Catégorie : Musique

  • French Connection (1978-1982) : Episode 04

     

     

    Plongée dans la France de la toute fin des années 70, les années Giscard : période des grands bouleversements sociétaux et d’un certain sentiment de modernité, entre libéralisation du divorce et éclatement de l’ORTF. Pourtant, la jeunesse s’ennuie et se réfugie alors dans l’émergence de nouvelles scènes rock et new-wave. Parmi les groupes qui s’imposent : Téléphone, Starshooter ou Bijou.

     

    C’est la nouvelle vague, plastique et fluo et Skaï
    Super dégaine spéciale, électricité en pagaille
    C’est la nouvelle vague, sans paradis artificiels
    Sans illusions superficielles, sans mémoire…

    Starshooter, 1979

     

    Mais la nouvelle vague, cette année-là, reste essentiellement celle des musiciens du groupe Téléphone, qui en ce début de l’année 1979, enregistrent à Londres leur 2ème album, « Crache Ton Venin ». Les textes réalistes abordent de front les thèmes de société, entre menace atomique (« La Bombe Humaine »), révolte et conflits familiaux des adolescents. Porté par une pochette conçue par le photographe Jean-Baptiste Mondino, l’album consacre le groupe, trois ans à peine après son tout premier concert. Même si, en marge de cette nouvelle scène rock, d’autres courants musicaux sont alors en gestation.

     

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    « C’est pour essayer de penser à autre chose, parce que c’est tellement triste, tout ce qui arrive, qu’il faut bien s’étourdir. Sortir le plus possible, sortir toute la nuit, aller boire, aller danser. Avant de mourir, il faut prendre du plaisir et jouir de l’instant présent. » (Alain Pacadis sur le plateau d’Apostrophes, 07/04/1978)

     

    A l’image de l’étrange et provocateur Alain Pacadis, chroniqueur déglingué des nuits parisiennes, notamment pour le quotidien Libération, apparaissent alors les nouveaux punks, ces dandys urbains et sophistiqués qui se défoncent à l’héroïne, dorment le jour et arpentent la nuit les institutions festives qui s’ouvrent en cascade. Il y eut d’abord La Main Bleue, ouverte en 76 dans un ancien centre commercial de Montreuil, près de Paris. Initialement fréquentée par tous les Africains et les Antillais qui se faisaient refouler des boîtes parisiennes, La Main Bleue devient un lieu branché investi par les bourgeois bohèmes blancs de la capitale.

     

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    En mars 78, dans un ancien théâtre à l’Italienne situé près des Grands Boulevards ouvrait ensuite l’inévitable Palace, sous l’impulsion de Fabrice Emaer, devenant le comble des sociabilités « People », des vanités chics et délurées. Plus intimistes, les Bains-Douches sont inaugurés en décembre de la même année, Rue du Bourg l’Abbé, près du Marais, rachetés par deux antiquaires qui en confient la décoration à Philippe Starck. Le premier soir, deux-mille personnes se pointent et la Préfecture de Police, qui redoute des débordements, a posté huit cars de CRS de part et d’autre de la rue.

     

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    En l’espace de quelques mois, avec le concours actif des médias, Libération ou Actuel en tête, la danse en boîte de nuit, le « Clubbing », comme on l’appelle, devient l’horizon incontournable de la jeunesse urbaine française, ou du moins parisienne. Parmi les créateurs, les couturiers, les stars ou les vedettes de passage, on y croise aussi Gainsbourg et la jeune garde du rock français, comme les membres du groupe Bijou, qui en 1979, sortent sur leur deuxième album une reprise des « Papillons Noirs » gainsbouriens.

     

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    « Les Papillons Noirs » signé Gainsbourg, que ce dernier avait enregistré en 1966 avec Michèle Arnaud, est repris en 1979 par le groupe Bijou, trio arty, mélange de rock dur et de romantisme, sur son album « Ok Carole ». En février 1980, le magazine Actuel intitule un article d’une formule efficace, qui allait devenir une appellation musicale, pour résumer l’époque : « Les jeunes gens modernes aiment leurs mamans ». Entre les Rennais de Marquis de Sade, Jacno ou Marie et Les Garçons, les groupes n’ont pas grand chose à voir entre eux, mais peu importe…

    Associé à cette mouvance, le groupe parisien Edith Nylon, formé là encore par des lycéens de bonne famille autour de la chanteuse Mylène Khaski, enregistre son tout premier album en 1979, pendant les vacances scolaires. Mylène et sa chevelure de feu s’y autoproclamant « femme bionique, artères antistatiques, perruque de nylon, utérus en Téflon, seins gonflés silicone, lèvres glacées de chrome… Edith Nylon, c’est moi… ».

     

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    « Edith Nylon » par le groupe du même nom, dont les paroles évoquent la société d’alors, le féminisme, mais aussi les périls futurs, comme les manipulations génétiques ou le transhumanisme, et dont la new-wave inspirera par la suite des groupes comme les Rita Mitsouko. Pour l’heure, ce changement de décennie est surtout marqué par le rock et l’émergence d’un nouveau groupe, Trust.

    Formé en 1977 par deux mecs de banlieue parisienne, le chanteur Bernie Bonvoisin venu de Nanterre et le guitariste Norbert « Nono » Krief originaire des Mureaux, Trust, après avoir passé trois longues années dans l’ombre de Téléphone, connaît un immense succès à partir de 1980 avec la parution de son second album « Répression », dénonçant le sort de Jacques Mesrine dans la chanson « Le Mitard » ou encore l’ensemble du système, dont les dés sont pipés. Il s’en écoule plusieurs centaines de milliers d’exemplaires dès sa sortie.

     

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    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »]  French Connection (1978-1982) : Episode 01

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] French Connection (1978-1982) : Episode 02

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] French Connection (1978-1982) : Episode 03

     

     

     

  • John Williams : Quand la musique devient du cinéma (Partie 03)

     

     

    John Williams… Quand la musique est bonne, bonne, bonne, quand elle ne triche pas !!! Euh, désolé… Allez, revenons à nos moutons… « Star Wars », « Superman », « Harry Potter », « Jurassic Park »… Quel serait l’empreinte laissée par ces films sans leur thème d’ouverture ? Car lorsque l’on se remémore l’une de ces œuvres, c’est en premier lieu sa musique qui nous vient en tête, avant même les images.

     

    La tétralogie Indiana Jones

    A l’instar de ces marches et de ces mélodies reconnaissables entre mille, et dans le monde entier, John Williams va composer pour le nouveau projet de George Lucas et Steven Spielberg, en 1981, un autre thème incontournable, parmi tous ces grands standards cinématographiques : « Les Aventuriers de L’Arche Perdue ».

    Indiana Jones, c’est d’abord cette silhouette légèrement voûtée, surmontée du chapeau Traveller de la chapellerie anglaise Herbert Johnson, et le fouet. C’est Harrison Ford, bien-sûr, mais aussi cette musique, avec ces cuivres  qui surgissent de nulle part, comme une invitation au voyage et à l’aventure. Puis le thème s’envole et vous met du vent dans les cheveux, avec cette irrépressible envie d’action, de découverte et de course-poursuite.

    Steven Spielberg, qui rêvait de réaliser un épisode de James Bond ou encore d’adapter Tintin au grand écran, va combler en partie cette frustration en mettant en scène ce personnage imaginé par son ami George Lucas.

     

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    Car John Williams a toujours eu ancré en lui ce génie de la synthèse. A savoir qu’en quelques simples notes, il parvient à rendre caduque tout ce qui a pu être produit ou entendu précédemment, dans un registre similaire. Pour un personnage fort comme Indiana Jones, il lui faudra donc un hymne qui puisse venir compléter sa panoplie à la perfection et ainsi participer à sa légende.

    Et c’est imparable… Après avoir découvert au cinéma en 1981 « Les Aventuriers de L’Arche Perdue » et sa musique, il vous sera dès lors impossible d’imaginer ou d’apprécier tout autre thème écrit pour un sujet similaire. Tant le compositeur de « La Dernière Croisade » assoit encore un peu plus le genre avec chacun de ses scores. Ses créations deviennent non seulement les génériques des films qu’elles illustrent, mais en même temps le générique en tant que tel du genre qu’elles développent.

    Ainsi, non seulement ce film mêlant archéologie, spiritisme, action et fantaisie, fait office d’œuvre définitive sur le sujet, mais de surcroît, sa musique devient instantanément un classique. Tel un alchimiste, John Williams va réaliser la fusion parfaite entre image et son, en composant une suite orchestrale tour à tour grandiose, lyrique, spectaculaire et mystique.

     

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    Il y a bien-sûr (et c’est la mode actuellement…) tous les insurgés, les scandalisés, ceux qui crient sans relâche au plagiat, au saccage auquel se livrerait John Williams, en dépossédant d’autres illustres compositeurs de leurs œuvres. Non et cent fois non ! Le compositeur de la marche des Jeux Olympiques de 1984 n’a jamais plagié qui que ce soit. Et je renvoie les accusateurs de tout poil à la définition exacte du verbe « plagier ».

    Oui, John Williams s’inspire beaucoup, c’est un fait, voire emprunte des thèmes qu’il transforme. Et j’ai d’ailleurs largement évoqué ses influences dans les deux précédentes parties. Certes, il utilise des matériaux connus pour les remettre à sa sauce. Mais je vous mets au défi de trouver dans ses propres partitions des copiés-collés de musiques déjà existantes et des mélodies en tous points identiques à celles qui auraient pu être créées par d’autres. On peut évidemment reconnaître parfois des emprunts à tel ou tel compositeur ou y déceler les influences dont il se nourrit.

    Mais John Williams n’a pas son pareil pour défricher, réarranger et souvent améliorer. Le procès que certains lui font sur ses prétendues impostures est ainsi dénué de tout fondement. Et avant de refermer cette parenthèse, la position de ceux qui souhaitent réduire ce compositeur multi-oscarisé au rang de vulgaire faussaire, d’escroc ou de petit faiseur à la solde d’Hollywood, est risible. Je renvoie donc tous ces censeurs à leur bûcher des vanités et à leur condescendance.

     

    Pour en revenir à Indiana Jones, car c’est après tout de cela dont il s’agit ici… John Williams déploie pour chacun des films de la série, y compris pour ce 4ème opus qui est à mon sens le plus faible (euphémisme…), des trésors de mélodie et d’ingéniosité. Même si je considère que « Les Aventuriers de L’Arche Perdue » et « Le Temple Maudit » restent sans conteste les deux meilleurs scores de la tétralogie, mais aussi les deux meilleurs films.

    Pour le premier, John Williams reprend les principes opératiques allemands et italiens, tout au long des titres, et place peu à peu des motifs qui grandissent au fil de l’intrigue qui se précise, jusqu’au final ou le thème susurré jusque-là, explose en un maelström orchestral et choral, avec la manifestation divine qui déchaîne la colère de Dieu contre les nazis.

    Une autre des grandes prouesses de ce score reste le morceau intitulé « Desert Chase ». Il accompagne la fameuse course-poursuite en camion, quand Indiana Jones tente de récupérer l’Arche d’alliance, aux mains des Nazis. La musique épouse ici le moindre geste, le plus petit mouvement, que ce soit de la mise en scène ou des personnages ; une scène qui dure un peu moins de 8 minutes, mais qui est un bijou de découpage et d’idées filmiques. Une fois de plus, la musique de Williams ne cherche pas à voler la vedette à la séquence, mais uniquement à la sublimer.

     

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    Le Temple Maudit

    Là encore, cette composition suit le film à la virgule près. Ce deuxième opus est bien plus rapide que le précédent, mais aussi beaucoup plus sombre. John Williams réinvente encore une fois le score, puisqu’il imagine de nouveaux thèmes et de nouvelles sensations. Si le premier proposait une musique aux accents bibliques, pour « Le Temple Maudit », on est dans le serial pur et les films de Fritz Lang, entre « Le Tigre du Bengale » et « Le Tombeau Hindou ». Les chœurs ne sont plus divins mais lugubres, presque païens.

    Tout le film de Spielberg se conçoit comme une longue course-poursuite. Il pousse même le concept jusqu’à imaginer la scène des wagonnets dans la mine à la manière d’une attraction de fête foraine, un grand huit où le spectateur serait lui aussi convié, aux premières loges. Même si le film est plus cynique, sa musique n’en demeure pas moins réussie.

    Les morceaux « Children In Chains » et « Slave Children’s Crusade » figurent parmi ces nouveaux thèmes forts et inspirés qui viennent s’incruster comme jamais dans l’univers des films Indiana Jones. « The Temple Of The Doom », autre morceau-phare qui renvoie au « Carmina Burana » de Carl Orff, apporte là-aussi une nouvelle thématique dans l’œuvre du maestro, avec ces percussions et ces chœurs possédés et maléfiques.

     

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    Indiana Jones et La Dernière Croisade

    Si ce nouvel opus, malgré la présence de Sean Connery, s’avère être plus faible et moins inspiré que les deux précédents, force est de reconnaître que John Williams garde toujours la main. Là encore, il joue avec les thèmes déjà existants, pour mieux les malaxer, les transformer.

    Toujours prompt à trouver de nouvelles mélodies, c’est autour du Graal et d’une noblesse oubliée, celle des Chevaliers de la Table Ronde, que Williams construit ici le score du troisième film de la série. Il parvient à relier les thèmes existants aux nouveaux et ainsi inscrire le personnage d’Indy dans la légende.

     

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    Indiana Jones et Le Royaume des Crânes de Cristal

    Tout le monde s’accorde à dire que ce 4ème volet de la série est une véritable gabegie. Une bouillie scénaristique, numérique et filmique. Pourtant, John Williams ne ploie pas sous le poids de la catastrophe et compose avec pas grand-chose de fort à se mettre sous la dent un score tout à fait honorable. On ferme les yeux, on écoute la musique de ce film et on se prend à rêver d’une aventure mystérieuse et palpitante.

    Tout est virevoltant et léger. John Williams, comme il a pu le faire avec les Star Wars, revisite les thèmes connus. Il les inclut dans les nouvelles compositions, pour mieux inscrire le film dans une continuité. Ce qui n’est pas tâche aisée, quand on assiste à la catastrophe qu’est ce 4ème volet des aventures d’Indiana Jones, à tous les niveaux. Même si Steven Spielberg ne parvient pas cette fois-ci à sauver quoi que ce soit dans ce naufrage, il reste encore et toujours la musique. La musique de John Williams…

     

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    Pour la 4ème et dernière partie consacrée à John Williams, j’évoquerai « Minority Report », « A.I. » et « La Guerre des Mondes ».

     

     

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    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »]  « John Williams : quand la musique devient du cinéma (Part 01) » 

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »]  « John Williams : quand la musique devient du cinéma (Part 02) »

     

     

     

  • Philippe d’Anière : « Pressing », chroniques de sa seconde vie

     

     

    « Pressing, c’est le pseudo que j’ai pris à vingt ans pour faire batteur de Starshooter. Et je croyais vivre les années les plus rock de ma vie… Je rigole… J’ai jamais été aussi entouré, chouchouté, assisté, invité. C’est après que ma vie est devenue vraiment Punk. »

     

    Bon, je dois admettre que les mémoires d’un punk, je n’adhère pas forcément au concept. De surcroît, pour ceux qui suivent Philippe d’Anière sur Facebook, puisque c’est bien de lui qu’il s’agit, ils pourraient aisément en tirer des conclusions hâtives, tant les sorties du bonhomme semblent souvent reposer sur de la provocation gratuite, sans réel fondement objectif. Il n’en reste pas moins qu’au fil de ses « Chroniques Californiennes », acides et sarcastiques, on est en droit de se poser tout de même quelques questions…

    Le mec était le batteur de Starshooter, certes. Il l’évoque souvent mais sans jamais vraiment s’appesantir sur le sujet, et il ne semble pas y avoir une quelconque nostalgie dans ses références à cette époque, comme si, finalement, ça n’était plus pour lui qu’un passé lointain. Tandis que Kent, le chanteur du groupe, ou les autres gloires éphémères de ces temps révolus, ont continué, de près ou de loin, tant bien que mal, à évoluer dans le domaine de la musique ou de l’écriture, Phil Pressing a repris son nom de baptême et a tracé la route… Disparu des écrans radars… Hasta la vista, baby.

    Alors, lorsque j’apprends que le gaillard se décide finalement à nous en dire un peu plus et à lever le voile sur sa vie après la musique, malgré mes réticences, je dois admettre que je suis curieux d’en savoir plus. Je me procure donc un exemplaire de ce bien énigmatique « Pressing », dès sa sortie. Tiens, publié chez Amazon. Petite surprise qui n’en est pas une, finalement. Avec le recul, je ne suis pas convaincu qu’une maison d’édition française classique aurait accepté de se lancer dans une entreprise qui pouvait se révéler quelque peu hasardeuse, au vu des positions assez tranchées affichées par Philippe d’Anière dans ses chroniques facebookiennes…

    La couverture de « Pressing » participe à ma curiosité grandissante. Voir son auteur ainsi, avant même de commencer à nous raconter son histoire, affublé d’épaisses lunettes noires, le visage à moitié coupé, le bras droit couvert de tatouages lorsqu’on soupçonne le gauche d’en être dépourvu, comme si, par pudeur ou par timidité, il rechignait dans un premier temps à nous permettre de dépasser la première impression que nous pourrions avoir de lui. Et des palmiers, toujours des palmiers…

     

     

     

    Il faut dire que l’homme a changé. Le Phil Pressing des débuts de Starshooter, à l’allure fine et svelte, est devenu plus massif. Et même si on peut partir du postulat que nous sommes tous égaux face au temps qui passe, la couverture de « Pressing » atteste que la seconde vie de Philippe d’Anière ne fut pas forcément toujours un long fleuve tranquille…

     

    « C’est ma vie, c’est sex, violent, business, drôle, plein d’amour, pas du tout politically correct et ça fait 382 pages. »

     

    A la lecture de « Pressing », le moins que l’on puisse dire, c’est que Philippe d’Anière va plutôt « straight to the point », tant le livre semble être constitué de notes écrites à la volée sur des bouts de papier, comme autant de souvenirs d’une vie capturés avant qu’ils ne s’effacent. Le trait est direct, sans fioriture, dans une sorte d’urgence qui nous fait vite oublier une ponctuation approximative, les quelques coquilles et les petites lourdeurs de style. Mais, après tout, quelle importance ? Car le récit nous happe rapidement et on se surprend à dévorer l’ouvrage, en faisant au fil des 382 pages le grand écart entre Lyon et L.A., entre plans panoramiques et serrés, comme entre les séquences d’un road movie épique…

     

    « Un bateau est plus en sécurité quand il est au port mais ce n’est pas pour cela qu’ont été construits les bateaux. » (Paulo Coelho)

     

    De la contrainte de départ, Philippe d’Anière est parvenu à en faire son idéal. Forcé de quitter la France à l’âge de 29 ans, l’ex-batteur de Starshooter s’envole pour la Californie, avec 300 $ en poche. Il laisse derrière lui sa famille, sa compagne et tout ce qu’il possède. « Je suis arrivé à Los Angeles avec $300 en poche, accompagné de mon pote Franck Dubary. Nous partagions une chambre de West Hollywood, j’ouvre la télé au milieu de la nuit et… Freedom !… Je tombe sur HBO, movies all night ! Quand en France on en était encore à l’ORTF, dodo et grésillage à partir de minuit, après Pimprenelle et Nicolas !  Le déclic fut révélateur. Tout semblait possible. »

    Flashback arrière… Retour à Lyon en 1975. « Avec Kent et Jello, nous sommes au bahut ensemble, au lycée Saint-Exupéry. Mickey est arrivé un peu après. Les gens de Marie et les Garçons, ainsi que ceux d’Electric Callas, le fréquentent également. On commence à répéter chez moi, dans une cabane au fond du jardin. Je choisis la batterie parce qu’il n’y a pas besoin de savoir jouer. Je ne sais toujours pas jouer, d’ailleurs… Ça n’est que très récemment que j’ai commencé à prendre des cours ».

     

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    Après quatre albums studio et une douzaine de singles sortis entre 1977 et 1982, des concerts mémorables, des fauteuils cassés et des lendemains qui ne demandaient qu’à chanter, l’aventure Starshooter s’arrête comme elle avait commencé… « Il faut bien comprendre que quand on est arrivé, il n’y avait personne. Ça n’existait pas en 1977, un groupe de rock chantant en français. Mais on réalisait aussi qu’on ne se voyait pas vieillir dans ce business. Les Stones nous paraissaient déjà extrêmement vieux, à nous qui n’avions que 20 ans. Alors, on a convenu qu’on arrêterait à 25 ans ».

    Chacun trace la route. Phil Pressing redevient Philippe d’Anière, ouvre une bijouterie à Lyon et rencontre en 1984 celle qui allait déterminer la suite de son existence : Kiki, une prostituée lyonnaise dont il tombe éperdument amoureux. Bon, seul petit hic, et non des moindres, Kiki n’est autre que la femme de Gaëtan Zampa, le célébrissime et redouté parrain du milieu marseillais, qui vient tout juste de mourir en prison…

     

    « C’était une nuit de pleine lune, j’ouvrais la fenêtre et criais « Freeeeeeedom » ! J’étais à Los Angeles pour n’en plus repartir. »

     

    C’est précisément à cet instant que commence la seconde vie de Philippe d’Anière, embarqué dans une nouvelle aventure qui le mènera des rues trop étroites pour lui du Lyon de son enfance aux larges avenues rectilignes de Los Angeles, où il s’acharnera à accomplir son rêve américain. Mais la suite est à découvrir dans « Pressing »…

    Il n’en reste pas moins qu’au fil du récit, nous obtenons les réponses aux nombreuses questions que nous nous posions avant sa lecture. Et nous comprenons mieux le sens profond des « Chroniques Californiennes »… Car passée la première impression de sorties uniquement muées par la provocation facile et le détachement, nous découvrons, derrière cette façade de dur que Philippe d’Anière a été forcé de se construire, avant tout pour se protéger et surmonter les ups & downs de sa vie américaine, un homme plus sensible qu’il n’y paraît, attaché à ses racines et fidèle en amitié. Il suffit juste qu’il enlève ses lunettes noires pour s’en rendre compte. Et lorsqu’il évoque alors la France, ça n’est pas de l’amertume qu’on peut lire dans ses yeux, mais de la déception…

     

     

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    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] « Pressing » sur Amazon

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Interview par Christian Eudeline (Novembre 2019)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Interview par Jérôme Enez-Vriad (Juin 2015)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Interview pour Gonzo Music (Septembre 2015)

     

     

     

  • Jude La Cigale : la petite bête qui monte

     

     

    Accompagnée de sa guitare et d’un simple sac à dos, Jude a ramené de ses voyages, des textes et des mélodies chargées de passion, d’amour et de rage de vivre. Ne vous attendez pas à découvrir une nymphe à la voix éthérée…C’est une Cigale !

     

    Cette jeune artiste de 22 ans, autodidacte, offre sa voix généreuse comme on offre son âme. Le timbre y est chaleureux, tantôt sensible et tendre, tantôt incisif et fédérateur de bonne humeur. Entière, bondissante et sincère, cette grande fille brune au regard de braise, à l’allure d’un poulbot indomptable, est aussi une vraie show girl !

    Le voilà enfin, le tout premier clip d’une longue série, nous lui souhaitons, filmé façon old school, pour son cover de « Creep » de Radiohead, réalisé dans le désert des Bardenas Reales de Navarra. A découvrir.

     

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  • French Connection (1978-1982) : Episode 03

     

     

    Plongée dans la France de la toute fin des années 70, les années Giscard : période des grands bouleversements sociétaux et d’un certain sentiment de modernité, entre libéralisation du divorce et éclatement de l’ORTF. Pourtant, la jeunesse s’ennuie et se réfugie alors dans l’émergence de nouvelles scènes rock et new-wave. Parmi les groupes qui s’imposent : Téléphone, Starshooter ou Bijou.

     

    Jusque là, la scène rock et pop progressive française, malgré son succès auprès de la jeunesse, qu’on songe aux groupes Magma, Ange, Triangle ou aux Variations, ne bénéficie presque d’aucune promotion de la part des maisons de disques. Et par conséquent d’aucun passage à la radio ni à la télé. L’explosion du mouvement punk en Grande-Bretagne allait sacrément rebattre les cartes… Avant même cela, le punk, au début des années 70, trouve déjà des adeptes dans le petit monde parisien de la musique. Ne jurant que par les Stooges d’Iggy Pop, le Velvet Underground ou les New York Dolls, le journaliste Yves Adrien s’en fait l’écho dès 72 dans les colonnes de Rock & Folk.

    Prônant une révolution rock électrique pour ceux qui aiment le rock violent, éphémère et sauvagement teenager, il écrit : « des teenagers qui préfèrent le bubble gum au Marxisme, et c’est heureux. La rock music n’a que faire des slogans. L’aventure gauchiste n’est pas, dans le concept musical et électrique qui nous préoccupe, plus importante que la mode du twist ou des bottes à semelles compensées ». Le punk, dont on trouve les disques importés des Etats-Unis chez Open Market, éphémère disquaire parisien créé par Marc Zermati, tête chercheuse musicale et fondateur déjà en 1972 du label Skydog. A peine trentenaire, Zermati avait ouvert sa boutique dans le quartier des Halles, alors en plein chamboulement après la destruction des Halles Baltard et la prochaine ouverture du Forum des Halles et du Centre Pompidou.

     

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    La cave située sous sa boutique du 58 Rue des Lombards accueille les répétitions des Havrais du groupe Little Bob Story ou des Parisiens du groupe Asphalt Jungle, formé en 1976 par le jeune critique rock Patrick Eudeline, âgé de vingt-deux ans. L’été 76, Marc Zermati organisait à Mont-de-Marsan, dans les Landes, le premier festival punk français. Un an plus tard, il remet ça. Deux jours de concert, début août, qui attirent 4000 spectateurs. En têtes d’affiche, les Britanniques de The Clash et d’Eddie & The Hot Rods, précédés chaque soir sur scène de plusieurs groupes français : Strychnine, les Lou’s, un groupe de punk 100 % féminin, Shakin’ Street, Marie et les Garçons, Bijou ou encore Asphalt Jungle.

    La jungle de l’asphalte, dont le chanteur et leader Patrick Eudeline, qui a fait ses études au très conservateur collège Stanislas à Paris, est devenu dix ans plus tard critique musical pour le magazine Best. Eudeline, qui traîne par ailleurs souvent au Gibus, une petite salle située à un jet de pierre de la Place de la République, où l’on peut dîner jusque tard et écouter de la musique. Il y décroche un engagement pour son groupe et en profite pour ouvrir la scène à d’autres formations, lors d’un mini-festival de musique punk qui aide à la promotion de ce nouveau courant. Asphalt Jungle, qui sortira en 78 son titre « Poly Magoo », hommage au film de William Klein et aux paroles aussi énigmatiques que son oeuvre inspiratrice : « Quelque chose de bubble gum, à chemin nos uniformes, habitude bien trop étrange, je veux être Poly Magoo… »

     

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    « Poly Magoo », troisième single du groupe Asphalt Jungle, sorti en 1978. Pourtant, le groupe ne durera pas et se séparera l’année suivante. Les punks, qui se retrouvent donc les soirs au Gibus, ou bien dans les premiers McDo qui ouvrent en France. Le tout premier, sur les Champs-Elysées en 1973 ; à 6,30 Francs le BigMac et 3,20 Francs les super-frites congelées… « Les plus beaux musées du 20ème siècle », comme les avait qualifiés Andy Wharol, deviennent les rendez-vous gastronomiques obligés des punks parisiens, souvent fauchés. Du moins pour se nourrir… Christian Eudeline, le frère de Patrick, qui chroniquera lui aussi ces années-là, écrit : « La plupart des premiers punks étaient très sensibles, gentils, doux, souvent timides, ce qui contrastait avec la violence de leur musique et de leurs textes. Ils carburaient au Fringanor, une amphétamine, ou encore à l’héroïne, mettant un point d’honneur à ne pas fumer de joints, qu’ils considéraient comme des trucs de babas… ».

    Cette année 78 est votée la loi « Informatique et Liberté » dont l’article 8 énonce « l’interdiction de collecter des données à caractère personnel faisant apparaître les origines raciales, ethniques, les opinions politiques, philosophiques, religieuses ou syndicales, de même que les orientations sexuelles ». Vingt ans avant l’avénement d’Internet, la France posait ainsi l’un des premiers jalons en la matière. Même si, à vouloir protéger les citoyens des intrusions et de la surveillance des grandes bases de données dont les administrations commençaient à se doter, la France ne réalisait pas qu’elle manquait en fait d’informations essentielles, et qu’entre sa jeunesse et elle, un angle mort s’était peu à peu formé… Comme en témoigne cette archive Ina du 09 décembre 1978, « La France des adultes ne connaît pas les jeunes » (Jean-Claude Bourret et Dominique Laury, TF1).

     

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    Or, malgré le scepticisme ambiant, une frange des jeunes commence à s’agiter. Illustration de cette agitation naissante, juillet 1978 à l’Olympia, où est organisé le festival « Le Rock d’Ici ». Trois soirs de concert montés par Philippe Constantin, qui travaille à l’époque chez Pathé Marconi. Sur scène, neuf groupes rock ou punk font face à 2000 spectateurs, dans une ambiance particulièrement déchaînée. Ainsi, le groupe Metal Urbain ne joue-t-il que trois ou quatre morceaux, le temps que son clavier, imbibé de bière, ne se prenne les pieds dans les câbles de ses synthés et que tout n’explose… Le reste est à l’avenant.

    En coulisse, les groupes se foutent joyeusement sur la gueule pour faire modifier l’ordre de passage, tandis que sur scène, Kent, le chanteur de Starshooter, fait remarquer à la foule qu’à l’époque de Bécaud, les gens pétaient les fauteuils. Qu’à cela ne tienne, la foule de 1978 se retrousse les manches et en fait de même. Un à un, les fauteuils sont déposés sur scène, comme autant d’offrandes à la contestation. Résultat : 200 fauteuils arrachés, et une sulfureuse mais efficace publicité pour la manifestation.

    Starshooter, qui ce soir-là pendant sa prestation, accueille une performance de Marie-France, actrice et figure des nuits interlopes parisiennes ; laquelle se pointe sur scène sapée en diva-rock et entame un strip tease irréel. Sauf que Marie-France, militante du Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire et du groupuscule des Gazolines, n’est pas encore arrivée au bout de sa transformation chirurgicale… A l’avant-dernière étape de son effeuillage sur scène, les punks ont la mâchoire qui se décroche… La nouvelle vague n’a décidément peur de rien et elle ose tout.

     

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    Source : Amaury Chardeau pour Juke Box / Ina

     

     

  • Boy George : L’Interview Taboo (2008)

     

     

    Avant l’arrivée de Leigh Bowery au Taboo à Londres au milieu des années 80, être un freak n’était pas forcément considéré comme une forme d’art. La pop star et Dj Boy George se souvient avec nostalgie de ces soirées mythiques où subversion, glamour et maquillage des corps de la tête aux pieds servaient de prétextes à la musique.

     

    « Habillez-vous comme si votre vie en dépendait ou ne vous dérangez pas », lançait Leigh Bowery en évoquant le dress code indispensable à ses soirées du jeudi au Maximus, près de Leicester Square à Londres. Nous étions en 1985, et le concept de Bowery allaient sortir la capitale britannique de sa torpeur et rendre aux nuits londoniennes leur splendeur d’antan.

    Le Taboo et sa faune radicalement subversive et étrange ne se sont pas seulement inspirés de l’androgynie ludique et décadente de la scène New Romantics émergeante, pour s’imposer comme l’un des courants les plus rafraichissants de la nouvelle scène londonienne ; ils ont pris cette esthétique romantique, l’ont plongée dans du plastique ou du vinyle, l’ont enroulée dans de la fausse fourrure, l’ont couverte de pied en cape de maquillage corporel, l’ont poussée jusqu’à la caricature délicieusement extrême et l’ont offerte en pâture à la piste de danse.

    En deux ans d’existence (1985-1986), avant que la police ne les interdise, les folles soirées du Taboo ont propulsé Leigh Bowery au rang de grand ordonnateur, seul être sur terre à même de définir à quoi la vie nocturne se devait de ressembler. Il inspira nombre de soirées devenues cultes, entre New York’s Campy, Bloody Version et Disco 2000.

    Boy George, qui a ensuite célébré Leigh et sa bande dans la comédie musicale « Taboo » en 2002, n’était pas seulement l’un des amis proches de Bowery, il était également un habitué de ses fêtes – un « homme d’état plus âgé », comme il se plaît à l’évoquer. Dans cet entretien datant de 2008 avec Mark Ronson pour « Interview Magazine », le musicien de 59 ans cette année se remémorait l’émergence de ces sous-cultures britanniques dans les années 80 et ces nuits tumultueuses où les seules règles en vigueur étaient qu’il n’y en avait pas…

     

     

    Mark Ronson : J’aurais préféré que nous puissions faire cette interview à New York, mais apparemment, ça n’était pas possible…

    Boy George : Non, ils ne me laisseront pas entrer aux Etats-Unis. [Rires]

     

    MR : Vous n’y êtes pas autorisé ?

    BG : Je dois faire face à certaines… comment dire… contraintes légales. Mais j’espère que l’année prochaine… [En 2008, Boy George était jugé à Londres, accusé d’avoir attaché, séquestré et battu un escort boy norvégien, Audun Carlsen, qui avait refusé d’avoir des relations sexuelles avec lui. Il était finalement condamné en janvier 2009 à quinze mois de prison ferme…]

     

    « La faune du Taboo était tellement heureuse de se retrouver gavée d’alcool, marinant dans son jus en fin de soirée. C’était antifashion à souhait, dans un sens. Ces gens étaient aussi obsessionnels que les New Romantics, mais paradoxalement, ils agissaient comme s’ils s’en fichaient. » (Boy George)

     

    MR : À quand remonte la dernière fois où vous êtes allé au Taboo ?

    BG : La dernière fois que j’étais là-bas, laissez-moi réfléchir… Ah oui, c’était quand j’ai balayé. [Rires] Est-ce toujours aussi propre ?

     

    MR : Oui, c’est incroyable. Vous avez fait de l’excellent boulot. [Rires] Je pourrais réussir mon examen sur Boy George tellement je connais de détails de sa vie intime. Mais je pensais que nous allions juste parler. D’ailleurs, je compte sur votre compréhension ; je n’ai fait qu’une interview avant celle-ci, avec Malcolm McLaren

    BG : Vous savez, j’ai travaillé très brièvement avec Malcolm.

     

    MR : A l’époque de Bow Wow Wow, non ?

    BG : Oui, j’ai eu ma période punk, moi aussi… [Rires] Et j’étais très ami avec Matthew Ashman, le guitariste de Bow Wow Wow. Il est mort, malheureusement. Il était à l’origine dans Adam and the Ants, avant que Malcolm ne débauche tout le groupe, sauf Adam Ant… [Rires] Malcolm a créé Bow Wow Wow avec Annabella Lwin, qui avait environ 14 ans à l’époque… C’était un bébé.

    A l’époque, j’étais tout le temps fourré chez Malcolm et nous nous faisions vraiment chier, pour tout dire. Alors, on chantait. Il me disait : « Dieu, tu as vraiment une belle voix. J’aimerais que tu fasses partie de Bow Wow Wow ». Je suppose qu’il se disait plutôt : « Tiens, pourquoi ne pas faire venir une drag queen ? ». [Rires] Mon premier concert avec le groupe était au Rainbow Theatre à Finsbury Park. Je suis entré durant le rappel, à la place d’Annabella, et j’ai fait une vieille chanson de Peanuts Wilson intitulée « Cast Iron Arm ». C’était ma toute première performance sur scène et il a fallu littéralement m’y pousser. Le public était déconcerté, en mode « mais qu’est-ce que c’est que ce truc ? ».

     

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    MR : Votre look a-t-il évolué à ce point ?

    BG : Mon look était en fait beaucoup plus extrême. C’était un maquillage plus lourd, plus gothique et j’étais en jupe. Vivienne Westwood, la compagne de Malcom à l’époque, était là avant que je monte sur scène. Elle avait apporté tous les vêtements de sa collection Pirate, et elle me les faisait essayer.

     

    MR : Le nouveau look romantique était tout de même fait de bric et de broc, non ?

    BG : Nous n’avions pas beaucoup d’argent. Alors vous pouviez porter des pièces de créateurs, que vous mélangiez avec des trucs achetés sur des brocantes, ou même des choses que vous aviez volées ou récupérées chez Oxfam. Mais ça se résumait souvent à une ou deux pièces de chez Westwood – comme un chapeau de pirate.

     

    MR : Votre look était plutôt gothique, que vous avez plus tard  incorporé au look « New Romantics ». Mais par quoi avez-vous été spécifiquement influencé durant ces années, avant le Taboo ?

    BG : L’un des événements les plus importants à l’époque, à ne surtout pas manquer, c’était la vente avant fermeture définitive chez Charles H. Fox, un costumier de théâtre très réputé. Je me souviens que nous sommes tous allés à cette liquidation. Tout était vintage, et ça nous a vraiment permis de dégoter de splendides tenues à petit prix. Vous savez, la scène « New Romantics » était vraiment confidentielle. Et même si les médias en avaient déjà pas mal parlé, ça restait un club assez fermé, constitué d’un nombre limité de membres. Mais la popularité venant, les gosses de banlieue ont commencé peu à peu à en adopter les codes. il n’en reste pas moins que cette liquidation de Charles H. Fox a été un élément déterminant dans l’émergence du style « New Romantics ».

     

    MR : Permettez-moi de vous poser des questions sur Warren Street. C’était le tristement célèbre squat où vous habitiez quand vous êtes arrivé à Londres, non ?

    BG : Ouais… Warren Street était the place to be de la « New Romantics », dont les membres étaient principalement des étudiants en art et des personnes qui côtoyaient de près ou de loin les meilleurs designers de l’époque.

     

    MR : Ça n’était donc pas vraiment la misère ?

    BG : Non. Ça n’était pas la misère, certes, même s’il n’y avait pas d’eau chaude et pas toujours d’électricité. [Rires] Mais les gens qui vivaient là ont malgré tout transformé le lieu et l’ont rendu vraiment cool. Au troisième, il y avait même une chambre dans le plus pur style Grèce Antique…

     

    MR : Je regardais récemment le film sur Joe StrummerJoe Strummer: The Future Is Unwritten » (2007)], dans lequel il expliquait comment il avait laissé le hippie derrière lui et avait décidé qu’il était punk, en commençant à vivre dans un squat. Beaucoup de mouvements révolutionnaires sont nés de cette culture squat. C’était comme ça que ça se passait à l’époque ?

    BG : Oh, certainement. J’avais environ 16 ans quand le punk est arrivé. C’était tellement excitant. On était en pleine dépression au Royaume-Uni. Londres était vraiment sombre, grise. Avec l’arrivée de Margaret Thatcher au pouvoir, l’Angleterre est rentrée dans une période vraiment révolutionnaire. Avec cette idée naïve que vous pouviez changer les choses simplement en portant tel ou tel vêtement, ou en adoptant tel ou tel code. [Rires]

     

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    MR : Le punk a donc eu une certaine influence sur vous ? Parce qu’avec le punk, on a le sentiment que n’importe qui peut faire ça. Mais d’un autre côté, vous êtes un vrai chanteur et vous avez une belle voix.

    BG : Certains groupes punk m’ont inspiré justement parce que je pensais : « s’ils peuvent le faire, je le peux aussi »… Et c’est sous l’influence de ces mêmes groupes que j’ai monté ma première formation, In Praise of Lemmings.

     

    MR : Comment s’appelait le suivant ?

    BG : Caravan Club.

     

    MR : Ensuite, de mémoire, il y avait quelque chose en rapport avec les gangs sexuels…

    BG : Oui, Sex Gang Children. L’une des chansons que Malcolm avait écrites pour moi s’intitulait « Sex Gang Children ». J’ai donc utilisé le titre. Nous avons ensuite changé le nom de Sex Gang Children en Culture Club parce que Jon Moss, notre batteur, était parti à Los Angeles en vacances et avait emporté quelques cassettes de démo. Tout le monde adorait la musique mais personne n’aimait le nom. Je me souviens avoir reçu une carte postale de Jon de L.A. disant : « Je ne pense pas que l’Amérique soit vraiment prête pour les Sex Gang Children ».

     

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    « Leigh inventait sans cesse des histoires de personnes se suicidant ou entamant des grèves de la faim parce qu’on leur avait refusé l’entrée au Taboo. » (Boy George)

     

    MR : Avez-vous été frappé par la différence entre les scènes anglaise et américaine ?

    BG : Quand je suis allé à New York pour la première fois, je ne sortais pas vraiment dans les clubs. Culture Club était au sommet et je n’avais pas vraiment le temps d’avoir une quelconque vie sociale. Ce n’est qu’après avoir été à New York à plusieurs reprises que j’ai commencé à sortir. Le club new-yorkais le plus marquant à l’époque pour moi était le Paradise Garage, où ils jouaient de la house. C’était autour de 84-85…

     

    MR : Juste quand le Taboo cartonnait ?

    BG : Exact. C’est à Londres que ça se passait désormais, donc je faisais continuellement des allers-retours. Parfois même, je ne rentrais à Londres que pour une nuit.

     

    MR : Vous étiez plutôt à New York ?

    BG : Oui, mais il y avait le Concorde. [Rires]

     

    MR : L’une des choses uniques à propos du Taboo, c’était la façon dont l’art et l’hédonisme se mélangeaient sans paraître destructeurs.

    BG : A cette époque, je fréquentais des clubs comme l’Area ou le Limelight à New York, tandis que la capitale anglaise connaissait un certain répit en matière de clubbing. Puis le Taboo a ouvert, et le feu des projecteurs s’est de nouveau braqué sur Londres. Leigh Bowery a ouvert en 1985… Les premières semaines, ça a démarré en douceur. Puis soudain, c’était l’endroit où il fallait absolument être et il y avait des files d’attente incroyables à l’entrée.

     

    MR : En quoi la scène du Taboo était-elle différente de la scène « New Romantics » ?

    BG : La scène du Taboo était une sorte de version déconstruite des New Romantics. Et son public utilisait beaucoup des idées visuelles qui avaient déjà été utilisées auparavant. Je me souviens de la première fois où j’ai vu Leigh Bowery et Trojan parader dans un club : ils étaient là, avec leur look « Pakis from Outer Space », et leur maquillage était assez similaire à certains de mes anciens looks. J’aimais beaucoup porter du bleu, fond de teint vert ou jaune, et j’étais donc assez dédaigneux à leur égard au début. Mais en y regardant de plus près, je me suis rendu compte que Leigh – qui a lui-même créé ses looks, avec Trojan – était vraiment un génie. Il n’a pas fallu longtemps à Leigh pour devenir l’une des figures incontournables de la scène clubbing londonienne.

     

    MR : Considérez-vous que vous avez pu être une source d’inspiration pour Leigh, à certains égards ?

    BG : Je ne faisais pas partie de la faune du Taboo de la même manière que je pouvais appartenir à la communauté des New Romantics. Je suppose que j’étais davantage considéré comme une sorte d’homme d’état plus âgé, car je fréquentais les clubs londoniens depuis déjà de nombreuses années. Pour le public du Taboo, j’étais vraiment considéré comme une pop star, quelqu’un de célèbre. Leigh aimait évidemment m’avoir dans son club parce que j’attirais les médias, et il adorait qu’on parle de lui dans la presse.

    Leigh s’exprimait toujours de façon très distinguée, en allongeant les voyelles, de sorte que vous ne saviez jamais s’il était sincère ou s’il se moquait de vous. Si jamais je me hasardais à commenter une de ses tenues, il me coupait : « Oh merci, monsieur Boy George. J’apprécie votre opinion ». Puis il tournait les talons, en faisant des bruits bizarres avec sa bouche. À une époque, il a créé des vêtements de scène pour mes shows, et je suis allé dans son appartement de l’East-End de Londres pour les essayer. Et je dois avouer que j’étais impressionné, tellement il était charmant et original, en plein jour. Son appartement était d’ailleurs décoré comme il s’habillait ; du papier peint Star Trek, des murs en miroir et un énorme piano dans le salon. Tout était étudié scrupuleusement et sous contrôle chez Leigh.

     

    MR : Le public du Taboo a-t-il relégué les nouveaux romantiques au rang de sombres puritains ?

    BG : Le public du Taboo était certainement moins précieux. Ces gens était tellement heureux de se retrouver gavés d’alcool, marinant dans leur jus en fin de soirée. C’était antifashion à souhait, dans un sens. Ils étaient aussi obsessionnels que les New Romantics, mais paradoxalement, ils agissaient comme s’ils s’en foutaient complètement.

     

     

     

    MR : Il semble, sur la base des divers témoignages et des photos, que l’hédonisme était bien plus affirmé au Taboo que n’importe où ailleurs à la même époque. Même un lieu mythique comme le Studio 54 n’arrivait pas à la cheville du Taboo, en termes d’abandon et d’audace.

    BG : Je ne sais pas si c’était plus audacieux, mais l’ambiance y était en tout cas vraiment déjantée. Je pense que la drogue a joué un rôle majeur dans la réputation sulfureuse du Taboo. Les gens consommaient alors de grandes quantités d’ecstasy, arrivée tout droit de New York, au point que certains pouvaient passer la majeure partie de la nuit aux toilettes. Dommage… [Rires]

     

    MR : Quelle était la relation de Leigh Bowery avec les drogues ?

    BG : Je ne suis pas convaincu que Leigh était un gros consommateur… Il buvait beaucoup, certes, mais il était plutôt meneur en matière de mauvais comportement. Il aimait générer le chaos autour de lui, et avec le Taboo, il avait l’occasion de mettre à disposition d’un public trié sur le volet un lieu où il n’y avait pas de règles. Bien-sûr, n’entrait pas qui voulait. Le célèbre portier du club, Mark Vaultier, tendait un miroir aux clubbers qui attendaient à l’entrée et leur posait la question fatidique : « Est-ce que vous vous laisseriez entrer ? ». Leigh créait de fausses listes d’invités et y indiquait les noms les plus farfelus, entre Joan Collins et d’obscures vedettes de soap qui n’auraient jamais pu passer la porte du club. Leigh répandait aussi de sombres histoires selon lesquelles des personnes se seraient suicidées ou auraient entamé une grève de la faim parce qu’elles s’étaient vues refuser l’entrée au Taboo… [Rires]

     

    MR : A votre avis, pourquoi Leigh Bowery fascinait-il autant les gens ?

    BG : Pour moi, la chose la plus intéressante à son sujet était la façon dont il a toujours utilisé son corps comme une déclaration de style. Même s’il était grand et avait de longues jambes, il semblait bien proportionné, voire même sexy, malgré son poids excessif. Je me souviens de l’avoir vu une nuit dans un club gay appelé Fruit Machine, toujours plein de reines musclées à souhait, et Leigh était là, sur la piste de danse, nu, ne portant qu’une paire de grosses bottes lustrées et une coiffe en forme de boule bouffante qui clairement réduisait son champ de vision. Sa virilité était coincée entre ses jambes, uniquement masquée par une sorte de faux vagin révoltant. Leigh n’avait pas de limites et était capable de tout…

    Au sommet de son art, il déformait délibérément son corps pour avoir l’air enceinte ou se parait d’une magnifique paire de seins en resserrant sa taille avec du ruban adhésif. Ses créations étaient souvent à couper le souffle, mais c’était surtout la façon dont il utilisait son corps qui était vraiment nouvelle et tellement rafraîchissante. Je ne vois personne qui l’ait fait auparavant et qui soit allé aussi loin que lui. Il disait souvent : « La chair est mon tissu préféré ». Leigh concevait son exhibitionnisme comme une forme d’art à part entière.

     

     

     

    MR : Leigh et la culture Taboo ont eu une grande influence sur la scène artistique new yorkaise, en particulier sur ce qui allait devenir la scène « Club-Kid ».

    BG : Oui. À peu près au même moment, ou juste après, il y eut l’histoire Michael Alig, qui sonnait le glas de la nuit new yorkaise, ravagée par la drogue et la provocation facile. Car je pense qu’ils ont mal interprété ce qu’était vraiment le Taboo.

     

    MR : Je suis allé à Disco 2000. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à sortir en club. Mercredi soir au Limelight… J’avais 17 ans et j’ai eu la chance de rencontrer Richie Rich et tous ces personnages hauts en couleur. Pour l’ado que j’étais, c’était juste une expérience révélatrice et un spectacle vraiment incroyable.

    BG : Ce qui rendait l’expérience du Taboo fabuleuse, c’était cette recherche vestimentaire perpétuelle et le fait de pouvoir t’abandonner à la danse, comme si tu étais seul au monde et que personne ne te regardait, alors que la piste était noire de monde. Il n’y avait pas de règles et tu éprouvais un sentiment de liberté incroyable. Jeffrey Hinton jouait toutes sortes de musique et ça fonctionnait. Ça me ramenait à l’époque bénie où je faisais deejay au Planet en 1979, où je mixais des choses folles, entre hip-hop et reggae, en passant par « The Sound of Music » [1965] ou d’autres bandes originales de films, peu importe.

     

    MR : Vous préférez transmettre l’émotion à faire matcher les rythmes…

    BG : Absolument. Comme si vous mettiez « The Lonely Goatherd » pour faire fuir les gens, et qu’ils restaient et commençaient à danser. [Rires]

     

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    MR : Le concept originel du Taboo n’était pas forcément d’agréger une scène autour de lui, mais plutôt d’initier un projet artistique et créatif innovant. Tandis que Disco 2000 semblait être plus dans le créneau de la débauche gratuite, sans objectif artistique précis…

    BG : Oui, Taboo était une sorte de célébration du trash, avec le genre de chansons que vous aimiez secrètement, comme « Yes Sir, I Can Boogie » de Baccara. [Rires] Vous savez, des choses que vous ne devriez raisonnablement pas aimer. Ce n’étaient pas des disques crédibles, mais l’ensemble fonctionnait à merveille. Du Donna Summer et des choses qui n’étaient peut-être plus à la mode ou qui n’étaient pas encore à la mode dans les clubs gays, vous les entendiez au Taboo. Je suppose que tous ces clubs New Romantic étaient assez fous, en général. Mais le Taboo est parvenu à se distinguer, avec une approche esthétique et créative encore différente.

     

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    MR : Selon vous, Londres a-t-elle aujourd’hui une vie nocturne qui correspond à celle de l’époque du Taboo ?

    BG : Je ne pense pas que ce soit le cas depuis. Le lieu le plus proche dans l’esprit du Taboo était Nag Nag Nag, qui a fermé l’année dernière [2007]. C’était un club électro qui existait depuis environ sept ans. Même au jour de sa fermeture, il était toujours plein à craquer.

     

    MR : Quand avez-vous réalisé que la courte histoire du Taboo ferait une comédie musicale incroyable ?

    BG : J’ai été approché par ce type, Chris Renshaw, qui avait lu mon livre ainsi que celui de Leigh. Il voulait incorporer les deux personnages, mais il pensait probablement que Leigh n’était pas assez célèbre, avant qu’il ne se rende compte que Leigh et moi étions associés. Ce qui m’a plu, c’est qu’il n’est pas arrivé en disant : « Je veux que vous y mettiez tous les grands succès pop ».

     

    MR : Au final, c’était une partition complètement originale, non ? Il a fallu composer des chansons qui devaient coller à l’histoire, et qui ont été finalement adoptées par le West End et même nommées aux Awards. Qu’avez-vous ressenti ?

    BG : Eh bien, au départ, ils étaient vraiment contre nous. Mais lors des avant-premières de « Taboo », pour la première fois de ma vie, on me qualifiait de grand auteur-compositeur. J’ai pleuré, parce que ça n’étaient pas les trucs habituels, du genre : « Oh, il était toxicomane et puis, il a fait ceci, il a fait cela… ». J’étais reconnu pour ma musique et c’était vraiment énorme.

     

    MR : Pourquoi ça n’a pas marché en Amérique ? Pensez-vous que c’est une histoire de profil du spectateur américain, qui sort le week-end ?

    BG : Je me souviens être monté sur scène à Broadway, dans ce truc de Leigh Bowery pour un morceau comme « Ich Bin Kunst ». J’ai des seins, ce latex dégoulinant sur ma tête, et je sors d’une boîte. Je me souviens juste que le public était vraiment horrifié, parce que la productrice Rosie [O’Donnell] avait présenté le spectacle comme une sorte de combinaison de « Pippin » et « Annie ». Elle annonçait que c’était un show familial… Je pense que Rosie s’est jetée à corps perdu dans la promotion du show. Elle a d’abord installé cet énorme panneau d’affichage à Broadway, et s’en est suivi un énorme buzz. Je me souviens avoir pensé à ce moment : « Oh, elle se met vraiment en jeu, là ». Et puis elle a commencé à avoir mauvaise presse. Vous savez à quel point la presse est puissante à New York, en particulier la presse théâtrale. Elle a donc fait marche arrière, et c’était une erreur. Elle a eu peur. Mais je suppose que c’est compréhensible lorsque vous investissez autant d’argent dans un spectacle.

     

    MR : J’imagine qu’elle l’avait imaginé comme « La Cage aux Folles rencontre Cabaret qui rencontre le Cirque du Soleil », ou quelque chose dans le genre.

    BG : Elle faisait des choses vraiment étranges, comme dire à mon costumier : « Je veux que cette scène soit comme le Fantôme de l’Opéra ». Et nous pensions : « Nooon, là, c’est pas possible ! ». C’était une sorte de combat continuel, très éprouvant pour tout le monde. Mais il y eut aussi des choses incroyables, donc ça reste malgré tout un bon souvenir.

     

    MR : Mixez-vous toujours ?

    BG : Absolument. Je viens de terminer une tournée. J’ai encore quelques sets et je vais faire mon album.

     

    MR : Vous avez toujours joué dans de nombreux clubs, même lorsque vous étiez d’abord reconnu en tant qu’artiste. Quand avez-vous décidé de vous consacrer pleinement à cette activité de DJ ?

    BG : Eh bien, j’ai continué à sortir des disques pendant des années mais la radio ne les diffusait pas au Royaume-Uni… Aujourd’hui encore, ils jouent les vieux trucs, mais pas mes productions plus récentes, quoi qu’il arrive. Je sentais surtout que continuer à faire des disques de façon traditionnelle – les sortir de la même manière, dépenser beaucoup d’argent en promotion, etc… – devenait un exercice inutile. Et à cette époque, il y avait aussi beaucoup de Boys Bands, les formats de diffusion changeaient et je sentais juste que je n’appartenais plus à ce sytème. J’ai donc commencé à mixer en club et je suis vraiment parti dans la House. C’était beaucoup plus excitant. vous êtes plus libre et personne ne vient vous dire quoi jouer.

     

    MR : Qu’est-ce que vous en retirez qui soit si différent de votre activité précédente ?

    BG : Moins de responsabilité et surtout moins de problèmes ! [Rires]

     

     

     

  • Hugh Coltman va où le vent l’emporte…

     

     

    A l’occasion de son concert à l’Espace Carpeaux, Courbevoie, le 30 janvier 2020, rencontre avec un artiste attachant : Hugh Coltman. Britannique, ancien leader du groupe blues-rock The Hoax, avant de se muer en songwriter folk-pop puis en explorateur du plus beau patrimoine du jazz, Hugh Coltman s’affranchit des frontières, des formats et des habitudes. 

     

    Après un album hommage à Nat King Cole qui lui valut une Victoire du Jazz en 2017, le musicien-caméléon Hugh Coltman nous embarquait en 2018 au coeur des racines musicales de la Nouvelle-Orléans. Des drums qui dansent comme dans l’un des légendaires enterrements de la Crescent City, des cuivres gorgés de soul, des guitares mêlant tous les blues et tous les folk…

    Hugh Coltman s’est offert un écrin sublime pour son dernier opus « Who’s Happy? », qui donne lieu à un voyage musical et existentiel, entre confidences chuchotées à notre oreille et grand spectacle. Et il faut bien avouer que le crooner sait comment immanquablement nous embarquer dans ce voyage. Tantôt intimiste, tantôt expansif, mais toujours drôle, l’artiste nous fait partager ses souvenirs d’enfance, son histoire personnelle et ses émotions. A découvrir ou redécouvrir, de toute urgence !

     

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    Hugh Coltman, vous êtes donc l’Anglais qui vit en France et qui échappe au Brexit, c’est bien ça ?

    Ça me déprime, franchement… Une autre question ?

     

    En 2017, vous remportiez une Victoire du Jazz catégorie Voix de l’année. Ça fait quoi ?

    C’était cool. Bon, après, je dois avouer que ça n’est pas forcément un concept auquel j’adhère totalement. La compétition en musique, les récompenses… Mais quand tu reçois le prix, tu es quand même content.

     

    Depuis 2008, vous sortez des albums en France et on adore. Quand vous reprenez « Smile » de Nat King Cole, c’est magnifique. Quand vous chantez en Français « A Défaut » dans « Le Soldat Rose », on kiffe votre petit accent So British. Et puis en mai 2018, vous sortiez « Who’s Happy? », un album qui sent bon La Nouvelle-Orléans. Là, on parle de jazz, mais votre spectre est beaucoup plus large, entre soul, folk et pop. Avec votre dernier disque, vous avez choisi une niche ?

    Déjà, lorsque je compose un truc qui me plaît, j’ai du mal à me restreindre et à me dire « non, cette chanson, ça n’est pas pour ce moment, pas pour ce projet ». Et lorsqu’on me propose des choses, par principe, c’est intéressant. J’ai toujours bossé dans une logique aléatoire. Quand je rencontre quelqu’un, ça peut m’emmener n’importe où et je ne cherche pas à lutter contre ça. J’essaie donc de ne jamais m’enfermer ou me cloisonner à ce qui semble écrit d’avance. Et surtout aujourd’hui, avec les réseaux et les plateformes… Alors, d’un côté, on peut se dire que c’est assez destructeur pour la musique, mais d’un autre côté, ça ouvre des perspectives incroyables. Pour les jeunes amateurs de musique, il y a moins de frontières qu’avant entre les styles ou les origines. Tout sort finalement du même tuyau…

     

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    Et d’ailleurs, c’est assez étonnant de noter que sur ces fameuses plateformes, tous les vendredis, sont publiées des playlists de nouveautés. Car le vendredi, c’est le jour des sorties. Et dans ces playlists, tous les genres sont mélangés, entre hip-hop, soul, jazz, rock ou même variétés… Et peut-être que les jeunes sont finalement plus curieux que ce que l’on croit.

    Oui, je trouve ces playlists assez intéressantes et on peut parfois y découvrir des bons trucs. Ça m’arrive souvent de mettre un album tout en faisant autre chose, et d’un coup, mon attention est attirée par un morceau qui sonne bien. Après, ça dépend évidemment des algorithmes et sur quoi ils t’envoient… Mais ça a des bons côtés.

     

    En 2019, vous vous êtes engagé aux cotés du Secours Populaire, une association qui existe depuis 1945 et dont la mission est d’aider les plus démunis. C’était une année un peu rude pour l’association, avec la perte de leur président emblématique, Julien Lauprêtre, disparu à l’âge de 93 ans. Vous avez rameuté quelques potes et participé au concert Secours Pop Live organisé à la Petite Halle de la Villette en juin dernier. 

    Je dois avouer que j’étais très touché par cette sollicitation. Et il faut dire qu’aujourd’hui, le temps court tellement vite, et qu’on n’a probablement pas fini de voir l’écart entre les classes sociales se creuser. En plus, je trouvais que c’était une bonne occasion de faire quelque chose que je n’avais plus fait depuis longtemps, à savoir un concert en solo, juste guitare et voix. Du coup, je me demandais qui je pouvais inviter à venir partager ce moment avec moi sur scène. et j’étais ravi d’accueillir Tété, Matthis Pascaud, Sandra Nkaké, Gunnar Ellwanger du groupe Gunwood, Marjorie Martinez, Anne Gouverneur, Melissa Laveaux, Raphaël Chassin. Quand avec un simple concert, ce qui motive ma vie, je peux ajouter ma pierre à l’édifice, alors il faut le faire.

     

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    La chanson qui vous a fait connaître en 2008, « Could You Be Trusted », ne correspond plus vraiment à ce que vous faites maintenant. Est-ce que malgré tout, vous pourriez la reprendre aujourd’hui, même d’une manière différente, ou appartient-elle désormais à une période révolue de votre vie ?

    Dans un premier temps, je dirais que non, je ne reprendrais pas cette chanson aujourd’hui. Et puis, en y réfléchissant bien, pourquoi pas. C’est une idée. [Rires]

     

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    A ce propos, c’est facile de naviguer entre divers genres musicaux vraiment différents ? Car on a parfois l’impression que les frontières sont assez fermées…

    Je pense qu’avant, c’était plus compliqué qu’aujourd’hui. Si on prend l’exemple d’un groupe comme Backos, il est difficile de déterminer si c’est du jazz ou non. Et d’ailleurs, je dirais que je m’en fous. Ce qui compte, c’est l’émotion. L’autre exemple, c’est Jeanne Added, qui a évolué pendant longtemps dans l’univers du jazz, avant de lancer ses propres projets dans d’autres directions. Mais toute son histoire dans le jazz enrichit ce qu’elle fait aujourd’hui. Je trouve que les jeunes se foutent beaucoup plus des étiquettes que les générations précédentes. Tiens, je profite de l’occasion pour faire un peu de promo pour une salle à Paris, La Gare, que je soutiens vraiment. On peut y écouter du jazz, mais aussi d’autres styles qui découlent naturellement du jazz. Ce genre d’endroits sont fréquentés par les jeunes et ça casse un peu les codes.

     

    Quand on est plutôt rock ou variétés, c’est vrai que le jazz pur et dur, c’est un peu étrange. Le fait qu’il n’y ait pas de refrain, par exemple. Ou alors qu’il y ait un refrain mais que tu ne t’en rendes compte qu’au bout d’un quart d’heure… Le jazz, c’est tout de même plus compliqué, plus difficile d’accès, non ?

    Et pourtant, à l’origine, ça ne l’était pas. A l’époque, les jazzmen ont commencé à interpréter des chansons pop. Des trucs comme « All Of Me », etc… Ce qu’on appelle aujourd’hui dans le jazz des standards. Et ces chansons étaient souvent reprises sans voix, avec des instrumentistes qui étaient censés représenter les voix. Le but était que le public puisse reconnaître la chanson. Et là, pour le coup, on a vraiment des couplets et des refrains. Evidemment, assez rapidement, on est parti dans le free jazz et d’autres courants du jazz. En ce qui me concerne, mes premières influences étaient vraiment blues et blues-rock.

     

    Et le virage vers le jazz s’est fait facilement ?

    Oui, dans mon cas, vraiment facilement. Pour moi, ce qui compte, c’est le groove. Ce swing qui tourne aussi bien chez Led Zeppelin que chez The Black Keys ou dans le jazz. A l’époque, avec mon premier groupe, The Hoax, on jouait dans des salles aux Etats-Unis, et tu avais cette réaction du public au groove, au swing, quel que soit le style de musique que tu jouais. Et ça, c’est vraiment jubilatoire. Ce côté fédérateur et participatif de la musique. Et surtout dans la musique instrumentale ou d’improvisation, où pour la peine, c’est vraiment un précieux coup de main apporté aux musiciens.

     

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    Hugh Coltman, parlons boutique maintenant… On a adoré votre album « Who’s Happy? » et son ambiance Nouvelle-Orléans. Bon, ça ne vient pas de nulle part puisque vous êtes allé l’enregistrer là-bas. Qu’est-ce que nous préparez pour la suite ? Des envies particulières ? D’autres lieux qui vous inspirent ?

    Pour le moment, je n’ai que des bribes de chansons… Et il y a toujours ce stress, après avoir sorti un disque et l’avoir tourné pendant un temps, d’avoir à se remettre au travail, en partant d’une page blanche. Moi, en fait, je suis un fainéant. Avec mes deux derniers disques, je me réjouissais vraiment de partir en tournée et de présenter ces chansons au public, sur scène. Et d’un coup, on réalise que la tournée touche à sa fin, et qu’il va falloir écrire un nouvel album. Là, paradoxalement, on rentre dans un process assez mécanique, finalement. On se dit : « Bon, on se met à la table et on le fait ». Vous savez, quand on est dans la musique, on reçoit pas mal d’avis de la part des partenaires, des amis, qui ont chacun leur point de vue sur ce que vous faites. Et quand on cogite à ce que va être la suite ; qu’est-ce que tu as envie de dire, et comment tu as envie de le dire, ça peut polluer ton espace mental assez rapidement…

     

    Et là, ça se passe comment ?

    Justement, c’est à ce moment qu’on rentre dans cette sorte de mécanique. Je me dis que je dois écrire une chanson le matin, une chanson l’après-midi. Ou en tout cas, accoucher au moins de quelque chose ; un couplet, un refrain, une mélodie, un squelette de chanson… Et je fais ça pendant trois ou quatre jours, sans me poser de questions… Très simplement, juste avec mon téléphone, ma guitare. Ensuite, on a un peu l’épée de Damocles au dessus de la tête, parce qu’il faut réécouter tout ça, à froid. Et c’est à ce moment qu’on se dit : « Mais c’est canon ! ». [Rires]

     

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  • John Williams : Quand la musique devient du cinéma (Partie 02)

     

     

    La richesse d’une collaboration au long cours entre un cinéaste et un compositeur, qui va perdurer durant des années et donner lieu à de nombreux films, c’est que chacun se nourrit de la sensibilité de l’autre ; comme dans un couple (de cinéma…), il en résulte une forme de quintessence, dont le résultat à l’écran est une osmose parfaite entre le son et l’image.

     

    Bernard Herrmann et Alfred Hitchcock, Pino Donaggio et Brian De Palma, Danny Elfman et Tim Burton, Ennio Morricone et Sergio Leone, Angelo Badalamenti et David Lynch, James Newton Howard et M. Night Shyamalan, Hans Zimmer et Christopher Nolan, Eric Serra et Luc Besson… Bon, le dernier exemple, c’était plus pour rire… Et puis bien-sûr John Williams et Steven Spielberg… Avec comme seules entorses au contrat, « Purple Color » dont la bande originale fut composée par Quincy Jones, « Amblin’ » et le téléfilm « Duel » avec Billy Goldenberg.

    Avec « Rencontres du Troisième Type » sorti en 1977, c’est donc la troisième collaboration entre Williams et le réalisateur de « Schindler’s List ». Steven Spielberg avait été impressionné par le travail musical accompli par John Williams sur des films sortis en ce début des années 70 ; « L’Aventure du Poséidon » (1972), « La Tour Infernale » (1974), « Tremblement de Terre » (1974), mais surtout avec « Reivers » (1969) et « Images » de Robert Altman en 1972. Il s’avère que John Williams est non seulement à même de composer la musique de trois films par an en moyenne, mais il sait de surcroît différencier chaque projet qu’il entreprend. La richesse thématique qu’il est capable de mettre en œuvre et cette facilité avec laquelle il peut jongler entre les différents projets en cours sidèrent Steven Spielberg…

     

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    Pour « Rencontres du Troisième Type », la visite des extraterrestres sur terre ne va pas se solder par une éradication totale de l’espèce humaine, avec force désintégration en bonne et due forme, auxquelles le public était jusqu’alors habitué. Non, déjà afin de ménager un certain suspense, John Williams doit cette fois avoir une approche faite de mystère, tout en instillant une ambiance assez anxiogène.

    Comme il avait pu le faire avec le score du film « Images » d’Altman, Williams s’essaie ici à un style atonal à base de percussions, de sonorités étranges et dissonantes, le tout rehaussé par des chœurs inquiétants. Ce travail presque expérimental rappelle immédiatement le style de Ligeti et son requiem, utilisé d’ailleurs pour l’ouverture de « 2001, l’Odyssée de l’Espace ». En effet, au début du film de Steven Spielberg, on ne connaît pas encore vraiment le dessein de ces visiteurs extraterrestres et la nature de leur démarche.

     

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    Toute une partie du score de « Rencontres du Troisième Type » fera en sorte d’appuyer les spéculations empreintes d’inquiétude des scientifiques en quête de réponses, ainsi que les personnages de Richard Dreyfuss et Melinda Dillon, quant à eux en quête de vérité. On laisse planer le doute jusqu’au final, lorsque John Williams retrouve l’essence du merveilleux. Il reprend donc le thème des cinq fameuses notes jouées au tout début de la grande scène finale, afin de tenter de communiquer avec les extraterrestres, en une suite orchestrale qui fédère ainsi aussitôt les humains et les visiteurs de l’espace. C’est alors une communion musicale qui accompagne le dernier segment du film, tandis que nos divers protagonistes révèlent leurs véritables rôles respectifs dans toutes ces conjonctions, avant le grand départ.

    Avec ce score, nous avons affaire à une musique totalement habitée, inspirée et riche en motifs ; une bande originale qui révolutionne le rôle de la musique au cinéma, puisqu’elle y est également intra et extra-diégétique. La musique est ici un élément-clef dans le processus créatif et dans ce que raconte le film ; dedans, autour et après. On ne peut imaginer alors un autre compositeur que John Williams pour non seulement accompagner les images, mais les redéfinir.

     

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    « E.T., l’Extra-Terrestre » sort en 1982. On peut voir ce film comme le pendant parfait à « Rencontres du Troisième Type » ; une sorte de suite ou de point de vue autre sur cette thématique. Une extension dont le traitement, même s’il reste universel, sera plus linéaire, plus simple, plus pur.

    Pour illustrer cette fois-ci ce récit intime dans lequel la visite d’un extraterrestre est vécue du point de vue d’un enfant, John Williams et Steven Spielberg optent paradoxalement pour une musique orchestrale puissante. Ne craignant pas les envolées lyriques totalement assumées, le compositeur de « Jaws » illustre ici avec beaucoup de force et de mélodie le ressenti du personnage principal, Elliott, face au monde des adultes, et d’autre part l’instauration de sa relation avec son nouvel ami venu de l’espace.

    Pour les amateurs de musique classique, on pense tout de suite à l’univers de Sergueï Prokofiev et notamment « Pierre et le Loup » ou le ballet « Roméo et Juliette ».  Les cors, ainsi que les autres cuivres, employés de manière puissante, créent un relief saisissant, avec cependant des ambiances générales plus douces. John Williams utilise de nouveau le leitmotiv. Chaque personnage aura son thème ou plutôt chaque camp aura son propre motif.

    En effet, l’idée pertinente du projet réside dans le fait que le réalisateur de « A.I. Intelligence Artificielle » a souhaité faire un film à hauteur d’enfant. On regarde donc « E.T. » du point de vue d’Elliott, le jeune héros, avec ses émotions qui se trouvent démultipliées. En s’identifiant à lui, les curseurs du merveilleux et du ressenti sont poussés au maximum et cette musique n’est que l’émanation des sentiments du petit terrien âgé de dix ans.

     

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    John Williams a su également installer des mélodies douces comme jamais il n’en avait composées jusqu’à présent, pour figurer cette enfance, avec son innocence et sa magie. Le piano et la clarinette contrebalancent ainsi les cuivres, dont les cors, qui représentent quant à eux les adultes, et notamment les mystérieux agents du gouvernement qui recherchent le fugitif intergalactique. Ce balancement entre force orchestrale et des modes musicaux plus doux et délicats, en d’incessantes ruptures de ton, rappellent aussi les constructions inattendues et étonnantes d’un autre immense compositeur de la fin du 19ème et début du 20ème siècle, Gustav Mahler.

    On ne peut nier les similitudes avec la symphonie # 1, ou « Titan », du compositeur autrichien, dont le premier mouvement évoque une ambiance de sous-bois et de mystère végétal. Le début d’« E.T. » et cette petite flûte aérienne, à l’instar d’une symphonie, rend hommage au dieu Pan, dieu de la forêt et de la nature, et inscrit de suite cette oeuvre de Spielberg dans une forme classique, définitive et intemporelle.

    Et comme cette musique n’a pas pris une ride depuis 1982, elle enveloppe le film, dans une aura de grand spectacle indémodable, et ce malgré des effets spéciaux qui ont pris un sacré coup de vieux. « E.T. », au même titre que beaucoup d’autres compositions de John Williams, se réécoute aisément comme une partition séparée. L’univers sonore dépeint ou proposé dans le film peut dès lors se décliner pour toute autre rêverie personnelle, tant il est riche et profond, au point qu’il y est impossible de ne voir dans ce score qu’une simple illustration formatée.

     

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    Pour s’en convaincre, ce morceau de bravoure musicale et élégiaque final intitulé « Escape, Chase, Saying Goodbye », où l’on revient à la façon d’un medley sur tous les thèmes entendus dans le film, pour exploser en un bouleversant bouquet final, lorsque E.T. et Elliott se font leurs adieux, que le vaisseau décolle et disparaît dans le ciel. A ce moment-là, les poils sur les bras sont au garde à vous et les larmes brouillent la vue.

    La prochaine partie de cette petite anthologie sur John Williams traitera de la musique pour les films sur l’archéologue le plus célèbre du cinéma d’aventure.

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] « John Williams : quand la Musique devient du Cinéma (Part 01) »

     

     

     

  • French Connection (1978-1982) : Episode 02

     

     

    Plongée dans la France de la toute fin des années 70, les années Giscard : période des grands bouleversements sociétaux et d’un certain sentiment de modernité, entre libéralisation du divorce et éclatement de l’ORTF. Pourtant, la jeunesse s’ennuie et se réfugie alors dans l’émergence de nouvelles scènes rock et new-wave. Parmi les groupes qui s’imposent : Téléphone, Starshooter ou Bijou.

     

    La France où jusqu’alors, malgré les cafés, les flippers, les MJC, la jeunesse s’ennuyait ferme. Et même si le moule traditionnel commençait à se fissurer. Giscard, propulsé en 1974 à l’Elysée, avait abaissé l’âge de la majorité de 21 à 18 ans. Mais en dehors de ça, rien ne semble bouger. La société reste guindée, conservatrice. Aux yeux de la jeunesse, la partie est jouée, les dés sont pipés et la génération d’avant reste aux commandes. Certes, depuis 75, les couples peuvent divorcer plus simplement. Mais les jeunes, eux, s’en foutent, ils ne sont pas mariés. Quant à l’ORTF, dont la mission s’affichait fièrement, « satisfaire les besoins d’information, de culture et de distraction du public », mais qui se trouvait de plus en plus concurrencée par les radios périphériques, elle est démantelée.

    Car la jeunesse semble ne plus croire en rien. Elle a fini par se faire à l’idée que la société, dans ses travers, n’est pas réformable. L’effervescence post-68, le fameux « esprit de mai », tend à se dissoudre peu à peu. Le sociologue Jean Duvignaud, qui vient de passer deux ans à son chevet,  publie en 1975 les résultats de son enquête, « La Planète des Jeunes », dans laquelle il pointe du doigt tant sa soudaine dépolitisation que la perte d’influence progressive du gauchisme sur celle-ci. Selon Duvignaud, la jeunesse deviendrait passive et serait repliée sur ses problèmes personnels. Devant l’échec des croyances, des idéologies, des utopies, elle se réfugie de plus en plus dans ce que le sociologue qualifie de « niches » ; appartements plus chaleureux, métiers plus isolatoires, mais surtout bals, boîtes et drogues…

     

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    « Attitudes » par Marie et Les Garçons. Le groupe se forme à Lyon en 1976, au sein d’une bande de lycéens. Fin 77, leur premier single, « Rien à Dire », un rock efficace, sortait et se retrouvait dans la foulée entre les mains de John Cale, illustre membre du Velvet Underground. Excusez du peu… Quelques mois plus tard, au printemps 78, Marie Girard, d’abord chanteuse puis batteuse du groupe, se retrouve avec les autres à New York, où le groupe enregistre ce deuxième single, « Attitudes », avec le même John Cale au piano. Mais n’allons pas trop vite en besogne… En effet, la new wave et la cold wave à la Française n’arriveront qu’un peu plus tard. Pour l’heure, disons que la jeunesse locale se cherche justement de nouvelles… attitudes.

     

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    De nouvelles attitudes, donc. Des échappatoires, des lieux rien qu’à eux. A Paris, c’est notamment le Golf Drouot, un ancien salon de thé, poussiéreux, quoique pourvu d’un étrange mini-golf de neuf trous, mais ne comptant pas beaucoup plus de clients… Et qu’un type, un certain Henri Leproux, transforme finalement en discothèque. Mais aussi en véritable temple du rock, y installant une scène permettant depuis le début des années 60 à de jeunes groupes de se faire connaître, à l’occasion de tremplins organisés le vendredi soir. C’est sur cette scène qu’avaient démarré tous les pionniers français, de Johnny Hallyday aux Chaussettes Noires. Puis Le Golf Drouot accueille les premières stars anglo-saxonnes, The Who, David Bowie, pour devenir un incontournable de la scène rock tant française qu’internationale.

     

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    « Au Golf Drouot, première surprise, on ne descend pas dans la boîte, on y monte. D’abord, un escalier, un escalier gigantesque… Dont Henri Leproux, le propriétaire des lieux, dira qu’il est plus facile à descendre qu’à monter. Et parfois, c’est pratique. » (Reportage au Golf Drouot – Archive Antenne 2, 21 avril 1976)

     

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    1978, Starshooter et son « Betsy Party »… Starshooter, groupe lui aussi Lyonnais, formé peu de temps auparavant autour du chanteur Kent Despesse, dit Kent Hutchinson ou encore Kent Cokenstock, les musiciens s’affublant tous de noms potaches à consonance anglo-saxonne. Il y a Mickey Snack à la basse, Phil Pressing à la batterie ou Jello à la guitare. Ils ont vingt ans et s’attirent rapidement les éloges de la critique. A sa sortie, « Betsy Party » passe d’ailleurs en boucle sur l’antenne d’Europe 1. Leurs concerts impressionnent par la puissance scénique déployée, malgré les provocations et les jets de canettes de bière. Eux aussi, dès 1977, s’étaient produits sur la petite scène du Golf Drouot.

     

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    Source : Amaury Chardeau pour Juke Box

     

     

     

  • French Connection (1978-1982) : Episode 01

     

     

    Plongée dans la France de la toute fin des années 70, les années Giscard : période des grands bouleversements sociétaux et d’un certain sentiment de modernité, entre libéralisation du divorce et éclatement de l’ORTF. Pourtant, la jeunesse s’ennuie et se réfugie alors dans l’émergence de nouvelles scènes rock et new-wave. Parmi les groupes qui s’imposent : Téléphone, Starshooter ou Bijou.

     

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    Dans la foulée de son accession à l’Elysée en 1974, Valéry Giscard-d’Estaing initie plusieurs grandes réformes sociétales : abaissement de l’âge de la majorité de 21 à 18 ans, instauration du divorce par consentement mutuel, éclatement de l’ORTF, dépénalisation de l’avortement… Pourtant, la jeunesse française s’ennuie. Le sociologue Jean Duvignaud pointe dans « La Planète des Jeunes » (Stock 1975) leur dépolitisation et, face à l’échec des utopies soixante-huitardes, leur repli sur leurs problèmes personnels.

    La révolution Punk s’immisce ainsi dans la brèche et voit l’ouverture des grands clubs parisiens. Le rock français, boudé jusque-là par les grands médias, se fraie un chemin. C’est le début des années Téléphone, Starshooter ou Trust, mais aussi de l’émergence des scènes post-punk et new wave, celles des Edith Nylon ou Taxi Girl. Bref, une certaine idée de la France branchée qui basculera en 81 avec l’élection de Mitterrand, dans laquelle on croise des gens de bonne famille, des fauteuils de velours arrachés, des dandys déglingués et des frites congelées. Retour sur cette période 1978 – 1982…

     

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    Le transistor posé sur la table en acajou du salon, personne ne semble l’écouter. Ni monsieur, enfoncé dans son fauteuil à lire le journal, ni madame qui termine son repassage… C’est un intérieur cossu, confortable. L’année dernière, ils ont installé partout une moquette bégasse, dont ils sont très contents. Dans l’entrée de l’appartement aussi, où trône le téléphone familial. Son fil tirebouchonné, reliant le socle au combiné, a été étiré comme un élastique, jusque sous une porte fermée, derrière laquelle s’est adossée une jeune fille, en pleine conversation.

    Elle souffle sur la mèche qui lui barre le visage, tandis que face à elle, ses idoles rock la toisent, sur papier glacé. Elle échange encore quelques mots à voix basse, puis se contorsionne pour éviter d’arracher le fil. Elle se relève, enfile une veste de cuir achetée la semaine précédente et se glisse sans un bruit hors de l’appartement, loin des causeries présidentielles.

     

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    Dans la ville, ce mardi soir, la nuit est tombée, crevée par les néons des pharmacies ou des PMU. Les juke-box diffusent à plein tube, parmi les papiers gras. Cette France où Giscard, débonnaire, annonce que ça risque encore de se compliquer pendant un moment, que la crise est là. Notre jeune fille en suit les rues anonymes, puis parvenue devant un bar, elle attend en face du kiosque à journaux. Sa copine est en retard et elle hésite à entrer dans le rade, retenue par la présence d’une dizaine d’habitués, avinés au comptoir.

    Par la vitrine, elle avise aussi un groupe de jeunes types, penchés sur un flipper. Elle les trouve pas mal, alors elle les regarde un moment jouer et tirer sur leur clope. Elle n’a pas le son… Elle s’apprête à s’éloigner et faire quelques pas, quand soudain la belle tignasse brune accoudée au flipper tourne la tête vers elle, la dévisage et lui sourit.

     

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    « On te donne trois balles, la première, t’es un môme. Tu prends la cadence, tu entres dans la danse. Dans la violence des chocs, tu comprends ta chance. Tu sais maintenant comment ton histoire commence. »… Signé Louis Bertignac, ce « Flipper » qui clôt le premier album du groupe Téléphone, raconte cette jeunesse qui joue sa vie, de bumper en bumper. Téléphone, qui avait vu le jour le 12 novembre 1976, à la faveur d’un concert donné au Centre Américain de Paris, Boulevard Raspail, à l’emplacement de l’actuelle Fondation Cartier.

    Jean-Louis Aubert, un jeune des beaux quartiers, se rebelle contre son éducation de scout et d’enfant de choeur, et doit s’y produire avec son pote de lycée, le batteur Richard Kolinka. Sauf qu’il leur manque deux musiciens. Pour l’occasion, Ils recrutent donc le guitariste Louis Bertignac et sa copine de l’époque, la bassiste Corine Marienneau. Tous deux avaient joué dans un groupe de hard-rock francilien, les Shakin Street. L’affluence ce soir-là au Centre Américain, 5 à 600 personnes, raconte quelque part l’impatience qui tiraille alors la jeunesse française. 

    Téléphone et sa formule gagnante allait devenir, en l’espace de deux albums et trois années, l’incarnation du renouveau du rock français…

     

    Source : Amaury Chardeau pour Juke Box