scénariste, cadreur, monteur truquiste, Fabrice Mathieu s’est illustré ces dernières années par ses courts-métrages & divers mashups : « Dr Kill & Mr Chance », « Mémoires Vives », « Master of Suspense », « Darth by Darthwest » (« Vador aux Trousses »), « Raiders of the Lost Dark » et « Cheese Trouble », auxquels on peut ajouter deux projets de longs-métrages, « Dans l’ombre » et « Invisible ». Il est également animateur, avec Benoît d’Amiens d’Hébécourt et Julien Compeyron, de l’émission de radio « 7ème Symphonie », consacrée aux musiques de films. On peut retrouver tout ça sur sa page Vimeo pour l’image et en écoute sur Soundcloud pour le son.

    A découvrir, ou redécouvrir, d’urgence !

     

    [arve url= »https://vimeo.com/380495467″ align= »center » title= »Fabrice Mathieu : « TS: Terminators » » description= »Mashup » duration= »16M52″ maxwidth= »900″ /]

     

    Starring

    Arnold Schwarzenegger & Christian Bale

    Music by

    Marco Beltrami
    Danny Elfman
    Brad Fiedel

    Theme of « Terminator » also arranged by

    ThatOneComposerGuy
    Andrea Southern

    Films used:

    The Terminator
    Terminator 2: Judgment Day
    Terminator 3: Rise of the Machines
    Terminator Salvation
    Terminator Genisys

    Collateral Damage
    Commando
    End of Days
    Eraser
    Kindergarten Cop
    Last Action Hero
    Raw Deal
    Red Heat
    The 6th Day
    Total Recall
    True Lies

    Other Films:

    Hellboy (2019)
    Jurassic Park
    King Kong (2005)
    NHK Dinosaurs
    Resident Evil: Apocalypse
    Spider-Man 3
    The Blues Brothers
    Yakusa O
    Zombieland
    Zookeeper

    Edited & Directed by

    Fabrice Mathieu

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »]  Fabrice Mathieu sur Vimeo

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »]  Fabrice Mathieu : « Moon Shining » (Mai 2019)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »]  Fabrice Mathieu : « Raiders of the Lost Darth » (2018)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »]  Fabrice Mathieu : « Darth by Darthwest » (2017)