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  • Brian de Palma : Le cinéma réflexible

     

     

    Rétrospectivement, il y a plusieurs façons d’appréhender le cinéma de Brian de Palma, car certains pans de son œuvre nous questionnent sur ce médium, tant comme divertissement que sujet de réflexion. Tout au long de sa filmographie, le réalisateur de « Carrie » n’a eu de cesse que de proposer des œuvres tour à tour référentielles ou purement formelles, dérangeantes, innovantes ou mettant en avant des idées militantes, voire polémiques.

     

    Issus d’un mouvement baptisé le « Nouvel Hollywood » qui, dès la fin des années 60, va durant toute la décennie suivante remodeler le paysage cinématographique américain, dans sa manière de filmer et de raconter une histoire, et de par les sujets abordés, rendre le cinéma peut-être plus adulte, plus concerné par la réalité sociale et économique du pays, les jeunes réalisateurs qui vont apparaître à cette période auront tous cette façon viscérale, organique, de traiter leurs sujets, mais surtout d’interroger le cinéma.

    Brian De Palma va appartenir à cette prestigieuse bande d’amis, et surtout de cinéastes en devenir, tels que George Lucas, Francis Ford Coppola, Steven Spielberg et Martin Scorsese. Tous partagent de grandes aspirations quant à cette passion qui les dévore. Avant tout des cinéphiles nourris au cinéma européen, qu’il se nomme « Nouvelle Vague » en France ou « Néoréalisme » en Italie, ils vont transcender, chacun avec sa propre sensibilité, le 7ème Art. Mais ça n’est pas simplement sous l’impulsion de leur goût pour les films venus d’Europe… Il va s’agir d’une vraie prise de conscience, d’un choc, qui vont trouver leur sens et faire écho à des événements liés aux États-Unis eux-mêmes.

    Comme beaucoup de cinéastes de cette époque, avant la guerre du Vietnam et ses répercussions, il y a surtout le 22 novembre 1963, date fondatrice. Ce jour-là, des millions de téléspectateurs assistent en léger différé à la télévision à l’assassinat de John F. Kennedy… Cette scène, filmée en Super8 par un caméraman amateur, constituera le premier film gore du cinéma américain et va rentrer dans l’imaginaire collectif, en imprimant les rétines à tout jamais ; le président des Etats-Unis abattu d’une balle dans la tête, et ce morceau de crâne que l’on voit s’en détacher, alors qu’il est en train de saluer la foule venu l’accueillir à Dallas. C’est un électrochoc pour toute une génération de réalisateurs, et bientôt une nouvelle manière de penser les images et ce qu’elle disent. La mort d’un homme en direct à la télévision va tout simplement bouleverser la manière de concevoir un film.

    Jusqu’à cette sombre date du 22 novembre 1963, certaines images ne pouvaient en aucun cas être montrées à l’écran, telles que la représentation crue de la nudité, de la violence et même du sang. En 1967, le réalisateur Arthur Penn va être un précurseur, avec son film « Bonnie and Clyde », en figurant des impacts de balle qui sonnent vrai. Le sang est omniprésent et le film, à sa sortie, connaît un véritable retentissement, puisque non seulement son contenu est graphiquement très violent, mais de surcroît les héros du film sont les méchants de l’histoire et la police, dans une inversion des rôles, ceux que l’on déteste. On n’avait encore jamais vu cela au cinéma.

     

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    En 1970, c’est aussi ce même réalisateur qui traitera dans son film « Little Big Man » du génocide des Amérindiens. Là encore, on sera bien loin du cinéma de John Ford ou de Howard Hawks, avec cette bonne vieille ganache de John Wayne, l’ultime symbole de la suprématie blanche hégémonique et triomphante.

     

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    Oui, le cinéma est bel et bien en train de muter et cette révolution, plutôt que d’être contenue, est acceptée par les grandes majors, qui voient ici le moyen de redevenir une industrie forte et prospère, après avoir perdu de sa superbe avec l’avènement de la télévision dans les foyers américains. Le temps des westerns et des comédies musicales est révolu…

     

    Après une série de courts-métrages réalisés durant ses années passées en tant que jeune professeur de cinéma, Brian De Palma commence à tourner des longs-métrages dès la fin des années 60, notamment avec un débutant prometteur, Robert De NiroGreetings », « The Wedding Party », « Hi Mom! »). Et c’est d’ailleurs avec le film « Greetings » que De Palma remporte son premier succès public et critique, ce qui va lui ouvrir les portes des grandes majors. C’est un film sur la guerre du Vietnam, mais surtout une comédie qui traite de l’obligation morale de s’enrôler dans l’armée pour aller combattre.

    Ainsi, au lieu d’assister dans « Greetings » à des combats valeureux et des scènes où de vaillants Américains clament à la face du monde pourquoi il faut faire la guerre au nom de la liberté, cette oeuvre fondatrice évoque en fait une bande d’amis qui va tout faire justement pour ne pas avoir à la faire. Si le film est caustique et traite d’un sujet grave qui s’appuie sur des intentions légères, on y perçoit pourtant toute la matrice du cinéma de De Palma, dont fait déjà partie l’assassinat de Kennedy. En effet, De Palma fut durablement marqué par ces deux évènements historiques majeurs, et probablement plus encore que les autres cinéastes de sa génération, et il n’eut de cesse que de déployer ensuite, tout au long de son œuvre, les thèmes de la paranoïa, des faux-semblants et du mensonge.

     

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    De Palma fut précurseur de ce mouvement que l’on va donc dénommer rétrospectivement le « Nouvel Hollywood », et d’autres réalisateurs vont lui emboîter le pas, en proposant des films totalement en dehors des moules et des canons en vigueur dans l’industrie du cinéma à cette époque. La guerre du Vietnam va aussi passer par là, avec son lot de traumatismes qui vont venir imprimer durablement l’inconscient de tout un pan de ces jeunes réalisateurs. En ce qui concerne les noms précités, leurs aspirations vont très vite se démarquer de celles de leurs coreligionnaires : Hal Ashby, Alan J. Pakula, Sydney Pollack, Milos Forman, Sydney Lumet, Jerry Schatzberg, Nicolas Roeg, William Friedkin, ou même celui qui fut considéré comme le fossoyeur de ce courant, Michael Cimino, avec son film « La Porte du Paradis » à l’aube des années 80.

    En 1972, De Palma réalise « Sœur de Sang » avec Margot Kidder, la future Lois Lane de « Superman ». Au-delà de ses velléités et de ses engagements vis-à-vis de la politique de son pays dans laquelle il ne se reconnaît pas, il lorgne alors vers un cinéma tout en référence, en emprunt et en hommage. Il va s’agir de variations sur des thèmes, des films et des réalisateurs qui ont créé des formes nouvelles, à commencer par Alfred Hitchcock, qu’il vénère par dessus tout, mais surtout Fritz Lang (sorte de matrice du cinéma à lui tout seul). Imaginez Bach et son apport à la musique, puis des tas de petits Mozart qui suivraient derrière…

    « Sœur de Sang » sera ainsi le premier film d’une longue liste d’œuvres, que l’on peut citer comme sa série « maniériste », auquel succèderont « Obsession », « Pulsions », « Blow Out », « Body Double », « L’esprit de Caïn » et plus récemment, « Passion » en 2012. Totalement obsédé par le cinéma du réalisateur de « Vertigo », il n’aura alors de cesse que de disséquer les films d’Hitchcock.

     

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    Pourtant moins cité dans ses listes d’influences et de chocs esthétiques, il y a également Dario Argento et ses films « Profondo Rosso », « Suspiria » et « Inferno », avec leur façon de destructurer un récit en mélangeant, comme dans un grand trip onirique, les références artistiques, la photographie et surtout le ressenti, l’ambiance. Alors que le réalisateur transalpin est contemporain de son homologue américain, il va durablement influencer ce dernier dans son processus de création de dispositifs. Brian De Palma ira même jusqu’à repomper allègrement certaines façons de filmer. On pense notamment au plan tourné à la Louma dans le film « Ténèbres » d’Argento et réutilisé pour l’ouverture de « Body Double » ; ce regard abstrait qui passe de fenêtre en fenêtre, afin d’espionner des filles dans un immeuble, sans que l’on puisse raisonnablement imaginer qu’un être humain normalement constitué puisse effectuer une telle prouesse physique…

     

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    Ce sont en effet à chaque fois des projets dans lesquels De Palma se triture le cerveau, en malaxant autant les références que les techniques narratives, les clins d’oeil appuyés à ses maîtres et l’énumération de tout ce qui a construit jusque-là le cinéma américain ; la figure de la femme fatale, blonde ou brune, les coups de théâtre et la manière d’ériger le décor comme personnage à part entière.

    On y trouve également le thème du voyeurisme évoqué dans « Fenêtre sur Cour » d’Alfred Hitchcock, qui va devenir une constante dans le cinéma de De Palma (« Body Double »). Ce que l’on voit ou ce que l’on croit avoir vu… Il va même pousser le concept jusqu’au bout, avec ce que l’on entend ou ce que l’on croit avoir entendu (« Blow Out », en référence au « Blow Up » d’Antonioni, où un photographe croyait voir un meurtre dans une photo prise dans un parc, tandis que dans le film de De Palma, John Travolta croit entendre dans une prise-son le cri de quelqu’un que l’on est en train de tuer).

    Si cette série de films a souvent énormément divisé ou prêté à sourire, c’est parce qu’au-delà des histoires que ces films racontent, sous forme de récits-prétextes, ils revisitent notre imaginaire fait de noirceur, de meurtre et de sexe. De la sexualité, il en est effectivement beaucoup question chez De Palma, aussi bien des références psychanalytiques freudiennes que des questionnements sur nos propres libidos, qui se voient projetés ainsi à l’écran, sans pudeur ni mode d’emploi.

    Ce que l’on aime chez Brian De Palma (ou pas, d’ailleurs…), c’est justement ce sadisme, cette sophistication dans la perversité avec lesquels le réalisateur joue constamment. Ce que Hitchcock laissait entendre dans tous ses films, avec lesquels il devait slalomer pour éviter que la censure ne lui tombe dessus à tout bout de champ, De Palma, en ces décennies 70 et 80, d’une liberté retrouvée et débarrassée (pour un temps) de la bigoterie et de la bien-pensance, peut pousser les curseurs plus loin encore que ne l’aurait fait ce vieil Alfred, à grand renfort de scènes frontales et sans ambages.

    Mais ce qu’apporte en plus le réalisateur de « Mission To Mars », c’est également cette mise en abyme ludique et méta qui donne l’impression d’un cinéma à plusieurs reflets et différents points de vue ; des films sur le cinéma comme autant de passionnantes relectures. A la manière de grands mixes décomplexés, ces œuvres créent finalement un nouveau genre en soi, au point qu’elles-mêmes deviennent pour la plupart des références, avant d’être juste de pures objets vaniteux.

     

    C’est ce qui rend aussi passionnants les films de Brian De Palma, même les plus mineurs, car le réalisateur va constamment questionner le cinéma et grossir le trait intentionnellement, parfois jusqu’au mauvais goût ou la vulgarité.

     

    Et puis il y a une filmographie plus « mainstream », avec des commandes de studio de facture imparable, qui rencontrent en général un large public, au point de devenir cultes pour certaines d’entre elles : « Les Incorruptibles », « Mission Impossible », « Scarface ». Ces films sont pourtant des réussites formelles indéniables, qui s’inscrivent dans leur époque. Brian De Palma est ce réalisateur protéiforme, aussi à l’aise dans le cinéma d’auteur et personnel que dans celui à forte portée commerciale.

    Car si Brian De Palma accepte ce genre de projets, c’est pour mieux mettre en œuvre ensuite des projets plus personnels et compliqués à monter. On pense bien-sûr et surtout à « Casualties of War », titré « Outrages » en France. A l’instar de « Platoon » d’Oliver Stone et « The Deer Hunter » de Michael CiminoVoyage au Bout de l’Enfer »), la guerre du Vietnam y est montrée de la manière la plus crue, la plus douloureuse, et évoque tout ce que la guerre provoque et engendre comme dommages collatéraux terribles.

     

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    Ça n’est d’ailleurs pas pour rien que ce film avec Sean Penn et Michael J. Fox est le préféré du réalisateur. Ici, pas d’effets de style, de figures cryptées ou d’hommage appuyé. C’est frontalement et sans faux-semblant que De Palma affronte ce cauchemar américain et le spectateur n’en ressort pas indemne. Si le film divise, scandalise ou émeut, il n’en reste pas moins une œuvre définitive sur le thème de la guerre et des traumas qu’elle engendre.

    En 2007, Brian De Palma récidive avec le genre du film de guerre en nous proposant « Redacted ». Il s’agit là d’un faux documentaire dont l’action se déroule cette fois durant la guerre en Irak, où l’on assiste de nouveau, impuissant, aux exactions auxquelles se livrent des soldats américains sur des civils, à savoir tortures, viols et meurtres. Là encore, De Palma ranime sa sensibilité très à gauche, qui n’est d’ailleurs pas du goût de tout le monde à Hollywood. Si le film est plébiscité en Europe, ça ne sera pas le cas aux Etats-Unis.

    Si nous devions choisir un autre chef d’œuvre dans la filmographie de De Palma, ce serait sans conteste « L’Impasse » (« Carlito’s Way »). Avec cette idée de l’inéluctable et de la destinée, cette tragédie déguisée en polar offre à Al Pacino probablement l’un de ses plus beaux rôles au cinéma. Sa trame, pourtant éculée, est assez proche de celle du magnifique film de Jean-Pierre Melville avec Lino Ventura, « Le Deuxième Souffle ».

    Un ancien truand, sorti de prison grâce à un avocat véreux (l’excellent et toxique à souhait Sean Penn), tente de reprendre une vie normale et honnête, avec comme projet de partir finir sa vie aux Bahamas avec sa petite amie. Mais « Carlito’s Way » est un opéra à la Puccini. On assiste à la chute inévitable et tragique de ce héros fatigué. Tout est parfait dans ce film, jusqu’au brillant et bouleversant final.

     

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    Et puis, forcément, il y a « Phantom of the Paradise ». Le chef d’œuvre absolu de Brian De Palma surgit à l’écran sans prévenir en 1974. Car voilà bien un film qui n’a jamais perdu de son étrangeté et de sa fulgurance. Reprenant des éléments des trames du « Fantôme de l’Opéra » de Gaston Leroux et de l’opéra en cinq actes de Gounod, « Faust », De Palma, après une expérience professionnelle traumatisante vécue sur le tournage d’un film pour la Warner, « Get to Know Your Rabbit », imagine une comédie musicale qui serait un mélange de film d’horreur et d’amour, et qui traite du thème de la dépossession de son œuvre.

    A une époque où tout était encore possible, l’imagination et la singularité avaient encore du poids, lorsqu’il s’agissait de monter un film qui ne devait ressembler à rien que l’on ait déjà vu ; précisément tout le contraire d’aujourd’hui, avec des films qui se suivent et qui se ressemble tous. Dans ce contexte, « Phantom of the Paradise » reste un objet fascinant, toujours aussi culte, que l’on regarde avec toujours autant d’émoi et de fascination.

     

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    Mais la filmographie du réalisateur de « Furie » comporte aussi de nombreux faux pas. « Femme Fatale », « Passion », « Mission to Mars », « L’Esprit de Caïn », « Domino : La Guerre Silencieuse », « Le Dahlia Noir » sont autant de projets, certes excitants sur le papier, et qui se sont tous avérés faibles, bancals, voire complètement ratés sur l’écran. A différents niveaux et pour diverses raisons, il est d’ailleurs étonnant de constater comment une production – car un film, c’est surtout un travail d’équipe et de longue haleine – peut dérailler et devenir un train incontrôlable qu’il faut, quoi qu’il arrive, mener à terme…

    Chez Brian De Palma, ses échecs artistiques sont paradoxalement assez spectaculaires et à l’image de leur auteur, pourtant souvent capable du meilleur. On pense ainsi à Steven Spielberg, pouvant accoucher de chefs d’œuvre absolus, mais aussi susciter l’étonnement avec des films ratés, voire catastrophiques (« Le Bon Gros Géant », « Indiana Jones et le Royaume du Crâne de Cristal », « 1941 », « Le Terminal », « Hook », « Amistad »). Car même les plus grands cinéastes comptent tous à leur passif de magnifiques ratages. Et cela leur confère en tout cas un supplément d’âme.

    Mais Brian De Palma a suffisamment contribué au bonheur cinéphilique de nombreux spectateurs pour ne pas se voir refuser la place qui lui revient, parmi les plus grands. Tour à tour singuliers, étranges, ratés, puissants et toujours passionnants, nombreux sont les films de ce réalisateur qui même aujourd’hui participent encore de notre envie, de notre appétit de cinéma…

     

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  • Les Dessins d’Alex Tavoularis pour Francis Ford Coppola

     

     

    Dans les collections de la Cinémathèque se trouve une série de dessins et de storyboards signés Alex Tavoularis. Ces planches se rapportent à cinq films de Francis Ford Coppola : « Apocalypse Now », « Outsiders », « Le Parrain 2 », « Rusty James » et « Tucker ».

     

    Tour à tour crédité en tant que directeur artistique ou production designer, métiers que le cinéma français connaît mal, Alex Tavoularis a aussi fait partie des équipes décoration de « King of New York » et « Snake Eyes » d’Abel Ferrara, ou encore dessiné quelques storyboards pour le premier épisode de « La Guerre des Étoiles » (1977). Mais son activité principale fut surtout celle, un peu mystérieuse, d’illustrateur pour le cinéma, la plupart du temps en étroite collaboration avec son frère Dean Tavoularis, le légendaire directeur artistique qui accompagna Coppola sur presque tous ses projets, du « Parrain » en 1972 à « Jack » en 1996 – à l’exception de « Cotton Club » et « Dracula ».

     

     

     

    Dans un entretien pour les Cahiers du Cinéma (n° 665, mars 2011), il décrit ainsi leur collaboration : « C’est surtout mon frère Alex qui a fait les storyboards des films sur lesquels j’étais production designer ; il était comme mon assistant. On s’en occupait parfois pour une séquence particulière complexe, ou parfois pour un film entier, comme ça a été le cas pour Tucker de Coppola ». Les deux frères ont commencé à travailler ensemble sur « Little Big Man » d’Arthur Penn (1970). Dean avait quant à lui débuté quelques années plus tôt avec le même Arthur Penn sur le film qui a symboliquement lancé le Nouvel Hollywood : « Bonnie and Clyde » (1967).

    Parmi les dessins conservés à la Cinémathèque se trouvent notamment dix planches de storyboards du « Parrain 2 » (1974) ; le storyboard des séquences finales du « Outsiders » (1983) ; des croquis du bateau PBR et de l’hélicoptère Huey sur « Apocalypse Now » (1979) ; un magnifique dessin de la rutilante voiture Torpedo de « Tucker » (1988) ; et une scène de cimetière disparue de « Rusty James » (1983).

     

     

     

    LE MEURTRE DE DON FANUCCI DANS LE PARRAIN 2

    On se souvient de cette lancinante évolution parallèle en travellings entre le gros mafieux en habit, Don Fanucci (Gastone Moschin), qui parade dans la rue un jour de fête, et Vito Corleone (Robert De Niro), qui le suit des yeux depuis les toits avant de s’introduire dans son immeuble, d’enlever une ampoule pour rester dans l’obscurité, et de l’abattre sur son palier. Alex et Dean Tavoularis ont fait eux-mêmes le parcours et ont entièrement storyboardé cette séquence, « faisant le film sur le papier », comme le décrit Dean Tavoularis, qui livre une anecdote passionnante sur la scène en question : « On avait tout tourné précisément, sauf un plan. Et on ne pouvait filmer ce plan manquant que le jour où on quittait New York pour aller tourner la suite du film en Italie. Or, quand on est arrivés, le propriétaire était absent. On a été obligés de forcer la porte, le proprio est rentré furieux, il a mis tout le monde dehors, et on a dû reconstruire cet étage avec l’escalier à Rome, pour un seul plan ! ».

    Détail amusant : l’épisode culte de l’ampoule dévissée par De Niro ne se trouve pas dans le storyboard imaginé par les deux frères. Mais le chat que la victime tient dans ses bras au moment du crime a disparu de la scène filmée. Remplacer un chat par une ampoule électrique, voici l’une des curieuses modifications opérées par le passage du dessin au cinéma…

     

    LES « ANIMAUX » D’APOCALYPSE NOW

    Des dessins de l’hélicoptère Huey (surnom donné aux appareils américains de type Bell UH) et du PBR (le Patrol Boat River, bateau de l’US Navy utilisé pendant la guerre du Vietnam) se dégage une certaine beauté, une sorte d’affection pour l’objet dessiné, comme s’il s’agissait d’un être, d’un animal, doté d’un petit nom, en particulier le « Huey », qui est même affublé de dents sur le devant de l’habitacle. Ces dents peintes proviennent des recherches menées sur les hélicoptères utilisés pendant la guerre du Vietnam : certains étaient ainsi personnalisés.

    Alex Tavoularis raconte : « Chaque jour du tournage nous dépendions de ce que la Philippine Air Force voulait bien nous prêter ce jour-là. Certains de nos hélicos décorés étaient utilisés pour leurs actions à Mindanao ou dans d’autres régions troublées, alors que nous avions déjà peint nos décorations dessus. Donc même s’ils n’apparaissaient pas dans le film, ils ont été vus par les rebelles de Mindanao !… ». Quant au bateau, dont il est bien spécifié sur le dessin qu’il correspond à un état de « vieillesse » plus important que le PBR A, il devait montrer des signes de désolation. Le dessin comporte ainsi diverses indications manuscrites : « Ordures sur le pont, canettes, drapeau crasseux ». Alex Tavoularis ajoute que ces précisions sur l’état du bateau étaient particulièrement utiles, puisque le tournage se déroulait hors continuité.

     

     

     

    LA VOITURE DE TUCKER

    La célèbre voiture de « Tucker » semble quant à elle beaucoup plus rutilante, et fait plaisir à voir avec ses trois phares innovants. Les frères Tavoularis ont pratiquement entièrement storyboardé ce film, à partir de discussions dans la propriété de Coppola à Napa Valley avec le cinéaste et le chef opérateur Vittorio Storaro. Tous gardent de ce film-autoportrait de Coppola – le constructeur illuminé bâtit son usine de voitures alternatives aux grandes marques, comme Coppola a fondé son studio Zoetrope en marge des studios hollywoodiens – un souvenir d’amusement extrême, que laisse transparaître ce dessin gai et volontaire.

     

     

     

    OUTSIDERS ET RUSTY JAMES, DEUX FILMS-FRÈRES

    Au printemps 1983, Coppola tourne « Outsiders » à Tulsa, Oklahoma et annonce à son équipe une semaine avant la fin du tournage qu’ils vont finalement rester pour tourner un second film dans la foulée. Ce sera « Rusty James », qui est comme le grand frère turbulent et âpre du « Outsiders ». « Outsiders » est en couleurs, dominé par les tonalités dorées de couchers de soleil, quand « Rusty James » est en noir et blanc, extrêmement graphique, strident, revendiquant des racines expressionnistes. Plus sauvage. Le premier est classique, le second expérimental. C’était la volonté de Coppola.

    De toute sa collaboration avec le réalisateur, « Rusty James », avec ses partis pris graphiques très forts, est le film préféré d’Alex Tavoularis, qui a entre autres dessiné une superbe scène de cimetière fantôme. Fantôme, car elle ne figure pas dans le montage final du film. Le dessin est très beau, et fourmille d’indications pratiques sur les bougies alimentées au gaz, la limousine, les types de projecteurs à fournir pour la scène. Le storyboard des scènes finales de « Outsiders » est passionnant car on y retrouve quasiment tout l’enchaînement des événements qui constituent la fin du film.

     

     

     

    On comprend aussi comment la mise en scène trouve des raccourcis pour faire avancer le récit plus fiévreusement. Un exemple : dans le storyboard, Dallas (Matt Dillon), poursuivi par la police, fait d’abord un arrêt dans la réserve d’une blanchisserie, éponge sa blessure, reprend sa fuite et trouve ensuite une cabine téléphonique d’où il appelle ses copains. Dans le film, il trouve la cabine téléphonique dans la réserve de la blanchisserie, y passe son coup de fil, et laisse derrière lui une tache de sang sur un amas de linge blanc. Le cinéma va plus vite que le crayon…

     

     

     

    En observant tous ces dessins, les souvenirs plus ou moins vifs se mettent bien sûr à affluer, et l’on est tenté de rechercher les similitudes avec le film existant. Mais c’est une fausse piste. Il faut plutôt regarder ces croquis comme une manière de cartes postales paradoxales. Des cartes postales que quelqu’un enverrait avant de partir en voyage. Car souvent tel storyboard ou tel dessin ne correspond plus à la forme finale du film ; on n’en reconnaît çà et là que quelques bribes. Le film lui-même, le processus de tournage ont modifié cette forme, l’ont digérée, l’ont même parfois niée. Ce sont des rêveries instantanées d’une forme possible du film.

    Comme l’explique modestement Alex Tavoularis : « Les dessins spécifiquement faits pour le cinéma ne sont que des outils pour aider le réalisateur, le directeur de la photo et le production designer à visualiser des choses qui n’existent pas encore. Ils sont faits pour ça et uniquement pour ça. La reconnaissance de ces travaux en dehors de leur fonction initiale ne peut être que dans une perspective historique ». Il n’empêche que lorsqu’on se plonge dans la contemplation de ces dessins, un peu de magie oubliée affleure… « Peux-tu changer la couleur des montagnes ? » demandait Michelangelo Antonioni à Dean Tavoularis, trouvant les roches trop grises sur le tournage de « Zabriskie Point »… Non, mais imaginer un film avant qu’il existe, ce n’est pas si différent.

     

    Source : La Cinémathèque Française

     

     

     

  • 1979, l’année qui changea le monde, Episode 06 : « Apocalypse Now »

     

    [kleo_pin type= »circle » left= »yes » right= » » top= » » bottom= » »]          « FOCUS » : un article de fond sur un thème que nos rédacteurs ont sélectionné.

     

     

    L’année 1979 est définitivement une année-charnière, comme la fin d’un cycle. Elle scelle le sort des dernières utopies. Le monde prend une pelle et enterre à la hâte les cadavres encore fumants de nos illusions perdues. Après 1979, rien ne sera plus vraiment comme avant…

     

    Coincée à la fin d’une décennie qui paraît un peu creuse, durant laquelle les dirigeants politiques semblent manquer de charisme (le pâle Carter face au cowboy médiatique Reagan, VGE après De Gaulle et Pompidou), l’année 1979 n’attire décidément pas les flashes. Et pourtant… Que d’événements considérables ont eu lieu cette année-là, autant de tremblements qui ont marqué la face du monde et dont on ressent encore les répliques quarante ans plus tard.

    Révolution iranienne, arrivée de Saddam Hussein au pouvoir en Irak, début de la Guerre d’Afghanistan qui mènera à la chute de l’URSS et à l’apparition du terrorisme islamiste, second choc pétrolier et crise économique mondiale, paix entre Israël et l’Egypte, fin des Khmers Rouges… Il n’est pas insensé de penser que 1979 a en réalité été l’année la plus importante de l’après-Seconde Guerre Mondiale.

     

    Palme d’or à Cannes en 1979, le film de Coppola a marqué l’histoire du cinéma par son tournage apocalyptique, les caprices de Marlon Brando et les millions de dollars engloutis. Mais quarante ans plus tard, le cinéaste impose sa maestria et sa maîtrise avec un superbe nouveau montage, baptisé « Apocalypse Now Final Cut ».

     

    C’était il y a quarante ans, les écrans de cinéma rougissaient de flammes sur la musique des Doors, des palmiers brûlaient en torche… Le fantasque lieutenant-colonel Kilgore bombardait une plage du Vietnam au son de « La Chevauchée des Walkyries » de Wagner. Et lâchait ces mots comme une bombe de plus dans ce déluge de feu : « J’adore l’odeur du napalm au petit matin »…

    Avec cette réplique et cet assaut d’hélicoptères, comme avec d’ailleurs beaucoup d’autres scènes mémorables au fil du voyage halluciné du capitaine Willard (Martin Sheen), traquant le colonel Kurtz (Marlon Brando) pour l’éliminer, en pleine guerre du Vietnam, « Apocalypse Now » a fini par prendre la place qu’il méritait dans l’histoire du cinéma. Majestueusement… Pourtant, c’est dans l’incertitude totale que le film de Francis Ford Coppola commença sa carrière, en 1979.

     

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    Fort du succès des « Parrain I et II », Francis Ford Coppola présente en 1979 au Festival de Cannes son nouveau projet inspiré du roman de Joseph Conrad, « Au Cœur des Ténèbres » (non crédité au générique). Il obtient la palme d’or ex-aequo avec « Le Tambour » de Volker Schlöndorff. Un destin inespéré pour un film dont le tournage fut tout bonnement catastrophique. Entre les crises du réalisateur, les caprices des acteurs, les maladies tropicales et la drogue, rien ne prédestinait « Apocalypse Now » au succès dont il fut couronné à l’époque.

    Pourtant, dès sa toute première projection à Cannes en 1979, Coppola n’est pas franchement satisfait du résultat et considère cette première version comme étant toujours « a work in progress ». Il en proposera donc une nouvelle version 22 ans plus tard, en 2001, rallongée de 49 minutes et renommée « Apocalypse Now Redux ». Aujourd’hui, le réalisateur récidive en sortant « Apocalypse Now Final Cut », qui devrait (selon ses propres dires…) être la version ultime de son chef d’oeuvre absolu. 40 ans, c’est le temps qu’il aura fallu à Coppola pour être enfin satisfait de son film le plus emblématique…

     

     

     

    « Apocalypse Now n’est pas un film sur le Viêt Nam, c’est le Viêt Nam. Et la façon dont nous avons réalisé Apocalypse Now ressemble à ce qu’étaient les Américains au Viêt Nam. Nous étions dans la jungle, nous étions trop nombreux, nous avions trop d’argent, trop de matériel et petit à petit, nous sommes devenus fous. » (Francis Ford Coppola)

     

    « Apocalypse Now » nous conte donc l’histoire du Capitaine Willard, missionné en pleine guerre du Vietnam pour trouver et éliminer le Colonel Kurtz, officier des forces spéciales, brillant mais soupçonné de mener sa propre guerre. Ce qui ne devait être qu’une simple opération va se transformer en voyage initiatique et en une prise de conscience choquante de l’horreur de la guerre. Pour être au plus près de la réalité, Coppola n’a d’ailleurs pas hésité à utiliser de vrais cadavres pour certaines scènes…

    Le film s’ouvre sur le jeune capitaine Willard, cloîtré dans une chambre d’hôtel de Saïgon, mal rasé, imbibé d’alcool et sorti de sa prostration par une convocation de l’état-major américain. Le général Corman lui confie une mission qui doit rester secrète : éliminer le colonel Kurtz, un militaire aux méthodes quelque peu expéditives et qui sévit au-delà de la frontière cambodgienne.

     

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    Coppola nous livre à travers son film une sévère critique de la guerre du Vietnam, ce qui sera cependant contredit par certains journalistes ou chroniqueurs à l’époque de sa sortie. Rappelons que l’opinion publique était dans son ensemble défavorable à l’engagement américain en Indochine et que lorsque les vétérans finirent par rentrer au pays, ils furent accueillis non pas en héros, mais plutôt comme des parias et des criminels. En plus de la violence et des abus inhérents à tout conflit, l’inutilité de la présence de l’armée américaine était au cœur des critiques.

    « Apocalypse Now » reflète ainsi le manque de conviction notoire de ces soldats américains, désœuvrés, perdus, qui ne savent même plus pourquoi ils se battent. Ce n’est pas pour rien que dans la scène de la colonie française, le propriétaire de la plantation assène à Willard : « Vous les américains, vous vous battez pour rien du tout ». L’isolement et l’absence de but les poussent donc à toutes les folies.

     

     

     

    Au milieu de ce chaos, Martin Sheen, l’implacable Willard, à la tête de son commando improbable, progresse le long de la rivière, bien décidé à trouver le fameux Kurtz. Au fil de l’eau, il devient spectateur d’un monde complètement à la dérive et comprend peu à peu les raisons qui ont pu faire sortir le brillant colonel des Forces Spéciales du droit chemin. Ce dernier reste d’ailleurs une énigme jusqu’à la toute fin. Le suspense quant à son identité et sa véritable apparence monte crescendo, jusqu’à ce que l’on découvre, sortant de l’ombre, un Marlon Brando métamorphosé. À la fin du film, les deux personnages ne font pratiquement plus qu’un, tant leurs visions respectives de cette guerre et plus généralement du monde semblent désormais liées pour toujours.

     

     

     

    En 1979, à Cannes, la présidente du jury, Françoise Sagan, restera absolument hermétique à « Apocalypse Now », pour lequel le Festival avait été contraint d’accepter au préalable tous les ordres, contre-ordres, caprices et diverses contraintes techniques. Sagan ne jure en fait que par « Le Tambour » de Volker Schlöndorff… Gilles Jacob, conscient quant à lui de l’ampleur de l’œuvre de Coppola, déroge même à la règle qui interdit à un cinéaste déjà lauréat de la Palme d’or de revenir en compétition (Coppola l’avait obtenue cinq ans plus tôt pour « Conversation Secrète »).

    Car un vent nouveau souffle sur Cannes cette année-là… En fait, tout a basculé trois ans plus tôt avec la palme d’or à Martin Scorsese pour « Taxi Driver », qui a fait l’effet d’un électrochoc. On dit que le vieil Hollywood, celui des John Ford et des Vincente Minnelli, est à l’agonie. La relève est là, piaffante d’impatience. On les surnomme les garnements (Movie Brats). Ils détestent les grands studios – Fox, MGM, Warner, Columbia, Universal, Artistes Associés – et inventent déjà le cinéma du XXIème siècle avec des superproductions délirantes.

    C’est une tribu qui rêve de gloire et va qui va révolutionner le cinéma mondial, en pesant « accessoirement » des milliards de dollars au box-office : Roger Corman, Steven Spielberg, George Lucas, Martin Scorsese, Paul Schrader, Michael Cimino, Brian de Palma et Francis Ford Coppola. Justement, ce dernier a choisi son heure pour débarquer en force à Cannes en 1979, avec son film spectaculaire et nietzschéen, présenté en première mondiale. Car après ce festival, rien ne sera plus comme avant… La suite est à lire dans l’excellente série d’articles du Point parue en août 2019, à l’occasion du 40ème anniversaire du chef d’oeuvre de Coppola et de la sortie du « Apocalypse Now Final Cut », version restaurée en 4 K Dolby Atmos, conçue par le réalisateur comme ultime et définitive…

     

     

     

    « Apocalypse Now » en 8 Minutes by Blow Up (Arte)

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    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] « Apocalypse Now, la faillite de l’histoire » (Le Monde Diplomatique, 1979) 

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »]  Wikipedia

     

     

     

  • A propos du « Dracula » de Francis Ford Coppola (1992)

     

     

    Avec son « Dracula » réalisé en 1992, Francis Ford Coppola, à l’instar de Martin Scorsese, veut embrasser le cinéma tout entier et en explorer les thèmes et les genres.

     

    Bram Stoker avait déjà en son temps révolutionné le roman victorien avec « Dracula », tout comme Oscar Wilde et « Le Portrait de Dorian Gray ». Une époque sur les non-dits et la chasuble en guise de blue jean… En l’espèce, deux romans se servant du Fantastique pour mieux infiltrer la libido de l’époque, sans choquer personne. Oscar Wilde, sous prétexte du thème de la jeunesse éternelle, discourait sur l’homosexualité tandis que Stoker parvenait sans faute de goût à faire monter la température en imaginant un comte roumain venant de Transylvanie jusqu’en Europe pour mieux y dépuceler des vierges anglaises si chastes et niaises. Les morsures et les différentes transformations de Vlad Tépés, créature maudite, reniée par la Sainte Mère l’Eglise, représentaient ainsi tout le bestiaire connu et récupéré des contes de Perrault… Le loup, la chauve-souris, les rats, la vapeur verte… Autant d’animaux et d’éléments chargés de symboles et d’analogies rattachés aux choses de la sexualité.

    En revanche, le roman de Stoker ne faisait jamais état d’un quelconque penchant amoureux du comte pour l’une de ses victimes.  L’illustration du romancier se bornait uniquement à montrer les manifestations bestiales de ce que pouvait représenter un mâle hétéro assoiffé de sexe, sans distinction et appartenance de caste pour l’époque… Pour le film de Francis Ford Coppola, il est curieux donc de lire sur l’affiche qu’il s’agit là de la version la plus fidèle du roman de l’auteur du 19ème siècle. Ce n’est pas tout à fait exact. On devrait plutôt y lire « Dracula vu et digéré par Coppola ».

    Quant aux raisons qui pousseraient le vampire de Coppola à mordre et à tuer, ainsi que ses éventuelles circonstances atténuantes, il faut plutôt se pencher sur une romancière qui au début des années 80 a su réinvestir en grande pompe le monde vampirique avec un éclairage nouveau sur ces caractères. Il s’agit d’Anne Rice ; « Entretien avec un Vampire », « Lestat Le Vampire », « Armand le Vampire », etc… Tous ses romans démontrent en effet que ces personnages fascinants et dangereux étaient avant tout des humains, qui par le biais de leur transformation, leurs pouvoirs et leur soif accrue, ne se sont pas transformés en Vampire, au sens strict de la définition du Larousse, ne pensant qu’à montrer les crocs, mais en êtres sublimant les sentiments humains et notamment ceux de l’amour. Alchimie ainsi réussie dans la plupart des romans de cette Américaine Cajun.

    Ce « Dracula » constitue donc un héritage narratif qui utilise les mêmes références de pudibonderie victorienne magnifiquement traitée, avec son imagerie, ses décors et cette ambiance studio reflétant tout à fait les longues descriptions du roman de Stoker. L’aspect épistolaire du roman d’origine est ici traité de même et converge vers une forme inattendue, servant judicieusement le propre récit du film, sa construction, jusqu’aux moindres détails ornementaux. Le film devient ainsi objet visuel, non pas d’un film dans le film mais d’un film dans le roman, une mise en abîme qui passerait par les écrits, ses origines, pour passer au fur et à mesure d’une histoire de papier à une histoire en celluloîd et fusionner ainsi avec ce renouveau littéraire et moderne orchestré par Anne Rice. Une telle déclaration d’amour à la fiction et au cinéma n’avait pas été faite depuis Godard et son « Histoire Du Cinéma ».

     

     

     

    Le nouveau Dracula tue certes, mais plus avec plaisir. Il est une de ces créatures romantiques, tristes, recherchant depuis des centaines d’années sa défunte amante sacrifiée à l’ennemi et aujourd’hui réincarnée sous les traits d’une jeune fille anglo-saxonne.

     

    Dans le « Dracula » de Coppola, tout est magnificence ; les costumes, le nouveau look proposé par le réalisateur pour un Dracula campé par Gary Oldman, tour à tour inquiétant, attirant, beau, touchant et pathétique. Alors que Francis Ford Coppola, en ce début des années 90, n’avait plus rien à proposer en terme de cinéma, ayant laissé derrière lui des chefs d’oeuvre qui lui ont valu la postérité, il revient avec une oeuvre personnelle et précieuse, une synthèse sur l’amour, celui des sentiments et des amants, l’amour du cinéma, de cet objet infini et fascinant, l’amour des histoires, des contes et merveilles, du bestiaire de monstres qui hantent nos nuits et règnent sous notre lit. Tout avait déjà été dit par Lewis Caroll, Perrault, les frères Grimm, Shelley, Poe, Stoker, Rice… En littérature, peut-être, mais jamais de manière aussi pure et absolue au cinéma.

     

     

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    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Dévoreur Hubertouzot

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : Photographe dévoreur d’images

     

     

  • Focus | Marlon Brandon, l’ange déchu

     

     

    Tout homme a sa part d’ombre… Et aucun autre acteur que Marlon Brando n’aura à ce point magnifié et dédaigné son métier. Son histoire, c’est celle d’un acteur qui avait hérité d’une beauté diabolique, d’un génie indécent, d’un magnétisme qui aura fasciné les femmes comme les plus grands réalisateurs, et qui pourtant, n’aura eu de cesse que de contrecarrer les plans que Dieu lui-même avait échafaudés pour lui. Au lieu de ça, il finira seul, prisonnier de ses démons et de son plus mauvais rôle, son propre rôle…

    En 1979 sort sur les écrans « Apocalypse Now » de Francis Ford Coppola. Marlon Brando y incarne le torturé Colonel Kurtz, et les critiques verront un parallèle troublant entre son personnage et sa propre existence, à savoir celle d’un homme solitaire et perdu. Et pourtant… Ces quelques scènes où apparait Brando, le crâne rasé, dans la semi-obscurité, ne font que confirmer l’étendue de son talent unique. Le film est remarquable, certes, mais ce sont ces scènes avec Brando qui resteront à jamais gravées dans la mémoire collective. Car on parle bien de celui qui inspirera plusieurs générations d’acteurs, de James Dean à Johnny Depp, en passant par Paul Newman, Steve Mc Queen, Robert Redford, Al Pacino, Jack Nicholson, Robert de Niro ou Dustin Hoffman…

    En 1943, Marlon Brando intègre par hasard The Actor Studio de New York, et le cours de Lee Strasberg. Sous la houlette de Stella Adler, il se forme à la méthode de Konstantin Stanislavsky, à savoir une nouvelle façon d’approcher les rôles, fondée sur la vérité des sentiments, l’improvisation et l’oubli du scénario originel, pour un approfondissement psychologique du personnage, allant parfois jusqu’à l’excès. Stella Adler déclarait à son sujet : « Marlon n’a jamais réellement eu besoin d’apprendre à jouer. Il savait ».

    En huit années, de « C’était des hommes » (The Men, 1951) à « L’homme à la peau de serpent » (The Fugitive Kind, 1959), Brando marquera d’une empreinte indélébile le cinema mondial, en s’imposant comme l’un des tout meilleurs acteurs de tous les temps, précipitant le déclin de la génération des acteurs shakespeariens comme Laurence Olivier. Au long de cette décennie marquée à son sceau, Marlon Brando sera nommé à cinq reprises pour l’oscar du meilleur acteur, qu’il obtiendra en 1955 pour « Sur les quais » (On The Waterfront, 1954), et il deviendra l’icône de toute une génération avec le rôle de Johnny dans « L’équipée sauvage » (The Wild One, 1953).

    Cette légende, construite dans les années 50, c’est à croire que Brando s’est ensuite évertué à la détruire, et à se détruire lui-même, à petit feu, dans les décennies qui suivirent. En effet, dès le début de sa carrière, Marlon Brando montre déjà le plus profond mépris pour le métier d’acteur, comme pour le star system hollywoodien, ou plus généralement le milieu du cinéma. Il déclarait « Je trouve le métier d’acteur détestable, désagréable ». Ces derniers lui rendirent bien, lassés de son imprévisibilité, de ses caprices, de ses exigences financières astronomiques, comme de ses prises de position souvent cyniques, voire dérangeantes.

    Marlon Brando aura refusé tout au long de sa carrière tellement de rôles, dont certains se seront par la suite avérés être de grands rôles, parmi lesquels Laurence d’Arabie en 1962, tout comme les récompenses qu’il ne daignera pas aller chercher… A commencer par son oscar pour Le Parrain. Embaucher Brando, c’était devenu une réelle gageure pour les réalisateurs, comme les producteurs. Ce lent suicide artistique entamé dans les années 60 sera néanmoins ponctué de quelques chefs d’oeuvre, tels que « Le Parrain » (The Godfather, 1972), « Le dernier tango à Paris » (Ultimo Tango a Parigi, 1972) ou « Apocalypse Now » (1979).

    Redécouvrez absolument les multiples facettes de ce génie torturé, disparu il y a dix ans…

     

     

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    The Chase (1966)

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    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Marlon Brando Official