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  • 1979, l’année qui changea le monde, Episode 04 : « Sugarhill Gang »

     

    [kleo_pin type= »circle » left= »yes » right= » » top= » » bottom= » »]          « FOCUS » : un article de fond sur un thème que nos rédacteurs ont sélectionné.

     

     

    L’année 1979 est définitivement une année-charnière, comme la fin d’un cycle. Elle scelle le sort des dernières utopies. Le monde prend une pelle et enterre à la hâte les cadavres encore fumants de nos illusions perdues. Après 1979, rien ne sera plus vraiment comme avant…

     

    Coincée à la fin d’une décennie qui paraît un peu creuse, durant laquelle les dirigeants politiques semblent manquer de charisme (le pâle Carter face au cowboy médiatique Reagan, VGE après De Gaulle et Pompidou), l’année 1979 n’attire décidément pas les flashes. Et pourtant… Que d’événements considérables ont eu lieu cette année-là, autant de tremblements qui ont marqué la face du monde et dont on ressent encore les répliques quarante ans plus tard.

    Révolution iranienne, arrivée de Saddam Hussein au pouvoir en Irak, début de la Guerre d’Afghanistan qui mènera à la chute de l’URSS et à l’apparition du terrorisme islamiste, second choc pétrolier et crise économique mondiale, paix entre Israël et l’Egypte, fin des Khmers Rouges… Il n’est pas insensé de penser que 1979 a en réalité été l’année la plus importante de l’après-Seconde Guerre Mondiale.

     

    Sorti en 1979, le tube « Rapper’s Delight » de Sugarhill Gang fut le premier tube de l’histoire du rap. Alors coup de génie ou imposture ? Peut-être un peu des deux, mon capitaine…

     

    C’est à eux que le hip-hop doit son immense popularité aujourd’hui. Bien avant que Jay-Z, Snoop Dogg et Kanye West ne débarquent dans nos vies… Et quand, il y a quarante ans, en 1979, ils ont eu la brillante idée d’enregistrer le morceau « Rapper’s Delight », le premier succès rap de l’histoire, The Sugarhill Gang ne se doutait pas une seule seconde qu’il allait propulser le hip-hop, alors un mouvement éphémère local, au rang de phénomène culturel mondial. « J’aurais jamais cru que ça prendrait de telles proportions. À l’époque, on nous décourageait de faire du hip-hop, personne ne respectait ça », explique à l’Agence France-Presse Grandmaster Caz. Ce pionnier est l’un des co-auteurs de « Rapper’s Delight », même s’il n’a jamais été officiellement crédité pour ses paroles.

    Sorti en 1979, ce morceau s’est inscrit dans l’histoire comme le premier tube de rap, permettant au monde entier de découvrir un genre musical nouveau. Surtout, il a permis de graver dans le vinyle cette musique née dans les « block parties » du quartier new-yorkais du South Bronx. « Avoir enregistré en studio est la chose la plus intelligente qu’on pouvait faire pour le hip-hop », se remémore pour l’Agence France-Presse Master Gee, l’un des trois rappeurs de The Sugarhill Gang, interviewé au cours de l’inauguration d’un musée à Washington en janvier. « Commercialement, on était les premiers. C’est comme si on avait marché sur la Lune », explique le rappeur, âgé aujourd’hui de 57 ans.

     

    Tout commence le 6 mars 1979, dans un loft de Manhattan…

    Le soir de son anniversaire, Sylvia Robinson, chanteuse et productrice noire américaine de R’n’B, découvre une musique dont elle ignorait jusqu’à l’existence : le Rap. A cette époque, l’Amérique danse sur les tubes disco de Donna Summer et le Royaume-Uni ne jure que par le « Post Punk » de Police, The Clash ou The Cure. Les rappeurs, eux, se produisent depuis une décennie sur les trottoirs du Bronx et de Harlem, mais personne n’a encore songé à capturer leurs sons. En vingt-quatre heures, flairant le gros coup, Sylvia va monter son label, Sugar Hill Records, et réunir dans un studio trois rappeurs inconnus. Le groupe, baptisé « The Sugarhill Gang », enregistre sur-le-champ une chanson, « Rapper’s Delight », qui deviendra le plus grand tube de l’histoire du rap (15 millions de singles vendus en quinze ans) et lancera cette musique dans le monde entier.

    Retour sur cette nuit de mars 1979 où Sylvia reçoit « un coup de poing en pleine figure ». Ce soir-là, les DJ font scratcher sur les platines les riffs de James Brown. Portés par ces tempos endiablés, des rappeurs prennent tour à tour le micro, improvisant des joutes verbales saccadées. « Ils ont créé l’ambiance extatique d’un choeur de gospel, raconte-t-elle, mais leurs rythmes étaient imprégnés de groove, de blues et de jazz. La foule répondait, chantant aussi énergiquement qu’elle dansait sur le beat ». En rentrant chez elle, Sylvia compose un morceau dont la mélodie, simple mais poignante, s’appuie sur la ligne de basse du célèbre « Good Times » de Chic. Reste à trouver des interprètes…

     

    Mais Sylvia ne connaît aucun rappeur…

    « A l’époque, j’avais 16 ans, se rappelle son fils, Joe Robinson. Je connaissais une pizzeria où travaillait un certain Big Bank Hank, 21 ans, pizzaiolo le jour, rappeur la nuit. J’ai immédiatement emmené ma mère l’auditionner ». Enthousiaste, Big Bank chasse ses clients, ferme sa devanture et commence à rapper dans la voiture de Sylvia. Sur le trottoir, Master Gee, 16 ans, les entend et se lance dans un duel vocal avec Big Bank. Sur ce débarque un troisième rappeur, Wonder Mike, 21 ans. La productrice les conduit dans un studio et recrute six musiciens supplémentaires. Les neuf ne s’étaient jamais rencontrés avant. Le temps d’écouter la composition de Sylvia, et Master Gee attaque : « I said a hip hop the hippie the hippie to the hip hip hop, a you don’t stop… ». Wonder Mike prend le relais : « See, I am Wonder Mike and I like to say hello: to the Black, to the White, the Red and the Brown… ». Les autres enchaînent. Une seule prise suffit : quinze minutes de rap improvisé jusqu’à l’épuisement sur une musique Funky.

    Une semaine plus tard, le single fait un carton. « Tout le monde se demandait d’où venait cette musique étrange : une suite d’onomatopées, de flashs sonores et de mots destinés à frapper l’auditeur », se remémore Joe, qui, depuis 1985, est devenu un membre du groupe. Le public était envoûté et les mots « Rap » et « Hip-Hop » ont envahi le circuit commercial. « Rapper’s Delight » devient ainsi l’hymne du Rap et déferle sur les pistes de danse.

    Toutefois, son accueil dans les milieux du Bronx est moins chaleureux : un soir, un DJ de New York passe le tube dans un club et se retrouve avec un pistolet pointé sur la tempe. « Je te fais exploser la cervelle si tu ne jettes pas cette merde à la poubelle ! », menace ce puriste de la vieille école. Pour lui, Sugarhill Gang ne représente pas l’esprit des pionniers et diffuse des rimes sans contenu. Bambaataa ira jusqu’à dire que cette formation de Noirs se prostitue en imitant les niaiseries des Blancs. Et pourtant, un an après la sortie de ce tube, la première émission radiophonique de rap, « Mr Magic’s Rap Attack », annonce au monde l’arrivée d’un nouveau courant musical…

     

    D’une musique pour draguer les filles…

    « Rapper’s Delight » s’est donc vendu à des millions d’exemplaires à travers le monde et a même eu l’honneur d’être introduit en 2011 à la très prestigieuse Bibliothèque du Congrès à Washington. C’est à quelques minutes de là que s’est ouvert début 2019 un musée éphémère du Hip-Hop, où étaient exposés plusieurs centaines de micros dédicacés, disques de platines, produits dérivés, posters… La parfaite représentation de quarante ans d’histoire, dont les trois acolytes Hen Dogg (décédé depuis), Wonder Mike et Master Gee sont à l’origine. Loin de lui, pourtant, l’idée de marquer la musique quand Master Gee se met derrière un micro à la fin des années 1970. « Je voulais juste avoir un rencard avec une fille ! » rigole-t-il. « J’étais au lycée, je rappais à des fêtes de mon quartier. Je voulais juste me décrire pour m’assurer que les gens sachent qui j’étais ».

    À l’époque, le Hip-Hop est une culture balbutiante dont le Rap est l’expression musicale et qui tourne autour de quatre éléments : la danse, le graffiti, le « MCing » (la manière de rapper) et le « DJing » (la maîtrise des platines). Pour enregistrer « Rapper’s Delight », The Sugarhill Gang se paie donc le luxe de reprendre la célèbre ligne de basse de « Good Times », le tube du groupe de disco Chic, également utilisée en 1980 par Queen dans « Another One Bites the Dust ». « Avant de rapper, j’étais un DJ et le disco était à la mode à l’époque. Il y avait le funk avec des artistes comme Parliament-Funkadelic, Nile Rodgers… On prenait des éléments dans toutes les musiques autour de nous », explique Master Gee.

     

    … à l’émergence d’un rap « conscient »

    À ses débuts, le rap est festif et aborde des thèmes légers, comme la fête, la drague et l’amour de cette musique, médium utilisé par une minorité noire et discriminée pour s’exprimer. « C’était une libération, un nouveau moyen marrant de s’exprimer », rembobine Grandmaster Caz, qui, du haut de ses 57 ans, continue d’arborer avec fierté ses chaînes « bling-bling ». Au musée de Washington, Grandmaster Caz et The Sugarhill Gang se sont produits pour un concert « old school » avec un autre précurseur du genre : Melle Mel. Ce dernier faisait partie du groupe Grandmaster Flash and the Furious Five, qui en 1982 a sorti une autre pierre angulaire du rap : « The Message ».

    Ce morceau est le premier à avoir décrit avec réalisme la vie et la pauvreté dans les ghettos. Un style « conscient » qui a profondément marqué cette musique, souvent vue, notamment en France, comme le moyen d’expression des sans-voix. Et encore une fois, la révolution est arrivée par accident. « Je voulais juste faire quelque chose de différent, pour me démarquer des textes de base », se rappelle Melle Mel, âgé également de 57 ans. « Il s’est avéré que c’était du rap conscient, mais je voulais juste changer de style ». Si Melle Mel estime maintenant que leur chanson est « la plus importante de l’histoire du rap », le pari était loin d’être gagné lors de son enregistrement.

     

    « Personne n’y croyait vraiment. Je ne pensais pas que ça allait être un succès populaire, parce que c’était un morceau sérieux. Le hip-hop était une manière de s’échapper. Les gens voulaient s’amuser. »

     

    La recette a pourtant pris : grâce à ce tube, les membres du groupe sont devenus les premiers artistes Rap à être introduits au Rock and Roll Hall of Fame, panthéon du rock et de la musique populaire américaine, en 2007. « Cela a permis de mettre notre musique au niveau où elle devait être : aux côtés de tous les autres grands genres », ajoute Melle Mel. Et même si les nouveaux artistes du moment ne connaissent pas forcément leur nom et leurs tubes, les pionniers restent confiants quant à l’évolution du Rap. « On n’arrête pas ce qui est inéluctable et on ne tue pas ce qui est immortel. C’est ça le hip-hop », sourit Master Gee.

     

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    [arve url= »https://vimeo.com/182059976″ align= »center » title= »Sugarhill Gang Interview (2016) » maxwidth= »900″ /]

     

    Sources : Le Point / L’ExpressTélérama

     

     

     

  • Philippe Cohen Solal : La naïveté de croire

     

     

    « Il n’y a pas de stratégie, et encore moins de recettes marketing. J’ai juste la naïveté de croire que si un disque est bon, ça va se savoir. Je compte sur la curiosité de chacun ». C’est ainsi qu’est né au milieu des années 90 le label ¡Ya Basta! Records, « en référence au sous-commandant Marcos, bien-sûr, mais aussi pour dire à la scène tek-house qui commençait à ne faire que se copier : ça suffit, passons à autre chose ».

     

    ¡Ya Basta!, un label de qualité fondé par un artiste éclectique, Philippe Cohen Solal, qui avant d’en arriver là, a déjà accumulé bon nombre d’expériences qui ont façonné la curiosité de cet amoureux de musiques. D’abord réalisateur-programmateur, puis animateur sur les fréquences des radios « libérées », il fut pendant trois ans directeur artistique chez Polydor, avant de s’illustrer au tournant des années 90 avec la première vague électronique française, sur la compilation « Paris Union Recording ».

    Après son expérience « pénible » chez Polydor, il le reconnaîtra plus tard, Philippe Cohen Solal profite de cette courte période de transition professionnelle pour vagabonder, flâner à sa guise. C’est ainsi qu’il découvre un jeune artiste, alors totalement inconnu, qui joue devant les terrasses des cafés parisiens, Keziah Jones. Il produit ensuite un album tek-house, « Bass Academy », un projet finalement avorté, qui l’amène à revenir chez Virgin Sound, « pour éponger les dettes »…

     

    « Je suis devenu producteur et éditeur malgré moi. J’ai trop vu de majors saccager les projets des artistes. Si j’avais pu rencontrer la bonne personne, je n’en serai pas là. Un label, ça prend du temps ». La durée, telle sera l’autre fil inducteur de ¡Ya Basta!…

     

    Mais ¡Ya Basta!, c’est aussi et surtout une histoire d’amitié, symbolisée par un Crew, décliné au fil du temps en de multiples identités : Boyz From Brazil, Stereo Action Unlimited, Fruit Of The Loop… C’est d’ailleurs ce qu’évoque la première compilation du label sortie en 2000, « Rue Martel », qui a connu plus qu’un simple succès d’estime, avec son « Hi-Fi Trumpet » qui a tout du classique, même si Philippe Cohen Solal et Christoph H. Müller, musicien venu de la sphère électronique suisse et son alter ego sur la plupart des projets, l’ont bel et bien couché sur le papier.

    Après une poignée de vinyles et une pelletée de remixes, ils publieront d’ailleurs en cette même année 2000 la suite de leurs aventures, intitulée « The Boyz From Brazil », avant que ces deux sculpteurs de sons redécollent leurs oreilles pour le projet Gotan, initié avec le guitariste Eduardo Makaroff, un Argentin installé de longue date à Paris.

     

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    Avec Gotan Project, direction d’autres cieux, plus mélancoliques, du côté de l’Argentine… Quelques maxis et le premier album « La Revancha del Tango » sorti en 2001 suffisent à imposer sur les pistes noires du monde entier l’improbable succès de cet autre « Nuevo Tango » auquel peu croyait au tout début. Depuis, les trois compères ont creusé leur propre sillon, en donnant une suite au projet originel, de moins en moins électronique, de plus en plus cinématique… Avec à la clef un chapelet de chansons qui s’inspirent des compositeurs les plus emblématiques du style portègne, de celles qui font tout le cachet de l’album studio suivant paru en 2006, « Lunático »…

    Et puis en 2010, un « Tango 3.0 » est venu boucler ce triptyque autour de la rénovation du tango, inscrivant sur l’étendue de la Toile internet cette musique que l’on crut du passé. Dépassée ? Tout le contraire, Gotan Project ose avec cet album des rencontres inédites (entre autres avec le son de la Nouvelle-Orléans et la guitare Surf) au cœur du nouveau millénaire, redonnant au Tango sa définition première : un hybride qui n’en finit plus d’étendre ses connexions.

    Quinze ans pour une kyrielle de maxis et divers remixes, mais juste six disques labellisés ¡Ya Basta!. Dix si l’on ajoute ceux de David Walters, un jeune homme à tout faire tout seul, signé sur le label en 2002, celui de Féloche, un drôle de musicien voyageur qui a mis une décennie à fignoler tel un artisan son premier disque, impur choc des cultures qui le place quelque part entre la Louisiane et la banlieue parisienne, et enfin celui d’El Hijo de la Cumbia, le bad boy du nouveau soundclash made in Buenos Aires.

    Certes, le catalogue affiche peu de sorties. Mais ce choix affirme une cohérence, un label de qualité en ces temps de frénésie discographique. Car moins, c’est souvent mieux. « J’ai toujours voulu sortir peu de disques. Juste les bons. Et me donner les moyens de soigner chaque détail, à commencer par l’artwork et le visuel ». C’est aussi cela la marque de fabrique de ¡Ya Basta!. Chaque pochette, le moindre flyer, tous les clips répondent à une exigence esthétique, à des parti-pris en rupture avec les clichés. Une signature spécifique, celle du regard oblique et élégant de la vidéaste et plasticienne Prisca Lobjoy.

     

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    Le sens de ce nécessaire superflu fit la différence de cette entité qui s’épanouit au moment même où la fameuse French Touch explosait les charts de la planète musique. ¡Ya Basta! en fit partie, mais en électron libre. C’est d’ailleurs outre-Manche que le label obtiendra ses premiers soutiens, les plus fidèles et attentifs à leur univers, que l’on ne peut se résoudre à classer dans un registre bien particulier. « J’ai toujours souhaité inclure des musiques du monde entier, sans jamais chercher à faire des fusions du genre World Music ». Le menu de chaque galette se compose ainsi d’une somme d’ingrédients ajoutés avec parcimonie pour concocter une mixture au goût d’inédit. Entre science et mélodie, pour paraphraser l’appellation de leurs Editions, inspirée de William Orbit.

     

    « Chez ¡Ya Basta!, il y a ce souci permanent de composer, et pas simplement de recycler. Nous, on voulait vraiment créer notre propre univers. Gotan Project n’aurait pu être constitué que de reprises. Nous n’en avons fait que quelques-unes, et à chaque fois, il s’agit de repères, et encore assez flous. » 

     

    A l’image du « Chunga’s Revenge » de Frank Zappa convoqué dans le premier opus de Gotan Project… On trouvera d’autres reprises dans l’album  « The Moonshine Sessions », entre une version imparable d’Abba et une vision improbable des Sex Pistols. Encore une galette préparée avec soin, plusieurs années d’allers et retours, de détours aussi. Du bluegrass trempé dans un drôle d’alambic : un bain de jouvence rétrofuturiste. Le futur, parlons-en justement : « Au lieu de vouloir grossir en signant des projets à tout prix, je préfère me concentrer sur quelques projets auxquels je crois vraiment. J’ai envie d’en faire avant tout mon laboratoire d’idées, sans me prendre la tête. Ce qui ne veut pas dire que je ne suis pas ouvert aux collaborations. Bien au contraire ». D’une référence au mouvement zappatiste à une mise en application de la théorie de la décroissance, ¡Ya Basta! a décidément de la suite dans les idées.

     

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    Aujourd’hui, en marge de Gotan Project, Philippe Cohen Solal continue à cultiver son goût immodéré pour les collaborations, notamment avec La Dame Blanche (Yaité Ramos et Baby Lotion). Ils reprennent ensemble la chanson populaire parigote « A Paris » de Francis Lemarque, dans une version Caliente chantée par la cubaine au cigare, qui arpente les scènes internationales depuis plusieurs années en égrénant son Cuban Trap. Ici, le rythme Cumbia avec accordéon et programmation électronique n’en finit pas de rendre un chaleureux et dansant hommage à Paris.

     

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  • « Le Regard de Charles » : Le film d’une vie

     

     

    Au lendemain du premier anniversaire de la mort du chanteur, un film plein de surprises de Marc Di Domenico sort en salle cette semaine : « Le Regard de Charles ». Ce documentaire étonnant réunit des images intimes tournées par Aznavour lui-même entre 1948 et 1982, entrecoupées d’archives télévisuelles rares. 

     

    En 1948, Edith Piaf offre sa première caméra à Charles Aznavour, bien avant que le succès ne lui tombe dessus ; une Paillard, qui ne le quittera plus. Jusqu’en 1982, le chanteur impressionnera des heures de pellicules qui formeront le corpus de son journal filmé. Aznavour filme sa vie et vit comme il filme, pied au plancher, à l’instinct. Partout où il va, sa caméra est là, avec lui, à portée de main. Elle enregistre tout. Les moments de vie, les lieux qu’il traverse, ses amis, ses amours, ses emmerdes…

    Quelques années avant sa mort survenue le 1er octobre 2018, Aznavour dévoile à Marc Di Domenico son trésor : des centaines de bobines, conservées, rangées, à l’abri des regards. Le temps presse… Les deux hommes se lancent alors dans le dérushage de ces films Super 8 et le chanteur décide finalement d’en faire un film, son film.

     

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    « Le Regard de Charles » est monté par thèmes, entre voyages, amours, emmerdes et la magie opère. Aznavour sait filmer, cadrer ; il veut d’abord graver dans le marbre les preuves de sa réussite, comme s’il n’y croyait pas lui-même, puis il se met en scène, confie la caméra à quelqu’un d’autre, partout. Il filme les gens de la rue, ceux qui, comme ses ancêtres, ont connu la misère et l’exil.

     

    « Instinctivement, il place le miroir. Il n’a pas fait de psychanalyse dans sa vie. Mais justement, pour moi, ces images, ce film, cette démarche… On est sur la preuve de l’inconscient. On est dans son esprit. » (Marc Di Domenico, réalisateur)

     

    Le narrateur du « Regard de Charles » n’est autre que l’acteur Romain Duris. Au travers de ses textes et des images d’archives, les spectateurs en apprendront plus sur la vie de Charles Aznavour, de sa relation avec l’Arménie à ses liens avec ses épouses ou même ses enfants. Une manière de prolonger un peu plus les chansons d’un artiste qui a marqué l’histoire de la musique française. « Sans doute là-haut, il sera content de voir qu’il arrive encore à apporter du bonheur aux gens », avoue son fils Misha.

    Sur le tournage du « Taxi pour Tobrouk », Aznavour met sa caméra sur le capot de la jeep et on le voit aux côtés de Lino Ventura. L’été, il filme Françoise Sagan au bord d’une plage, et dans un pas de deux amoureux, il cadre sa femme Ulla qui le filme aussi. « Le Regard de Charles » revient également sur les heures sombres, la mort de son fils, les moments de vanité. Aznavour qui aurait aimé réaliser un film, nous offre celui de sa vie.

     

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    Avec « Le Regard de Charles », c’est un nouveau regard sur Charles Aznavour… par le biais de son propre regard. Celui, à la fois perçant et très humain, qu’il portait sur le monde, la vie, l’amour, sa carrière…

     

    Durant des décennies, Charles Aznavour a fait l’actualité. L’actualité musicale, cinématographique, télévisuelle… et parfois l’actualité tout court. Comme le dit malicieusement la voix de l’acteur Romain Duris au début du documentaire, l’observation ne s’est pas faite à sens unique. « Vous m’avez vu, mais ce que vous ne savez pas, c’est que moi aussi, je vous ai vus… ».

    Dans ce type de film, il faut un narrateur. C’est donc Romain Duris qui a été choisi pour incarner, via son phrasé nerveux, juvénile, direct, le grand Charles. Les textes, qui puisent dans des biographies et interviews, ont été validés par Mischa Aznavour, l’un des fils du chanteur. Ils sonnent très juste, quand on se souvient que Charles Aznavour n’était pas homme à se forcer à enjoliver artificiellement les choses ou à se complaire dans la flagornerie, fût-elle à son propre bénéfice.

    Mais revenons à ce « regard »... Dans ce film fascinant, il est pluriel. Il y a d’abord un regard presque ethnographique, avec ces images en plans larges de voyages en Afrique, en Amérique latine, en Asie… On ressent une volonté de filmer les peuples, les gens, savourant la communication silencieuse enclenchée par le seul regard d’une caméra braquée sur eux. Aznavour le dit dans le documentaire : la misère qu’il percevait en filmant des enfants dans la rue le renvoyait à celle qu’il avait connue durant sa propre jeunesse. Une misère rendue indolore par l’amour que ses parents lui portaient, à lui et à sa sœur Aïda. « On n’avait rien. On avait tout. Je me demande s’ils ont des parents comme ça ».

     

     

     

    Il y a des regards plus intimes encore. Celui, plein d’amitié et d’admiration, porté sur Lino Ventura qu’il a filmé durant le tournage du film « Un Taxi pour Tobrouk ». Enfants, le petit Arménien et le petit Italien vendaient tous les deux des journaux à la criée pour gagner quelques sous. Aznavour nous offre d’autres images, lumineuses, du cinéma d’antan. La beauté de son ami Jean-Pierre Mocky et celle d’Anouk Aimée, captées en marge d’un tournage.

    Il y a le regard amoureux de Charles. Un regard ardent, puis amer, porté sur Évelyne, qui fut sa deuxième épouse, avec laquelle la belle histoire tourna court. Et, bien-sûr, les sublimes images de la femme de sa vie, Ulla, qu’il a épousée en 1967. « Tu ne vois pas mes yeux quand je te filme, ils sont brillants d’émotion », confie le narrateur.

     

     

     

    Il y a le regard de Charles en tant que fils de Mischa et Knar Aznavourian, émigrants arméniens dont il se revendiquait avec autant de fierté que d’émotion contenue. Ce père tant aimé, lui-même artiste, apparaît sur des images personnelles, mais aussi sur d’émouvantes et rares archives de l’ORTF. Et, plus bouleversant encore, il y a le regard de Charles en tant que père. Le père heureux d’une fille aînée, Seda, qu’il a eue avec sa première épouse Micheline, et des trois enfants que lui a donnés Ulla.

    Fait unique dans le documentaire, on l’entend dialoguer avec l’un de ses jeunes fils en même temps qu’il le filme. Mais aussi, le père hanté par la disparition prématurée de son fils Patrick, né d’une liaison dans les années 50, victime d’une overdose à 25 ans. « Je n’en parle pas beaucoup. À chaque fois que j’y pense, la tristesse est infinie et mes yeux pleins de larmes. Il était doux, adorable et secret ».

     

     

     

    Il y a aussi le regard de l’homme sur lui-même, sa carrière, le succès. Un regard d’une sincérité crue, sans complaisance. Presque celui d’un enfant grandi trop vite et qui retourne la caméra contre lui pour vérifier que ce qui lui arrive est bien vrai, que c’est bien lui, le petit Arménien disgracieux sur lequel personne ne misait un kopeck, qui côtoie les grandes stars de son temps… « J’existe. Je me filme, donc j’existe ». Puis le regard de l’homme qui goûte au succès et assume pleinement les plaisirs matériels qui y sont liés. « Je gagne beaucoup d’argent et ne m’en cache pas », assène le narrateur sur des images de piscine luxueuse.

    Il y a enfin les derniers mots du documentaire qui nous sont adressés, et qui nous serrent un peu le cœur quand on se souvient que Charles Aznavour n’a pas eu le temps de voir le résultat de ce travail captivant. Ce livre qui s’est refermé, c’est un peu le nôtre aussi.

    « Le Regard de Charles », un film de Charles Aznavour réalisé par Marc di Domenico, est sorti en salle le 2 octobre 2019, après avoir été projeté en avant-première lors de la clôture du Festival du Film Francophone d’Angoulême le 30 août 2019.

     

    Sources : France Info Culture / France Info

     

     

     

  • Histoire d’un Hit : « Gaby » d’Alain Bashung (1980)

     

     

    Alain Bashung nous quittait le 14 mars 2009. A l’occasion du 10ème anniversaire de sa disparition, de nombreux hommages à son talent et à l’héritage musical qu’il nous laissait lui sont rendus. Revenons aujourd’hui sur l’histoire de l’un de ses plus grands tubes « Gaby Oh! Gaby », sorti en 1980.

     

    C’est l’histoire d’une chanson qui était vouée à n’être que la face B d’un autre single et qui deviendra pourtant l’un des hymnes du rock français des années 80. « Gaby Oh! Gaby », écrite par Boris Bergman, signe également le début des années-succès pour Alain Bashung, alors âgé de 33 ans, lui qui essayait de percer depuis le milieu des années 60 et son premier single sorti en 1966 chez Barclays, « Pourquoi Rêvez-Vous des Etats-Unis ? ».

     

    Reportage : L. Hakim / N. Berthier / M. Savineau

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    De « Max Amphibie » à « Gaby » et ses blagues

    « Gaby Oh! Gaby » devait d’abord s’appeler « Max Amphibie », en référence à Max Amphoux, éditeur des chansons d’Alain Bashung et de son parolier Boris Bergman. Une première maquette fut enregistrée, que l’on peut découvrir sur le coffret « Alain Bashung, Immortel, l’Intégrale 1977-2018 », sorti à l’occasion des dix ans de la disparition du chanteur. Une version moins rock, plus douce. Et surtout sans les paroles rajoutées au dernier moment par Boris Bergman, au départ pour faire une blague à son complice de toujours.

    « Alors à quoi ça sert la frite si t’as pas les moules ? Ça sert à quoi le cochonnet si t’as pas les boules » : deux phrases désuètes et joliment décalées pour faire rire Bashung, comme une sorte de rituel entre eux. « Moi, je rajoutais toujours des bêtises sur les textes » se souvient Boris Bergman. « D’habitude, il éclatait de rire et on recommençait. Mais là, il s’est marré après. La version qui figure sur le disque est donc la première version enregistrée ».

     

    Nouveau souffle

    Avec ces paroles étonnantes et un son inédit, un souffle nouveau s’était définitivement levé sur le rock français. « Ils ont mélangé une espèce d’argot de musiciens avec de l’argot des banlieues. Le texte est complètement surréaliste. Ça donne quelque chose d’incroyable que l’on n’avait jamais entendu », selon Stéphane Deschamps, auteur de « Alain Bashung, sa belle entreprise » (Ed. Hors Collection).

    Une simple private joke devenue un tube intemporel, et qui a surtout permis à Alain Bashung d’accéder à la notoriété et de continuer sa belle et longue carrière. Quelques mois seulement après la sortie de « Gaby Oh! Gaby », le duo Bergman-Bashung frappait de nouveau un grand coup avec « Vertiges de l’Amour ».

     

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  • The Cure, 40 ans de musique et de laque

     

     

    En mai dernier, le tout premier album de The Cure, « Three Imaginary Boys », fêtait son 40ème anniversaire, avec son ambiance post-Punk minimaliste, sa pochette rose bonbon et ses appareils ménagers.

     

    Pour les fans les plus pointus ou les historiens du rock, la rencontre entre les trois membres fondateurs du futur groupe The Cure, Lol Tolhurst, Michael Dempsey et Robert Smith, qui en deviendra le leader charismatique, remonte à 1976. Après plusieurs formations successives aux doux noms de The Group, The Obelisks, Malice ou encore Easy Cure (on se rapproche…), les trois acolytes finirent par arrêter leur choix sur le nom qui leur permettra de traverser quarante années de musique. S’ensuivent des petits concerts ici et là et c’est finalement en 1978 que celui dont la coupe de cheveux fut copiée plus tard par Tim Burton bombarde les maisons de disques avec une maquette composée des quatre premiers titres originaux de The Cure.

    Chris Parry, l’ex-manager des Jam, directeur artistique chez Polydor, souhaite à l’époque fonder son propre label indépendant (Fiction Records). Il perçoit de suite avec The Cure l’opportunité de concrétiser son projet. Cette histoire d’amour et de fidélité durera jusqu’en 2001. Avec l’avènement du mouvement Punk à la toute fin de cette décennie, The Cure commence à s’inventer en se créant enfin une identité propre, tandis que l’Angleterre rentre dans une crise économique durable, implacable, qui laissera sur le carreau un bon nombre de Britanniques.

    Tandis que les Sex Pistols et surtout The Clash se font les nouveaux chantres de l’opposition à la première ministre Margaret Thatcher et à sa politique d’austérité, The Cure, même s’ils surfent dans un premier temps sur cette vague Punk, vont quant à eux privilégier les contenus plus littéraires et poétiques à la basique contestation politique. Et face au marasme général, Robert Smith, qui écrit tous les textes des chansons du groupe, distille plutôt un spleen romantique tout droit sorti des poèmes de Baudelaire ou d’Edgar Allan Poe.

    Tel un message subliminal, le premier single du groupe, « Killing an Arab », dont le thème est emprunté à un texte d’Albert Camus, offre d’ailleurs une lecture à peine voilée du racisme ambiant qui prévaut en Angleterre durant ces années de profonde mutation. Trois ans après leurs débuts dans la petite ville anglaise de Crawley, The Cure font leur toute première apparition télé en décembre 1979 au Théâtre de l’Empire à Paris, dans le cadre de l’émission « Chorus » d’Antoine de Caunes. On notera le pyjama rose du poupon Robert Smith qui n’avait pas encore adopté le fameux look curiste qu’il arborera ensuite.

     

    [arve url= »https://www.dailymotion.com/video/xn3itu » title= »The Cure, First TV appearance (Paris, Dec. 08, 1979) » description= »The Cure Chorus » align= »center » maxwidth= »900″ loop= »no » muted= »no » /]

     

     

    Entretemps, Robert Smith fera quelques vacations en tant que simple guitariste au sein du groupe Siouxsie and The Banshees. Il en gardera dès lors cet esprit Glam-Rock en version dark (eye liner, rouge à lèvres baveux, tenue de corbeau, cheveux crêpés et fixés avec trois tonnes de laque), qui deviendra dans les années 80 une esthétique à part entière baptisée « Gothique », et la silhouette reconnaissable entre toutes de cet enfant-adulte à la mine narquoise originaire de Crawley dans le Sussex.

    Pour l’adolescent français tout juste sorti de l’enfance, The Cure s’impose ainsi comme une expérience sensorielle, vestimentaire et intellectuelle ; une empreinte qui façonnera durablement son ADN, avec une approche particulière du monde qui l’entoure, cette manière diffuse d’entretenir la flamme d’une éternelle mélancolie et ce grand écart entre réalité et imagination morbide.

    Pour toutes ces raisons, The Cure deviendra le groupe qui sous-tendra le mieux les doutes existentiels qui peuvent naturellement traverser cette période-clé chez l’adolescent, avant qu’il ne devienne un homme, un vrai… ou pas… En recherche permanente de repères et de modèles à singer, le jeune bien souvent en lutte avec l’autorité parentale et le monde qui l’entoure, se choisit alors cette panoplie et la posture qui va avec.

     

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    Et ça n’est pas avec le premier album « Three Imaginary Boys », ni même avec sa réédition agrémentée du premier single et futur classique du groupe, « Boys Don’t Cry », que la métamorphose se produit. Car tout est question de timing… Non, c’est surtout avec la trilogie sortie entre 1980 et 1982, « Seventeen Seconds », « Faith » et « Pornography », (les) trois (meilleurs) albums, peut-être un peu (ou sûrement) sous influence des quatre groupes majeurs de l’époque que sont Joy Division, Sisters of Mercy, Bauhaus et Killing Joke, que The Cure prend véritablement son envol pour devenir le groupe représentatif des errements de cette génération tiraillée entre la musique Punk qu’elle juge un peu trop violente à son goût, du Rock FM lavasse et du Funk joyeux et sautillant.

    Mais les influences et les citations, qu’elles soient en musique, au cinéma ou dans tout autre domaine artistique, sont des volutes et des boucles… Aujourd’hui, rétrospectivement, The Cure doit en effet en partie son son aux groupes cités plus haut, comme inversement d’autres groupes tels que The Smashing Pumpkins, Placebo ou plus récemment The XX se sont par la suite grandement goinfrés des accords et des tonalités du groupe toujours en noir.

    A commencer par ce fameux son de basse utilisé par toutes ces formations, comme un poids, une ombre, une menace latente qui revient sans cesse sur tous leurs morceaux et qui ici est distillé par le guitariste Simon Gallup, comme un poison moelleux ; une gravité, une mélancolie qui vous ensorcelle et qui sera la signature de The Cure pendant plusieurs années. On appellera ce nouveau genre musical la « Cold Wave ».

    Rester dans sa chambre des après-midi d’automne et d’hiver entiers, avec en fond musical « A Forest », « Secrets », « The Hanging Garden » ou « Primary », s’avérait être une expérience immersive assez saisissante. Le son lourd et amniotique qui vous enveloppait, la voix douce et lointaine de Robert Smith, caressante, qui accompagnait ces mélodies lancinantes et dépressives.

     

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    Avec le recul, la filiation entre le premier album « Three Imaginary Boys » sorti en 1979, qui s’inscrivait encore dans cette mouvance post-Punk, et ce que le groupe allait proposer par la suite, ne semblait pas si évidente que cela. Et même si, au premier abord, « Seventeen Seconds » fût difficile d’accès, il finit par trouver son public et ses fans. « Faith », enregistré dans la foulée, poussait plus loin encore les frontières de cet univers musical glacial et déprimant à souhait. Quant au troisième volet de la trilogie, « Pornography », il devait parachever l’oeuvre, avec ses batteries lourdes et martiales, ses textes morbides, cauchemardesques, et toujours ce son de basse qui vous enveloppe autant qu’il vous étrangle. De tous les groupes de l’époque, malgré ses spécificités, The Cure est celui qui va marquer le plus l’inconscient collectif.

    Alors, comme souvent, après une ascension à ce point fulgurante, The Cure va connaître ensuite une période plus décousue. Peut-être que Robert Smith ne souhaite pas non plus être enfermé dans un genre ; probablement pressent-il que ce succès si rapide risque de le condamner pour l’éternité à ces ambiances atmosphériques et quasi expérimentales. Toujours est-il que les fans de la première heure sont assez déconcertés à l’écoute des singles qui vont suivre…

    Tout en voulant goûter de nouveau à d’autres influences, Robert Smith opte pour le tout synthétiseur avec « Let’s Go to Bed », « The Walk » ou encore une heureuse anomalie et le son jazzy barré de « Love Cats ». Nous entrons en effet à ce moment précis en pleine révolution électronique, avec Depeche Mode, Soft Cell, Visage, XTC, New Order, Anne Clark, OMD, Ultravox, The Human League et bien d’autres groupes émergeants de l’époque.

     

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    En 1984, The Cure sort enfin un véritable nouvel album, psychédélique et déroutant : « The Top ». Plusieurs directions et autant de styles abordés. Mais une fois encore, pour les aficionados, cette livraison ne fait pas l’unanimité. Mis à part « The Caterpillar », « Birdmad Girl » ou peut-être « Shake Dog Shake », les autres morceaux du 33 tours nous laissent quelque peu dubitatifs. Le succès est relatif et les critiques musicaux restent sur leur faim. Mais Robert Smith ne se résigne pas et continue à chercher la recette gagnante. Il veut remporter le jackpot avec un album qui plaira au plus grand nombre.

    Deux ans plus tard, l’album « The Head On The Door » et ses tubes planétaires « In Between Days » et « Close To Me » déferlent sur toutes les radios. A l’heure du tout clip vidéo, chaque chanteur, chaque groupe, se doit d’avoir son clip pour illustrer et soutenir les ventes de disques. Celui réalisé pour « In Between Days » va marquer les esprits durablement. Le réalisateur Tim Pope deviendra d’ailleurs le directeur artistique attitré du groupe, affichant une liste impressionnante de clips produits entre 1982 et 1997. Dépositaire du style, il saura parfaitement retranscrire en image l’esprit de The Cure, comme une marque déposée doublée d’un concept fort.

     

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    The Cure entre ainsi dans la cour des grands. On les voit partout, en particulier en France, jusque chez Michel Drucker le samedi soir dans son émission de variétés Champs Elysées. Un succès cependant à double tranchant, car les fans de la première heure ne s’y reconnaissent plus du tout ; ce qui faisait le sel du groupe, son identité… Et ils n’aiment pas cette façon qu’a Robert Smith de se diluer pour essayer de plaire au plus grand nombre. The Cure perd certes une partie de ses fans parmi les plus radicaux, mais en conquiert quatre fois plus par ailleurs. The Cure devient mondialement connu…

    Là encore, l’album « The Head On The Door » n’est pas désagréable et l’on y retrouve parfois un peu de l’esprit sombre et dépressif des débuts, avec notamment deux morceaux, « A Night Like This » et « Sinking » qui clôt l’album. Mais les deux véritables tubes n’ont quant à eux rien de déprimant, et c’est probablement pour cette raison qu’ils deviennent de tels monuments. Ils s’inscrivent plutôt dans un registre Pop-Folk et même si les textes ne sont pas très portés sur la gaudriole, on sent que le divorce est désormais consommé avec leur première période musicale.

    Fort de cet énorme succès, The Cure publie son septième opus en 1987, « Kiss Me Kiss Me Kiss Me », un double album qui propulse définitivement le groupe en orbite, en se voulant encore plus gros et plus fort que le précédent, qui avait pourtant ouvert la voie à tous les records… Mais cette fois-ci, cette nouvelle salve de chansons fait l’effet d’un gavage d’oie. Les concerts qui vont suivre la sortie des deux singles qui seront eux aussi des tubes (« Why Can’t I Be You » et « Just Like Heaven », un morceau intégralement instrumental) se joueront cette fois dans des stades, à l’instar de Depeche Mode, INXS ou U2, ces groupes qui cartonnent à la fin de ces années 80.

     

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    The Cure est au firmament, à son apogée, en proposant une musique plus variée que jamais ; un son Rock et Folk qui enterre définitivement les ambiances Cold Wave des débuts. Pourtant, en 1989, prenant tout le monde à revers et surtout les fans de la première heure qui n’y croyaient plus, arrive « Disintegration ». De tous les albums confondus, Robert Smith tient enfin son chef d’œuvre absolu… Le disque qui réconcilie les anciennes et les nouvelles influences. Un album dense, puissant, sombre et magnifique, où chaque morceau est un diamant noir ciselé, aux multiples facettes.

    Sous ses abords rutilants de magnifique production promise au succès facile, se cachent dans « Disintegration », en deuxième écoute, des mélodies entêtantes et précieuses. Et hormis les tubes que l’on entend sans cesse sur les ondes (« Lullaby », « Fascination Street » et « Lovesong »), toutes les chansons s’avèrent essentielles à cet édifice grandiose, qui forme une cathédrale élevée à la gloire de Robert Smith et de la contre-culture. L’album dont rêvaient tous les admirateurs depuis « Pornography ». On retrouve d’ailleurs ce son lourd et ces guitares qui pleurent, comme la pluie battante.

    En cette année 1989 qui marque l’avènement des sons électroniques et de l’Acid House, il faut reconnaître que le pari de prendre le contre-pied des tendances émergeantes en revenant ainsi à ses fondamentaux, après dix années d’exposition et de succès, pouvait paraître quelque peu osé. Mais le pari de reprendre l’expérience Cold Wave laissée en friche sept ans plus tôt s’avère payant, car écouter à fond les douze morceaux qui composent « Disintegration », c’est sentir un vent puissant et mélancolique souffler dans les cheveux. Nous revoilà donc adolescents…

     

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    L’album qui suivra en 1992, « Wish », semble vouloir garder le même cap que son prédécesseur. Les dix morceaux qui le composent sont cependant moins inspirés et on sent bien que Robert Smith peine à réitérer le même exploit. Nous rêvions tous en secret d’une nouvelle trilogie mais le miracle n’aura pas lieu. Certes, « High » ressortira de l’ensemble mais hélas, le reste évoque plus le pot pourri que le disque qui marquera les esprits. Même si « Wish » est à ce jour, en terme de ventes, le plus gros succès national et international de The Cure, en se plaçant pour la toute première fois de l’histoire du groupe numéro 1 des charts en Angleterre, la fée de l’inspiration semble cette fois-ci bel et bien envolée…

    « Wild Mood Swings », le nouvel album qui sort quatre ans plus tard ne parviendra pas non plus à nous réveiller de notre profonde léthargie. Après des tensions au sein du groupe, des procès et des portes qui claquent, Robert Smith tente d’intégrer d’autres musiciens à ce nouveau projet. Le résultat final n’est que chansons banales, rythme général décousu, sans aucune ligne réelle qui pourrait donner de la cohérence à l’ensemble.

    En 2000, Robert Smith, toujours accroché à la barre du vaisseau contre vents et marées, sort « Bloodflowers » et tente une nouvelle fois de rééditer le miracle « Disintegration ». C’est peine perdue. L’album s’écoute sans que l’on ne retienne un seul des morceaux qui le composent. Il en ressort une énième redite paresseuse et l’on ne croit plus à cette mélancolie d’adolescent blafard ; indigeste et tout au plus bourratif.

    On aurait pu penser avec l’album éponyme « The Cure » sorti en 2004 qu’enfin, les compteurs allaient être remis à zéro et que nous allions assister à une vraie renaissance. Robert Smith & Co nous proposent cette fois-ci un album plus sec, moins produit et plus rock. Des riffs de guitare tonitruants pour des chansons paradoxalement sans véritable force… On n’y ressent ni la ferveur d’antan, ni le renouveau escompté, voire espéré. C’est comme si le logiciel « The Cure » avait été installé dans votre esprit et qu’il devait désormais en théorie façonner à l’infini les mêmes morceaux, même si dans la pratique, on s’éloignait de plus en plus de l’univers originel du groupe.

    Le dernier album paru à ce jour s’intitule « 4 :13 Dream ». Nous sommes en 2008, à savoir presque trente ans après la sortie de la graine originelle, « Three Imaginary Boys ». Tout ce qui pouvait nous ramener à ce qu’était The Cure vingt ans plus tôt n’est plus que vain espoir. On cherche sur chacun des morceaux ce qui pourrait ressembler à du Cure d’avant, neuf et débarrassé de tous les tics encombrants.

    Et pour la première fois, il faut se rendre à l’évidence : il est difficilement envisageable de parvenir à écouter les treize morceaux d’une seule traite, tant l’expérience est douloureuse pour les oreilles. Pathétiques ritournelles qui semblent encore avoir été créées par des algorithmes piochant ici et là dans la discographie du groupe, entre envolées pop, solos de guitare reconnaissables ou encore la façon de chanter de son leader. Tout sonne faux. Tout tourne à vide.

    Au point que certains en oublient que Robert Smith est un grand guitariste et un immense artiste, probablement un des musiciens parmi les plus influents du 20ème Siècle, qui a aussi consacré des Debussy, Rachmaninov, Ravel, Satie, Messiaen, Chostakovitch, Prokofiev, Bernstein, Riley, Cage, Villa-lobos, Morricone et bien d’autres encore. Conféré son passage télé chez Ardisson en juillet 2003, quand une bande d’idiots semblent ne pas avoir conscience qu’ils sont face à un artiste majeur, à l’immense culture et à la sensibilité exacerbée. On peut comprendre que Smith ait souvent fui les plateaux télé pour privilégier la scène, là où tout est vrai…

     

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    Depuis 2009, The Cure, réduit désormais à trois membres, se contente donc d’écumer les festivals à travers le monde. Sa popularité est pourtant restée intacte, malgré les errements artistiques des vingt dernières années. Robert Smith se cantonne à reprendre indéfiniment ses standards, en surfant depuis dix ans sur la vague de la nostalgie en tube. Tous les vieux dinosaures n’ont d’ailleurs jamais autant tourné dans ces festivals. Et chaque année, on ressort de son bocal telle ou telle célébrité d’un autre siècle…

    Quel étrange paradoxe, qui d’un côté montre l’accélération exponentielle de la technologie et des rapports froids et déshumanisés qui l’illustrent, et de l’autre, inversement, cette course effrénée à la nostalgie et au passéisme, où l’on n’a de cesse que de convoquer les fantômes et divers motifs d’antan. Que ce soit pour la musique ou pour le cinéma, du reste… Toutes ces vieilles badernes ont décidément encore de beaux jours devant elles, à ressasser leurs vieux titres ou se contenter comme Depeche Mode de continuer à enregistrer des disques ineptes, tandis que leurs concerts ne reposent pratiquement plus que sur leurs gloires passées.

    Alors, dans un futur plus ou moins proche, Robert Smith tentera-t-il une nouvelle fois de franchir le Rubicon en poussant la porte d’un studio d’enregistrement. ll sait au fond de lui que malgré l’érosion du temps, l’attente est restée intacte, pour les vieux fans de la première heure que nous sommes restés, qui passent toujours en boucle chez eux les morceaux qui ont tant compté pour eux, quand ils avaient 13 ans, qu’ils étaient dans leur chambre et qu’il pleuvait dehors…

     

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  • Boulevard du Temple, Paris (1838) by Daguerre

     

     

    Cette photo d’une rue à première vue déserte est un morceau d’histoire de la photographie. On la doit à Louis-Jacques-Mandé Daguerre, l’un des pionniers de la discipline. Il s’agit de l’une des toutes premières photos du monde. Et plus précisément, d’un daguerréotype, une plaque de cuivre, polie comme un miroir et recouverte d’une couche d’argent.

     

    Nous sommes Boulevard du Temple, à Paris. Il est environ 08h00, par un beau matin ensoleillé d’avril ou mai 1838. L’image, d’environ 13 x 16 cm, a été prise depuis la fenêtre de l’atelier de l’artiste, au 5 rue des Marais, à proximité de l’actuelle place de la République.

    Si cette photo est admirable, c’est parce qu’il s’agit probablement de « la première photographie de l’histoire où figurent des êtres humains », selon l’historien Larry J. Schaaf, auteur d’un article publié dans l’ouvrage collectif « Tout sur la photo, Panorama des mouvements et des chefs d’œuvre » (paru chez Flammarion en 2012).

    A première vue, la rue semble déserte. Mais si l’on y regarde de plus près, on aperçoit des passants, et même des voitures et des charrettes qui se pressent ce matin-là sur le boulevard. Malheureusement, le procédé du daguerréotype nécessite un temps de pose d’une durée de 7 à 20 minutes. Ce qui réduit en l’occurrence la foule « à l’état de fantômes », comme le résume Larry J. Schaaf. Et regardez de plus près encore… Un homme est bien visible, en bas, à gauche de l’image. Vous l’avez ?

     

     

     

    Cet homme, la jambe levée, se fait en réalité cirer les bottes ou les souliers par un second personnage, plus petit. Peut-être un enfant. « Ces personnages, immobiles par nécessité, ont sans le savoir pris la pose pendant plusieurs minutes, alors que la foule des passants est trop mouvante pour que son image puisse être capturée par l’appareil », explique Françoise Ravelle, dans « Paris vu par les pionniers de la photo » (Parigramme).

     

    « C’est involontaire. C’est un sujet imprévu qui apparaît. Et c’est contraire à la production même des images de l’époque où quand on représente un sujet, c’est forcément volontaire, que cela soit dans la peinture ou la sculpture. La photo du boulevard du Temple est en cela très emblématique de l’art de la photographie. » (André Gunthert, le rédacteur en chef de la revue « Etudes Photographiques »)

     

    Cette fascination pour ce premier « photobomb » de l’histoire de la photo n’est pas récente. Dès 1839, Samuel Morse, l’inventeur du télégraphe, à qui Louis Daguerre a montré la photo, est complètement subjugué. Dans une « Lettre de Paris » publiée en avril 1839 dans le « New York Times », il écrit :

     

    « Les objets en mouvement ne s’impressionnent pas. Le boulevard, si constamment rempli d’une cohue mouvante de piétons et de voitures, était parfaitement désert, à l’exception d’un individu qui était en train de faire cirer ses bottes. Bien entendu, ses pieds durent rester immobiles pendant un moment, l’un posé sur la boîte du cireur, l’autre sur le sol. En conséquence, ses bottes et ses jambes ont été bien définies, mais il n’a ni corps ni tête, car ceux-ci étaient en mouvement. »

     

    Précisons ici que l’image que nous connaissons n’est qu’une copie de mauvaise qualité. Le cliché vu par Samuel Morse était beaucoup moins contrasté, tout en nuances de gris. Alors que l’image actuelle ressemble presque à une photocopie, sur laquelle l’homme apparaît paradoxalement plus nettement.

     

    D’autres personnages ?

    La photo du boulevard du Temple fut offerte à Louis Ier de Bavière, au sein d’un triptyque également composé d’une photo de statues et d’un second cliché du boulevard du Temple, pris celui-ci à midi, sans qu’aucun personnage ne se soit arrêté suffisamment longtemps pour apparaître sur l’image.

     

     

     

    Le daguerréotype, exposé à Munich dès le mois d’octobre 1839, survécut au bombardement de la ville durant la Seconde Guerre Mondiale mais fut presque entièrement décapé… lors d’une tentative de nettoyage, vers 1960, raconte Larry J. Schaaf. Heureusement, un négatif de l’image avait été réalisé en 1937 et une copie du daguerréotype fut recréée en 1979. Laquelle est depuis de nouveau exposée à Munich.

    En 2010, l’article d’un journaliste américain a fait resurgir la photo sur le devant de la scène. Ce journaliste scientifique de la radio publique américaine NPR, Robert Krulwich, avait en effet consacré un article à une photo prise à Cincinnati en 1848, qu’il pensait être la plus ancienne photo d’un être humain. Un lecteur avisé lui a toutefois signalé l’existence de la photo de Louis Daguerre, plus vieille de 10 ans, à laquelle le journaliste a donc également consacré un article, relayé par Slate.fr à l’époque.

    Poussé par la curiosité, un autre lecteur de Robert Krulwich, Charles Leo, analyse l’image plus en profondeur, la « nettoie » pour révéler plus de détails, avant d’en faire une version colorisée et annotée. Publié sur son blog, le travail de cet amateur, patron d’une entreprise spécialisée dans les illustrations en 3D d’architecture, auquel les internautes sont invités à collaborer, permet de révéler que l’homme qui se fait cirer les bottes et son cireur ne sont pas seuls sur la photo. Au total, une petite dizaine de personnes seraient même visibles sur le cliché, si on en croit Charles Leo.

     

     

     

    A commencer par une ou deux personnes, assises sur un banc à droite, mais également deux ou trois personnes sur le trottoir de gauche, dont un jeune enfant avec un chien. Il croit aussi distinguer une calèche sur la route, ainsi qu’un chat ou un enfant à une fenêtre. Il fait par ailleurs l’hypothèse que l’homme dont on dit qu’il se fait cirer les chaussures pourrait en réalité être en train d’actionner une pompe à eau, comme l’attesteraient les deux formes rondes, des seaux, à côté de lui.

    Une théorie qui n’est pas privilégiée par les spécialistes de Daguerre, pour qui c’est un jeune arbre, placé juste devant le cireur de chaussures qui prêterait à confusion. Quant aux formes rondes, peu de chance qu’il s’agisse de seaux, car elles sont également présentes sur l’autre photo du boulevard présente dans le triptyque. Or cette fois, aucun personnage ne se trouve à côté d’eux.

     

     

     

    Encore un détail : à quelle saison la photo a-t-elle été prise ? Etant donné la présence d’arbres dénudés et garnis côte à côte, Charles Leo envisage que la photo ait été prise à l’automne. Raté ! On l’a vu, c’est en réalité au printemps que le cliché a été réalisé. Un des contributeurs du projet croit par ailleurs déduire de la longueur des ombres des arbres et de leur direction que la photo a été prise entre 3 et 4 heures de l’après-midi.

    Reste qu’un détail a échappé à ce lecteur attentif : les daguerréotypes prennent des photos… en miroir ! Voilà donc la vue que Daguerre avait en réalité de la fenêtre de chez lui… Les ombres partent donc vers l’ouest et nous sommes bien le matin, autour de 08 heures.

     

     

     

    Une photo pionnière, mais peut-être pas « la première »

    L’histoire de la photo du boulevard du Temple est magnifique. Mais la légende semble un peu trop belle pour être totalement vraie. Le cliché a en effet peu de chance d’être réellement la première photo sur laquelle figure un être humain. Car même en mettant de côté les revendications de divers inventeurs de l’époque (comme celle du Français Hippolyte Bayard, qui assure avoir réalisé des autoportraits dès 1837), dont les œuvres ne sont malheureusement pas parvenues jusqu’à nous, plusieurs photos pourraient bien détrôner le boulevard du Temple dans ce « concours ». Mais elles sont cependant toutes attribuées à Daguerre…

     

     

     

    C’est une petite image de 5,8 cm sur 4,5 cm. Un petit miroir aux tons laiteux qui tient dans le creux de la main. Mais pour son possesseur, « c’est le Saint-Suaire photographique ». Vers la fin des années 80, le marchand d’art et expert Marc Pagneux achète cette image au marché aux puces de Vanves. Au dos du cadre, une inscription : « M. Huet, 1837 ». On distingue également les premières lettres de la signature de Daguerre.

    La date est surprenante, voire problématique : personne ne pensait jusqu’alors que quiconque ait pu fixer le moindre portrait avant les années 1840, le temps de pose étant beaucoup trop long. Personne n’était par ailleurs capable de retracer le parcours de la photo l’ayant conduite de Daguerre aux puces de Vanves.

     

     

     

    Pourtant, Jacques Roquencourt, très certainement le plus grand spécialiste de Daguerre, et André Gunthert, le rédacteur en chef de la revue « Etudes Photographiques », dans laquelle est révélée, en 1998, l’existence de cette pièce incroyable, sont convaincus qu’il s’agit bien d’un portrait réalisé par Daguerre lui-même, avant le boulevard du Temple.

    Ils s’appuient pour cela sur plusieurs éléments : une lettre de Daguerre à Isidore Niépce, datée du 17 janvier 1838, dans laquelle il affirme avoir réalisé des essais de portraits « dont un est assez bien réussi » ; l’aspect matériel de l’objet, qui rappelle celui des autres exemples d’essais connus et datés de l’inventeur et enfin des reconstitutions procédurales effectuées par Jacques Roquencourt, dans les conditions du procédé de Louis Daguerre et avec un objectif similaire à celui de l’inventeur du daguerréotype.

     

    « Il y a très peu d’humains sur les daguerréotypes de Daguerre. Qui aurait alors eu l’idée d’inscrire une date pareille sur un daguerréotype ? Ce n’est pas crédible. Personne d’autre que Daguerre n’a pu écrire une telle date. Je reste donc persuadé que le portrait de M. Huet est un candidat crédible au titre de première photo d’un être humain ! » (André Gunthert)

     

    Dès la fin des années 1990, Marc Pagneux est donc convaincu de détenir la première photo au monde d’un être humain. Un bien inestimable. « Ce portrait a trop de valeur pour qu’on puisse se permettre une estimation. Une image comme ça, c’est un patrimoine national », explique-t-il à l’époque… avant que la photo ne se retrouve, une dizaine d’années plus tard, à une vente aux enchères chez Pierre Bergé & Associés, estimée entre 600.000 et 800.000 euros. Où elle ne trouvera même pas preneur !

    La découverte aurait dû révolutionner l’histoire de la photo, mais les collectionneurs et les historiens semblent bouder le fameux « Saint Suaire photographique », qui n’est jamais cité comme pouvant être la première photo d’un être humain. Pourquoi ? Pour André Gunthert, c’est peut-être dû à la personnalité controversée du propriétaire, après des rumeurs le concernant.

     

     

     

    André Gunthert nous met également sur la piste d’un autre portrait, de 6,8 x 5,3 cm, détenu par la Bibliothèque Nationale de France. Non daté officiellement, il est attribué à Daguerre, en raison d’une signature de Daguerre gravée sur la plaque au recto. Il pourrait lui aussi dater des essais de 1837.

    Au dos de celui-ci, un autographe, signé par le photographe Paul Nadar, en 1926 : « J’ai acheté le présent daguerréotype provenant d’un ancien photographe qui le tenait de son père, ami paraît-il de Daguerre […]. Il n’y a pas lieu de douter de l’authenticité de la signature de Daguerre qui s’identifie parfaitement avec d’autres bien connues. Cette plaque oxydée sur les bords compte parmi les premières de Daguerre ».

    Un autre portrait mal connu de Daguerre ? Notre surprise est totale. Mais André Gunthert émet une hypothèse…

     

    « Je l’analyserais comme une dissimulation volontaire de Daguerre. Car en 1839, il abandonne ses droits de propriété. Il pensait sans doute pouvoir encore améliorer ses productions de portraits, pour pouvoir vendre son procédé après. » 

     

    Les daguerréotypes vendus par Giroux ne permettent en effet pas de faire de portrait. L’objectif n’est bon que pour les paysages. Mais Daguerre, lui, possédait justement un autre objectif, de plus courte focale…

     

     

     

    Dernier candidat crédible à la première photo d’un être humain : ce troisième daguerréotype, toujours de Louis Daguerre, en collaboration avec Mathurin-Joseph Fordos. Vous les avez remarqués ? Ces ouvriers ou vagabonds, allongés contre la grille, à l’ombre de cette statue d’Henri IV ?

    L’oeuvre est détenue par le Musée des Arts et Métiers, qui date sa réalisation… entre 1836 et 1839. Ce qui est extrêmement vague. Mais, sur son verso, figure un autographe de Fernand Langlé, du 1er février 1879 : « Cette plaque représentant une vue du Pont-Neuf, est le premier daguerréotype tenté en plein air. Il a été exécuté par Daguerre et Fordos, en collaboration scientifique expérimentale, et conservé par ce dernier. Après sa mort, il m’a été donné, comme souvenir de lui, par Mme Vve Fordos ».

    Un premier daguerréotype en plein air, que nos deux spécialistes datent donc, en s’appuyant sur des écrits de Daguerre… entre 1837 et 1838. Probablement, donc, quelques mois avant le boulevard du Temple.

     

    Article de Renaud Février pour L’Obs

     

     

     

  • 1979, l’année qui changea le monde, Episode 03 : « Moi, Christiane F. »

     

    [kleo_pin type= »circle » left= »yes » right= » » top= » » bottom= » »]          « FOCUS » : un article de fond sur un thème que nos rédacteurs ont sélectionné.

     

     

    L’année 1979 est définitivement une année-charnière, comme la fin d’un cycle. Elle scelle le sort des dernières utopies. Le monde prend une pelle et enterre à la hâte les cadavres encore fumants de nos illusions perdues. Après 1979, rien ne sera plus vraiment comme avant…

     

    Coincée à la fin d’une décennie qui paraît un peu creuse, durant laquelle les dirigeants politiques semblent manquer de charisme (le pâle Carter face au cowboy médiatique Reagan, VGE après De Gaulle et Pompidou), l’année 1979 n’attire décidément pas les flashes. Et pourtant… Que d’événements considérables ont eu lieu cette année-là, autant de tremblements qui ont marqué la face du monde et dont on ressent encore les répliques quarante ans plus tard.

    Révolution iranienne, arrivée de Saddam Hussein au pouvoir en Irak, début de la Guerre d’Afghanistan qui mènera à la chute de l’URSS et à l’apparition du terrorisme islamiste, second choc pétrolier et crise économique mondiale, paix entre Israël et l’Egypte, fin des Khmers Rouges… Il n’est pas insensé de penser que 1979 a en réalité été l’année la plus importante de l’après-Seconde Guerre Mondiale.

     

    En 1979, Christiane Felscherinow racontait sa descente aux enfers dans « Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée… ». Le livre, adapté au cinéma en 1981, est devenu un best-seller et continue encore aujourd’hui à se vendre en librairie. 

     

    Dix ans après Woodstock et à la fin de cette décennie des années 70 qui avait salement douché les derniers espoirs des baby boomers, le monde était de nouveau confronté à la dure réalité des événements, bien loin des rêves d’amour et de paix partagés par la génération précédente de petits bourgeois citadins préservés des guerres et des crises qu’avaient pu connaître leurs parents.

    En 1979, le livre avait fait l’effet d’une bombe. « Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée… » racontait l’adolescence de Christiane Felscherinow, jeune SDF allemande rencontrée par les journalistes Kai Hermann et Horst Rieck, qui ont écrit cette histoire suite aux nombreux entretiens qu’ils ont pu avoir avec elle. Cet ouvrage avait ouvert les yeux de toute une génération sur les problèmes de la drogue et de la prostitution, mais plus largement sur le désespoir des jeunes. Écoulé à près de cinq millions d’exemplaires et traduit dans une vingtaine de langues (parution en Français en 1981), ce livre est devenu un best-seller qui continue à se vendre aujourd’hui.

    Ce qui devait être une simple mise en garde tourne tragiquement à l’inspiration malsaine, entre drogue et prostitution, sur fond de mouvement Punk. L’héroïne du roman autobiographique allemand « Moi Christiane F. » devient rapidement un modèle. La vie de l’auteure inspire toute une génération qui imitera ses déboires jusqu’à inquiéter les autorités allemandes.

     

    « Ce livre terrible a connu un retentissement considérable en France et dans toute l’Europe. Ce que raconte cette jeune fille sensible et intelligente qui se prostitue à la sortie de l’école pour payer sa dose quotidienne d’héroïne et la confession douloureuse de la mère font de Christiane F. un livre sans exemple. Il nous apprend beaucoup de choses, non seulement sur la drogue et le désespoir, mais aussi sur la détérioration du monde d’aujourd’hui. »

     

    En 1981 sort au cinéma l’adaptation du roman-témoignage, conçu à l’origine pour être publié sous la forme d’article dans les colonnes du magazine Stern. Berlin la Mythique nous y révélait ses traits les plus sombres et le film nous dépeignait cette jeunesse souterraine vivant nuit et jour aux alentours de la station de métro du Zoo. On se souvient évidemment de « Christiane F. », la bande originale de David Bowie, regroupant des titres déjà parus sur les albums précédents du chanteur, en particulier ceux de sa période berlinoise, « Heroes » (1977) et « Lodger » (1979), et les chansons « TVC 15 » et « Stay » qui y figurent dans leurs versions raccourcies parues à l’origine en 45 tours.

     

    [youtube id= »oXjV-Yuwj3w » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    La nouvelle vie de l’auteure de « Moi, Christiane F. »

     

    En 2013, trente-quatre ans après la première publication de « Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée… », paraissait « Moi, Christiane F., la vie malgré tout », la suite du célèbre témoignage devenu culte. Christiane Felscherinow s’y confiait à la journaliste Sonja Vukovic. Elle racontait notamment comment elle fut rattrapée par ses démons. A 21 ans, après cinq ans d’abstinence, la jeune femme reprenait de l’héroïne…

     

    « C’est ce jour, il y a cet Africain qui a sonné à la porte de notre colocation à Hambourg… Il voulait qu’on stocke des paquets… Et il n’est jamais revenu, il a dû se faire arrêter… Alors voilà, il y avait ces cartons dans le grenier, et je sentais, je devinais ce qu’il y avait dedans », raconte-t-elle à « M le Magazine du Monde ».

     

    A 33 ans, l’Allemande donna naissance à son premier enfant, un petit garçon prénommé Philip. Mais toujours à cause de la drogue, elle en perdra la garde. Aujourd’hui, Christiane suit toujours un traitement de substitution à la méthadone et son corps souffre encore des séquelles de son addiction. Elle est atteinte d’une hépatite C et d’une cirrhose du foie…

     

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  • Strip Steve : En toute discrétion

     

     

    Derrière « Strip Steve » se cache un jeune Dj producteur d’origine bordelaise, Théo Pozoga. Expatrié à Berlin et affilié depuis ses débuts au label Boysnoize Records, l’artiste français cultive la rareté et la discrétion en ne nous distillant avec parcimonie que quelques productions chaque année.

     

    Tout porte à croire que Strip Steve n’est pas Français… Il vit à Berlin, signe quasiment toutes ses productions sur la plateforme de Boys Noize Records et en reste l’un des solides piliers. Sa house intelligente (qui a pris le pas sur ses premières productions de 2007 qui lorgnaient plutôt sur l’electro) revêt aujourd’hui les mêmes couleurs que celles du label suédois Local Talk et il peut ainsi arriver que le garçon fasse quelques incursions plus au Nord, en s’éloignant de la mère-patrie allemande, comme pour sa collaboration en 2016 avec l’artiste Librarian et sa nouvelle chapelle Made in Danemark, Waxtefacts (Straydogpalace, Real D, Interstate, DJ Storch), dont Strip Steve est l’un des parrains.

     

     

     

    Et pourtant, Théo Pozoga vient bien de Bordeaux. Artiste rare et confidentiel, si Strip Steve n’est pas sur toutes les lèvres, c’est qu’il ne le souhaite pas, se limitant à une ou deux releases maximum par an – toujours impeccables, soit dit en passant. Ce qui ne l’empêche pas de balancer des remixes, des mixes ou des tracks de temps à autre, ou d’avoir des projets annexes comme son duo avec SCNTST, 2 High.

     

     

     

    Strip Steve sort son premier Ep en 2007 sur le label berlinois Boysnoize Records, « Skip School Ep », et nous distille depuis sa house punchy et brillante, inspirée tant du hip-hop ou de la soul que du bon vieux son à l’ancienne de Chicago. Deep house mélancolique et harmonieuse, EQ réglé sur « Vintage » et volonté limpide de ne pas livrer ce que l’on attend de la house music. La formule Strip Steve marche toujours…

     

    https://soundcloud.com/trax-magazine/strip-steve-cause-its-cold-outside

     

     

    Découvrons maintenant (ou redécouvrons) le clip de son titre « Hood », extrait de l’album  « Micro Mega » sorti en 2012.

    Attention, tuerie absolue…

     

     

     

    Et pour ne pas nous quitter comme ça, retrouvons Strip Steve en 2014 à la Boiler Room Berlin pour un Dj Set marqué au sceau de l’Europe (vous comprendrez…)

     

    [youtube id= »U32bhGj5aQU » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Liens externes » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Boysnoize Records

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Strip Steve @ Discogs

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Strip Steve @ Soundcloud

     

     

     

  • 1979, l’année qui changea le monde, Episode 02 : London Calling

     

    [kleo_pin type= »circle » left= »yes » right= » » top= » » bottom= » »]          « FOCUS » : un article de fond sur un thème que nos rédacteurs ont sélectionné.

     

     

    L’année 1979 est définitivement une année-charnière, comme la fin d’un cycle. Elle scelle le sort des dernières utopies. Le monde prend une pelle et enterre à la hâte les cadavres encore fumants de nos illusions perdues. Après 1979, rien ne sera plus vraiment comme avant…

     

    Coincée à la fin d’une décennie qui paraît un peu creuse, durant laquelle les dirigeants politiques semblent manquer de charisme (le pâle Carter face au cowboy médiatique Reagan, VGE après De Gaulle et Pompidou), l’année 1979 n’attire décidément pas les flashes. Et pourtant… Que d’événements considérables ont eu lieu cette année-là, autant de tremblements qui ont marqué la face du monde et dont on ressent encore les répliques quarante ans plus tard.

    Révolution iranienne, arrivée de Saddam Hussein au pouvoir en Irak, début de la Guerre d’Afghanistan qui mènera à la chute de l’URSS et à l’apparition du terrorisme islamiste, second choc pétrolier et crise économique mondiale, paix entre Israël et l’Egypte, fin des Khmers Rouges… Il n’est pas insensé de penser que 1979 a en réalité été l’année la plus importante de l’après-Seconde Guerre Mondiale.

     

    Never Mind The People

    Du côté de l’Angleterre, l’arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher en mai 1979 laisse présager des lendemains bien douloureux. Le pays se débat en effet dans une crise économique et sociale terrible, ultime convulsion d’un monde en pleine mutation. Les usines et les mines de charbon ferment les unes après les autres, laissant sur le bord de la route deux générations de Britanniques, condamnés au chômage de masse et à une inéluctable paupérisation.

    « L’hiver du mécontentement », le roman de Thomas B. Reverdy, dont le nom a figuré sur la liste du Goncourt en 2015, a pour cadre cette Grande-Bretagne de 1978-1979, paralysée par des grèves monstrueuses qui vont finir par propulser à la tête du gouvernement une inconnue, Margaret Thatcher, femme inflexible.

    Le pays entre dans une nouvelle ère, celle des jeunes loups aux dents aiguisées, bientôt connectés à l’ensemble de la planète, sans morale, sans dieu, vénérant le fric plus que leur propre mère. Ils préparent la grande révolution à venir, celle qui n’a pas besoin de grand soir, de rêves romantiques, d’idéaux en stuc… Ils veulent prendre les commandes de la City, devenir banquiers, actionnaires, hommes d’affaires, assureurs, courtiers, avocats fiscalistes… Et les ouvriers qui crèvent dans leurs bâtiments de briques insalubres, ils s’en foutent, à vrai dire…

     

    « Le reste, on va le liquider. Privatisations, faillites en série, licenciements massifs. Ce sera les grands soldes d’hiver, avant changement de collection (…). Les chômeurs seront de plus en plus nombreux. Mais au moins, ils seront de droite. »

     

    C’est dans ce contexte que sort l’album « London Calling » des Clash  : un album dont la chanson-titre est un appel à la révolte des laissés-pour-compte dans une Angleterre qui a vu le rock devenir punk dans la foulée des tensions sociales. Quarante ans après, l’hymne punk « London Calling » fait partie de la légende du rock.

     

    Punk, la musique de la colère

    Les Beatles sont séparés depuis moins de dix ans et l’époque du Peace & Love et des bed-in semble désormais bien lointaine. La situation économique et sociale a fait surgir de nulle part le Punk, la musique du désespoir et de la colère portée telle un étendard par des groupes comme les Sex Pistols. « Le mouvement punk arrive. C’est un grand coup de pied dans la fourmilière. On ne sait pas bien jouer mais on a une énergie… On va vous montrer. On est là pour défoncer la porte et c’est ce que l’on va faire. » (Alain Lahana, producteur de festivals)

    Et puis un jour de décembre 1979 explose sur les ondes le titre « London Calling ». Un appel à la résistance qui ramène les Anglais quarante ans en arrière, quand ils écoutaient Radio Londres. Un hymne subversif signé The Clash, un groupe punk né en 1976 dans la banlieue londonienne de Ladbroke Grove, sous l’impulsion du duo Joe Strummer et Mick Jones, tous deux à la guitare et au chant.

    Avec ce troisième album studio, The Clash nous livre un instantané saisissant de l’époque et un chef-d’œuvre qui marquera l’histoire de la musique en devenant l’un des meilleurs albums de rock de tous les temps. « London Calling » est un mélange de styles musicaux extrêmement convaincant, animé par une passion pour l’action et un désir féroce de justice sociale, hurlant des paroles qui restent finalement très actuelles.

     

    « London calling to the faraway towns
    Now war is declared, and battle come down
    London calling to the underworld
    Come out of the cupboard, you boys and girls
    London calling, now don’t look to us. » 

     

    Le premier couplet est sans équivoque :

    « L’appel de Londres aux villes lointaines
    Maintenant la guerre est déclarée et la bataille approche
    L’appel de Londres au monde souterrain
    Sortez du placard, vous tous garçons et filles. » 

     

    Et les icônes en prennent un coup…

    « Phoney Beatlemania has bitten the dust » 
    « Toute cette Beatlemania bidon a mordu la poussière »

     

    Le regard sur le monde est désabusé, sans illusion :

    « The ice age is coming, the sun’s zooming in
    Engines stop running, the wheat is growing thin
    A nuclear error, but I have no fear
    ‘Cause London is drowning, and I live by the river. »

    « L’âge de glace arrive, le soleil se rapproche de plus en plus
    Les machines s’arrêtent, les récoltes de blé sont maigres
    Une erreur nucléaire, mais je n’ai pas peur
    Car Londres est en train se noyer et je vis près de la Tamise. »

     

    L’album « London Calling », The Clash l’ont voulu double mais vendu au prix d’un simple, avec déjà dans l’idée d’en faire tant un manifeste social qu’un appel à la résistance. Et sa pochette reprend la police de caractères et la mise en page du premier album d’Elvis Presley sorti 23 ans plus tôt. Déjà 23 ans… Juste 23 ans, on ne sait plus bien comment le dire. En tout cas, les deux covers semblent vouloir exprimer la même énergie et la même rage, entre un Paul Simonon fracassant sa basse sur scène et Presley qui fait souffler avec son album un vent délibérément nouveau sur la musique américaine. Le monde change, de plus en plus vite…

     

     

     

    « Ils se permettent de dire : on vient de là mais on le réinterprète et on a le droit de faire ce qu’on veut. C’est une manière de dire on vous emmerde ! » (Manuel Rabasse, auteur de « Anarchy in the UK » publié aux Editions Camion Blanc)

     

    The Clash ont gravé dans le marbre de la légende du rock un hymne punk qui a secoué le monde bien au-delà des frontières de la vieille Angleterre. Le magazine Rolling Stone a d’ailleurs classé « London Calling » à la 8ème place dans la longue liste des 500 plus grands albums de tous les temps. Avant leur séparation en 1986, Joe Strummer et ses acolytes nous livreront encore deux monuments, « Should I stay or Should I Go? » et « Rock The Casbah ».

     

    [youtube id= »EfK-WX2pa8c » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    « London Calling » fête donc ses quarante ans, et c’est l’occasion rêvée pour rendre hommage à l’album culte de The Clash, avec une exposition événement dans la capitale britannique.

     

    Le carnet d’un tout jeune Joe Strummer, sa machine à écrire, la basse cassée par Paul Simonon sur la scène du Palladium à New York, le brouillon des paroles de « London Calling », les baguettes de Topper Headon, des tenues portées sur scène, des photos, des films… Du 15 novembre 2019 au printemps 2020, le Museum of London accueillera une exposition gratuite consacrée à l’une des figures de proue du mouvement Punk outre-Manche.

    Le mythique troisième album de The Clash « London Calling » a eu, dès sa sortie le 14 décembre 1979, un impact déterminant. « Un cri de ralliement pour les Londoniens et à travers le monde. Les paroles de l’album reflètent les problématiques de l’époque, dont beaucoup sont encore d’actualité », affirme Beatrice Behlen, conservatrice principale du département Mode et Arts Décoratifs du Museum of London. Une contemporanéité renforcée par l’émancipation du Punk « traditionnel » pour des influences musicales plus diverses.

    Un livre célébrera également l’anniversaire de l’album. Les fans y trouveront des reproductions de manuscrits, des photos et du contenu inédit… à feuilleter avec la réédition de « London Calling » en CD incluse. Et les plus nostalgiques ont jusqu’au 11 octobre pour explorer leur grenier à la recherche de leur bon vieux magnétophone, afin de profiter de la réédition de l’album sur cassette (également disponible en CD et vinyle).

     

    Sources : eil.com / Wikipedia / Causeur

     

     

     

  • Porter des Baskets by Hubert

     

     

    Dans ma série de billets d’humeur devenue culte, « Hubert a des p*bip*ains de problèmes dans la vie », je souhaitais aborder aujourd’hui : Porter des Baskets.

     

    Il n’y a pas aujourd’hui un podium de Fashion Week où les mannequins hommes ou femmes ne défilent pas avec aux pieds des baskets dessinées pour l’occasion par les stylistes de la marque représentée. Et je vous laisse deviner le prix boutique qu’il vous faudra débourser pour un article de ce genre chez Givenchy, Balmain, Dries Van Noten ou Dior… Juste à titre d’exemple, la maison Margiella qui revisite les Fred Perry affiche des tarifs autour de 800 euros. 1200 euros chez Balenciaga, 2000 euros chez Rick Owens… Et tout cela évidemment fabriqué le plus souvent en Chine, en mode plastique et caoutchouc.

    Allo la terre ?? On les a perdus… Mais qu’est-ce qui s’est passé ? Comment en est-on arrivé là ? Mais… Mais flûte, comment ??

    Conçue pour pratiquer des activités physiques, la basket était donc naturellement portée à l’origine, je vous le donne en mille, par des sportifs ; pour être ensuite adoptée dans les années 80 par une communauté dite « de banlieue » et par les rappeurs, assortie au total look survêtement. Et il faudra finalement attendre le courant des années 90 pour que cet article soit récupéré d’abord par la communauté LGBT, désireuse de s’encanailler en singeant les dites « caillera » et afficher ainsi les codes ostentatoires du parfait lascar. Soit…

    Au début des années 2000, c’est au tour du métrosexuel d’arborer la fameuse Fred Perry ou encore la All Star (Converse), avec un jean et la petite veste qui va bien, afin de casser les codes, paraître cool, free dans sa tête, et pouvoir en toute décontraction aborder tous les sujets, de l’art à la politique, en passant par les faits de société, tout en faisant des clins d’œil insistants à la jeunesse. C’est non seulement l’apparition du jeunisme (syndrome Peter Pan), mais aussi du phénomène des bobos. Cependant, à cette époque, la « fashion sphère » s’intéresse encore assez peu à cette nouvelle tendance. Ici et là, il y a bien quelques percées chez Gaultier ou Yamamoto, mais qui restent tout de même assez confidentielles.

    Les souliers en cuir, Derby, Richelieu et diverses bottines vont cependant sacrément prendre du plomb dans l’aile à la fin des années 2010… Car les Lanvin, Saint Laurent et même Berluti entrent dans la danse et commencent eux aussi à proposer leurs modèles de baskets, à des prix bien-sûr un peu plus « fou-fou ». L’étiquette assure à elle seule la plus-value…

    Alors, pour justifier ces tarifs prohibitifs, les plus imaginatifs des créateurs (Kris Van Assche, Raf Simons ou Rick Owens) vont redoubler d’efforts et de roublardise pour concevoir des modèles les plus tarabiscotés possible, à grand renfort de lacets dans tous les sens qui empêchent presque de rentrer le pied dans la chaussure, de semelles ou de languettes surdimensionnées qui ne permettent de toute façon pas de marcher correctement. En d’autres termes, pas confortables et qui vous donnent une allure assez improbable. Mais en même temps, qu’est-ce qu’on se marre !

    Aujourd’hui, la basket est ainsi devenue le signe de la fainéantise absolue, à l’instar de la paire de blue jeans enfilée avec fausse négligence, pour s’habiller sans se tracasser outre mesure… En substance, comment apparaître, paraître et finalement être. Un réflexe qui en dit long sur notre époque. Comme un uniforme pour se sentir en phase avec les autres, avec son milieu, sa communauté. Et ce qui distinguera le pauvre de celui qui a les moyens, ce sera la marque de la chaussure.

    Une chaussure élevée au rang de signe de reconnaissance ultime, et qui supprimerait comme par enchantement cet insupportable no man’s land entre les classes sociales. En fait non… Poussons encore plus loin l’absurdité de cette utopie, dans la mesure où ceux qui en ont les moyens seront prêts à débourser une coquette somme, tout ça pour un objet à l’obsolescence programmée, et ce depuis sa conception. Car les prix que j’indiquais plus haut à titre d’exemple sont clairement le marqueur sociétal absurde mais concret, pour bien délimiter la frontière entre ce qui est hype et ce qui ne l’est pas.

    Dans ce renversement des valeurs généralisé, il est amusant de constater que cet accessoire devenu incontournable dans tout vestiaire qui se respecte est désormais plus cher et prestigieux qu’un bon vieux soulier en cuir, robuste, solide, qui quant à lui vieillira bien. Eh oui, il faut se rendre à l’évidence, l’autre spécificité de la basket, c’est que cet objet vieillit extrêmement mal. Certes, neuf, il peut paraître séduisant et clinquant, mais après quelques mois voire quelques semaines, il commencera immanquablement à montrer des signes de fatigue, car souvent mal entretenu et trop porté. La forme s’affaissera et la fameuse basket finira par ressembler à une grosse Charentaise.

    A l’inverse, un vrai soulier de qualité va vieillir sagement, en évoquant à celui qui le regarde une histoire, des histoires… La chaussure en cuir va ainsi devenir un témoin du temps qui passe, en soulignant la personnalité de celui qui la porte. Un objet plein de poésie et de mélancolie. Quand la basket ne vivra qu’au présent et sera le miroir qui ne renvoie que l’image du vide et du néant. L’objet séduit et flatte l’instant, le moment donné. Mais dès le lendemain, il n’y a déjà plus rien car un nouveau modèle a déjà supplanté le précédent.

    La basket, c’est la laideur d’un monde sans âme, un imposteur, une usurpatrice.

    Mais vous n’êtes pas obligés de me croire…