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  • Mythique | La Haine (1995)

     

     

    La Haine : Chronique d’une bavure ordinaire

    Réalisé en 1995 par Mathieu Kassovitz, son 2ème film après « Métisse » en 1993.

    Avec Vincent Cassel, Saïd Taghmaoui, Hubert Koundé.

     

     

    LA VRAIE FAUSSE INTERVIEW

     

     

    Cité des Muguets à Chanteloup-les-vignes dans le 78 un lendemain d’émeutes. Un jeune de 16 ans, Abdel Ichaha, se retrouve entre la vie et la mort suite à une garde à vue un peu trop musclée. La bavure policière d’un inspecteur du commissariat va pousser les jeunes du quartiers, aveuglés par la haine, à crier vengeance. Parmi eux, Hubert, Saïd et Vinz traînent leur ennui de cave en cave. Le film est inspiré d’une histoire vraie, celle de Makomé M’Bowolé, zaïrois de 17 ans tué d’une balle dans la tête par un policier lors de sa garde-à-vue dans le 18ème arrondissement de Paris en 1993.

    Mathieu Kassovitz : « Je me suis demandé comment le flic a pu en arriver à une telle haine pour lui tirer une balle dans la tête alors qu’il ne pouvait rien faire, c’est évident. Le policier n’a certainement pas voulu tirer mais il lui a fait peur, il a mis le flingue, il a armé le chien et je me suis demandé comment le môme a pu le mettre dans une telle situation de haine. Il y a une telle haine dans les deux camps qu’il faut au moins poser la question. Des armes, les flics en ont, et dans les cités, ils en ont aussi, mais pour l’instant, les plus sages, ce sont les mecs des cités parce qu’ils ne s’en servent pas encore ».

    Tourné en noir et blanc, le film se déroule sur une seule journée, une journée particulière, effroyable, qui va inexorablement mener au drame, comme dans le film de Ryan Coogler « Fruitvale Station » en 2013. L’objectif du réalisateur est de comprendre « comment en est-on arrivé là ? » et quel est le mécanisme qui amène les personnages à commettre de tels actes extrêmes et irréversibles ?

    Mathieu Kassovitz : « Le but était de raconter de manière générale quelle était l’ambiance des quartiers à l’époque et qui étaient ces jeunes-là. Je voulais comprendre ce qui, dans leur haine, était juste, quelle était leur revendication et comment ils vivaient le truc de l’intérieur. Quand j’ai vu l’histoire avec Makomé, qui a fait que j’ai eu envie d’écrire parce que la question était : qu’est-ce qui s’est passé dans la journée, dans les 24 heures qui ont précédé. Il se réveille le matin et il meurt le soir ; qu’est-ce qui s’est passé, qu’est-ce qui justifie ça ? C’est ça la question. J’ai voulu montrer le processus qui fait qu’il y a des jeunes qui se font tirer une balle dans la tête en entrant le soir dans un commissariat ».

    En 1995, le film sort dans un contexte de stigmatisation de la banlieue après les émeutes de Vaulx-en-Velin en 1991. Le découpage du film en scènes qui affichent l’heure démontre l’intensité dramatique d’une situation où la tension monte au fur et à mesure des contrôles de police et des provocations de tous ordres, comme la rencontre avec les skinheads ou l’irruption dans une galerie d’art. Les jeunes de cité se retrouvent dans une spirale de mépris ressenti, tout au long de la journée, au fil des heures qui défilent jusqu’au dénouement tragique. Une caractéristique qui n’est pas sans rappeler le journal télévisé et la structure du reportage d’actualité lors d’un drame filmé en direct et suivi d’heure en heure par les journalistes.

    Le film eut un important succès commercial, porté par l’énorme controverse qu’il suscita concernant son point de vue sur la banlieue et les violences urbaines, en raison du rôle provocateur de la police dénoncé par le scénario. Alain Juppé, alors premier ministre, condamne fortement l’image renvoyée par le film, présentant les agents de l’Etat comme des auteurs de violences policières.

    Mathieu Kassovitz : « Il y avait un sujet spécifique qui était mondial à l’époque : c’était les violences policières entre la police et une certaine catégorie de gens du ghetto, que ce soit partout dans le monde. Le film a été reconnu dans le monde entier parce qu’il y avait le même problème partout au même moment. Les gens pouvaient s’identifier. Pourquoi ces jeunes qu’on traite de sauvages ne prennent pas un flingue pour tirer sur un flic le soir quand ils sentent l’injustice au point où ils la sentent ? J’ai vu le frère de Makomé partir en courant en disant « je vais tous vous shooter » et revenir : il n’avait shooté personne. J’ai voulu essayer d’analyser ça, cette sagesse. De même, pourquoi un flic qui arrive à la police en souhaitant rétablir la justice parce qu’il est pour la République et qu’il veut défendre les pauvres et l’opprimé se retrouve à faire l’inverse ? Est-ce que c’est lui qui est quelqu’un de mauvais ou est-ce que c’est le système qui le transforme ? »

    A Cannes, tous les policiers du service d’ordre tourneront le dos à l’équipe du film lors de la montée des marches.

    Le ministre de l’intérieur de l’époque, Jean-Louis Debré, renchérit en allant déposer plainte contre la chanson « Sacrifice de poulet » du groupe Ministère A.M.E.R., dont les paroles sont directement inspirées du film. Dix ans plus tard, en 2005, le film sera diffusé sur la chaîne parlementaire à titre de documentaire !

    Mathieu Kassovitz : « Le rap est la musique qui m’a amené à m’intéresser aux quartiers et aux violences policières. Je suis arrivé à ce film à cause du Hip-Hop, pas parce que je suis un mec de banlieue. Il n’y a pas de musique dans le film à part celle qu’on entend dans les postes. Il y a Bob Marley au début puis c’est tout, et DJ Cut à la fenêtre. On a voulu représenter le film « La Haine » à travers un album de compilation de morceaux écrits par des groupes. On a découpé le scénario en thèmes qu’on a distribués à des groupes. »

    Sous la direction de Solo du groupe « Assassin » dont Mathias Crochon, le frère de Vincent Cassel (Vincent Crochon à la ville), plus connu sous le pseudo « Rockin’ Squat », a été le fondateur, onze morceaux sont édités dont celui de Ministère A.M.E.R., « Sacrifice de poulet ». Le groupe de Sarcelles composé entre autres de Passi, Stomi Bugsy ou Doc Gyneco est connu pour son ton hardcore. Il est blacklisté par les médias et ostracisé par les autres groupes de Rap qui en 1995 vivent énormément dans la rivalité.

    Mathieu Kassovitz : « J’ai insisté pour que le groupe Expression Direkt fasse partie de l’aventure. C’est le seul morceau de West Coast. Pour le reste (les paroles), la seule contrainte était un thème du film. Après, ils venaient avec ce qu’ils voulaient ; c’était pas à nous de les censurer. »

    Si le Rap est à l’origine de l’idée du film, on y trouve également de nombreuses références cinématographiques : sur son site, le réalisateur annonce clairement s’être inspiré du film de Costa Gavras « Z » (1969). Autre exemple, dans une scène située à Paris, les trois jeunes passent devant une affiche publicitaire filmée en gros plan durant quelques secondes sur laquelle on peut lire « Le monde est à vous » et qui n’est pas sans rappeler la devise de Tony Montana (Al Pacino) dans le film de Brian de Palma « Scarface » :  The world is yours ». Le fil rouge, c’est Vinz, fasciné par le personnage de Travis dans le film de martin Scorsese « Taxi Driver » (1976) et qui donne lieu à une scène d’anthologie dans la salle de bain face au miroir.

     

     

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    Mathieu Kassovitz : « J’ai voulu réinventer le truc que faisait Scorsese qui présente ses personnages avec une image arrêtée, le nom en-dessous, procédé qu’a repris aussi Tarantino. Par exemple dans la scène où Saïd taggue « Saïd », ou celle avec le nom de Hubert dans la salle de boxe. »

    Outre son sujet brûlant, une BO polémique, le film est aussi à l’origine de plusieurs phrases cultes telles que « jusqu’ici tout va bien », « arrête de faire ton caca nerveux » ou l’expression « moika » qui désigne une personne antillaise. Mathieu Kassovitz reprend également tel un clin d’oeil, le dialogue écrit par les Inconnus dans un de leur sketch « La Zup » : « Manu tu descends ? » « Pour quoi faire ? ».

    Le film fut donc couronné de succès. Il obtint le Prix de la mise en scène à Cannes en 1995 et trois Césars en 1996, dont celui du meilleur film. Pour l’anecdote, le prix fut décerné et la statuette dorée remise par les Inconnus, mais pas à Kassovitz, absent ce jour-là. Vingt ans après, le film est devenu culte alors qu’au départ, aucun producteur ne voulait avancer un centime. Personne ne voulait du noir et blanc, du titre (transformé en « Droit de cité », ou d’acteurs jusque là inconnus. Aujourd’hui, sa portée sociale a été décuplée. Il cumule pas moins de deux millions d’entrées rien qu’en France et fit une carrière internationale. La Haine a commencé comme une histoire de potes qui avaient envie de secouer le cinéma français, allant à l’époque jusqu’à louer un appartement pour y vivre ensemble le temps du tournage à l’intérieur même de la cité.

    Mathieu Kassovitz : « Le plus dur, ce n’est pas d’avoir les autorisations des mecs de la mairie, c’est d’avoir l’autorisation des mecs qui vivent dans la cité »

    Il finit en symbole d’un certain cinéma, avec peut-être, une suite : à quand une Haine 2 ?

    Mathieu Kassovitz : « Je ne sais pas, on verra. Peut-être ou peut-être pas, ça dépend de tellement de choses. Je ne sais plus ce qu’est le sujet de la banlieue aujourd’hui. Pour que je me remette dans le bain il faudrait que je retourne là-bas et je ne suis pas sûr que j’aie envie de faire ce chemin-là parce que c’est à des gens de l’intérieur de le faire. A l’époque, on ne connaissait pas la banlieue. J’ai fait le film pour des gens qui ne connaissaient pas la banlieue afin qu’ils puissent changer leur avis, regarder les infos d’une autre manière et éventuellement voter d’une autre façon. Les films de banlieue, c’est « Raï » et « Ma cité va craquer ». Je n’ai pas voulu faire ça. Je n’ai pas voulu faire un film de banlieue pour les mecs de banlieue et encore moins un documentaire. Je déteste ça. Je ne suis pas fan de « Boyz’N the Hood » (1991). Je ne voulais pas caricaturer la banlieue, mais au contraire l’ouvrir à des gens qui ne la connaissent pas. Pour faire un film, il faut un message, et je ne sais pas quel pourrait être le message aujourd’hui. A l’époque on n’avait pas de problème de crise économique, de frigo vide ou de communautarisme. »

     

     

    Bande annonce :

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    Bande originale :

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    Source : « On refait le Rap » (5 juin 2015)

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    Et pour finir, vous pouvez toujours vous procurer « Les dix ans de la Haine » (Edition Collector 3 DVD)…

     

     

     

  • Fluctuat Nec Mergitur…

     

    Un grand nombre de monuments et lieux dans le monde sont illuminés aux couleurs du drapeau français depuis le week-end dernier, en solidarité avec Paris, qui a été visée vendredi 13 novembre 2015 par une série d’attentats et d’attaques terroristes sans précédent, qui ont tué 130 innocents et blessé 368 personnes.

    Au lendemain de ces événements tragiques, un deuil national de trois jours a été décrété. Tous les lieux publics et culturels parisiens, à commencer par les musées ou les expositions, sont restés fermés tout le week-end. Parmi ces lieux dont les portes seront restées closes, on notera l’annulation de « Paris Photo » au Grand Palais dont l’ouverture était prévue dimanche dernier. « Nous attendions environ 20.000 visiteurs sur les deux jours d’exposition, et nous ne pouvions donc pas prendre le risque de les accueillir » déclarait Jean-Daniel Compain, vice-président de Reed Exhibitions, organisateur du plus important salon de la photographie au monde. « En considérant le seul facteur humain, il est essentiel de préciser que nous ne parlons pas uniquement de business […] dans la mesure où comme le peuple français, mais aussi le monde tout entier, nous avons été extrêmement choqués et attristés par ces événements. Quoi dire de plus ? C’est un cauchemar… ».

    Nous ajouterons que beaucoup de visiteurs de « Paris Photo » participaient à un certain nombre de vernissages ou de soirées dans le Marais le 13 novembre au soir, à quelques pas du 11ème arrondissement où les attaques ont eu lieu. Et beaucoup d’entre eux sont restés coincés dans ces endroits pendant une grande partie de la nuit. « Les gens sont restés dans ces galeries jusqu’à 04 ou 05h du matin car ils ne pouvaient pas les quitter, à la demande des forces de sécurité. C’était la confusion la plus totale ».

    En réponse au massacre ignoble durant leur concert au Bataclan, le groupe de rock américain Eagles of Death Metal a annulé la suite de sa tournée, par respect pour les victimes innocentes tombées sous les balles des terroristes.

    Peu après la fin de ces attaques, des artistes et illustrateurs du monde entier ont saisi crayons et pinceaux pour rendre hommage aux victimes de ces attaques. Une illustration du dessinateur de Charlie Hebdo Joann Sfar, demandant à ce que le hashtag #ParisIsAboutLife soit largement partagé, pendant que la composition « Peace for Paris » de Jean Jullien se répandait sur les réseaux sociaux à la vitesse de l’éclair.

    #MonPlusBeauSouvenirDuBataclan est quant à lui devenu en quelques jours le hashtag le plus tendance de France, en rendant hommage à la salle de concert théâtre du massacre du 13 novembre qui a couté la vie à 89 innocents…

     

     

     

     

  • Faustin Linyekula & Studios Kabako | The Kin-Philly Connection Jam Session + Dance

     

    Après avoir accueilli son solo « Le Cargo » au mois de juillet, « Les Soirée Nomades » de la Fondation Cartier nous ont offert en octobre deux cartes blanches à Faustin Linyekula et aux Studios Kabako (lieu initié par Faustin Linyekula qui œuvre pour le développement de projets culturels et sociaux à Kisangani au Congo).

    Faustin Linyekula orchestre des rencontres artistiques et des alchimies musicales sur mesure pour une Soirée Nomade entre-deux continents. Il s’entoure des musiciens King Britt (Philadelphie) et Pytshens Kambilo (Congo), et des danseurs Raphael Xavier, Jerry Valme (Philadelphie) et Dinozord (Congo), pour une jam session musique et danse. Un chassé-croisé entre Kinshasa et Philadelphie mêlant hip-hop, rap, ndombolo et musiques électroniques.

    A découvrir…

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Fondation Cartier

     

     

  • LapseWorld : Un timelapse sur cinq villes dans le monde

     

    Le mois dernier, TriggerTrap a demandé aux photographes de cinq villes autour du monde de créer « le plus original Timelapse jamais fait ». Après un mois d’édition et d’organisation, TriggerTrap partage avec nous le résultat étonnant !

    Plus d’infos ici : www.triggertrap.com/lapseworld

     

     

  • Penguins Mirror

     

    « Penguins Mirror » par Daniel Rozin (2015)

    450 pingouins en peluche montés sur des moteurs qui se retournent en présentant indifféremment leur dos noir ou leur ventre blanc, en fonction des mouvements, pour créer une image du spectateur.

    « Penguins Mirror » est une installation dispersée sur le sol et constituée de 450 animaux en peluche motorisés. Quelque peu « baroque » dans leur comportement, ils exécutent un système de mouvement absurdement homogène. En jouant avec les possibilités de composition du noirs et blanc, chaque manchot se tourne d’un côté à l’autre et réagit à la présence du public. Pendant que les jouets en peluche se produisent et exécutent une chorégraphie précise enracinée dans la géométrie, une certaine forme d’intelligence collective des manchots apparait peu à peu, devenant même déconcertante, tout en étant finalement assez familière… 

    Filmé et édité par Victoria Sendra.

     

     

     

     

  • Remember November 13…

     

     

    Remember November 13… Honoring The Victims of The Paris Attacks.

     

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  • Notre Monde Était Bleu…

     

     

    Etre né en 1969, c’est être un enfant dans les années 70, à pattes d’éph’, à sous-pulls et chemises col pelle à tarte. C’est regarder à la télé l’Ile aux Enfants, Christophe Izard, Isidor et Clémentine… Ensuite, c’est rêver devant Goldorack, Albator et devenir complètement dingue quand Star Wars débarque en 1977.

     

    Etre né en 1969, c’est être un adolescent dans les années 80. Les premières sorties en boite, les bars avec un café qu’on fait durer trois plombes, les disquaires, les vinyles… Pas d’ordinateurs, de réseaux sociaux, de téléphones portables. On se crée nos mondes imaginaires par le biais du cinéma, des livres, des bandes dessinées et des groupes de musique que l’on écoute. Une jeunesse naïve, désuète, avec des têtes de chausson aux pommes. Il y a une douceur de vivre.

    On entend bien pourtant un grondement au loin, parfois. Une complainte du monde. Quelque chose qui se trame, un glissement, mais pas encore chez nous, pas dans notre pays, la France, pas dans notre petite ville de province, Niort. Tout ça, les morts, les bombes, les enfants qui meurent, c’est uniquement à la télé, parce que pour les journaux, ce sont Starfix, Mad Movies, L’Ecran Fantastique qui font office de médiateur. Oui, on se construit un petit monde confortable mais autiste. On élude tous ces faits comme s’ils appartenaient à un monde parallèle.

    Un jour pourtant, l’horreur, on l’a vu une fois. C’était dans le film « Le Vieux Fusil ». Des nazis qui carbonisaient Romy Schneider sans raison et abattaient sa fille d’une balle dans la tête tout en riant. On avait là l’exemple type de la représentation la plus extrême, la plus cauchemardesque de ce qu’était la mort donnée sans raison, juste au nom d’une idéologie haineuse, aveugle et sourde. Un film que j’ai toujours détesté, en me disant pourtant que cela de toute façon ne pourrait plus jamais arriver. Plus lâchement encore, je poussais le raisonnement en me disant que si toutefois cela pouvait encore se produire, c’était heureusement si loin de chez moi que je pouvais continuer à dormir douillettement dans mon lit en rêvant à mes chimères confites.

    Les années et les décennies passent, comme des chapelets apportant chacun leur lot de révélations. Peu à peu, vous le voyez, ce monde anonyme qui commence à vous rattraper. Il était jusqu’à présent sur les côtés et là il glisse finalement jusque devant vos yeux.

    1990-2000…

    11 septembre, l’impensable et grand premier choc où vous comprenez que le mal, la bête, s’est relevée. Elle s’élance, grossit. Sa gueule grande ouverte, vous le sentez maintenant, son souffle, son haleine fétide. Il va être de plus en plus difficile de passer à côté et faire semblant de ne pas savoir, à défaut de ne pas comprendre. Le monde s’assombrit… Quand bien même on se bouche le nez, on plisse les yeux ou on se barricade les oreilles derrière des écouteurs, avec le son poussé au maximum de nos MP3. L’air se charge d’une densité de métal. Les gens, les comportements ont changé. Quelqu’un qui vous bouscule dans la rue ne va plus forcément s’excuser. Les regards deviennent fuyants. Les sourires sont rares comme l’or. On se presse désormais de rentrer toujours plus vite chez soi.

    Alors on continue pourtant à faire comme avant. La même légèreté. Mais c’est de plus en plus dur. On se sent lesté de plomb. On résiste. On essaye. Toutes nos pires craintes irrationnelles petit à petit prennent forme et ce qui paraissait impensable il y a encore quelques années fait irruption chaque jour toujours un peu plus près. Le souffle du dragon se fait ressentir jusqu’aux calottes glaciaires.

    Et un vendredi soir, un 13 novembre, ça a lieu. Notre 11 septembre à nous. C’est « Le Vieux Fusil » qui devient réel. Un sentiment d’horreur nouveau s’invite dans le panel de notre inconscient. Il y a des hommes qui massacrent des gens dans une salle de concert, sur des terrasses de bars et de restaurants, tirant au hasard sur n’importe qui se présente au bout de l’arme. Des gens vivants qui à la seconde d’après ne le sont plus.

    Alors on nous montre les visages des bourreaux, des vidéos où ils paradent, rient dans un mélange d’arrogance et d’impétuosité presque enfantine. Tout cela est censé nous rendre encore plus fou de rage et ivre de vengeance. Même pas…

    Anéanti, groggy, paralysé comme l’animal que l’on amène à l’abattoir.

    Le monde est devenu absurde, sans repère et où plus rien ne fait sens. A partir de ce constat, la vie en soi ne signifie plus grand chose, relayée derrière d’autres priorités. Oui, ce monde semble être devenu une immense aire de jeux pour psychopathes. On tire des balles en guise de salutation. On dit bonjour pour donner la mort. Un monde devenu noir et opaque, mais où chaque jour il faut continuer à relativiser, à rire, s’amuser et jouir ?

    Et tout cela au milieu de ces âmes soufflées, pleines de stupeur et de sidération, tout autour de nous. On vit au milieu des morts, de tous ceux encore là parce qu’ils ne le savent pas, ne comprennent pas. Personne ne comprend d’ailleurs, morts comme vivants. Le monde s’est inversé. L’effondrement qui s’accélère. Nous, au milieu de ce chaos rampant, visqueux. Magma tentaculaire qui choisit ses proies sans logique, au hasard de sa progression. Faim incoercible du néant devenu obèse et boulimique. Le mal triomphe tous les jours et nous l’avons accepté.

    Quelle force pouvons-nous alors tirer de toutes ces horreurs perpétrées ? Quelle leçon, quelle sagesse à notre échelle, pouvons nous proférer derrière les sillons ensanglantés de ces nuées de psychopathes débarrassés de tout oripeau humain ?

    Le bleu, c’était le ciel, certains regards, l’eau de la mer et des océans, un vêtement, une écharpe. Tout cela a été enseveli par le goudron de l’irrémédiable. Alors cramponnons-nous aux branches pour ne pas tomber. En dessous, le sol se dérobe.

    Notre monde était bleu…