Étiquette : Ivan Smagghe

  • Mémoires de Respect par Jérome Viger-Kohler

     

     

    J’ai parfois l’impression que ma vie de noctambule est derrière moi : j’ai trente-cinq ans, je suis papa.… Mais pour être honnête, il arrive encore que la nuit m’ouvre ses bras – et même “plus que jamais”. Il y a quinze jours, par exemple, nous étions à Ibiza avec un de mes frères d’armes de Respect. Et nous étions toujours les derniers couchés. Rassurant ? Inquiétant ? C’est selon…

     

    Reprenons. J’écris ici pour témoigner de mes dix ans de night clubbing avec « Respect », soirée que nous avons fondée, David Blot, Fred Agostini et moi-même, à l’âge de 25 ans. Soit en quelques clichés : la French Touch, la fin des années 90, les breakdancers sur la piste, la vie de DJs stars, les hôtels de luxe à Miami, la Playboy Mansion…… Tous ces Polaroïds qui sentent bon l’avant onze septembre, l’avant crise de l’industrie musicale, l’avant réchauffement climatique, l’avant néo-conservatisme, bref le revival d’insouciance discoïde qu’ont connu les dernières années du vingtième siècle. « Party like it’s 1999 » dit Prince ? Nous l’avons suivi au pied de la lettre…

    Sauf que cette période-là est finie depuis belle lurette. Et pour la séquence nostalgie, faudra vous adresser ailleurs. Pas envie de tout reprendre à zéro – ou si, tiens, juste histoire de poser une pierre blanche : première « Respect » le mercredi 2 octobre 1996 au Queen. Entrée gratuite sur les Champs Elysées. 1700 personnes sur la piste. La première nuit d’une saga qui nous emmènera jusqu’à Hollywood.

    Imaginez maintenant qu’il y a un mur devant vous, celui qui me fait face, dans notre bureau de Belleville. Et scotchés dessus : des flyers, des photos, des cartes postales et quelques babioles……

     

     

     

    Souvenir Un. Une carte postale du fanzine eDEN, avec ce slogan : « La tension monte” ». eDEN était le fanzine du début des années 90 consacré à la House Nation, l’un des seuls médias français à soutenir ce courant musical. Avec eDEN, deux radios faisaient du bon boulot : Nova et FG et un seul magazine : Coda. Mais pour le reste, c’était affligeant. Il faut croire que tous les autres médias musicaux et généralistes s’étaient ralliés contre la House et la Techno. Résultat : “La tension monte” ! Un milieu underground de musiciens, DJs, labels, clubbers, ravers, fait de la résistance contre l’adversité mainstream, et disons-le, rock. Difficile à imaginer aujourd’hui. Et pourtant, c’est dans ce contexte que « Respect » voit le jour.

     

     

     

     

    Souvenir Deux. Un flyer du Twilo, énorme club new-yorkais fermé en 2001 suite aux pressions policières. C’est une soirée Respect. Vous lisez bien, nous avons tenu une résidence parisienne à Manhattan pendant plus de trois ans, soit une trentaine de soirées en tout, rien qu’à New York, dont la moitié au musée d’art contemporain PS1. Plateau de cette soirée : Dimitri from Paris et Junior Vasquez. Anecdote : chaque DJ avait une cabine séparée – les deux se faisant face. A 6h00 du matin, quand Junior a posé son premier disque, notre cabine s’est mise à trembler. Un frisson : cinq ans après notre première au Queen, nous vivons l’apogée de la croisade Respect à l’étranger.

     

     

     

    Souvenir Trois. Le flyer “Daft Club” doré, format carte de visite. Les Daft Punk jouaient toujours gratuitement pour la Respect, le patron devait juste arroser les potes de tickets consos. Entrée gratuite, file d’attente qui remonte les Champs sur quelques centaines de mètres. Et le feu à l’intérieur. Des dizaines de breakers. Un mélange de looks et de générations comme on ne l’avait plus vu depuis… les années 80. Des racailles à la cool, des vogueurs en action, Monsieur Calvin Klein qui retarde son retour à New York pour être là, et tout ce que Paris comptait de DJs et de producteurs à buzz.… La date ? Mercredi 15 avril 1998. C’est une autre date culminante, celle des Respect au Queen. La résidence sur les Champs s’arrêtera en juillet 1999… Ennui, lassitude, formatage musical. D’autres résidences nous attendaient à New York, Bruxelles, Copenhague. Et d’autres fêtes partout ailleurs : de Caracas à Sydney en passant par Kuala Lumpur.

     

     

     

    Souvenir Quatre. Un flyer « Kill the DJ »  photocopié avec cette mention : « Ton avis nous intéresse : comment ferais-tu pour tuer un DJ ?” ». On peut le dire, Kill the DJ, c’était la dark side de Respect. La force obscure. D’ailleurs, un secret : le nom “Respect”, c’est Ivan Smagghe (résident de KTD) qui nous l’a soufflé. Respect pour « Respect the DJ ». À un moment, il faut bien tuer ses héros, surtout quand ils se prennent pour des idoles. À force de voyager, notre retour à Paris en 2002 ne sera pas facile. Perte de repères : le Paris branché veut la peau du DJ. On s’y fera, et on passera de très bonnes nuits au Pulp.

     

     

     

    Souvenir Cinq. Un bracelet rose, “été d’Amour”. En 2002, Respect ouvre sa résidence saisonnière sur un bateau au coeur de Paris. Un “été d’Amour” qui vient de clôturer sa cinquième édition le 21 septembre dernier. Mots d’ordre : éclectisme musical, mélange des bandes, et une fête grand écart de la fin d’après-midi au lever du jour. Des DJs historiques, des selectors qui n’en font qu’à leur tête, des lives à gogo, mais pas (encore) de révolution musicale à l’horizon. En revanche, des dizaines de nouveaux couples et des millions de baisers. Sans exagérer.

     

     

     

    On arrêtera là pour aujourd’hui. Des madeleines comme ça, il y en aurait autant que de soirées. Des questions pour finir ? Non, non, on n’a pas fait fortune, loin de là. Non, nous n’avons pas révolutionné les nuits mondiales. Ni même les nuits parisiennes. Mais oui, on s’est bien amusé. Le futur ? On verra bien. Nous avons tenu dix ans – ça vaut bien une fête d’anniversaire, non ?

     

     

     

     

     

    5 Titres en Bande Sonore :

    ✓ Aretha Franklin : « Respect »
    ✓ Norma Jean Bell : « Baddest Bitch (Motorbass Mix) », extrait de la compilation « Respect Is Burning vol.2 ».
    ✓ Stetasonic : « Talking All That Jazz (Dimitri from Paris Remix) », extrait de la compilation « A Night At The Playboy Mansion ».
    ✓ Kimara Lovelace : « Misery (Lil Louis Extended Club & Harmony Mix) », extrait de la compilation « Respect to DJ Deep ».
    ✓ Grace Jones : « Feel Up (Danny Tenaglia Remix) », extrait de la compilation « After the Playboy Mansion ».

     

    Souvenirs de Jérome Viger-Kohler sur des Photos d’Agnès Dahan, pour Brain Magazine (05 juin 2007)

     

     

     

     

     

  • Chloé, Version Live

     

     

    Grand nom de la musique électronique, la Française Chloé sort une version live de son dernier album en date, « Endless Revisions », paru en 2017. Parfaite démonstration du sens profond des vingt ans de carrière de cette boulimique du son, qui a toujours su communier et partager avec son public.

     

    Considérée comme un véritable ovni de la scène électro minimale, Chloé transporte, hypnotise, étonne et dérange parfois. C’est une volonté de sa part de casser les clichés, en tentant toujours de se démarquer et d’installer ce léger décalage nécessaire à son équilibre, mais sans prétention ni arrogance. Après vingt ans de carrière marqués au sceau de la discrétion, son public est toujours présent, assidu et pointu ; ce public qu’elle électrise par ses rythmes martelés et cette attitude « Rock’n’Roll » qui lui colle à la peau. Et cette communion avec ses fidèles se ressent évidemment dans ses sets… Elle parvient avec finesse à allier les basses qui s’étirent en contraste et les tempos lents caractéristiques de la minimale à des instruments analogiques comme guitare, batterie ou encore saxo.

    DJing, live, bandes originales, production, collaborations… Bref, on peut le dire, Chloé ne s’arrête jamais.

     

    « M’enfermer dans une yourte et travailler sur un disque, c’est un fantasme, bien entendu, mais concrètement inenvisageable… »

     

    Chloé est née à Paris, d’un père basque et d’une mère anglophone ; pour la petite anecdote, ses parents se sont rencontrés à Ibiza, et l’expression « être destiné à » prend ici tout son sens ! Dans l’appartement parisien des Thévenin, des étagères pleines à craquer de vinyles… Ses parents l’enrobent délicatement d’un univers musical riche et très varié, allant du jazz au rock en passant par le classique.

    Elle commence ainsi très jeune à s’intéresser à la composition et débute cet apprentissage musical de longue haleine en tâtant de la guitare. Elle en joue d’ailleurs encore aujourd’hui. A dix-huit ans, elle découvre le monde de la musique électronique, à une époque où ce courant était encore peu médiatisé. Elle participe à des raves, commence à sortir en club (Palace, Folie’s Pigalle, Rex Club…) et naît en elle le désir de commencer à mixer. Elle achète ses premiers vinyles, l’histoire est en marche…

    C’est donc à cette époque, à la fin des années 90, que sa fusion avec la musique électronique s’initie. Car oui, entre Chloé et l’électro, on peut aisément parler de fusion, d’évidence. La déferlante minimale débarquée tout droit d’Allemagne commence à se répandre dans toute l’Europe.

    S’ensuivent alors des rencontres déterminantes pour la suite de sa carrière, en particulier au Pulp, club lesbien mythique qui a fermé ses portes en 2007, dont elle deviendra résidente. Chloé y fera la connaissance de Jennifer Cardini, Sextoy ou encore Fany Corral. Un groupe d’amies se forme, une famille… Avec son partenaire et complice Ivan Smagghe, programmateur chez Radio Nova, elle fonde le label Kill The Dj, considéré comme une antre d’alchimistes qui cherchent sans cesse à conjuguer les contraires.

    Elle se produira aussi beaucoup à l’étranger lors de grosses tournées (Barcelone, Berlin, Tokyo, New York). En Allemagne, elle s’amourache du club « Robert Johnson » situé en périphérie de Francfort, là même où elle fait ses gammes et en devient résidente.

     

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    En 2002, Chloé sort un maxi inattendu sur le label Karat, « Erosoft », contre-pied absolu de ce que l’époque réclamait en matière de tube formaté. On nageait en pleine électroclash et elle balançait une poignée de chanson Lo-fi… Elle enfonce le clou en 2004 avec une compilation mixée d’une rare subtilité, intitulée « I Hate Dancing », non sans se départir de son esprit provocateur et d’autodérision. Les maxis « Take Care » et « Sometimes » marquent à leur tour l’époque. De week-end en week-end, les meilleurs clubs lui offrent une place d’honneur et Chloé se produit également dans de grands festivals tels que Mutek, Marsatac, Sonar…

    Elle réalisera en 2006 un mix album à quatre mains incroyable – et volontairement indéfinissable – en collaboration avec son ami Ivan Smagghe. « Dysfunctional Family » sort sur leur label Kill The Dj, avec encore et toujours le même respect du dancefloor et cette idée folle à la clé : vouloir le rendre plus beau, plus doux, plus intelligent et plus ouvert.

    En 2007, Chloé sort son premier véritable album, « The Waiting Room », toujours prompte à mélanger dans son chaudron une culture musicale très étoffée et des textures minimales résolument dancefloor. Tout au long de cet opus, on perçoit la volonté de Chloé de retranscrire un univers intime, avec des titres comme « I Want You » ou encore « Be King to Me », sans pour autant renier les rythmiques. Une flopée de plaques tectoniques se caressent ici pour mieux se mêler là, glissant de morceaux expérimentaux pétris de musique dite savante aux pulsions vitales et autres beats martiaux toujours très subtilement agencés.

    « The Waiting Room » forme ainsi un puzzle ambitieux, qui propulse les troubles du cœur sur la piste de danse et prend le danseur par la main. Chloé y voit l’aboutissement d’un projet sur lequel elle a travaillé sur la longueur, entre ses remixes, ses maxis et ses dates de tournées.

    Au début de l’année 2009, elle lance le projet « Plein Soleil », avec Krikor, son frère d’armes, ainsi qu’un nouveau cd mixé, « Live at Robert Johnson ». Émouvant, sombre et sensuel, il sonne comme une suite logique au mix à quatre mains évoqué plus haut.

    2010 marque la sortie de son deuxième album, « One in Other ». Sur ce disque, la patte Chloé, c’est tout le contraire du son qu’elle conçoit dans les clubs et pour ses sets, avec beaucoup de mid et de downtempo, des beats peu accrocheurs pour qui voudrait danser. Chloé nous délivre une musique abstraite mais évocatrice, froide mais bourrée d’humanité, et qui reste de l’électro sans renoncer à faire du rock, comme la batterie de « Distant », le saxo de « You » ou la fin de « One in Other » nous le démontrent. Et quand « One Ring Circus » vient s’enchaîner, on frôle l’apothéose, qu’on atteint définitivement avec « Slow Lane ».

     

    « Travailler la place des sons dans l’espace, c’est mon moteur. »

     

    En 2017, Chloé nous revient donc avec « Endless Revisions », qui n’est finalement que le troisième album d’une carrière qui s’étend sur deux décennies. Et sa version live, sortie le 11 janvier 2019, est l’exemple parfait de la capacité d’adaptation permanente d’une artiste en pleine maturité, qui peut aujourd’hui passer aisément du club techno au festival généraliste.

     

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    Plus nerveux et plus aérien, le live raconte toujours une histoire différente, en fonction du moment et de l’endroit, quand la version sur disque n’est qu’un instantané : « Je me sers de l’énergie que je partage avec le public, pour revisiter en direct. C’est donc un travail qui a été mûri au fil de mes lives, les uns après les autres. Et sur chaque live, les moments sont différents. De nouvelles choses en sortent à chaque fois, des sortes d’accidents ; c’est un live sans fin… », explique-t-elle.

     

    « Chaque live est différent, nourri parfois de petits accidents, c’est un peu un live sans fin. »

     

    « Faire des sets qui peuvent durer entre deux et six heures, c’est ce qui me plaît. Et d’ailleurs, plus je joue longtemps, plus j’ai le temps d’installer progressivement tous les éléments du puzzle. Tout ça, c’est comme un jeu de construction… Jouer pendant quatre heures des choses qui sont systématiques et entêtantes, ça peut être génial, mais en ce qui me concerne, au bout d’un moment, je m’étouffe moi-même… »

     

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    Figure de la culture club à ses débuts, Chloé Thévenin symbolise ce qu’est devenue la musique électronique. L’heure est à la diversité, aux collaborations, aux intersections entre genres a priori opposés. Et c’est tout sauf une passade, pour elle.

     

    « Personnellement, ça n’est pas comme ça que je vois les choses. Je ne suis pas du genre à me dire : « tiens, c’est à la mode, donc je vais le faire ». Une chose est sûre, on assiste à une démocratisation de la musique électronique, une fusion des genres : on a moins envie de leur mettre des étiquettes. »

     

    Et ça tombe bien, car les étiquettes, Chloé les utilise seulement pour classer sa formidable collection de disques et de sons…

     

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    Chloé, « Endless Revisions Live » (Lumière Noire Records). Album disponible.

    En concert le 26 janvier à Paris (Elysée Montmartre)