Auteur/autrice : Instant-Chris

  • Pierre Desproges (1939-1988) : « Je ne suis pas n’importe qui »

     

     

    Pierre Desproges, disparu en 1988, aurait eu quatre-vingts ans le 09 mai 2019. Inclassable trublion, spécialiste des blagues potaches, éternel gamin dans la vie de tous les jours, roi de la provocation, père attentionné, amateur de bon vin, travailleur acharné, écorché, grand pessimiste, bon vivant… Pierre Desproges surprend par ses multiples facettes, parfois contradictoires.

     

    Mort en pleine gloire voilà trente-et-un ans, Pierre Desproges nous parle toujours… Bien-sûr, certains textes, très liés à l’actualité, ont vieilli. Mais tant d’autres, qui traitent de thèmes universels et chers à l’humoriste, résonnent encore aujourd’hui.

     

    « Tout dans la vie est une affaire de choix, ça commence par la tétine ou le téton, ça se termine par le chêne ou le sapin. » (Textes de scène, Éditions du Seuil)

     

    Chercher à raconter la vie de Pierre Desproges : c’est une gageure. Comme le rire qui résiste obstinément à toute tentative de définition, l’homme ne se laisse pas enfermer facilement dans une case. Difficile en effet de faire l’inventaire de l’œuvre d’un cinglant lettré, d’une personne au parcours atypique ; d’un homme qui fustigeait les bonnes consciences, de son personnage misanthrope et antihumaniste qui lui permettait d’aller très loin. Mais qui était vraiment Pierre Desproges, qui, aujourd’hui encore, continue d’être considéré comme une référence ? Comment expliquer sa modernité et sa singularité ?

     

    « La culture, c’est comme l’amour. Il faut y aller par petits coups au début pour bien en jouir plus tard. » (Réquisitoire contre André Balland, Éditions du Seuil, Tôt ou Tard)

     

    Le meilleur moyen de partager la vie et l’œuvre de Pierre Desproges est de faire entendre une série de points de vue qui suggèrent l’homme à différents moments de sa vie. De la guerre d’Algérie à la Madeleine, du Petit Rapporteur au Théâtre Fontaine, de l’écriture au cimetière du Père-Lachaise, ce documentaire invite à déambuler sur les différents territoires de Desproges. Il remonte le temps pour découvrir Pierre Desproges à travers celles et ceux qui l’ont côtoyé : sa fille, Perrine ; Jacques Catelin, son ami de jeunesse ; Francis Schull, son collègue au quotidien l’Aurore ; Jean-Louis Fournier, réalisateur attitré et complice ; Yves Riou, l’ami humoriste.

     

    « Je me heurte parfois à une telle incompréhension de la part de mes contemporains, qu’un épouvantable doute m’étreint : suis-je bien de cette planète ? Et si oui, cela ne prouve-t-il pas qu’eux sont d’ailleurs ? » (Chroniques de la haine ordinaire, Éditions du Seuil)

     

    Ces témoignages révèlent une personnalité sans concession, angoissée et complexe, à laquelle font écho ses thèmes de prédilection. Des sujets les plus universels (la vie, l’humour et le rire, l’écriture, l’amitié et l’amour, la mort, le racisme) aux plus singuliers (les cintres, les cons, les coiffeurs, la maladie), qui se confondent dans la vie de homme, et dans l’œuvre de cet artiste aux talents protéiformes.

     

    « Humoriste, c’est un mot grave et prétentieux comme philosophe ou spécialiste : je ne suis pas un spécialiste de l’humour. C’est par humilité que je ne veux pas être humoriste. En revanche, c’est par vanité que je ne veux pas être comique. Un comique, c’est un type qui a le nez rouge, qui pète à table, qui se met une fausse barbe : ça me glace totalement. Ce sont des mots impropres. Pareil pour « écrivain », je dirais plutôt écriveur. Parce qu’écrivain, c’est à la fois outrecuidant et trop incisif. » (Libération, 3 mars 1986)

     

    Il ne suffit pas d’être heureux. Encore faut-il que les autres soient malheureux… Trente-et-un ans après sa mort, portrait intime par ses proches d’un homme tendre et angoissé, à l’humour sans ambiguïté ni concession : « me courber me fait mal au dos. Je préfère rester debout ».

     

    « J’ai le plus profond respect pour le mépris que j’ai des hommes. » 

     

    Article et Documentaire signés Romain Masson pour France Culture (février 2018)

     

     

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    Une émission de Romain Masson, réalisée par Anne Perez-Franchini – Prise de son : Yann Fressy, Ollivia Branger – Mixage : Claude Niort – Archives INA : Arnaud Plançon – Liens internet : Annelise Signoret.

    Archives PMP Productions (Perrine Desproges) : Spectacles au Théâtre Fontaine (1984) et au Théâtre Grévin (1986), réalisés par Jean-Louis Fournier. Archives INA – 30 millions d’amis, « Les animaux extraordinaires de Pierre Desproges », TF1, le 8 novembre 1979 – ​Boîte aux lettres​​​, Jérôme Garcin​, FR3, le 26 juin février 1983 – Mardis du théâtre, Lucien Attoun, France Culture, le 25 novembre 1986.

     

    Remerciements

    Hélène Desproges, Jérôme Garcin, Marie-Ange Guillaume, Nina Masson, Myriam Nguyen, Philippe Pouchain, les Editions du Courroux, PMP Productions, Les Jardins du Marais.

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Pierre Desproges Officiel

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Pierre Desproges –  Je vais être sincère…  (Entretien publié dans Les Inrocks le 29 novembre 1995)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Pierre Desproges interviewe Françoise Sagan pour le Petit Rapporteur  (Novembre 1975)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Entretien au coin du feu  (Archive INA, 12 mars 1977)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Chaîne spéciale Desproges sur Dailymotion

     

     

     

  • Charlie Chaplin, le Rythme dans la Peau

     

     

    Le 130ème anniversaire de la naissance de Charlie Chaplin donne lieu à d’innombrables commémorations de par le monde. En France, dix de ses films ressortent en salle, de « La ruée vers l’or » aux « Temps Modernes », ainsi qu’une compilation de ses meilleures bandes originales, toutes composées par lui-même. Le réalisateur et acteur, mort en Suisse en 1977, aura créé des oeuvres majeures, mêlant humour, poésie et parfois même politique, alliés à un exceptionnel sens du rythme.

     

    Icône absolue du muet, 42 ans après sa mort, Charlie Chaplin reste le personnage de cinéma le plus mythique au monde. En 65 ans de carrière, cet entrepreneur touche-à-tout aura joué, réalisé, scénarisé et produit plus de 80 films. Et il en a aussi composé les musiques… Car ce qu’on oublie parfois, c’est que l’acteur britannique avait le rythme et la mélodie dans la peau… Ce qui lui valut, en plus des deux Oscars d’Honneur, un troisième pour la musique de son film « Les Feux de la Rampe » en 1952.

     

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    « Les Feux de la Rampe » (titre original : « Limelight »), avec Charles Chaplin, Claire Bloom et Buster Keaton, est le chef d’œuvre testamentaire de Charlot, redevenu Chaplin pour l’éternité… Le final est d’une beauté poignante avec la gracieuse Claire Bloom, ballerine tournoyant au son des accords nostalgiques de la mélodie « Limelight » composée par Chaplin lui-même…

     

    « Ses deux parents étaient chanteurs, et n’ayant pas beaucoup d’argent, ils traînaient leur petit partout. Très jeune, Charles intégra la Eight Lancashire Lads, une troupe de danseurs à sabots composée de huit petits garçons. » (Kate Guyonvarch, directrice du Bureau Chaplin)

     

    Avec ses premiers cachets, Charles Spencer Chaplin s’achète donc un violon, puis un violoncelle, qui ne le quitteront plus… Dès qu’il a un moment, il s’entraîne en coulisse, en espérant un jour pouvoir en tirer un revenu complémentaire.

     

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    « Chaplin avait une oreille incroyable. Ça saute aux yeux, ou plutôt aux oreilles, dans le discours du « Dictateur ». Il a créé pour le film une langue qui ressemble de très près à de l’Allemand, mais qui n’en est pas. » (Kate Guyonvarch, directrice du Bureau Chaplin)

     

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    Comme Chaplin ne sait ni lire ni écrire la musique, il s’entoure d’arrangeurs professionnels qui retranscrivent ses compositions instinctives sur partition. Il n’est jamais allé au Conservatoire, et pour cause… Chaplin, son école, c’est l’école de la rue. Alors, les mélodies qu’il imagine donnent finalement une musique qui vit, qui vibre au même rythme que son jeu à l’écran et sa manière de faire du cinéma.

     

    « Quand Chaplin avait une scène en tête, il savait très précisément ce qu’il voulait entendre à ce moment, pour soutenir et accompagner cette scène. Lorsqu’il disait à l’orchestre qu’il voulait que ce soit joué de cette façon, et que les musiciens tentaient de lui expliquer que ça ne pouvait pas se jouer comme ça, Chaplin pouvait avoir tendance à s’agacer et à exiger que ce soit joué comme il le souhaitait… » (Kate Guyonvarch, directrice du Bureau Chaplin)

     

    Le pire de tout cela, c’est que lorsqu’il s’agissait de musique, Chaplin avait souvent raison… Car il avait non seulement un sens inné de la composition, mais aussi du rythme. Son jeu s’appuyait sur une chorégraphie millimétrée ; un savant mélange d’humour et d’émotion. Cette rythmique passait déjà par son propre corps, ainsi que par les éléments ou les accessoires qu’il était amené à utiliser pour cadencer chaque scène. Charlot sur la chaîne de montage dans « Les Temps Modernes » (1936), Charlot face au policier dans « Le Kid » (1921), Adenoïd Hynkel dansant avec la mappemonde dans « Le Dictateur » (1940), et évidemment la danse des petits pains dans « La Ruée vers l’Or » (1925), qui reste sans doute l’exemple le plus emblématique…

     

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    Charlie Chaplin jouait avec tout ce qui pouvait lui tomber sous la main, des personnages au cadrage, en passant par la musique ou les mouvements de son propre corps à l’écran. Mais tout était réalisé en contrôle, et réglé au cordeau. En 1916, le grand danseur Nijinski est invité par Chaplin à assister au tournage d’une scène de l’un de ses films. A la fin de la prise, Chaplin demande à Nijinsky ce qu’il en a pensé, et Nijinski lui rétorque : « Mais vous n’êtes pas un acteur… Vous êtes un danseur ». Cette rencontre inspira à Chaplin son film « Une idylle aux champs » (Sunnnyside, mai 1919).

    Chaplin danse, compose ; il ne lui manque plus que la parole. Mais il faudra attendre encore près de dix ans après l’avénement du cinéma parlant pour entendre le son de sa voix… La première fois qu’on entend la voix de Chaplin, c’est en 1936 dans « Les Temps Modernes », pourtant considéré comme le dernier film muet de sa filmographie, et d’ailleurs le dernier film dans lequel apparaît le personnage de Charlot.

    Chaplin a composé une mélodie pour le film, « Je chercher après Titine, … ». Cette scène donnera un sketch évidemment hilarant, dans lequel Charlot opère sa métamorphose, en devenant non seulement chanteur, puisqu’on entend pour la première fois le timbre de sa voix, mais aussi musicien et pantomime. C’est avec ce film qu’on découvre que Chaplin n’est pas simplement un acteur, mais un tout…

     

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    Avec l’épilogue des « Lumières de la Ville » (1931), Charlie Chaplin prouve au 7ème Art qu’il règne aussi en maître sur le mystère de nos émotions.

     

    « Je défie n’importe qui de regarder cette scène, même s’il n’a pas vu le film en entier, sans avoir la larme à l’oeil, tant le violon appuie magnifiquement la scène. Chaplin a atteint une telle perfection dans tous les domaines qu’il parvient à contrôler toutes nos émotions… » (Kate Guyonvarch)

     

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  • Les 80 ans de la Retirada

     

     

    Le Mémorial du Camp de Rivesaltes dans les Pyrénées-Orientales présente, dans le cadre des commémorations du 80ème anniversaire de la Retirada, une grande exposition consacrée au photographe suisse Paul Senn, qui a suivi au plus près la guerre civile espagnole et l’exode de centaines de milliers de personnes vers la France.

     

    S’il est célèbre dans son pays, son travail sur la Guerre d’Espagne l’est beaucoup moins. Pourtant, les clichés de Paul Senn (1901-1953) livrent un témoignage fort sur le conflit et sur la Retirada, l’exode vers la France en 1939 de milliers de femmes, d’enfants et d’hommes fuyant face à l’avancée des troupes de Franco.

    Nous sommes donc à la fin de la guerre civile en Espagne, en janvier et en février 1939. Les réfugiés, ceux qui ont survécu à l’épuisement, à la dénutrition et aux mitraillages de l’aviation, seront accueillis côté français puis le plus souvent internés dans des camps : Argelès-sur-Mer, Rivesaltes… C’est ce drame collectif qu’illustre Paul Senn à travers ce témoignage exceptionnel constitué de 1200 photos.

     

    « Il est arrivé avec les convois de l’aide suisse, explique Markus Schürpf, le conservateur de la collection Paul Senn. Et il est revenu plusieurs fois avec ces convois. Il a photographié toutes ces situations dramatiques dans différentes villes de la région. »

     

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    Portraits bouleversants

    Au Mémorial du camp de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales), c’est le rendez-vous de l’émotion et du souvenir pour ceux de la Retirada. L’histoire de 475.000 personnes, très majoritairement des républicains espagnols et des civils fuyant, le plus souvent à pied, dans le vent glacé de la montagne pyrénéenne, l’inexorable avancée de l’armée de Franco après la chute de Barcelone. Depuis janvier, des commémorations se tiennent tout au long de la chaîne des Pyrénées.

    Regards hagards, visages émaciés, les clichés de Paul Senn nous feraient presque ressentir la peur, le froid et la détresse de ces milliers de réfugiés obligés de fuir leur pays qui s’apprête à basculer dans la dictature. Des réfugiés espagnols que Senn retrouvera au Camp de Rivesaltes trois ans plus tard, en 1942, où certains ont été internés au côté de Juifs et de Tziganes par le régime de Vichy. Il réalise alors une série de photos bouleversantes au plus près de la souffrance.

     

    « Mon père était de la Retirada. Il a passé la frontière au Perthus et il a séjourné au camp d’Argelès. Quand on regarde les photos de Paul Senn, on sent qu’on y est, qu’on est au milieu de ces malheureux qui fuient l’Espagne. Et quand il photographie le camp de Rivesaltes, on ressent dans son corps la Tramontane glacée. On a froid dans le dos… Paul Senn photographie de très près, et ça le rapproche de Capa, à mon avis. » (Michel Lefebvre, journaliste au Monde et commissaire de l’exposition)

     

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    Sous le nom « Des Espagnols dans les Camps », l’exposition de Paul Senn est également itinérante. Constituée de 14 portraits accompagnés de témoignages de réfugiés, elle est présentée dans les 13 anciens lieux d’internement de la région.

     

    Dans la grande salle, Herminia Gallart, native de Valence en Espagne, sèche ses larmes. Elle vient tout juste d’éclater en sanglots. « Trop d’émotion », dit-elle. « C’est une partie de l’histoire de l’Espagne qu’on a totalement occultée pendant toutes ces années. Cette souffrance qu’on ne souhaitait pas reconnaître, surtout pas. »

    « Les cicatrices sont encore ouvertes, vous savez. Et cette exposition, c’est sans doute le meilleur moyen de les refermer ». Son grand-père aurait pu faire partie des marcheurs de février 1939 mais il est mort en détention. « Quatre-vingts ans après tout ça, on se sent encore marqué par cet événement majeur, les premiers réfugiés de notre ère » ajoute Elisabeth Lagrange, qui reviendra à Rivesaltes pour « tout voir » et ne rien oublier.

     

    « Tout voir »… Comme Paul Senn lui-même, qui dans le sillage de l’ONG suisse Ayuda Suiza, sillonna les chemins de la Guerre d’Espagne en 1937, de la Retirada en 1939 et des camps en 41-42. C’est lui qui, le premier, avait découvert et immortalisé la maternité d’Elne (Pyrénées-Orientales), administrée par Élisabeth Eidenbenz, jeune institutrice suisse qui sauvait les bébés à naître des mamans de la Retirada.

    « Il s’attachait à capter les regards, surtout ceux des enfants. Et il n’oubliait jamais de revoir ceux qu’il avait photographiés », indique encore Markus Schürpf, l’archiviste de Paul Senn qui a recensé 1600 reportages publiés en vingt-trois ans de photographie. Ce qui donne, en parallèle à l’exposition de Rivesaltes, une passionnante rétrospective à Perpignan. Pour que le pays catalan jamais n’oublie les souffrances des réfugiés dans les cols verglacés de cet hiver 1939…

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Exposition « Paul Senn, un photographe suisse dans la Guerre d’Espagne »

    Du 3 Février au 30 Septembre 2019 au Mémorial du Camp de Rivesaltes

    Commissariat : Markus Schürpf et Michel Lefebvre

     

     

     

  • Laurel et Hardy, la mécanique du rire

     

     

    Voici l’histoire du plus grand duo comique de tous les temps. Le film « Stan & Ollie » sorti en mars 2019 revient sur cette période durant laquelle, après s’être séparés quelques années plus tôt, les deux acteurs, le gros et le maigre, entament une tournée en Angleterre pour relancer leur carrière. Formé en 1927, le couple va connaître son apogée dans les années 30 et 40. Serge Bromberg, grand spécialiste du cinéma muet, nous aide à décrypter les ressorts de l’humour de Laurel et Hardy.

     

    « C’est incroyable d’avoir toujours autant de succès en utilisant toujours les mêmes vieux gags. »

     

    Et effectivement, même aujourd’hui, ça fonctionne toujours autant… Avec l’excellent biopic « Stan & Ollie » qui retrace leur dernière tournée au Royaume-Uni en 1953, on redécouvre l’un des plus grands duos de l’histoire du cinéma. Décryptons donc la force comique du petit Laurel et du gros Hardy.

     

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    « Laurel et Hardy n’auraient décidément pas du se rencontrer… Le premier, Arthur Stanley Jefferson, dit Stan Laurel, est anglais. Il a fait ses classes sur scène dans la troupe de Fred Karno, où il est la doublure de Charlie Chaplin en Angleterre. En 1912, il arrive aux Etats-Unis, à l’occasion d’une grande tournée américaine de la troupe. Chaplin va abandonner cette tournée un an et demi plus tard, pour faire la carrière que l’on connaît. Quant à Laurel, il va rester sur scène avec Fred Karno pendant encore quelques années. » (Serge Bromberg, spécialiste du cinéma muet)

     

    « Avec Stan Laurel, c’est le côté anglais. Son pendant américain, c’est Oliver Norvell Hardy, qui était avocat de formation, mais qui adorait chanter, qui adorait le spectacle, et qui très rapidement a décidé de dédier sa vie, non pas au barreau, mais aux planches… » (Serge Bromberg)

     

    Avant de devenir Laurel & Hardy, les deux artistes se croisent à plusieurs reprises sur les plateaux de cinéma, notamment en 1921 dans « The Lucky Dog ». Et personne ne s’est rendu vraiment compte à l’époque de la magie qui pouvait se dégager de ces deux personnages… Mais il y a un homme qui deviendra important dans cette histoire, c’est Leo McCarey. Il était scénariste et réalisateur, de surcroît un grand gag man, et c’est lui le premier à sentir l’alchimie entre Stan Laurel et Oliver Hardy.

     

    « En 1926, Leo McCarey a l’idée d’associer pour la première fois les deux artistes, à l’instar d’autres associations plus anciennes, entre le clown blanc et l’Auguste, entre le gros et le maigre. Stan Laurel et Oliver Hardy forment désormais le duo Laurel & Hardy. » (Serge Bromberg)

     

    Laurel & Hardy vont porter l’art du cinéma comique, hérité directement de la pantomime, de ce que l’on appelle le « slapstick », à sa perfection absolue. Et ça a duré 25 ans. La formule qu’un critique célèbre a employée, c’est le « comique du déjà-vu et de l’attente satisfaite ». A savoir que si le public attend quelque chose, donnez-lui toujours ce qu’il attend… Laurel & Hardy vont exploiter cette recette au maximum. Ils vont donc dérouler leurs gags, on en connaît le rituel et on sait à l’avance que cette catastrophe qui va immanquablement tomber sur la tête du pauvre Hardy va se reproduire à de nombreuses reprises tout au long du film… Et ça, le public adore.

     

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    Le duo se forme donc à la fin de l’ère du cinéma muet. Les vedettes de l’époque se nomment Charlie Chaplin, Harold Lloyd ou encore Buster Keaton. Et contrairement aux deux derniers, Laurel & Hardy réussissent parfaitement leur transition vers le cinéma parlant, en devenant de véritables stars, au même titre que d’autres comédiens, parmi lesquels les Marx Brothers.

     

    « Laurel & Hardy ont eu l’intelligence de continuer dans le même genre comique, mais en ajoutant des dialogues. C’est à ce moment qu’intervient plus Stan Laurel, avec cet humour très particulier, très British, qui était l’esprit derrière la caméra et la tête du couple, en quelque sorte. » (Roland Lacourbe)

     

    Cela ne fait aujourd’hui aucun doute que Stan Laurel était de la même trempe que Buster Keaton, Harold Lloyd ou Charlie Chaplin. C’est un très grand, sinon le plus grand. Mais il faut admettre qu’avec cette association avec Oliver Hardy, Stan Laurel s’est peu à peu enfermé dans le seul rôle qu’il a finalement occupé au cinéma tout au long de sa carrière, et s’est inscrit dans une approche beaucoup plus « commerciale » que celle des autres grands comédiens de sa génération. Comme si l’immense génie comique de Stan Laurel s’était un peu perdu avec cette association…

     

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    « En réalité, disons les choses… Si Stan Laurel n’avait pas rencontré Oliver Hardy, il serait peut-être l’égal, voire supérieur à Charlie Chaplin. Cent ans plus tard, Laurel et Hardy sont toujours un couple de légende, intemporel et en même temps tellement actuel. Laurel & Hardy, ça n’est pas seulement un gros et un maigre qui enchaînent les gags devant la caméra ; ils sont les derniers détenteurs d’un art vraiment visuel et presque perdu aujourd’hui. » (Serge Bromberg)

     

     

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    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] « Stan & Ollie » réalisé par John S. Baird, avec avec Steve Coogan et John C. Reilly

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] « Laurel & Hardy, le meilleur » : coffret de 4 DVD disponible chez ESC Distribution

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] « Laurel et Hardy, la véritable histoire » par Roland Lacourbe (Ed. de l’Archipel)

     

     

     

  • Les 100 ans de Mogador

     

     

    Cette année, le Théâtre Mogador fête ses cent ans. Inspiré du Palladium de Londres, c’est une des plus grandes salles de spectacle de Paris, qui accueillit les revues de Mistinguett dans les années 30, puis le théâtre de Jérôme Savary, avant de devenir le temple de la comédie musicale à la Française dans les années 90. Aujourd’hui, Mogador héberge un spectacle de Broadway en version française, « Chicago ». 

     

    Le Théâtre Mogador, c’est cent ans de spectacle, et surtout cent ans de spectacles musicaux, de Mistinguett à Annie Cordy, de « Starmania » à « Chicago ». Une salle monumentale où les grandes comédies musicales de Broadway ou du West-End de Londres font aujourd’hui escale à Paris. Pas étonnant puisqu’on doit son existence à un producteur londonien, formé par l’inventeur du music-hall en personne, Charles Morton.

     

    « La création du Théâtre Mogador naît d’une belle histoire. Une histoire d’amour… Un impresario anglais, Sir Alfred Butt, décida de bâtir et d’offrir ce théâtre à son amoureuse, une danseuse française, Régine Fleury, qu’il découvrit lors d’un spectacle. Il lui fit donc cadeau de ce théâtre à l’Anglaise, constitué d’un seul bloc, sans poteau, ce qui vous permet de bien voir la scène, quelle que soit la place que vous occupez. » (Laurent Bentata, Directeur de Mogador)

     

    Pour concevoir Mogador, Sir Alfred Butt s’inspira d’un des théâtres dont il était propriétaire à Londres, le Palladium. Le premier nom du Mogador était le Palace Théâtre. Il est inauguré en 1919, avec une revue menée par la danseuse et maîtresse de l’homme d’affaires anglais. Un fiasco… Il finit par délaisser son amoureuse. Constatant que Butt avait pris ses distances suite à l’échec du lancement de son théâtre, elle en fit de même, de façon certes plus radicale, en se donnant la mort.

    Cette fin tragique n’a cependant pas porté malheur au théâtre parisien… A la tête du Théâtre Mogador à partir de 1925, les frères Isola vont marquer l’esprit du lieu. Prestidigitateurs, déjà propriétaires de l’Olympia et des Folies-Bergère à Paris, Emile et Vincent Isola vont imposer durablement le genre de l’opérette.

     

    « Les frères Isola ont toujours voulu investir et ils pariaient surtout sur de gros spectacles, avec toujours le souci d’en donner au spectateur pour son argent. les shows démesurément couteux qu’ils produisaient l’étaient souvent à fonds perdus, du fait du nombre d’artistes sur scène, des costumes et des décors somptueux. Mais c’est probablement ce qui a permis de faire connaître Mogador. » (Laurent Bentata)

     

    Tandis qu’au Moulin-Rouge, les revues étaient constituées de tableaux successifs sans véritable fil rouge, à Mogador, sous la direction des frères Isola, on assistait à de vrais spectacles, avec intrigues et rebondissements. Certaines pièces sont importées des Etats-Unis, telles que « No No Nanette », un classique qui sera repris plusieurs fois à Mogador entre 1926 et 1966.

     

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    Henri Varna va perpétuer l’héritage des frères Isola en prenant la direction du Théâtre Mogador entre 1940 et 1969. Sous sa houlette, Marcel Merkès et Paulette Merval forment le couple numéro un de l’opérette à partir de 1947, avec notamment « Rêve de Valse ». Après lui, le théâtre se cherche un second souffle. On peut y croiser Annie Cordy en « Hello Dolly » en 1972.

    C’est ainsi que Mogador commence à accueillir d’autres types d’événements artistiques au début des années 80, entre les concerts des Clash ou d’Higelin en 1981, jusqu’aux spectacles de Jérôme Savary. Le metteur en scène élira ainsi domicile à Mogador avec son « Cyrano de Bergerac » en 1983. Une grande dame est aussi passée par ici… Barbara. La chanteuse y fit d’ailleurs ses débuts comme choriste à 17 ans, dans la pièce « Violettes Impériales » de Vincent Scotto. Elle revient à Mogador en 1990, pour trois mois de concerts. Mogador était le théâtre de Barbara, et c’est grâce à elle qu’il fut classé monument historique.

     

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    Avec les années 90, c’est le retour aux sources pour le Théâtre Mogador, qui devient le repère parisien de la comédie musicale, entre « La Légende de Jimmy », « Les Misérables », « Cabaret », « Starmania » ou encore « Notre-Dame de Paris », avec un modèle de spectacle adapté spécifiquement aux goûts du public français, alliant des numéros musicaux et des tubes qui s’enchaînent.

    En 2007, la version française du succès mondial « Le Roi Lion » est présentée pour la première fois au Théâtre Mogador, ouvrant la voie à d’autres mastodontes tels que « Mamma Mia! », « Sister Act », « Grease » ou encore le légendaire « Cats » de Broadway. Un autre nom de comédie musicale emblématique s’étale aujourd’hui en grosses lettres au fronton du Théâtre Mogador, « Chicago, le Musical ».

     

    « Chicago a véritablement révolutionné Broadway. Ça n’est pas pour rien que ce spectacle est un record absolu de longévité. A l’époque où il fut créé, en 1975, le chorégraphe américain Bob Fosse jouissait déjà d’une énorme réputation, pour avoir mis en scène certains des plus grands succès de la comédie musicale. » (Laurent Bentata)

     

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    ✓ « Chicago, le Musical », mis en scène de Ann Reinking et Véronique Bandelier, jusqu’au 30 juin au Théâtre Mogador.

     

     

     

  • Le Festival de Cannes… à Orléans.

     

     

    C’est une idée pour le moins originale… Le Comité Jean Zay (Ministre de l’Education et des Beaux-Arts orléanais, à l’initiative de la création du Festival de Cannes en 1939) organisera en novembre 2019 la fameuse première édition du Festival, annulée à cause du début de la seconde guerre mondiale. 

     

    Les films sélectionnés à l’époque seront projetés à Orléans, parmi lesquels « Le Magicien d’Oz » avec Judy Garland ou « La Loi du Nord » avec Michèle Morgan. Un jury établira un palmarès, comme tous les ans sur la Croisette depuis 1946. 

    Assassiné en 1944, Jean Zay n’avait finalement pas pu voir son idée de festival de cinéma international devenir réalité. 

     

     

     

    Tout avait pourtant si bien commencé…

    En Septembre 1939, après plusieurs mois de discussions diplomatiques et de négociations économiques, la ville de Cannes est prête à accueillir son premier Festival international du Film. Mais ce qui aurait dû être un rassemblement cinématographique « du monde libre », pour contrer les dérives totalitaires ressenties à la Mostra de Venise de 1938, sera finalement rattrapé par l’Histoire…

    Un mois avant le début de la manifestation, les stars et les touristes commencent à affluer sur la Croisette. La MGM affrète un transatlantique avec, à son bord, les plus grandes vedettes américaines de l’époque : Tyrone Power, Gary Cooper, Douglas Fairbanks ou encore Norma Shearer. Louis Lumière, Fernandel et la Duchesse de Windsor sont également présents.

    Dans cette archive audio, Jean Zay explique les missions du Festival en devenir et expose le déroulé de la manifestation. Dîner d’inauguration, Nuit du Cinéma, Dîner de l’élégance et autres réjouissances sont au programme.

     

    [arve url= »https://www.dailymotion.com/video/x6ivegg » align= »center » title= »Le Festival de Cannes est inauguré, sept ans après sa création par Jean Zay » description= »Festival de Cannes » maxwidth= »900″ /]

     

     

    Le premier Festival International du film de Cannes est à la veille de son inauguration, les fêtes battent leur plein et les invités vivent au rythme de la Dolce Vita méditerranéenne. Le Palm Beach et les villas accueillent les touristes aristocrates et les illustres résidents Cannois. Le Comte d’Herbemont, chargé des festivités, prévoit un calendrier mondain pour la durée du Festival et, avant le début de la manifestation, organise une fabuleuse soirée à l’Eden Roc.

    La haute société se presse également au Bal des Petits Lits Blancs, gala caritatif au profit des enfants atteints de tuberculose. Ce soir-là, alors que Fernandel se prépare en coulisses, un violent orage éclate au-dessus de la Croisette, comme pour annoncer les événements aux portes de la France.

     

     

     

    1er septembre : invasion de la Pologne à la date prévue de l’inauguration du Festival

    D’abord retardé en raison des circonstances internationales, le Festival est officiellement annulé le 27 août 1939. En effet, la signature du pacte germano-soviétique le 23 août a sonné le glas des festivités et la ville a commencé à se vider aussi rapidement qu’elle s’était remplie. Le 1er septembre, date prévue de l’inauguration du Festival, les troupes allemandes envahissent la Pologne.

    Le 3 septembre, la guerre est déclarée. Les 26 films qui composent la Sélection 1939 ne rencontreront jamais leur public à Cannes. Seule projection à être maintenue en privé malgré la situation : « Quasimodo » (« The Hunchback of Notre-Dame ») de William Dieterle, pour lequel les Américains ont construit une reproduction de Notre Dame en carton-pâte sur la plage.

    En 1958, Philippe Erlanger, initiateur du Festival de Cannes, reviendra sur la gestation de la manifestation et le spectre de l’édition 1939 auprès de François Chalais, journaliste indissociable de la légende cannoise tant ses « Reflets de Cannes » ont forgé la mythologie de l’évènement.

     

    La Palme d’or 1939 décernée en 2002

    En 2002, Le Festival décide de rendre hommage à cette édition laissée dans l’ombre de son histoire. Sept titres de la Sélection de l’époque sont projetés, parmi lesquels « Le Magicien d’Oz » de Victor Fleming. Un Jury nommé pour l’occasion sous la présidence de l’écrivain Jean d’Ormesson et composé de Dieter Kosslick, directeur du Festival de Berlin, Alberto Barbera, directeur de Festivals en Italie (directeur artistique de la Mostra de Venise depuis 2012, la boucle est bouclée !), Lia Van Leer, directrice du Festival de Jérusalem, Ferid Boughedir, réalisateur tunisien et Raymond Chirat, historien du Cinéma, est chargé d’attribuer le Palmarès du Festival 1939.

    Avec 63 ans de retard, donc, la Palme d’or est décernée à l’unanimité à « Pacific Express » (« Union Pacific ») de Cecil B. DeMille, dont le titre fait écho au projet initial du Festival « de créer entre tous les pays producteurs de films un esprit de collaboration ». Non sans humour, le Jury rend également hommage « à deux espoirs féminins pour lesquels il forme des vœux chaleureux et confiants et auxquels il ose promettre une grande carrière, Judy Garland dans « Le Magicien d’Oz » (« The Wizard of Oz ») de Victor Fleming et Michèle Morgan dans « La Loi du Nord » de Jacques Feyder… »

     

    [arve url= »https://vimeo.com/217751087″ align= »center » title= »Festival de Cannes, La Palme de 1939 (Canal+ 2017) » maxwidth= »900″ /]

     

     

     

  • Rétrospective Michel Deville à la Cinémathèque Française

     

     

    Contemporain de la Nouvelle Vague mais suivant résolument une voie singulière, Michel Deville s’est amusé avec sérieux, en quelque trente longs métrages, à expérimenter et explorer les ressources infinies de l’imaginaire et du sentiment amoureux (« Ce soir ou jamais », « Benjamin ou les Mémoires d’un puceau »). Libre et inventif (« Le Paltoquet », « La Lectrice »), il donne libre cours à son pessimisme dans des films politiques (« Le Dossier 51 ») et des adaptations sombres et vénéneuses de récits policiers (« Eaux Profondes », « Péril en la Demeure »).

     

    LE JEU DE L’AMOUR ET DU CINÉMA

    Le lundi treize avril mille neuf cent trente et un
    Souriant je suis né
    Ce n’est pas vraiment
    Un événement Extraordinaire
    Pourtant j’étais fier
    De commencer ma vie par un alexandrin

     

    C’est dans « Vous désirez ? », un de la douzaine de recueils de poèmes publiés par Michel Deville, que l’on trouve ce faire-part de naissance dont le caractère ludique reflète un des aspects de son art.

    Il est donc l’exact contemporain de Chabrol, de Godard, de Truffaut, et a fait ses débuts à moins de trente ans avec « Ce soir ou Jamais », sans toutefois appartenir à la Nouvelle Vague. Il en partage néanmoins l’esprit, avec son tournage rapide, son refus de l’intrigue, sa révélation de jeunes comédiens, sa légèreté d’esprit et son goût des jolies femmes, comme s’il appliquait la définition de Jean-George Auriol souvent attribuée à Truffaut : « Le cinéma, c’est l’art de faire faire de jolies choses à de jolies femmes ».

    Deville, avec ses deux premiers films (le deuxième sera « Adorable Menteuse »), réussit l’exploit de réconcilier trois tendances affirmées de la critique française de l’époque. « Positif » avec Gérard Legrand, « Présence du Cinéma » avec Michel Déon, puis Claude-Jean Philippe, les « Cahiers du Cinéma » avec Jean Douchet, puis Luc Moullet, célèbrent le nouveau venu. Pour Douchet, « il réussit cette alliance réputée impossible : une comédie typiquement française dans un style de comédie américaine ».

     

    DE L’AUDACE, ENCORE DE L’AUDACE

    Deville se forme à l’assistanat aux côtés d’Henri Decoin à partir de « La Vérité sur Bébé Donge », quand il a tout juste vingt ans. Il apprécie l’éclectisme de son mentor, sa maîtrise technique, son admiration pour Hollywood et son goût des actrices. Il va pourtant construire une œuvre singulière, riche en expérimentations, d’une variété parfois déroutante et propre à interloquer certains commentateurs friands d’étiquettes. Il saura rallier les suffrages tant de ses confrères (Césars pour « Le Dossier 51 » et « Péril en la Demeure ») que de la critique (Prix Delluc pour « Benjamin ou les mémoires d’un puceau » et « La Lectrice » ; Prix des Critiques pour « Le Dossier 51 », « Péril en la Demeure » ou « La Maladie de Sachs ») et du public avec de grands succès comme « Benjamin… » ou « Eaux Profondes ».

    Il est d’usage, et non sans raison, de distinguer dans sa filmographie une dizaine d’œuvres écrites avec Nina Companeez, puis, après des collaborations diverses, une dizaine d’autres avec Rosalinde Deville, mais les motifs d’inspiration et la diversité des projets révèlent une création plus complexe que cette approche binaire. Chez Deville comme chez Resnais, la forme fait partie du propos et la façon de raconter l’histoire est aussi importante que l’histoire elle-même. Ce sont deux expérimentateurs qui éloignent le cinéma français de sa veine réaliste dominante (voire naturaliste) avec leur désir de surprendre, et avant tout de se surprendre eux-mêmes, qui est comme le moteur de leur créativité.

    Tous deux accordent une place primordiale au texte, à l’image, à la musique, en une concordance fructueuse avec les autres arts. Resnais privilégiait pour la musique des partitions originales, et Deville, le plus souvent, des œuvres déjà enregistrées en choisissant un ou deux musiciens pour chaque film dont l’œuvre est intimement liée à la tonalité du récit, sans être jamais pléonastique (Bellini pour « Raphaël ou le Débauché », Rossini pour « L’Ours et la Poupée », Schubert et Bartók pour « La Femme en Bleu », Saint-Saëns pour « Le Mouton Enragé », Bizet pour « L’Apprenti Salaud », De Falla pour « Eaux Profondes »).

     

    À CONTRE-PIED (DE NEZ)

    Ses premiers films sont placés sous le signe de Marivaux et de Musset, comme autant de jeux de l’amour et du hasard. Tous contemporains, ils évoquent les XVIIIème et XIXème siècles. Dans « Ce soir ou Jamais », les personnages s’aiment mais n’osent se le dire, alors ils font semblant de ne pas s’aimer. Dans « L’Ours et la Poupée », l’un des meilleurs rôles de Brigitte Bardot, brillante, désinvolte, écervelée, l’héroïne poursuit un homme (Jean-Pierre Cassel) de ses assiduités. Nulle surprise à ce que ses personnages se retrouvent en costumes du XVIIIème siècle (Benjamin) ou du XIXe (Raphaël). Avec ce dernier film, encore écrit avec Companeez, l’atmosphère se fait plus sombre, comme avec « Le Mouton Enragé » ou « L’Apprenti Salaud », où affleurent la cruauté et le cynisme comme si un contemporain plus dur faisait irruption dans l’univers du metteur en scène.

    Toujours en dehors des modes, des snobismes, des coteries, il va désormais organiser son travail autour de trois axes bien définis par le critique Yannick Mouren. D’abord les défis que lui présentent des œuvres apparemment inadaptables. « Le Dossier 51 », un récit de Gilles Perrault qui est un recueil de fiches, de notes de service, de rapports dans le monde de l’espionnage, sans possibilité d’identification ; « La Lectrice », mise en images de l’imaginaire d’une jeune femme lorsqu’elle est en train de lire le roman de Raymond Jean ; « La Maladie de Sachs », la fiction documentée de Martin Winckler, portrait diffracté d’un médecin vu par des narrateurs différents.

     

    EXPÉRIENCES ET JEUX DE L’ESPRIT

    Dans une autre série se retrouvent des films réalisés à partir de contraintes formelles comme on en trouve dans les œuvres de l’Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle) signées Perec, Calvino ou Roubaud. Ce sont tous des scénarios originaux, comme celui de « La Petite Bande », où le cinéaste se prive de la parole pour narrer l’escapade en France d’un groupe de jeunes Anglais ; ou celui du « Voyage en Douce », fugue de Géraldine Chaplin et Dominique Sanda dans le Midi de la France, à partir d’éléments proposés par quinze écrivains ; ou encore de « Nuit d’été en ville », huis clos où un couple (Marie Trintignant et Jean-Hugues Anglade) se débat avec ses problèmes ; et aussi de « La Femme en Bleu » avec son intrigue minimaliste : un homme à la recherche d’une femme vêtue de bleu (Michel Piccoli, Lea Massari).

    Un troisième groupe de films est constitué d’adaptations de polars qui tournent autour de la manipulation et du voyeurisme, de « L’Apprenti Salaud » au « Mouton Enragé », d’« Eaux Profondes » à « Péril en la Demeure », du « Paltoquet » à « Toutes Peines Confondues ». Par le biais de récits policiers, Deville retrouve son goût pour les mécanismes fictionnels et le principe de jeu. C’est son esprit ludique qui lui fait opter pour la fragilité des intrigues, pour le balancement entre frivolité et gravité, pour les ellipses et un rythme souvent allègre. Il l’avoue lui-même : « Je n’aime pas ce qui se prend trop au sérieux ; c’est un trait de mon caractère ».

    Est-ce ce balancement entre l’être, le paraître, entre la réalité et les apparences, qui le rend si proche des comédiens dont il tire le meilleur d’eux-mêmes ? En quarante-cinq ans de carrière, de 1960 à 2003, c’est tout le gotha du cinéma français (et nombre de découvertes) qui a donné chair aux rêves et aux fantasmes du cinéaste. Si le film de ses débuts, « Ce soir ou Jamais », était un modèle de musique de chambre, le magnifique antépénultième « Un monde presque paisible » fait montre de la même précision, de la même justesse, de la même simplicité pour évoquer le retour à la vie de rescapés des camps dans un atelier de confection parisien. Un maître de la sophistication peut être aussi celui du plus grand dépouillement.

     

    Michel Ciment

     

    [arve url= »https://vimeo.com/329093676″ align= »center » title= »Rétrospective Michel Deville à la Cinémathèque Française » description= »Michel Deville » maxwidth= »900″ /]

     

     

    « Rétrospective Michel Deville » à la Cinémathèque Française, du 09 au 26 mai 2019

     

     

     

  • Tuxedo is here ! Stay classy !

     

     

    En 2014, après une escapade sans lendemain et deux albums chez Universal Republic, Mayer Hawthorne rentrait au bercail, chez Stones Throw Records. Le natif du Michigan ne revenait pas la queue entre les jambes, mais avec un nouveau projet, nom de code « Tuxedo », en compagnie de Jake One, le producteur et auteur du très bon « White Van Music » sorti en 2008.

     

    En mars 2013, le duo nous avait déjà mis l’eau à la bouche avec leur Ep auto-produit éponyme, « Tuxedo Ep », et le titre « Do It », un premier aperçu très prometteur de l’étendue de leur talent et de leur capacité à faire groover même les pensionnaires d’un Ephad…

     

    Tuxedo : « Do It » (Official Video)

    [youtube id= »Q-gcfQhR_9c » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    En 2015, le projet Tuxedo prend enfin forme, avec le premier album du duo, « Tuxedo », sorti chez Stones Throw Records. Et force est de constater que nous avons bien fait d’attendre. On y retrouve « Do It », bien-sûr, mais aussi d’autres titres qui sont depuis devenus des classiques, entre « So Good », « Number One » ou « The Right Time ». En somme, du pur groove à l’ancienne, qui nous renvoie à nos plus belles années, quand nous étions jeunes… et… jeunes. Et pour parfaire le tout, Tuxedo nous gratifiait d’un clip tourné en VHS, excusez du peu, pour le morceau « So Good ».

     

    Tuxedo : « So Good » (Official Video)

    [youtube id= »9q7KO3lzuZw » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    Printemps 2017, les deux comparses de Tuxedo ont décidé de se remettre sur leur 31. Deux ans après s’être lancés dans l’aventure, le chanteur soul Mayer Hawthorne et le producteur Jake One dévoilaient « Tuxedo II », la suite logique de leur premier album paru en 2015, toujours sur le label californien Stones Throw. Un album pétri de leur amour réciproque d’un R&B gonflé et produit avec les meilleures recettes de l’époque…

     

    Tuxedo : « Fux With The Tux »

    [youtube id= »vleyRSAuZtc » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    And now, back to 2017 ! Nous retrouvons nos deux groove masters pour une petite interview de derrière les fagots accordée à Ghislain Chantepie de Fip.

     

    Tuxedo est né quasiment dans l’anonymat, des mixtapes échangées et un projet qui ne se prenait pas trop au sérieux au départ. Avez-vous été surpris par le succès immédiat de votre formule funk ?

    « La feel good music ne se démode jamais, donc en fait, ça n’était pas vraiment une surprise. Nous n’avions pas d’objectif précis lorsque nous avons composé le premier album, et tout le succès qui a suivi a été une sorte de bonus pour nous. »

     

    En guise de nouveauté, on a surtout l’impression que votre nouvel album sonne plus vintage que le précédent, qu’il est plus dancefloor également. De quoi « Tuxedo II » est-il le numéro ?

    « II est le chiffre 2 en alphabet romain et c’est pour nous une forme de clin d’œil à nos groupes de funk favoris, comme Zapp et Windjammer, qui ont intitulé leurs albums avec ce même ordre numéraire. Sur ce disque, nous avons un peu accéléré le tempo par rapport au premier album et au final simplement amélioré la formule existante. »

     

    Vous aviez travaillé avec le grand producteur John Morales pour le premier album, rebelote pour « II » ?

    « En effet, c’est John qui a mixé nos deux albums. Et c’est vrai qu’il apporte à chaque fois l’authenticité de l’époque que nous cherchons nous-mêmes à capturer. »

     

    Tuxedo : « 2nd Time Around » (Official Video)

    [youtube id= »5OoZ83lqIbo » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    Votre track « 2nd Time Around » reprend le titre d’un morceau des Shalamar, un autre fameux groupe de funk…

    « Shalamar est l’un de nos groupes favoris. Leon Sylvers a eu une grosse influence sur nos productions… et Jeffrey Daniel a appris à Michael Jackson le Moonwalk !!! »

     

    Andrew, comment Mayer Hawthorne influence-t-il le projet Tuxedo et réciproquement ?

    « Pour moi, c’est vraiment génial de faire partie d’un groupe. Tuxedo est quelque chose de plus léger que Mayer Hawthorne et j’y danse aussi beaucoup plus. »

     

    Quels sont les invités de cette nouvelle livraison ?

    « Kokane, la légende du G-Funk, nous fait l’honneur d’être dans les chœurs de deux titres du disque. Lester Troutman de Zapp joue également de la batterie sur un autre morceau. Gavin Turek, qui est la voix féminine de nos compositions, fait aussi un duo avec Mayer sur cet album. Et puis Snoop raconte des conneries… »

     

    On a l’impression que Snoop Dogg n’est jamais très loin de Tuxedo…

    « C’est vrai que Dogg est un ami mais c’est aussi un grand fan de funk. On a vraiment de la chance de l’avoir auprès de nous ! »

     

    « Tuxedo II » est sorti le 24 mars 2017 sur le label Stones Throw Records

     

     

     

  • Monsieur Comédie by Trust

     

     

    Afin de célébrer (ou pas…) le 40ème anniversaire de la révolution iranienne, il nous vient forcément à la mémoire les paroles du titre « Monsieur Comédie » du groupe de rock français Trust, extrait de l’album « Répression » sorti en 1980. Comme quoi la lucidité n’est pas forcément l’apanage du politique…

     

    C’est un peu facile de dicter des messages
    Quand on est au chaud à l’abri des assauts.
    Pendant que tout un peuple criait « démission » 
    Et tombait sous les balles.
    Le retour tant attendu est arrivé :
    Monsieur Comédie, l’avion, il l’a repris.
    Dans un bain de foule, il est rentré au pays.
    Ca sent l’épuration…

    Sous sa peau flasque,
    Blindé comme un tank,
    Il vivait sous une tente,
    Protégé comme une banque.
    Durant tout son exil,
    Il n’a fait que prières.
    Derrière le vieux croyant
    Se terrait le tortionnaire.

    De quoi est fait demain ? On l’a su assez tôt
    Le soleil ne brille plus à Neauphle-le-Château.
    Impotent le vieillard a relancé la bagarre 
    Et rempli les prisons.
    Nouvelles dictatures, exécutions sommaires
    Les femmes doivent se voiler, la musique prohibée.
    Ils massacrent leurs frères, tout devient absurde.

    Sous sa peau flasque,
    Blindé comme un tank,
    Il vivait sous une tente,
    Protégé comme une banque.
    Durant tout son exil,
    Il n’a fait que prières.
    Derrière le vieux croyant
    Se terrait le tortionnaire.

    Il a sa place à l’hospice, et non dans la police.
    L’être humain est repu, il est rassasié
    Dose d’atrocités.

    C’est un peu facile de dicter des messages
    Quand on est au chaud à l’abri des assauts.
    Pendant que tout un peuple criait « démission »

    Sous sa peau flasque,
    Blindé comme un tank,
    Il vivait sous une tente,
    Protégé comme une banque.
    Durant tout son exil,
    Il n’a fait que prières.
    Derrière l’ayatollah
    Se terrait le tortionnaire.
    Derrière l’ayatollah
    Se terrait le tortionnaire
    Derrière l’ayatollah
    Se terrait le tortionnaire
    Derrière l’ayatollah
    se terrait le tortionnaire

     

    [youtube id= »8kd1jbd17dI » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    En 1964, l’Ayatollah Khomeiny est expulsé d’Iran. Il part d’abord en Turquie, puis en Irak, à Nadjaf et à Kerbala, la ville sainte du chiisme, où son discours se radicalise davantage. Son activisme pro-chiite indispose le pouvoir irakien et en 1978, il part pour la France et s’installe à Neauphle-le-Château. Le 2ème couplet de la chanson fait d’ailleurs référence à ce séjour.

    Le 1er février 1979, Khomeiny revient de manière triomphale à Téhéran, après 14 ans d’exil. Le 11 février, il prend le pouvoir en tant que Guide suprême (Rahbar en Persan) ou Guide de la Révolution islamique.

     

     

     

  • Le T-Shirt Propre : Un T-Shirt Made In France et Bio

     

     

    Parce que cela fait aussi partie de notre mission, même de notre devoir, de promouvoir des initiatives qui vont dans le bon sens et qui démontrent qu’il possible d’emprunter une autre voie en consommant différemment, nous suivons naturellement de près l’aventure du T-Shirt Propre. 

     

    En juin 2016, Mathieu Lebreton et son neveu Fabien Burguière lançaient le T-Shirt Propre en s’appuyant sur une campagne de crowdfunding via la plateforme de financement participatif Ulule. Une marque qui se veut éthique, locale, et surtout Made in France.

    Comme toutes les bonnes idées, celle du T-Shirt Propre est née un an plus tôt lors d’une discussion entre amis, de celles où on refait le monde. « On s’est rendu compte d’un manque d’éthique, mais aussi de bon sens, dans la fabrication des vêtements », raconte Fabien Burguière. Le jeune homme de 24 ans explique : «Un simple tee-shirt peut parcourir 48.000 kilomètres, entre l’endroit où il est fabriqué, et son arrivée dans nos armoires ».

     

    Le T-Shirt Made in France & Bio, c’est Propre !

    [arve url= »https://vimeo.com/219534124″ align= »center » maxwidth= »900″ /]

     

    L’industrie de la mode est en effet la deuxième industrie la plus polluante au monde, après l’industrie pétrolière. Selon la Banque Mondiale, elle est responsable à elle seule de 20 % de la pollution de l’eau dans le monde. Impact sur l’environnement, mais aussi absence de droits sociaux, conditions de travail dangereuses et travail infantile, ce secteur qui emploie 75 millions de personnes dans le monde est un symbole des excès de la mondialisation.

    Une sensibilité à laquelle adhère aussi son oncle, Mathieu Lebreton, éducateur à la vie scolaire du lycée Louis Querbes : « Fabien et moi partageons ces valeurs d’écologie, d’éthique dans la consommation, alors pourquoi ne pas se lancer ? ».

    Aujourd’hui, ce T-Shirt conçu Proprement par Fabien et Mathieu est en vente en ligne. Made in France, 100 % coton Bio, leur objectif est de re-placer l’éthique au coeur de la conception de leurs vêtements. Consommer autrement, localement, de façon responsable, c’est possible, et c’est Propre !

     

    Teasing LTP 2017

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    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

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