« Belle du Seigneur », le pavé incontournable écrit par Albert Cohen, sorte d’extrapolation de « L’amour dure trois ans » de Beigbeder, a cinquante ans. Que sa taille imposante ne vous rebute pas, l’hiver est propice à la lecture de ce genre de classique, où l’on ne s’ennuie jamais, à condition de garder le fil !
Les cent premières pages décrivent le contexte social années 30 des principaux protagonistes, issus de la bourgeoisie et vivant à Genève. Ensuite sont évoquées les parentés, souvent dépeintes de façon cocasse, d’un côté petits bourgeois conservateurs, de l’autre bouillants céphaloniens… Vient après le poste du mari, Adrien Deume, jeune oisif empâté et fort soucieux de lui-même, qui doit son avancement soudain à la Société des Nations grâce à un supérieur manipulateur, qui va l’éloigner de son épouse dans le but de la séduire.
Après avoir résisté, essentiellement pour le principe, la belle tombe dans les mailles du filet de ce beau parleur, qui décrit les affres de la passion avec moultes détails. Le mari parti durant trois mois, les premiers temps de leur passion sont décrits par le menu, chacun voulant se mettre en valeur pour faire perdurer l’amour naissant, ils ne peuvent passer quelques heures loin l’un de l’autre… Stendhal ou Marivaux n’auraient pas pu mieux l’écrire… Hélas, le mari rentre plus tôt que prévu, par conséquent les oncles hauts en couleur de l’amant l’assistent pour enlever la belle ! Un véritable vaudeville ! D’autant plus que l’époux éperdu envisage de mettre fin à ses jours.
Aux temps heureux succèdent les jours sans grâce où l’on s’ennuie, peu à peu, où tous les détails, autrefois charmants, deviennent insupportables… Solal est un paria, l’antisémitisme gronde en 1935, sa nationalité française est révoquée et il n’a plus l’apanage de son rang social à la Société des Nations. Les hôtels de luxe où l’on ne sait que faire pour passer le temps, où l’on rencontre des gens dits de la bonne société qui vous fuient comme la peste… A présent l’heure est grave, l’ennui s’installe durablement, et Solal ne sait plus quel subterfuge inventer pour conserver l’intérêt d’Ariane, si fantasque au début.
Il connaît tout d’elle, ses moindres réactions, ses souvenirs d’enfance, sa famille… Ses emballements et ses centres d’occupations sont taris… Ils s’installent dans une villa nommée la Belle de Mai, alors qu’Ariane s’occupe des préparatifs (et notamment l’installation de wc supplémentaires), Solal essaie désespèrement de reprendre possession de son niveau social auprès de ses anciens amis de Paris. Point de souci d’argent, juste la passion qui n’est plus… Coup de théâtre, la belle avoue à son amant qu’elle a fréquenté alors qu’elle était mariée à son petit Deume. Il devient fou, ne cesse de la tourmenter pour connaître les détails, la repousse, la bat…
Cela redonne d’abord du panache à leur amour éteint, mais cela finira mal, forcément ! ils sont exclus, ils sont encore jeunes mais n’ont pas d’avenir… Bref, je vous conseille à tous niveaux de vous lancer à corps perdu dans cette peinture d’une époque, qui trouvera écho dans notre actualité, qui voit la montée des extrémismes affronter la mollesse de certains pachas, ronflant odieusement dans leurs fauteuils de velours.
Vous vous demandez sûrement à quoi ressemblait une block-party dans le Bronx en 1977 ? Asseyez-vous, papi va vous expliquer…
Bon, commençons par le commencement… Une block-party est, dans la culture américaine, une fête de quartier qui réunit le voisinage autour de quelques musiciens. Les block-parties ont vu leur popularité croître à partir des années 1970, notamment à New York, dans les boroughs de Manhattan (quartier de Harlem), du Queens, de Brooklyn ou du Bronx. Ces block-parties ont eu une influence très importante dans l’éclosion de la culture hip-hop, du rap, ou du dee jaying.
Le principe de la block-party est simple : on ferme les deux côtés d’une rue avec des barrières et un service de sécurité, on branche les éclairages et la sono sur un lampadaire dont on détourne le courant, et on fait payer un faible droit d’entrée pour que les gens du quartier viennent faire la fête, loin des lumières de la ville. Le Dj arrive : c’est un personnage-clé, le héros de la nuit. Avec sa mallette de 45 tours dont il a détaché les étiquettes afin que les curieux — ou les Djs concurrents — ne viennent pas deviner sa sélection musicale, il a de quoi secouer la nuit new-yorkaise.
A présent, remontons à cette année 1977. Comme nous l’avons déjà évoqué dans l’article « From Mambo to Hip-Hop, a South Bronx Tale », le début des seventies à New York voit émerger différents styles musicaux, parmi lesquels le hip-hop ou la funk. Dans ce document sonore exceptionnel à découvrir absolument, capturé sur le vif à l’occasion d’une de ces block-parties organisées dans le Bronx, des Djs se succèdent derrière les platines, tout ça dans un bordel indescriptible. Le « maître de cérémonie » coupe même le son pendant un instant, tentant de ramener un peu d’ordre, et demander au public de repasser derrière les barrières.
Tout ça pour dire, à ne pas rater, cet enregistrement est vraiment représentatif d’une époque…
A l’heure où les canons étaient sur le point de se taire, le 09 novembre 1918, s’éteignait une étoile dans le firmament de la poésie française : Guillaume Apollinaire. Retour sur la vie du poète, critique d’art, témoin d’une révolution esthétique et précurseur du courant surréaliste, qui mourut trop jeune, deux jours, donc, avant la fin de la Grande Guerre.
« Et toi mon coeur pourquoi bats-tu
Comme un guetteur mélancolique
J’observe la nuit et la mort »
Il faut associer la mémoire de Guillaume Apollinaire à la célébration de ce 11 novembre 1918 ; ce jour de fête, ce jour du souvenir, ce jour où dans les rues de Paris, les hommes et les femmes criaient leur joie et comptaient leurs morts. Dans les rues de Paris, bien-sûr, et même dans ce boulevard Saint-Germain, où les gens passaient, joyeux, heureux, tumultueux et où, tout là-haut, sous les toits, un poète était mort.
Guillaume Apollinaire s’était en fait éteint deux jours plus tôt, le 9 novembre, et à cause de l’armistice, il ne fut enterré que le 13 novembre. Durant ces quelques jours, il attendait là-haut, entouré de ses amis. Ses amis dont nous retrouverons quelques-uns dans le documentaire exceptionnel « L’art et les hommes » réalisé par Jean-Marie Drot et diffusée sur l’ORTF le 29 mai 1960 ; quelques-uns qui le rejoignirent, plus tard… Ce qui est frappant dans ce film, c’est la fragilité de tout ce qui est humain, la fragilité des souvenirs.
Apollinaire, dont les écoles de France, avec les meilleures intentions, sans doute, ont servi jusqu’à plus soif, peut-être, les « Alcools » à leurs élèves, lesquels n’en retiennent bien souvent, comme l’a noté Olivier Barbarant dans la revue « Europe », « que son appartenance à une avant-garde aux contours assez flous, ainsi que des images embrouillées de Tour Eiffel, d’avions, de papes et d’un soleil audacieusement décapité. »
Quand on pense à Apollinaire, on pense bien entendu à ce rire, « immense et homérique », dont parlait Paul Faure : « Apollinaire semblait un roi riant devant son peuple. Vive le puissant rire de Guillaume dans le Paris d’Apollinaire ! ». Mais on pense aussi à la mélancolie, à l’élégie, au chagrin d’amour, à « La chanson du mal-aimé ». Sans que rien ne prédomine, tout cela se conjugue, se télescope, se superpose, se suit. Apollinaire est tout cela à la fois…
Si Paul Faure évoque ce rire, c’est qu’Apollinaire était un homme d’amitié et d’enthousiasme, un homme curieux et un poète expérimentateur. Ce rire, c’est à la fois un grand éclat de rire franc, direct, massif, de quelqu’un qui aimait la vie, manger, l’amour, mais aussi un rire plus sombre, fait d’humour noir et d’ironie : « Mon verre s’est brisé comme un éclat de rire ». Il pourra être ironique dans une partie de sa poésie de guerre comme dans sa critique d’art, cultivant souvent l’ambiguïté.
Apollinaire était pris dans un réseau d’amitiés extrêmement dense, et lorsque l’on se rappelle ce grand poète, on se rappelle évidemment cet aspect de sa personnalité complexe. Et peut-être que le fait d’avoir permis à tant d’artistes membres de ce réseau d’avoir pu se rencontrer et se fédérer au sein de ce qui allait devenir un même mouvement artistique fait aussi quelque part partie de son oeuvre.
Car Apollinaire était un homme de réseau, avec une facilité naturelle à mettre les gens en relation, un homme qui comprend, qui jauge sans juger, et qui perçoit à merveille leur potentiel et ce qu’ils seraient susceptibles de réaliser ensemble. Il recevait beaucoup à son dernier domicile du boulevard Saint-Germain, de Robert et Sonia Delaunay à Chagall, en passant par Blaise Cendrars ou Vassily Kandinsky. C’est par exemple lui qui mettra en contact Giorgio de Chirico avec son premier marchand à Paris, en la personne de Paul Guillaume.
« Apollinaire habitait Boulevard Saint-Germain, dans un appartement constitué de plusieurs petites pièces reliées les unes aux autres par des escaliers de navire. Il s’y mouvait, il y déchiffrait les astres, il y hissait ses voiles en uniforme bleu, sous un émouvant turban de linge, parmi les statues nègres, les toiles cubistes, les livres, les jeunes revues, ses portraits de Marie Laurencin ou du Douanier Rousseau. Il écrivait, dans la plus haute cabine, où ses fétiches de navigateur étaient un exemplaire des « Serres Chaudes » de Maeterlinck et « L’Oiseau du Bénin » sur ses pattes de cuivre. » (Jean Cocteau)
Avec Apollinaire, on a l’impression d’une vie de mouvement perpétuel. A commencer par son enfance, mouvementée, presque trouble… Le poète a toujours vécu dans cette sorte d’instabilité, et probablement qu’une de ses ambitions fut de faire de cette instabilité une vertu, une qualité, une force.
Guillaume Apollinaire est né à Rome en 1880, enfant naturel et illégitime d’une mère française issue de la noblesse polonaise, Angelika de Kostrovitsky, et d’un père qu’il n’a pas connu, même si le nom de François Flugi d’Aspermont, ancien officier d’état-major du roi des Deux-Siciles, fut souvent évoqué.
Vivant à Rome de ses charmes et du jeu, Angelika de Kostrovitsky est une aventurière. Demi-mondaine, femme galante, entretenue, à la vie marginale et dissolue, elle y a une grossesse non désirée. Wilhelm naît le 25 août 1880 mais est déclaré à la mairie le 26 sous le nom italien d’emprunt Dulcigny, d’un père inconnu et d’une mère voulant rester anonyme. Angelika ne reconnaîtra l’enfant que quelques mois plus tard devant notaire, sous le nom de Guglielmo Alberto Wladimiro Alessandroi Apollinare de Kostrowitzky.
Pour mieux brouiller les pistes, Angelika Kostrowicka russifiera son nom pour devenir Angelika de Kostrovitsky. Et comme sa mère, Wilhelm Albert Wodzimierz Apolinary de Kostrovitsky, après une enfance placée sous le signe de l’errance, se construira à son tour en s’inventant. A 19 ans, il devient donc Guillaume Apollinaire. Apollinaire comme Apolinary, le prénom de son grand-père maternel.
Il n’y aura d’ailleurs pas dans son oeuvre de poursuite ou de quête du père. En revanche, on y trouvera une interrogation, une inquiétude constante sur l’origine…
« Il avait la voix courte, comme essoufflée. Ses yeux, ses doigts, semblaient ne toucher que des choses exquises et légères. Je ne sais pas pourquoi, je l’imagine toujours en train de dérouler le fil de quelque cerf-volant. Je pense aussi à ses hardiesses aériennes lorsque Notre-Dame porte le gui charmant d’un échafaudage. Il savait que l’ange de la poésie boite et louche, et qu’il en tire ses grâces. Son souffle givrait les vitres. Il n’avait qu’à passer une feuille, la plier et la déplier pour épanouir les terribles dentelles du rêve. » (Jean Cocteau)
Cet homme dont l’appartement ressemblait à un navire, dont Jean Cocteau construit la légende de manière si lyrique en l’imaginant « déroulant le fil de quelque cerf-volant », était quelqu’un de très terrestre, terrien, affichant un goût immodéré de la vie et de la sensualité, et en même temps cet artiste qui cultivait sans cesse son imagination en s’intéressant à des choses rares, afin de prolonger son rêve d’absolu.
Plus que de dire ce qu’Apollinaire a été, de fait, et montrer l’écart entre la légende et sa vie, il est captivant de voir comment cette légende s’est construite, et pour quelles raisons, finalement, il est resté à ce point dans les souvenirs des uns et des autres, des artistes, des peintres ou des poètes, comme cette figure à la fois onirique et très charnelle…
Après une enfance marquée au sceau de l’errance, entre l’Italie et Monaco, puis d’autres villes, Spa, Aix-les-Bains, la famille Kostrovitsky finit par arriver à Paris en 1900, dans un assez grand dénuement. Et c’est là, à l’aube de ce XXème siècle qu’il marquera de son empreinte, que le jeune Wilhelm va peu à peu devenir celui qu’il devait devenir… Il choisit son pseudonyme, Apollinaire, et choisir ce pseudonyme, c’est aussi choisir la langue française et se faire un nom afin de commencer à écrire son histoire.
Car la France, pour le jeune Wilhelm, c’est la nation la plus sensée, la plus mesurée, « la fille ainée du monde latin », une terre d’accueil et de culture. Du point de vue des lettres et des arts, la France, et Paris en particulier, faisait figure de phare dans cette Europe du tournant du siècle. Tous les artistes venaient à Paris. Certains choisissaient Munich, Londres ou Madrid, mais Paris avait cette réputation de liberté absolue, de créativité. C’était à Paris qu’il fallait être…
Sa mère le voit banquier. Il va déjouer les plans maternels pour devenir écrivain et poète pour des revues parisiennes…
Apollinaire travaille donc la journée dans une banque, mais entame une seconde journée le soir venu en allant trainer ses guêtres dans tous les lieux de Paris où bat le coeur artistique et bouillonnant de la ville. Officiellement, il vivra chez sa mère, au Vésinet, jusqu’à 27 ans, mais rares sont les nuits où il rentrera dormir chez elle. C’est à cette époque que commence le parcours initiatique du jeune Wilhelm, ces années durant lesquelles sa vocation littéraire s’affermit.
En juillet 1901, il écrit son premier article pour Tabarin, hebdomadaire satirique dirigé par Ernest Gaillet, puis en septembre 1901 ses premiers poèmes paraissent dans la revue La Grande France sous son nom de naissance, Wilhelm Kostrowiztky. De mai 1901 au 21 août 1902, il est le précepteur de la fille d’Élinor Hölterhoff, vicomtesse de Milhau, d’origine allemande et veuve d’un comte français. Il tombe amoureux de la gouvernante anglaise de la petite fille, Annie Playden, qui refuse ses avances. C’est alors la période « rhénane » dont ses recueils portent la trace (La Lorelei, Schinderhannes).
De retour à Paris en , il garde le contact avec Annie et se rend auprès d’elle à deux reprises à Londres. Mais en 1905, elle part pour l’Amérique. Le poète célèbre la douleur de l’éconduit dans Annie, La Chanson du mal-aimé, L’Émigrant de Landor Road, Rhénanes.
Dans ses premiers écrits, on retrouve déjà toutes les qualités qui caractériseront plus tard l’oeuvre d’Apollinaire, même s’il est encore très attaché au symbolisme. Il n’aura de cesse, toute sa vie, que de remettre continuellement en cause ses acquis, et ne fera jamais la même chose, au mépris de ce dont il pouvait être satisfait antérieurement. Les premiers contes qui seront repris dans « L’Hérésiarque et Cie » (Contes publiés chez Stock en 1910) marquent une étape majeure dans sa façon d’écrire.
Et puis, il y aura La Chanson du mal-aimé…
« Soirs de Paris ivres du gin Flambant de l’électricité Les tramways feux verts sur l’échine Musiquent au long des portées De rails leur folie de machines
Les cafés gonflés de fumée Crient tout l’amour de leurs tziganes De tous leurs siphons enrhumés De leurs garçons vêtus d’un pagne Vers toi toi que j’ai tant aimée
Moi qui sais des lais pour les reines Les complaintes de mes années Des hymnes d’esclave aux murènes La romance du mal aimé Et des chansons pour les sirènes »
Apollinaire publie ce poème en 1909. il aura mis six ans à l’écrire, tant sa genèse fut douloureuse pour les raisons évoquées plus haut, mais cette oeuvre marque le début d’une période qui conduira le poète sur le chemin du succès. Cette même année, L’Enchanteur pourrissant, son œuvre ornée de reproductions de bois gravées d’André Derain est publiée par le marchand d’art Daniel-Henry Kahnweiler.
Entre 1902 et 1907, il travaille pour divers organismes boursiers et parallèlement publie contes et poèmes dans des revues. C’est à cette époque qu’il prend pour pseudonyme Apollinaire, d’après le prénom de son grand-père maternel, Apollinaris, probablement en référence à Apollon, dieu de la poésie. En novembre 1903, il crée un mensuel dont il est rédacteur en chef, Le festin d’Ésope, revue des belles lettres, dans lequel il publie quelques poèmes ; on y trouve également des textes de ses amis André Salmon, Alfred Jarry, Mécislas Golberg, entre autres…
Entre 1910 et 1914, Apollinaire est partout… En 1910, il devient critique d’art à L’Intransigeant, et on le croise dans tous les salons littéraires, les galeries et les ateliers de la capitale. Apollinaire commence à se faire un pseudonyme et à écrire son histoire… Il devient à cette époque le tout premier défenseur du Cubisme, mouvement pictural qui vient tout juste de naître et qui fait déjà scandale. Les débats sur le Cubisme monteront même jusqu’à l’Assemblée Nationale où le député Marcel Sembat prendra fait et cause pour le courant naissant face à ses détracteurs, pour qui le Cubisme était une dégénérescence du génie français.
Apollinaire est en première ligne et prend ainsi la défense de ses amis peintres. Visionnaire, curieux de tout et sans cesse à l’affut des tendances de demain, le poète sent bien qu’avec le Cubisme, un vent nouveau s’apprête à souffler sur le paysage artistique français. Picasso, Braque ou Marie Laurencin sont à l’origine de ce mouvement qui pourrait bien changer radicalement le regard du public, face à un tableau qui a ses lois propres et qui n’imite plus la réalité, balayant toute notion de perception rétinienne ou de perspective linéaire telle qu’elle fut inventée à la Renaissance.
Le , accusé de complicité de vol de La Joconde, pour avoir hébergé Géry Pieret, une de ses relations qui avait dérobé en 1907 des statuettes au Louvre, et qui furent ensuite revendues à Picasso, Apollinaire est emprisonné durant une semaine à la prison de la Santé ; cette expérience le marquera profondément. Cette année-là, il publie Le Bestiaire ou Cortège d’Orphée orné des gravures de Raoul Dufy. En 1913, les éditions du Mercure de France éditent Alcools, somme de son travail poétique depuis 1898.
« Je ne me souviens pas précisément de ma rencontre avec Apollinaire. Je me souviens surtout que deux ou trois jours plus tôt, j’avais rencontré Picasso chez Clovis Sagot. Picasso, quant à lui, avait dit à Guillaume Apollinaire qu’il venait de rencontrer sa fiancée… Tout à fait par hasard, Apollinaire est venu le même jour que moi chez Sagot. Et c’est ainsi que nous nous rencontrâmes. Nous sortîmes et Guillaume me parla immédiatement de sa chère Masoche… Ça m’a étonné, un garçon qui parlait de masochisme à une inconnue… » (Marie Laurencin en 1952)
Lorsque Marie Laurencin rencontre Guillaume Apollinaire en 1907, elle est une jeune peintre de 24 ans qui débute aux côtés de Georges Braque. Picasso fait sa connaissance quelques jours plus tôt et dira à Apollinaire : « J’ai rencontré ta fiancée ». Quant à Apollinaire, après avoir rencontré la peintre chez le marchand d’art Clovis Sagot, il fera dire à l’Oiseau du Bénin par Croniamantal dans Le poète assassiné au sujet de Tristouse Ballerinette (Marie Laurencin) : « J’ai rencontré ta femme »…
Le poète et la peintre entretiendront une relation chaotique et orageuse pendant cinq ans, mais durant laquelle il connaîtront tous les deux une ascension fulgurante, s’appuyant sur une forte émulation mutuelle et un échange artistique de tous les instants. Apollinaire continuera d’écrire à Marie Laurencin et la soutiendra jusqu’au bout… Ils ont probablement toujours regretté intimement, sans se l’avouer l’un à l’autre, que cela n’ait pas été possible.
Il n’en reste pas moins que leur relation correspond à la période la plus prolifique et créative de la peintre. Après la guerre et la disparition de son plus fidèle ami et soutien, Marie Laurencin aura tendance à se répéter et à faire toujours un peu la même chose. Le Douanier Rousseau immortalise le couple en 1909 et Apollinaire raconte qu’avec cet instantané du couple capturé par le peintre, intitulé « Le poète et sa muse », son regard changera à tout jamais sur la peinture.
Il y a des petits ponts épatants Il y a mon cœur qui bat pour toi Il y a une femme triste sur la route Il y a un beau petit cottage dans un jardin Il y a six soldats qui s’amusent comme des fous Il y a mes yeux qui cherchent ton image
Il y a un petit bois charmant sur la colline Et un vieux territorial pisse quand nous passons Il y a un poète qui rêve au ptit Lou Il y a une batterie dans une forêt Il y a un berger qui paît ses moutons Il y a ma vie qui t’appartient Il y a mon porte-plume réservoir qui court qui court Il y a un rideau de peupliers délicat délicat Il y a toute ma vie passée qui est bien passée Il y a des rues étroites à Menton où nous nous sommes aimés
Il y a une petite fille de Sospel qui fouette ses camarades Il y a mon fouet de conducteur dans mon sac à avoine Il y a des wagons belges sur la voie Il y a mon amour Il y a toute la vie Je t’adore
Guillaume Apollinaire, « Poèmes à Lou » (posthumes)
« Poèmes à Lou » est un poème d’amour, tout simplement… Un poème d’amour dans lequel on trouve tout ce qui, chez Apollinaire, peut nourrir et alimenter les sensations, les sentiments, que ce soit la sensualité, l’intensité amoureuse, le spectacle du monde, la nostalgie ou le souvenir de la femme aimée. Et en même temps, c’est un poème d’éloignement. Leur histoire est terminée, et le poète est sur le départ. C’est aussi un poème qui tente de faire revivre quelque chose, en captant des instants qui s’éloignent peu à peu.
En août 1914, Apollinaire tente de s’engager dans l’armée française, mais le conseil de révision ajourne sa demande car il n’a pas la nationalité française. Il part pour Nice où sa seconde demande, en , sera acceptée, ce qui lancera sa procédure de naturalisation. Peu après son arrivée, un ami lui présente Louise de Coligny-Châtillon, lors d’un déjeuner dans un restaurant niçois. Divorcée, elle demeure chez son ex-belle-sœur à la Villa Baratier, dans les environs de Nice, et mène une vie très libre. Guillaume Apollinaire s’éprend aussitôt d’elle, la surnomme Lou et la courtise d’abord en vain.
Puis elle lui accorde ses faveurs, les lui retire et quand il est envoyé faire ses classes à Nîmes après l’acceptation de sa demande d’engagement, elle l’y rejoint pendant une semaine, mais ne lui dissimule pas son attachement pour un homme qu’elle surnommait Toutou. Une correspondance naît de leur relation ; au dos des lettres qu’Apollinaire envoyait au début au rythme d’une par jour ou tous les deux jours, puis de plus en plus espacées, se trouvent des poèmes qui furent rassemblés plus tard sous le titre de Ombre de mon amour puis de Poèmes à Lou.
« Poèmes à Lou » est un poème à une femme d’une très grande liberté, de ces femmes qui fascinent. Elle se voulait moderne, les cheveux un peu plus courts que les autres. Elle ne porte pas de corset, mais plutôt le pantalon. Lou est une aristocrate, descendante directe de Gaspard de Coligny, de lignée prestigieuse. Elle collectionne les amants, ce qui fait dire aux maldisants qu’elle est probablement nymphomane…
« Vous ayant dit ce matin que je vous aimais, ma voisine d’hier soir, j’éprouve maintenant moins de gêne à vous l’écrire. Je l’avais déjà senti dès ce déjeuner dans le vieux Nice où vos grands et beaux yeux de biche m’avaient tant troublé que je m’en étais allé aussi tôt que possible afin d’éviter le vertige qu’ils me donnaient. » (Apollinaire à Lou, le 28 septembre 1914)
Le 2 janvier 1915, de retour d’un rendez-vous avec Lou à Nice, Apollinaire rencontre une jeune fille dans le train qui le ramène à Nîmes, Madeleine Pagès. Ils parlent de littérature et de poésie, de Verlaine et de François Villon. Quelque chose se noue entre eux et ils entament une relation épistolaire des plus enflammées. Mais pourtant, Apollinaire en épousera finalement une autre, quelques mois avant sa mort : Jacqueline Kolb. Picasso sera son témoin…
« Une musique barbare et ininterrompue Coups de canons français et boches de tout calibre Coups de fusil, mitrailleuses, Les fusées, les signaux En pluie, en gerbe, en globe persistants… »
Le 4 avril 1915, Apollinaire part avec le 38e régiment d’artillerie de campagne pour le front de Champagne. En novembre 1915, dans le but de devenir officier, Wilhelm de Kostrowitzky est transféré à sa demande dans l’infanterie dont les rangs sont décimés. Il entre au 96e régiment d’infanterie avec le grade de sous-lieutenant.
Le 9 mars 1916, il obtient sa naturalisation française mais quelques jours plus tard, le , il est blessé à la tempe par un éclat d’obus. Il lisait alors le Mercure de France dans sa tranchée. Évacué à Paris, il y sera finalement trépané le puis entame une longue convalescence au cours de laquelle il cesse d’écrire à Madeleine.
Fin octobre 1916, son recueil de contes, Le Poète Assassiné est publié et la parution est couronnée, le 31 décembre, par un mémorable banquet organisé par ses amis dans l’Ancien Palais d’Orléans.
En mars 1917, il crée le terme de surréalisme qui apparaît dans une de ses lettres à Paul Dermée et dans le programme du ballet « Parade » qu’il rédigea pour la représentation donnée le 18 mai de la même année.
Apollinaire meurt de la grippe espagnole à seulement 38 ans, le 09 novembre 1918, soit deux jours avant la signature de l’armistice, laissant ses amis orphelins ainsi que de nombreux projets en cours qui resteront à tout jamais inachevés, pendant que sous ses fenêtres du 202 Boulevard Saint-Germain, la foule défile en scandant « A mort, Guillaume ! »… Non pas mort au poète, mais à l’Empereur Guillaume II d’Allemagne qui abdique ce même jour. Ironie du sort, ironie de la vie et de la mort…
✓ « Apollinaire » de Laurence Campa, biographie somme parue en 2013 chez Gallimard.
✓ « Apollinaire, Correspondance avec les artistes 1903-1918 », texte établi, présenté et annoté par Laurence Campa et Peter Read édité chez Gallimard en 2009.
Certains se parfument comme on porte un habit joli, signé, reconnaissable, arborant un code, une franchise sociétale, une appartenance. Mais ne voulant ni aller chercher plus loin que le fait de sentir bon et de paraître présentable en communauté, et n’accordant pas non plus une quelconque importance au sens premier de la fragrance aspergée sur la peau, certains donc négligent l’essentiel, le plus important. Qu’est ce que le parfum ? Que signifie-t-il ? Doit-il être une extension de soi, un accompagnateur mondain ou une réelle valeur ajoutée à notre personnalité ?
Longtemps, le parfum a été rare, cher, inédit, un luxe destiné aux plus fortunés et aux plus raffinés. Les onguents, les pommades, les essences, les élixirs… Autant de décoctions dont les apothicaires et divers empoisonneurs des rois détenaient les secrets jalousement gardés. Encore plus loin, l’origine du parfum est orientale et plus exactement sumérienne… D’abord des encens pour des lieux de culte, devenus ensuite cosmétiques et enluminures olfactives pour sacrer les corps royaux.
Il y eut ensuite à l’orée du siècle dernier des maisons de couture prestigieuses qui mirent tout en œuvre pour célébrer leur nom avec ce qui pourrait être perçu aujourd’hui comme des produits dérivés. Des parfums de haute tenue, des jus qui seraient un prolongement d’une identité souveraine en la matière. Ce fut l’avènement de l’ère des nez, ces alchimistes secrets, ces funambules éthérés et leurs concoctions raffinées et miraculeuses au service de marques les plus prestigieuses. Caron, Patou, Molinard, Fragonard, Guerlain… Plus récemment Annick Goutal ou Serge Kurkdjian. Il en existe des centaines d’autres encore qui réalisent des petits chefs d’œuvre, ces cathédrales enfermées dans du verre.
Mais tout cela s’est démocratisé. L’entrée dans l’ère industrielle aidant, avec le commerce comme valeur économique majeure de ce 20ème siècle, ainsi que des autres à venir, le parfum, comme tout ce qui pouvait être rare auparavant, s’est vulgarisé. Désormais, la parfumerie est avant tout une histoire de gros sous et des groupes comme L’Oréal, qui possèdent des enseignes prestigieuses telles Ralph Lauren, Yves Saint Laurent, Lancôme, Armani, Cacharel, entre autres, n’ont que faire d’apporter de la poésie avec leurs flacons écoulés dans le monde par millions d’exemplaires. Ils vendent juste des noms, des marques pour la masse.
Alors oui, il existe maintenant moults parfums en tous genres, à prix raisonnable, diffusés par des enseignes, des groupes qui, à grand renfort de communication et de slogans, vous feront croire que porter Bleu de Chanel ou J’adore de Dior est le comble du chic, tellement ces petites bouteilles pourtant sorties à la chaîne sont issues de noms prestigieux qui jadis rayonnaient comme l’exception. Aujourd’hui, ce ne sont juste que des logos imprimés sur des sacs dans la rue, déclinés en copie et photocopiés au kilomètre. Des acteurs et des réalisateurs « bankables » qui se prêtent au jeu le temps d’une campagne de publicité à budget pharaonique, pour faire croire, à défaut de sentir bon, que de s’asperger de l’eau de toilette « Machin », c’est très cool, tendance ou chic.
On note aussi depuis quelque années l’apparition de ce que l’on appelle les parfums « de niche », dits parfums à la diffusion plus rare et réservés à quelques boutiques exceptionnelles. Il est donc désormais de bon ton pour des noms tels que Dior, Chanel, Guerlain, Armani ou Tom Ford, d’avoir aussi son étagère où proposer pour des sommes à partir de 200 euros, ces fameux parfums rares, secrets et inédits. On est là encore dans une démarche commerciale et un rien malhonnête. Derrière le flacon, il y a des communicants et dans le flacon, il n’y a pas l’ivresse, mais seulement des odeurs dans l’air du temps qui se superposent comme des millefeuilles, composées en moyenne de 350 composants.
Et pour tous ces autres parfums qui sortent chaque année, les fameux best sellers qui s’écouleront en masse aux fêtes des pères, à Noël, aux anniversaires, pour la modique somme de 50 ou 60 euros, il y a des équipes entières qui réfléchissent, avec leurs études de marché, à ce qui se vendra le plus l’hiver prochain pour les fêtes. Malgré tous ces chiffres et ces statistiques, il y a encore des nez talentueux au service de la masse, apportant leur savoir-faire, mais sans poésie ni audace, ou si peu, tant diluées pour créer des odeurs acceptables, mais vides de passion, de noblesse et de cœur. Des produits, juste ce qu’il faut pour que cela puisse coûter un prix raisonnable tout en préservant un peu de ce qui reste de prestigieux pour tous ces noms re(connus).
Certains donc se parfument comme cela. Le simple prolongement de la douche et du geste « pchit-pchit » qui s’ensuit, émanation mécanique du réflexe de paraître toujours propre, lisse et convenant. Les citronnés, les agrumes, le vétiver en boucle, depuis que le parfum a pris un nouvel essor dans les années 80, avec aujourd’hui l’arrivée du bois de Oud synthétique à toutes les sauces, jusque dans les déodorants de supermarché comme Axe.
… Et puis il y a les autres… Ceux qui recherchent une odeur particulière qui serait bien plus qu’un simple parfum, mais plutôt le fruit d’un travail savant, talentueux, voire d’un univers, un souvenir, un royaume. Des créations plus radicales où le nez serait toujours le même depuis des années à œuvrer pour une volonté plus cohérente, avec jamais plus de 50 composants, de faire jaillir de ses éprouvettes un nouveau jus. Une mélancolie que l’on se traine depuis toujours, sur laquelle on voudrait pourtant coller un visage, une identité, un lieu.
Serge Lutens eut une démarche inédite pour approcher ce monde de la parfumerie. Il est un cas d’école, une énigme. Il y eut à l’origine de cette aventure comme une sorte de malentendu. Au delà du principe de faire commerce, Serge Lutens a toujours voulu raconter quelque chose. Des histoires qui jailliraient à chaque fois que l’on sentirait ce qui se dégage du flacon. Revenir à l’essentiel, aux fondamentaux, en utilisant des produits comme la myrrhe, l’ambre, le cuir, le santal… Tout ce qui était utilisé il y a fort longtemps en Orient, en particulier par les Sumériens…
A 14 ans, avec son physique de Peter Pan, il a tout d’abord été apprenti coiffeur. Même si ce ne fut que sur une très courte durée, il ébranla quelques clientes du salon où il travaillait en leur proposant ses idées de coiffures radicales. La fameuse frange courte qui scella son destin. En fait, Serge Lutens n’a jamais voulu être coiffeur. Il n’a jamais voulu vraiment travailler dans la mode non plus. Il a toujours souhaité fuir les conventions, les habitudes, les acquis et les certitudes.
Né dans le nord de la France, issu d’un milieu modeste, un monde fort éloigné de celui qui est le sien aujourd’hui, Serge Lutens a toujours cultivé son propre monde, avec ses codes et ses règles. De nature timide, il est parvenu à se créer son univers particulier, exclusif et secret. Un univers pour lui, où il vit, rêve et crée. Homme de lettre, de cinéma, d’histoire et de goût, ce monde du parfum est venu à lui par hasard sans qu’il ne le recherche vraiment. Son imaginaire est assez puissant pour qu’il puisse concrétiser ses chimères en les expliquant à d’autres qui prennent le relais et pourront exprimer les motifs que cet amoureux de Marrakech a dans la tête.
Serge Lutens a d’abord approché la mode par le biais de la photographie, du maquillage et ensuite d’une collaboration avec la maison Dior, ainsi que des magazines de mode renommés. C’est avec Shiseido, cette illustre marque japonaise de cosmétiques et en tant que son directeur artistique qu’il invente son tout premier parfum qui très vite deviendra un classique, Féminité du Bois. A une époque où c’était l’Iode ou les odeurs sucrées, poudrées qui prévalaient dans les rayons, Serges Lutens, quant à lui, conçoit une promenade mystérieuse dans un sous-bois où le cèdre compose tout le parcours. Mais ce n’est qu’à la fin des années 90 qu’il devient sa propre marque comme parfumeur, avec cette boutique mythique et magique qui apparaît sous les arches du Palais Royal.
Aborder un parfum de Serge Lutens, c’est accepter la mise en abyme. Ce sont tous les sens qui réagissent. Les souvenirs qui affluent. La Fille en Aiguille, Cuir Mauresque, Vierge de Fer, Arabie, Tubéreuse Criminelle, ne sont pas que de simples fragrances qui accompagneraient vos vêtements, vos déplacements, une simple enveloppe olfactive servile et domptée. Par le nom dont est baptisée d’abord chacune des créations, il y a cette idée de chapitre et que toutes participent d’une longue et belle histoire. Porter un de ces parfums, c’est l’avoir compris et l’accepter comme ce qui ressurgit en vous, un vieil ami que vous ne pensiez plus jamais revoir. Il est clair que chaque parfum proposé est une expérience et un choc.
Pour les fans de Philip K. Dick ou du film adapté Blade Runner, on pense aussitôt à cette société, La Tyrell Corporation, qui crée des implants pour les Androïdes, une mémoire sélective… Lutens est donc ce magicien qui nous invente des mémoires, quand chaque capuchon ouvert ou chaque parfum répandu nous invite, nous téléporte. Rare est cette sensation émanant d’une expérience olfactive. Ce ne sont pas des propositions ou des accessoires. Chaque nom sur l’étiquette, riche de sens, de souvenir, de référence, doit se fondre dans votre propre chimie et votre personnalité.
Serge Lutens est un artiste et chacune de ses créations rappelle un moment de sa vie, un lieu, une action. L’univers est personnel et pourtant il nous parle et nous invite. Cette même façon franche, claire comme un trait que l’on dessine au milieu d’une feuille blanche. Ambre Sultan, Fumerie Turque, Daim Blond, De Profundis, Rose de Nuit, Vitriol d’œillet… Derrière ces noms s’ouvre à chaque fois un nouveau décor où Lutens ne cherche pas à vous refourguer ses créations à grand renfort de slogans publicitaires idiots ou de voix off débilisantes, qui en parlant Anglais devrait rendre les « produits » encore plus attractifs (A niou fwagwince by Diyo, fow mèèn).
Toutes les créations Serges Lutens se suffisent à elles-mêmes et la communication faite dessus est un bouche à oreille, un étonnement de la part de celles et ceux qui découvrent Serge Noir, Chypre Rouge, Chergui, Musc Koublaï Khän ou Un Bois Oriental sur la peau de celle ou celui qu’ils embrassent. De la magie, sans doute, de la poésie, sûrement… Autant d’odes et de chants lancés dans le néant que les plus rêveurs d’entre nous sauront forcément rattraper. Des souvenirs, d’autres vies peut-être, Serge Lutens est sans nul doute le plus proustien des parfumeurs, celui qui sait parler le mieux de ce que nous sommes vraiment.
Ce titre de Thom Yorke (Radiohead) date de 2007. « Nude » m’a, un soir, donné la conscience d’un certain état de grâce, par sa beauté et son sens. Comme si le guitariste me murmurait ses notes dans le creux de l’oreille. Tout dans une extrême finesse, toutefois sans légèreté. Les mots pénètrent. Ils comptent, restent, et la musique les rend encore plus directs. On s’arrête, on apprécie, on ressent, on réfléchit et on se l’approprie.
Ces mots évoquent les mensonges qu’on se raconte sur ce que nous voulons être. On vit, animé de cette quête inutile d’un bonheur qu’on peut palper. Mais il y aura toujours quelque chose qui manque (« There’ll be something missing »). On vit à la recherche de ce quelque chose, et une fois qu’on l’obtient, la frustration domine. On est perdu. On est nu. Nude… Des illusions / désillusion…
Une chanson brute et certes pessimiste. La musique fait jaillir ce qu’il y a de sombre en nous et ce qu’il y a de lumineux…
Le basketteur américain admire les chansons de Charles Aznavour et le prouve grâce à une vidéo postée sur Instagram. En retour, le chanteur le remerciait par une autre vidéo.
Charles Aznavour comptait parmi ses fans l’une des figures du sport mondial, la star du basket, le King en personne : LeBron James.
Tout est parti d’une vidéo postée sur les réseaux sociaux, au mois d’août dernier, un dimanche matin, au réveil… On distingue simplement une enceinte posée sur un bureau d’où s’échappe une chanson :
Vous aurez peut-être reconnu « À ma fille », qui n’est pourtant pas l’un des titres les plus connus de Charles Aznavour. Et dans sa vidéo, LeBron James diffuse un autre morceau du chanteur français, extrait du titre « Sa Jeunesse », avec ce commentaire écrit par dessus la vidéo : « Les bonnes ondes du matin…. si paisible et élégant ».
Cette vidéo fait le buzz et alors que le basketteur était de passage à Paris le mois dernier, dans le cadre d’une tournée mondiale pour son équipementier, il a accordé une interview à nos confrères de Canal Plus… et le journaliste Mouloud Achour revient sur cette vidéo. Il tend alors son téléphone à LeBron James en lui disant que Charles Aznavour a un message pour lui. le chanteur a enregistré une petite vidéo à son tour… pour le basketteur.
On entend à la fin de cet extrait LeBron James réagir, très touché. Il n’en revient pas : « C’est incroyable », dit-il. Malheureusement, les deux ne se rencontreront jamais, du moins, pas dans cette vie…
Ancien chroniqueur de jazz au Monde, Lucien Malson publiait le 8 mai 1968 une critique enjouée à l’issue d’un concert à l’Olympia de la légende de la soul, Aretha Franklin, décédée le 16 août.
8 mai 1968. Que le jazz ait fécondé les variétés, qu’il ait eu avec elles des rejetons plus ou moins charmants, qu’il ait en tout cas modifié l’apparence de l’art populaire occidental, voilà ce dont on ne peut douter. D’autre part, ce grand séducteur voyage sous des noms nouveaux et, muni de faux papiers d’identité, va de New York à Londres et de Londres à Paris. Qu’est-ce donc que le « rhythm and blues » authentique, sinon une musique qui n’existe que pour le swing et ne vaut que par lui ?
En ce domaine, les Noirs des Etats-Unis nous ont toujours paru difficilement imitables, non par le fait de quelque génie racial – à supposer qu’il soit concevable, celui-ci se trouverait aujourd’hui fort dilué – mais en raison des circonstances de leur vie. Ce n’est pas un hasard, par exemple, si les talents de la plupart des chanteuses de couleur, depuis la guerre, éclosent dans les églises avant de s’épanouir dans les salles de concert. Cette expérience du rythme extatique, dès l’enfance, a marqué Fontello Bass, Mitty Collier, Byrdie Green, Etta James, Gloria Jones, Kitty Lester et, bien sûr, Aretha Franklin, que nous avons applaudie hier soir aux galas d’Europe 1.
La voix puissante d’une Mahalia Jackson et un tempérament scénique remarquable
Aretha Franklin, fille d’un pasteur baptiste, née à Memphis en 1942, s’est consacrée d’abord au gospel song et, pendant sept ans, jusqu’à la saison dernière, à toutes les formes de l’art vocal de divertissement chez Columbia. Désormais, Atlantic la révèle telle qu’elle est au plus profond d’elle-même : musicienne de jazz dans l’âme, et que la critique, outre océan, compare déjà – un peu hâtivement – à Ray Charles.
La troupe d’Aretha Franklin, c’est vrai, s’apparente à celle de Charles. Elle apporte partout où elle passe un mélange réjouissant de chants et de danses, de musique et de spectacle. Pourtant, le groupement criard et assommant, qui assure la première partie, n’a rien à voir avec celui de son illustre confrère ni même avec l’ensemble de James Brown. Les douze musiciens jouent selon le vieux principe du « chacun pour soi et Dieu pour tous » et ne se rachètent qu’après l’entracte en accompagnant tout de même assez bien la chanteuse. Celle-ci a la voix puissante d’une Mahalia Jackson et un tempérament scénique remarquable. Sa très jeune sœur, Caroline Franklin, anime un aimable trio vocal qui tient ici le rôle des « Raelets ».
Tant de force et tant de grâce alliées font merveille. Le public parisien a beaucoup aimé une Aretha Franklin qui se promet de revenir et nous donne ainsi l’espoir d’assister plus souvent à ces « soirées de la 125ème Rue », auxquelles nous restons très attachés.
Source : Archive du journal « Le Monde » du 08 mai 1968
C’est en 1968 qu’Aretha Franklin pose pour la première fois le pied en France (et en Europe) pour une tournée. Dans la foulée de sa signature chez Atlantic l’année précédente et de son premier tube mondial, « Respect », celle qu’on n’appelle pas encore la « Reine de la Soul » se produit à l’Olympia le 6 mai 1968, non loin d’un Quartier Latin déjà bouillonnant.
Aretha Franklin bénéficie déjà d’un solide succès en France qui lui permet de remplir l’Olympia lors des deux concerts organisés le même jour, un lundi, le jour de « Musicorama », les concerts organisés par Europe 1. Quelques semaines plus tard, sortira d’ailleurs l’album live « Aretha in Paris ».
La chanteuse fait un triomphe en France
La presse accueille avec enthousiasme ce premier concert parisien. Lucien Malson dans Le Monde salue « un mélange réjouissant de chants et de danses, de musique et de spectacle » et évoque « tant de force et tant de grâce alliées qui font merveille ». Kurt Mohr, la plume rythm & blues de Rock & Folk et grand passeur de la musique noire américaine en France, s’emballe : « Ce que nous avons entendu avec Aretha Franklin, ce n’est pas seulement l’une des plus grandes voix de ces cinquante dernières années, mais une artiste au sommet de sa forme. Ce n’est pas dans dix ou vingt ans qu’il faudra se réveiller pour la découvrir, mais maintenant ! ».
Elle reviendra triompher à l’Olympia en 1971, et ce malgré une presse presque silencieuse. Elle avait déjà un public qui lui vouait un culte.
Extrait du concert d’Aretha Franklin à l’Olympia le 21 juin 1971. Elle chante « Respect », accompagnée par trois choristes et l’orchestre King Pins sous la direction de King Custis (with courtesy of INA, Institut National de l’Audiovisuel)
« Je pense ne plus avoir assez de vie devant moi pour écrire une autre autobiographie. »
Le 2 décembre 1980, l’écrivain Romain Gary mettait fin à ses jours. Quelques mois plus tôt, il avait tenu ces sombres propos lors d’un entretien accordé à Radio-Canada. A l’occasion du centième anniversaire de sa naissance en 2014, Gallimard publiait « Le sens de ma vie », une retranscription de cet entretien avec Jean Faucher.
Cheese… on dirait que Romain Gary a fait le choix, lorsqu’il se confie au réalisateur québécois, de disparaître avec le sourire. Car, en cette année 1980, les jeux sont faits, de toute évidence. « Je pense, confie Gary, ne plus avoir assez de vie devant moi pour écrire une autre autobiographie ». Vie devant moi, vie devant soi. Que Gary ne cesse de raconter, pour vaincre le temps dont il se plaint de ne pouvoir maîtriser la course effrayante. Vieillir ? On connaît, sur le sujet, sa religion…
« J’imagine que ce doit être une chose atroce, mais comme moi je suis incapable de vieillir, j’ai fait un pacte avec ce monsieur là-haut, vous connaissez ? J’ai fait un pacte avec lui aux termes duquel je ne vieillirai jamais. »
Le voici donc, à quelques mois de la chute finale (il se tire une balle dans la bouche le 2 décembre 1980), qui tire les derniers feux de cette vie d’artifice, racontant à un rythme d’enfer, depuis ses premiers souvenirs de la révolution soviétique – « J’étais couché sur la place Rouge, il y avait des balles qui sifflaient, ma mère s’est jetée sur moi pour me protéger » – les mille facettes de sa personnalité.
On dirait un guide de musée qui ferait visiter Chambord dix minutes avant la fermeture : enfance russe, passage en Pologne, installation en France. Mais soudain Gary passe en mode ralenti : sa mère entre en scène, l’amour de sa vie.
On sait, depuis « La Promesse de l’aube », le rôle fondamental qu’a joué la tenancière de la pension Mermonts à Nice. Francophile, Mina Owczynska, qui fabriquait en Russie de fausses étiquettes Paul Poiret pour les coller sur des chapeaux de sa fabrication, est persuadée que son chouchou de fils cumulera les honneurs : « ambassadeur de France » et « grand écrivain français ».
Le Paris de Gary
Romain, pour l’heure, fait surtout du sport. Il excelle dans l’art du tennis de table, publie une nouvelle dans « Gringoire » (Gary écrit depuis l’âge de neuf ans), et monte à Paris. Il gagne sa vie comme marchand de glace, puis comme serveur dans un restaurant russe, et passe ses nuits dans les maisons closes de la capitale, où il interviewe des prostituées pour le compte d’un journaliste qui lui sous-traite le job. Monde fantastique où, dit-il, sa part obscure manque de prendre le dessus.
« Je me suis souvent trouvé à Paris entre deux métiers, n’ayant guère de quoi vivre, je n’avais que deux chemises, je vivais de concombres et de pain et je me souviens d’un épisode particulièrement pénible […] à Miromesnil, un établissement pour dames où à la fois des messieurs pervers et des dames un peu trop libérées à l’époque et trop affranchies venaient pour se satisfaire. Un camarade américain m’avait proposé contre très forte rétribution d’aller en quelque sorte procurer les satisfactions que vous imaginez à ces dames. »
Portrait de l’artiste en demi-mondain, avant de finir mondain tout plein…
Car l’écrivain semble conduire sa vie comme un amusant bolide, curieux des obstacles et s’amusant des embardées. Avec son premier roman, « Le Vin des Morts » (1937), ouvrage néocélinien que refuse Robert Denoël, il cherche sans succès à se faire un nom dans la littérature.
Qu’importe, la guerre éclate, donc la promesse d’une mort héroïque. Gary rejoint de Gaulle à Londres. Le Général, que Gary insupporte avec ses manières de voyou de grand chemin et de bandit au coeur noble, lui fait passer un sale quart d’heure. Puis ce seront les missions (dans l’aviation) et la victoire. Auteur d’un livre à succès, il est félicité par le Général. D’être sacré compagnon de la Libération sera, dit-il, le plus beau moment de sa vie.
Gary féministe ?
Fier militaire auréolé de toutes les gloires, il rentre à Nice pour découvrir que sa mère est morte depuis plusieurs années. Gary, dès lors, va mener cette existence brillante mais dont on sent que lui manque le moteur essentiel. Vie de femmes (Lesley Blanch, Jean Seberg), de films (il devient scénariste à Hollywood), d’écrivain (sous son nom et sous celui, entre autres, d’Emile Ajar), de diplomate aussi.
Dans l’étrange conclusion qui parachève le livre, et où il livre l’explication de sa vie, Gary rend hommage à la féminité qui l’a, dit-il, toujours inspiré.
« Je pense que si le christianisme n’était pas tombé entre les mains des hommes, mais entre les mains des femmes, on aurait eu une tout autre vie, une tout autre société, une tout autre civilisation. »
Gary féministe ? De tous les masques dont il n’a cessé de se parer, il ne manquait plus que ce dernier…
✓ « Le Sens de ma vie », par Romain Gary, Gallimard, 110 p., 12,50 euros.
✓ Du même auteur chez le même éditeur, « Le Vin des Morts », 240 p., 18 euros.
✓ « La Promesse de l’aube (CD) », lu par Hervé Pierre, Gallimard.
✓ Un album consacré à Jean Seberg, préfacé par Antoine de Baecque, paraît au Mercure de France.
Romain Gary, né le 8 mai 1914 à Vilnius, de son vrai nom Roman Kacew, est l’auteur d’une quarantaine de livres dont « Les Racines du Ciel » (prix Goncourt 1956), « Les Clowns Lyriques » et, sous le pseudonyme d’Emile Ajar, « La Vie devant Soi » (Prix Goncourt 1975). Il est mort le 2 décembre 1980, à Paris.
Chaque semaine, Arte nous distille avec délicatesse les scènes et les répliques parmi les plus cultes du cinéma, mises en dessin par Typorama.
Typorama est un « objet visuel non identifié » qui anime les répliques cultes du cinéma. De « Blade Runner » à « Amadeus », en passant par « L’Homme qui murmurait à l’oreille des chevaux » ou « La Nuit du Chasseur », les auteurs de Typorama mettent en image, à leur sauce, ces répliques qui ont sublimé le 7ème Art et rendent ainsi hommage à ces films qui ont marqué à jamais l’imaginaire collectif.
« Ah mon petit gars, tu regardes mes doigts ! Aimerais-tu que je te raconte l’histoire de la droite et de la gauche ? L’histoire du bien et du mal. Ca, c’est la haine. C’est avec cette main gauche que le frère Caïn tua Abel, qui était aimé de Dieu. Ca, c’est l’amour. Voyez ces doigts, cher coeur ? Ces doigts ont des veines qui les relient à l’âme humaine. L’amour, c’est cette main, c’est la main droite. Regardez, c’est là l’image de la vie. Ces doigts, cher coeur, sont toujours en lutte les uns contre les autres. Regardez-les ! »
La réplique culte de « La Nuit du Chasseur », le seul et unique film de Charles Laughton, datant de 1955, mise en image dans Typorama, ça donne ça…
Avec Typorama, nos auteurs mettent en dessin les scènes et les répliques cultes du cinéma. A retrouver chaque semaine sur la chaîne YouTube ARTE Cinéma.