Catégorie : Culture

  • Jerry Goldsmith : Puissance, Mélodie et Chaos

     

     

    Jerry Goldsmith pourrait être le pendant de cet autre grand compositeur et mélodiste qu’est John Williams, car lui aussi a tant œuvré pour le cinéma à Hollywood, en contribuant à rendre immortels de nombreux films, avec ses scores reconnaissables entre tous.

     

    Mais si John Williams l’Américain a d’abord reçu une formation de jazzman, pour Jerry Goldsmith, c’est plutôt du côté du classique qu’il faut aller chercher technique et musicalité. Ses origines juives ashkénaze de Roumanie auront été infusées au fil du temps dans des influences profondément ancrées du côté de la musique d’Europe de l’est, qu’elle soit classique ou populaire et folklorique.

    C’est donc ici que la comparaison avec son illustre homologue s’arrête, car si Williams, le compositeur de « Star Wars », a su avec brio rebondir de thèmes emblématiques en envolées légendaires, il est toujours resté confortablement calé entre jazz et orchestration néo-classique, hormis peut-être pour deux ou trois scores surfant parfois sur le sériel et la dissonance (« Rencontres du Troisième Type », « Images » ou même « La Guerre Des Mondes »).

    Quand Jerry Goldsmith fut capable tout au long de sa très longue carrière de se réinventer sans cesse… Le compositeur à la queue de cheval a exploré et expérimenté, en utilisant pour étoffer ses œuvres à peu près tout ce qui pouvait émettre un son ; de l’électronique, dont il fut l’un des précurseurs au cinéma (« The Illustrated Man » en 1969 ou « Logan Run » en 1976), au bol de cuisine, en passant par un sifflet d’enfant ou encore des croassements de corbeaux (« Damien : La Malédiction 2 »)

     

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    Avec les musiques de « Patton », « Gremlins », « Papillon », « Basic Instinct », « Star Trek », « Chinatown », « Alien », « Rambo », « Poltergeist », « Legend » ou « Le 13ème Guerrier », Goldsmith impose sa patte. Autant de genres et de styles différents pour un compositeur hautement prolifique…

    Arrêtons-nous un moment sur une de ses œuvres en particulier, « La Planète des Singes » de Franklin J. Schaffner sortie en 1968. Sûrement son score le plus fou, le plus ambitieux et le plus mémorable. C’est là où réside toute la versatilité de Jerry Goldsmith qui compose un an plus tôt, en 1967, pour le film « In Like Flint » avec James Coburn, une pop Jazzy et désinvolte, avant de faire un grand écart absolu l’année suivante avec la musique de « The Planet Of The Apes »…

    Jamais percussions furieuses, maelström de cuivres et de sonorités inquiétantes, brutes, n’auront aussi bien collé à des images. Plus que la simple illustration sonore du film, la musique de « La Planète des Singes » constitue une œuvre singulière et puissante, digne de Stravinsky, Ligeti ou Bartok. Si le film de Schaffner est une réussite totale et un véritable ovni dans le paysage cinématographique de l’époque, c’est sans conteste grâce à Jerry Goldsmith qui signe le plus génial des scores du 7ème Art.

     

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    Mais Jerry Goldsmith, ce furent aussi souvent des musiques magnifiques composées pour des films pas forcément tous bons…

    La trilogie de « La Malédiction » avec le fameux Damien, l’Antéchrist, en est le parfait exemple. Car ce ne sont pas forcément des chefs d’œuvre impérissables. Et ces succédanés s’inscrivent plutôt dans la vague opportuniste des films de l’époque qui ont surfé sur le carton mondial de « L’Exorciste ». Il n’en reste pas moins que même si les trois films sont moyens, ce que Jerry Goldsmith a composé pour les habiller nous fait véritablement tomber à la renverse.

    Si vous écoutez les trois scores dans l’ordre chronologique, vous vous apercevrez qu’ils recèlent en eux une logique musicale propre, qui rappelle à certains égards de grandes œuvres classiques, comme dans une symphonie, lorsque l’orchestre se déploie petit à petit pour finir par exploser, alliant la puissance des choeurs au gigantisme du son. Le célèbre thème principal « Avé Satani », scandé par ces chœurs lugubres, en dit long sur la ferveur et le premier degré qui habitaient le compositeur de « Outland ».

    En évoquant le grand Jerry Goldsmith, ce que l’on gardera en mémoire, au-delà de ses compositions mythiques, c’est évidemment cette faculté à sans cesse se renouveler, cette puissance musicale inimitable (« La Momie », « Total Recall », « Capricorn One »), ses inventions (« Logan Run », « The Illustrated Man »), ses fulgurances pour le Space Opera (« Star Trek », « The Last Starfighter », « Explorers ») et un souffle romanesque inégalable (« Chinatown », « L.A. Confidential », « Medecine Man »).

    En substance, l’infatigable inspiration d’un génie discret, artisan magique tant au service des films que des oreilles mélomanes… Et au vue des œuvres composées et de cette facilité à réinventer les poncifs, tout en les sublimant, Goldsmith volait décidément bien au-dessus de la mêlée.

     

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  • Les 80 ans de la Retirada

     

     

    Le Mémorial du Camp de Rivesaltes dans les Pyrénées-Orientales présente, dans le cadre des commémorations du 80ème anniversaire de la Retirada, une grande exposition consacrée au photographe suisse Paul Senn, qui a suivi au plus près la guerre civile espagnole et l’exode de centaines de milliers de personnes vers la France.

     

    S’il est célèbre dans son pays, son travail sur la Guerre d’Espagne l’est beaucoup moins. Pourtant, les clichés de Paul Senn (1901-1953) livrent un témoignage fort sur le conflit et sur la Retirada, l’exode vers la France en 1939 de milliers de femmes, d’enfants et d’hommes fuyant face à l’avancée des troupes de Franco.

    Nous sommes donc à la fin de la guerre civile en Espagne, en janvier et en février 1939. Les réfugiés, ceux qui ont survécu à l’épuisement, à la dénutrition et aux mitraillages de l’aviation, seront accueillis côté français puis le plus souvent internés dans des camps : Argelès-sur-Mer, Rivesaltes… C’est ce drame collectif qu’illustre Paul Senn à travers ce témoignage exceptionnel constitué de 1200 photos.

     

    « Il est arrivé avec les convois de l’aide suisse, explique Markus Schürpf, le conservateur de la collection Paul Senn. Et il est revenu plusieurs fois avec ces convois. Il a photographié toutes ces situations dramatiques dans différentes villes de la région. »

     

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    Portraits bouleversants

    Au Mémorial du camp de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales), c’est le rendez-vous de l’émotion et du souvenir pour ceux de la Retirada. L’histoire de 475.000 personnes, très majoritairement des républicains espagnols et des civils fuyant, le plus souvent à pied, dans le vent glacé de la montagne pyrénéenne, l’inexorable avancée de l’armée de Franco après la chute de Barcelone. Depuis janvier, des commémorations se tiennent tout au long de la chaîne des Pyrénées.

    Regards hagards, visages émaciés, les clichés de Paul Senn nous feraient presque ressentir la peur, le froid et la détresse de ces milliers de réfugiés obligés de fuir leur pays qui s’apprête à basculer dans la dictature. Des réfugiés espagnols que Senn retrouvera au Camp de Rivesaltes trois ans plus tard, en 1942, où certains ont été internés au côté de Juifs et de Tziganes par le régime de Vichy. Il réalise alors une série de photos bouleversantes au plus près de la souffrance.

     

    « Mon père était de la Retirada. Il a passé la frontière au Perthus et il a séjourné au camp d’Argelès. Quand on regarde les photos de Paul Senn, on sent qu’on y est, qu’on est au milieu de ces malheureux qui fuient l’Espagne. Et quand il photographie le camp de Rivesaltes, on ressent dans son corps la Tramontane glacée. On a froid dans le dos… Paul Senn photographie de très près, et ça le rapproche de Capa, à mon avis. » (Michel Lefebvre, journaliste au Monde et commissaire de l’exposition)

     

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    Sous le nom « Des Espagnols dans les Camps », l’exposition de Paul Senn est également itinérante. Constituée de 14 portraits accompagnés de témoignages de réfugiés, elle est présentée dans les 13 anciens lieux d’internement de la région.

     

    Dans la grande salle, Herminia Gallart, native de Valence en Espagne, sèche ses larmes. Elle vient tout juste d’éclater en sanglots. « Trop d’émotion », dit-elle. « C’est une partie de l’histoire de l’Espagne qu’on a totalement occultée pendant toutes ces années. Cette souffrance qu’on ne souhaitait pas reconnaître, surtout pas. »

    « Les cicatrices sont encore ouvertes, vous savez. Et cette exposition, c’est sans doute le meilleur moyen de les refermer ». Son grand-père aurait pu faire partie des marcheurs de février 1939 mais il est mort en détention. « Quatre-vingts ans après tout ça, on se sent encore marqué par cet événement majeur, les premiers réfugiés de notre ère » ajoute Elisabeth Lagrange, qui reviendra à Rivesaltes pour « tout voir » et ne rien oublier.

     

    « Tout voir »… Comme Paul Senn lui-même, qui dans le sillage de l’ONG suisse Ayuda Suiza, sillonna les chemins de la Guerre d’Espagne en 1937, de la Retirada en 1939 et des camps en 41-42. C’est lui qui, le premier, avait découvert et immortalisé la maternité d’Elne (Pyrénées-Orientales), administrée par Élisabeth Eidenbenz, jeune institutrice suisse qui sauvait les bébés à naître des mamans de la Retirada.

    « Il s’attachait à capter les regards, surtout ceux des enfants. Et il n’oubliait jamais de revoir ceux qu’il avait photographiés », indique encore Markus Schürpf, l’archiviste de Paul Senn qui a recensé 1600 reportages publiés en vingt-trois ans de photographie. Ce qui donne, en parallèle à l’exposition de Rivesaltes, une passionnante rétrospective à Perpignan. Pour que le pays catalan jamais n’oublie les souffrances des réfugiés dans les cols verglacés de cet hiver 1939…

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Exposition « Paul Senn, un photographe suisse dans la Guerre d’Espagne »

    Du 3 Février au 30 Septembre 2019 au Mémorial du Camp de Rivesaltes

    Commissariat : Markus Schürpf et Michel Lefebvre

     

     

     

  • Les 100 ans de Mogador

     

     

    Cette année, le Théâtre Mogador fête ses cent ans. Inspiré du Palladium de Londres, c’est une des plus grandes salles de spectacle de Paris, qui accueillit les revues de Mistinguett dans les années 30, puis le théâtre de Jérôme Savary, avant de devenir le temple de la comédie musicale à la Française dans les années 90. Aujourd’hui, Mogador héberge un spectacle de Broadway en version française, « Chicago ». 

     

    Le Théâtre Mogador, c’est cent ans de spectacle, et surtout cent ans de spectacles musicaux, de Mistinguett à Annie Cordy, de « Starmania » à « Chicago ». Une salle monumentale où les grandes comédies musicales de Broadway ou du West-End de Londres font aujourd’hui escale à Paris. Pas étonnant puisqu’on doit son existence à un producteur londonien, formé par l’inventeur du music-hall en personne, Charles Morton.

     

    « La création du Théâtre Mogador naît d’une belle histoire. Une histoire d’amour… Un impresario anglais, Sir Alfred Butt, décida de bâtir et d’offrir ce théâtre à son amoureuse, une danseuse française, Régine Fleury, qu’il découvrit lors d’un spectacle. Il lui fit donc cadeau de ce théâtre à l’Anglaise, constitué d’un seul bloc, sans poteau, ce qui vous permet de bien voir la scène, quelle que soit la place que vous occupez. » (Laurent Bentata, Directeur de Mogador)

     

    Pour concevoir Mogador, Sir Alfred Butt s’inspira d’un des théâtres dont il était propriétaire à Londres, le Palladium. Le premier nom du Mogador était le Palace Théâtre. Il est inauguré en 1919, avec une revue menée par la danseuse et maîtresse de l’homme d’affaires anglais. Un fiasco… Il finit par délaisser son amoureuse. Constatant que Butt avait pris ses distances suite à l’échec du lancement de son théâtre, elle en fit de même, de façon certes plus radicale, en se donnant la mort.

    Cette fin tragique n’a cependant pas porté malheur au théâtre parisien… A la tête du Théâtre Mogador à partir de 1925, les frères Isola vont marquer l’esprit du lieu. Prestidigitateurs, déjà propriétaires de l’Olympia et des Folies-Bergère à Paris, Emile et Vincent Isola vont imposer durablement le genre de l’opérette.

     

    « Les frères Isola ont toujours voulu investir et ils pariaient surtout sur de gros spectacles, avec toujours le souci d’en donner au spectateur pour son argent. les shows démesurément couteux qu’ils produisaient l’étaient souvent à fonds perdus, du fait du nombre d’artistes sur scène, des costumes et des décors somptueux. Mais c’est probablement ce qui a permis de faire connaître Mogador. » (Laurent Bentata)

     

    Tandis qu’au Moulin-Rouge, les revues étaient constituées de tableaux successifs sans véritable fil rouge, à Mogador, sous la direction des frères Isola, on assistait à de vrais spectacles, avec intrigues et rebondissements. Certaines pièces sont importées des Etats-Unis, telles que « No No Nanette », un classique qui sera repris plusieurs fois à Mogador entre 1926 et 1966.

     

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    Henri Varna va perpétuer l’héritage des frères Isola en prenant la direction du Théâtre Mogador entre 1940 et 1969. Sous sa houlette, Marcel Merkès et Paulette Merval forment le couple numéro un de l’opérette à partir de 1947, avec notamment « Rêve de Valse ». Après lui, le théâtre se cherche un second souffle. On peut y croiser Annie Cordy en « Hello Dolly » en 1972.

    C’est ainsi que Mogador commence à accueillir d’autres types d’événements artistiques au début des années 80, entre les concerts des Clash ou d’Higelin en 1981, jusqu’aux spectacles de Jérôme Savary. Le metteur en scène élira ainsi domicile à Mogador avec son « Cyrano de Bergerac » en 1983. Une grande dame est aussi passée par ici… Barbara. La chanteuse y fit d’ailleurs ses débuts comme choriste à 17 ans, dans la pièce « Violettes Impériales » de Vincent Scotto. Elle revient à Mogador en 1990, pour trois mois de concerts. Mogador était le théâtre de Barbara, et c’est grâce à elle qu’il fut classé monument historique.

     

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    Avec les années 90, c’est le retour aux sources pour le Théâtre Mogador, qui devient le repère parisien de la comédie musicale, entre « La Légende de Jimmy », « Les Misérables », « Cabaret », « Starmania » ou encore « Notre-Dame de Paris », avec un modèle de spectacle adapté spécifiquement aux goûts du public français, alliant des numéros musicaux et des tubes qui s’enchaînent.

    En 2007, la version française du succès mondial « Le Roi Lion » est présentée pour la première fois au Théâtre Mogador, ouvrant la voie à d’autres mastodontes tels que « Mamma Mia! », « Sister Act », « Grease » ou encore le légendaire « Cats » de Broadway. Un autre nom de comédie musicale emblématique s’étale aujourd’hui en grosses lettres au fronton du Théâtre Mogador, « Chicago, le Musical ».

     

    « Chicago a véritablement révolutionné Broadway. Ça n’est pas pour rien que ce spectacle est un record absolu de longévité. A l’époque où il fut créé, en 1975, le chorégraphe américain Bob Fosse jouissait déjà d’une énorme réputation, pour avoir mis en scène certains des plus grands succès de la comédie musicale. » (Laurent Bentata)

     

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    ✓ « Chicago, le Musical », mis en scène de Ann Reinking et Véronique Bandelier, jusqu’au 30 juin au Théâtre Mogador.

     

     

     

  • Le Festival de Cannes… à Orléans.

     

     

    C’est une idée pour le moins originale… Le Comité Jean Zay (Ministre de l’Education et des Beaux-Arts orléanais, à l’initiative de la création du Festival de Cannes en 1939) organisera en novembre 2019 la fameuse première édition du Festival, annulée à cause du début de la seconde guerre mondiale. 

     

    Les films sélectionnés à l’époque seront projetés à Orléans, parmi lesquels « Le Magicien d’Oz » avec Judy Garland ou « La Loi du Nord » avec Michèle Morgan. Un jury établira un palmarès, comme tous les ans sur la Croisette depuis 1946. 

    Assassiné en 1944, Jean Zay n’avait finalement pas pu voir son idée de festival de cinéma international devenir réalité. 

     

     

     

    Tout avait pourtant si bien commencé…

    En Septembre 1939, après plusieurs mois de discussions diplomatiques et de négociations économiques, la ville de Cannes est prête à accueillir son premier Festival international du Film. Mais ce qui aurait dû être un rassemblement cinématographique « du monde libre », pour contrer les dérives totalitaires ressenties à la Mostra de Venise de 1938, sera finalement rattrapé par l’Histoire…

    Un mois avant le début de la manifestation, les stars et les touristes commencent à affluer sur la Croisette. La MGM affrète un transatlantique avec, à son bord, les plus grandes vedettes américaines de l’époque : Tyrone Power, Gary Cooper, Douglas Fairbanks ou encore Norma Shearer. Louis Lumière, Fernandel et la Duchesse de Windsor sont également présents.

    Dans cette archive audio, Jean Zay explique les missions du Festival en devenir et expose le déroulé de la manifestation. Dîner d’inauguration, Nuit du Cinéma, Dîner de l’élégance et autres réjouissances sont au programme.

     

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    Le premier Festival International du film de Cannes est à la veille de son inauguration, les fêtes battent leur plein et les invités vivent au rythme de la Dolce Vita méditerranéenne. Le Palm Beach et les villas accueillent les touristes aristocrates et les illustres résidents Cannois. Le Comte d’Herbemont, chargé des festivités, prévoit un calendrier mondain pour la durée du Festival et, avant le début de la manifestation, organise une fabuleuse soirée à l’Eden Roc.

    La haute société se presse également au Bal des Petits Lits Blancs, gala caritatif au profit des enfants atteints de tuberculose. Ce soir-là, alors que Fernandel se prépare en coulisses, un violent orage éclate au-dessus de la Croisette, comme pour annoncer les événements aux portes de la France.

     

     

     

    1er septembre : invasion de la Pologne à la date prévue de l’inauguration du Festival

    D’abord retardé en raison des circonstances internationales, le Festival est officiellement annulé le 27 août 1939. En effet, la signature du pacte germano-soviétique le 23 août a sonné le glas des festivités et la ville a commencé à se vider aussi rapidement qu’elle s’était remplie. Le 1er septembre, date prévue de l’inauguration du Festival, les troupes allemandes envahissent la Pologne.

    Le 3 septembre, la guerre est déclarée. Les 26 films qui composent la Sélection 1939 ne rencontreront jamais leur public à Cannes. Seule projection à être maintenue en privé malgré la situation : « Quasimodo » (« The Hunchback of Notre-Dame ») de William Dieterle, pour lequel les Américains ont construit une reproduction de Notre Dame en carton-pâte sur la plage.

    En 1958, Philippe Erlanger, initiateur du Festival de Cannes, reviendra sur la gestation de la manifestation et le spectre de l’édition 1939 auprès de François Chalais, journaliste indissociable de la légende cannoise tant ses « Reflets de Cannes » ont forgé la mythologie de l’évènement.

     

    La Palme d’or 1939 décernée en 2002

    En 2002, Le Festival décide de rendre hommage à cette édition laissée dans l’ombre de son histoire. Sept titres de la Sélection de l’époque sont projetés, parmi lesquels « Le Magicien d’Oz » de Victor Fleming. Un Jury nommé pour l’occasion sous la présidence de l’écrivain Jean d’Ormesson et composé de Dieter Kosslick, directeur du Festival de Berlin, Alberto Barbera, directeur de Festivals en Italie (directeur artistique de la Mostra de Venise depuis 2012, la boucle est bouclée !), Lia Van Leer, directrice du Festival de Jérusalem, Ferid Boughedir, réalisateur tunisien et Raymond Chirat, historien du Cinéma, est chargé d’attribuer le Palmarès du Festival 1939.

    Avec 63 ans de retard, donc, la Palme d’or est décernée à l’unanimité à « Pacific Express » (« Union Pacific ») de Cecil B. DeMille, dont le titre fait écho au projet initial du Festival « de créer entre tous les pays producteurs de films un esprit de collaboration ». Non sans humour, le Jury rend également hommage « à deux espoirs féminins pour lesquels il forme des vœux chaleureux et confiants et auxquels il ose promettre une grande carrière, Judy Garland dans « Le Magicien d’Oz » (« The Wizard of Oz ») de Victor Fleming et Michèle Morgan dans « La Loi du Nord » de Jacques Feyder… »

     

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  • Rétrospective Michel Deville à la Cinémathèque Française

     

     

    Contemporain de la Nouvelle Vague mais suivant résolument une voie singulière, Michel Deville s’est amusé avec sérieux, en quelque trente longs métrages, à expérimenter et explorer les ressources infinies de l’imaginaire et du sentiment amoureux (« Ce soir ou jamais », « Benjamin ou les Mémoires d’un puceau »). Libre et inventif (« Le Paltoquet », « La Lectrice »), il donne libre cours à son pessimisme dans des films politiques (« Le Dossier 51 ») et des adaptations sombres et vénéneuses de récits policiers (« Eaux Profondes », « Péril en la Demeure »).

     

    LE JEU DE L’AMOUR ET DU CINÉMA

    Le lundi treize avril mille neuf cent trente et un
    Souriant je suis né
    Ce n’est pas vraiment
    Un événement Extraordinaire
    Pourtant j’étais fier
    De commencer ma vie par un alexandrin

     

    C’est dans « Vous désirez ? », un de la douzaine de recueils de poèmes publiés par Michel Deville, que l’on trouve ce faire-part de naissance dont le caractère ludique reflète un des aspects de son art.

    Il est donc l’exact contemporain de Chabrol, de Godard, de Truffaut, et a fait ses débuts à moins de trente ans avec « Ce soir ou Jamais », sans toutefois appartenir à la Nouvelle Vague. Il en partage néanmoins l’esprit, avec son tournage rapide, son refus de l’intrigue, sa révélation de jeunes comédiens, sa légèreté d’esprit et son goût des jolies femmes, comme s’il appliquait la définition de Jean-George Auriol souvent attribuée à Truffaut : « Le cinéma, c’est l’art de faire faire de jolies choses à de jolies femmes ».

    Deville, avec ses deux premiers films (le deuxième sera « Adorable Menteuse »), réussit l’exploit de réconcilier trois tendances affirmées de la critique française de l’époque. « Positif » avec Gérard Legrand, « Présence du Cinéma » avec Michel Déon, puis Claude-Jean Philippe, les « Cahiers du Cinéma » avec Jean Douchet, puis Luc Moullet, célèbrent le nouveau venu. Pour Douchet, « il réussit cette alliance réputée impossible : une comédie typiquement française dans un style de comédie américaine ».

     

    DE L’AUDACE, ENCORE DE L’AUDACE

    Deville se forme à l’assistanat aux côtés d’Henri Decoin à partir de « La Vérité sur Bébé Donge », quand il a tout juste vingt ans. Il apprécie l’éclectisme de son mentor, sa maîtrise technique, son admiration pour Hollywood et son goût des actrices. Il va pourtant construire une œuvre singulière, riche en expérimentations, d’une variété parfois déroutante et propre à interloquer certains commentateurs friands d’étiquettes. Il saura rallier les suffrages tant de ses confrères (Césars pour « Le Dossier 51 » et « Péril en la Demeure ») que de la critique (Prix Delluc pour « Benjamin ou les mémoires d’un puceau » et « La Lectrice » ; Prix des Critiques pour « Le Dossier 51 », « Péril en la Demeure » ou « La Maladie de Sachs ») et du public avec de grands succès comme « Benjamin… » ou « Eaux Profondes ».

    Il est d’usage, et non sans raison, de distinguer dans sa filmographie une dizaine d’œuvres écrites avec Nina Companeez, puis, après des collaborations diverses, une dizaine d’autres avec Rosalinde Deville, mais les motifs d’inspiration et la diversité des projets révèlent une création plus complexe que cette approche binaire. Chez Deville comme chez Resnais, la forme fait partie du propos et la façon de raconter l’histoire est aussi importante que l’histoire elle-même. Ce sont deux expérimentateurs qui éloignent le cinéma français de sa veine réaliste dominante (voire naturaliste) avec leur désir de surprendre, et avant tout de se surprendre eux-mêmes, qui est comme le moteur de leur créativité.

    Tous deux accordent une place primordiale au texte, à l’image, à la musique, en une concordance fructueuse avec les autres arts. Resnais privilégiait pour la musique des partitions originales, et Deville, le plus souvent, des œuvres déjà enregistrées en choisissant un ou deux musiciens pour chaque film dont l’œuvre est intimement liée à la tonalité du récit, sans être jamais pléonastique (Bellini pour « Raphaël ou le Débauché », Rossini pour « L’Ours et la Poupée », Schubert et Bartók pour « La Femme en Bleu », Saint-Saëns pour « Le Mouton Enragé », Bizet pour « L’Apprenti Salaud », De Falla pour « Eaux Profondes »).

     

    À CONTRE-PIED (DE NEZ)

    Ses premiers films sont placés sous le signe de Marivaux et de Musset, comme autant de jeux de l’amour et du hasard. Tous contemporains, ils évoquent les XVIIIème et XIXème siècles. Dans « Ce soir ou Jamais », les personnages s’aiment mais n’osent se le dire, alors ils font semblant de ne pas s’aimer. Dans « L’Ours et la Poupée », l’un des meilleurs rôles de Brigitte Bardot, brillante, désinvolte, écervelée, l’héroïne poursuit un homme (Jean-Pierre Cassel) de ses assiduités. Nulle surprise à ce que ses personnages se retrouvent en costumes du XVIIIème siècle (Benjamin) ou du XIXe (Raphaël). Avec ce dernier film, encore écrit avec Companeez, l’atmosphère se fait plus sombre, comme avec « Le Mouton Enragé » ou « L’Apprenti Salaud », où affleurent la cruauté et le cynisme comme si un contemporain plus dur faisait irruption dans l’univers du metteur en scène.

    Toujours en dehors des modes, des snobismes, des coteries, il va désormais organiser son travail autour de trois axes bien définis par le critique Yannick Mouren. D’abord les défis que lui présentent des œuvres apparemment inadaptables. « Le Dossier 51 », un récit de Gilles Perrault qui est un recueil de fiches, de notes de service, de rapports dans le monde de l’espionnage, sans possibilité d’identification ; « La Lectrice », mise en images de l’imaginaire d’une jeune femme lorsqu’elle est en train de lire le roman de Raymond Jean ; « La Maladie de Sachs », la fiction documentée de Martin Winckler, portrait diffracté d’un médecin vu par des narrateurs différents.

     

    EXPÉRIENCES ET JEUX DE L’ESPRIT

    Dans une autre série se retrouvent des films réalisés à partir de contraintes formelles comme on en trouve dans les œuvres de l’Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle) signées Perec, Calvino ou Roubaud. Ce sont tous des scénarios originaux, comme celui de « La Petite Bande », où le cinéaste se prive de la parole pour narrer l’escapade en France d’un groupe de jeunes Anglais ; ou celui du « Voyage en Douce », fugue de Géraldine Chaplin et Dominique Sanda dans le Midi de la France, à partir d’éléments proposés par quinze écrivains ; ou encore de « Nuit d’été en ville », huis clos où un couple (Marie Trintignant et Jean-Hugues Anglade) se débat avec ses problèmes ; et aussi de « La Femme en Bleu » avec son intrigue minimaliste : un homme à la recherche d’une femme vêtue de bleu (Michel Piccoli, Lea Massari).

    Un troisième groupe de films est constitué d’adaptations de polars qui tournent autour de la manipulation et du voyeurisme, de « L’Apprenti Salaud » au « Mouton Enragé », d’« Eaux Profondes » à « Péril en la Demeure », du « Paltoquet » à « Toutes Peines Confondues ». Par le biais de récits policiers, Deville retrouve son goût pour les mécanismes fictionnels et le principe de jeu. C’est son esprit ludique qui lui fait opter pour la fragilité des intrigues, pour le balancement entre frivolité et gravité, pour les ellipses et un rythme souvent allègre. Il l’avoue lui-même : « Je n’aime pas ce qui se prend trop au sérieux ; c’est un trait de mon caractère ».

    Est-ce ce balancement entre l’être, le paraître, entre la réalité et les apparences, qui le rend si proche des comédiens dont il tire le meilleur d’eux-mêmes ? En quarante-cinq ans de carrière, de 1960 à 2003, c’est tout le gotha du cinéma français (et nombre de découvertes) qui a donné chair aux rêves et aux fantasmes du cinéaste. Si le film de ses débuts, « Ce soir ou Jamais », était un modèle de musique de chambre, le magnifique antépénultième « Un monde presque paisible » fait montre de la même précision, de la même justesse, de la même simplicité pour évoquer le retour à la vie de rescapés des camps dans un atelier de confection parisien. Un maître de la sophistication peut être aussi celui du plus grand dépouillement.

     

    Michel Ciment

     

    [arve url= »https://vimeo.com/329093676″ align= »center » title= »Rétrospective Michel Deville à la Cinémathèque Française » description= »Michel Deville » maxwidth= »900″ /]

     

     

    « Rétrospective Michel Deville » à la Cinémathèque Française, du 09 au 26 mai 2019

     

     

     

  • Eric Reinhardt : « L’Amour et les Forêts » (2014)

     

     

    Contrairement à la première fois où j’ai dévoré « L’Amour et les Forêts » de l’esthète Eric Reinhardt, sorti en 2014 et couronné de nombreux prix, je n’ai pas pleuré comme une madeleine à la fin des quelque 500 pages.

     

    Le sujet du roman « L’Amour et les Forêts » d’Eric Reinhardt n’est pas sans rappeler celui fort médiatisé des derniers Césars avec le film « Jusqu’à la Garde », qui a distingué la frêle Léa Drucker et salué la proposition de l’imposant Denis Ménochet. Pour autant, la fiction romanesque dépeinte par l’auteur évoque, avec force descriptions et adjectifs colorés, l’inexorable descente aux enfers de Bénédicte Ombredanne. Rien que le nom de cette jeune agrégée de lettres, mariée, deux enfants, vivant à Nancy, n’a pas été laissé au hasard…

    En effet, il s’agit ni plus ni moins que d’une femme ordinaire, commune et humble, telle la voisine de palier parfaite, qui mène une vie sans histoires mais sait parfaitement exalter sa nature endormie en s’enthousiasmant sur les livres de l’auteur. Elle lui écrit son admiration. Contrairement à ses habitudes, il va la rencontrer et petit à petit, elle va s’ouvrir sur son quotidien morne, ses enfants à qui elle sacrifie tout… mais aussi et surtout son mari, qui a sur elle un ascendant morbide composé de vexations quotidiennes, d’humiliations verbales et de harcèlement moral, de jour comme de nuit.

    De fil en aiguille, elle se rebelle contre ce carcan qui l’étouffe, va s’encanailler sur les sites de rencontre, poussée à bout par un homme qui la dévalorise tant qu’elle a l’impression de faire partie du décor. Il est obsédé par le budget du ménage, consigne le moindre détail ; il a également des problèmes relationnels avec ses collègues, mais elle couvre tout pour sauvegarder les apparences d’une famille unie.

    Sa rencontre avec un antiquaire bourru mais délicat, un après-midi de février en lisière d’une forêt, va littéralement enflammer Bénédicte Ombredanne, mais elle devra en payer un lourd tribut durant les mois qui suivent. A la façon d’Emma Bovary, elle s’épanche avec passion, mais elle ne s’autorise pas le bonheur d’une nouvelle vie.

    On en apprend plus sur son environnement familial et ses jeunes années, entachées d’une violente peine de coeur, qui a véritablement brisé son élan de jeune femme enjouée. Finalement, ce choix, celui de se mettre à l’abri pour moins souffrir, va l’offrir à la merci d’un homme qui ne s’estime pas assez bien pour elle, et lui fait subir mille outrages, non par les coups mais par les paroles, qui l’agressent et la blessent plus sûrement, en la dévalorisant complètement.

    Cette vie, telle qu’aurait pu la décrire Maupassant à son époque, a été gâchée par un homme médiocre, sans ambition, alors que Bénédicte Ombredanne aurait pu avoir un magnifique destin. Ce qui touche particulièrement dans ce récit romanesque, qui a fait polémique pour cause de soupçon de plagiat à sa sortie, c’est qu’il dépeint précisément, comme s’il pénétrait dans l’intimité par un trou de souris, la vie de nos propres collègues ou de nos voisins.

    Comment peut-on arriver à sombrer de la sorte, en bernant son entourage, pour sauver les apparences ? les violences faites aux femmes peuvent prendre de multiples formes, mais assurément le martel psychologique des pervers manipulateurs est le plus insidieux et le moins visible d’entre tous.

    Comment combattre au quotidien, avec rage, ce qui marque et dévalorise durablement ? En étant plus à l’écoute, en alerte et toujours vigilant ? Mais est-ce suffisant, dans la mesure où il est impossible de quantifier le nombre des victimes ? Par peur du jugement méprisant de la société, ces personnes ne montrent rien, si ce n’est des stigmates qu’on appelle désormais la somatisation, signe que la fameuse charge mentale est au-dessus de leurs forces.

    Le magnifique livre d’Eric Reinhard se termine par un dialogue poétique (et fantasmé, car il ouvre le champ des possibles avec son amant…) d’une Bénédicte Ombredanne libérée de toute entrave, prête à vivre, tout simplement…

     

    Photo à la Une © Martin Bureau / AFP

     

     

     

     

     

  • Agnès Varda : Entretien avec une icône du 7ème Art

     

     

    Agnès Varda nous a quittés le 29 mars. Face aux images de sa vie, elle revient sur son parcours, ses combats, et répond aux questions de Pierre Michel.

     

    Agnès Varda, c’est 64 ans de cinéma, 01 coupe au bol, 12 longs-métrages, 17 documentaires, 14 courts-métrages, 03 Césars, 01 Palme d’Honneur, 01 Oscar d’Honneur.

    Agnès Varda, c’est aussi trois métiers : cinéaste, photographe et plasticienne… C’est aussi « Cléo de 5 à 7 », « Les 101 Nuits de Simon Cinéma ». Agnès Varda, c’est des visages, des villages, mais aussi des plages, Knokke-le-Zout, Sète ou Los Angeles. Agnès Varda, c’est une rue, Mouffetard, un chat… enfin, deux chats, un jardin à Bruxelles, deux enfants dans une cour intérieure Rue Daguerre, Paris 14ème.

     

    [arve url= »https://vimeo.com/256883028″ align= »center » title= »Agnès Varda : « Cléo de 5 à 7 » (1962) » description= »Agnès Varda » maxwidth= »864″ /]

     

    « Pialat m’a fait naître, et Varda m’a fait exister. » (Sandrine Bonnaire)

     

    En fin d’année dernière, un hommage lui était rendu au Festival International du Film de Marrakech. Et fin 2017, un Oscar d’honneur lui était décerné, récompense qu’elle est la première femme réalisatrice à recevoir : « Ce qui est impressionnant chez Varda, c’est qu’elle a plusieurs vies de cinéaste. » (Frédéric Bonnaud, Directeur de la Cinémathèque Française)

     

    Pour quelqu’un qui ne voulait pas vraiment faire carrière, vous vous êtes plutôt pas mal débrouillée ?

    « Ça n’est pas du tout une histoire de se débrouiller… Ça n’est pas moi qui ai cherché les honneurs. Dans mon petit discours aux Oscars, j’ai presque fait rire, en disant que je n’avais jamais fait gagner d’argent à aucun producteur. Mais mes films existent, c’est un fait. Ce sont mes films qu’ils ont récompensés. Et évidemment, j’en suis très fière. »

     

    [youtube id= »QXsBmlc9sBA » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    Petit flash-back. Nous vous retrouvons en 1964, quand un journaliste vous pose une question qu’il avait aussi posée à Jacques Demy, votre mari : « Jacques Demy nous a dit que pour lui, le bonheur était une donnée qu’il fallait défendre, et que la dramatisation du bonheur, c’était la défense du bonheur ». Et pour vous ?

    « C’est drôle… Non, pour moi, c’est un cadeau, le bonheur. Je veux dire par là que ça vient en plus. Vous avez des gens qui ont en eux tous les éléments du bonheur et qui ne sont pas heureux. Et vous avez des gens qui n’ont pas de quoi être heureux et qui le sont. »

    « C’est ce que je disais à cette époque. Mais ça reste vrai. Même à l’âge que j’ai et avec les difficultés que je connais, ressentir des instants de bonheur, ou un peu plus que des instants, c’est un don qu’on a ou qu’on n’a pas… Ça peut être presque rien, une rencontre, un paysage, et d’un coup, on est habité par la beauté du monde. Et moi, j’ai le bonheur d’avoir ce don… »

     

    Ça n’est pas votre seul don, d’ailleurs… Vous êtes une filmeuse, une filmeuse de femmes, mais pas que… Vous les avez filmées en noir, en blanc, de profil comme de face. Vous les avez filmées hautes en couleur et en musique. Les femmes, vous les avez montrées jeunes, vieilles. Vous avez filmé des femmes démunies, voire dénudées, en chair comme en pierre. Alors une question : est-ce que vous pensez faire un cinéma de femmes, ou tout simplement être une femme cinéaste ?

    « Je pense être une cinéaste, qui est femme. Il y a des hommes qui font de très beaux films sur les femmes, et il y a des femmes qui parlent des femmes, si elles veulent. Je ne suis pas dans les ghettos, moi… Je suis pour un cinéma actif, inventif. »

     

    Parlons réalisation, maintenant. Quand vous avez commencé au sein de la Nouvelle Vague, au milieu des Truffaut, Chabrol, Rivette ou Godard, vous étiez la seule femme, et pourtant vous avez déclaré : « métier d’homme, ça ne veut rien dire… Un métier d’homme, ce serait un métier qu’une femme ne peut pas exercer, et ces métiers, il y en a vraiment peu… » (Agnès Varda, 1978)

    « Les metteurs en scène, ils ne font rien. On leur demande juste d’être sur le coup, on leur demande de penser au film et d’avoir une vision aigüe. » (Agnès Varda, 1964)

    « Il faudra faire face dans très peu de temps à un phénomène complètement naturel, à savoir quand il y aura autant de femmes cinéastes que d’hommes cinéastes. » (Agnès Varda, 1978)

     

    Alors, en 2019, et pour n’en citer que quelques-unes, nous avons donc les Emmanuelle Bercot, Valérie Donzelli, Maïwenn, Catherine Corsini, Agnès Jaoui, Julie Delpy, Houda Benyamina, Céline Dorski, Noemi Lowski, Claire Burger, Jeanne Herry, et quand on voit toutes ces femmes, ça vous inspire quoi ?

    « Ça me fait vraiment plaisir. Quand j’ai commencé, il y avait déjà des femmes qui travaillaient. Moi, je me suis retrouvée dans la lumière, parce que j’ai fait quelque chose de tellement radical que j’ai été classée dans la Nouvelle Vague. Maintenant, je suis un peu la potiche des femmes cinéastes. On me met souvent devant, un peu trop, d’ailleurs, parce que parmi ces femmes-là, il y en a qui ont vraiment beaucoup de talent. »

     

    Comment on en vient à croiser la route de Jim Morrison ?

    « On avait un ami commun. Lui aussi avait fait ses études de cinéma à UCLA. Et comme Jacques Demy et moi, on représentait les petits nouveaux de la Nouvelle Vague, parce que ça n’était pas encore arrivé à Los Angeles, et comme on a commencé quatre ou cinq ans avant Spielberg, Coppola et toute cette génération de réalisateurs, Jim était content de faire notre connaissance. Quelques années plus tard, il s’est installé à Paris et on se voyait, tranquillement. Il venait dans ma cuisine, on discutait, avec Jacques. Mon regret, c’est de ne jamais avoir fait de photo de lui, ni à Los Angeles, ni à la maison… Mais tous les gens l’embêtaient tellement avec ça. J’ai préféré malgré tout garder cette distance, ce respect. C’était un être exceptionnel. »

     

    [arve url= »https://www.dailymotion.com/video/x1ht6xk » align= »center » title= »Agnès Varda : « Cléo 5 à 7 » : Extrait 2 avec Jean-Luc Godard et Anna Karina » description= »Agnès Varda » maxwidth= »900″ /]

     

     

    On est de retour avec vous, Agnès Varda, et on avait un petit extrait de « Cléo de 5 à 7 » à vous montrer… Dans votre vie, il y a eu des femmes, mais aussi des hommes. Il y a eu vos compagnons, Antoine Bourseiller, le père de Rosalie, et bien-sûr Jacques Demy, votre mari, le père de Mathieu. Il y eut aussi des initiales célèbres, JLG pour Jean-Luc Godard, et JR pour… JR. Deux hommes aux lunettes fumées, même si dans votre premier long-métrage, JLG avait accepté de les enlever.

    « Ça, c’est un sketch à l’intérieur de Cléo… J’avais peur que le sujet soit trop sérieux. Cette femme en danger de mort. Alors j’ai inséré ce petit clip au milieu. Et Jean-Luc et Anna, qui étaient adorables, ont accepté de le faire. Et puis Jean-Luc, je l’ai beaucoup aimé. On était très amis, Jacques Demy, Anna Karina, lui et moi. Puis on s’est perdu de vue, comme ça arrive souvent dans la vie. Avec Jean-Luc, on a failli se retrouver dans « Visages, Villages ». Il n’a pas ouvert la porte, mais je l’aime quand même. »

     

    Si vous le voulez bien, on va arriver chez un jeune premier, Harrison Ford.

    « Harrison Ford… Quand on l’a rencontré, on l’a trouvé tellement sympathique, intelligent. Jacques m’a demandé de faire des essais pour lui, parce qu’il voulait le mettre dans Model Shop avec Anouk Aimée. Et la Columbia a refusé, en disant que ce gars n’avait aucun avenir. Jacques était très déçu mais on est resté ami. Jacques Demy l’avait repéré, il avait confiance en lui et il était convaincu qu’il ferait quelque chose. Harrison a dit que ça l’avait aidé à patienter pendant quatre ou cinq ans, le temps qu’on lui donne sa chance, car il savait qu’un grand metteur en scène trouvait qu’il avait du talent. »

     

    On retourne aux Etats-Unis avec votre documentaire « Murs, Murs » en 1982.

    « Vous savez, c’est ma façon de faire du documentaire. Approcher au plus près le sujet. Là, le sujet, ce sont ces « murals » qui sont peints sur les murs. J’ai toujours été très curieuse des gens et de leurs oeuvres. J’ai fait ce documentaire très attentivement. J’ai passé plusieurs mois non seulement à trouver les murals intéressants, mais aussi à découvrir qui les avait réalisés. Il n’y avait pas d’intérêt pour ça à l’époque. Souvent, ils n’étaient même pas signés. Avec ce film, j’ai rendu aux auteurs leurs droits d’artiste. »

     

    [youtube id= »zKGI5FMhQqE » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    35 ans plus tard, vous collaborez avec JR, et cette fois, vous faites vous aussi des murals. Et dans « Visages, Villages », c’est vous qui affichez en grand tous ces visages.

    « Avec ce film, c’était l’idée qu’on en a marre de voir des gens qui ont toujours quelque chose à vendre. Alors qu’il faudrait plutôt qu’on mette à l’honneur des gens simples, des gens de la rue. Le facteur dans le film, c’est un exemple de ceux que j’ai envie de mettre en avant. Si j’ai encore envie de filmer, c’est pour capturer des moments, des instants avec des gens simples, qui n’ont pas forcément beaucoup de choses à dire, mais qui dans leur comportement, dans leur rapport à l’autre, sont beaux. »

     

    Agnès Varda s’en est allée et nous a laissés sans Varda… Au revoir et merci…

     

    Propos recueillis par Pierre Michel pour Tchi Tcha

     

     

     

     

     

  • Ça C’est du Rock Ep. #01 : « Satisfaction, cinq notes qui ont ébranlé le monde »

     

     

    Découvrez la toute première chronique vidéo de la chaîne YouTube « Ça C’est du Rock », intitulée « Cinq notes qui ont ébranlé le monde, Satisfaction des Rolling Stones », qui nous replonge en 1965, lorsque que « Satisfaction » des Rolling Stones passe du statut de son de l’été à véritable hymne musical de toute une génération…

     

     

     

    « L’histoire du rock, de ses origines, au milieu des années 50, à nos jours, n’a cessé d’apporter à chacun de ses moments-clefs une brique de plus à l’édifice imposant qui était en train de se construire. »

     

    Dans cet épisode #01 de la saga « Ça C’est du Rock », Jo Valens revient sur « l’une de ces petites histoires qui font la grande ». En 1965, « Satisfaction » est le premier single des Stones à s’immiscer à la première place des Charts anglais et américains, et devient vite le son de l’été 65…

     

     

     

    « Keith Richards est obsédé par cette phrase à double négation tirée du Thirty Days de Chuck Berry. »

     

    Tandis que les Beatles finissent d’enregistrer leur album « Help » et n’ont toujours pas sorti de titre réellement contestataire comme ils le feront par la suite, « Satisfaction », quant à elle, devient la chanson la plus subversive de son temps et sera même considérée comme le symbole d’une jeunesse américaine désabusée et enrôlée dans les guerres de ses aînés.

    La puissance de « Satisfaction » réside en seulement trois petites notes de guitare, mais quelles notes ! Trois accords de génie repris dans tous les styles, à tous les tempos, dans tous les pays et depuis plus de 50 ans. Ce sont les notes les plus célèbres du monde…

     

    [youtube id= »YZP4MUUwvzw » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

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  • Soundbreaking : La grande aventure de la musique enregistrée (6/6)

     

     

    Enregistrer la musique : une passionnante aventure artistique et technologique de plus d’un siècle dont Soundbreaking raconte en six heures les plus belles pages, avec la participation de tous les grands noms de la musique populaire et sur une bande-son d’anthologie.

     

    Passionnante aventure artistique et technologique, la mise au point de l’enregistrement de la musique s’est déroulée sur plus d’un siècle.

    Avènement du multipistes, rôle du producteur, rendu de la voix, révolution numérique… Sur une bande-son d’anthologie, « Soundbreaking » (titre qui joue sur les mots « sound » et « groundbreaking », en français « révolutionnaire » ou « novateur ») raconte les plus belles pages de cette épopée, avec la participation de grands noms de la musique, d’Elton John à Catherine Ringer, de Christina Aguilera à Annie Lennox, de Tony Visconti, le producteur de David Bowie, à Nigel Godrich, celui de Radiohead.

    Diffusée en novembre 2016 sur la chaîne américaine PBS, la passionnante série documentaire française « Soundbreaking » rend donc hommage aux grands producteurs et autres hommes de l’ombre des studios d’enregistrement. Arte proposait en février 2017 les épisodes de cette fascinante saga comprenant des entretiens avec plus de 150 musiciens et artistes, dont Nile Rodgers, Quincy Jones, Questlove, Jimmy Jam et Chuck D. et de nombreuses images d’archives. Dans le premier épisode d’une série de six rendez-vous de 52 minutes, Stevie Wonder est également salué en compagnie de ses producteurs Malcolm Cecil et Bob Margouleff, co-auteur des révolutionnaires « Talking Book » et « Innervisions ».

    En six épisodes, « Soundbreaking » retrace ainsi la formidable épopée artistique et technologique de la musique.

     

    Soundbreaking – La grande aventure de la musique enregistrée (6/6)

     

    La technique du sampling, qui consiste à prélever un échantillon d’une composition musicale pour l’insérer dans une nouvelle, souvent en boucle, représente certainement le plus grand bouleversement qu’ait connu la musique ces quarante dernières années.

    Présent dans le dub jamaïcain, le funk et le disco, le sampling est d’abord l’œuvre des musiciens de hip-hop. Acteurs majeurs de cette révolution, Afrika Bambaataa, Darryl McDaniels, Run-D.M.C., Chuck D, Public Enemy, Adam Horovitz, Beastie Boys, RZA, Wu-Tang Clan, ou encore Akhenaton défendent ici cette pratique, presque impossible aujourd’hui, l’industrie musicale la considérant comme du vol. Pourtant, au-delà du hip-hop, d’autres artistes la plébiscitent, comme Jean-Michel Jarre ou Moby, qui témoignent également.

     

    [youtube id= »F1q-jenSB40″ align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    [arve url= »https://www.dailymotion.com/video/x5txyzl » align= »center » title= »Soundbreaking 6/6 – La grande aventure de la musique enregistrée : Générations Sample (2017) » description= »Soundbreaking » maxwidth= »900″ /]

     

     

    Fiche Technique :

    Auteurs : Maro Chermayeff,  Romain Pieri
    Réalisation : Christine Le Goff
    Producteurs : Ma Drogue A Moi, Show Of Force
    Coproducteur : ARTE France

     

     

     

  • Ça C’est du Rock, Episode #11 : « Aux origines du Mal, Sympathy For The Devil »

     

     

    Découvrez la toute dernière chronique vidéo de la chaîne YouTube « Ça C’est du Rock », intitulée « Aux origines du Mal, Sympathy For The Devil des Rolling Stones », qui nous replonge en 1967 et 1968, lorsque que le rock commença à frayer d’un peu trop près avec le Diable.

     

    En épigraphe, une citation de David Bowie : « Le Rock a toujours été la musique du Diable. Je sens que nous ne faisons que proclamer quelque chose de plus ténébreux que nous-mêmes. »

     

     

     

    « 1967 est une année charnière dans l’histoire de la musique. Une année bénie durant laquelle la scène rock voit se révéler mois après mois des opus qui vont devenir des classiques parmi les classiques… »

     

    Dans cet épisode #11 de la saga « Ça C’est du Rock », Jo Valens revient sur « l’une de ces petites histoires qui font la grande ». En 1967, tandis que les Beatles, considérés comme les gendres idéaux par la moitié de la gente féminine d’Angleterre, étaient reçus par la reine à Buckingham Palace deux ans plus tôt, Mick Jagger et Keith Richards purgent des peines de prison ferme pour détention et usage de cannabis. Il n’en faut pas plus pour façonner l’image des Rolling Stones durablement et les présenter comme « une bande de sales gosses malfaisants »…

     

    « Il ne peut pas y avoir qu’un seul groupe de rock en Angleterre. » (Andrew Oldham)

     

    Ce qui n’a pas tué les Stones les a rendus plus forts… Et c’est presque naturellement qu’ils vont introduire dans leur musique la figure qui leur colle depuis le plus à la peau : celle du Mal… Voici donc l’histoire de l’irrévérence des Rolling Stones. Après les années idylliques, 1968 est celle où les idéaux de la contre-culture s’étiolent à jamais. Le temps des illusions perdues…

     

    [youtube id= »qJqka8eFIh0″ align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

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