Des sujets finalement assez féministes avant l’heure, le premier animal « animé » de l’histoire du sexe au cinéma, une actrice star disparue à tout jamais et une autre devenue une fervente militante anti-porno… Découvrez ce qui se cache derrière les affiches des films X les plus cultes des années 60 et 70.
Les « Films Classés X » ont acquis une bien mauvaise réputation dès leur apparition dans les salles obscures durant les années 60. Et même ceux d’entre nous qui apprécient le grain d’image caractéristique de cette époque sont souvent déçus par l’esthétique de ces productions, entre costumes moulants, jeu d’acteurs épouvantable et les clichés qui vont avec…
L’ouvrage « X-Rated Adult Movie Posters of the 60’s and 70’s » de Peter Doggett, Tony Nourmand et Graham Marsh paru en août 2017 tente de rendre justice à ces films dont la plupart n’ont certes pas marqué l’histoire du 7ème Art, mais qui sont malgré tout représentatifs d’une période à tout jamais révolue, avant que le Sida ne ramène le monde à une triste réalité, après l’effervescence de la fin des 60’s, et que le porno ne sombre dans l’auscultation gynécologique, dénuée de toute poésie.
En plongeant ainsi dans les arcanes du cinéma porno des années 1960 et 1970, il est intéressant de noter que même si ces films semblent aujourd’hui désuets et bien fades, ils sont néanmoins truffés d’éléments qu’il serait impossible de porter à l’écran de nos jours, même s’ils n’y sont souvent que suggérés. Fétichisme, transsexuels, fantasmes de viol y sont assez largement répandus…
DEBBIE DOES DALLAS (1978)
Il est presque impossible d’écrire sur le porno de ces années sans évoquer « Debbie Does Dallas », qui connut un énorme succès à sa sortie en salle en 1978 et qui reste l’un des cinq films pour adultes les plus rentables de tous les temps. Et ce n’est pas trop compliqué de comprendre pourquoi… Tout d’abord, il y a l’histoire, qui reprend tous les poncifs du genre, des pom-pom girls aux footballeurs américains, en passant par le concept ambitieux pour l’héroïne de coucher avec autant d’hommes que possible pour le plus d’argent possible…
Ensuite, il y a le charme innocent de cette beauté blonde aux yeux de biche, Bambi Woods, dont le surnom à l’écran fut choisi par le réalisateur du film lui-même. Il faisait référence au fait qu’elle ressemblait selon lui « à une biche prise dans les phares d’une voiture lorsqu’elle avait des relations sexuelles à l’écran ». Hormis cette explication singulière, « Debbie Does Dallas » acquit son statut de film culte moins par sa qualité intrinsèque que par les rumeurs en tout genre qui fleurirent à l’époque.
Bambi Woods ne tournera en tout et pour tout que cinq films, pour ensuite disparaître à tout jamais des écrans-radars de l’industrie pornographique en 1986. On la prétendit morte d’une overdose, mais aucune trace de sa disparition dans les registres. De nombreuses femmes tentèrent de se faire passer pour elle, sans pouvoir réellement étayer leurs dires. En 2005, un documentaire anglais de Channel 4, « The Dark side of Porn : Debbie does Dallas uncovered » (« Le côté obscur de la pornographie : Debbie Does Dallas démasquée »), employait les services d’un détective privé pour tenter de retrouver Bambi Woods, sans succès.
Vous voulez l’âge d’or du porno ? Ne cherchez pas plus loin, vous y êtes…
« Nous ne sommes pas classés X pour rien, bébé ! ». C’est le slogan clamé haut et fort par « Fritz the Cat », qui se targue d’être le premier animal star du porno de l’histoire du cinéma. Fritz est aussi un socialiste radical qui proteste contre le système et combat le racisme, tout en trouvant quand même le temps de participer, entre deux manifs, à quelques longues séances de sexe en groupe avec d’autres félines de son espèce…
Les connotations politiques y sont ici évidentes – les policiers sont représentés en cochons, les raids des gangs liés au trafic de drogue deviennent de plus en plus violents, comme l’époque à laquelle ils se référent, et un corbeau noir est abattu au cours d’une émeute qu’il n’a pas déclenchée. Sorti en 1972, en pleine guerre du Vietnam, ce film résonna avec son temps pour devenir culte et donner lieu à une suite en 1974, « Les Neuf Vies de Fritz the Cat ». Fritz est le premier long métrage d’animation à recevoir un classement X aux États-Unis.
Avez-vous déjà consulté un médecin, pour découvrir finalement que vous aviez un clitoris dans la gorge ? C’est précisément ce qui arrive à Linda, sexuellement frustrée, quand elle tente de comprendre pourquoi elle ne peut jamais atteindre l’orgasme. « Deep Throat », connu pour être l’un des films pornographiques les plus emblématiques de tous les temps, utilise cette révélation singulière comme point de départ. S’ensuit pour Linda une quête effrénée de son propre plaisir, en prodiguant le plus de fellations possible… Voilà pour l’histoire.
Initiateur de la tendance « porno chic », le film a également lancé la carrière de Linda Lovelace, née dans le Bronx en 1949, et devenue plus tard une fervente militante anti-porno comme une « bonne » chrétienne. Sa vie personnelle ne fut cependant que controverse… Non seulement a-t-elle dû endurer une longue relation abusive avec un mari qui l’a apparemment poussée dans la pornographie, mais elle a également beaucoup écrit sur l’exploitation de la femme par l’industrie du film. Pour toutes ces raisons, Lovelace est toujours l’une des stars les plus fascinantes de l’histoire du porno.
Et maintenant, un florilège d’affiches cultes figurant dans le livre…
Affiches :
01. « Appetites », starring Sarah Flatt. Directed by Gary Khan, 1973.
02. « Back Seat Cabbie », starring Margaret Leigh and Janet Topaz. Directed by C. Walsh, 1969.
03. « Come One Come, All! », starring Tony Vorno, Gina Montaine and Henry Dillon. Directed by Tony Vorno, 1970.
04. « Cool It, Baby! », starring Beverly Baum, Joseph Marzano and Christine Cybelle. Directed by Lou Campa and Joseph Marzana, 1967.
05. « Days of Sin and Nights of Nymphomania », starring Preben Nicolaisen, Anders Dahlerup and Annette Post. Directed by Poul Nyrup, 1963.
06. « Debbie Does Dallas », starring Bambi Woods, Christie Ford and Robert Kerman. Directed by Jim Buckley, 1978.
07. « Deep Throat », starring Linda Lovelace, Harry Reems and Dolly Sharp. Directed by Gerard Damiano, 1972.
08. « Flesh Gordon », starring Jason Williams, Suzanne Fields and John Hoyt. Directed by Howard Ziehm and Michael Benveniste, 1974.
09. « I Want You! », starring John Holmes, 1970.
10. « I Was A Man », starring Ansa Kansa. Directed by Barry Mahon, 1967.
11. « Is There Sex After Marriage », starring John Dullghan, Lori Brown and Beerbohn Tree. Directed by Richard Robinson, 1973.
12. « Love and Kisses », starring Kathy Knight, Ruth Alda, Charles Napier and Paul Norman. Directed by Don Dorsey, 1970.
13. « Sex Cures the Crazy », 1968.
14. « Sex Odyssey », 1970.
15. « Smoke and Flash », starring Richard Howell, Ed Sansone and Lee Parker. Directed by Joseph Mangine, 1968.
En 2019, nous avons au moins trois bonnes raisons de célébrer Sergio Leone : les 90 ans de sa naissance, les 30 ans de sa disparition et les 35 ans du film considéré comme « plus grand que le cinéma », « Il était une fois en Amérique ». Retour sur la vie et l’oeuvre de l’immense réalisateur italien.
Si Sergio Leone (1929-1989) n’aura réalisé en tout et pour tout que sept films durant une carrière prématurément interrompue à l’âge de 60 ans, son influence est majeure dans l’histoire du cinéma, notamment par sa relecture du western. En inventant le « Western Spaghetti » il y a 55 ans, avec « Pour une poignée de dollars » sorti en 1964, il sut donner au genre tant des couleurs européennes qu’un second souffle, et révéla du même coup la star Clint Eastwood.
Aujourd’hui, trente ans après sa disparition, Sergio Leone est enfin reconnu, mais il a pourtant longtemps été un cinéaste très sous-estimé par l’industrie. Le mépris qui avait accueilli ses premiers westerns « Made in Italy » a ensuite fait place au profond respect qu’impose l’œuvre d’un véritable auteur ; Sergio Leone est devenu une référence incontestable, pour ses pairs, pour les cinéphiles comme pour le grand public, en ne signant que sept films qui auront marqué durablement notre imaginaire.
La route était déjà toute tracée pour Sergio Leone quand il naît le 3 janvier 1929, d’un père pionnier du cinéma italien, Vincenzo Leone, dont le nom de scène est Roberto Roberti, né le 5 août 1879 à Torella dei Lombardi, en Campanie, et mort le 9 janvier 1959 (à 79 ans) dans cette même ville, et d’une mère actrice, Edwige Valcarenghi, au pseudonyme de Bice Waleran. Premier signe du destin, ce père tutélaire réalisa le tout premier western italien, malheureusement perdu aujourd’hui, « La Vampire Indienne » sorti en 1913, avec son épouse dans le rôle-titre, le terme « vampire » désignant à l’époque une femme fatale.
Élève effacé dans une école religieuse de Rome, Sergio se retrouve étonnamment dans la même classe que son futur compositeur fétiche, auquel ses oeuvres resteront identifiées à jamais, Ennio Morricone. Second signe du destin… Celui qui deviendra son plus proche collaborateur et ami, lui rappellera d’ailleurs cette rencontre des années plus tard, Leone l’ayant oubliée.
Sergio Leone (2e en haut) et Ennio Morricone (4e en haut) enfants à l’école Saint-Jean-Baptiste-de-La-Salle de Rome (Expo Sergio Leone CInémathèque Française)
Pionnier du cinéma italien, dont il devra pourtant s’éloigner dans les années 30, du fait de son aversion profonde pour le fascisme ambiant, Roberto Roberti parvient néanmoins à ouvrir les portes du 7ème Art à son fils Sergio, dès la fin de ses études, à 18 ans. Sergio Leone entame alors une interminable première partie de carrière d’assistant-réalisateur, qui durera de 1946 à 1962, avec notamment une série d’adaptations au cinéma d’oeuvres lyriques célèbres (Rigoletto, Il trovatore, La forza del destino…), réalisées par Carmine Gallone. Leone prendra soin plus tard d’occulter ces films de son esprit comme de sa biographie officielle (et pour cause, il n’était même pas crédité au générique…), alors que ses propres films afficheront ensuite une indéniable dimension lyrique.
Mais un film émergera pourtant de cette période, tant il marquera à tout jamais l’oeuvre de Sergio Leone. En 1948, il est assistant-réalisateur sur « Le Voleur de Bicyclette » de Vittorio De Sica. Il n’est toujours pas crédité au générique à ce titre, certes, mais fait une apparition furtive aux côtés de l’acteur Lamberto Maggiorani, en jeune séminariste s’abritant de la pluie. C’est selon Leone ce film qui sera le réel déclencheur de sa carrière.
Sergio Leone (à droite, à côté de Lamberto Maggiorani) interprétant un jeune prêtre dans « Le Voleur de bicyclette » (Vittorio de Sica, 1948) (Fondazione Cineteca di Bologna)
Dans les années 50, lorsque les Américains décentralisent la réalisation de grosses productions à Cinecitta, notamment des péplums, Sergio Leone devient l’assistant (toujours non-crédité) de Robert Wise (« Hélène de Troie » en 1956), Fred Zinnemann (« Au risque de se perdre » en 1959), William Wyler (« Ben-Hur » en 1959, notamment sur la course de chars) et Robert Aldrich (« Sodome et Gomorrhe » en 1962), dont il quittera le plateau avant la fin du tournage pour cause de climat général quelque peu houleux…
Désormais pleinement reconnu dans ce rôle d’assistant-réalisateur, Sergio Leone se voit confier la réalisation des « Derniers Jours de Pompéi », en remplacement de Mario Bonnard, malade. Il ne sera toujours pas crédité au générique, mais les compétences techniques acquises tout au long de ces seize années passées en tant qu’assistant-réalisateur lui confèrent une solide réputation et lui permettent enfin d’accéder en 1961 à sa première réalisation pleine et entière, encore un péplum, « Le Colosse de Rhodes ».
Le cinéaste confessera plus tard avoir eu un immense plaisir à tourner ce premier film sous son propre nom. Il y fait même quelques apparitions dans certaines scènes de foule…
« Pour un Européen de son âge, les États-Unis étaient le paradis. Et pour Leone, le cinéma était encore bien plus haut que le paradis… Dans une très belle interview qu’il avait fait pour la Cinémathèque française, quelqu’un lui demandait pourquoi il ne faisait pas de films sur l’Italie, et il répondit : « peut-être que quand l’Italie sera grande comme les États-Unis, alors je ferai des films sur l’Italie ». En substance, seuls les Etats-Unis étaient assez grands pour son cinéma… Cette dimension d’enfant, de rêveur, c’est la clef pour comprendre Sergio Leone. » (Gian Luca Farinelli, Directeur de la Cinémathèque de Bologne et du Festival Il Cinema Ritrovato)
Après cette adhésion au genre dominant de l’époque, le péplum, Sergio Leone va être à l’origine d’une véritable révolution… S’il n’a pas à proprement parler réalisé le premier « Western Spaghetti », considéré comme étant « Duel au Texas » de Ricardo Blasco en 1963, tombé depuis dans l’oubli, Leone enfonce malgré tout le clou l’année suivante avec le succès foudroyant de son « Pour une poignée de dollars » sorti en 1964, qui grave dans le marbre pour l’éternité les codes du genre. A noter que la musique du film est composée par un certain Dan Savio qui n’est autre qu’Ennio Morricone en personne, pour la toute première collaboration de ces deux monstres sacrés du 7ème Art.
Le Western, propriété inaliénable d’Hollywood, est alors en perte de vitesse aux Etats-Unis et se voit peu à peu supplanté par les productions « Made In Italy » ainsi que par quelques succès allemands, avec plus de 500 films réalisés sur une dizaine d’années. Cette renaissance du genre, jalousée par l’Amérique, lui vaudra ce qualificatif de « Western Spaghetti », que Leone détestait : « ce terme de Spaghetti Western, c’est un des plus cons que j’ai jamais entendu de toute ma vie ».
Ayant tourné beaucoup de ses multiples co-réalisations « péplumiennes » en Espagne, Leone estime que les paysages de l’Almeria conviendraient parfaitement au Western. En 1963, il découvre au cinéma « Yojimbo » (« Le Garde du Corps ») d’Akira Kurosawa et décide d’en transposer le cadre du Japon médiéval à celui de l’ouest américain. Il conçoit alors le personnage de « l’homme sans nom », entre chasseur de prime et défenseur de la veuve et l’orphelin, pour lequel il trouve la parfaite incarnation en un acteur inconnu et dont il va faire une star : Clint Eastwood.
Le film remporte un immense succès international et donne lieu l’année suivante à sa suite, « Et pour quelques dollars de plus » (1965), plus sophistiqué, pour aboutir en 1966 au cultissime « Le Bon, la Brute et le Truand », sommet du western italien, avant son ultime sublimation par Leone trois ans plus tard, mais ça, c’est une autre histoire…
Mais alors, comment définir le style de Sergio Leone ? Car tout est dans le style, vous en conviendrez… Nous pourrions dire que le style inimitable de Leone, c’est d’abord un sens inné du cadrage en Techniscope (écran large), où se succèdent très gros plans et plans larges, une temporalité syncopée, qui passe de la lenteur à l’action subite, brutale, une violence assumée et une reconstitution documentée et non complaisante de cet ouest américain, localisée plus précisément sur la frontière mexicaine, comme pour y conserver des racines latines. Dans ses films, tout est chaleur et poussière, teinté de réalisme, dans des décors crasseux, des costumes élimés, des trognes, une violence omniprésente… Reflet d’une époque qui trouvera son pendant en Amérique chez Sam Peckinpah (« La Horde Sauvage », 1969).
Pour la première fois, il tourne aux États-Unis, dans les paysages de la Monument Valley, rebaptisée « John Ford Valley », pour rendre hommage à tous les films qu’y a tournés le vétéran américain adulé par Leone depuis toujours. « Il était une fois dans l’Ouest » est un aboutissement, une consécration, avec au générique Henry Fonda, icône absolue du western, et Charles Bronson, que pour la petite histoire, Leone ne put pas se payer sur son premier film…
Sublime film sur la corruption et la violence, fondements sur lesquels s’est construite l’Amérique, « Il était une fois dans l’Ouest » est la quintessence du cinéma de Leone. Son chef-d’œuvre absolu… Sa scène d’introduction demeure anthologique, dans son mutisme, son temps étiré et une bande son jamais égalée, où des tueurs attendent « L’Homme à l’harmonica » (Charles Bronson) à la descente du train… tout est dit. Le reste n’est que littérature.
Le film fut cependant un échec financier cuisant à sa sortie, tant en Italie, rassasiée de westerns spaghettis, qu’aux États-Unis qui entraient dans l’ère du western post-guerre du Vietnam et par conséquent plutôt pro-indien (« Little Big Man » d’Arthur Penn en 1970, « Soldat Bleu » de Ralph Nelson en 1970 ou encore « Jeremiah Johnson » de Sydney Pollack en 1972). Seule la France fit un triomphe au film, qui fut classé 2ème au box-office derrière « La Grande Vadrouille », excusez du peu, et qui lança même la mode des longs manteaux inspirés des cache-poussières portés par les tueurs dans le film de Leone.
Sergio Leone enchaîne sur « Il était une fois la révolution » (1972), avec un autre vétéran du western, James Coburn (« Pat Garrett et Billy the Kid » de Peckinpah) et Rod Steiger. Leone renoue avec la veine du western mexicain, traitant de la révolution zapatiste avec un œil ironique, alors que l’Italie plonge dans les années de plomb. Il y exprime avec force son abjection pour tout mouvement révolutionnaire et s’attire encore l’ire de cette même critique qui n’aura de cesse que de l’encenser plus tard…
« « Il était une fois en Amérique », c’est un film plus grand que le cinéma, à savoir qu’il en transcende les limites. Avec ce film, c’est un peu comme si la bataille de Waterloo nous était racontée par la cantinière ou le petit tambour… La grande histoire contée par le petit figurant. […] « Il était une fois en Amérique », c’est le plus grand film de Sergio Leone, son œuvre majeure, sur le destin d’un tout petit bonhomme qui aurait été sans Leone au huitième plan sur la photo… » (Frédéric Bonnaud, directeur de la Cinémathèque Française)
Puis vint l’heure de son dernier long métrage, « Il était une fois en Amérique » (1984), que certains considéreront comme son chef d’oeuvre absolu et en même temps son chant du cygne, tant ce film concentre toute la nostalgie du Maître, fondée sur une écriture achronique.
Ultime oeuvre de Sergio Leone, intemporel testament mélancolique auquel il consacra douze années de sa vie, notamment pour préparer le scénario adapté du livre « The Hoods » de Harry Grey, le film nous fait suivre le destin de Noodle sur trois époques différentes de sa vie, régulièrement lié à trois amis dont Max et son amour inconditionnel pour Deborah qu’il a rencontrée dans sa jeunesse.
Affichant une distribution exceptionnelle, de Robert de Niro à James Wood, en passant par Elisabeth McGovern, Jennifer Connely et Joe Pesci, le film projeté à Cannes hors compétition, est bien accueilli. Mais il est ensuite massacré par ses producteurs américains, qui réduisent les 4h11 initiales à seulement 1h30, sans tenir compte de la temporalité sur laquelle repose tout le sens du film. Et pourtant… Que dire de cette immense et magnifique fresque ? Qu’entre autres choses, ici le mot « Cinéma » prend tout son sens.
Sergio Leone ne s’en remettra pas… Il tente de rebondir en écrivant son nouveau projet « Stalingrad », sur la grande bataille du même nom ; sujet encore épique, à sa dimension, et qui sera mené à terme des années plus tard par Jean-Jacques Annaud. Leone meurt d’une crise cardiaque en 1989, alors que le film allait entrer en préproduction.
Sergio Leone éprouvait une vraie fascination pour le cinéma américain. Rappelons qu’il était né en 29, année de la plus grande crise économique que le monde ait connu, mais aussi l’année de l’arrivée du cinéma sonore en Italie. Leone a connu l’âge d’or du cinéma hollywoodien en salle, dont il fut ensuite privé durant les années de fascisme en Italie. Il ne pouvait ainsi concevoir autre cadre à son cinéma que celui de cette Amérique fantasmée, en plan aussi large que l’étaient ses rêves d’enfant. Même s’il fut d’abord boudé, voire méprisé par l’industrie, pour être ensuite encensé, Sergio Leone réussit le tour de force de devenir avec ses films l’un des grands chroniqueurs de l’histoire américaine…
En 2018, la Cinémathèque Française de Paris, en collaboration avec celle de Bologne et son commissaire Gian-Luca Farinelli, lui consacrait une exposition doublée d’une rétrospective exceptionnelle. On pouvait y suivre le parcours chronologique et initiatique de Sergio Leone, depuis la première salle consacrée à son enfance, déjà ancrée dans le cinéma, jusqu’au dernier scénario de « Stalingrad ».
Émouvant de parcourir ce chemin dans les pas du maître, habité de grands films et de l’enthousiasme d’un homme dans sa création toujours renouvelée, qui ne voyait que par le cinéma et qui l’a finalement si bien servi. Sa vision, son traitement du temps et de l’espace demeurent toujours une influence majeure pour un Tarantino ou Clint Eastwood lui-même, dont tous les westerns émanent de Leone, dans leurs sujets et comme leurs mises en scène, mais pour bien d’autres encore.
Émouvant de voir aussi toutes ces photos, ces dialogues entre la peinture de Goya, de Degas et ses plans de cinéma, les passerelles qu’il jeta entre Homère et le western, le parallèle avec Kurosawa… Les musiques indispensables d’Ennio Morricone (qui aura prochainement sa rétrospective à la Cinémathèque) baignent de l’atmosphère des films chacun de nos pas. Émotion encore quand on se trouve devant le poncho de Clint Eastwood, les costumes de ses deux chefs d’oeuvre « Il était une fois dans l’Ouest » et « Il était une fois en Amérique ». Il était une fois le cinéma de Sergio Leone… Monumental.
L’espionnage au cinéma se scinde en deux genres bien distincts.
Vous avez le premier genre, le plus populaire, à savoir la vulgarisation de l’essence même de ce qu’est une histoire de roman d’espionnage (James Bond, Mission Impossible, Jason Bourne ou Jack Ryan), où l’on y préfèrera les scènes d’action spectaculaires, les méchants charismatiques et les femmes fatales, et l’autre, pendant plus fidèle à ce que propose ce genre littéraire, dépeignant les arcanes du pouvoir, les faux-semblants, les enjeux, où fourmillent des tas de contradictions et de paradoxes, s’en tenant en tout cas à une approche beaucoup plus réaliste et bien moins glamour, forcément, depuis « L’Affaire Cicéron » de Joseph L. Mankiewicz (titre original : « Five Fingers » sorti en 1952), l’illustration brillante de ce qu’est un véritable film d’espionnage, jusqu’au « Bureau Des Légendes », probablement une des meilleures séries françaises qu’on ait pu voir depuis bien longtemps. « La Taupe » de Tomas Alfredson sorti en 2012 fait ainsi partie de cette deuxième catégorie.
Le succès du fabuleux « Morse » sorti quatre ans plus tôt, parlant de vampires et d’amours adolescents en milieu enneigé, tout en affichant un style âpre, brut et si peu évident, donnait à penser que fort de cette réussite totale, le réalisateur suédois allait de nouveau nous régaler avec « La Taupe », en abordant cette fois un autre cinéma de genre qu’est le film d’espionnage. Si l’on plonge donc la tête la première dans ce film, sans être un lecteur assidu d’histoires d’espionnage, ou encore féru de ces ambiances de guerre froide, de ces univers à dominante de gris propres aux romans de John Le Carré, l’auteur du livre dont est adapté le film, mais que l’on se dit qu’au vu des images nous rappelant ce cinéma 70’s à la Alan J. Pakula (« A Cause d’un Assassinat », « Klute »), Sydney Pollack (« Les Trois Jours du Condor ») ou Sidney Lumet (« The Offence »), on va pouvoir se délecter de ces ambiances froides et viciées sous-tendues par une intrigue tordue et abyssale…
Eh bien non… On devra tout juste se contenter de contempler cette fois-ci un objet empesé et mort, de cette facture qui se rattacherait plus à de la taxidermie qu’à un travail cinématographique où l’on guide son inspiration par des impulsions imaginatives et nouvelles, comme cela avait été justement le cas avec « Morse » et sa relecture du cinéma de genre fantastique et son approche aussi bien frontale qu’inédite du vampirisme. Ces relents, ces miasmes que distille « La Taupe » découlent d’un fantasme morbide conçu par Tomas Alfredson, comme s’il s’agissait d’un bibelot précieux chichiteux, posé sur une étagère, bien à la vue de visiteurs impressionnables.
Si un soin tout particulier est apporté à la lumière, aux cadrages, aux costumes et à cette reconstitution singeant un ton, une époque, un style, avec des acteurs chevronnés, impeccables, une musique inspirée, oui, de loin, on croit reconnaître un film formellement abouti, éblouissant même, dans cette pose parfaite que seuls les faussaires ont le mérite d’obtenir.
Seulement, le réalisateur se regarde filmer. Il s’enivre de sa propre création et de ce monde qu’il réinvente, ou plutôt qu’il exhume, puisqu’il tente de tout reconstruire avec un ciment qui ne prend pas. On pense au travail d’un maquilleur des pompes funèbres essayant et réussissant souvent à redonner une ultime lueur de vie au visage du mort. Tout est pesant dans ce film, lourd, alors qu’avec un tel sujet, il aurait suffit de se laisser glisser et d’aller à l’essentiel. Tous les personnages expriment ces mêmes mines contrites, ces allures corsetées et ces gestes de pierre. Cette longue visite du musée poussiéreux de l’espionnage provoque à la longue une sorte d’étouffement.
Dans les années 70, justement, un film français, « Espion, lève-toi» d’Yves Boisset, proposait aussi une histoire similaire de taupe, d’intrigue en entonnoir, avec son lot de personnages tordus, le tout baignant dans le milieu du contre-espionnage, et démontrait qu’avec des sujets aussi peu grisants, on pouvait obtenir un film qui créait autre chose que de la contemplation servile.
Sorti en 1989, « Mes Meilleurs Copains » de Jean-Marie Poiré a été victime d’un mauvais timing… Les films de type « Bromance » ou « week-end à la campagne entre amis » n’étaient pas encore à la mode et on peut même dire que « Mes Meilleurs Copains » fut précurseur dans le genre.
Mais le fait est que ce film fut vraiment un bide à sa sortie en salle et qu’il ne gagna ses galons d’oeuvre-culte qu’au fil de ses maintes diffusions à la télévision, à l’instar du « Père Noël est une Ordure ». Pourtant, « Mes Meilleurs Copains » est probablement le film le plus sincère et le plus touchant de Jean-Marie Poiré, comme une invitation introspective à l’amitié, aux souvenirs et aux histoires d’amour foireuses.
« J’ai failli crever, moi, avec ce film ! Je suis resté deux ans sans travailler après. J’aimais bien le film, je le trouvais sympa mais j’aurais bien aimé qu’il marche un peu mieux, parce que j’étais au bord de changer de métier, là, pour le coup ! » (Jean-Marie Poiré)
« Mes Meilleurs Copains » est un appel du pied à tout ce qui peut nous renvoyer à une nostalgie pétrie de souvenirs collectifs et de situations jumelles à nos propres jeunesses. Tous les acteurs sont parfaits, employés de manière juste. Le film ne se contente pas d’être drôle, avec ses scènes de flash back, mais la tendresse et les moments qui embuent les yeux sont aussi nombreux. Gérard Lanvin en contre-emploi de bourgeois ringard, le regretté Philippe Khorsand en metteur en scène jaloux et vindicatif, Jean-Pierre Bacri en publicitaire gay amer, Christian Clavier… en Christian Clavier, et enfin une découverte enchantée avec Jean-Pierre Darroussin en guitariste perché sous Xanax.
« Mes Meilleurs Copains », c’est à la fois le « Péril Jeune » de Cédric Klapisch et le « Vincent, François, Paul et les Autres » de Claude Sautet ; ce genre de films choraux, si bien écrits et si simplement filmés, où tout est évident dès le début, qui nous embarquent dans un monde parallèle dans lequel on voudrait aussi se trouver et pouvoir partager ces moments-là avec les personnages.
Sur un canevas assez simple, Poiré nous présentent des potes d’enfance amoureux dans le passé de la chanteuse de leur groupe d’adolescents, qui se retrouvent tous lors d’un week-end en Normandie, dans la maison de l’un d’eux, où est également conviée la fameuse muse qui vit désormais au Québec et qui, quant à elle, est devenue une star de la chanson. Les souvenirs vont très vite remonter à la surface, avec les règlements de compte habituels, les déceptions, les regrets et les petites mesquineries qui collent en général à ce type de situations.
Alors oui, Il n’y a peut-être pas tout à fait la magie des dialogues de « Clara et les Chics Types » sous la houlette de Jean-Loup Dabadie, ou encore la mise en scène ample à souhait d’un Sautet pour « Vincent, François, Paul et les Autres », mais la générosité des situations et des anecdotes qui remplissent l’histoire de ces meilleurs copains, comme un album de photos trop rempli, fait que le film se voit et se revoit, en y découvrant toujours de nouvelles répliques et de nouveaux regards dans les yeux de ces acteurs, au diapason, qui les rendent à chaque fois encore plus crédibles dans leurs rôles respectifs.
Parmi la longue liste des réalisateurs clivants qui aiment entretenir cette image immorale et extrême de leur art, on peut dire que Lars von Trier y tient une place de premier choix. En France, dans le même registre, on pense tout de suite à Gaspard Noë, le maître étalon de ce qui se voudrait un cinéma révolutionnaire et extrême.
« Element of Crime », « Epidemic » et « Europa », les trois premiers vrais films du cinéaste danois Lars von Trier, après qu’il eut réalisé moult courts-métrages, possédaient pourtant un certain parfum de nouveauté, entre expérimentation, travail sur l’image et le son. Ici, il re-visitait le polar, la SF ou la fable politique avec personnalité et audace. De 1984 à 1991, il aura en tout cas tracé les sillons d’un cinéma nouveau, formel et étonnant. La noirceur était également déjà au rendez-vous, mais plus comme une figure de style et une volonté anticonformiste de ne pas être confondu avec l’esthétique de l’époque.
A partir de « Breaking the Waves » (1996), sorti après son incursion furtive dans le fantastique pur avec sa mini-série « The Kingdom » (« L’Hôpital et ses Fantômes »), produite pour la télévision danoise et distribuée en salle en France sous la forme d’un film en deux parties, assez indigeste, la dépression qui semblait couver depuis toujours se manifeste au grand jour.
Le réalisateur des « Idiots » et co-inventeur du concept pipo « Le Dogme » part très loin dans un délire hystérico-judeo-chrétien-pensum à base de relecture de la Bible, mais à l’envers, d’un cynisme déguisé en princeps philosophique assorti d’un nihilisme gothique et d’actrices marionnettes qu’il se plaît tant à malmener. Tout cela à grand renfort de tout ce qui choque et qui pourrait, voire qui se doit, d’ulcérer les âmes bien pensantes.
Seulement, ce cinéma-là ne s’adresse pas pour autant aux bonnes personnes. Le public qui le suit est constitué globalement de tous ceux qui ont envie de briller dans le noir de l’inculture cinématographique générale, en se calant dans les angles aigus de ce cinéma hermétique et bien au creux d’un soit-disant rejet de l’humanité. « Breaking the Waves », le chemin de croix d’une femme (de toutes les femmes ?), dans le but de retrouver, ou de perdre, ce qui lui restait d’humanité. Une vision de la femme comme éternelle martyre face à l’homme, pudride, lâche et érotomane.
N’est pas misanthrope qui veut, et même Maurice Pialat, haï et craint de son vivant, savait raconter des histoires, avec des personnages forts qui nous enveloppaient de leur trajectoire jusqu’à son terme. L’empathie restait tout de même un vecteur primordial pour que l’on puisse adhérer.
La filmographie de Lars von Trier prend donc un virage à 90 degrés précisément à partir de « Breaking the Waves » et la critique le couvre aussitôt de louanges. Même si on ne saisit pas vraiment où il veut en venir, les festivaliers de tous poils pressentent le potentiel du réalisateur danois, surtout s’il persévère dans ce sens, en choquant le bourgeois et en nous proposant cette description à la hache de la femme, élevée au rang d’éternelle pécheresse.
Alors, on prétendra forcément que c’est là toute la force de l’humour protestant des gens du nord. Soit… Mais là aussi, n’est pas Pasolini qui veut. Et il ne suffit pas de montrer des horreurs, le tout agrémenté d’une réalisation convulsive et parkinsonienne pour savoir exposer froidement sa vision du monde et sa haine de l’humain.
La liste des actrices qui rêvent alors d’être « secouées » par cet artiste hautement névrosé et qui acceptent, comme Nicole Kidman, Björk ou Charlotte Gainsbourg, de « jouer » un peu à ces laborieuses constructions conceptuelles aussi prétentieuses que malsaines, s’allonge… Des cimes seront atteintes avec notamment « Antichrist » et « The House that Jack Built ».
Le réalisateur de « Dancer in the Dark » empile les visions les plus subversives et les plus dérangeantes, avec comme seul et unique but à atteindre, celui de nous retrouver la tête dans la cuvettes des toilettes. Ses obsessions morbides aux relents de bile, toujours confites de judéo-christianisme, n’évoquent en réalité plus grand-chose de très en phase avec notre époque.
Tout n’est cependant pas à jeter dans sa filmographie… Parmi ses oeuvres les plus ludiques ou les plus regardables, dans l’approche originale de leur sujet, on peut noter « Dog Ville » et le diptyque « Nymphomaniac ». Sans doute car Lars von Trier nous y démontre qu’il peut parfois laisser de côté ses obsessions sur le martyr du Christ et de l’éternelle culpabilité judéo-chrétienne.
Mais le summum du lavement à la façon von Trier sera atteint avec « Melancholia », qui ne déroge pas à la règle et nous impose une enfilade de scènes interminables mettant en scène des personnages qui se balancent des saloperies à la figure, un peu à la manière d’un film de Patrice Chéreau, mais sans la manière et sans qu’à aucun moment, on en comprenne réellement les enjeux. Il y a ce vague concept de fin du monde, avec pourtant cette assez belle idée d’une planète géante qui viendrait percuter notre bonne vieille terre, et par la même occasion balayer nos petites mesquineries, notre pénible égocentrisme, nos minables problèmes d’égo, notre humanité moribonde et exténuée…
Et il faut bien avouer que sur le papier, l’idée donnait envie, avec ces premiers plans et le prélude de l’opéra « Tristan et Yseult» en fond musical, qui sonne comme une installation grandiose à la Fondation Cartier ou au Palais de Tokyo… Mais seulement, on est assis dans une salle de cinéma ou dans son salon, tout cela dure des heures et Wagner, au bout d’une quinzième écoute sur des ralentis d’une planète mauvâtre qui se rapproche inexorablement de notre terre, finit par nous saouler dans les grandes largeurs en nous dégoûtant du compositeur allemand, avec comme dirait Woody Allen, « l’envie irrépressible d’envahir la Pologne »…
« Melancholia » est un film malade, dans le sens où il est réalisé par un homme qui peut faire à peu près ce qu’il veut, sans qu’aucune voix ne s’élève à la ronde, pour lui suggérer que peut-être que cette grande liberté artistique, cette audace créative, cette folie domptée et libératrice qui caractérisent un artiste, qu’il soit cinéaste, musicien, plasticien ou photographe, se sont ici muées en une sorte de vide embarrassant. Au-delà de toute considération esthétique, formelle ou de fond, la vision de ce « film » ne vaut peut-être que par ses quinze premières minutes et ses cinq dernières…
Alors on peut aussi renvoyer dos à dos Lars von Trier et un autre cinéaste qui a aussi sa carte et qui, quoi qu’il fasse, aura l’assentiment d’une certaine presse quand, dans le même temps, il sera décrié par un large pan du public : David Lynch. Et j’en suis féru… Mais c’est comme ça ! Lynch me touche et fait vibrer une part de mon être et de mon inconscient, tandis que Lars von Trier me révulse lorsque qu’il est, pour d’autres cinéphiles, une source infinie de réflexion et de plaisir. Une façon de se faire violence et d’aimer tremper les mains dans un dissolvant…
Sur un plan gustatif, en ce qui me concerne, j’ai toujours préféré la chair du poisson à celle du porc…
Revenons sur deux films sortis à quelques mois d’intervalle en 2014. Si le premier s’est offert de beaux chiffres au box office, en ayant reçu au préalable la bénédiction de Monsieur Bergé, pour au final un rendu bien lisse et une réalité corsetée et servile, le deuxième, en revanche, déjà conspué alors que son tournage n’avait même pas encore démarré, proposait une vision du couturier, de sa vie et de son œuvre, plus viscérale et incandescente. Même s’il fut préféré par la presse, le film sera toujours évoqué en deuxième position, et finira par être un échec public.
« Yves Saint Laurent » de Jalil Lespert
Si on n’a jamais vu le magnifique documentaire de Pierre Thoretton, « L’Amour Fou », dont ce « Yves Saint Laurent » reprend sans vergogne aucune toute la trame, ou lu le livre d’Alicia Drake, « Beautiful People », peut-être alors trouvera-t-on un intérêt tout relatif au premier film de Jalil Lespert.
Pédagogique dans sa forme, de facture digne d’un téléfilm de luxe de France 2, ce premier film sorti en salle, consacré au plus célèbre des couturiers français, s’évertue à empiler sagement les différents épisodes clés de la vie et la carrière de Saint Laurent. Les évènements se suivent et sont égrenés dans une cadence métronomique. Tout est en ordre, rangé dans des tiroirs, des compartiments, et rien ne dépasse.
Pierre Niney singe plus le génie de la mode qu’il ne l’incarne réellement. Il ne réinvente définitivement pas Saint Laurent et ne cherche pas plus à se l’approprier. Il se contente juste de restituer des motifs, ce que l’on connaît en fait de cet homme au travers des images télé ou divers autres documents. Certes, il y a la voix, les manières, les attitudes, les gestes, mais cela ne procure rien d’autre que le contentement du spectateur ébloui par l’imitation parfaite d’un perroquet. « Yves Saint Laurent » n’offre aucune possibilité de rêver ou de s’abandonner. On reste à distance de ce ballet d’ombre.
L’angle que choisit Bertrand Bonello pour aborder « son » Saint Laurent est forcément plus casse-gueule. En essayant de pénétrer la psyché du couturier, le réalisateur de « L’Apollonide » s’évite ainsi tout l’aspect biographique et distant vis-à-vis des personnages. On est là dans la tête du génie névrosé et c’est donc de son point de vue que l’on traverse ce film si organique.
Nous voici dans les 70’s, soit la décennie la plus riche en événements et en créativité. C’est aussi une époque durant laquelle le fameux trio « sexe, drogue et rock’n’roll » n’a jamais aussi bien été représenté.
L’autre idée géniale du film est de ne pas tenir compte d’une quelconque chronologie. Dans la deuxième partie, on fait des allers retours permanents entre les derniers jours de Saint Laurent et ses années fastes. Elégante façon de signifier que Saint Laurent et son oeuvre perdureront longtemps après sa disparition.
« Saint Laurent », outre son souci de nous distiller des informations factuelles sur Yves Saint Laurent, se permet aussi des embardées baroques, tant Bertrand Bonello n’oublie jamais qu’il fait surtout et avant tout du cinéma. Il emprunte donc à Visconti, sans doute l’un des réalisateurs les plus proustiens de son temps (« Le Guépard », « Mort à Venise », « Les Damnés », « Rocco Et Ses Frères »), un de ses acteurs fétiches, mais aussi ses questionnements sur le temps et ses formes.
Dès l’ouverture du film de Bertrand Bonello, on voit un homme de dos, fluet mais à l’allure élégante, entrer dans un hôtel pour se diriger jusqu’à la réception où il dit avoir réservé une chambre. Lorsque le concierge lui demande sous quel nom la chambre a été retenue, l’homme que l’on découvre enfin de face, avec ses lunettes à monture d’écaille et à l’attitude éthérée et timide prononce juste « Swan », le nom du célèbre personnage de « La Recherche Du Temps Perdu » de Marcel Proust, écrivain cher à Saint Laurent. Le réalisateur de « L’Apollonide » exprime ainsi immédiatement ce qu’était Saint Laurent, sa psyché, sa force et ses faiblesses. D’une élégance tenue jusqu’au bout, « Saint Laurent » est le film ayant su capter l’âme d’une époque, son énergie vénéneuse et puissante.
On ne saura jamais vraiment qui était Saint Laurent, derrière ses robes, ses tissus, ses soirées, ses amants. Il était le héros d’un roman, de son histoire. Un être de papier qui grâce à Pierre Bergé put devenir l’un des plus grands couturiers de l’histoire de la mode.
On avait tout à craindre de ce remake du mythique « Suspiria » sorti en 1977, même si son réalisateur Luca Guadagnino brille sous un vernis chic avec ses deux derniers films, « A Bigger Splash » et « Call Me By Your Name ».
En s’attaquant au chef d’œuvre de Dario Argento sorti en 1977, Luca Guadagnino tente un pari culotté, fou et selon ses détracteurs, tout simplement pétri de vanité… Car beaucoup le considèrent, au même titre qu’un Paolo Sorrentino, tout juste capable d’étaler de belles images, sans une once de réflexion ou de cohérence.
« Suspiria » est le premier volet de la « Trilogie des Enfers » (ou « Les Trois Mères »), qui comprend ensuite « Inferno » (1980) et « Mother of Tears » (2007). Ces trois films nous immergent dans des récits de sorcellerie et d’horreur, dont l’action se déroule dans trois grandes villes européennes.
Le « Suspiria » de Dario Argento s’appréhendait ainsi comme un conte horrifique, une sorte de relecture du roman « Alice au Pays des Merveilles » de Lewis Carroll. Ses couleurs, ses décors, sa mise en scène et son ton général nous embarquaient dans une expérience sensorielle, hypnotique et onirique, telle une sorte de sortilège.
Un film effrayant et beau, qui fascine toujours autant, comme ces histoires que l’on raconte aux enfants. Pour ceux qui l’ont découvert à sa sortie, force est de constater qu’il ne les a plus jamais quittés…
On se demandait donc comment Luca Guadagnino, le réalisateur qui avait déjà remaké avec « A Bigger Splash » le film mythique de Jacques Deray, « La Piscine », avec Delon, Schneider et Ronet, et qui affichait d’évidentes accointances avec le cinéma d’Eric Rohmer, allait bien pouvoir nous surprendre avec sa relecture du mythique « Suspiria »…
Le « Suspiria » version 2018 n’est définitivement pas un film de commande, un de ces succédanés que l’on voit fleurir chaque année, ces sempiternels remakes de classiques des années 70 et 80. Non ! Car de toute évidence, Luca Guadagnino chérit le film de Dario Argento et le considère, selon ses propres dires, comme l’un de ses films préférés… En souhaitant se le réapproprier, il déconstruit malgré tout complètement l’œuvre de son mentor italien.
L’histoire se situe toujours en 1977, mais le parallèle entre les deux films s’arrête là. On délaisse la ville de Fribourg pour Berlin, en pleine époque dite « des années de plomb », celles de la bande à Baader et du fameux mur. Ici, point d’ambiance onirique et de lumières primaires. On est dans une réalité crue où se disputent les gris, les ocres et les bruns ; que des couleurs passées… Fini l’art nouveau poétique et tortueux, on passe à l’art déco, brut, ample et froid.
Le fantastique est pourtant bien au rendez-vous, mais il nous est suggéré non par une ambiance mais par la mise en scène. Guadagnino prend ses distance avec l’œuvre matricielle dès le début, et il préfère tout expliquer, tout rationaliser, pour mieux ensuite nous plonger dans l’horreur et l’incrédulité.
Il utilise également beaucoup mieux ce collectif de femmes qui vivent ensemble, avec de vraies personnalités accordées. Il en est de même pour tout ce qui entoure la danse, puisqu’il en fait le pivot central de l’histoire quand Dario Argento n’en faisait qu’un prétexte. Le maître italien a toujours été un fétichiste et un plasticien. Il préférait s’attarder sur les détails d’un décor plutôt que sur ceux d’un visage.
Dans les premiers rôles, Tilda Swinton joue Madame Blanc, la chorégraphe largement inspirée d’une autre célèbre danseuse et chorégraphe allemande, Pina Baush. Dakota Johnson tellement insignifiante dans le diptyque lénifiant, « 50 Nuances de Grey », s’empare ici de son personnage à bras-le-corps, avec autant d’ingénuité que de perversité.
Car ce « Suspiria » version 2018 est d’abord un film de femmes, dans lequel celles-ci occupent l’espace à 95 % et où on nous les représente tour à tour puissantes, mystérieuses, souriantes et solidaires. Jamais on nous avait d’ailleurs dépeint un univers de sorcières avec autant de sincérité et de crédibilité. Le film en est au final d’autant plus déstabilisant.
Le « Suspiria » de Guadagnino n’est certes pas un film facile… Pour les fans de jump scares et autres effets de manche, ils en seront pour leur frais. Si le film se révèle pourtant toxique à souhait, en distillant une atmosphère étouffante et malsaine, il ne cherche pas à faire plaisir et caresser dans le sens du poil. Sur 2h30 que dure le métrage, plusieurs histoires s’entremêlent sans véritable conclusion ni réel début.
Seule certitude, ces sorcières ont toujours été là et le seront encore bien longtemps après. Elles nous laisse juste partager des moments de leur vie et de leur quotidien, mais le sens profond de leur existence nous dépasse, même s’il y est question en filigrane de quête de pouvoir. Malgré sa thématique et ses enjeux, ce « Suspiria » reste un film intime, qui se chuchote à l’oreille comme certains morceaux qu’on apprécie et que l’on préfèrera écouter au casque, et seul.
Pour la musique, c’est Thom Yorke qui se charge de composer une partition mélancolique et belle, quand celle de la version de Dario Argento était signée par le groupe de rock progressif italien Goblin. Le piano et la voix plaintive du chanteur du groupe Radiohead se baladent et se marient parfaitement aux images, pour offrir un ton général doux, triste, mais paradoxalement réconfortant et enveloppant.
S’il est néanmoins imparfait, en souffrant de problèmes de rythme et de compréhension, ce « Suspiria » deuxième du nom mérite une seconde chance, tant il fut boudé à sa sortie et injustement très vite oublié. Car il reste une ode magnifique à la féminité, mystérieuse, dangereuse, puissante, multiple, tellurique et radieuse ; un hymne à la volupté des corps, de la danse et de son pouvoir.
Dès son premier film « Bottle Rocket » en 1996, le réalisateur américain Wes Anderson affichait déjà une identité forte et surlignée, qui n’aura de cesse que de s’auto-alimenter au fil de sa carrière.
Notre monde, en passant par le prisme de Wes Anderson, né à Houston au Texas il y a cinquante ans, devient une dimension parallèle. Un monde familier, mais en biais, où tout semble obéir à d’autres règles quantiques. Un univers intemporel dans lequel tout est suspendu, flottant… Ses films forment un tout ; un écosystème dont il serait le maître, le marionnettiste.
Il y a quelque chose de Legoland dans cette vision autiste, comme une maison de poupée géante. La visiter provoquera en chacun de nous une sensation d’enfermement, d’étouffement, tant les visions ultra-léchées ne laissent jamais de place au hasard. Tout est sous contrôle, encadré, dans le sens le plus littéral du terme. Les plans de ses films sont des tableaux où même le passage d’un oiseau dans le ciel a été prévu…
Cette psychorigidité peut rappeler d’ailleurs celle de Peter Greenaway, qui était peintre avant d’être réalisateur. Il ne se tourna vers le cinéma que dans les années 80, comme pour créer une extension à son univers originel. On pense évidemment aussi à Tim Burton, adepte d’univers ultra-codifiés, même si cela fait déjà plus d’une quinzaine d’années que ses marottes et son maniérisme se sont retournés contre lui et l’ont enfermé à double tour dans l’armure d’un robot qui désormais photocopie ses films plus qu’il ne les crée de toutes pièces…
Wes Anderson, quant à lui, affiche une filmographie plus restreinte et ne semble pas pour le moment trop tiraillé par les sirènes du succès ou la récupération malhonnête d’une certaine presse Indé. Il mène sa barque au gré de ses propres courants et de ses illuminations. Ses marottes à lui passent plutôt par les teintes de la mélancolie, de ces époques surannées et joyeuses. Il garde en lui cet espoir fané, comme le sentiment contrit que ce qui peut arriver de meilleur était forcément avant, et que le souvenir en est le plus parfait stimulant. Cette fameuse joie d’être triste…
Dans ses films, les personnages, globalement dépressifs, adultes, enfants et animaux compris, aspirent à quelque chose de meilleur, mais sans trop y croire. Ils voudraient changer le cours des choses par eux-mêmes, dans ce monde clos tel une maison de repos, mais rien n’évoluera jamais vraiment car c’est un peu comme demander à quelqu’un de courir sur une étagère. Tout sera toujours à sa place, même dans quinze ans…
Il y a dans le cinéma de Wes Anderson flegme et politesse feutrée, la musique rassurante d’une vieille horloge dans le salon de cette tante anglaise qui vous reçoit à l’heure du thé, pour siroter ensemble un thé au citron en dégustant des Short Bread au gingembre.
Ces tableaux, avec le cadre intégré où le temps possède son propre tempo, montrent tout en aplat ; des êtres animés qui n’ont jamais d’ombre. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Anderson a réalisé deux films en stop motion, avec pour le coup de vraies marionnettes, pour aller plus loin encore et tenter de coller le plus près possible à ses obsessions et ses visions.
« Fantastic Mr Fox » (2010) et « L’île aux Chiens » (2018), deux formidables contes où l’anthropomorphisme nous rappelle que l’animal, même s’il est doué ici de parole, n’est pas semblable à l’homme mais juste une extension de sa réflexion et de son intelligence. Deux films d’animation où toutes les névroses du réalisateur sont traitées comme des histoires pour enfants, avec de l’action et des rebondissements, mais sans jamais se départir de cette distance courtoise installée dans le seul but de mieux critiquer l’espèce humaine et la punaiser au mur.
L’enfance est omniprésente dans les œuvres de Wes Anderson, au travers d’adultes tous pleins de regrets et de morgue, qui s’épanchent sur leur vie ; comme sur une route, lorsqu’on hésite entre repartir en arrière ou alors continuer droit devant, une route sur laquelle il faudra tout de même avancer un peu et tenter de vivre… Les enfants n’y sont jamais traités comme tels mais plutôt représentés à l’égal des adultes.
De petites personnes qui font des plans, qui réfléchissent et qui semblent avoir déjà tellement vécu. L’idée de l’enfance et de sa naïveté passe en fait par l’image des films et leur forme. L’enfant est un double, revenu du passé, qui interroge. Il n’a jamais cette image d’innocence et de naïveté, mais fait plutôt figure de vecteur, de lien fort et de placebo pour se (re)construire à nouveau après telle ou telle épreuve.
Parmi ses films les plus marquants, « La Famille Tenenbaum » fut un rendez-vous miraculeux lorsqu’il sortit en 2001. Nous n’avions pas encore totalement digéré le style de Wes Anderson, mais son art du papier crépon prenait déjà forme et servait merveilleusement l’histoire et ses personnages. On avait affaire à un film délicat, précieux, émouvant, drôle. Tout ce qui devait constituer l’esthétique Anderson était déjà là, et on imaginait avec peine comment le réalisateur allait pouvoir se renouveler, étonner encore, s’il gardait ce même maniérisme, cette intensité dans le détail.
En 2004, « La Vie Aquatique » constituait une sorte de déclinaison au film précédent, mais dans un décor différent. L’univers précieux d’Anderson était cette fois-ci transposé en version maritime. Cela fonctionnait encore, et le charme opérait.
« A Bord du Darjeeling Limited » (2007), même s’il pouvait un temps surprendre dans ses nouvelles idées de mises en scène et ses péripéties forcées, avec cette tentative de renouveler cette forme cartonnée avec là encore un nouveau décor – le train, l’Inde, le mouvement pour répondre à l’immobilisme de ces trois frères – sonnait pourtant comme un aveu de redite.
Ces trois œuvres forment ainsi une trilogie dont le thème premier tourne autour de la paternité, de la filiation et de la peur de l’atavisme. Mais peut-on justement répéter à l’infini le même concept ? Est-ce qu’un photographe ou un peintre refait toujours la même chose ?
« Moonrise Kingdom », le sixième film de Wes Anderson, souhaite ainsi s’affranchir de ses trois prédécesseurs, en proposant, avec une affiche qui en dit long sur ce que l’on est invité à voir, une continuité pour les aficionados mais de nouvelles formes à malaxer. Le film semble en effet avoir été conçu pour dénicher de nouveaux adeptes de son univers codifié, tout en caressant dans le sens du poil les fans déjà convertis. Dès le générique, tout dans ce nouvel opus sent le musée, l’exposition, l’encombrement, l’amoncellement. Pour ceux qui découvrent cet univers pour la première fois, il y aura certes la surprise, l’émerveillement sans doute… Mais pour les autres, on se sent à l’étroit dans « Moonrise Kingdom » ; un manque flagrant d’oxygène…
Cette histoire d’amour entre deux pré-ados n’évoque décidément que des impressions de souvenirs polis mais froissés, sans odeur ni âme. Les mêmes thèmes répétés tout au long du film et époussetés pour l’occasion, paraissent maintenant si prévisibles, si aseptisés, que l’ennui guette à chaque nouvelle scène.
Quant aux acteurs, fussent-ils utilisés comme fétiches, tel ce bon vieux Bill Murray qui n’a ici pas grand chose à se mettre sous la dent, si ce n’est juste le fait d’être de la partie – « d’en être » – ou toutes les nouvelles têtes (Bruce Willis, Tilda Swinton) qui viennent à leur tour sans doute caresser le vernis de cette oeuvre chic et hype, tout le monde a l’air de s’ennuyer ferme.
Tout ce principe figé et pince-sans-rire, conçu pour être une marque de fabrique, cette fois-ci ne prend pas. Les péripéties se succèdent telles un cahier des charges. Le duo, tant le garçon que la fille, n’a aucun charisme et ce qui avant nous amusait, comme le fait de ne jamais voir sourire une seule fois les personnages, rend tout le monde juste antipathique.
Mais fort heureusement, succède à l’insipide « Moonrise Kingdom » le magnifique « The Grand Budapest Hotel » qui marque le retour en grâce du réalisateur de Rushmore. Le film explore de nouvelles thématiques, de nouveaux personnages, et introduit avec cette fresque historique de nouveaux enjeux. Le charme et la magie sont revenus. Le miracle opère et on est surpris, ébahi, enchanté de cette façon virevoltante qu’a Wes Anderson de faire danser autant de personnages (ou de marionnettes…), sans jamais s’emmêler dans les fils. La poésie est intacte et la musique d’Alexandre Desplat contribue à la beauté de ce film.
A croire que Wes Anderson a encore bien des choses à nous raconter et que son coffre à jouets n’est pas vide. Nous avons hâte de découvrir son prochain film actuellement en post production, « The French Dispatch ». Le réalisateur reste unique dans son genre et est sans doute le seul dans sa partie à émerveiller de façon si intime, juste pour nous.
Avec « The Neon Demon » sorti en 2016, Nicolas Winding Refn n’a définitivement pas fini de magnifier nos cauchemars en susurrant à l’oreille des démons…
Depuis la sensation « Drive », ses scènes d’action ultra-violentes et l’hyper masculinisation de Ryan Gosling, arborant un blouson avec un scorpion brodé au dos, puis avec la castration du même Gosling dans « Only God Forgives », son film suivant dans lequel le héros blond à l’œil passablement vide devient le jouet de sa mère dans un Bangkok fantasmé, le réalisateur Nicolas Winding Refn n’en finit pas de brouiller les pistes et nos certitudes en des tours de passe-passe singuliers. Un glissement où la représentation absolue du mâle finit, avec ce dernier opus « The Neon Demon », par devenir une femme incandescente, souveraine et elle aussi toujours aussi dangereuse.
Ces trois films forment ainsi une trilogie autour d’une réinvention des années 80, avec une esthétique, des motifs et un son empruntés à cette époque. A l’instar de Wong Kar Waï, Michael Mann, David Lynch, Brian De Palma, ou encore d’un Dario Argento, Nicolas Winding Refn se sert de ses illustres modèles pour à son tour livrer sa perception d’une idée ou deux qu’il utilisera comme prétexte afin de toujours nous raconter un peu le même film. « Drive » avec le polar, le film de vengeance, le cinéma. « Only God Forgives » avec le thème de la mafia, du film noir. Quant à « The Neon Demon », il nous parle du monde de la mode, de la beauté comme vecteur de ce milieu, de la jeunesse comme Nivarna à reculons, de vampirisme, de cannibalisme et de cinéma d’horreur. Des thématiques que le réalisateur de la trilogie « Pusher » va décliner comme autant de reflets et d’éclats de miroir.
« The Neon Demon » n’est cependant pas une critique de la mode, de son monde ou de ses représentations, pas même encore une vision de la femme, de l’argent, des apparences, de notre société ou de son nihilisme. Non, c’est un trip étrange et maniéré, sophistiqué à l’extrême, sidérant, somptueux, où y apparaissent dans des ambiances toujours plus 80’s les fantômes de films cultes de cette époque. « Looker », « Suspiria », « Les Prédateurs »… Los Angeles est le parfait écrin pour signifier la ville ultime de tous les pêchés, tel un aimant à fantasmes, à désir et à mort. Ville monde-cimetière où des harpies mettent en charpie pour s’en repaître d’innocentes victimes qui découvriraient trop tard ce qui exalte la beauté.
Si le réalisateur danois de Branson exhume autant de splendeurs cinématographiques venant des eighties, en les agitant sans vergogne dans ce film en un patchwork stylisé, il sait qu’il n’abîme ni ces modèles d’antan, ni ce qu’il tricote aujourd’hui. Le tout forme un poème visuel et vénéneux, une ode fait de lumière aveuglante et d’ombres inquiétantes. Mais en aucun cas, on nous sert un film prétentieux ou poseur. Paradoxalement, il s’agirait plutôt pour Nicolas Winding Refn de son film le plus drôle et le plus léger de toute sa filmographie.
Le score de Cliff Martinez (probablement l’un de ses meilleurs depuis celui de « Solaris ») hypnotise les images. Là aussi, le compositeur de « Drive » et « Only God Forgives » convoque toutes les sonorités 80’s, électroniques, inquiétantes et luxuriantes, rappelant ainsi Tangerine Dream, Vangelis, Carpenter. Des sonorités flottantes au grès des scènes, comme des îlots… « The Neon Demon » est un archipel perdu dans cet océan amniotique, mais sans eau. Juste du sang. Un sang convoité par des bouches avides et cruelles.
Si l’on fait abstraction de ce titre un peu tarte digne d’un téléfilm diffusé sur TF1 et de l’affiche qui va avec, « Belles Familles », le dernier film de Jean-Paul Rappeneau, nous renvoie pourtant au bon souvenir d’un cinéma français de belle facture et délicieusement populaire, dans le sens le plus noble du terme.
Enfant légitime de Lubitsch, la musicalité dans les films de l’auteur de « La Vie De Château » ne se borne pas seulement à faire danser les acteurs comme des marionnettes sans vie tout en récitant du papier à musique. Non, cette marque de fabrique chez le cinéaste désormais octogénaire n’en finit pas de tracer des ronds et des spirales entre les comédiens embarqués, qui valsent, qui tourbillonnent entre légèreté, hésitation, gravité, coup de sang et bienveillance.
Avec « Belles Familles », Jean-Paul Rappeneau nous offre donc un ballet où acteurs de l’ancienne et de la nouvelle génération viennent chacun leur tour nous proposer des pas de deux, en couple, en binôme, des retrouvailles, des mensonges, des secrets… Ce Feydeau en relief nous rejoue l’éternelle histoire des coeurs et des bras qui s’enlacent et se défont, mais avec de la gourmandise comme devant un buffet, où ici Viard, Dussolier, Garcia, Amalric… nous régalent. On y retrouve également des accents Sautériens lorsque, au détour d’une scène, on identifie Gilles Lelouch enfin devenu bon et touchant, et qui ne serait-ce que l’espace de quelques secondes nous rappelle le Montand de « César et Rosalie », brusquant une Marine Vacth, qui se révélera peut-être bientôt comme la nouvelle Romy Schneider.
Un film hommage, donc, pétri de nostalgie et de mélancolie, et un Rappeneau qui réussit avec cette belle famille à justement réunir toutes ces familles éparses du cinéma français.