Catégorie : Appfilm

  • La Taupe, espion, rendors-toi…

     

     

    L’espionnage au cinéma se scinde en deux genres bien distincts.

     

    Vous avez le premier genre, le plus populaire, à savoir la vulgarisation de l’essence même de ce qu’est une histoire de roman d’espionnage (James Bond, Mission Impossible, Jason Bourne ou Jack Ryan), où l’on y préfèrera les scènes d’action spectaculaires, les méchants charismatiques et les femmes fatales, et l’autre, pendant plus fidèle à ce que propose ce genre littéraire, dépeignant les arcanes du pouvoir, les faux-semblants, les enjeux, où fourmillent des tas de contradictions et de paradoxes, s’en tenant en tout cas à une approche beaucoup plus réaliste et bien moins glamour, forcément, depuis « L’Affaire Cicéron » de Joseph L. Mankiewicz (titre original : « Five Fingers » sorti en 1952), l’illustration brillante de ce qu’est un véritable film d’espionnage, jusqu’au « Bureau Des Légendes », probablement une des meilleures séries françaises qu’on ait pu voir depuis bien longtemps. « La Taupe » de Tomas Alfredson sorti en 2012 fait ainsi partie de cette deuxième catégorie.

    Le succès du fabuleux « Morse » sorti quatre ans plus tôt, parlant de vampires et d’amours adolescents en milieu enneigé, tout en affichant un style âpre, brut et si peu évident, donnait à penser que fort de cette réussite totale, le réalisateur suédois allait de nouveau nous régaler avec « La Taupe », en abordant cette fois un autre cinéma de genre qu’est le film d’espionnage. Si l’on plonge donc la tête la première dans ce film, sans être un lecteur assidu d’histoires d’espionnage, ou encore féru de ces ambiances de guerre froide, de ces univers à dominante de gris propres aux romans de John Le Carré, l’auteur du livre dont est adapté le film, mais que l’on se dit qu’au vu des images nous rappelant ce cinéma 70’s à la Alan J. PakulaA Cause d’un Assassinat », « Klute »), Sydney PollackLes Trois Jours du Condor ») ou Sidney LumetThe Offence »), on va pouvoir se délecter de ces ambiances froides et viciées sous-tendues par une intrigue tordue et abyssale…

    Eh bien non… On devra tout juste se contenter de contempler cette fois-ci un objet empesé et mort, de cette facture qui se rattacherait plus à de la taxidermie qu’à un travail cinématographique où l’on guide son inspiration par des impulsions imaginatives et nouvelles, comme cela avait été justement le cas avec « Morse » et sa relecture du cinéma de genre fantastique et son approche aussi bien frontale qu’inédite du vampirisme. Ces relents, ces miasmes que distille « La Taupe » découlent d’un fantasme morbide conçu par Tomas Alfredson, comme s’il s’agissait d’un bibelot précieux chichiteux, posé sur une étagère, bien à la vue de visiteurs impressionnables.

    Si un soin tout particulier est apporté à la lumière, aux cadrages, aux costumes et à cette reconstitution singeant un ton, une époque, un style, avec des acteurs chevronnés, impeccables, une musique inspirée, oui, de loin, on croit reconnaître un film formellement abouti, éblouissant même, dans cette pose parfaite que seuls les faussaires ont le mérite d’obtenir.

    Seulement, le réalisateur se regarde filmer. Il s’enivre de sa propre création et de ce monde qu’il réinvente, ou plutôt qu’il exhume, puisqu’il tente de tout reconstruire avec un ciment qui ne prend pas. On pense au travail d’un maquilleur des pompes funèbres essayant et réussissant souvent à redonner une ultime lueur de vie au visage du mort. Tout est pesant dans ce film, lourd, alors qu’avec un tel sujet, il aurait suffit de se laisser glisser et d’aller à l’essentiel. Tous les personnages expriment ces mêmes mines contrites, ces allures corsetées et ces gestes de pierre. Cette longue visite du musée poussiéreux de l’espionnage provoque à la longue une sorte d’étouffement.

    Dans les années 70, justement, un film français, « Espion, lève-toi » d’Yves Boisset, proposait aussi une histoire similaire de taupe, d’intrigue en entonnoir, avec son lot de personnages tordus, le tout baignant dans le milieu du contre-espionnage, et démontrait qu’avec des sujets aussi peu grisants, on pouvait obtenir un film qui créait autre chose que de la contemplation servile.

     

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    Instant-City-La-Taupe-Affiche

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Dévoreur Hubertouzot

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : Photographe dévoreur d’images

     

     

     

  • Yves Saint Laurent vs Saint Laurent

     

     

    Saint Laurent toujours, Saint Laurent for ever…

     

    Revenons sur deux films sortis à quelques mois d’intervalle en 2014. Si le premier s’est offert de beaux chiffres au box office, en ayant reçu au préalable la bénédiction de Monsieur Bergé, pour au final un rendu bien lisse et une réalité corsetée et servile, le deuxième, en revanche, déjà conspué alors que son tournage n’avait même pas encore démarré, proposait une vision du couturier, de sa vie et de son œuvre, plus viscérale et incandescente. Même s’il fut préféré par la presse, le film sera toujours évoqué en deuxième position, et finira par être un échec public.

     

    « Yves Saint Laurent » de Jalil Lespert

     

    Si on n’a jamais vu le magnifique documentaire de Pierre Thoretton, « L’Amour Fou », dont ce « Yves Saint Laurent » reprend sans vergogne aucune toute la trame, ou lu le livre d’Alicia Drake, « Beautiful People », peut-être alors trouvera-t-on un intérêt tout relatif au premier film de Jalil Lespert.

    Pédagogique dans sa forme, de facture digne d’un téléfilm de luxe de France 2, ce premier film sorti en salle, consacré au plus célèbre des couturiers français, s’évertue à empiler sagement les différents épisodes clés de la vie et la carrière de Saint Laurent. Les évènements se suivent et sont égrenés dans une cadence métronomique. Tout est en ordre, rangé dans des tiroirs, des compartiments, et rien ne dépasse.

    Pierre Niney singe plus le génie de la mode qu’il ne l’incarne réellement. Il ne réinvente définitivement pas Saint Laurent et ne cherche pas plus à se l’approprier. Il se contente juste de restituer des motifs, ce que l’on connaît en fait de cet homme au travers des images télé ou divers autres documents. Certes, il y a la voix, les manières, les attitudes, les gestes, mais cela ne procure rien d’autre que le contentement du spectateur ébloui par l’imitation parfaite d’un perroquet. « Yves Saint Laurent » n’offre aucune possibilité de rêver ou de s’abandonner. On reste à distance de ce ballet d’ombre.

     

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    « Saint Laurent » de Bertrand Bonello

     

    L’angle que choisit Bertrand Bonello pour aborder « son » Saint Laurent est forcément plus casse-gueule. En essayant de pénétrer la psyché du couturier, le réalisateur de « L’Apollonide » s’évite ainsi tout l’aspect biographique et distant vis-à-vis des personnages. On est là dans la tête du génie névrosé et c’est donc de son point de vue que l’on traverse ce film si organique.

    Nous voici dans les 70’s, soit la décennie la plus riche en événements et en créativité. C’est aussi une époque durant laquelle le fameux trio « sexe, drogue et rock’n’roll » n’a jamais aussi bien été représenté.

    L’autre idée géniale du film est de ne pas tenir compte d’une quelconque chronologie. Dans la deuxième partie, on fait des allers retours permanents entre les derniers jours de Saint Laurent et ses années fastes. Elégante façon de signifier que Saint Laurent et son oeuvre perdureront longtemps après sa disparition.

    « Saint Laurent », outre son souci de nous distiller des informations factuelles sur Yves Saint Laurent, se permet aussi des embardées baroques, tant Bertrand Bonello n’oublie jamais qu’il fait surtout et avant tout du cinéma. Il emprunte donc à Visconti, sans doute l’un des réalisateurs les plus proustiens de son temps (« Le Guépard », « Mort à Venise », « Les Damnés », « Rocco Et Ses Frères »), un de ses acteurs fétiches, mais aussi ses questionnements sur le temps et ses formes.

    Dès l’ouverture du film de Bertrand Bonello, on voit un homme de dos, fluet mais à l’allure élégante, entrer dans un hôtel pour se diriger jusqu’à la réception où il dit avoir réservé une chambre. Lorsque le concierge lui demande sous quel nom la chambre a été retenue, l’homme que l’on découvre enfin de face, avec ses lunettes à monture d’écaille et à l’attitude éthérée et timide prononce juste  « Swan », le nom du célèbre personnage de « La Recherche Du Temps Perdu » de Marcel Proust, écrivain cher à Saint Laurent. Le réalisateur de « L’Apollonide » exprime ainsi immédiatement ce qu’était Saint Laurent, sa psyché, sa force et ses faiblesses. D’une élégance tenue jusqu’au bout, « Saint Laurent » est le film ayant su capter l’âme d’une époque, son énergie vénéneuse et puissante.

     

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    On ne saura jamais vraiment qui était Saint Laurent, derrière ses robes, ses tissus, ses soirées, ses amants. Il était le héros d’un roman, de son histoire. Un être de papier qui grâce à Pierre Bergé put devenir l’un des plus grands couturiers de l’histoire de la mode.

     

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    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Dévoreur Hubertouzot

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : Photographe dévoreur d’images

     

     

     

  • The Neon Demon : Belles de Nuit

     

     

    Avec « The Neon Demon » sorti en 2016, Nicolas Winding Refn n’a définitivement pas fini de magnifier nos cauchemars en susurrant à l’oreille des démons…

     

    Depuis la sensation « Drive », ses scènes d’action ultra-violentes et l’hyper masculinisation de Ryan Gosling, arborant un blouson avec un scorpion brodé au dos, puis avec la castration du même Gosling dans « Only God Forgives », son film suivant dans lequel le héros blond à l’œil passablement vide devient le jouet de sa mère dans un Bangkok fantasmé, le réalisateur Nicolas Winding Refn n’en finit pas de brouiller les pistes et nos certitudes en des tours de passe-passe singuliers. Un glissement où la représentation absolue du mâle finit, avec ce dernier opus « The Neon Demon », par devenir une femme incandescente, souveraine et elle aussi toujours aussi dangereuse.

    Ces trois films forment ainsi une trilogie autour d’une réinvention des années 80, avec une esthétique, des motifs et un son empruntés à cette époque. A l’instar de Wong Kar Waï, Michael Mann, David Lynch, Brian De Palma, ou encore d’un Dario Argento, Nicolas Winding Refn se sert de ses illustres modèles pour à son tour livrer sa perception d’une idée ou deux qu’il utilisera comme prétexte afin de toujours nous raconter un peu le même film. « Drive » avec le polar, le film de vengeance, le cinéma. « Only God Forgives » avec le thème de la mafia, du film noir. Quant à « The Neon Demon », il nous parle du monde de la mode, de la beauté comme vecteur de ce milieu, de la jeunesse comme Nivarna à reculons, de vampirisme, de cannibalisme et de cinéma d’horreur. Des thématiques que le réalisateur de la trilogie « Pusher » va décliner comme autant de reflets et d’éclats de miroir.

    « The Neon Demon » n’est cependant pas une critique de la mode, de son monde ou de ses représentations, pas même encore une vision de la femme, de l’argent, des apparences, de notre société ou de son nihilisme. Non, c’est un trip étrange et maniéré, sophistiqué à l’extrême, sidérant, somptueux, où y apparaissent dans des ambiances toujours plus 80’s les fantômes de films cultes de cette époque. « Looker », « Suspiria », « Les Prédateurs »… Los Angeles est le parfait écrin pour signifier la ville ultime de tous les pêchés, tel un aimant à fantasmes, à désir et à mort. Ville monde-cimetière où des harpies mettent en charpie pour s’en repaître d’innocentes victimes qui découvriraient trop tard ce qui exalte la beauté.

    Si le réalisateur danois de Branson exhume autant de splendeurs cinématographiques venant des eighties, en les agitant sans vergogne dans ce film en un patchwork stylisé, il sait qu’il n’abîme ni ces modèles d’antan, ni ce qu’il tricote aujourd’hui. Le tout forme un poème visuel et vénéneux, une ode fait de lumière aveuglante et d’ombres inquiétantes. Mais en aucun cas, on nous sert un film prétentieux ou poseur. Paradoxalement, il s’agirait plutôt pour Nicolas Winding Refn de son film le plus drôle et le plus léger de toute sa filmographie.

    Le score de Cliff Martinez (probablement l’un de ses meilleurs depuis celui de « Solaris ») hypnotise les images. Là aussi, le compositeur de « Drive » et « Only God Forgives » convoque toutes les sonorités 80’s, électroniques, inquiétantes et luxuriantes, rappelant ainsi Tangerine Dream, Vangelis, Carpenter. Des sonorités flottantes au grès des scènes, comme des îlots… « The Neon Demon » est un archipel perdu dans cet océan amniotique, mais sans eau. Juste du sang. Un sang convoité par des bouches avides et cruelles.

     

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    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Dévoreur Hubertouzot

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : Photographe dévoreur d’images

     

     

     

  • Silence Plateau | Belles Familles

     

     

    Si l’on fait abstraction de ce titre un peu tarte digne d’un téléfilm diffusé sur TF1 et de l’affiche qui va avec, « Belles Familles », le dernier film de Jean-Paul Rappeneau, nous renvoie pourtant au bon souvenir d’un cinéma français de belle facture et délicieusement populaire, dans le sens le plus noble du terme.

     

    Enfant légitime de Lubitsch, la musicalité dans les films de l’auteur de « La Vie De Château » ne se borne pas seulement à faire danser les acteurs comme des marionnettes sans vie tout en récitant du papier à musique. Non, cette marque de fabrique chez le cinéaste désormais octogénaire n’en finit pas de tracer des ronds et des spirales entre les comédiens embarqués, qui valsent, qui tourbillonnent entre légèreté, hésitation, gravité, coup de sang et bienveillance.

    Avec « Belles Familles », Jean-Paul Rappeneau nous offre donc un ballet où acteurs de l’ancienne et de la nouvelle génération viennent chacun leur tour nous proposer des pas de deux, en couple, en binôme, des retrouvailles, des mensonges, des secrets… Ce Feydeau en relief nous rejoue l’éternelle histoire des coeurs et des bras qui s’enlacent et se défont, mais avec de la gourmandise comme devant un buffet, où ici Viard, Dussolier, Garcia, Amalric… nous régalent. On y retrouve également des accents Sautériens lorsque, au détour d’une scène, on identifie Gilles Lelouch enfin devenu bon et touchant, et qui ne serait-ce que l’espace de quelques secondes nous rappelle le Montand de « César et Rosalie », brusquant une Marine Vacth, qui se révélera peut-être bientôt comme la nouvelle Romy Schneider.

    Un film hommage, donc, pétri de nostalgie et de mélancolie, et un Rappeneau qui réussit avec cette belle famille à justement réunir toutes ces familles éparses du cinéma français.

     

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    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Dévoreur Hubertouzot

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : Photographe dévoreur d’images

     

     

     

  • Silence Plateau | The Thing

     

     

    Il y a des films comme ça, parfaits, voire géniaux, mais qui souffrent d’un mauvais timing. « The Thing » en fait partie. Sorti entre « Rencontre du 3ème Type » et « E.T. », il n’a hélas pas tenu la contradiction, à une époque, en 1980, où la mode était aux extra-terrestres super sympas, les messages de paix intergalactiques et les enfants rêveurs.

     

    John Carpenter n’est pas le genre de réalisateur à surfer sur de quelconques vagues commerciales ou des opportunités du même acabit. Ce qu’il voulait à l’origine, c’est surtout faire le remake d’un film de 1951 de Howard Hawks, avec une de ses rares incursions dans le fantastique et l’horreur, « La Chose D’un Autre Monde ». Dans ce film d’exploitation, le réalisateur de « Fog » y voyait l’opportunité de pouvoir pousser beaucoup plus loin l’idée du péril et de l’invasion extra-terrestre, en mettant en image l’esprit de l’un de ses romanciers favoris, à savoir H.P. Lovecraft.

    Avec cette histoire simple et linéaire, son unique décor et sa poignée de personnages bien trempés, son maquilleur de grand talent, Rob Bottin, « The Thing » a tout d’un film à ranger sur la même étagère que « L’Exorciste », « Massacre à la Tronçonneuse » ou « Evil Dead ». Une maîtrise totale de son sujet, un traitement au premier degré, où l’on croit totalement à ce que l’on nous montre.

    A la grande différence de ses illustres modèles comparatifs, qui dans des mises en scène inspirées, illustraient cependant l’horreur en ne faisant que suggérer au lieu de nous montrer, laissant alors au spectateur le soin d’imaginer et de croire avoir vu, John Carpenter opte quant à lui pour la démonstration frontale. C’était là la grande idée folle qui enfin pouvait dire d’une certaine façon ce que l’inventeur de Cthulu et ses hordes de visions cauchemardesques exprimait à longueur d’écrits soixante-dix ans plus tôt.

    « The Thing » devait donc être un film avec un « méchant » extra-terrestre. Un méchant comme on ne l’avait encore jamais vu sur un écran de cinéma. Ce que les spectateurs à l’époque ne souhaitaient donc plus voir… Encore une fois, le film sort en salle trop tard puisqu’avec cette nouvelle décennie, voici l’avènement d’un cinéma plus mainstream, plus familial et où il faut des films qui se terminent bien, avec des héros positifs et des messages à visée universelle.

    Ce que raconte « The Thing », c’est tout bonnement la fin du monde, avec ce final nihiliste où l’on comprend donc que tout le monde va y passer. Tous les ingrédients étaient pourtant là pour aboutir à une réussite absolue. Ce qu’est de toute façon le film… Son acteur fétiche, Kurt Russell, un score atmosphérique et angoissant signé par Ennio Morricone, des effets spéciaux (en latex et animatronique) spectaculaires réalisés par Rob Bottin, et un scénario sans faille…

    Un bide…

    C’est au cours des décennies suivantes que « The Thing » va gagner ses galons. D’abord découvert en VHS par les ados de l’époque, puis de ressortie en ressortie, il est devenu le film le plus plébiscité de la filmographie de Carpenter. Il était réédité de nouveau en 2016 en version restaurée et force est de constater qu’il faisait toujours aussi peur. Cette peur viscérale aussi bien qu’irrationnelle. La peur du noir, de l’inconnu, mais aussi de toute sorte de psychose, de paranoïa, de l’autre, en fait.

    Hommage donc évident à Lovecraft, de par son ambiance gothique et malgré une histoire qui se déroule en Antarctique, des visions de cauchemars avec leurs diverses transformations physiques, son climat étouffant, paranoïaque et psychologique, « The Thing » crée aussi bien le malaise que la stupeur, en particulier lors des scènes d’attaque du monstre. Parce que oui, c’est là un superbe film de monstre, que l’on nous montre sous toutes les coutures, sous ses différents aspects, et Dieu sait s’il y en a beaucoup et que pas une scène où il intervient n’est identique aux autres.

    Il est amusant de voir de nos jours toute une palanquée de réalisateurs se revendiquant d’un cinéma 80 ; les plus illustres, tels J.J Abrams ou le dernier en date, Jeff Nichols avec son insipide « Midnight Special », nébuleux hommage à Spielberg. Tous hélas ne gardent que ce goût pour un merveilleux bleuté et évanescent, mais sans message ni empathie. Ou même encore une boursouflure comme « The Revenant » dans lequel Inarritu tente la pièce montée ultime en remplissant de force son gâteau avec trop d’ingrédients finalement inutiles.

    Plus attiré par les beaux plans et leurs cinégénies que par un fond et ce qui restera plus tard dans les tripes du spectateur, le réalisateur de « Birdman » ne s’intéresse qu’à l’œil et à l’instant, au lieu de penser à après et à ce que cela produira dans l’inconscient collectif. Comparer Inarritu et son film bourré d’infographie qui tente de singer Terrence Malick avec celui de Carpenter, pourquoi pas, puisque l’on y parle de la même chose finalement, soit la survie en milieu hostile et la loi du plus fort.

    Mais l’un est allé à l’essentiel, en privilégiant des scènes fortes parfaitement connectées avec le sujet. Quant à l’autre, il s’embourbe dans l’afféterie et des tas de références ou d’emprunts. Inarritu ne conçoit pas l’histoire mais seulement sa mise en scène, où tout est pensé sur le principe du dispositif et de la surenchère stylistique. Un comble puisque « The Revenant » est aussi gore que « The Thing » mais paradoxalement jamais viscéral.

    John Carpenter, réalisateur souvent mal aimé puis récupéré in extremis par une certaine intelligentsia, a toujours maîtrisé ce qu’il faisait et su ce qu’il avait envie de faire. Ses films, et surtout « The Thing », sont toujours d’une parfaite cohérence doublée d’une beauté tranchante et froide, comme la mort.

     

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    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Dévoreur Hubertouzot

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : Photographe dévoreur d’images

     

     

     

  • « The Hole » : Dernier rempart face au néant

     

     

    A l’instar d’un réalisateur comme John Carpenter, Joe Dante, c’est une sorte de papa gâteau pour des générations entières qui, sans trop en avoir conscience, ont fait leurs premiers pas dans la cinéphilie dans les années 80. Et ce premier pied posé en salle le fut pour des films tels que « Gremlins », « Explorers », « L’aventure Intérieure », « Hurlements », ou avec Carpenter, pour « The Thing », « Fog », « New York 1997 », « Jack Burton », etc…

     

    Voir aujourd’hui « The Hole », c’est redécouvrir ainsi un petit film sorti comme ça, au débotté, sans faire de bruit… On se dit tant pis, ou tant mieux, ou encore c’est la vie, c’est comme ça. On argumente alors, avec notre petit snobisme mi-nostalgique mi-mélancolique sous le bras, et on crie à la face du monde que c’était mieux avant, que c’était ceci, que c’était cela… Car le film en question, sorti pourtant en 2009, possède en effet encore de ce lustre-là. Il paraît lui aussi un peu désuet, forcément, tant les effets ne sont pas plus appuyés que ça. Mais il n’y a en tout cas aucun cynisme dans la démarche.

    Avec son petit budget, Joe Dante remplit son sac à malice à rabord de toutes les thématiques qui lui sont chères. Il parvient avec trois bouts de ficelle à capter la magie d’une époque, un beau geste pour la forme, une élégance, là, droit au coeur, exactement ce qu’avait manqué Abrams avec son film « Super8 » et de gros moyens déployés ; Abrams qui lui aussi se croyait obligé de rendre hommage à ce cinéma-là.

    « The Hole » ne pourra donc que plaire à un certain public qui croira reconnaître un vieil ami parmi une foule d’anonymes.

     

     

     

     

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    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : Photographe dévoreur d’images

     

     

     

  • Tim Burton ou la lente dégringolade…

     

     

    C’est avec « Pee-Wee Big Adventure », sorti en 1985, que Tim Burton propose clairement en un premier film ses propres fondamentaux, avec cette lecture déviante de l’enfance, cette appréhension du monde, ce point de vue si totalement opposé à ce que Disney ou l’imagerie populaire de l’époque pouvait offrir au monde comme illustration niaiseuse et obsolète. 

     

    Avec des délais respectés et un budget serré, ce film qui est une commande du Studio Warner à la gloire de son acteur principal, Paul Reubens, est un énorme succès. « Pee-Wee Big Adventure » ouvre donc les portes des grands studios à Tim Burton, qui va avoir durant cette période encore sereine carte blanche quant à ses projets en tous genres, et plus généralement sur tout ce qu’il décidera d’entreprendre, avec bien-sûr comme seule règle de cartonner au box office.

    « Beetlejuice », son deuxième film, qui cette fois épouse complètement l’esprit Burtonien, est de nouveau un succès qui accentue davantage encore l’univers très marqué du réalisateur. Vient ensuite « Edward Scissorhands », son chef d’oeuvre et autre gros succès planétaire. L’univers gothique et post-punk de Tim Burton séduit le monde, qui voit en lui un poète facile d’accès parlant des monstres, des « Freaks », comme des êtres doués d’amour et de douceur face à un monde carcan et rose, où la beauté plastique est le nouvel angle du matérialisme et du consumérisme.

    Puis on offre à ce tout jeune réalisateur la chance de porter à l’écran l’une des icône de la pop-culture Américaine : « Batman ». Choix hasardeux, choix curieux, mais pourtant vrai coup artistique… Le film divise, le film scandalise, mais le film plaît… En tout cas, c’est un énorme triomphe partout dans le monde. Tim Burton devient lui-même une star, avec son univers si singulier, si « Burtonien ». Trois ans plus tard, il lui offrira une suite, « Batman Return », meilleur encore que le premier opus, et nouveau triomphe au box office.

    « L’étrange Noël de Monsieur Jack » sera l’apothéose de la carrière de Tim Burton, avec au générique son comparse le compositeur Danny Elfman, qui lui offrira sa B.O. la plus réussie pour une comédie musicale, point d’orgue ajouté à l’univers du réalisateur qui sans que personne ne le sache achevait avec ce film son adolescence. Oui, on est bien là au sommet de la montagne…

    « Ed Wood », douce et mélancolique variation sur un cinéma des rêveurs, des laissés pour compte de la passion, sera son dernier grand film. Suivra ensuite « Mars Attacks! », au goût du cynisme douceret et de l’aspartame. Ce film constitue aussi une réponse amusée et « Arty » à l’encombrant « Independance Day » de Roland Emmerich sorti la même année (1996).

    « Sleepy Hollow » enfonce le clou mais on reste avec l’impression étrange que ce n’est plus Tim Burton qui réalise, mais un ultra-fan du réalisateur qui tenterait de le copier. Tout y est, pourtant : les clins d’oeil à Mario Bava, les ambiances à la Edgar Poe, le cinéma de genre, les afféteries, le grandiloquent… Il lui manque pourtant quelque chose d’indéfinissable. On a affaire à un film appliqué, sans défaut artistique majeur, mais qui ne passionne pas plus que cela.

    Rétrospectivement, ces deux films sont pourtant à porter au crédit de Tim Burton, tant le pire est encore à venir. La dégringolade n’en finit plus et la pente semble cette fois-ci plus longue que sur l’autre versant.

    Arrive donc l’horrible remake de « La Planète Des Singes ». Les fans de la première heure ne comprennent pas ce qui se passe. Mais le couperet tombera avec « Big Fish », ou comment Tim Burton dit exactement le contraire du discours qu’il tenait avec ses premiers films.

    Avec « Charlie et la Chocolaterie », on se prend cependant à espérer, car même si les numéros musicaux ainsi que l’ensemble de la direction artistique sont hideux, des éléments nous renvoient pourtant aux premiers films du réalisateur, peut-être aussi grâce à Johnny Deep et cet étrange personnage qu’il campe, croisement improbable entre Michael Jackson qui détesterait les enfants et un présentateur de télé pour mouflets gavés de sucreries devenu hystérique…

    « Sweeney Todd » suscite la même impression. Cette comédie musicale propose des chansons à mourir d’ennui, est extrêmement mal mise en scène, et pourtant elle retrouve par moment la fibre même de l’esprit Burton. Sombre, ironique, ricanante mais mélancolique…

    A l’annonce du projet « Alice au Pays des Merveilles », on n’attendait plus grand chose, à vrai dire, tant le sujet en lui-même était une évidence. Et effectivement, le film n’a plus rien à voir avec une production dont Tim Burton serait l’auteur. Le début est pourtant assez réussi, avec notamment le passage du monde réel au monde merveilleux. Quelque chose est suspendu, on prend son temps et l’héroïne semble incarnée. On y croit. On veut y croire…

    Mais une fois Alice perdue dans ce monde « magique », l’ennui est hélas de nouveau au rendez-vous. Tout pratiquement est filmé en image de synthèse, mais autant chez Cameron, ces image 3D proposent un monde que l’on croit vrai et enchanteur, autant ici, on frise l’indigence, tant l’imagination de Burton est devenue anémique. Tout y est laid et triste. Ces couleurs saturées semblent avoir comme unique fonction la liaison avec les décors pour les futures attractions des parcs à thème Disney.

    L’histoire n’a aucun intérêt et les péripéties sont laborieuses et molles. On peut de temps à autre apprécier un élément, un mot, un personnage que l’on trouve intéressant, puis on se rappelle que c’est Tim Burton qui est aux manettes de l’entreprise, celui qui était capable de tout métamorphoser et qui n’avait pas besoin de se rendre dans un monde magique ou merveilleux pour justement nous faire croire au merveilleux.

    Cette rencontre entre l’univers de Lewis Carroll et Burton fait donc « pschitt », comme un pet de mouche… Et soudain on se souvient que Burton avait quitté Disney, ou plutôt c’est la firme qui l’avait remercié pour incompatibilité de goût et de style. Plus de vingt ans plus tard, finalement, Tim Burton revient au bercail, mais cette fois-ci plus comme un ado rebelle mais comme un réalisateur quinqua qui se sert juste d’une marque, d’un nom, d’une étiquette.

    Tim Burton n’a plus rien à nous raconter et ne semble dorénavant recycler indéfiniment son univers que par souci de rester dans un inconscient collectif. Un univers pictural qui en soi déjà revisitait tout un pan cinématographique et littéraire fantastique et science-fictionnel des années 50 et 60, passé par son prisme pour être proposé au plus grand nombre, comme la visite d’un grenier merveilleux.

    Ces impressions de déjà-vu, ces univers qui nous semblaient familiers, commençaient cependant dès « Sleepy Hollow » à ne plus évoquer grand chose dans notre propre imaginaire. Tim Burton a ouvert sa boutique de « goodies »… Et que ce soit le barbier sanguinaire, la fabrique de chocolat ou le monde hideux de cette Alice chimique, tout ressemble désormais à des parcs d’attractions, nous ressassant inlassablement les mêmes bonnes vieilles recettes.

    Désormais, cette saveur synthétique qui a remplacé le goût de l’étrange et du bizarre est telle que l’on se dit que c’est un fan absolu du réalisateur de Pee Wee qui tente de copier le style Burton sans jamais vraiment parvenir à donner une vision cohérente à ces nouveaux spectacles. Les projets se suivent, mais n’ont plus cette magie qui caractérisait tant « Edward aux mains d’argent », « Batman Return » ou « Beetlejuice ».

    Vient ensuite « Dark Shadows », un film qui n’a plus que la peau sur les os. Exsangue, sans inspiration, sans souffle, fatigué, et qui malgré tout l’arsenal mis à la disposition de la production (effet spéciaux, décors, lumières, casting) ne changera jamais rien à ce naufrage de plus. Avec cette relecture d’une série 70’s américaine moisie alliée à la thématique du vampire que Burton n’avait jamais vraiment affronté, on assiste à toute une première partie plutôt agréable. On est content également de constater que le film n’emprunte pas trop au style comédie décalée que l’on essayait de nous vendre dans la bande-annonce.

    On pense très vite aussi au cinéma de Wes Anderson. Etrange impression, tant le style indolent de la mise en scène, la présentation de chacun des personnages et des standards 70’s éculés, fait que cette nouvelle production de Tim Burton laisse présager un film tout entier construit sur ce genre tragi-burlesque, mélancolique et précieux, avec cette famille vivant sa malédiction avec dignité, renoncement et une classe divine. Il n’en sera rien, pourtant… Le scénario va s’empêtrer dans des fausses pistes qui ne mènent à rien. Burton nous laisse penser que l’on va assister à une folle histoire d’amour et en fin de compte, il s’amuse à peine lui-même de ses figures qu’il a sorties pour l’occasion de sa malle à jouets. Ce que l’on croyait indolent est en fait mou. Johnny Depp ne passionne guère en essayant de réinventer un vampire, sorte de composite de figures surannées. Le film offre pourtant encore de bien belles choses sur le plan des trouvailles visuelles. Mais à quoi bon, puisque l’histoire ne nous transporte jamais. Tout est étirée comme du chewing gum mâché qui a perdu depuis des lustres sa saveur.

    Est-ce que Tim Burton peut réellement se réinventer, se renouveler, partir sur autre chose, exploiter un autre filon que celui qu’il a asséché depuis maintenant dix ans ?

    « Big Eyes » sorti en 2014 essaie effectivement de remettre tout à plat, avec cette histoire de faussaire, d’identité usurpée, de peintre des années 50 ringarde. Oui, Burton tente de nous refaire du « Ed Wood ». Mais non, en fait… Le film ressemble à un téléfilm indolent et poli traitant d’un sujet dont on se contrefiche comme de notre dernière crotte oubliée au fond d’une cuvette. Alors dire qu’en 2016, nous attendions avec impatience son adaptation au cinéma du roman de Ransom Riggs, « Miss Peregrine et Les Enfants Particuliers », eut été mentir, quelque part…

    Mais après tout, six films mémorables dont deux chefs d’œuvre, c’est déjà pas si mal dans une filmographie…

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

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    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : Photographe dévoreur d’images

     

     

     

  • Green Book, l’éternelle culpabilité

     

    L’Amérique a toujours eu une police avec la gâchette quelque peu facile lorsqu’elle voit un homme noir dans sa ligne de mire… Et elle pratique également assidument cette autre religion qui se nomme « Hollywood ». Quel est donc le dénominateur commun entre ces deux institutions ?

     

    Hollywood peut vous confectionner sur mesure, en prévision de la prochaine cérémonie des Oscars, des films dans lesquels on dénonce le racisme culturel ambiant, qui remonte déjà à l’époque de la sécession et des champs de coton, mais qui semble toujours autant d’actualité en 2019.

    Car cette aversion qu’ont beaucoup d’Américains pour leurs compatriotes dits « de couleur » est toujours aussi prégnante et a encore de beaux jours devant elle…

    Alors, tous les deux ans, un film traitant de ce sujet va désormais recevoir la statuette la plus convoitée du cinéma international, sous les applaudissements humides d’un public d’happy few qui ont probablement tous voté pour Barak Obama et Hillary Clinton aux dernières élections présidentielles américaines…

    A l’aune de cette réalité, le film « Green Book : Sur les routes du Sud  » n’est pas un mauvais film. Il coche d’ailleurs toutes les cases des situations qu’il faut imposer à un public en plein sevrage, entre une Marvellerie et une comédie romantique faussement irrévérencieuse. Tout est une question de timing…

    Avec « Green Book », on a donc affaire au film parfait, puisqu’il manie à la perfection plusieurs genres, du film dossier à la comédie, en passant par le body movie. Nous aurions pu citer aussi le road movie, autre grand thème cher au cinéma américain. On saupoudre enfin l’histoire (attention spoiler…) d’un peu d’homosexualité et clac, L’affaire est dans le sac !

    Le scénario est bien ficelé, les acteurs sont parfaits. La réalisation est léchée et le tout baigne dans une lumière qui fera très années 60 (jaune, nostalgie, jolie campagne du sud).

    Sans oublier évidemment la caution indispensable, « tiré d’une histoire vraie », deux personnages principaux antagonistes qui finiront copains comme cochons et un final digne d’un film de Frank Capra.

    Rien ne nous sera épargné… Balisé de bout en bout, « Green Book » de Peter Farelly, qui dans d’autres temps nous avait régalé avec des comédies géniales (« Dumb and Dumber », « Mary à Tout Prix »…), propose le film corporate ultime, propre et lisse.

    On ne peut qu’être d’accord avec tout ce qui y est raconté, bien-sûr, mais à quoi bon… Car est-ce cela, le cinéma en 2019 ? Un cours de civisme…

    Traiter du racisme ou de l’homosexualité aurait peut-être davantage sa place à l’école, pour commencer. Inculquer à tous ces godets d’adolescents les fondamentaux, qui ne sont d’évidence pas relayés par des parents américains en panne d’éducation.

    « Green Book », à part brosser les spectateurs dans le sens du poil, n’offre malheureusement pas grand chose d’autre. C’est un film inoffensif, poli mais creux.

    Ah, chère Amérique, pays des libertés, des paradoxes et de l’éternelle culpabilité…

     

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    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Dévoreur Hubertouzot

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : Photographe dévoreur d’images

     

     

  • L’Echelle de Jacob : La douceur de la mort aussi

     

     

    « L’Echelle de Jacob » est sans doute le meilleur film d’Adrian Lyne, que l’on croyait n’être qu’un faiseur efficace d’un genre dédié aux 80’s. « Flash Dance », « 9 Semaine ½ », « Liaison Fatale »… 

     

    Sorti en 1989 et passé assez inaperçu à l’époque, ce film a pourtant, au fil des ans, tricoté ses mailles d’oeuvre culte en devenant un modèle du (des) genre(s), voire même une base matricielle, puisque tout un pan des cinémas japonais, espagnol et français a entièrement repris son alphabet, son esthétique et son atmosphère.

    Premier du genre donc, le film lance un nouveau style visuel emprunté au photographe Joël Windkin et ses univers putréfiés, clairs-obscurs et fétides. C’est jusque dans le monde des jeux vidéo que « L’Echelle de Jacob » impose un style visuel, sorte de synthèse entre Goya, Rembrambt, Bosh, Bruegel et le photographe cité plus haut. David Fincher viendra d’ailleurs aussi s’y servir pour décorer son deuxième film, « Seven », le thriller qui l’aidera à se propulser en orbite. Avec ce thème musical récurant au piano, doux et mélancolique, de Maurice Jarre, le film d’Adrian Lyne nous parle de la condition humaine sous l’épaisseur de différents filtres.

    Oui, c’est un film qui impressionne, qui horrifie, qui terrorise même, mais avec de la lenteur et de la tristesse. Ce mélange de douceur et d’horreur qui nous étreint jusqu’au final est une marque que reprendront tous les réalisateurs dans les 90’s. C’est aussi le premier film qui va relancer la mode du « Twist » final, sorte de coup de théâtre qui remet tout le récit en question ainsi que nos interrogations. Sauf qu’ici, même si c’est le premier du genre, il n’y a pas que le principe en soi : c’est un style. Ce final se raccroche à tout ce que l’on a vu. Cette mise en abyme vaut également comme point de départ à nos propres questionnements.

    Film très ambitieux qui fonctionne un peu comme avec « L’Enfer » de Dante, il nous étrangle petit à petit jusqu’à ce que l’on cède. On peut sourire pour ce que le film soulève comme interrogation sur notre foi, nos religions ou nos aspirations. Ce n’est pas très grave car il possède suffisamment de niveaux de lectures et d’interprétations pour que l’on puisse aussi l’apprécier juste comme une oeuvre cinématographique belle, sombre et poétique.

     

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    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : Photographe dévoreur d’images

     

     

     

  • David Lynch : Dick Laurent is dead ?

     

     

    Bill Pullman, le saxophoniste du film « Lost Highway » est seul chez lui. Il semble perdu. On sonne à la porte. Il se lève du canapé où il était assis et va appuyer sur le bouton de l’interphone pour écouter inquiet la personne qui est dehors décliner son identité. Un petit silence, puis une voix rocailleuse prononce cette fameuse phrase énigmatique : « Dick Laurent is dead ». Bien plus tard, nous apprendrons dans une scène alternative qui était l’homme mystérieux à l’interphone qui prononça la fameuse formule. Il s’agissait du personnage de Bill Pullman lui-même…

     

    Avec un univers (parallèle) si singulier, David Lynch nous a toujours proposé au travers de ses différents films, et ainsi jeté ou caché ci et là, des clés et des codes à déchiffrer. Os à ronger pour certains, qui n’y ont vu que de la fumisterie et de la poudre aux yeux. D’autres encore, criant au génie, se sont goinfrés de la moindre miette sans réfléchir pour autant à toutes ces images, toutes ces sensations, proposées par l’homme aux chemises de popeline blanches. Mais beaucoup n’y ont aussi vu qu’une pose, un ton et une démarche chic et snob. Une façon de se différencier du tout un chacun. Car l’art, c’est aussi cela, subjectif… Et les cochons sont omnivores.

    Tout d’abord, on peut essayer malgré tout de séparer la filmographie de David Lynch en deux blocs ou deux sortes de films, malgré leurs contours flous, poreux. D’un côté, retenir la logique interne de certains titres et leur homogénéité (« Elephant Man », « Dune », « The True Story », voire même encore « Blue Velvet »). Des histoires racontées, compréhensibles, avec un début, un milieu et une fin, dans lesquelles les personnages actionnent des leviers narratifs classiques. Puis il y a l’autre catégorie et ces films qui eux-mêmes sont scindés en deux groupes distincts (« Mulholland Drive », « Twin Peaks: Fire Walk with Me », « Sailor et Lula », « Inland Empire »…). Films dichotomiques qui vont apporter à chaque fois leur propre petite révolution au sein même du récit et de son intrigue en cours.

    Ou soit encore sur une base scénaristique solide et verrouillée, avec des personnages ayant des buts précis et évoluant dans des univers concrets… Au début… Car bien-sûr, un glissement se produit toujours. Quelque chose intervient. Une situation inimaginable, qui échappe à tout contrôle, toute logique et qui de toute façon plongera les protagonistes dans l’impensable. Une remise à zéro de toutes leurs certitudes. On peut même déjà à ce stade parler de récits initiatiques semés d’embûches, de périls ou d’épreuves. Certains s’en sortiront, grandis, nouveaux, transformés et puis d’autres ayant échoué concluront le voyage par une mort certaine et définitive.

    Le film « Lost Highway » est celui qui clairement sert de chaînon manquant entre ces deux tendances. La fusion entre une forme schizophrénique et irrationnelle qu’affectionne l’auteur d’Eraserhead, avec des situations généralement perçues d’abord comme concrètes et banales. Lynch crée une passerelle. Ces fils invisibles qui sont ceux d’une toile d’araignée gigantesque.

     

     

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    Mais encore faut-il vouloir essayer aussi d’ériger une nomenclature à la filmographie de Lynch… Si l’on veut jouer ainsi aux archivistes, ne groupons pas alors tous les films par dates comme pour une filmographie classique, en essayant ainsi d’y voir les évolutions plastiques et intellectuelles du réalisateur, mais optons plutôt pour un point de vue musical, comme nous le ferions pour des œuvres de compositeurs. Concerto, symphonie, trio, musique de chambre…

    « Lost Highway » propose une première partie où un couple s’enfonce petit à petit dans ce qui pourrait être à première vue un thriller psychologique sophistiqué. Très vite, ce qui tenait encore comme repère tangible s’estompe pour céder peu à peu la place à un plus grand mystère encore, opaque et cauchemardesque. Intervient alors la fameuse rupture de ton, abrupte comme celle que l’on rencontre dans les rêves. Une deuxième partie de film qui prend ensuite le dessus et impose sa réalité des faits. Une relecture de ce que l’on a déjà vécu, mais inversée, incurvée.

    Pour « Lost Highway », David Lynch a recours, non sans un certain sens de l’humour, à la citation, en invoquant Alfred Hitchcock dans son univers Escherien. Brian De Palma, le réalisateur de « Pulsions » et « Body Double », fut sans doute le premier à phagocyter des figures ultra-iconiques du réalisateur de « Vertigo » en se servant de ses plus grands classiques comme d’une matrice, d’un sac à malice dont il pouvait indéfiniment tirer profit pour asseoir ses intentions plastiques et narratives.

    Pour De Palma, les possibilités sont infinies, telles des mises en abyme à répétition. Toutes ces références hitchcockiennes lui ont du reste permis de proposer une relecture libidinale exacerbée et décomplexée, tirée d’un univers 50-60’s plus corseté par les affres de la censure de l’époque, mais qui pour Hitchcock lui-même permettait aussi d’inventer de nouvelles formes et faire passer ses propres fantasmes.

    Brian De Palma, à l’instar d’un autre grand cinéphile, avant d’être un grand cinéaste, Martin Scorcese, a donc tout au long de sa filmographie joué avec le cinéma comme vaste champ de mémoire collective sur l’histoire de ce médium. De la forme sans cesse retravaillée, mais dont la base resterait la même : un socle inaltérable. Le cinéma de Brian De Palma est cérébral et intellectualise beaucoup les figures empruntées.

    Il n’en est rien pour Lynch qui fait du cinéma sur des bases mouvantes et dont les références et emprunts sont utilisés à d’autres fins. On est dans le ressenti et notre cerveau n’est pas sollicité pour trouver différentes grilles de lectures. On se prend de plein fouet des sons et des images qui sont comme des projections mentales débarrassées de toute teneur analytique. C’est à chaque fois une pure expérience sensorielle auquel nous convie David Lynch.

    Pour revenir sur les codes de la « blonde » et de la métaphore sexuelle qui est toujours présente chez De Palma, elle sera en revanche plus diffuse chez Lynch, moins frontale et plus équivoque. Si David Lynch a en effet utilisé la figure ultra référencée de la blonde dans le cinéma Hollywoodien, c’est pour mieux jouer avec et amener le spectateur cinéphile jusqu’à des zones encore plus marécageuses que sa simple libido. La blonde comme symbole de la vamp, la femme fatale ou la garce, pivot central des récits de film noir.

    Il y a l’équivalent en brune devenant alors le pendant alternatif, la possibilité pour d’infinies autres pistes, brouillant les repaires. « Vertigo » donc, film qui n’en finit pas de se décliner, de se faire malaxer, retourner, découper et servir d’inaltérable chambre noire, est bien aujourd’hui devenu le prototype même de fantasme de cinéma méta. Se servir de cet artifice en caressant dans le sens du poil le cinéphile adepte des citations, pour mieux le ferrer et le catapulter ailleurs. Reflet, miroir et glace sans tain, car derrière, c’est David Lynch qui en fait nous observe.

     

     

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    Et c’est d’ailleurs avec « Mulholland Drive » qu’il pousse plus loin encore l’idée de se servir de cette image que renvoie Hollywood pour bâtir son film. Le miroir aux alouettes. Le rêve Hollywoodien passé par le prisme Lynchien et cela devient un cauchemar soyeux et étouffant. Si l’on rajoute enfin « Inland Empire », dans lequel son personnage principal joué par Laura Dern évolue une fois de plus dans le milieu du cinéma, nous avons sans doute là une trilogie sur la thématique du dédoublement, du cinéma et de ses acteurs vue par David Lynch, la folie qui rôde jamais très loin du glamour, derrière le fard et les sourires figés. Les Freaks…

    Toute l’industrie du cinéma vue comme une entité monstrueuse qui dévore tous ceux qui s’en seraient approchés trop près. Il est vrai qu’Hollywood est en soi un formidable objet de fascination comme de répulsion et que David Lynch n’est pas le premier ni le dernier à avoir tenté de s’en exorciser. Bien avant lui, Billy Wilder avec « Sunset Boulevard », Brian De Palma donc et plus récemment encore David Cronenberg et son « Maps To The Stars ».

    C’est sûrement aussi là le point commun entre tous les films de David Lynch, et cette manière qu’il a de concevoir une forme de récit tout en détails précis (qualité de la photographie, du jeu des acteurs, maîtrise totale du cadre, de la mise en scène, de l’utilisation de la musique – ensorcelant Angelo Badalamenti – du montage, surtout des bruitages et de son ambiance sonore). Oui, comme une pensée sur chaque chose, sur chaque objet, comme dans les rêves où certains éléments vont être mis en exergue plus que d’autres, que la netteté se fera sur un contour, l’arrête, tel côté plutôt qu’un autre… Cinéma du ressenti, de l’intuition, du sensitif.

    On ne comprend sans doute pas tout de suite les agissements et les significations de l’intrigue, même parfois pas du tout, et pourtant tout nous semble familier. A quoi bon essayer de comprendre et pourquoi comprendre, d’ailleurs ? C’est l’exact principe du fonctionnement de nos rêves ou de nos cauchemars. On est très souvent spectateur impuissant. Alors, on essaye de se raccrocher à des éléments que l’on tentera ensuite de déchiffrer et d’analyser, voulant ainsi les replacer dans notre propre réalité.

    Dans la série télévisée « Twin Peaks », l’agent Dale Cooper nous parlait de chamanisme, de science des rêves et il prétendait que par cet angle, il allait sans doute pouvoir résoudre l’énigme, à savoir le meurtre de Laura Palmer. Ce n’était pas là juste une astuce narrative. Car il est évident que cette question obsède David Lynch depuis toujours. Il veut comprendre pourquoi nous devons mourir… Et plus que de laisser une empreinte culturelle ici bas, le réalisateur se sert avant tout de ce médium qu’est le cinéma pour tenter de découvrir lui-même cette petite porte qu’il a apparemment dans son cerveau et qui donne sur l’indicible.

    Chacun de ses films est donc une proposition, une invitation à voyager dans son subconscient et par conséquent dans le nôtre. Il est sûrement l’un des seuls artistes qui peut avoir accès comme Alice à ce pays aussi merveilleux que dangereux et en rapporter des visions aussi magnifiques, terrifiantes et si définies. Evidemment, en terme de renouveau artistique, de renouvellement cinématographique, Lynch a fait le tour de la question depuis longtemps et ne crée plus maintenant que de la forme (superbe au demeurant). Tous ses films sont des remakes des précédents et il joue avec nous en s’auto-citant. Mais c’est avec de la musique, des expositions, des installations, qu’il continue à laisser entrevoir ce que son cerveau cache sous ses tapis.

    « Dick Laurent is dead ? ».

    Non, pas encore…

     

     

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