Catégorie : Culture

  • Vladimir Cosma, la petite musique de notre enfance

     

     

    Cette enfance… Pour toutes celles et ceux qui ont grandi, biberonnés à Pierre Tchernia, Jacques Rouland et leurs émissions « Monsieur Cinéma » puis « Mardi Cinéma », « La Séquence du Spectateur » ou « Le Film du Dimanche Soir », dont le jingle en préambule, composé justement par Cosma, déroulait une musique aux accents disco et tonitruants, avec ces étoiles qui semblaient traverser la lucarne du téléviseur et annonçaient une super soirée en perspective… Cette enfance avait ce parfum doux et sucré qu’ont les desserts et la crème fouettée.

     

    Car ces émissions constituaient des rendez-vous incontournables, en mettant à l’affiche tous ces films populaires et grand public sortis à cette époque bénie. Tout au plus une quinzaine d’années, comme une parenthèse enchantée, durant laquelle Jean-Paul Belmondo, Pierre Richard et Louis de Funès tenaient invariablement le haut du pavé. Chacune de leurs apparitions au cinéma, puis à la télévision, attirait ainsi les foules dans les salles ou devant leur poste. Des noms qui devenaient magiques, à leur seule évocation par les speakerines ou Michel Drucker…

    « Les Aventures de Rabbi Jacob », « L’Aile ou la Cuisse », « L’Animal », « Le Distrait »… On se souvient de tous ces films, qu’ils eussent été bons ou médiocres, déjà pour leur générique ; une musique, un ton, ces mélodies accrocheuses dès la première écoute, et souvent le même nom derrière toutes ces compositions : Vladimir Cosma. Avec ces films, c’était toujours la promesse d’une fête, d’une irrésistible joie conférée, un moment où notre rire devenait un antidote.

     

    [youtube id= »4Yw9apKUNWY » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    Vladimir Cosma, violoniste d’origine roumaine, issu de surcroît d’une grande famille de musiciens, aurait pu se contenter d’exercer une activité plus prestigieuse et surtout moins hasardeuse… Il avait en effet entamé sa carrière comme compositeur-musicien, avec déjà à son actif un certain nombre de contributions tant au classique qu’au jazz. Mais en 1968, Yves Robert le sollicite pour composer la musique de son nouveau film, « Alexandre le Bienheureux », d’abord proposée à Michel Legrand, que celui-ci décline finalement, trop accaparé par moult autres projets ; Michel Legrand, qui jouissait déjà à l’époque du même prestige que des Georges Delerue ou Antoine Duhamel

    Pour Vladimir Cosma, il s’agit bien à ce moment précis de prouver beaucoup, au risque de tout perdre. Ce qui frappe, à la première écoute du score de ce film avec Philippe Noiret et Marlène Jobert, c’est que Cosma s’inspire assez des musiques de Michel Legrand et du chemin créatif que ce dernier aurait probablement emprunté pour illustrer les images du film. Le ton romanesque, positif et clair de la musique de cet « Alexandre le Bienheureux » rappelle en effet immédiatement d’autres partitions du compositeur d’« Un Été 42 », « Les Mariés de l’An II » ou « La Vie de Château ».

    Mais lorsque Michel Legrand puise souvent dans le jazz et s’avère toujours plutôt audacieux dans ses créations, Vladimir Cosma préfère quant à lui miser, dans le cadre de cette première expérience pour le cinéma, sur un certain classicisme, avec des tonalités vives, simples et fraîches comme le cour d’un ruisseau.

     

    [youtube id= »FWKcFjNDDRI » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    « Alexandre le Bienheureux » marque en tout cas le début d’une collaboration fructueuse entre Cosma et Yves Robert, qui durera autant qu’ils s’apprécieront. « Clérambard », « Le Grand Blond avec une Chaussure Noire », « Salut l’Artiste », « Un éléphant ça trompe énormément », « Nous irons tous au paradis », « Courage, Fuyons », « Le Bal des Casse-pieds », « La Gloire de mon Père », « Le Château de ma Mère », autant de films qui scelleront l’amitié entre les deux compères. Mais « Alexandre le Bienheureux » marque surtout, pour celui qui commença par écrire des partitions pour Chet Baker ou Marie Laforêt, des débuts prometteurs dans la composition de musique de films, avec plus de 300 œuvres au compteur cinquante ans plus tard.

    Longtemps cantonné au simple rôle d’aimable illustrateur de comédies familiales sans réel relief, Vladimir Cosma, qui deviendra également le compositeur attitré de Francis VeberLe Jouet », « La Chèvre », « Les Compères », « Les Fugitifs », « Le Dîner de Con »…), a pourtant excellé dans bien d’autres registres que celui de la seule comédie. Car nous avons vite oublié ou sommes simplement passés à côté de bon nombre d’œuvres aussi différentes les unes que les autres. Mieux prêter l’oreille, c’est alors se rendre compte de la grande diversité dont il a pu faire preuve tout au long de sa carrière, mais aussi de cette propension à toujours se réinventer.

     

    [youtube id= »hZCdWDNsnCA » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    Pour s’en convaincre, dès 1973, avec le film « L’Affaire Crazy Capo » (avec Maurice Ronet et Jean-Pierre Marielle), Vladimir Cosma compose la musique d’un polar fiévreux, d’une telle qualité intrinsèque que son intérêt dépasse de loin celui du film même. Au premier abord, en ignorant qu’il en est l’auteur, on pensera plutôt à Ennio Morricone, voire même à John Barry. C’est pour dire si l’aisance naturelle de Cosma s’affiche éhontément sur ce film, avec une orchestration ample que l’on retrouvera dans bien d’autres musiques de films qu’il composera, comme pour « Le Jaguar » de Francis Veber. Là encore, son travail sur l’écriture ou sur la direction d’orchestre supporte aisément la comparaison avec ses illustres confrères.

     

    [youtube id= »bXwOWgB3fx8″ align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    Si Vladimir Cosma enchaîne dans les années 70 et 80 tous les grands succès publics du cinéma français, avec des mélodies plus ou moins inoubliables et des collaborations à répétition avec Edouard Molinaro, Pascal Thomas et surtout Claude Zidi, il ne faut cependant pas occulter les musiques qu’il compose également pour la télévision (génériques de feuilletons, téléfilms et émissions).

    Dès 1969, le compositeur rentre ainsi dans le cercle très fermé des compositeurs de musiques de films à succès. Et c’est d’ailleurs lui qui ouvre les portes d’un nouvel univers avec l’avènement des années 70. Il va y régner de manière quasi monopolistique. Un règne sans partage… Sa musique deviendra un genre en soi, immédiatement reconnaissable.

    En 2010, François Ozon (réalisateur français entre autres de « Huit Femmes », « Sous le Sable », « Grâce à Dieu »…) n’hésite pas à demander à son compositeur Philippe Rombi de lui écrire pour les besoins de son nouveau film « Potiche » une musique et des arrangements que Vladimir Cosma aurait très bien pu composer lui-même à l’époque où se situe l’histoire du film. Dès le générique, lorsqu’on aperçoit Catherine Deneuve faire son footing dans une forêt et que retentissent les premiers accords de la mélodie, avec le sifflement, on est persuadé qu’il s’agit d’un emprunt, extrait tel quel d’un film que Vladimir Cosma aurait illustré musicalement.

     

    [youtube id= »b_Zw3dK65m4″ align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    Vladimir Cosma a bel et bien créé un courant musical spécifique qui s’impose tout au long de ces années 70 ainsi que sur une partie des années 80, comme ce fut déjà le cas dans les années 60 avec Raymond Lefèvre ou Gérard Calvi, compositeurs des musiques de certains des plus gros succès de la décennie, entre « Les Grandes Vacances », « Le Gendarme de Saint-Tropez » ou « Le Petit Baigneur » ; que des comédies populaires avec à l’affiche l’indéboulonnable Louis de Funès. Sauf que pour tous ces films, ils sont en fait plusieurs à se partager le gâteau : Lefèvre, Calvi, évidemment, mais encore Jean-Michel Defaye, Georges DelerueLe Corniaud ») ou Alain Goraguer.

    Vladimir Cosma, quant à lui, ne partagera pratiquement rien. Sa filmographie est hallucinante, lorsque l’on se met à égrener la liste de tous les réalisateurs qui ont loué ses services pour un ou plusieurs films, toutes générations confondues. On peut ainsi citer Gérard Oury, Ettore Scola, Jean-Jacques Beinex, Yves Boisset, Claude Pinoteau et Jean-Pierre Mocky, avec qui il travaillera sur la quasi totalité de tous ses derniers films, et ce depuis les années 90. A noter que ce sont à chaque fois des univers et des films différents.

    On peut s’arrêter un instant sur le diptyque d’Yves Robert, constitué des deux adaptions consécutives de livres de Marcel Pagnol. Pour ces deux films, Cosma convoque toute l’entièreté de son talent et de son imagination, dans le but de concevoir une œuvre symphonique qui existe en tant que telle. Sa musique y regorge ici de prouesses et d’envolées d’une très grande richesse mélodique. Les thèmes au piano y sont magnifiques. Pour le deuxième film, l’accent est d’ailleurs encore davantage porté sur la mélancolie. Le thème principal avec en fond le son des cigales est un pur bonheur musical. C’est sans nul doute l’œuvre de Vladimir Cosma la plus accomplie.

     

    [youtube id= »830jEZuvrxI » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    À propos de mélancolie… Si on prend le temps d’écouter (ou de réécouter…) ces musiques, qui pour la plupart d’entre elles ont marqué notre enfance, telles des bornes, des repaires jalonnant une époque où tout nous semblait forcément plus léger et primesautier, nous ressentirons alors une impression diffuse, qui semblait nous avoir échappé de prime abord dans ces temps doucereux.

    Je vous parle de cette mélancolie sourde… Car même sous des dehors rutilants et enlevés, très souvent, les mélodies du compositeur du « Père Noël est une ordure » sont conçues comme des mini-symphonies ou de petits concertos, avec un premier mouvement enjoué (allegretto) puis une seconde partie plus nuancée (adagietto), adoucie, durant laquelle on ressent comme un léger pincement. C’est là toute la force et surtout la longévité que l’on accorde aux créations de ce compositeur, forcément empreint de culture slave.

    À l’instar d’un Morricone, d’un Barry ou des autres grands compositeurs français (François de Roubaix, Michel Magne, Georges Delerue…) ayant reçu tous les lauriers car leur musique était jugée plus ambitieuse ou bénéficiant d’une plus grande exposition à l’international, Vladimir Cosma n’a pourtant pas démérité, dans ses perpétuelles recherches et remises en question.

    Certes, beaucoup de ses musiques garderont toujours ce parfum suranné et un peu toc, surtout lié aux films qu’elles illustraient, mais il n’empêche que Vladimir Cosma est rentré dans notre ADN comme un composant chimiquement pur, qui nous a préservés d’une certaine arrogance, d’un certain instinct de supériorité, soucieux de sentiments à transmettre et du travail toujours bien fait.

     

     

     

  • Florent Touchot et sa petite musique

     

     

    Artiste plasticien et photographe, Florent Touchot travaille le papier, la matière brute et urbaine, mais aussi le plexiglass qu’il utilise comme support photographique. Ses pièces sont exposées en France, en Chine, aux Etats-Unis, en Angleterre ou encore en Allemagne.

     

    Florent Touchot trouve son inspiration dans la diversité et le mouvement incessant de la vie urbaine. Ses sujets de prédilection : les perspectives du métro aérien parisien, les gares, l’architecture française, les rues de Paris, Marseille et New York, mais aussi les icônes pop. Ses créations sont influencées par la culture urbaine et populaire, entre tradition et modernité.

    Sa technique de création est mixte, entre collage, marouflage, photographie et acrylique sur toile. Florent Touchot utilise comme base des morceaux d’affiches récupérés dans le métro parisien, les brocantes ou directement sur les murs de Marseille et Paris, au gré de ses déambulations.

    Son travail consiste ensuite à superposer ces compositions de collage avec des tirages photographiques sur plexiglass. Son approche novatrice allie le « désordre » des morceaux de lacérations urbaines extraits de leur « milieu naturel » à la rigueur de la composition de l’image photographique.

    L’univers de Florent Touchot est dynamique et coloré. En arrachant les couches de papier au fil de ses pérégrinations urbaines, il dévoile des histoires, ses histoires… On entre dans le coeur même de l’œuvre, par un jeu de reflet et de transparence. La profondeur des superpositions, entre publicités froissées, grattées, déchirées, sculptées afin de leur donner un relief, une dynamique visuellement cohérente et les impressions photographiques, se trouve accentuée par le noir sur des plaques de plexiglass.

    C’est alors qu’apparaissent des jeux d’optique, d’ombre et de lumière sur les murs de la ville, qui mettent à l’épreuve notre propre ressenti comme nos souvenirs les plus enfouis. On y retrouve des sensations, des images, des couleurs, des typographies, des mots et des souvenirs familiers, mis en scène et partagés par l’artiste. Les toiles de Florent Touchot parlent à chacun de nous et nous offrent une vision chaotique dans laquelle l’ordre se fait finalement au gré de notre mémoire personnelle et intime.

    Nous ne pouvions pas évoquer le travail de Florent Touchot sans préciser qu’aujourd’hui, les expositions sont annulées, les salons repoussés et les ateliers fermés. Il ne reste donc que le web pour offrir de la visibilité aux artistes. La situation que nous connaissons depuis deux mois est inédite. Alors saisissons cette occasion unique de nous arrêter un moment, de prendre un peu de recul et de repenser à ce qui constitue les fondamentaux de notre vie, entre famille, nourriture du corps comme de l’âme…

    Certes, une oeuvre d’art, quelle qu’elle soit, n’a jamais changé le monde, mais elle participe à notre équilibre intérieur. Eh oui, évidemment, lorsque les temps sont durs et que nous ne sommes pas le patron de LVMH, nous pouvons être réticents à nous offrir une oeuvre qui nous murmure à l’oreille, à chaque fois que nous la voyons, mais ça ne nous empêche pas de donner tout l’écho possible à l’artiste qui l’a créée.

    Jusqu’au moment où, dans des jours meilleurs, nous ne sommes (évidemment…) toujours pas le patron de LVMH, mais nous décidons néanmoins de nous lancer, car nous avons besoin des artistes, ceux qui nous susurrent leur petite musique à l’oreille, comme ils ont besoin de nous, dans des périodes troubles comme celle que nous connaissons aujourd’hui… Après tout, une oeuvre nous est probablement plus essentielle que vingt jeans estampillés « Made in Bangladesh » à 135 euros pièce chez G Star, vous ne pensez pas ?

     

    « Sous la plume, sous le pinceau, sous le burin, toute vérité se réduit seulement à une vérité artistique. » (Romain Gary)

     

     

    « Orchestration » (Pièce unique, 2019) – Technique mixte sur toile, impression sur plexiglass (100 x 100 cm)

     

    « Lacérations Parisiennes » (Pièce unique, 2019) – Technique mixte sur toile, impression sur plexiglass (100 x 100 cm)

     

    « Ciel de Traîne » (Pièce unique, 2019) – Technique mixte sur toile, impression sur plexiglass (100 x 100 cm)

     

    « Brut » (Pièce unique, 2019) – Technique mixte sur toile, impression sur plexiglass (130 x 89 cm)

     

    « Matts Grill » (Pièce unique, 2020) – Technique mixte sur toile, impression sur plexiglass (130 x 97 cm)

     

    « Smith’s Bar » (Pièce unique, 2017) – Technique mixte sur toile, impression sur plexiglass (65 x 92 cm)

     

    « Piccadilly Circus » (Pièce unique, 2020) – Technique mixte sur toile, impression sur plexiglass (130 x 89 cm)

     

    « Fifth Avenue » (Pièce unique, 2019) – Technique mixte sur toile, impression sur plexiglass (89 x 130 cm)

     

    « Au Revoir Paris » (Pièce unique, 2019) – Technique mixte sur toile, impression sur plexiglass (92 x 60 cm)

     

    « Départ en Vacances » (Pièce unique, 2019) – Technique mixte sur toile, impression sur plexiglass (130 x 81 cm)

     

    « London Eye » (Pièce unique, 2020) – Technique mixte sur toile, impression sur plexiglass (89 x 130 cm)

     

    « La Tamise » (Pièce unique, 2019) – Technique mixte sur toile, impression sur plexiglass (81 x 130 cm)

     

    « Un Pez » (Pièce unique, 2019) – Technique mixte sur toile, impression sur plexiglass (60 x 92 cm)

     

    « Coca » (Pièce unique, 2017) – Technique mixte sur toile, impression sur plexiglass (46 x 33 cm)

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Florent Touchot Facebook

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Florent Touchot Officiel

     

     

     

  • Luis Sepúlveda : « Raconter, c’est résister »

     

     

    « Raconter, c’est résister »… La vie de Luis Sepúlveda oscille entre ces deux actes, qu’il voulait aussi engagés l’un que l’autre. L’écrivain chilien, auteur du best-seller mondial « Le Vieux qui lisait des romans d’amour », est mort jeudi 16 avril du Covid-19, à l’âge de 70 ans.

     

    Il avait trouvé refuge à Gijon, paisible ville côtière des Asturies : vingt-trois ans que l’écrivain chilien y résidait avec son épouse, la poétesse Carmen Yanez, savourant ici plus qu’ailleurs, cette « tradition de lutte politique instaurée par les mineurs » et cet « esprit de fraternité » qui le rassérénait. Il rentrait d’un festival littéraire qui s’était tenu non loin de là, au Portugal, lorsqu’atteint d’une féroce pneumonie, le diagnostic est tombé, le 29 février dernier. A l’hôpital d’Oviedo, il a lutté pendant un mois et demi contre le coronavirus, avant de succomber à la maladie, jeudi 16 avril. Ce sera le dernier combat du révolutionnaire, qui avait arpenté d’autres terrains, autrement plus périlleux, minés ceux-là par les dictatures.

    De l’Espagne au Chili, on pleure « Le Vieux qui lisait des romans d’amour », titre de son premier succès planétaire, publié en 1992. Il n’était pas si « vieux », Luis Sepúlveda : il avait 70 ans. Et comme son héros, il avait vécu de bouleversantes découvertes : celle, dans sa jeunesse, de la forêt amazonienne et celle à ses vieux jours, de la lecture, puissant « antidote contre le venin de la vieillesse », assurait-il. Parce que « raconter, c’est résister », mantra emprunté au Brésilien Joao Guimaraes Rosa, des romans, il en écrira une vingtaine, traduits dans 50 langues et couronnés de prix, du Pégase d’or italien au prix chilien de la critique. En France, on l’avait nommé chevalier des Arts et des Lettres.

     

    La voix des oubliés

    Ses « romans d’amour », il les dédie d’abord à son pays, le Chili. Il a beau l’avoir quitté en 1977, contraint à l’exil, il ne perdra rien de son militantisme : menant des actions au sein de la Fédération internationale des droits de l’homme et portant dans ses romans la voix des oubliés. Toujours ces mêmes héros fragiles et vacillants, brisés par l’histoire et l’exil, des perdants ou des vaincus qui, épris de rêves collectifs, refusent la défaite. Leur destin, leurs combats et désillusions n’ont rien de romanesque : c’est son vécu qu’il nous conte, lui qui sera, comme tant d’autres, condamné et torturé par le régime de Pinochet.

    Sa peine ? Vingt-huit ans de prison en 1973, pour « trahison » et « conspiration ». Son crime ? S’être rangé du côté du président Allende, dont il appartenait à la garde rapprochée. On critique, dans ses romans, son sensationnalisme ? Il l’assume. Chez lui, ça fait partie du processus créatif : « Je suis entièrement ému par l’histoire que je raconte, j’aime être très fidèle à mes personnages, tomber amoureux d’eux, car je sais que le lecteur, en lisant, ressentira une émotion très similaire à ce que je ressens en écrivant. Pouvoir partager ses émotions et ses sensations, c’est ce qu’il y a de plus beau dans la littérature », confiait-il.

     

    Le sentiment de l’exil

    Le sentiment de l’exil, ce natif d’Ovalle, qui se disait « profondément rouge » et qui avait rejoint à 12 ans les Jeunesses communistes, l’a hérité d’un grand-père anarchiste qui avait fui avant lui l’Andalousie. Dans ses veines coulait aussi le sang d’un chef indien, auquel il dédiera un roman, « Histoire d’un chien Mapuche », pénétré par son esprit de rébellion. En 1977, Amnesty International le sort au bout de deux ans et demi des sordides geôles de Temuco. Pas question d’accepter en échange cet exil de huit ans en Suède ; il gagne les territoires reculés de l’Amérique du Sud : l’Equateur, d’abord, où il monte sa compagnie théâtrale, avant de s’immerger en 1978 dans la vie des Indiens Shuars, sur lesquels il scrute pendant un an pour l’Unesco l’impact de la colonisation.

    De ses recherches sur les ethnies, il découvre les idiosyncrasies régionales, « le plus grand trésor de l’esprit humain », dira-t-il. Et puis, le Nicaragua où en 1979, il passe à la lutte armée aux côtés des Sandinistes de la brigade Simon Bolivar. Depuis l’Allemagne où il devient grand reporter, il embrasse une autre cause : l’écologie. Et c’est à bord d’un bateau de Greenpeace, sur lequel il embarque dans les années 80, qu’il alerte sur les désastres qui menacent notre planète. Son Moby Dick à lui, ce sera cette « Histoire d’une baleine blanche » qu’il publie en 2019.

    Reste qu’au Chili, il n’y retournera qu’après la chute de la dictature. Dans son recueil « Histoires d’ici et d’ailleurs », il dévoile ce cliché, dont il ne s’est jamais séparé : celui d’une bande de gamins de La Victoria, banlieue pauvre de Santiago, qu’il s’était promis un jour de réunir. Avec l’avènement fragile de la démocratie, c’est un autre pays qu’il retrouve, ravagé par les macs qui charcutent les jeunes filles au scalpel et par ces parvenus de millionnaires, escroqués par des Madoff en série.

     

    La lutte contre le fléau de l’oubli

    Tout a changé, sauf les visages de ses camarades qui portent à jamais les stigmates de l’horreur. Le pire fléau ? L’oubli, pour ce révolutionnaire, habité par la nostalgie des combats d’autrefois, consacrés à la défense des idéaux et de ce temps qui ne sera plus. Dans « L’ombre de ce que nous avons été », il faut les voir, ces anciens militants de gauche, sexagénaires, prêts à renouer, 35 ans après le coup d’Etat de Pinochet, avec l’action révolutionnaire.

    Le secret des lendemains qui chantent ? Pour ce poète et conteur hors pair, il est dans notre capacité à croire aux rêves. Relisez donc son « Histoire d’une mouette et du chat qui lui apprit à voler », fable enchanteresse, vendue à 5 millions d’exemplaires et adaptée au cinéma. Il l’a écrite avec le cœur et les tripes, pour toucher, amuser et faire réfléchir.

     

    Article © Audrey Lévy pour Marianne

     

     

     

  • Retour sur « Art », la brillante comédie de Yasmina Reza

     

     

    L’art n’a pas de limite, n’a pas de fin et encore moins d’utilité pratique. Ce n’est plus à démontrer, la sensibilité dans l’art n’est que subjectivité, et la création balaie les dogmes et diktats d’un souffle intolérant et vertigineux. À l’art moderne succède l’art contemporain, cet obscur inconnu à la fois admiré et incompris, courtisé et rejeté.

     

    Né après 1945, l’art contemporain est plus que toute autre création éminemment insaisissable : 1994, Balloon Dog de Jeff Koons, une immense sculpture représentant un chiot qui semble gonflé à l’hélium, une boite de ketchup Heinz peinte par Warhol en 1962, des toiles aux allures d’inachevés d’Antony Gormley en 2000… L’art contemporain repousse sans cesse ses limites. Mais en a t-il vraiment ?

    En 1994, Yasmina Reza compose « Art », pièce phare de son œuvre qui rencontrera un succès international. Il faut tout d’abord vous imaginer un tableau blanc, entièrement blanc, avec des liserés blancs. Une toile donc, d’environ 1m60 sur 1m20, qui porte le nom d’Antrios.

    Yvan (Pierre Arditi), Marc (Pierre Vaneck) et Serge (Fabrice Luchini) sont trois amis de longue date. Dans un décor très sobre et minimaliste, Serge présente à Marc sa nouvelle acquisition de quelques 41.000 euros (200.000 francs à l’époque). Sceptique sur l’art et sur bien d’autres choses, Marc se moque de l’achat couteux de son ami qu’il qualifie de simple « merde blanche ». Serge, amoureux d’art, est étonné de sa réaction, car lui voit dans cette toile quelque chose « d’évident et de paradoxal ». Yvan, le troisième protagoniste, apparaît relativement tolérant, et s’avoue même ému par les couleurs du tableau, au grand dam de Marc. Ne connaissant pas le domaine de l’art, il demande la côte du peintre pour juger du prix. Bien qu’il reconnaisse la beauté de l’oeuvre, il n’y mettrait pas ce prix.

    Toute la pièce tourne ainsi autour de la sensibilité dans l »art, de la valeur d’une œuvre, du génie d’un artiste, et de l’absurdité que cela peut atteindre. Trois hommes représentent trois catégories de réactions face à l’art. Serge parle « d’une éducation à l’art », comme si le luxe d’apprécier ou non une œuvre n’était pas à la portée de tout le monde. Comme si l’art s’apprenait, se domestiquait. Le prix d’une œuvre n’est qu’un détail, c’est la réception qui fonde sa valeur. Pour lui, l’Antrios n’est pas blanc, mais bleu, rouge, jaune. Il voit plus loin que ce qu’il perçoit.

    Marc, ingénieur et rationnel, blâme son ami de l’hypocrisie hideuse dont il fait preuve en achetant l’Antrios et critique sa volonté de faire partie d’une élite artistique snob et ignorante. Marc dénonce le piège de l’art et de l’argent, la pédante idée de se prendre pour un collectionneur, la suffisance de Serge à vouloir leur faire croire qu’il aime profondément son tableau. Yvan, salarié dans une épicerie, se distingue de ses deux compères par son milieu social plus modeste et s’écrase face à ses amis bourgeois et aisés, qui évoluent eux dans un cercle plus intellectuel que le sien. Il ne nie pas être sensible au tableau, et trouve séduisante la poésie qu’il y a dans le fait même d’acheter une oeuvre si sobre et si neutre. Il décrit une certaine idée, insaisissable mais bien réelle derrière la création de l’Antrios.

    « Art » est une critique diffuse de l’art contemporain, et plus que tout de la beauté. Il y a une incompréhension profonde pour le prix si élevé d’une toile si simpliste. Cela voudrait-il dire que plus l’oeuvre est riche, plus sa valeur est grande ? Mais au final qu’est ce que la beauté ? Serge est amoureux de son tableau blanc dans lequel il voit une originalité sans précédent. Il parle même d’un chef-d’oeuvre conçu par un génie, une divinité qui s’élève au dessus des mortels. Le même débat encore et toujours sur la prépondérance de l’oeuvre ou de l’artiste. Si Picasso peignait un point bleu sur une toile blanche, le tableau aurait-il la même valeur que si n’importe qui en faisait de même ? Peut on considérer une toile blanche comme une création artistique à part entière, au même titre qu’un chef d’oeuvre intemporel de la peinture ?

    Le débat est ouvert…

     

    Photo à la Une © Christian Tiffet

     

    [youtube id= »t9lTh9cWII8″ align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Art @ Theatrart

     

     

     

  • John Williams : Quand la musique devient du cinéma (Partie 04)

     

     

    Dès la fin des années 90, la musique de John Williams va évoluer et muer, et ce tout au long de la décennie suivante. Hormis peut-être pour sa contribution aux trois films de la saga « Harry Potter »,  où il y déploie une orchestration encore toute Williamesque, ses nouvelles compositions vont paraître de moins en moins clinquantes et de plus en plus minimalistes. Il va peu à peu délaisser ses influences allemandes et slaves pour leur préférer des tonalités plus françaises (Debussy, Ravel, Poulenc, Satie…)

     

    Au cours de cette décennie 2000, le jazz s’invite ainsi dans l’oeuvre de John Williams, d’abord sur la B.O de « Catch Me If You Can », avec un tempo que n’aurait pas renié Henry Mancini, puis sur le film « Tintin » presque dix ans plus tard ; ce qui, avec le recul, n’est pas très étonnant, puisque Williams vient précisément de cette mouvance. Il faut se souvenir qu’il est pianiste de formation et qu’il a commencé avec le jazz dans les années 50 puis 60…

     

    A.I.

    En 2001, Steven Spielberg renoue avec la science fiction, avec « A.I. ». Un projet de longue haleine, initié par Stanley Kubrick, mais qu’il ne pourra jamais mener à terme, malgré un scénario abouti et des recherches préparatoires sur les effets spéciaux supervisées par le réalisateur de clips visionnaires et de génie, Chris Cunningham (celui qui mettra également en image l’univers onirique et cauchemardesque du musicien Aphex Twin ou de la chanteuse-elf Björk).

    C’était un souhait que le réalisateur de « Barry Lyndon » avait formulé, quant à son projet d’adaptation au cinéma du roman de Carlo Collodi. A savoir que s’il ne pouvait pas le réaliser lui-même, ce serait à Steven Spielberg de s’en charger, car Kubrick considérait qu’il était le seul (après lui…) à pouvoir mettre en image cette histoire, tant les visions des deux hommes étaient similaires, en particulier dans la façon d’approcher le matériau d’origine. John Williams est forcément de la partie, pour illustrer et ajouter aussi de la profondeur supplémentaire au film.

    Pour ce faire, Williams crée une thématique qui pourrait renvoyer à la musique du film « E.T. », puisque là encore tout s’écoute du point de vue de ce que ressent l’enfant, ici, un petit robot. Et cette fois-ci, la musique ne s’oriente pas vers Prokofiev et des accents de cuivres tonitruants, mais beaucoup plus vers Debussy, Leo Delibes, Berlioz ou Sibelius. Bref, pratiquement que des influences françaises, à l’exception d’un finlandais. Autre nouveauté, Williams va pour la première fois utiliser l’électronique, et même le son d’une guitare électrique.

     

    [youtube id= »a6lTk0mLaGo » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    Cette histoire, qui renvoie à celle de Pinocchio, donne au film et à sa musique des accents d’une tristesse insondable, comme nous n’avions jamais eu l’occasion de le ressentir auparavant dans un film de Steven Spielberg. Ce petit enfant-robot, qui veut être aimé par une maman humaine, tente coûte que coûte d’exaucer son vœu. Il y parviendra finalement, grâce à une génération de robots qui a survécu à l’homme bien des millénaires plus tard, alors que la terre est désormais recouverte de glace.

    Mais c’est seulement pour 24 heures qu’il pourra partager son amour avec un clone recréé pour l’occasion, et qui clôturera le film, lorsque l’enfant et la maman s’endorment tous les deux, après avoir passé une journée comme il en avait toujours rêvé, dans un sommeil éternel. Il s’agit sans nul doute de l’une des fins les plus bouleversantes pour un film du réalisateur de « Schindler’s List », et surtout déchirante pour un film trop court…

    La musique dispense un thème élégiaque au piano, avec quelques touche de violoncelle et une voix de soprano lointaine et enveloppante ; ce thème qui revient sans cesse dans le film, et pour le final, en une longue caresse qui commence par une musique atonale et blanche, comme le décor que nous fait découvrir Spielberg, avec ces étendues recouvertes de neige, puis l’apparition de ces robots humanoïdes, filiformes et translucides. Lorsqu’ils remettent en fonction le petit robot, seul témoin d’un monde qui n’existe plus, les notes chaudes du piano reviennent, annonciatrices du passé revisité et de sa mélancolie.

    Ce thème est aussi bien dédié au petit garçon artificiel qu’à la maman revenue d’entre les morts, grâce à une mèche de cheveux dont l’ADN va permettre de la faire revivre une journée, mais pas plus. Cette musique délicate et tragique accompagne ainsi la journée parfaite, comme l’avait toujours souhaité l’enfant synthétique. Une journée fantasmée, durant laquelle seule la mère et sa progéniture sont en parfaite symbiose.

    Il s’agit en tout cas de l’un des plus beaux scores que John Williams ait pu composer pour un film. Un film qui lui-même est l’un des plus beaux mais aussi des plus tristes qu’ait réalisé son auteur.

     

     

    Minority Report

    « Minority Report » sort en salle en 2002, soit un an après « A.I. ». Décidément, le réalisateur d’« Amistad » est inarrêtable. L’histoire, tirée cette fois d’une nouvelle de Philip K. Dick, dépeint, dans un futur pas si éloigné, la mission d’une police travaillant de concert avec des médiums qui annoncent les crimes et forfaits avant même qu’ils ne soient commis par leurs auteurs présumés. Steven Spielberg propose ici une société déprimante et un futur anxiogène. Entre un monde kafkaïen et orwellien, tout ce qui nous est montré semble plausible et c’est d’autant plus effrayant…

     

    [youtube id= »hILY1lw6c64″ align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    Et c’est exactement ce que John Williams va imaginer pour sous-tendre au mieux cette histoire paranoïaque à souhait. Avec « Minority Report », deux thématiques se confrontent. La première colle aux basques d’une action incessante et survoltée, dans laquelle on suit ces policiers en jet pack virevolter dans tous les sens. Williams nous assaille avec une musique dont les accents tout droits sortis des scores d’un cinéma des 70’s rappellent un tempo Jazzy, même si l’ensemble est symphonique, finalement très proche du travail de Lalo Schifrin sur le film « Bullitt ».

    L’autre ambiance s’articule autour du personnage de Sean, le fils du personnage central incarné par Tom Cruise, mort noyé. Doux et mélancolique, et dans lequel les cordes ont la part belle, ce thème se décline à différents passages, en leitmotiv, lorsque le héros se souvient de son fils. C’est à la fin du film qu’un second thème plus apaisé apparaît, pour se muer ensuite en générique final. Dans ces deux cas, la musique n’appartient pas aux personnages ou à leur représentation. Elle exprime un état général. La suite orchestrale qui clôture « Minority Report » propose enfin une résolution et de la douceur qui ouvrent ainsi sur de nouvelles perspectives. Cette même musique entendue auparavant simplement par petites touches, et qui signifiait dans ces cas précis l’espoir.

    Avec « Minority Report », c’est aussi la première fois que la musique composée est mise en retrait par rapport aux séquences fortes du film. Elle ne fait qu’accompagner les péripéties, sans jamais être envahissante… Et c’est en réécoutant le score après avoir vu le film qu’on la redécouvre pleinement.

    Mais Steven Spielberg n’en a pas encore fini avec la science fiction… Il boucle ainsi cette trilogie, au début des années 2000, avec un remake, et toujours et encore John Williams à la musique. De science fiction, il en sera d’ailleurs de nouveau question plus récemment avec « Ready Player One », sorti en 2018, mais cette fois sans son compositeur fétiche… C’est Alan SilvestriRetour vers le Futur ») qui se voit confier la composition du score.

     

     

    La Guerre des Mondes

    Vu par le prisme spielbergien, cette histoire d’invasion extra-terrestre tirée d’un roman de H.G. Wells datant de 1898, qui avait déjà connu une adaptation pour la radio en 1938 (réalisée par l’immense Orson Welles) puis pour le cinéma en 1953, devient un cauchemar cinématographique, dans lequel les spectres du 11 septembre et de la Shoah se mélangent pour offrir un spectacle magistral mais éprouvant.

    John Williams, fort de ces données, compose pour « La Guerre des Mondes » une musique anxiogène, brutale, où même les moments d’accalmie, notamment à la fin avec la résolution, n’offre ni apaisement ni espoir…

     

    [youtube id= »kY3ehiwkWA0″ align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    Tout au long du film, il flotte dans l’air comme une interrogation, un doute… Même si « La Guerre des Mondes » se clôture par un happy end en demi-teinte, le score se garde bien de toute fanfare qui pourrait célébrer une quelconque victoire des humains sur ces féroces forces extra-terrestres. En effet, ce qu’imagine le compositeur de « Munich » pour signifier l’impuissance totale des hommes contre les machines martiennes, c’est une musique qui n’est jamais victorieuse, mais qui repose plutôt sur un sentiment de passivité et de fatalisme.

    La défaite et la mort des envahisseurs ne pourront finalement être imputées qu’aux plus petits êtres que notre terre ait engendrés : les microbes. C’est donc bien à un film amer et fataliste que nous convient Steven Spielberg et son compositeur attitré. L’Amérique n’est plus montrée comme une nation triomphante, avec ses héros et leurs morceaux de bravoure. Le personnage principal, pourtant incarné de nouveau par l’indestructible Tom Cruise, passe le plus clair de son temps à fuir ou à se terrer comme un lapin apeuré.

    Une des superbes idées qu’a également Williams pour signifier la présence létale des extra-terrestres, outre ce son épouvantable produit par les tripodes avant qu’ils ne fassent feu sur les foules en panique, c’est dans la musique elle-même qu’on la trouve, avec l’emploi de chœurs féminins utilisés comme des percussions, censés exprimer ainsi une dangerosité menaçante et implacable dans les desseins de ces créatures belliqueuses.

    Tout le score est glaçant, sans une once de chaleur ou de patriotisme bon teint, dont seuls les Américains sont en général capables de se fendre. Là aussi, John Williams va à rebrousse-poil des thèmes tonitruants qu’il eut l’habitude de composer par le passé.

    Nous sommes bien dans une ère de défaitisme et d’incertitude absolue quant à l’évolution du monde. Steven Spielberg et John Williams, que l’on a souvent taxés de niais, voire même de partisans d’un américanisme primaire, nous rappellent que l’être humain n’a jamais été aussi proche de sa fin.

     

    A l’instar d’un Ennio Morricone, John Williams est sans nul doute le dernier des compositeurs vivants à avoir autant créé pour le cinéma, reconnu entre ses pairs non seulement pour la qualité de ses musiques de films, mais aussi pour l’impressionnante diversité des œuvres composées. Et il ne connaît aucun rival, qui pourrait lui arriver ne serait-ce qu’à la cheville. Même si cela n’est pas forcément un gage de qualité, il faut tout de même noter sa longévité dans l’industrie du cinéma et ce souci constant de se remettre en question, d’innover et de tenter de créer avec toujours l’humilité et la candeur qui le caractérisent.

    Autant dire, la marque des plus grands…

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »]  « John Williams : quand la musique devient du cinéma (Part 01) » 

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »]  « John Williams : quand la musique devient du cinéma (Part 02) »

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »]  « John Williams : quand la musique devient du cinéma (Part 03) »

     

     

     

  • Le Street Art au temps du Coronavirus

     

     

    Face à l’avancée du coronavirus, les street-artists donnent à voir tout leur talent sur les murs de la planète. D’Europe au Brésil, en passant par les Etats-Unis, l’Inde, l’Afrique et l’Amérique latine, ils ont souvent réalisé leurs oeuvres juste avant les injonctions de confinement, à l’image du Parisien C215. Et parce que les rues sont depuis désertées, toutes ces merveilles auront peu l’occasion d’être admirées de près. Voici donc un tour du monde des plus belles fresques que nous avons dénichées pour vous.

     

    C215 (Paris)

    Premier street artist à nous livrer sa vision de l’épidémie, l’artiste parisien C215 a lancé une édition d’art de son « Amour au Temps du Coronavirus » au profit de la Fondation des Hôpitaux de France, « Pour soutenir le personnel hospitalier en première ligne dans la lutte contre le COVID-19 ».

    Portraitiste de rue temporaire, armé de sa bombe et de son spray, C215 redonne aux murs gris et sales un nouveau souffle esthétique. Il les habille de portraits colorés, réalisés au pochoir ou à main levée. Ses modèles ? Sa fille, Nina, bien souvent, mais aussi de nombreux anonymes qui peuplent les quartiers qu’il arpente inlassablement, à la recherche du spot parfait.

     

    https://www.instagram.com/p/B97GedgllG5/?utm_source=ig_embed

     

     

    Fake (Amsterdam, Pays-Bas)

    « Super infirmière, c’est son titre. J’ai peint cette « ode » aux professionnels de santé autour du monde ! », a commenté sur Instagram le street-artist allemand Fake, basé à Amsterdam.

    Fake est né le 15 mai 1980 et pratique le graffiti depuis plus de vingt ans. Ayant grandi dans un environnement gris et ennuyeux, il a vite ressenti le besoin de faire sourire les visages des autres par le biais de l’ironie et de l’humour. Après avoir découvert le pouvoir du pochoir, il en est finalement tombé accro. Autodidacte, Fake a commencé à expérimenter et à combiner les styles dès ses débuts, pour parvenir à une signature graphique unique.

     

    https://www.instagram.com/p/B-ACb_4lMCf/?utm_source=ig_embed

     

     

    Pobel (Bryne, Norvège)

    « En ces temps difficiles, j’espère que cette pièce peut être une contribution positive et apportera de la joie. Soyez prudents et prenez soins les uns des autres », a écrit Pøbel, en précisant le titre de l’oeuvre : « Lovers ».

    Originaire d’Oslo en Norvège, Pøbel a commencé à utiliser des pochoirs à la fin des années 90, pour ensuite peindre des fresques en extérieur dans le courant des années 2000. Mais la Norvège ne comportant pas de très grandes agglomérations, Pøbel s’est vite senti à l’étroit et a eu l’idée d’amener la culture urbaine à la campagne, là où on ne l’attend pas.

     

    https://www.instagram.com/p/B9rmlkagxkA/?utm_source=ig_embed

     

     

    Hijack (Los Angeles, Californie)

    « En tant qu’humains, nous aimons penser que nous sommes maîtres de notre propre coin de l’univers. Mais de temps à autre, une entité microscopique vient nous rappeler que nous ne le sommes pas », commente Hijack.

    Né à Los Angeles, Hijack s’est imposé en quelques années comme l’un des artistes les plus prometteurs du street art. En avril 2013, à 20 ans, alors qu’il expose dans la prestigieuse galerie Mead Carney à Londres, Hijack y est encensé par la critique et considéré comme le nouveau Banksy. La même année, son exposition au Mexique est prolongée de plusieurs mois, et la galerie Moretti & Moretti présente ses œuvres à la manifestation « Street & Pop ». En 2014, une exposition en solo lui permet de donner à voir et à rêver de nouveaux horizons.

     

    https://www.instagram.com/p/B92H7YxpSVh/?utm_source=ig_embed

     

     

    Nello Petrucci (Pompei, Italie)

    Un collage baptisé « Sweet Home » représentant la famille Simpson et pour nous rappeler de rester à la maison (regardez les trois images en suivant la flèche à droite).

    Pour Nello Petrucci, les coupures de journaux, les photographies et les affiches de films sont le point de départ d’un monde à plusieurs niveaux. Ses œuvres allient collage et peinture, de façon unique. À partir des compositions et des graphiques solides qu’il appelle des « images capturées », Petrucci décompose ces images en leurs composants et les rassemble de nouveau, en nous offrant d’autres perspectives.

     

    https://www.instagram.com/p/B9l3pbaIrnw/?utm_source=ig_embed

     

     

    RBS Crew (Sénégal)

    Le collectif sénégalais RBS Crew a choisi de mettre ses bombes de peinture au service de la lutte contre le coronavirus. Il multiplie les fresques de prévention avec un rappel des gestes barrières, comme ici (faites défiler les différentes photos en suivant la flèche).

     

    https://www.instagram.com/p/B-FAGnGnUeF/?utm_source=ig_embed

     

     

    Darion Fleming (Charlotte, Etats-Unis)

    « Pure’ll Gold » (Notez le message « Nouveau ! Disponible nulle part » sur le flacon de cette splendide fausse publicité de gel hydro-alcoolique). « J’espère que cela pourra offrir un peu de soulagement comique dans cette période grave et éprouvante pour l’humanité. Restez à l’abri, restez en bonne santé et restez créatifs », a écrit Darion Fleming sur Instagram.

     

    https://www.instagram.com/p/B-AI3E7ptUc/?utm_source=ig_embed

     

     

    Tyler (Mumbai, Inde)

    « Keep calm and corona », a simplement écrit l’artiste Tyler.

     

    https://www.instagram.com/p/B9we_-Jps7n/?utm_source=ig_embed

     

     

    Onemizer (France)

    « L’amour est la clé », a écrit l’artiste français Onemizer, alias Cyril Valade.

    Onemizer puise son inspiration dans les classiques du Pop Art tels que Basquiat, Warhol… ainsi que plus simplement dans sa vie quotidienne, ce qui l’entoure, et dans la scène street art. Il aime travailler les lettrages, revisiter les portraits de personnalités ou objets qui ont marqué l’Histoire ou son histoire personnelle.

     

    https://www.instagram.com/p/B94jse4ILJJ/?utm_source=ig_embed

     

     

    TV Boy (Barcelone, Espagne)

    Le street-artist italien TV Boy a réalisé cette oeuvre à Barcelone. « Divided We Stand, United We Fall », a-t-il écrit, ajoutant #Stay Home. En détournant cette image de l’Oncle Sam (qui personnifie les Etats-Unis), il a souhaité critiquer le président Trump qui a tardé à admettre l’ampleur de la crise sanitaire. En inversant le slogan habituel : « Restons unis, divisés nous tombons » en « Restons divisés, ensemble nous tombons », il souligne la nécessité de la distanciation sociale.

     

    https://www.instagram.com/p/B9pmhqEqWVs/?utm_source=ig_embed

     

     

    Jilly Ballistic (Brooklyn, New York, Etats-Unis)

    « Un autre nouveau normal », a écrit l’artiste américain Jilly Ballistic autour de ce collage réalisé à New York, qui appelle avec humour à la distance sociale.

     

    https://www.instagram.com/p/B-KcLtVp5EE/?utm_source=ig_embed

     

     

    Gnasher (Essex, Angleterre)

    « A la vôtre, restez en sécurité… Je ne mange pas de pâtes ni ne m’essuie le cul ce soir… mais j’ai plein de bières », a écrit cet artiste anglais. #washyourhands

     

    https://www.instagram.com/p/B9pU46Fp3v6/?utm_source=ig_embed

     

     

    Pony Wave (Venice Beach, Los Angeles, Californie)

    « J’ai réalisé ce mural il y a plusieurs jours. Maintenant je reste à la maison, comme tout le monde », a tenu à préciser la street-artist Pony Wave. « Restez à l’intérieur, s’il-vous-plaît ! Je promets de revenir à Venice lorsque ce sera terminé et de peindre ».

     

    https://www.instagram.com/p/B-H0sOrAa-l/?utm_source=ig_embed

     

     

    Airá Ocrespo (Brésil)

    « Masque de Bolsonaro contre le coronavirus », a écrit l’artiste brésilien Airá Ocrespo sur son oeuvre. « Menteur, psychopathe, répugnant, vil, mesquin… », le street artist brésilien n’a pas de mots assez durs pour qualifier le président brésilien Bolsonaro dans son post Instagram. « Vous pouvez ajouter votre pire insulte contre cette crapule », conclut-il.

     

    https://www.instagram.com/p/B94FWBCJ1_F/?utm_source=ig_embed

     

     

    Muckrock (Miami, Etats-Unis)

    L’artiste californien Muckrock a réalisé cette oeuvre représentant Anna Nicole Smith avec un masque barré du mot « Peur », alors qu’il se trouvait à Miami au début de la panique des Américains devant l’arrivée du coronavirus. Pourtant, a-t-il écrit dans son post, « Miami est un bon endroit pour être en confinement ».

     

    https://www.instagram.com/p/B9poiVfpLHJ/?utm_source=ig_embed

     

     

    Teachr1 (Miami, Etats-Unis)

    Sans commentaire…

     

    https://www.instagram.com/p/B9yaxYYpMYH/?utm_source=ig_embed

     

     

    The Rebel Bear (Glasgow, Ecosse)

    « Un jour viendra où les masques pourront tomber, les frontières réouvriront et les connexions pourront reprendre – espérons-le plus fortes que jamais. Plein d’amour et prenez-soin de vous », a écrit l’artiste écossais.

     

    https://www.instagram.com/p/B94pLZYjrny/?utm_source=ig_embed

     

     

    Source : France Info

     

     

     

  • La Nuit Body Snatchers à la Cinémathèque

     

     

    Ce qui, à l’origine constituait le postulat d’une nouvelle de science-fiction, (« Graines d’épouvante » de Jack Finney publiée en 1955), soit l’invasion d’entités extraterrestres prenant forme humaine et « remplaçant » ainsi, à terme, l’humanité, individu par individu, est devenu plus qu’un thème cinématographique. C’est un motif, un principe abstrait et théorique qui allait dépasser les déterminations des genres.

     

    En 1955, sous la férule du producteur indépendant Walter Wanger, Don Siegel réalise ce qui s’appellera en français, à la suite d’une erreur de traduction, « L’Invasion des profanateurs de sépultures ». La peur et le malaise y sont principalement liés à la question de la déshumanisation qui devient une véritable interrogation esthétique et morale (qu’est-ce qu’une figure humaine dans un film ?).

    Le remake que signe Philip Kaufman en 1978 est représentatif d’un changement radical de la société et du spectateur. Les temps, devenus incrédules, exigent que le processus de transformation de l’homme en un double « différent » soit l’explication d’une logique psychologique particulière. Dans sa version, réalisée en 1992, Abel Ferrara, enfin, révèle, grâce à un dispositif très particulier situant le récit au cœur d’une base militaire, qu’il y a pire que le cauchemar du devenir-autre, il y a l’enfer du même.

    Ce thème de la transmutation de l’unique en son « autre » connaitra encore de nombreuses variations cinématographiques, dont « Invasion » d’Oliver Hirschbiegel réalisé en 2007 constitue un exemple.

     

    Jean-François Rauger

     

    C’est à la Cinémathèque et c’est le samedi 07 mars à 22h00 ! Au Programme :

     

    « L’Invasion des Profanateurs » (Invasion of the Body Snatchers)
    Philip Kaufman (Etats-Unis / 1978 / 115 min / DCP / VOSTF)
    D’après le roman « L’Invasion des profanateurs de sépultures » de Jack Finney.
    Avec Donald Sutherland, Brooke Adams, Leonard Nimoy, Jeff Goldblum.

     

    « L’Invasion des profanateurs de sépultures » (Invasion of the Body Snatchers)
    Don Siegel (Etats-Unis / 1955 / 80 min / DCP / VOSTF)
    D’après le roman « The Body Snatchers » de Jack Finney.
    Avec Kevin McCarthy, Dana Wynter, King Donovan, Carolyn Jones.

     

    « Body Snatchers »
    Abel Ferrara (Etats-Unis / 1992 / 87 min / 35mm / VOSTF)
    Avec Terry Kinney, Meg Tilly, Gabrielle Anwar.

     

    « The Invasion »
    Oliver Hirschbiegel (Etats-Unis / 2005 / 98 min / 35mm / VOSTF)
    D’après le roman « L’Invasion des profanateurs » de Jack Finney.
    Avec Nicole Kidman, Daniel Craig, Jeremy Northam.

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] La Nuit Body Snatchers

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] The Body Snatchers à Instant City

     

     

     

  • John Williams : Quand la musique devient du cinéma (Partie 03)

     

     

    John Williams… Quand la musique est bonne, bonne, bonne, quand elle ne triche pas !!! Euh, désolé… Allez, revenons à nos moutons… « Star Wars », « Superman », « Harry Potter », « Jurassic Park »… Quel serait l’empreinte laissée par ces films sans leur thème d’ouverture ? Car lorsque l’on se remémore l’une de ces œuvres, c’est en premier lieu sa musique qui nous vient en tête, avant même les images.

     

    La tétralogie Indiana Jones

    A l’instar de ces marches et de ces mélodies reconnaissables entre mille, et dans le monde entier, John Williams va composer pour le nouveau projet de George Lucas et Steven Spielberg, en 1981, un autre thème incontournable, parmi tous ces grands standards cinématographiques : « Les Aventuriers de L’Arche Perdue ».

    Indiana Jones, c’est d’abord cette silhouette légèrement voûtée, surmontée du chapeau Traveller de la chapellerie anglaise Herbert Johnson, et le fouet. C’est Harrison Ford, bien-sûr, mais aussi cette musique, avec ces cuivres  qui surgissent de nulle part, comme une invitation au voyage et à l’aventure. Puis le thème s’envole et vous met du vent dans les cheveux, avec cette irrépressible envie d’action, de découverte et de course-poursuite.

    Steven Spielberg, qui rêvait de réaliser un épisode de James Bond ou encore d’adapter Tintin au grand écran, va combler en partie cette frustration en mettant en scène ce personnage imaginé par son ami George Lucas.

     

    [youtube id= »id5NUqusuIs » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    Car John Williams a toujours eu ancré en lui ce génie de la synthèse. A savoir qu’en quelques simples notes, il parvient à rendre caduque tout ce qui a pu être produit ou entendu précédemment, dans un registre similaire. Pour un personnage fort comme Indiana Jones, il lui faudra donc un hymne qui puisse venir compléter sa panoplie à la perfection et ainsi participer à sa légende.

    Et c’est imparable… Après avoir découvert au cinéma en 1981 « Les Aventuriers de L’Arche Perdue » et sa musique, il vous sera dès lors impossible d’imaginer ou d’apprécier tout autre thème écrit pour un sujet similaire. Tant le compositeur de « La Dernière Croisade » assoit encore un peu plus le genre avec chacun de ses scores. Ses créations deviennent non seulement les génériques des films qu’elles illustrent, mais en même temps le générique en tant que tel du genre qu’elles développent.

    Ainsi, non seulement ce film mêlant archéologie, spiritisme, action et fantaisie, fait office d’œuvre définitive sur le sujet, mais de surcroît, sa musique devient instantanément un classique. Tel un alchimiste, John Williams va réaliser la fusion parfaite entre image et son, en composant une suite orchestrale tour à tour grandiose, lyrique, spectaculaire et mystique.

     

    [youtube id= »ntXJJwEk1NA » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    Il y a bien-sûr (et c’est la mode actuellement…) tous les insurgés, les scandalisés, ceux qui crient sans relâche au plagiat, au saccage auquel se livrerait John Williams, en dépossédant d’autres illustres compositeurs de leurs œuvres. Non et cent fois non ! Le compositeur de la marche des Jeux Olympiques de 1984 n’a jamais plagié qui que ce soit. Et je renvoie les accusateurs de tout poil à la définition exacte du verbe « plagier ».

    Oui, John Williams s’inspire beaucoup, c’est un fait, voire emprunte des thèmes qu’il transforme. Et j’ai d’ailleurs largement évoqué ses influences dans les deux précédentes parties. Certes, il utilise des matériaux connus pour les remettre à sa sauce. Mais je vous mets au défi de trouver dans ses propres partitions des copiés-collés de musiques déjà existantes et des mélodies en tous points identiques à celles qui auraient pu être créées par d’autres. On peut évidemment reconnaître parfois des emprunts à tel ou tel compositeur ou y déceler les influences dont il se nourrit.

    Mais John Williams n’a pas son pareil pour défricher, réarranger et souvent améliorer. Le procès que certains lui font sur ses prétendues impostures est ainsi dénué de tout fondement. Et avant de refermer cette parenthèse, la position de ceux qui souhaitent réduire ce compositeur multi-oscarisé au rang de vulgaire faussaire, d’escroc ou de petit faiseur à la solde d’Hollywood, est risible. Je renvoie donc tous ces censeurs à leur bûcher des vanités et à leur condescendance.

     

    Pour en revenir à Indiana Jones, car c’est après tout de cela dont il s’agit ici… John Williams déploie pour chacun des films de la série, y compris pour ce 4ème opus qui est à mon sens le plus faible (euphémisme…), des trésors de mélodie et d’ingéniosité. Même si je considère que « Les Aventuriers de L’Arche Perdue » et « Le Temple Maudit » restent sans conteste les deux meilleurs scores de la tétralogie, mais aussi les deux meilleurs films.

    Pour le premier, John Williams reprend les principes opératiques allemands et italiens, tout au long des titres, et place peu à peu des motifs qui grandissent au fil de l’intrigue qui se précise, jusqu’au final ou le thème susurré jusque-là, explose en un maelström orchestral et choral, avec la manifestation divine qui déchaîne la colère de Dieu contre les nazis.

    Une autre des grandes prouesses de ce score reste le morceau intitulé « Desert Chase ». Il accompagne la fameuse course-poursuite en camion, quand Indiana Jones tente de récupérer l’Arche d’alliance, aux mains des Nazis. La musique épouse ici le moindre geste, le plus petit mouvement, que ce soit de la mise en scène ou des personnages ; une scène qui dure un peu moins de 8 minutes, mais qui est un bijou de découpage et d’idées filmiques. Une fois de plus, la musique de Williams ne cherche pas à voler la vedette à la séquence, mais uniquement à la sublimer.

     

    [youtube id= »ELp0Lps-EPU » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    Le Temple Maudit

    Là encore, cette composition suit le film à la virgule près. Ce deuxième opus est bien plus rapide que le précédent, mais aussi beaucoup plus sombre. John Williams réinvente encore une fois le score, puisqu’il imagine de nouveaux thèmes et de nouvelles sensations. Si le premier proposait une musique aux accents bibliques, pour « Le Temple Maudit », on est dans le serial pur et les films de Fritz Lang, entre « Le Tigre du Bengale » et « Le Tombeau Hindou ». Les chœurs ne sont plus divins mais lugubres, presque païens.

    Tout le film de Spielberg se conçoit comme une longue course-poursuite. Il pousse même le concept jusqu’à imaginer la scène des wagonnets dans la mine à la manière d’une attraction de fête foraine, un grand huit où le spectateur serait lui aussi convié, aux premières loges. Même si le film est plus cynique, sa musique n’en demeure pas moins réussie.

    Les morceaux « Children In Chains » et « Slave Children’s Crusade » figurent parmi ces nouveaux thèmes forts et inspirés qui viennent s’incruster comme jamais dans l’univers des films Indiana Jones. « The Temple Of The Doom », autre morceau-phare qui renvoie au « Carmina Burana » de Carl Orff, apporte là-aussi une nouvelle thématique dans l’œuvre du maestro, avec ces percussions et ces chœurs possédés et maléfiques.

     

    [youtube id= »3RUmGoZoiFo » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    Indiana Jones et La Dernière Croisade

    Si ce nouvel opus, malgré la présence de Sean Connery, s’avère être plus faible et moins inspiré que les deux précédents, force est de reconnaître que John Williams garde toujours la main. Là encore, il joue avec les thèmes déjà existants, pour mieux les malaxer, les transformer.

    Toujours prompt à trouver de nouvelles mélodies, c’est autour du Graal et d’une noblesse oubliée, celle des Chevaliers de la Table Ronde, que Williams construit ici le score du troisième film de la série. Il parvient à relier les thèmes existants aux nouveaux et ainsi inscrire le personnage d’Indy dans la légende.

     

    [youtube id= »tmjAtQ11E-s » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    Indiana Jones et Le Royaume des Crânes de Cristal

    Tout le monde s’accorde à dire que ce 4ème volet de la série est une véritable gabegie. Une bouillie scénaristique, numérique et filmique. Pourtant, John Williams ne ploie pas sous le poids de la catastrophe et compose avec pas grand-chose de fort à se mettre sous la dent un score tout à fait honorable. On ferme les yeux, on écoute la musique de ce film et on se prend à rêver d’une aventure mystérieuse et palpitante.

    Tout est virevoltant et léger. John Williams, comme il a pu le faire avec les Star Wars, revisite les thèmes connus. Il les inclut dans les nouvelles compositions, pour mieux inscrire le film dans une continuité. Ce qui n’est pas tâche aisée, quand on assiste à la catastrophe qu’est ce 4ème volet des aventures d’Indiana Jones, à tous les niveaux. Même si Steven Spielberg ne parvient pas cette fois-ci à sauver quoi que ce soit dans ce naufrage, il reste encore et toujours la musique. La musique de John Williams…

     

    [youtube id= »09SOPcC-brU » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    Pour la 4ème et dernière partie consacrée à John Williams, j’évoquerai « Minority Report », « A.I. » et « La Guerre des Mondes ».

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »]  « John Williams : quand la musique devient du cinéma (Part 01) » 

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »]  « John Williams : quand la musique devient du cinéma (Part 02) »

     

     

     

  • Hugh Coltman va où le vent l’emporte…

     

     

    A l’occasion de son concert à l’Espace Carpeaux, Courbevoie, le 30 janvier 2020, rencontre avec un artiste attachant : Hugh Coltman. Britannique, ancien leader du groupe blues-rock The Hoax, avant de se muer en songwriter folk-pop puis en explorateur du plus beau patrimoine du jazz, Hugh Coltman s’affranchit des frontières, des formats et des habitudes. 

     

    Après un album hommage à Nat King Cole qui lui valut une Victoire du Jazz en 2017, le musicien-caméléon Hugh Coltman nous embarquait en 2018 au coeur des racines musicales de la Nouvelle-Orléans. Des drums qui dansent comme dans l’un des légendaires enterrements de la Crescent City, des cuivres gorgés de soul, des guitares mêlant tous les blues et tous les folk…

    Hugh Coltman s’est offert un écrin sublime pour son dernier opus « Who’s Happy? », qui donne lieu à un voyage musical et existentiel, entre confidences chuchotées à notre oreille et grand spectacle. Et il faut bien avouer que le crooner sait comment immanquablement nous embarquer dans ce voyage. Tantôt intimiste, tantôt expansif, mais toujours drôle, l’artiste nous fait partager ses souvenirs d’enfance, son histoire personnelle et ses émotions. A découvrir ou redécouvrir, de toute urgence !

     

    [youtube id= »NfV-yUnmGhQ » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    Hugh Coltman, vous êtes donc l’Anglais qui vit en France et qui échappe au Brexit, c’est bien ça ?

    Ça me déprime, franchement… Une autre question ?

     

    En 2017, vous remportiez une Victoire du Jazz catégorie Voix de l’année. Ça fait quoi ?

    C’était cool. Bon, après, je dois avouer que ça n’est pas forcément un concept auquel j’adhère totalement. La compétition en musique, les récompenses… Mais quand tu reçois le prix, tu es quand même content.

     

    Depuis 2008, vous sortez des albums en France et on adore. Quand vous reprenez « Smile » de Nat King Cole, c’est magnifique. Quand vous chantez en Français « A Défaut » dans « Le Soldat Rose », on kiffe votre petit accent So British. Et puis en mai 2018, vous sortiez « Who’s Happy? », un album qui sent bon La Nouvelle-Orléans. Là, on parle de jazz, mais votre spectre est beaucoup plus large, entre soul, folk et pop. Avec votre dernier disque, vous avez choisi une niche ?

    Déjà, lorsque je compose un truc qui me plaît, j’ai du mal à me restreindre et à me dire « non, cette chanson, ça n’est pas pour ce moment, pas pour ce projet ». Et lorsqu’on me propose des choses, par principe, c’est intéressant. J’ai toujours bossé dans une logique aléatoire. Quand je rencontre quelqu’un, ça peut m’emmener n’importe où et je ne cherche pas à lutter contre ça. J’essaie donc de ne jamais m’enfermer ou me cloisonner à ce qui semble écrit d’avance. Et surtout aujourd’hui, avec les réseaux et les plateformes… Alors, d’un côté, on peut se dire que c’est assez destructeur pour la musique, mais d’un autre côté, ça ouvre des perspectives incroyables. Pour les jeunes amateurs de musique, il y a moins de frontières qu’avant entre les styles ou les origines. Tout sort finalement du même tuyau…

     

    [youtube id= »qxnl_d_i4-g » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    Et d’ailleurs, c’est assez étonnant de noter que sur ces fameuses plateformes, tous les vendredis, sont publiées des playlists de nouveautés. Car le vendredi, c’est le jour des sorties. Et dans ces playlists, tous les genres sont mélangés, entre hip-hop, soul, jazz, rock ou même variétés… Et peut-être que les jeunes sont finalement plus curieux que ce que l’on croit.

    Oui, je trouve ces playlists assez intéressantes et on peut parfois y découvrir des bons trucs. Ça m’arrive souvent de mettre un album tout en faisant autre chose, et d’un coup, mon attention est attirée par un morceau qui sonne bien. Après, ça dépend évidemment des algorithmes et sur quoi ils t’envoient… Mais ça a des bons côtés.

     

    En 2019, vous vous êtes engagé aux cotés du Secours Populaire, une association qui existe depuis 1945 et dont la mission est d’aider les plus démunis. C’était une année un peu rude pour l’association, avec la perte de leur président emblématique, Julien Lauprêtre, disparu à l’âge de 93 ans. Vous avez rameuté quelques potes et participé au concert Secours Pop Live organisé à la Petite Halle de la Villette en juin dernier. 

    Je dois avouer que j’étais très touché par cette sollicitation. Et il faut dire qu’aujourd’hui, le temps court tellement vite, et qu’on n’a probablement pas fini de voir l’écart entre les classes sociales se creuser. En plus, je trouvais que c’était une bonne occasion de faire quelque chose que je n’avais plus fait depuis longtemps, à savoir un concert en solo, juste guitare et voix. Du coup, je me demandais qui je pouvais inviter à venir partager ce moment avec moi sur scène. et j’étais ravi d’accueillir Tété, Matthis Pascaud, Sandra Nkaké, Gunnar Ellwanger du groupe Gunwood, Marjorie Martinez, Anne Gouverneur, Melissa Laveaux, Raphaël Chassin. Quand avec un simple concert, ce qui motive ma vie, je peux ajouter ma pierre à l’édifice, alors il faut le faire.

     

    [youtube id= »bVNydPKvlGs » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    La chanson qui vous a fait connaître en 2008, « Could You Be Trusted », ne correspond plus vraiment à ce que vous faites maintenant. Est-ce que malgré tout, vous pourriez la reprendre aujourd’hui, même d’une manière différente, ou appartient-elle désormais à une période révolue de votre vie ?

    Dans un premier temps, je dirais que non, je ne reprendrais pas cette chanson aujourd’hui. Et puis, en y réfléchissant bien, pourquoi pas. C’est une idée. [Rires]

     

    [youtube id= »x3F3SCGVO3k » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    A ce propos, c’est facile de naviguer entre divers genres musicaux vraiment différents ? Car on a parfois l’impression que les frontières sont assez fermées…

    Je pense qu’avant, c’était plus compliqué qu’aujourd’hui. Si on prend l’exemple d’un groupe comme Backos, il est difficile de déterminer si c’est du jazz ou non. Et d’ailleurs, je dirais que je m’en fous. Ce qui compte, c’est l’émotion. L’autre exemple, c’est Jeanne Added, qui a évolué pendant longtemps dans l’univers du jazz, avant de lancer ses propres projets dans d’autres directions. Mais toute son histoire dans le jazz enrichit ce qu’elle fait aujourd’hui. Je trouve que les jeunes se foutent beaucoup plus des étiquettes que les générations précédentes. Tiens, je profite de l’occasion pour faire un peu de promo pour une salle à Paris, La Gare, que je soutiens vraiment. On peut y écouter du jazz, mais aussi d’autres styles qui découlent naturellement du jazz. Ce genre d’endroits sont fréquentés par les jeunes et ça casse un peu les codes.

     

    Quand on est plutôt rock ou variétés, c’est vrai que le jazz pur et dur, c’est un peu étrange. Le fait qu’il n’y ait pas de refrain, par exemple. Ou alors qu’il y ait un refrain mais que tu ne t’en rendes compte qu’au bout d’un quart d’heure… Le jazz, c’est tout de même plus compliqué, plus difficile d’accès, non ?

    Et pourtant, à l’origine, ça ne l’était pas. A l’époque, les jazzmen ont commencé à interpréter des chansons pop. Des trucs comme « All Of Me », etc… Ce qu’on appelle aujourd’hui dans le jazz des standards. Et ces chansons étaient souvent reprises sans voix, avec des instrumentistes qui étaient censés représenter les voix. Le but était que le public puisse reconnaître la chanson. Et là, pour le coup, on a vraiment des couplets et des refrains. Evidemment, assez rapidement, on est parti dans le free jazz et d’autres courants du jazz. En ce qui me concerne, mes premières influences étaient vraiment blues et blues-rock.

     

    Et le virage vers le jazz s’est fait facilement ?

    Oui, dans mon cas, vraiment facilement. Pour moi, ce qui compte, c’est le groove. Ce swing qui tourne aussi bien chez Led Zeppelin que chez The Black Keys ou dans le jazz. A l’époque, avec mon premier groupe, The Hoax, on jouait dans des salles aux Etats-Unis, et tu avais cette réaction du public au groove, au swing, quel que soit le style de musique que tu jouais. Et ça, c’est vraiment jubilatoire. Ce côté fédérateur et participatif de la musique. Et surtout dans la musique instrumentale ou d’improvisation, où pour la peine, c’est vraiment un précieux coup de main apporté aux musiciens.

     

    [youtube id= »cYxFrsfaMkA » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    Hugh Coltman, parlons boutique maintenant… On a adoré votre album « Who’s Happy? » et son ambiance Nouvelle-Orléans. Bon, ça ne vient pas de nulle part puisque vous êtes allé l’enregistrer là-bas. Qu’est-ce que nous préparez pour la suite ? Des envies particulières ? D’autres lieux qui vous inspirent ?

    Pour le moment, je n’ai que des bribes de chansons… Et il y a toujours ce stress, après avoir sorti un disque et l’avoir tourné pendant un temps, d’avoir à se remettre au travail, en partant d’une page blanche. Moi, en fait, je suis un fainéant. Avec mes deux derniers disques, je me réjouissais vraiment de partir en tournée et de présenter ces chansons au public, sur scène. Et d’un coup, on réalise que la tournée touche à sa fin, et qu’il va falloir écrire un nouvel album. Là, paradoxalement, on rentre dans un process assez mécanique, finalement. On se dit : « Bon, on se met à la table et on le fait ». Vous savez, quand on est dans la musique, on reçoit pas mal d’avis de la part des partenaires, des amis, qui ont chacun leur point de vue sur ce que vous faites. Et quand on cogite à ce que va être la suite ; qu’est-ce que tu as envie de dire, et comment tu as envie de le dire, ça peut polluer ton espace mental assez rapidement…

     

    Et là, ça se passe comment ?

    Justement, c’est à ce moment qu’on rentre dans cette sorte de mécanique. Je me dis que je dois écrire une chanson le matin, une chanson l’après-midi. Ou en tout cas, accoucher au moins de quelque chose ; un couplet, un refrain, une mélodie, un squelette de chanson… Et je fais ça pendant trois ou quatre jours, sans me poser de questions… Très simplement, juste avec mon téléphone, ma guitare. Ensuite, on a un peu l’épée de Damocles au dessus de la tête, parce qu’il faut réécouter tout ça, à froid. Et c’est à ce moment qu’on se dit : « Mais c’est canon ! ». [Rires]

     

    [youtube id= »-U3Bx_8huBA » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

     

  • John Williams : Quand la musique devient du cinéma (Partie 02)

     

     

    La richesse d’une collaboration au long cours entre un cinéaste et un compositeur, qui va perdurer durant des années et donner lieu à de nombreux films, c’est que chacun se nourrit de la sensibilité de l’autre ; comme dans un couple (de cinéma…), il en résulte une forme de quintessence, dont le résultat à l’écran est une osmose parfaite entre le son et l’image.

     

    Bernard Herrmann et Alfred Hitchcock, Pino Donaggio et Brian De Palma, Danny Elfman et Tim Burton, Ennio Morricone et Sergio Leone, Angelo Badalamenti et David Lynch, James Newton Howard et M. Night Shyamalan, Hans Zimmer et Christopher Nolan, Eric Serra et Luc Besson… Bon, le dernier exemple, c’était plus pour rire… Et puis bien-sûr John Williams et Steven Spielberg… Avec comme seules entorses au contrat, « Purple Color » dont la bande originale fut composée par Quincy Jones, « Amblin’ » et le téléfilm « Duel » avec Billy Goldenberg.

    Avec « Rencontres du Troisième Type » sorti en 1977, c’est donc la troisième collaboration entre Williams et le réalisateur de « Schindler’s List ». Steven Spielberg avait été impressionné par le travail musical accompli par John Williams sur des films sortis en ce début des années 70 ; « L’Aventure du Poséidon » (1972), « La Tour Infernale » (1974), « Tremblement de Terre » (1974), mais surtout avec « Reivers » (1969) et « Images » de Robert Altman en 1972. Il s’avère que John Williams est non seulement à même de composer la musique de trois films par an en moyenne, mais il sait de surcroît différencier chaque projet qu’il entreprend. La richesse thématique qu’il est capable de mettre en œuvre et cette facilité avec laquelle il peut jongler entre les différents projets en cours sidèrent Steven Spielberg…

     

    [youtube id= »07soaxSeooo » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    Pour « Rencontres du Troisième Type », la visite des extraterrestres sur terre ne va pas se solder par une éradication totale de l’espèce humaine, avec force désintégration en bonne et due forme, auxquelles le public était jusqu’alors habitué. Non, déjà afin de ménager un certain suspense, John Williams doit cette fois avoir une approche faite de mystère, tout en instillant une ambiance assez anxiogène.

    Comme il avait pu le faire avec le score du film « Images » d’Altman, Williams s’essaie ici à un style atonal à base de percussions, de sonorités étranges et dissonantes, le tout rehaussé par des chœurs inquiétants. Ce travail presque expérimental rappelle immédiatement le style de Ligeti et son requiem, utilisé d’ailleurs pour l’ouverture de « 2001, l’Odyssée de l’Espace ». En effet, au début du film de Steven Spielberg, on ne connaît pas encore vraiment le dessein de ces visiteurs extraterrestres et la nature de leur démarche.

     

    [youtube id= »4rl8psoTLgI » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    Toute une partie du score de « Rencontres du Troisième Type » fera en sorte d’appuyer les spéculations empreintes d’inquiétude des scientifiques en quête de réponses, ainsi que les personnages de Richard Dreyfuss et Melinda Dillon, quant à eux en quête de vérité. On laisse planer le doute jusqu’au final, lorsque John Williams retrouve l’essence du merveilleux. Il reprend donc le thème des cinq fameuses notes jouées au tout début de la grande scène finale, afin de tenter de communiquer avec les extraterrestres, en une suite orchestrale qui fédère ainsi aussitôt les humains et les visiteurs de l’espace. C’est alors une communion musicale qui accompagne le dernier segment du film, tandis que nos divers protagonistes révèlent leurs véritables rôles respectifs dans toutes ces conjonctions, avant le grand départ.

    Avec ce score, nous avons affaire à une musique totalement habitée, inspirée et riche en motifs ; une bande originale qui révolutionne le rôle de la musique au cinéma, puisqu’elle y est également intra et extra-diégétique. La musique est ici un élément-clef dans le processus créatif et dans ce que raconte le film ; dedans, autour et après. On ne peut imaginer alors un autre compositeur que John Williams pour non seulement accompagner les images, mais les redéfinir.

     

    [youtube id= »YNOwfa65gjU » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    « E.T., l’Extra-Terrestre » sort en 1982. On peut voir ce film comme le pendant parfait à « Rencontres du Troisième Type » ; une sorte de suite ou de point de vue autre sur cette thématique. Une extension dont le traitement, même s’il reste universel, sera plus linéaire, plus simple, plus pur.

    Pour illustrer cette fois-ci ce récit intime dans lequel la visite d’un extraterrestre est vécue du point de vue d’un enfant, John Williams et Steven Spielberg optent paradoxalement pour une musique orchestrale puissante. Ne craignant pas les envolées lyriques totalement assumées, le compositeur de « Jaws » illustre ici avec beaucoup de force et de mélodie le ressenti du personnage principal, Elliott, face au monde des adultes, et d’autre part l’instauration de sa relation avec son nouvel ami venu de l’espace.

    Pour les amateurs de musique classique, on pense tout de suite à l’univers de Sergueï Prokofiev et notamment « Pierre et le Loup » ou le ballet « Roméo et Juliette ».  Les cors, ainsi que les autres cuivres, employés de manière puissante, créent un relief saisissant, avec cependant des ambiances générales plus douces. John Williams utilise de nouveau le leitmotiv. Chaque personnage aura son thème ou plutôt chaque camp aura son propre motif.

    En effet, l’idée pertinente du projet réside dans le fait que le réalisateur de « A.I. Intelligence Artificielle » a souhaité faire un film à hauteur d’enfant. On regarde donc « E.T. » du point de vue d’Elliott, le jeune héros, avec ses émotions qui se trouvent démultipliées. En s’identifiant à lui, les curseurs du merveilleux et du ressenti sont poussés au maximum et cette musique n’est que l’émanation des sentiments du petit terrien âgé de dix ans.

     

    [youtube id= »5wWuOcWUL8c » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    John Williams a su également installer des mélodies douces comme jamais il n’en avait composées jusqu’à présent, pour figurer cette enfance, avec son innocence et sa magie. Le piano et la clarinette contrebalancent ainsi les cuivres, dont les cors, qui représentent quant à eux les adultes, et notamment les mystérieux agents du gouvernement qui recherchent le fugitif intergalactique. Ce balancement entre force orchestrale et des modes musicaux plus doux et délicats, en d’incessantes ruptures de ton, rappellent aussi les constructions inattendues et étonnantes d’un autre immense compositeur de la fin du 19ème et début du 20ème siècle, Gustav Mahler.

    On ne peut nier les similitudes avec la symphonie # 1, ou « Titan », du compositeur autrichien, dont le premier mouvement évoque une ambiance de sous-bois et de mystère végétal. Le début d’« E.T. » et cette petite flûte aérienne, à l’instar d’une symphonie, rend hommage au dieu Pan, dieu de la forêt et de la nature, et inscrit de suite cette oeuvre de Spielberg dans une forme classique, définitive et intemporelle.

    Et comme cette musique n’a pas pris une ride depuis 1982, elle enveloppe le film, dans une aura de grand spectacle indémodable, et ce malgré des effets spéciaux qui ont pris un sacré coup de vieux. « E.T. », au même titre que beaucoup d’autres compositions de John Williams, se réécoute aisément comme une partition séparée. L’univers sonore dépeint ou proposé dans le film peut dès lors se décliner pour toute autre rêverie personnelle, tant il est riche et profond, au point qu’il y est impossible de ne voir dans ce score qu’une simple illustration formatée.

     

    [youtube id= »75M1XXEZciU » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    Pour s’en convaincre, ce morceau de bravoure musicale et élégiaque final intitulé « Escape, Chase, Saying Goodbye », où l’on revient à la façon d’un medley sur tous les thèmes entendus dans le film, pour exploser en un bouleversant bouquet final, lorsque E.T. et Elliott se font leurs adieux, que le vaisseau décolle et disparaît dans le ciel. A ce moment-là, les poils sur les bras sont au garde à vous et les larmes brouillent la vue.

    La prochaine partie de cette petite anthologie sur John Williams traitera de la musique pour les films sur l’archéologue le plus célèbre du cinéma d’aventure.

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] « John Williams : quand la Musique devient du Cinéma (Part 01) »