Catégorie : Musique

  • Les « Bad Girls » des Musiques Arabes au Louvre

     

     

    Tourné dans le désert des Bardenas, à Cordoue, en Tunisie et au Caire avec Soska, première chanteuse de rap d’Égypte, le film de Jacqueline Caux, « Les Bad Girls des Musiques Arabes – du 8ème Siècle à nos jours », évoque le destin de ces « Bad Girls » sans fard et sans voile…

     

     

    La cinéaste et écrivain Jacqueline Caux s’intéresse depuis longtemps à tous les territoires de la musique – de Jeff Mills à Luc Ferrari, de Carl Craig à John Cage – avec une prédilection pour les artistes activistes. En embrassant la cause des « Bad Girls » des musiques arabes, elle rend hommage à ces femmes indociles et briseuses de tabous qui imposent sans fard et sans voile leur talent, leur féminité et leur mode de vie hors norme.

    Des chanteuses-esclaves avant la fondation de l’islam aux stars actuelles du Raï, d’Oum Kalthoum à Hadda Ouakki, en faisant un détour par le Mississippi et les pionnières du blues, Jacqueline Caux campe ces rebelles qui « revendiquent avec une grande combativité leur liberté d’artistes et de femmes dans des contextes politiques particulièrement perturbés ». Cette conférence est aussi un manifeste qui pointe en creux notre désintérêt, notre méconnaissance ou ce que Jacqueline Caux appelle parfois – les jours de colère – « notre racisme culturel » envers ces territoires chantants et insoumis.

    Jacqueline Caux a participé à l’organisation de plusieurs festivals de musiques arabes. Elle a réalisé des courts-métrages expérimentaux et des longs métrages sur la musique et sur la danse, projetés et primés dans de nombreux festivals internationaux ainsi que dans de nombreux musées.

     

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    Les Journées internationales du film sur l’Art explorent chaque année le lien singulier qui unit le cinéma aux autres arts et questionnent le processus créatif et le rôle de l’art dans nos sociétés. Cette 13ème édition reçoit une nouvelle invitée, la réalisatrice Claire Denis, pour trois jours de carte blanche et de rencontres avec des artistes. La seconde partie du programme propose un hommage à la 3ème Scène de l’Opéra National de Paris, un focus sur le Bauhaus ainsi qu’une sélection de films récents et des échanges avec leur réalisateur.

     

    « Les Bad Girls des Musiques Arabes – du 8ème Siècle à nos jours »
    de Jacqueline Caux
    Fr., 2019, 80 min

    Première mondiale à l’Auditorium du Louvre (sous la pyramide), le 26.01.2020 à 20h30

     

     

     

  • John Williams : quand la musique devient du cinéma

     

     

    Vouloir écrire sur un compositeur de musique de film âgé aujourd’hui de 87 ans pourrait tenir de l’exercice d’hommage en boucle et de piété un peu empruntée. John Williams mérite bien-sûr des louanges et de la gratitude de la part de tous ses fans et des mélomanes du monde entier, tant l’expression de son travail, la variété et le nombre de ses chefs-d’œuvre échappent à tout pronostic. Mais tout cela ne serait pas très constructif…

     

    Alors plutôt que de parcourir sagement la biographie de John Williams, tâche ingrate que je laisserai bien volontiers à Wikipédia et aux nombreux ouvrages retraçant déjà en long et en large ses différentes évolutions musicales, je vais me permettre plutôt l’exercice qui consiste à revenir sur ses œuvres les plus fondamentales, ainsi que sur celles qui m’ont le plus impressionné. Un butinage qui ne se souciera ni de date ni de classement de telle ou telle partition écrite par le maestro. Non, J’évoquerai simplement des œuvres impérissables, à l’aune d’un parcours parsemé de trésors et d’émotion.

    Mais avant de s’essayer à une présentation générale de l’homme et d’aborder son positionnement dans l’industrie de la musique de film, on peut déjà commencer par acter que John Williams est sans conteste l’un des plus grand mélodistes qu’Hollywood ait connu et que l’on ne compte plus ses compositions qui ont, ne serait-ce qu’entre 1975 et 1985, célébré et rendu immortels nombre de films, avec des thèmes devenus autant des classiques que les films eux-mêmes : « Les Dents de la Mer », « Superman », « Rencontres du 3ème Type », « Star Wars », « Les Aventuriers de l’Arche Perdue », « E.T., l’Extra-Terrestre »…

    Des mélodies d’emblée fortes et évidentes, que l’on associe étroitement aux métrages ; et le principe immuable de créer un thème reconnaissable entre tous, pour chacun des films auxquels il a pu contribuer. Principe lancé dans les années 60 avec Ennio Morricone, John Barry, Lalo Schifrin, Maurice Jarre et bien-sûr Jerry Goldsmith. Période faste pour la musique de film, quand les studios ne craignaient pas de dépenser sans compter pour créer des B.O. inoubliables. Les années 60, 70 et 80 sont définitivement l’âge d’or de la musique de film. Les Trente Glorieuses, comme un état de grâce, lorsque les musiciens pouvaient réellement créer sans trop se préoccuper des conventions, des modes ou de quelconques sordides impératifs commerciaux.

    Une carte blanche qui a finalement contribué à élever ainsi la Musique de Film au rang d’art majeur et permis qu’elle soit reconnue à sa juste valeur, au point que même encore aujourd’hui, on puisse la jouer lors de concerts qui font immanquablement salle comble ; « Le Seigneur des Anneaux », « Retour vers le Futur », « Star Trek », autant d’oeuvres parmi les plus emblématiques que leurs compositeurs respectifs revisitent régulièrement sur scène… On ne compte d’ailleurs plus chaque année les concerts qui nous proposent de revivre tous ces grands moments de cinéma.

     

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    La musique de film devient ainsi beaucoup plus qu’un simple médium illustratif, mais un art en soi, au même titre que des compositions pour des opéras, ballets ou autres représentations. La musique écrite pour un film devient elle-même un protagoniste du film, un jalon incontournable, une extension de la mise en scène ainsi que de l’histoire qui y est racontée.

     

    C’est dans ce contexte que vont se croiser plusieurs écoles et styles, tout au long de ces années hyper-créatives. Et des figures qui deviendront bientôt incontournables vont révolutionner la musique pour les films…

    Quincy Jones, qui commença sa carrière comme arrangeur puis surtout comme compositeur de musique de film, avant de devenir un producteur célèbre, apporta par exemple des accords de Bossa Nova dès le début des années 60, pour les films qu’il devait illustrer. Bossa Nova d’ailleurs réutilisée à plein régime par Morricone pour un paquet de productions de la deuxième partie des années 60 et essorée jusque dans le milieu des années 70.

    Lalo Schifrin est quant à lui reconnu pour ses thèmes Jazzy hyper-sophistiqués et ses expérimentations sonores. Herbie Hancock apporte un jazz très urbain et atmosphérique. David Shire et Roy Budd seront de leur côté associés à des polars et des thrillers de ces années-là, mais avec en plus une dimension sensorielle inédite. Tous ces nouveaux compositeurs vont ainsi régner en maîtres durant les années 70 et jusque dans les 80’s.

    De la musique moins empesée que celle que pouvaient traditionnellement proposer Miklós Rózsa, Max Steiner, Erich Wolgang Korngold et plus généralement toute cette famille des musiciens des années 30, 40 et 50. Des compositeurs chevronnés, certes, mais qui devaient fournir des scores très didactiques, dans le seul but de souligner des scènes et des péripéties, sans jamais les supplanter.

    On peut dire qu’Alex North et Bernard Herrmann sont probablement les premiers à tirer leur épingle du jeu en sachant faire la transition entre cette musique stéréotypée et redondante qu’on leur commandait le plus souvent et de nouvelles influences. Mais surtout, avec un ton très personnel, une façon nouvelle d’approcher le film à illustrer et de faire ressentir les émotions au spectateur. Ils furent à juste titre des passerelles qui permirent aux nouvelles générations de musiciens et compositeurs, sevrés avant tout au jazz de par leurs formations respectives, de prendre le relais.

    John Williams, Jerry Goldsmith et James Horner, le trio gagnant de la fin des années 70 mais surtout des années 80, vont reprendre à leur compte le principe ultra codifié, pour ne pas dire pompier, d’un style musical tombé en désuétude, issu de cette grande tradition du Hollywood d’antan et qui, après les années 60 et 70, va de nouveau rebattre les cartes.

     

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    C’est aussi avec la fin de ce que l’on appelait le « Nouvel Hollywood » et le retour en force des films à gros budget tout public, que l’orchestre symphonique est réintégré dans le paysage cinématographique. Il va sans dire que tous ne vont pas forcément composer que pour des films prestigieux… Loin s’en faut. Beaucoup vont même créer des musiques parfois plus fortes que les films eux-mêmes.

    Je pense par exemple à la magnifique composition de James Horner pour « Krull », film aujourd’hui totalement oublié mais qui pourtant musicalement est un chef d’œuvre dans son genre. Horner se surpasse dans cette ambiance d’Heroic Fantasy riche, puissante et intense. John Barry et son score « The Black Hole » apporte de la mélancolie et de l’immensité à un film qui sonne désespérément creux, mais que le compositeur attitré des James Bond ne traite pas pour autant par-dessus la jambe. Ambiance majestueuse, infinie, alliée à une parfaite illustration en musique de ce que peut laisser imaginer la puissance d’un trou noir et la terreur qu’il véhicule.

    Jerry Goldsmith, pour la trilogie « The Omen », propose une montée en puissance orchestrale, à mesure que l’antéchrist gravit les échelons et grandit, avec un final tout en apothéose biblique, à grand renfort de chœurs ; alors que les films en soi ne sont que des séries B surfant sur la vague des films millénaristes, avec diablerie et possession.

    Quant à John Williams, ce dernier ne déroge pas à la règle avec le film de Steven Spielberg, « Hook ». Si cette relecture de Peter Pan est un naufrage à tous les niveaux, il reste néanmoins son score, qui s’écoute, en faisant abstraction du film lui-même, comme une œuvre absolument ébouriffante. Une explosion de thèmes et d’envolées saisissants qui expriment à eux seuls tout le culte de Peter Pan, l’esprit d’aventure et toute sa part de rêve et de mélancolie liés à l’enfance qui passe et ne revient pas.

    Ainsi, malgré la médiocrité des films incriminés, paradoxalement, on est surpris par la richesse thématique mise en œuvre pour si peu à offrir visuellement. Tous ces compositeurs, et John Williams en premier lieu, ne sont donc pas que de simples contributeurs au film, mais de grand architectes avec une vision d’ensemble innovante et surtout indépendante.

     

    Passée cette présentation informelle, j’aborderai à présent « L’Empire Contre-Attaque » (l’Episode V de la saga Star Wars).

    Car on a ici affaire à une osmose totale entre la musique et le film. Et elle illustre presque en temps réel l’action qui se déroule à l’ écran. A l’instar de l’opéra, l’orchestration fait écho aux péripéties en devenant le prolongement naturel de l’oeuvre. La saga de George Lucas s’est d’ailleurs toujours vue comme une série de films qui n’aurait pas eu forcément besoin de dialogues, tant la force évocatrice des images et la musique de Williams suffisaient au spectacle et à l’émotion.

    Mais avant d’évoquer « The Empire Strikes Back » sorti en 1980, le score le plus maîtrisé et inspiré qui ait été composé pour un « Star Wars », revenons d’abord trois ans en arrière, avec la découverte de ce compositeur qui s’illustre pour la première fois avec le premier épisode de la Saga, l’Episode IV, destiné à l’origine à n’être qu’un épisode unique : « La Guerre des Etoiles » exploité ensuite sous le nom de « Star Wars, Episode IV : Un Nouvel Espoir ». Sans oublier le double vinyle entièrement noir, avec le logo Star Wars couvrant presque toute la pochette du disque. Magique…

    N’ayant pas encore vu à l’époque ce premier film et finalement découvert John Williams qu’avec l’Episode V (« L’empire Contre Attaque »), il ne s’agissait là pour moi que d’une évocation de ce nouvel univers. Tous les différents thèmes, l’orchestration, leurs motifs, m’avaient pourtant permis de me plonger dans un monde d’une richesse assez folle.

    Alors certes, peut-être n’étais-je pas encore assez pointu en musique de film pour ne pas détecter, dès la première écoute, dans le thème de la fanfare d’ouverture celui d’un film de 1942, « Kings Row », écrit par Erich Wolgang Korngold ; cet immense compositeur chez qui John Williams ira beaucoup piocher, pour se forger un style musical inimitable et grandiloquent, typique de l’époque. « Captain Blood » ou « The Sea Hawk », d’autres œuvres du compositeur du premier film consacré à Robin des Bois, « The Adventures of Robin Hood » (1938), serviront à donner ce fameux ton suranné et désuet au projet de George Lucas. Tout l’esprit sérial, avec ce long déroulé au début pour résumer le suivi des aventures en cours.

     

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    John Williams est avant tout un grand technicien et il saura se plier sans jamais se forcer aux desiderata comme aux exigences de ses nombreux commanditaires ; George Lucas et Steven Spielberg en tête, qui formeront avec le compositeur d’« Amblin’ » un duo indéfectible tout au long de la filmographie du réalisateur de « Duel ».

    A l’origine, George Lucas souhaitait, comme pour Kubrick et son « 2001 l’Odyssée de L’Espace », n’utiliser que des musiques classiques, afin de rendre toute leur majesté à ses visions spatiales et à l’exploration de planètes inconnues. Cela aurait pu d’ailleurs, selon sa propre réflexion, tendre une perche évidente au public et créer un sentiment quasiment d’intimité avec ce qu’il voyait à l’écran.

    John Williams va alors non seulement lui proposer de composer exactement ce qu’il désire, mais avec de surcroît une véritable identité. Une musique nouvelle et pourtant étrangement familière. Une musique qui participe à l’exclusivité du projet. La puissance orchestrale de Williams et son aisance presque insolente deviendront en une poignée de films sa marque de fabrique.

    La qualité mélodique indéniable et une précision infaillible, alliées au brio des morceaux composés, font référence aux travaux d’autres grands compositeurs classiques mais renvoient également au respect sacré que l’on ne peut pas juste afficher comme une évidence. Car John Williams est un orfèvre qui sait viscéralement lier musique et image. Tel un chirurgien qui réaliserait des opérations impossibles dont on ne verrait jamais les coutures…

     

    Star Wars premier du nom était ébouriffant, mais ce n’est rien en comparaison du score qui va être composé pour sa suite…

    Pour cette saga longue de presque 50 ans, Williams fonctionne comme l’avait déjà imaginé Wagner en son temps pour ses opéras, maniant habilement le principe du leitmotiv ; à savoir créer un thème différent pour chaque protagoniste, qui sera utilisé par la suite au grès de l’action et des situations, afin de marquer l’entrée en scène dudit personnage ou encore d’appuyer son implication dans l’intrigue, qu’il soit d’ailleurs présent ou absent à ce moment précis.

    La musique interagit directement avec le scénario et le ressenti du spectateur ou de l’auditeur. Ces différents motifs peuvent alors s’inclurent dans la partition, joués à un moment précis, fut-ce uniquement sur une poignée de notes sur la portée. Convoqué lointainement ou plus précisément par un seul instrument, en ayant pris soin de choisir lequel exactement, afin de signifier ledit personnage et l’état d’esprit avec lequel on en parle, vous ressentirez alors, largement déployée dans vos oreilles, toute la maestria du maître, son sens de l’observation et la précision du travail de dentelière qu’il exécute.

    Cette forme diégétique malaxée minutieusement par Williams, surtout pour les « Star Wars », crée un lien indissociable, viscéral, et ce n’est d’ailleurs pas pour rien que l’on qualifiera ces films de George Lucas de « space opéra ». Dans « La Guerre des Etoiles », exploité ensuite sous le nom de « Star Wars, Episode IV : Un Nouvel Espoir », on trouve ainsi « Le thème de Luke » et également celui de Leïa.

    « Le thème de Luke », appelé également « Le thème de la Force », va ainsi figurer dans tous les autres épisodes de la Saga. Il est autant rattaché au pouvoir des Jedi que celui de la famille Skywalker. Ces quelques notes suffisent immédiatement à exprimer l’audace comme l’espoir ; une lumière face aux ténèbres que représentent l’Empire et le côté obscur de la force.

     

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    L’Episode V : une explosion donnant ainsi la pleine mesure de la fougue et de l’imagination sans limites de Williams…

    On découvre donc dans cet Episode V successivement « Le Thème de Han et Leïa », « Le Thème de Yoda » et le plus emblématique d’entre tous, qui restera comme le plus imparable, la fameuse marche impériale ou « Thème de Darth Vader ».

    D’autres musiques deviendront également cultes, comme « The Asteroïd Field » et ses cordes virevoltantes, illustrant la scène du Faucon Millenium slalomant entre les corps célestes, ou encore « Hyperspace » (utilisé au début du film, puis de nouveau vers la fin, lorsque le Faucon tente d’échapper aux griffes de Vader et que l’on assiste à un dialogue télépathique entre Luke et son « Papa »).

    Un autre grand thème, intitulé « Carbon Freeze / Darth Vader’s Trap / Departure of Boba Fett », souligne plusieurs actions conjuguées, avec notamment le magnifique « Thème de Han et Leïa » précédemment entendu, cette fois-ci fondu et restitué en une complainte beaucoup plus déchirante, lorsque Han est sur le point de se faire congeler. Leïa finit par avouer à Han qu’elle l’aime et celui-ci lui rétorque un laconique « je sais », avec la musique qui s’élève en un hymne tragique mélangé à des bruitages effrayants et le cri de tristesse de Chewbacca.

    Sublime moment de dramaturgie rehaussé une fois de plus par un John Williams au sommet de son art. On assiste là tout bonnement à une scène de « La Tosca » de Puccini, avec la Tosca et Cavaradossi, son bien-aimé, condamné à être fusillé…

     

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    Pour revenir une dernière fois encore sur la Marche de l’Empire et ce morceau intitulé « The Imperial Probe / Aboard The Executor », Williams y laisse subtilement traîner au début du film quelques notes extraites de ce fameux thème, que l’on n’identifie pas encore à une menace. Mais ces quelques mesures planent déjà comme des ombres…

    Lorsque les officiers impériaux finissent par localiser la base rebelle sur la planète Hoth et que l’on voit la majestueuse et néanmoins implacable flotte de Star Destroyers impériaux se déployer, le thème explose alors en une marche militaire sinistre (John Williams s’est d’ailleurs inspiré des marches allemandes du Troisième Reich).

     

    On ressent à ce moment précis un frisson qui nous parcourt l’échine, tant le timing est parfait et la musique créée pour l’occasion semble miraculeuse, transmettant un sentiment autant de crainte que d’admiration.

     

    En substance, la musique de John Williams, ce sont avant tout ces influences des compositeurs classiques européens connus, de la fin du 19ème et début du 20ème siècle, revisités ou utilisés de manière intelligente et ludique.

    Nous verrons dans le prochaine épisode que l’inspiration de Williams sait parfaitement faire le grand écart entre toutes ces influences et que l’on peut retrouver dans son œuvre aussi bien des compositeurs russes et tchèques (car ce sont sans doute ceux qui évoquent le plus d’images et de symboles, de Prokofiev à Dvořák, en passant par Tchaïkovsky, Borodine ou Moussorgski) que les Français, avec Debussy, Ravel et même Bartók à deux reprises.

    J’aborderais donc tout prochainement les deux autres immenses chefs-d’œuvre que sont « Rencontres du 3ème Type » et son pendant intime, « E.T., l’Extra-Terrestre », ou comment John Williams a su appréhender le thème des extra-terrestres en réinventant notre vision sur ce sujet.

     

     

     

  • 1979, l’année qui changea le monde, Episode 16 : La Marseillaise by Gainsbourg

     

    [kleo_pin type= »circle » left= »yes » right= » » top= » » bottom= » »]          « FOCUS » : un article de fond sur un thème que nos rédacteurs ont sélectionné.

     

     

    L’année 1979 est définitivement une année-charnière, comme la fin d’un cycle. Elle scelle le sort des dernières utopies. Le monde prend une pelle et enterre à la hâte les cadavres encore fumants de nos illusions perdues. Après 1979, rien ne sera plus vraiment comme avant…

     

    Coincée à la fin d’une décennie qui paraît un peu creuse, durant laquelle les dirigeants politiques semblent manquer de charisme (le pâle Carter face au cowboy médiatique Reagan, VGE après De Gaulle et Pompidou), l’année 1979 n’attire décidément pas les flashes. Et pourtant… Que d’événements considérables ont eu lieu cette année-là, autant de tremblements qui ont marqué la face du monde et dont on ressent encore les répliques quarante ans plus tard.

    Révolution iranienne, arrivée de Saddam Hussein au pouvoir en Irak, début de la Guerre d’Afghanistan qui mènera à la chute de l’URSS et à l’apparition du terrorisme islamiste, second choc pétrolier et crise économique mondiale, paix entre Israël et l’Egypte, fin des Khmers Rouges… Il n’est pas insensé de penser que 1979 a en réalité été l’année la plus importante de l’après-Seconde Guerre Mondiale.

     

    Nous ne pouvions pas quitter cette année 1979 sans évoquer la Marseillaise version Reggae de Serge Gainsbourg… Parti à Kingston pour enregistrer son album « Aux Armes et Caetera » avec les plus grands musiciens jamaïcains, le chanteur français en rapporte un scandale fondateur.

     

    Ça n’est plus une offense que de passer en 2019 la Marseillaise Reggae de Serge Gainsbourg sur les ondes du service public. 40 ans après l’affaire « Aux Armes et Caetera », les passions se sont apaisées et ce bon Gainsbarre est désormais célébré jusqu’au sommet de l’état comme l’un des plus géniaux représentants de notre culture populaire. Si nous parlons aujourd’hui de cet enregistrement qui fit scandale en 1979, c’est justement pour tenter d’aller un peu plus loin que les grandes pétitions de principe qui, d’un bord et de l’autre, s’affrontèrent à l’époque.

    Une première remarque, tout d’abord : en 1979, lorsqu’il part à Kingston, en Jamaïque, enregistrer cet album reggae qui va véritablement révolutionner sa carrière, Serge Gainsbourg n’a guère connu le succès auparavant. En fait, à deux reprises uniquement. Une première fois, en 1969, avec « Je t’aime moi non plus » et une seconde fois en 1978 avec « Sea, Sex and Sun », 45T qui fut l’un des tubes de cet été-là.

    À l’époque où Serge Gainsbourg décide d’enregistrer « Aux Armes et Caetera », sa cote d’amour navigue donc à marée basse et ses derniers disques – « Rock Around the Bunker », « L’Homme à Tête de Chou » – furent autant d’échecs commerciaux. Seule sa maison de disques Philips semble encore croire en lui en tant qu’interprète.

    Et les musiciens qu’il va rencontrer en Jamaïque, Sly Dunbar, Robbie Shakespeare et quelques autres légendes du reggae, ne connaissent en fait rien de Serge Gainsbourg, si ce n’est cela… Eh oui, toujours « Je t’aime moi non plus », ici dans une version quelque peu salace du jamaïcain Judge Dread datée de 1974. Car « Je t’aime moi non plus » est la seule chanson de Gainsbourg qui ait traversé l’Atlantique en 1979…

     

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    Mais Gainsbourg, avec sa Marseillaise version Reggae, va aussi enseigner aux Français quelques singularités de leur hymne national. Par exemple, le dernier couplet de son « Aux Armes et Caetera »… Il n’est en fait pas de Rouget de Lisle, mais de l’abbé Antoine Pessonneaux, professeur de rhétorique à Vienne en 1792. L’abbé qui écrit ce que l’on appelle « le couplet des enfants », que Gainsbourg a réappris à des millions de Français.

     

    « Nous entrerons dans la carrière

    Quand nos aînés n’y seront plus

    Nous y trouverons leur poussière

    Et la trace de leurs vertus »

     

    D’ailleurs, lors de sa dernière tournée en 1988, Gainsbourg choisira de chanter encore un autre couplet à la fin de sa Marseillaise. Un couplet beaucoup plus patriotique, au premier degré.

     

    « Tout est soldat pour vous combattre,

    S’ils tombent, nos jeunes héros,

    La terre en produit de nouveaux,

    Contre vous tout prêts à se battre ! »

     

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    Mais il est vrai que Gainsbourg n’avait jamais exprimé de sentiments particulièrement opposés à la Nation Française en tant que telle, et appelons un chat un chat, il a toujours apprécié la fréquentation des militaires ou des policiers.

    Son anti-communisme était d’une virulence assez forte pour qu’il ne méfie pas assez des militaires… Et a-t-on vraiment prêté attention à ce qu’il dit au moment du célèbre incident de Strasbourg ? Cherchez bien, vous vous souvenez ? Les paras qui veulent empêcher le concert d’avoir lieu, les musiciens jamaïcains qui refusent de monter sur scène, Gainsbourg le point levé, et ça donne ça. Gainsbourg l’insoumis, le vrai, pas à la mode mélanchoniste…

     

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    Etats-Unis, Gabon, Bahamas… Serge Gainsbourg était autant artiste que voyageur. Les pérégrinations de cet iconoclaste l’ont même mené jusqu’en Jamaïque, La Mecque du renouveau musical. C’est ainsi dans la patrie de Bob Marley que Gainsbourg entre dans sa période Gainsbarre, s’inspirant de la force révolutionnaire et jusqu’au-boutiste du reggae. Un changement de cap symbolisé notamment par le fameux scandale de La Marseillaise… Retour sur la genèse du concert où Gainsbourg mit les « paras au pas ».

     

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    « C’était mon époque reggae, j’en avais marre de Londres, je suis parti après la mort des Sex Pistols… je me suis cassé et j’ai pris les musicos de Tosh et la femme de Marley. J’ai fait deux 33T avec eux, le premier à Kingston et le second à Nassau. » (Serge Gainsbourg)

     

    Lorsque Gainsbourg décide avec son producteur Philippe Lerichomme d’aller en Jamaïque, il prend contact avec Chris Blackwell, le boss du label Island Records, pour qu’il lui arrange le coup et lui trouve les meilleurs musiciens de l’île.

    Aujourd’hui, avec le recul, on peut dire que le casting organisé était parfait : Sly Dunbar à la batterie, Robbie Shakespeare à la basse, Robbie Lyn et Ansel Collins aux claviers, Mikey Chung et Dougie Bryan aux guitares, Sticky Thompson aux percussions et les I-Threes (Rita Marley, Marcia Griffiths et Judy Mowatt) aux chœurs.

    À signaler également, la présence du très regretté Geoffrey Chung derrière la console pour les prises de sons et le mixage.

     

    « Le reggae me branchait par son côté voyou, contestataire, plus proche de l’Afrique. Mais il y a aussi la religion rasta et le feeling. À cette époque, j’étais très fan du chanteur Leroy Smart. J’étais aussi persuadé que mon phrasé « talk over », parlé plutôt que chanté, allait parfaitement coller aux rythmiques reggae. » (Serge Gainsbourg)

     

    Pourtant, lorsque Serge Gainsbourg débarque dans les studios Dynamic Sound en janvier 1979, l’affaire est loin d’être gagnée : « Le premier jour, j’ai rencontré Robbie qui m’a dit : Je dois te prévenir, je ne parle pas. Donc, silence. Et puis on a dû attendre trois jours Geoffrey qui était à New York. C’était l’angoisse car je ne savais pas avec qui on allait enregistrer. »

    « Finalement, je me suis mis au piano du studio et ça les a snobés. Ils ont compris que j’étais l’auteur de « Je t’aime moi non plus », gros hit en Jamaïque. L’ambiance s’est dégelée. Pourtant, contrairement à ce que j’ai dit à mon label, je suis arrivé en Jamaïque sans avoir écrit un seul texte, j’avais juste les titres des différentes chansons ! Il y a eu d’abord deux jours de rythmique, une demi-journée avec les chœurs et ensuite une nuit blanche à écrire… Le lendemain, j’ai mis presque toutes les voix en boîte. J’ai même refait certaines paroles dans le studio. Tout ou presque a été enregistré en une prise. »

     

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    « J’ai toujours eu une affection pour ce genre de plan, Marley, Tosh, mais sur des harmonies trop sophistiquées, ça ne roule pas. Il faut deux harmonies maximum. Comme « Aux Armes et Caetera » et tout ce que j’ai fait sur mon premier album reggae. Il n’était pas question d’avoir plus de trois, quatre harmonies, c’était pas possible. Et c’est comme ça que ça roule avec les rastas… Shakespeare et Dunbar sont parmi les plus grands, mais ils se sont fait jeter par James Brown, faut pas oublier… parce qu’ils pouvaient pas assurer des harmonies trop… sophistiquées. Sur une ou deux harmonies, ils sont superbes… (il rythme), (rires)… autrement, ça va pas. »

     

    Malgré tout ce qu’a pu vivre Serge auparavant, il est tout de même impressionné par l’ambiance qui règne à Kingston : « faut être cool pour survivre là-bas. Quand on rentrait du studio à une heure du matin, certains coins faisaient vraiment peur. En fait, je ne suis resté qu’une semaine et je n’ai rien vu du reste de l’île. »

     

    Ce qui surprend surtout à l’écoute de l’album « Aux Armes et Caetera », c’est l’adéquation entre les versions instrumentales et la voix de Serge – que les musiciens ont surnommé le « Barry White français » – cette impression de fluidité et de légèreté : rarement la langue de Molière a aussi bien sonné en musique.

    Sur ce 33 tours, Gainsbourg revisite deux de ses anciens titres : « Pauvre Lola » [« Lola Rastaquouère »] et « La Javanaise » [« Javanaise Remake »). On y trouve également une adaptation de « Vieille Canaille », une chanson de 1931. Comme à son habitude, Serge s’amuse sur quelques titres, comme « Les Locataires » : « eau et gaz à tous les étages ». Sans oublier le texte « Brigade des Stups » qui prend tout son sens au pays de la ganja. Mais le reste des paroles est beaucoup plus sérieux, Serge maniant l’ironie et la dérision comme peu d’auteurs ont su le faire avant lui (« Des Laids des Laids », « Pas Long Feu » ou « Daisy Temple »).

    Cet album fait aussi beaucoup parler de lui à cause de la polémique sur sa réinterprétation de l’hymne national en version reggae. Le journaliste du Figaro, Michel Droit, reprochant même à Serge Gainsbourg de « propager inconsciemment l’antisémitisme en associant cette parodie scandaleuse avec notre hymne national ». On se souvient aussi de son concert à Strasbourg investi par des membres d’une association d’anciens parachutistes qui désapprouvent sa réinterprétation de « La Marseillaise ». Gainsbourg leur répond en chantant l’hymne national a cappella et le poing levé !

    Loin de lui porter ombrage, cette polémique porte le disque, une jeune génération s’entiche des 12 morceaux, et découvre Gainsbourg en même temps que cette musique venue tout droit de Jamaïque, le Reggae. « Aux Armes et Caetera » deviendra le premier album platine de Serge Gainsbourg et connaîtra une suite presque aussi réussie avec « Mauvaises Nouvelles des Etoiles ».

     

    En ce premier jour de l’année 2020, nous sommes ravis de clore ce 40ème anniversaire de l’année 1979 avec Serge Gainsbourg, car quel autre précurseur que lui aurait pu aussi bien symboliser cette année-charnière qui scellait le sort de nos dernières utopies… Après 1979, rien ne fut plus jamais comme avant.

     

    Sources : Musiq XXL / Bertrand Dicale / Sens Critique

     

     

     

  • 1979, l’année qui changea le monde, Episode 15 : Reggatta de Blanc

     

    [kleo_pin type= »circle » left= »yes » right= » » top= » » bottom= » »]          « FOCUS » : un article de fond sur un thème que nos rédacteurs ont sélectionné.

     

     

    L’année 1979 est définitivement une année-charnière, comme la fin d’un cycle. Elle scelle le sort des dernières utopies. Le monde prend une pelle et enterre à la hâte les cadavres encore fumants de nos illusions perdues. Après 1979, rien ne sera plus vraiment comme avant…

     

    Coincée à la fin d’une décennie qui paraît un peu creuse, durant laquelle les dirigeants politiques semblent manquer de charisme (le pâle Carter face au cowboy médiatique Reagan, VGE après De Gaulle et Pompidou), l’année 1979 n’attire décidément pas les flashes. Et pourtant… Que d’événements considérables ont eu lieu cette année-là, autant de tremblements qui ont marqué la face du monde et dont on ressent encore les répliques quarante ans plus tard.

    Révolution iranienne, arrivée de Saddam Hussein au pouvoir en Irak, début de la Guerre d’Afghanistan qui mènera à la chute de l’URSS et à l’apparition du terrorisme islamiste, second choc pétrolier et crise économique mondiale, paix entre Israël et l’Egypte, fin des Khmers Rouges… Il n’est pas insensé de penser que 1979 a en réalité été l’année la plus importante de l’après-Seconde Guerre Mondiale.

     

    Never Mind The People

    Du côté de l’Angleterre, l’arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher en mai 1979 laisse présager des lendemains bien douloureux. Le pays se débat en effet dans une crise économique et sociale terrible, ultime convulsion d’un monde en pleine mutation. Les usines et les mines de charbon ferment les unes après les autres, laissant sur le bord de la route deux générations de Britanniques, condamnés au chômage de masse et à une inéluctable paupérisation.

    « L’hiver du mécontentement », le roman de Thomas B. Reverdy, dont le nom a figuré sur la liste du Goncourt en 2015, a pour cadre cette Grande-Bretagne de 1978-1979, paralysée par des grèves monstrueuses qui vont finir par propulser à la tête du gouvernement une inconnue, Margaret Thatcher, femme inflexible.

    Le pays entre dans une nouvelle ère, celle des jeunes loups aux dents aiguisées, bientôt connectés à l’ensemble de la planète, sans morale, sans dieu, vénérant le fric plus que leur propre mère. Ils préparent la grande révolution à venir, celle qui n’a pas besoin de grand soir, de rêves romantiques, d’idéaux en stuc… Ils veulent prendre les commandes de la City, devenir banquiers, actionnaires, hommes d’affaires, assureurs, courtiers, avocats fiscalistes… Et les ouvriers qui crèvent dans leurs bâtiments de briques insalubres, ils s’en foutent, à vrai dire…

     

    « Le reste, on va le liquider. Privatisations, faillites en série, licenciements massifs. Ce sera les grands soldes d’hiver, avant changement de collection (…). Les chômeurs seront de plus en plus nombreux. Mais au moins, ils seront de droite. »

     

    C’est dans ce contexte que paraît l’album « Reggatta de Blanc » du groupe de rock britannique The Police. Sorti le 5 octobre 1979 chez A&M Records, ce disque, à l’image de la société anglaise qui entre dans une période de mutation profonde, va permettre au groupe de sortir de la mouvance punk dont il était encore peu de temps avant l’un des piliers, avec The Clash, en saupoudrant dans sa musique des ingrédients tels que reggae, world music, pop ou rock.

    Le gris bleuté de la pochette, avec ces trois blondinets qui fixent l’auditeur potentiel d’un regard glacial, en cette fin d’année 1979, ne laisse cependant pas présager un seul instant que ce jeune trio deviendrait, en un temps record, le groupe de rock le plus demandé, adulé et imité de la fin des 70’s. Tout juste un an après le succès de leur premier album, « Outlandos d’Amour », la bande à Sting a le vent en poupe et compte bien surfer sur l’immense succès des « Roxanne » et autres « Can’t Stand Losing You » qui continuent d’inonder les programmations radio.

    Avec ce deuxième opus, le trio anglais se doit donc de frapper un grand coup. Il reproduit ainsi la recette imparable du premier album, avec cependant de savantes petites retouches qui vont contribuer à propulser The Police au sommet des charts du monde entier. A commencer par « Message In The Bottle » ou « Walking On The Moon » qui contiennent tous les ingrédients de tubes planétaires, avec leurs mélodies immédiates, cette petite touche reggae et des arrangements qui s’affinent nettement.

     

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    Car cette année 1979 est définitivement l’année de l’explosion du reggae à l’international, marquant le virage radical d’un certains nombre de groupes, qui surfent sur la vague initiée par Bob Marley et son oeuvre ultime, « Survival ». Dans son sillage, donc, des albums majeurs vont venir ajouter leur petite pierre à l’édifice, rendant universel et planétaire le discours de la musique jamaïcaine : « Reggatta de Blanc » de Police, « London Calling » de Clash, « Aux Armes et Caetera » de Serge Gainsbourg ou encore le hit infaillible des Specials, « Gangsters »…

     

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    « Reggatta de Blanc » est un album qui étonne par son originalité, sa fraîcheur et le son minimaliste qu’il dégage. La singularité de Police réside aussi dans le fait qu’ils ont su créer une musique avec des espaces et des silences qui la rendent unique. Le son cristallin et aérien de la Fender d’Andy Summers est sans conteste la marque de fabrique du groupe. La frappe ravageuse, précise et opportuniste de Stewart Copeland pose les bases d’une rythmique carrée qui sous-tend l’ensemble.

    Ajouté à cela, un son travaillé, peaufiné et affiné par une multitude d’effets que maîtrise à la perfection le trio anglais et la basse ultra perfectionniste et inventive de Sting qui vient compléter cet assemblage délibérément rock. Mais pas que… Grâce aussi à un manager (Miles Copeland, le frère de Steward) redoutablement efficace, le trio va sortir une des plus innovantes et surprenantes galettes de l’histoire du rock, en cette fin des années 70. Il en résulte un album net, précis, efficace, dont vous ne ne pourrez pas écarter grand chose…

    Les Anglais ont vite appris de leurs erreurs et les corrigent dès leur second album, avec notamment moins d’approximation dans l’écriture, ce qui donne un disque plus homogène. C’est au détriment des titres les plus bruts et rock, puisque la musique de The Police se lisse sensiblement et l’aspect pop l’emporte désormais sur l’énergie brute, clef de voûte de l’exercice précédent. Si les influences reggae sont omniprésentes (« The Bed’s Too Big Without You », « Walking On The Moon »…), des sonorités électroniques apparaissent sur la popisante « Contact », alors que l’intro au piano de « Does Anyone Stare » installe une ambiance blues, nouvelle pour le groupe.

    Avec « Reggatta de Blanc », The Police fait son trou et est au sommet de son succès, à défaut d’être au sommet de son art, atteint en 1983 avec l’album ultime, « Synchronicity ». Mais ce disque défriche le terrain et assoit définitivement la popularité des Londoniens. L’ascension est fulgurante, comme le sera la carrière du groupe qui s’achèvera au bout de six ans et cinq albums. Il n’en faut pas plus pour écrire la légende du groupe et de ses membres, et inscrire « Reggatta de Blanc » dans la grande histoire du rock.

    En cette fin de la décennie 70, The Police ont certes acquis une certaine reconnaissance en France, avec leur premier opus « Outlandos d’Amour », mais c’est certainement leur passage live le 23 décembre 1979 sur la scène du Théâtre de l’Empire, dans le cadre de l’émission musicale Chorus, qui va établir définitivement la réputation du groupe. C’était donc il y a quarante ans et c’était bien…

     

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  • Antoine Holler, le blues dans la peau

     

     

    Découvert en première partie de Kool and the Gang ou encore James Hunter, Antoine Holler est un artiste rare formé sur les meilleures scènes de Chicago. Auteur-compositeur et interprète, il a collaboré avec de nombreux artistes, de Charles Pasi (Blue Note Records) à Lucky Peterson, en passant par Carla Bruni.

     

    Né à Paris, Antoine Holler commence à jouer de la guitare à 12 ans. Gamin, c’est le film « The Blues Brothers » qui sert de déclencheur. Au-delà des poursuites de voitures, il y découvre le blues et c’est un véritable choc. Ses références absolues sont BB King, Jimi Hendrix et Buddy Guy. A 18 ans, il décide de faire de la musique son métier et part à Chicago, aux racines mêmes de sa passion.

    Chicago, la ville qui concentre alors la crème du blues, des stars aux clubs mythiques… C’est là-bas qu’Antoine Holler va poser ses valises pendant un an, et se confronter à ce monde auquel il rêve tant d’appartenir. Il y est non seulement accueilli à bras ouverts et respecté, lui, le petit Frenchy sorti de nulle part, mais a la sensation étrange d’être « presque chez lui ».

     

    « Dans les années 90, il y avait ce phénomène des guitar heroes. Mark Knopfler, Eric Clapton, Slash… Et il se trouve que tous les musiciens que j’admirais étaient avant tout des guitaristes. »

     

    Avec son comparse Charles Pasi, Il partent à la découverte des clubs, là même où bat le coeur de la ville et où il feront leurs premières armes, en participant à tout ce que Chicago compte de jam sessions et de boeufs improvisés. Ils auront l’occasion de partager la scène avec de grands noms tels que Willie Kent, Melvin Taylor, Jimmy Burns ou Charlie Love.

    A son retour en France en 2005, Antoine Holler participe à la composition et l’enregistrement du premier album de Charles Pasi, « Mainly Blue ». Les dix titres de ce premier opus sont presque tous signés par les deux potes, et prouvent que le blues hexagonal recèle avec ces deux jeunes musiciens en devenir des auteurs-compositeurs au talent et à la fraîcheur indiscutables.

     

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    Après avoir accompagné Carla Bruni pendant deux ans, sur la tournée qui a suivi la sortie de son deuxième disque, « No Promises », Antoine Holler enregistre à son tour son premier album, « Love In Stereo » en 2009, désormais seul aux commandes. Et il faut reconnaître que ce disque est une bien agréable découverte, tant il nous réserve quelques belles surprises. Les compos, tout d’abord, car les dix titres proposés ici (+ l’interlude) sont signés par le chanteur / guitariste. C’est dire déjà la patte du bonhomme…

     

    « Ces deux années en tournée avec Carla Bruni ont été très formatrices, en tant que musicien accompagnateur, entre concerts et passages télé, mais ça m’a encore plus déterminé à mener à bien mon propre projet. »

     

    Côté couleur musicale, « Love In Stereo » est un opus teinté dans le bleu le plus pur, avec un mélange électro et acoustique du plus bel effet. Côté musiciens, l’épine dorsale est assurée par Jimi Sofo à la basse, Yoann Schmidt à la batterie et Fred Dupont aux claviers, renforcée sur plusieurs titres par l’excellent K-Led Bâ’ Sam à la slide sur « Introducing the Moon », le subtil et talentueux Damien Cornelis aux claviers sur « Love In Stereo », le Bass-Master Clive Govinden et… l’incontournable Charles Pasi à l’harmonica sur deux titres, « Money Won’t Bring You Pride » et « Easy Way, Easy Go ».

     

    « Côté jeu de guitare, Antoine Holler fait étalage de tout son talent sans en rajouter, restant dans la subtilité et la finesse, et sans jamais chercher à vous aligner de solos trop longuets, pour démontrer à ceux qui en douteraient qu’il maîtrise autant sa six cordes que les grands guitaristes qu’il admire. » (Frankie « Bluesy » Pfeiffer pour Blues Magazine)

     

    En 2014, Antoine Holler sort son Ep « No Regrets ». Un disque beaucoup plus marqué au sceau du folk et de la pop que son premier album, qui nous fait découvrir d’autres facettes de son talent. Son timbre de voix métissé et la sensibilité de son jeu de guitare vous transportent au travers de mélodies contagieuses et élégantes. Au croisement du jazz, du blues et de la soul, la musique d’Antoine Holler dépasse les frontières et les styles.

     

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  • Depeche Mode : Le romantique sculpté dans des synthés – Partie 2

     

     

    Deuxième partie : Drogue, Blues & Repentir

     

    Comme pour toute descente sur l’autre versant d’une montagne, elle s’avère souvent bien plus périlleuse que la montée. L’important, c’est d’essayer de défier la gravité et savoir toujours se relever pour continuer…

     

    Alors devoir enchaîner après un album comme « Violator », c’était là pour Depeche Mode une gageure quasi-homérique. Un peu comme les Beatles après leur album « Revolver », qui transformeront pourtant l’essai avec « Sergent Pepper’s Lonely Hearts Club Band », ou encore Bowie, qui après « The Man who Sold The World » propose dans la foulée « Hunky Dory ». En effet, peu d’artistes et de groupes ont su ainsi maintenir cette maîtrise sur le même fil et faire durer cet état de grâce. Depeche Mode vont eux aussi y parvenir, mais dans la douleur et l’affliction. Cela tombe bien car ce sera d’ailleurs le thème de leur prochain album…

    Car Dave Gahan se gave d’héroïne et il a perdu beaucoup de poids. Son apparence tient désormais plus de la rockstar maudite, aux cheveux longs et sales et à l’Eyeliner dégoulinant. Quant aux autres membres du groupe, ils vont devoir prendre sur eux… Tout ce beau monde s’envole donc pour l’Espagne, pour l’enregistrement de ce nouvel opus. Même producteur que pour le précédent, avec Alan Wilder de nouveau aux manettes du projet. Les sessions sont longues et douloureuses. On se demande d’ailleurs ce qui va bien pouvoir sortir au terme de cet accouchement aux forceps…

    « Songs for Faith and Devotion » paraît en 1993, soit trois années après « Violator ». C’est d’ailleurs à partir de ce nouvel album que les sorties des prochains disques vont commencer à s’espacer de plus en plus, sur fonds de peine, de difficultés, et probablement d’une certaine lassitude. Mais contre toute attente, ce qui va nous être proposé tient en fait tout simplement du miracle.

    Car « Songs for Faith and Devotion » est certainement le dernier grand album de Depeche Mode. Comme une sorte de pendant à « Violator », mais plus sombre encore, plus organique, plus rock, et la voix de Gahan est cette fois-ci déchirante, bouleversante. La présence des guitares est toujours plus prégnante, quand d’autres instruments à cordes viennent enluminer la production. Elégiaque, intense, puissant et sauvage, ce huitième album va tout comme « Black Celebration » d’abord diviser, pour mieux rentrer dans l’inconscient et devenir définitif.

    Dix morceaux, parmi lesquels, dans l’ordre d’écoute, « I Feel You », ritournelle en rock fiévreux qui ouvre le bal, « Walking In My Shoes » et son intro qui hérisse le poil, « Mercy In You » qui aurait pu figurer sur « Violator » tant elle est cabossée, « In Your Room », sublimissime transe, empoisonnée et désespérée, qui évoque la dépendance à l’héroïne, « Rush » qui aurait pu servir d’influence à Tricky et son futur univers vénéneux, et enfin « One Caress », magnifique chanson habillée uniquement de violons et violoncelles, chantée par Martin L. Gore.

    Les quatre morceaux restants, même s’ils sont légèrement en dessous des six autres, demeurent malgré tout de belle facture. Le néo-gospel fait d’ailleurs son grand retour, avec « Condemnation » et « Get Right With Me ». Et l’ambiance rock générale plus soulignée encore qu’à l’accoutumée marque un virage pour le groupe, en se fondant assez naturellement dans leur univers.

     

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    La tournée mondiale qui va suivre la sortie de « Songs for Faith and Devotion » ne va pas arranger les rapports entre les membres du groupe. Alan Wilder ne supporte plus l’ambiance délétère et les frasques de Dave Gahan, qui sombre chaque jour un peu plus. Dealers, overdoses et crises d’un chanteur toujours plus difficiles à gérer sont au menu de ce tour du monde.

    Pourtant, paradoxalement, cette tournée offre probablement les plus beaux concerts que le groupe ait pu donner, avec des versions incroyables des nouveaux morceaux comme des plus anciens. Dave Gahan apparaît sur scène, tour à tour tel un christ déchiré, un ange maléfique ou une totale rockstar ayant vécu plusieurs vies. Tout cela apporte finalement de la densité et du fond supplémentaire et vu de l’extérieur, Depeche Mode reste un groupe unique, avec des concerts indissociables des albums. Le temps des petits minets à la coiffure en brosse s’activant sagement derrière des claviers semble bien loin, comme dans une autre vie.

    Mais hélas, c’est décidé, irrévocable, Wilder jette l’éponge en 1995 et abandonne le groupe à ses errances. Depeche Mode et ses fidèles ne s’en rendent peut-être pas encore compte, mais ils vont bientôt devenir orphelins…

     

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    Il faut attendre encore quatre longues années depuis la sortie de « Songs for Faith and Devotion » avant d’avoir de nouveau des nouvelles de Depeche Mode, qui désormais ne roule plus qu’à trois. Après moultes remises en question, cures de désintoxication, overdoses et divers comas, les trois rescapés semble avoir cette fois-ci abandonné l’idée de continuer. Dans ces conditions, il paraît peu probable de pouvoir créer de nouveau.

    Ce n’est un secret pour personne mais Andrew Fletcher n’a jamais vraiment été d’un grand apport créatif à la bonne marche du groupe. Et même durant les concerts, il semble faire de la figuration, en tapotant sur un clavier qui n’est peut-être même pas branché… C’est donc Martin L. Gore qui doit reprendre les choses en main après le douloureux départ de celui qui insuffla la respiration, l’âme et l’ADN de Depeche Mode. D’autant plus que pour l’instant, en ce qui concerne Dave Gahan, on ne peut pas dire que ça soit franchement la grande forme…

    Mais alors que l’on y croyait plus, on apprend courant 1996 que les trois survivants sont de nouveau en studio. C’est donc une énorme gageure que représente ce mystérieux nouvel opus, même si Gore doit faire appel à des renforts pour comble le vide immense qui a résulté du départ de leur ancien acolyte Wilder. Et c’est finalement Tim Simenon, le producteur connu surtout sous le nom de Bomb The Bass, qui vient prêter main forte.

    Et c’est ainsi en 1997 que sort le nouvel album de Depeche Mode, « ULTRA », attendu fébrilement par des fans qui restent malgré tout très perplexes quant à la capacité du groupe à rebondir. Pourtant, ce 9ème disque est loin de la catastrophe redoutée. Bien au contraire, il étonne dès la première écoute par son homogénéité. Alors, oui, bien-sûr, on va tout de même ressentir quelques subtiles prémices du fléchissement de l’inspiration du groupe.

    Car « ULTRA » ne révolutionne rien, et ne se renouvelle pas davantage. Pour tout dire, cet album ne prend aucun risque. Le trio (ou duo, pour les mauvaises langues…) reste arc-bouté sur ses acquis, avec l’apport désormais acté des guitares et d’un son electro blues. Certes, la production est propre et la voix de Dave Gahan reste un gage de qualité. « Barrel Of A Gun », qui ouvre l’album et qui est également le 31ème single du groupe, sorti un peu avant le disque, vient démontrer que Depeche Mode est toujours dans la place, mais ne parvient cependant pas à surprendre. Le troisième titre, « Home », chanté par Gore, apporte un peu d’ampleur à ce nouvel édifice. « It’s No Good », gros tube en puissance, vient également assoir le savoir-faire du groupe, désormais sans Alan Wilder…

    « Useless », morceau très rock et sous influence Radiohead, est le troisième single extrait du plus que convenable « ULTRA ». A tout cela, lorsque l’on enlève les trois titres uniquement instrumentaux et pas forcément très utiles à l’ensemble, il reste un album qui a du mal à reprendre sa respiration et qui essaie coûte que coûte de colmater les brèches. Mais pour un album transitoire, cela reste tout de même très correct.

     

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    Il faudra ensuite de nouveau patienter pendant quatre ans, le temps que Gahan se sorte tant bien que mal de sa dépendance à l’héroïne, et que Gore se refasse lui aussi une santé musicale en retrouvant l’inspiration qui l’avait quelque peu quitté. Mais aussi quatre années nécessaires aux trois compères pour parvenir à faire définitivement le deuil d’Alan Wilder et se débarrasser en même temps de l’ancienne peau du groupe. Martin L. Gore rumine tout cela, décortique ce qui constitue ce son si particulier et cette magie qui caractérisent tant les six albums sortis sous l’ère Wilder, et que l’on n’a pas retrouvés sur « ULTRA », tout aussi respectable que pouvait être ce disque.

    En 2001, sort donc « Exciter ». Nouveau millénaire et nouvelle direction. Gahan semble guérit. Il s’est coupé les cheveux. Le nouveau producteur sur ce projet n’est autre que Mark Bell, le cofondateur du duo LFO. On s’attend donc à un album puissant et un brin bourrin aux entournures. Eh bien non, en fait, c’est tout le contraire. Depeche Mode revient en douceur, par la petite porte, sans faire de bruit. le résultat est d’abord frustrant à la première écoute et puis le charme opère… Ou pas… Dans mon cas, il s’agit bien là d’un bain de jouvence que nous offrent les trois survivants de 1993.

    Car « Exciter » est un disque pur, qui s’écoute d’une traite. Il offre bien-sûr ses habituels morceaux incontournables ; avec dès le premier track, « Dream On » et la voix de Dave Gahan, grave, directe, simple. La guitare est là, évidemment, et revient dans plusieurs morceaux de l’album, comme une signature. Il semblerait également que les Anglais aient laissé tomber le blues et les velléités rock. On a affaire à un album de régénération. Beaucoup sont déçus et frustrés, certes, mais si l’on parcourt attentivement la discographie du groupe, c’est une façon de mieux préparer l’auditoire à la suite des évènements.

    Avec « Exciter », on revient donc aux fondamentaux. Les mélodies et les arrangements sont sophistiqués. Les sons sont organiques et on pourrait presque comparer cet album à celui de Björk, « Verspertine », avec comme seule différence que celui de l’Islandaise nous faisait sombrer dans un repos éternel fait de neige et de glace, tandis que le 10ème opus des Depeche Mode exprime plutôt la quiétude du soleil et une forme de chaleur régénératrice.

    Mais pour consoler malgré tout les amateurs du bon gros son Depeche Mode, le morceau « I Feel Loved » et ses atours entremêlés de disco futuriste et d’électro noir luisant, chevauchés par la voix traînante et sublime de Dave Gahan, calmeront un peu les déceptions en tous genres. On reconnaît sur ce titre surtout la patte de Mark Bell…

     

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    Sachant désormais qu’ils ne pourront plus délivrer comme auparavant un album pratiquement chaque année et qu’ils doivent prendre plus de temps pour se remettre en question et ne pas décevoir leur public, Gahan et Gore mettent entre parenthèses le groupe pour se pencher chacun de leur côté sur leurs propres albums solo. En 2003, ils sortent donc chacun leur album, tout ça malgré tout dans une atmosphère de profond respect mutuel ; « Paper Monsters » pour Gahan et « Conterfeit » pour Gore.

    En 2004, six coffrets gris anthracite sont proposés aux fans hardcore du groupe, qui compilent tous les titres emblématiques depuis « Speak And Spell », sous différentes formes de remixes, maquettes ou divers titres inédits ; véritable mine d’or pour tous ceux qui sont constamment à la recherche du moindre son original de Depeche Mode, du genre de morceaux avec lesquels épater ses copains et les rendre verts de jalousie…  Sobrement intitulées « DMBX », ces anthologies renferment de nombreuses pépites, inédits et curiosités oubliées.

    L’année 2005 marquerait-elle le grand retour de Depeche Mode ? Là encore, rien n’empêcherait le trio de raccrocher. Ils ont connu la gloire, il ont gagné beaucoup d’argent et en gagneront encore des tonnes, avec ou sans nouvel album. Beaucoup d’autres, bien moins populaires qu’eux, auraient déjà arrêté ou n’auraient plus fait que des tournées et sorti un Best Of de temps à autre. Mais non, les trois comparses semblent avoir encore des choses à dire, ou plutôt à nous faire écouter… La recette est d’ailleurs assez simple et elle est gravée dans le marbre : désormais, tous les quatre ans, ils sortiront un nouvel album, suivi de la tournée de tous les stades de la planète. Bon…

     

    En cette année 2005, donc, « Playing The Angel », la toute nouvelle livraison, pourrait faire penser de prime abord à un inventaire. Non pas qu’ils se caricaturent comme certains ont pu le laisser entendre, mais s’invitent dans leur propre univers en retravaillant la matière qui a fait leur succès et leur identité. Nous ne sommes pas ici dans la nouveauté ou le surprenant. Ce qui étonne plus, en revanche, c’est l’énergie de certains morceaux, véritables pièces combustibles faites de métal et de propane.

    « Playing The Angel » est un disque qui alterne une partie énergique en montée, pour glisser ensuite de l’autre côté, sur un chemin plus sinueux et tourmenté et se clore sur un final résolument emprunt d’absolu et de noirceur.

    Le premier morceau qui ouvre l’album, comme à l’accoutumée, se doit de donner le ton de l’ensemble. Et là, en l’occurence, c’est le titre « A Pain That Used To » qui donne le La. Un La puissant, carnassier, qui prend résolument ses distances avec « Exciter » et démontre avec brio que non, Gore ne connaitra jamais le syndrome de la page blanche. Ce premier titre est d’une inventivité folle, en juxtaposant puissance des sons bruts et douceur d’une guitare derrière. Très fort !

    S’ensuivent les morceaux « John The Revelator », « Suffer Well », jusqu’à « Precious » ; autant dire un sans faute. Gore chante pour sa part deux chansons, mais ce ne sont pas les meilleures. Un peu dommage, d’ailleurs, car elles cassent le rythme de l’ensemble. Heureusement, il reste encore deux autres morceaux de bravoure, jusqu’au final somptueux. Ça peut sembler un peu bateau, mais Depeche Mode semblent toujours vouloir conclure leurs derniers titres d’album comme s’ils allaient mourir juste après l’enregistrement.

    En tout cas, « Playing The Angel » s’écoute et se réécoute d’une seule traite, en donnant finalement l’impression que les trois survivants de Basildon n’en ont pas fini avec leur histoire. Loin de là, même. et nous voici amplement rassurés… La tournée internationale qui suit sera la plus grande de toute leur carrière, avec pas moins de 123 concerts donnés dans 33 pays visités. L’album est un très gros succès, notamment avec le single « Precious ».

     

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    En 2006 paraît un nouveau Best Of intitulé… « Best Of »… Etre fan de Depeche Mode, c’est un peu comme avec Björk ou The Beatles. C’est se délecter de toutes leurs créations, bonnes ou mauvaises, puissantes ou plus faiblardes. C’est apprécier le moindre son qui émanerait de leurs âmes. Et pour le fan inconditionnel, le fait de posséder cette compilation, ce « Best Of », tient plus de l’objet qu’on ajoute à sa collection que de toute autre démarche. Dans le passé, le groupe s’était déjà fendu de compilations de ce genre, certes. Mais définitivement bien plus réussies que cette galette fadasse et inutile, hormis un inédit, « Martyr », qui s’oublie néanmoins juste après sa première écoute et le single « Strange Love », qui n’existait ni en version radio ni dans le clip de l’époque.

    Ce qui frappe avant tout et qui heurte l’oreille du fidèle et consciencieux auditeur, c’est l’agencement des morceaux au fil de la tracklist, voire même le choix des morceaux. Comme si tous les standards, ainsi que d’autres titres plus confidentiels, avaient été notés sur de petits papiers jetés au fond d’un chapeau et sélectionnés après tirage au sort. Aucune cohérence… Tel le mode aléatoire d’un lecteur MP3, la sélection semble avoir été composée par un sourd, muet et de surcroît aveugle.

    Il y avait pourtant matière à faire quelque chose de plus original, en utilisant tous les morceaux, pas forcément vus comme des tubes, mais qui auraient pu en revanche constituer des étapes symboliques ou des paliers dans l’ascension du groupe. Bref, avec ce « Best Of », nous avons plutôt affaire à un banal disque pour touristes. Ce qui nous rappelle au passage que Depeche Mode est devenu entretemps une grosse entreprise, une planche à billet implacable, entre bons et mauvais albums, remixes ou compilations discutables. Et nos Anglais se doivent d’occuper le terrain, coûte que coûte.

    Dans son coin, Dave Gahan sort son deuxième album solo, « Hourglass ». Là encore, il faut être un fanatique aveugle et assujetti au magnétisme du chanteur pour apprécier ces poussives chansons portant des textes un peu nian-nian…

     

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    Fort du regain de santé du groupe avec son précédent opus, le trio rentre en studio en 2008 pour accoucher de ce qui devrait une fois de plus révolutionner le son Depeche Mode. La communication autour de la sortie de ce nouvel album repose d’ailleurs sur le retour en force de bons vieux synthétiseurs dont Martin L.Gore aurait fait l’acquisition. Bref, sonorités rétro-futuristes avec lesquelles ce dernier s’amuse…

    L’album en question sort finalement en grande pompe, agrémenté de 13 morceaux et sobrement intitulé « Sounds Of The Universe ». Est-ce de l’ironie ? Car il faut bien reconnaître que « Wrong », le premier single qui nous est proposé, émoustille les plus réfractaires et tous les inconsolables qui pensent que Depeche Mode est mort suite au départ d’Alan Wilder en 1994.

    C’est un morceau neuf qui débarque, nihiliste à souhait, comme seul Gore sait nous les concocter. Puissant et diablement efficace, ce titre n’augure que du bon et laisse penser que l’album pourrait bien surclasser « Playing The Angel ». Les giga-fans peuvent même acheter le CD sous forme d’un gros coffret avec cartes, photos, livret et pins. Le fan service bat son plein. Ok, super, mais l’album, finalement ? Douche froide ou erreur sur la marchandise, mais ce n’est pas du tout ce que l’on avait commandé…

    Si « Playing The Angel » était une comète, ce « Sounds Of The Universe » n’en serait que la queue… Conservant malgré tout encore quelques moments de grâce, ce nouvel album de Depeche Mode n’est qu’une frangipane indigeste. Il s’écoute péniblement et difficilement d’une traite. Aucun morceau ne semble vouloir décoller. Au point que « Wrong », que l’on avait pu découvrir avant l’album, paraît même être un intrus, au beau milieu de cette enfilade de chansons qui ressembleraient plus à des faces B ou d’obscurs bonus réhabilités. Pour preuve, même « In Chains », le titre qui ouvre l’album, ne convainc guère…

     

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    Alors certes, on peut sans doute se consoler avec le travail fourni, le soin apporté à la production et découvrir tout un étrange appareillage de sons organiques et spatiaux, entre bande originale d’un film SF des années 50, les débuts du groupe et cette résurgence d’électro-rock qui secoue depuis quelque temps le groupe. Mais ce qui pêche justement dans « Sounds Of The Universe », c’est sa sophistication un peu laborieuse et son manque de brutalité qui résonnait justement dans son prédécesseur. Cet album est finalement moins sombre et plus accessible, sans doute destiné à un public toujours plus large.

    La palme de la pire chanson revient probablement à « Peace », qui enfonce le clou. A croire que Vince Clarke est revenu pendant la nuit ajouter cet horrible hymne niaiseux et guimauve à souhait à la tracklist. Presque comme un retour au tout premier album en 1981, ou sonnant comme une vulgaire chanson de Coldplay ou Muse. Trois fois « Beurk » !

    Car c’est bel et bien la première fois que le groupe déçoit à ce point. La tournée va pourtant cartonner, mais paradoxalement, les morceaux qui seront joués sur scène seront surtout les anciennes gloires du groupes. Les concerts de Depeche Mode se donnent désormais dans d’immenses stades, tels de grandes messes où trois générations se retrouvent et communient sur leur musique, qui prend désormais une direction différente.

    Quant à Dave Gahan, il faut bien reconnaître que c’est un monstre de scène. Il commence toujours le concert avec une veste, dont il se débarrasse immanquablement pour se retrouver torse nu au bout de trois chansons, exhibant tatouages et corps musculeux. Il semble d’ailleurs rajeunir d’année en année et rien que pour ses démonstrations scéniques, on ne peut pas passer à côté d’un live de DM…

     

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    Dorénavant il semblerait que le groupe et son avenir soit liés par le même contrat Faustien. Soit enregistrer un nouvel album pour à chaque fois pouvoir mieux vendre des billets de concert. Pour preuve, s’il en faut une, avec l’annonce d’une tournée en 2012, alors que le groupe vient de rentrer en studio pour l’enregistrement d’une nouvelle galette. Curieux timing…

    C’est en 2013 qu’est donc livré « Delta Machine ». « Heaven », le single sorti en éclaireur quelques semaines avant la sortie de l’album, n’épate pas autant que n’avait pu le faire « Wrong » avant l’album « Sounds Of The Universe ». On a ici affaire à un titre au rythme lent, qui nécessite plusieurs écoutes avant d’offrir ses entrailles. Mais au final, c’est une très bonne chanson, avec un Dave Gahan impérial qui module sa voix comme une complainte. Après le précédent album très décevant (et c’est un euphémisme…), « Delta Machine » a un côté bain de jouvence fort plaisant. C’est de nouveau Ben Hillier aux commandes, pour la troisième fois consécutive.

    Un nouvel opus assez évident, finalement, dès la première écoute. Cette fameuse première écoute où l’on guette le tube, le morceau phare, un nouveau « Strange Love », « Enjoy The Silence » ou « Stripped »… En ouverture, les Anglais nous livre « Welcome To My World », une sorte de pendant granuleux du « World In My Eyes » de « Violator ». On a ensuite « My Little Universe », dépouillé, radical, qui pousserait l’expérience électro de « Violator » encore plus loin. Culotté… « Should Be Higher », sans doute le meilleur morceau de l’album, qui dès les premières vagues synthétiques de l’intro, vous donne la chair de poule. On est bien là dans l’univers Depeche Mode et ses fondamentaux, son savoir-faire et ses tours de magie.

    Martin L. Gore avait annoncé que ce nouvel opus tenterait de revenir vers l’esprit de leur chef d’oeuvre de 1990. Bon, il ne faut pas exagérer non plus, Martin… Alan Wilder qui a tant marqué de son influence le son Depeche Mode est peut-être un peu présent ici. Son esprit n’est pas mort et ce n’est pas son fantôme qui hante les arrangements de « Delta Machine », mais son aura est pourtant palpable. Mimétisme ou influence, l’album possède une élégance, une tenue, qui rassurent les fans de la première heure. Son écoute est limpide et évidente.

     

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    Il y aurait donc deux écoles distinctes qui apprécient Depeche Mode, pour des raisons différentes. D’un côté les adeptes du son de base électro et industriel et puis ceux, sans doute venus après, qui penchent plutôt pour la veine electro-blues, insufflée par Dave Gahan et Martin L.Gore. Comme si l’ambition de Depeche Mode avait été de tenter de réconcilier ces deux écoles. La richesse de l’inspiration, les mélodies, la voix de Dave Gahan, lui qui semble avoir de nouveau trente ans, toute cette énergie déployée, impressionnent.

    A une ou deux exceptions près, « Broken » et « The Child Inside », pour ne pas les citer, titres plus faibles coincés entre les autres, « Delta Machine » s’avère être finalement un beau cadeau offert par le groupe qui, avec une simplicité déconcertante, n’en finit pas de remettre les pendules à l’heure, là où tant d’autres se prennent les pieds dans les fils.

     

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    Seulement trois ans plus tard (eh oui, comme quoi, il ne faut pas désespérer…), un nouveau single tout chaud sort du four, « Where’s The Revolution ». On reste circonspect, dubitatif et on a beau écouter, réécouter et écouter encore cette nouvelle chanson, il faut bien admettre que ça sent plus le vide intersidéral que le son de l’univers… Pour la première fois, ce sont des textes politiques qui sont scandés par Dave Gahan ; un constat sur l’état du monde, mais l’ensemble n’est pas très convaincant. Et ça nous rappelle plutôt ce que Gahan fait en solo. Oups…

    « Spirit » sort donc en 2016, soit quelques mois après ce pétard mouillé. Le 14ème album de Depeche Mode est produit cette fois-ci par James Ford, un jeune et prolifique musicien, batteur des Artic Monkeys et fondateur du fantastique « The Last Shadow Puppets ». Cela aurait pu laisser présager le meilleur, mais…

    On attend à chaque fois fébrile, tremblotant, le nouveau Depeche Mode, comme si toute notre vie en dépendait. Rares sont d’ailleurs les groupes récents ou encore en activité qui peuvent susciter un tel engouement et surtout une telle ferveur. Jusqu’à présent, même si Depeche mode ont parfois déçu, il y avait toujours deux ou trois morceaux pour rattraper l’ensemble. Mais pouvait-on imaginer qu’un jour, ce serait l’album tout entier qui deviendrait le pire de leur discographie ?

    Premier souci de taille : Dave Gahan s’occupe ici personnellement de quatre chansons. Et on a la douloureuse impression d’avoir affaire à un nouvel album solo du chanteur. Mais une chose est sûre, ça ne sonne plus Depeche Mode. Tout le pendant electro-blues est toujours un peu plus envahissant et contamine tout l’édifice. Dave Gahan a réussi à imposer son style et ses influences rock et colle une voix hasardeuse sur des morceaux plus inconsistants les uns que les autres.

     

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    Le morceau qui ouvre l’album, avec son riff de guitare lambda, est un bon indicateur de ce que sera cette purge. Oubliés les thèmes fédérateurs, les tubes imparables, les arrangements sophistiqués. On a droit à une succession de chansons pop-rock, un brin électro, qui vont de passables à médiocres, en passant par insignifiantes. Le pompon revient à « Eternal » de Martin Gore.

    Pour relativiser, si Depeche Mode avait le statut de nouveau groupe qui sort son premier disque, on pourrait peut-être l’apprécier de façon plus objective. Et c’est d’ailleurs ce que les néophytes ressentent en encensant « Spirit ». Mais pour les vieux de la vieille, le constat est plus amer… Déjà que le single « Where’s The Revolution » ne sentait pas très bon, tant cette resucée d’inspiration « Songs For Faith And Devotion », en plus mou, ne laissait guère présager des cieux bien cléments. Mais contre toute attente, c’est sans doute le titre le plus audible pour les fans de la première heure…

    Tout y est apathique, terne et sans élan. Et le fait que les textes soient plus politiques et engagés, en tentant de coller à l’époque, ne fait pas plus décoller l’ensemble… On peut se passer et se repasser en boucle cet album, au bout de six chansons, on a juste envie de le balancer pour qu’il se fracasse contre un mur et oublier cette vilaine blague que le groupe nous a fait. Presque envie de pleurer… On ne reconnaît plus notre groupe fétiche. On se sent trahi, hagard, sans voix.

    Bon, on se calme… On finit tout de même par ramasser les morceaux du disque qui jonchent le sol et on se dit que sur autant d’albums sortis à ce jour, quand bien même il y aurait juste « un vilain petit canard » égaré dans leur discographie, ce n’est finalement pas la fin du monde. Alors, on sèche ses larmes d’amant éconduit car on vient d’apprendre que Depeche Mode rentre de nouveau en studio pour un nouvel opus suivi d’une tournée prévue en 2020.

    Et là, le cœur bat la chamade. Tous les espoirs sont permis et le monde semble beau, d’un coup. Les Depeche Mode sont increvables. On leur pardonne tout. Certes, ils ont eu des hauts et des bas, mais ils ont quand même souvent tutoyé les sommets. Alors, on va patienter et on sera là, quoiqu’il arrive. Toujours…

     

     

     

  • 1979, l’année qui changea le monde, Episode 11 : Breakfast In America

     

    [kleo_pin type= »circle » left= »yes » right= » » top= » » bottom= » »]          « FOCUS » : un article de fond sur un thème que nos rédacteurs ont sélectionné.

     

     

    L’année 1979 est définitivement une année-charnière, comme la fin d’un cycle. Elle scelle le sort des dernières utopies. Le monde prend une pelle et enterre à la hâte les cadavres encore fumants de nos illusions perdues. Après 1979, rien ne sera plus vraiment comme avant…

     

    Coincée à la fin d’une décennie qui paraît un peu creuse, durant laquelle les dirigeants politiques semblent manquer de charisme (le pâle Carter face au cowboy médiatique Reagan, VGE après De Gaulle et Pompidou), l’année 1979 n’attire décidément pas les flashes. Et pourtant… Que d’événements considérables ont eu lieu cette année-là, autant de tremblements qui ont marqué la face du monde et dont on ressent encore les répliques quarante ans plus tard.

    Révolution iranienne, arrivée de Saddam Hussein au pouvoir en Irak, début de la Guerre d’Afghanistan qui mènera à la chute de l’URSS et à l’apparition du terrorisme islamiste, second choc pétrolier et crise économique mondiale, paix entre Israël et l’Egypte, fin des Khmers Rouges… Il n’est pas insensé de penser que 1979 a en réalité été l’année la plus importante de l’après-Seconde Guerre Mondiale.

     

    Le morceau « Breakfast in America » du groupe anglais Supertramp a donné son nom à un album mythique, sorti il y a 40 ans, le 29 mars 1979. Retour sur un succès international et une pochette controversée.

     

    Ce sixième opus de Supertramp est également l’album qui fera entrer le groupe anglais, formé dix ans plus tôt, dans la légende. « Breakfast in America » s’est en effet vendu depuis sa sortie en 1979 à plus de 20 millions d’exemplaires et a reçu deux Emmy Awards. C’est d’autre part le 4ème album le plus vendu en France de tous les temps, après ceux de Céline Dion, Francis Cabrel et Michael Jackson.

    En 1979, le disco a investi toutes les pistes de danse de la planète, mais Supertramp va venir jouer les trouble-fêtes avec son album « Breakfast in America », qui se hisse au sommet des charts et s’y maintiendra durant plusieurs semaines, aux Etats-Unis, en France ou encore en Allemagne. Dans d’autres pays, on lui a préféré cette année-là le disco de « Y.M.C.A. ». Etrange, d’autant que de Village People, nous n’aurons finalement vraiment retenu que ce titre. Alors que « Breakfast in America », hormis le titre éponyme, c’est aussi « The Logical Song », « Goodbye Stranger », « Take the Long Way Home » ; que des tubes…

     

    « Au moment où on enregistrait cet album, je savais qu’on tenait là une série de très bonnes chansons. C’était une époque où j’avais le sentiment qu’il n’était pas utile de refaire un album concept comme « Crime of the Century ». Il fallait que ce soient des chansons qu’on aurait plaisir à jouer, avec de bonnes mélodies et une belle énergie. » (Roger Hodgson)

     

    En mars 1979, donc, le titre « The Logical Song » est le premier single extrait de l’album, et il devient dès sa sortie un succès planétaire. Paul McCartney en fait d’ailleurs sa chanson préférée de l’année 1979. A noter qu’en Angleterre, « The Logical Song » devient le titre le plus étudié à l’école. Autre extrait incontournable de l’album, le morceau « Breakfast In America » que Roger Hodgson compose en Californie, où le Britannique réside depuis déjà six ans.

     

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    « Alors, il y a pas mal de moments dans l’album « Breakfast in America » où le groupe joue fort. C’est aussi une époque où on se sentait bien, on était heureux d’habiter en Californie, et je crois que ce disque recèle l’esprit de la Californie, bien plus que tous les autres albums de Supertramp. » (Roger Hodgson)

     

    Et pour la petite histoire, Supertramp comme « Breakfast in America » ont bien failli ne jamais exister… Retour en 1969, Roger Hodgson monte un groupe. Son nom : Argosy. A ses côtés pour ce projet, un certain Reginald Kenneth Dwight. Les deux compères enregistrent leur premier single, « Mr Boyd / Imagine » qui sera un échec commercial. Suite à cette déconvenue, Hodgson participe à l’audition « Genuine Opportunity », organisée par Rick Davies.

     

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    Rick Davies, fasciné par la voix d’Hodgson le choisit finalement. La première version de Supertramp est alors composée de Rick Davies, du chanteur guitariste, bassiste et pianiste Roger Hodgson, ainsi que de Richard Palmer (guitare, balalaïka, chant), un passionné de The Band et de Traffic, qui plus tard deviendra parolier pour King Crimson, et de Robert Bob Millar (batterie, percussions et harmonica). À cette époque, d’ailleurs, on ne peut pas dire que l’entente entre les membres du groupe soit des plus parfaites…

    Le groupe va brièvement se choisir le nom de Daddy pendant quelques mois, avant de devenir, sur les conseils de Richard Palmer, Supertramp, d’après le titre d’un roman écrit par William Henry Daviesen en 1908, intitulé « The Autobiography of a Super-Tramp » (« L’Autobiographie d’un super-vagabond »).

    Quant à Reginald Kenneth Dwight, il se fera connaître sous le nom d’Elton John, devenu l’icône pop absolue et le performer de tous les records, avec ses 50 ans de carrière au compteur et plus de 300 millions d’albums vendus.

     

    Une pochette aussi mythique que controversée

    Quant à la pochette de « Breakfast in America », elle est devenue tout aussi mythique, et elle a d’ailleurs fait perdre la tête à quelques-uns. En effet, elle montre une vue de Manhattan prise depuis un avion. Au premier plan, la comédienne Kate Murtagh en serveuse, qui prend la pose de la Statue de la Liberté. Or, des adeptes des théories du complot ont eu l’idée de placer un miroir face à la pochette : les lettres « UP » de Supertramp qui dominent les tours jumelles sont alors devenues respectivement 9 et 11. Ils ont ensuite pris une loupe et repéré un avion dessiné sur le menu que tient la serveuse. Serveuse dont le jus d’orange posé sur le plateau semble enflammer les tours…

     

     

     

    Ajoutez à cela que les événements de ce terrible 9/11 ont eu lieu à l’heure du breakfast. Et que « Breakfast in America » est sorti 22 ans avant… Il n’en faut pas plus pour que plusieurs théories conspirationnistes ne naissent pour expliquer le 11 septembre : l’une d’entre elles vise les francs-maçons qui auraient planifié de longue date ce vol à destination des Twin Towers. Or, le milliardaire qui a soutenu financièrement le groupe lors de sa formation a été vu avec un pendentif maçonnique. « Je pense que c’est un amas d’idioties, d’âneries ! C’est dingue ce que les gens peuvent penser ou faire », rétorque sentencieusement le musicien John Helliwell.

    Une explication pour le moins extravagante, mais qui a l’intérêt de nous rappeler la devise du théoricien du complot : pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Et c’est comme ça qu’il se retrouve à détailler une pochette de disque avec un miroir et une loupe…

     

     

     

  • Il était une fois… Le Boy

     

     

    Philippe Fatien, homme d’affaire opportuniste et ex forain reconverti en roi de la nuit, crée le Boy à la fin des années 80…  Et c’est la révolution. Retour en arrière… A Paris, dans les années 70, les clubs réservés aux gays étaient quasi inexistants ou juste des timbres poste, au mieux des arrière-salles de bars plus ou moins définies comme telles.

     

    Il y avait bien le Sept, club mythique de la Rue Sainte-Anne, fréquenté par Saint Laurent, Kenzo et Lagerfeld. C’était légèrement trash, avec ce vernis happy few décadent qui rendait l’endroit faussement sulfureux. S’y mélangeaient mannequins à la mode, célébrités et parfaits inconnus, venus renifler de près toute cette crème hype. Mais l’endroit était minuscule et souffrait de ne plus pouvoir contenir une population sans cesse grandissante et toujours un peu plus nombreuse à assumer et revendiquer sa place dans les folles nuits parisiennes.

    Il faudra attendre 1978 et l’ouverture du Palace, Rue du Faubourg Montmartre, pour que toute la faune branchée du Sept migre vers cet ancien théâtre reconverti en nouveau temple underground et select, et rende les nuits de la capitale encore plus novatrices et incontournables, en matière de soirées et d’ambiance.

    Début 80, ce sont les Bains Douches très vite rebaptisé Les Bains, Rue du Bourg-l’Abbé, qui vont voir le jour, avec leur cortège de VIP, de coke et de musiques inédites et décalées. Endroit plus petit que le Palace, mais avec une amplitude de branchitude bien plus importante encore. La redoutable physio dénommée Marilyn, telle un cerbère, sélectionne les clients comme Pedro le ferait avec chaque grain de café.

     

     

     

    Mais en ce qui concerne les lieux gays purs et durs, des petits cabarets, davantage que des boites de nuit, émergent vers la fin des années 70, comme Le Scaramouche, Rue Vivienne, Le Rocambole, Le Sélénite ou Le Mocambo en banlieue parisienne. Courant 80, c’est Le Broad dans le quartier des Halles, Rue de la Ferronnerie, qui ouvre et devient forcément très vite « the place to be », lorsqu’on est jeune et que l’on aime le fun… Et qu’on est homo aussi.

    Il faudra pourtant laisser s’écouler toute la satanée décennie des vestes à giga-épaulettes pour voir s’ouvrir un lieu de grande taille comme Le Palace, entièrement consacré aux hommes qui aiment les hommes, avec des DJs talentueux et à l’inspiration musicale avant-gardiste. Fini l’underground et le dissimulé. Terminé la marginalisation ou la clandestinité.

    L’idée du Boy, c’est de transformer les nuits gays en de vastes fêtes populaires ouvertes à tous. En prenant comme modèle le célèbre club new-yorkais, le Paradise Garage, Philippe Fatien, le futur propriétaire du Queen, sent l’opportunité lui sourire en ouvrant Rue Caumartin, juste sous l’Olympia, son propre sanctuaire dédié à la House Music, Acid House, Garage et New Beat, tous ces nouveaux courants musicaux venu de Chicago, Detroit et New York.

    C’est une révolution, surtout pour tous les petits gars qui débarquent de leur province, en découvrant ce lieu où l’on programme un son jamais entendu jusqu’alors. Avec l’émergence de cette nouvelle musique, à l’aune de la techno, les gays découvre une identité musicale qui répondra parfaitement à leur époque, en formant un tout.

    Une identité revendicatrice qui passe d’abord par des marqueurs vestimentaires, avec l’attitude et le mode de vie qui les accompagnent. Bonjour le short cycliste avec la grande chemise blanche large portée par-dessus, ou encore le t-shirt à manche courte ultra-moulant qui rappelle un peu Laurent Fignon… La casquette et son gros Boy’z London en métal dessus, avec des petites ailes. Le DJ bag, les Ockleys et les grosses chaussures. Au revoir la sobriété et le bon goût. Le gay n’a plus peur et il s’affiche.

    C’est aussi au Boy que l’on découvre cette musique noire américaine, entre gospel et soul, teinté d’électronique, qui émerge des cendres du disco dès le début des années 80. Un phoenix qui va également prendre sous son aile, au coeur de ces grandes villes outre-Atlantique, tous les laissés pour compte du grand rêve américain, celui qui lavait plus blanc que blanc et de préférence hétérosexuel.

     

     

     

    Alors, à Paris comme à New York, la communauté queer, gay, trans et travestie, communie tous les soirs au Boy. Et ils sont plus de mille, les bras en l’air et le sourire aux lèvres, à se remuer sur la piste jusqu’à 5 ou 6 heures du matin, sur « Vogue » de Madonna, Frankie Knuckles, David Morales, les Masters At Work, Erick Morillo, Todd Terry et tant d’autres encore. On y transpire et on y suinte, on y drague accessoirement, mais ça passe toujours après la danse…

    Dans ces années sida qui ratissent large, Les soirées gay ne seront désormais plus sordides, sombres et mélancoliques, mais lumineuses, pleines de paillettes et de musiques enivrantes. On danse au Boy plutôt que de hanter les sanisettes de gare, les parkings ou les escaliers de la station du RER Auber. On aspire à la lumière de la piste et à ces hauts cubes sur lesquels des danseurs lambda viennent se mesurer et avoir leur minute de gloire, à grands coups de chorégraphies synchros. A l’entrée, Sandrine la physio, impassible, encadrée de deux gorilles. Derrière les portes, ce grand escalier qui mène jusqu’à l’arène…

    Se souvenir avec délice du son d’abord sourd d’un morceau House comme « Good Life » d’Inner City en 1989, ou encore « Promised Land » de Joe Smooth, qui vous bourdonnent dans les oreilles pour exploser dès que vous franchissez les portes insonorisées, en kyrielle de notes et de voix Soul comme du chocolat chaud avec des éclats de noisette. Les basses qui vrombissent dans vos oreilles et chatouillent vos tympans…

     

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    Laurent Garnier sera DJ résident tout le temps que durera l’aventure du Boy. Soit tout juste trois années inoubliables, précieuses et rares. Dans son sillage, s’engouffreront ses apôtres, David Guetta, Stéphane Pompougnac, Joachim Garraud, Fred Rister, Bruno Kauffmann et Marco, le DJ Belge qui importera en France le son Techno venu directement d’Europe du Nord, la New Beat.

    Dans ce temple païen, refuge de tous les orphelins des années 80, cette décennie qui n’a pas été tendre avec les homosexuels, les nuits y sont folles. C’est aussi l’apparition pour la première fois des Drag Queens, ce phénomène pourtant apparu plus de dix ans plus tôt outre-Atlantique, à New York, et qui explose seulement maintenant en France. Tous les jeudi soir, place aux Incroyables, avec une débauche de créatures insensées, Burtoniennes, qui dansent au-dessus de la foule en transe, sur des cubes ou dans des cages. Visions baroques et oniriques qui apportent tout ce dont rêvent ceux qui viennent ici…

    Mais en 1992, le couperet tombe. Une fermeture administrative vient clore cette parenthèse enchantée, qui commençait à faire grincer pas mal de dents, à commencer par celles des riverains qui se plaignaient tous les soirs de voir défiler sous leurs fenêtres cette faune bigarrée et transgressive. Il sera question d’une sombre histoire de viol, puis de trafic de drogue, qui condamnent définitivement cette arche de Noé 2.0 à fermer ses portes.

    Un temps, les aficionados vont se rabattre sur des substituts, comme Le Scorpion, spécialisé dans la Techno, le Rex Club, Le Haute Tension, La Luna et Le B.H, d’autres clubs également très prisés par une clientèle plus spécifique, pour ne pas dire Hardcore.

    Philipe Fatien, le créateur de cette boîte de nuit devenue en seulement trois ans une institution, entrevoit la seconde opportunité de recréer le Boy, en accédant à une adresse beaucoup plus prestigieuse encore. Fort de sa réputation qui l’accompagne désormais comme un halo, le Boy réouvre ses portes sur les Champs Elysées un an plus tard et redevient dans les premiers temps forcément la référence absolue… Mais aussi une marque de fabrique dont on parle en province et dans le monde entier.

    Voici le nouveau royaume de la nuit où tout le monde veut se rendre. Désormais, agenouillez-vous devant Le Queen

     

     

     

    Mais difficile de reproduire les mêmes tours de magie, quand on sait justement qu’il n’y a pas de trucs et qu’il s’agit de magie pure. Ce qui s’est passé au Boy était de l’ordre de l’impensable, du miracle et avec le Queen, c’est une nouvelle époque.

    Sa majesté va devoir désormais rivaliser avec d’autres lieux qui espèrent récupérer un peu du gâteau et de cette population toujours plus nombreuse, qui en ces temps d’avant téléphone portable, internet et attentats, ne pense qu’à une chose : sortir, sortir et toujours sortir. L’Enfer d’abord, derrière les Champs Elysées, non loin du Queen, puis au pied de la Tour Montparnasse, sera surtout réputé pour ses Afters.

    Le Club, Rue Saint Denis, et sa clientèle Afro-Antillaise, comme d’autres lieux réquisitionnés uniquement les samedis soir pour une clientèle qui ne se reconnaît pas forcément dans le faux luxe de cette reine de la nuit autoproclamée comme telle.

    Le Queen sera plus grand et plus meanstream, attirant une clientèle toujours plus diluée (et tous ces hétéros en goguette qui venaient frôler du pédé comme on va au zoo). Des soirées à thème mais qui deviennent des parodies, des caricatures, comme les dimanches soir appelés « le jour des coiffeuses », animés par Galia, une transexuelle qui débite des conneries au micro pour faire rire un public blasé et déjà triste. Les soirées OverKitch…

    Entre temps la musique devient techno, ambiant, electro, deep et s’exporte dans tous les clubs de France et de Navarre. Le Queen n’a donc plus l’exclusivité de ce son et va hélas durant les années qui vont suivre s’essouffler petit à petit.

    Dans la foulée, Le Palace, tombé en désuétude presque en même temps que les Bains, va connaître un temps une seconde vie avec ses « Gay Tea Dance » le dimanche et enchaîner le soir avec le Privilège, son club en sous-sol où la part belle est donnée à la musique pure et à tous ceux qui viennent pour exclusivement danser jusqu’à en mourir d’épuisement.

    DJ André et ses sons magiques, quand House et Garage n’ont jamais provoqué autant d’orgasmes auditifs. La salle de concert L’Elysée Montmartre, tous les samedis soir, va programmer également des soirées gay, mais ouvertes à toutes et à tous, avec une programmation musicale toujours plus pointue et inouïe. Le Bataclan viendra proposer également des samedi thématiques, pour la faune gay parisienne.

    Mais les années 2000 auront eu raison de ces chapelles païennes où l’on se rendait comme d’autres allaient à la messe, par une sorte de nostalgie anticipée, pour allumer une bougie. Tous savaient que cela ne durerait pas. Les bulles sont éphémères.

     

     

     

     

    Il y avait de la magie avec Le Boy quand ça n’était plus que prestidigitation avec le Queen…

    Le Queen traversera donc les années 90 sans trop d’encombre, puis les années 2000, mais le club auparavant mythique en est réduit à ne plus être qu’un logo et un patronyme dénué de sens. Les gays ont déserté les lieux depuis belle lurette et l’endroit est désormais ringard et sinistre. L’agonie durera encore jusqu’en 2015, date à laquelle le club déménage pour aller s’installer un temps juste en face sur l’avenue, et pour enfin définitivement fermer ses portes à peine deux ans plus tard, dans l’indifférence générale.

    Si la crise et les attentats en pagaille auront eu raison de ces vastes lieux de communion, où tout le monde était happy, les nouveaux modes de communications, de rencontre et de drague auront aussi eu leur part de responsabilité dans l’histoire. Aujourd’hui, c’est le Dépôt, Rue aux Ours, qui fait office de synthèse aux nouvelles habitudes de sortie chez les mecs. Un bar, un club, mais surtout la plus grande backroom d’Europe.

    … Mais rappelez-vous encore un peu de cette époque bénie où tout passait par le prisme de la boîte de nuit. Instantané de vie, de la vie d’un gay lambda comme on pouvait en croiser des tonnes à cette époque, avec leurs préoccupations, leurs doutes, leurs souhaits.

     

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  • Steve Reich, tout est bruit pour qui a peur

     

     

    [kleo_pin type= »circle » left= »yes » right= » » top= » » bottom= » »]          « FOCUS »: un article de fond sur un thème que nos rédacteurs ont sélectionné.

     

     

    « City Life » est une œuvre du compositeur américain Steve Reich. Très bien. Mais encore ?

     

    Partie intégrante d’un large mouvement artistique venu tout droit des États-Unis, nommé « Musique Minimaliste », l’œuvre de Reich, inscrite dans ce que l’on appelle la « Musique Répétitive », est en elle-même originale dans le sens où depuis la fin des 60’s, le compositeur a inventé, développé, perfectionné un style qui lui est propre : le « Phasing ». Le déphasage, in French. Non pas que le monsieur soit lui-même déphasé, bien au contraire, et encore que, mais comme tout artiste qui se respecte ou se trouve respecté, Steve Reich conçoit et pense la musique, (les arts en général), dans sa réalité sociale.

    Déphasage et réalité sociale, donc. Une interprétation. La mienne. Mais il n’y a pas que cela… D’autres œuvres peuvent différer, un peu, pas trop non plus, faut pas exagérer.

    Steve Reich a mis de coté ses études en philosophie pour se consacrer à la musique. Musique qu’il a toujours connue. Papa est compositeur à Broadway, maman est chanteuse. Le fiston, féru de jazz, deviendra batteur, dans un premier temps. Depuis sa plus tendre enfance, il navigue entre New-York, où vit son père, et San Francisco, où vit sa mère. Il en fera état dans son œuvre « Different Trains ». Premiers déphasage ? Pour ses études en musique, pareil. La Julliard School of Music de New-York et le Mills College à Oakland, près de S.F.

    Bon. Mais encore ? Eh bien, ses rencontres. Celles de Philip Glass, d’abord, puis de Terry Riley. L’un sur la coté Est, l’autre sur la cote Ouest… Le grand écart, encore. Autre chose, il participe en 1964 à la musique « In C », l’œuvre fondatrice du mouvement minimaliste répétitif, composée par Riley. Et puis, hop, c’est parti. Il fonde son propre ensemble en 1966, le « Steve Reich and Musicians » et ainsi commence sa carrière.

    « City Life », pour revenir au sujet, est une œuvre majeure dans la musique de Reich. Elle date de 1995. Steve Reich a presque cinquante ans. C’est une œuvre de pleine maturité, donc. Maturité artistique, maturité philosophique, maturité spirituelle, maturité humaine. Elle met en œuvre le mélange de musique instrumentale et de sons préenregistrés. On nomme cela « Musique Mixte ». Elle met aussi en scène la ville de New-York et plus précisément un univers sonore de Manhattan.

     

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    Dans la note de programme, le compositeur nous dit ceci : « contrairement à mes précédentes compositions, Different Trains (1988) et The Cave (1993), les sons préenregistrés sont joués ici en direct sur deux claviers échantillonneurs. Il n’y a pas de bande magnétique dans la performance, ce qui ramène à cette petite flexibilité habituelle de tempo, caractéristique de la performance live ». Tiens ! J’ai déjà lu quelque chose comme cela lorsque Beethoven parlait du métronome…

    On y entend ainsi, mélangés aux instruments, des sons de klaxons, claquements de porte, carillon de métro, des alarmes de voiture, des battements de coeur, sirènes de bateau et de police, des discours (notamment les échanges entre pompiers lors du premier attentat du World Trade Center le 26 février 1993). Tout ceci faisant partie intégrante du tissu générateur de la pièce.

    « City Life » s’ouvrant sur : « Check it out » et se concluant par : « Be careful », il est souvent écrit dans les différentes analyses que l’œuvre est à la fois reflet et rejet de la société. Qu’en nous plongeant dans un premier temps au centre de Manhattan, traduisant ainsi la vie trépidante, fourmillante qui y règne ; puis, en assombrissant peu à peu le ciel new-yorkais, Steve Reich cherche à mettre l’accent sur une vie citadine de plus en plus stressante, correspondant à une vision plus sombre qu’il aurait de la ville. Preuve à l’appui, le « Attention » concluant la fin de l’œuvre. Qu’en outre le regard du compositeur nous montre sa fascination/aversion pour la ville. Et pour finir qu’il s’agit en quelque sorte d’un documentaire sonore sur New York.

     

    City Life part. 1 :

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    Ce n’est pas mon interprétation de l’œuvre… Steve Reich n’est pas, à mon avis, dans cette forme de démonstration. Certes, la dualité existe en lui (ce fameux phasing). Certes, des forces opposées s’affrontent. Non seulement en nous, mais également dans notre monde (consonance/dissonance). Certes il expose, il figure mais il ne démontre pas (une forme en arche) *. Il témoigne, s’interroge et nous laisse à notre propre compréhension. L’homme est philosophe, spirituel. En cela, il n’impose pas, ne résout rien, nous laisse dans l’ambiguïté.

    Dans ses œuvres, Reich utilise des matériaux volontairement réduits, musique minimaliste oblige : répétition continuelle de courtes phrases musicales (ostinato), écriture en canons rapprochés (déphasage graduel en boucle). Il y adjoint l’insertion de bruits plus ou moins musicalisés. En fait, souvent musicalisés.

    Sa recherche sur les cycles rythmiques infinis, le sens de toute son œuvre (il a étudié les percussions à l’Institut des Études Africaines à l’Université d’Accra, au Ghana ; puis de retour aux Etats-Unis, il a étudié la technique des gamelans balinais) témoigne non seulement d’un goût prononcé pour le rythme (son coté batteur de groupes de jazz – il a aussi une prédilection pour Parker Charlie et Davis Miles) mais aussi d’une vision circulaire du temps. Un peu comme dans la philosophie Bouddhiste (j’dis çà, j’dis rien non plus).

     

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    Pourtant, c’est là que réside la clef de son œuvre. Tous les compositeurs n’ont pas cette vision temporelle. Tu parles ! Nos sociétés occidentales ont une vision du temps… linéaire. En cela, dans leur musique, il devient difficile de se séparer de ce que nommait John Cage « la colle ». Comment se séparer de cette colle qui colle aux notes ? Un peu comme le sparadrap du capitaine Haddock… Reich à sa réponse. Les minimalistes de sa génération ont tous peu ou proue la même. Un compositeur comme Morton Feldman en a une autre. Ça me fait penser qu’il faudrait que j’aille réécouter James Brown.

    D’autres musicologues font état, comme pour essayer de nous rassurer, d’une logique dans cette volonté d’inscrire des bruits dans la musique instrumentale ; et ils nous disent que Reich a repris l’idée de Gershwin dans « Un Américain à Paris ». Pour le klaxon. Ah… Ouf ! Si Gershwin l’a fait… Peut-être. Mais que ne parle-t-on alors de Varese, Satie, Berlioz, Mozart (le père, pas le fils) ou bien Janequin (compositeur de François 1er) ? De tous temps, les compositeurs qui inscrivent leur œuvre dans leur réalité sociale, dans la vie, dans la ville, ont abordé le sujet. Il y en a bien d’autres sous d’autres formes.

    « Tout est bruit pour qui a peur », nous dit Sophocle. Steve Reich ? A pas peur, lui… Il prend des risques. En sculptant la matière brute, il fait état du tumulte de la ville, de la vie. Ses « bruits », musicalisés, suggèrent des réponses instrumentales en contrepoint des klaxons, freins pneumatiques, dérapages et autre pile-driver. Le bruit n’est pas traité comme une simple illustration, il est la matrice de la pièce. En cela, « City Life » n’est pas un documentaire sonore, elle est le reflet d’une part de notre vie, de ce que nous engendrons. Et si maux il y a, dans Manhattan ou ailleurs, ils sont le miroir des nôtres, Inside us. Les battements de cœur qu’il nous fait entendre, notre pulsation à nous, notre musique, est aussi cette pulsation urbaine sur laquelle nous évoluons. En contrepoint, vous dis-je… Pour Reich, c’est à nous de réfléchir, voire d’agir sur notre environnement.

     

    Auteur: Vincent Dacosta

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

     

    Pour une connaissance plus technique sur le plan harmonique, par exemple, quoi de mieux que de se référer aux mots du compositeur. On peut trouver cette analyse sur le site de l’IRCAM.

    * Une forme en arche : une forme musicale qui symbolise le cycle de la vie. Elle se présente ainsi : ABCB’A’ (ABC étant des thèmes et développements musicaux).

    En 1998, l’album « Reich Remixed » est un hommage rendu par le gratin des artistes de la musique électronique. DJ Spooky, Tranquility Bass, Mantronix, Nobukazu Tekamara et autres Coldcut, ont créé à partir d’une ou plusieurs pièces de Steve Reich, un nouveau morceau. En écoute ici :

     

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    Entre 1996 et 1999, le groupe Sonic Youth, par l’intermédiaire de son propre label SYR, sort une série de quatre albums expérimentaux. Avec SYR4, datant de 1999 : « Good Bye 20th Century », Sonic Youth donne la parole aux compositeurs américains du vingtième siècle en reprenant des morceaux de Cage, Cardew, Reich, Wolf, etc.

     

    SYR1 / Anagrama :

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    SYR4 / Good Bye 20th Century :

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    L’un des grands maîtres du chant polyphonique, Clément Janequin, Chantre du Roy François 1er, écrit en 1530 « Les Cris de Paris ». Point de samplers, mais une ambiance, celle de Paris et de ses camelots.

     

    Les Cris De Paris :

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    Steve Reich : Influences (Entretien avec Bloc.)

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    PARTENAIRES :

     

     

     

     

  • Depeche Mode : Le romantique sculpté dans des synthés – Partie 1

     

     

    Première partie : de l’hésitation au sacre

     

    En 1979, le rock connaît des mutations intéressantes, grâce à la musique Punk qui a cassé les codes dès 1977. Plus qu’une évolution musicale, c’est une fragmentation qui s’opère, avec de nouveaux courants et une importance désormais accordée tant aux instruments employés qu’aux moyens mis en œuvre pour exprimer des émotions.

     

    Si le courant Punk ne s’est contenté que des outils déjà existants pour faire valoir ses messages nihilistes, il ouvre néanmoins un nouveau champ des possibles à de nouvelles générations qui n’osaient pas sortir de leurs petites boîtes. Cette émulation qui consiste à dire que désormais tout est possible et que n’importe qui a quelque chose à dire permet paradoxalement de concrétiser pas mal de rêves.

    La musique va se démocratiser… Et il ne sera plus utile d’investir dans une batterie, un ensemble de guitares ou une basse dernier cri. Le synthétiseur permet tout cela et davantage encore. On assiste ainsi à l’explosion des sons électroniques. David Bowie et Brian Eno ont déjà pris les devants dès 1976, avec les albums « Low » et « Heroes », mais cela reste malgré tout encore anecdotique, tant ces nouvelles sonorités électroniques restent diluées parmi les instruments analogiques traditionnels. Kate Bush aussi tend vers cette recherche d’univers et d’ambiances qui deviendront bientôt de nouveaux marqueurs esthétiques. Car la vraie révolution serait justement de ne plus inclure du tout l’instrument à corde dans l’ensemble.

     

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    Dans toute cette agitation et parmi les nouvelles formations en devenir, l’impulsion originelle vient de Vince Clarke et Andrew Fletcher, qui souhaitent créer un groupe de musique en appuyant leur créativité sur la base de ces nouvelles possibilités techniques, avec des sons uniquement provenant de machines.

     

    Originaire de la petite ville de Basildon en Angleterre, Vince Clarke, leader naturel du duo, compose toutes les paroles et musiques. En 1978, les deux compères sont rejoints par Martin L. Gore. Dave Gahan, quant à lui, devient le chanteur de la formation qui va se muer sous peu en Depeche Mode, en passant un casting… Sa voix de bronze et son allure de bad boy séduisent les autres membres.

    La marque de fabrique de ce proto-groupe repose d’abord sur les synthétiseurs, avec une pincée de pop et de sexy en fin de cuisson. Car à l’époque, un nouveau courant émerge, dénommé la « SynthPop », dont les premiers représentants « So British » sont Soft Cell et Sparks ; même si Sparks, formé par les frères Mael dès 1968, est originaire des Etats-Unis. Ils se sont d’abord fait connaître sur la scène « Glam Rock » américaine, avant de découvrir les synthés et s’affranchir des diktats du Rock pour embrasser à leur tour la « SynthPop ». Sans oublier évidemment Kraftwerk qui officie en Allemagne depuis 1974.

    Vince Clarke, plus opportuniste que créatif, voudrait arriver à un mix de tout cela, entre pop joyeuse et moderne et un son plus technique et clinique, sans toutefois devoir verser dans le mimétisme flippant de la formation allemande, coincée entre ses machines et les robots dont elle se revendique. Il ne reste plus qu’à trouver un nom au groupe. C’est Dave Gahan qui va le dénicher par hasard sur la couverture d’un magazine de mode qui s’appelle justement… Dépèche Mode. Avec ce nom à consonance française et l’exotisme de sa sonorité, les quatre garçons vont pouvoir commencer à y croire.

     

     

     

    De son côté, Daniel Miller est un obscur guitariste amateur qui cherche depuis longtemps à explorer de nouveaux univers musicaux, mais il a cependant conscience qu’il n’a pas le talent requis pour se lancer seul dans l’expérience. Il va néanmoins parvenir à monter son propre label, Mute Records, et part en quête d’artistes qui prennent le train des nouvelles technologies et qui ont des idées et de l’énergie à revendre.

    Il signe d’abord Fad Gadget puis ensuite Depeche Mode en 1981. Miller découvre les quatre garçons à l’occasion de l’une de leurs nombreuses performances dans un club londonien. Mais c’est en fait Stevo Pearce, le manager du groupe Soft Cell, qui le premier les avait remarqués un an auparavant. Il fera d’ailleurs figurer leur tout premier titre « Photographic » sur une compilation sur laquelle on retrouve également d’autres formations en devenir, à commencer par le fameux groupe de Matt Johnson, The The.

     

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    En 1981, Depeche Mode sort son tout premier single sur Mute Records, « Dreaming Of Me », qui remporte rapidement un beau succès dans le Top 75 anglais. Le second 45T sorti dans la foulée, « New Life », marche encore mieux. Mais c’est le troisième single, « Just Can’t Get Enough », qui va être élevé au rang de triomphe absolu, aussi bien en Angleterre que partout ailleurs en Europe.

    Fort de ce succès aussi rapide qu’inattendu, l’enregistrement du premier album peut donc être envisagé en toute sérénité. Il s’intitulera « Speak and Spell ». Sorti en 1981, alors que déjà trois singles caracolent dans les charts anglais et étrangers, « Speak and Spell » représente pour Depeche Mode le commencement d’une aventure musicale et surtout artistique incroyable, mais il faut bien reconnaître qu’en écoutant à l’époque cette collection de chansonnettes « Bontempi », il était bien difficile d’imaginer que le groupe allait pouvoir perdurer pendant 40 ans…

     

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    Depeche Mode, qui porte alors surtout la griffe de Vince Clarke, l’initiateur du groupe, ne reflète en effet en rien ce que deviendra, ce que sera ensuite, le son et l’univers Depeche Mode. Car sur « Speak and Spell », tout est sautillant, guilleret et frais. En ce début des années 80, on voyait des groupes se former pour disparaître aussitôt, tentant de surfer sur les autres succès électroniques, d’Ultravox à The Human League, en passant par Visage, Soft Cell ou Fad gadget… Et dans ce contexte, Depeche Mode est un groupe parmi tant d’autres… Quant à ses chansons, elles n’offrent pas grand chose de très passionnant. Tout y est sucré et naïf. La voix de Dave Gahan est encore toute timide, comme larvée au fond de sa coquille.

    L’album se vend très bien mais, paradoxalement, Vince Clarke semble dépassé par les événements et décide de tout laisser tomber. Interloqués mais pas abattus, les trois autres comparses décident de continuer l’aventure sans leur mentor, ce qui s’avèrera finalement être une très bonne chose pour la suite de l’entreprise. C’est Martin L. Gore qui va dorénavant s’occuper d’écrire les textes et une partie des compositions musicales. Ils doivent cependant trouver un autre musicien pour les concerts…

    C’est Alan Wilder qui est choisi, mais celui-ci ne participera pas à la conception du deuxième album qui sort en 1982, « A Broken Frame ». Le quatrième single, « See You », extrait du 33 tours, atteint la 6ème place du Top 40 et devient le plus gros succès du groupe. Cet album reste encore trop rattaché au précédent, avec cette musicalité sautillante instaurée par Vince Clark, qui entretemps est parti explorer d’autres univers en fondant d’abord le groupe Yazoo avec la petite punkette à la voix soul, Alison Moyet, puis Erasure en 1985.

     

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    Pourtant, le tout dernier morceau du disque, « The Sun and the Rainfall », recèle déjà les germes de ce que va devenir Depeche Mode, avec toute cette mélancolie entretenue et la tristesse élégante qui seront bientôt l’ADN de la bande de Basildon. A noter également que pour la première fois dans une chanson, on entend une guitare, sous la forme d’un riff clair et bien détaché du reste de l’arrangement. D’ailleurs, dans l’album suivant, sur le titre d’ouverture, « Love, In Itself », on perçoit cette fois-ci un accord de guitare sèche, mais il faudra néanmoins attendre sept longues années pour que l’instrument rejoigne durablement les productions du groupe.

    En 1983, peu de temps avant l’enregistrement du troisième album, « Construction Time Again », sort un maxi 45 tours et son tube « Get The Balance Right! ». Mute Records sortira d’ailleurs ainsi trois autres maxis avec la même maquette. Un de couleur bleue, l’autre vert et le dernier brun. Un maxi sur la face A et trois chansons sur la face B.

    Avec « Get The Balance Right! », Martin L. Gore, en charge des arrangements, propose quelque chose de bien plus mûr, sec, industriel et diablement efficace. Ce morceau va d’ailleurs servir de graine originelle à de jeunes DJs de Detroit, et définir la base de ce que seront les premiers morceaux électro et techno de l’histoire. Un changement musical s’opère indéniablement…

     

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    A l’époque, de nombreux groupes et musiciens exploitent à fond le filon du synthétiseur, qui est devenu en quelques années la marque déposée, Le Son de la décennie à venir. On pense évidemment à Jean-Michel Jarre en France, avec ses albums « Champs Magnétiques » ou « Oxygène », qui s’écoulent comme des petits pains.

    Cependant, la spécificité de Depeche Mode, comparé à ses rivaux, ce sont ses mélodies et surtout des textes qui ne tendent pas vers un futur béat et science-fictionnel, mais partent plutôt dans l’introspection, le romantisme noir et désespéré, la mort et la religion. Martin L. Gore se sert ainsi de ces sonorités particulières et de l’habillage sonore désormais identifiable comme d’un oxymore, pour mieux fondre ses états d’âme ainsi que ses pensées tourmentées et intimes.

    En 1983, Alan Wilder va enfin pouvoir participer à la création de l’album « Construction Time Again », troisième opus du groupe anglais et dont certains prétendront qu’il est le premier véritable album à imposer le son « Depeche Mode ». Wilder s’occupe de l’ossature des morceaux et de la ligne directrice de l’ensemble. Il s’impose comme l’arrangeur et l’architecte de cet opus et il y signe également deux titres, « Two Minutes Warning » et « The Landscape is Changing ».

    L’ambiance est ici toujours plus industrielle et les sons nets et précis. La voix de Gahan s’améliore et devient plus mélodieuse, même s’il lui faudra encore attendre quelques années de plus pour que son timbre nous hérisse vraiment le poil. Le premier single de l’album est instantanément un carton, « Everything Count ». Un tube comme ce groupe nous en offrira à la pelle par la suite…

     

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    Mais un tube Depeche Mode, finalement, qu’est-ce que c’est ? C’est fédérateur, innovant, excitant, jamais entendu auparavant et à la capacité implacable de vous obliger à n’écouter plus que ce groupe en boucle, tout en revenant constamment sur leurs anciens albums… Bref, Depeche Mode est addictif. C’est une drogue dure. Et viendront d’ailleurs ensuite des opus où les tubes iront par deux, puis par trois, par quatre, jusqu’à des albums entiers de tubes !

    Avec « Construction Time Again », Martin Gore creuse davantage encore le sillon, dans l’attente d’un futur état de grâce. La connaissance des machines et leur utilisation est toujours plus parfaite. On sent que Gore et Wilder ne peuvent pas juste se contenter d’approximations, mais tendent toujours vers le beau et l’imparable.

    S’inspirant de la musique industrielle allemande, les premiers samples apparaissent ici et là dans les morceaux. Sonorités métalliques, textes plus ou moins politiques sur les méfaits du capitalisme et ambiance crypto-communiste sur les deux pochettes des disques, entre femme russe à la serpe dans son champ de blé, lumière étrange et forgeron, son marteau à la main, sur le flan d’une montagne. Imagerie d’Epinal qui renforce un peu plus encore l’identité originale et singulière du groupe.

    L’album devient disque d’or au Royaume Uni et connaît un énorme succès partout en Europe, et surtout en Allemagne.

     

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    Ce n’est donc pas complètement un hasard si le groupe part à Berlin en 1984 enregistrer son 4ème album. Avec sa pochette toujours aussi originale, sur laquelle on voit un couple de jeunes mariés dans un décor d’usine, « Some Great Reward » pousse encore plus loin ce qui a été initié dans « Construction Time Again ». A savoir, des sons lourds, durs et métalliques. Si l’on devait y voir une forme de thématique, on pourrait alors dire que ce dernier opus est le troisième de la série « Musique Industrielle Allemande », mais aussi l’aboutissement de cette trilogie.

    Cette fois-ci, ce sont deux énormes tubes qui sont proposés aux charts : « People Are People » et « Master And Servant », respectivement 10ème et 11ème singles du groupe. Là encore, les Anglais rencontrent un énorme succès dans toute l’Europe et la tournée qu’ils entament va les emmener jusqu’au Japon. « Some Great Reward » s’impose sans nul doute comme leur premier grand album…

     

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    Depeche Mode, c’est également un look et une identité vestimentaire forte. Martin L. Gore revient de Berlin avec un arsenal SM, à base de harnais et de shorts en cuir. Les autres, moins inspirés par cet affichage radical, opteront plutôt pour des vêtements noirs et une abondance de cuir. Et ces codes couleurs ne varieront finalement plus vraiment jusqu’à aujourd’hui, ce qui leur apporte cette note intemporelle, ce classicisme, comme une évidence.

    Avec la multitude de concerts qui s’enchaînent à un rythme effréné, Depeche Mode ne chôment pas lorsque sort leur première compilation officielle en 1985, agrémentée d’un single original, « Shake The Desease ». Mêlant habilement mélodie mélancolique à des samples de bruits métalliques ou à des cœurs angéliques, ce nouveau titre révèle une aisance nouvelle dans la façon d’imaginer une chanson. Avec cette nouvelle pépite, la compilation cartonne, moins d’un an après la sortie de leur dernier album studio.

     

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    Plus rien ne semble vouloir stopper l’engouement des fans, la vague du succès comme l’inspiration de Martin L. Gore et Alan Wilder, toujours prompts à créer des chansons envoûtantes. A la même époque, cartonnent également ces autres groupes britanniques dits de « New Wave » : Tears For Fears, Duran Duran, Eurythmics, Simple Minds, Talk Talk et bien-sûr The Cure. A la différence cependant que Depeche Mode cultivent quant à eux un son vraiment spécifique et une ligne générale totalement exclusive, qui ne ressemble qu’à eux.

    L’année 1986 marque un nouveau tournant pour le groupe. « Black Celebration » sort au printemps et augure d’une nouvelle page musicale comme d’une nouvelle direction artistique, avec sa pochette noire luisante et ce montage composite mêlant bannière, surfaces abstraites, tulipes et sur chacun des côtés de la photo, des symboles apparaissant en relief sur le carton de la pochette.

     

     

     

    Martin L.Gore semble enfin s’être entièrement détaché de l’influence « kraftwrekienne » et laisse à Alan Wilder plus d’amplitude qu’auparavant. Ce dernier, nourri de musique sérielle et fan de Philip Glass, va élaborer pour ce disque de somptueux arrangements aussi brillants que sophistiqués, ainsi que deux morceaux qui sont des évidences : « It Doesn’t Matter Two » et « Dressed In Black ». Il y donne aussi la part belle aux échantillonnages divers.

    Le premier single « Stripped » extrait de « Black Celebration », même s’il connaît un beau succès, ne suscitera pas la même adhésion que les précédents tubes. Perçu au premier abord comme plus sombre et expérimental que les précédents opus, l’album va pourtant venir chatouiller les charts américains. Car « Black Celebration » nécessite plusieurs écoutes avant de se donner totalement. C’est justement de cela dont il s’agit… Ce 5ème album studio, probablement moins accessible et plus complexe, va peut-être mettre plus de temps à trouver sa place mais il laissera très vite entrevoir sa force, sa puissance, pour s’imposer comme le premier chef-d’œuvre de Depeche Mode.

    « Fly On The Windscreen » et « A Question Of Time » sont les autres tubes en puissance du disque, quand le néo-gospel « Sometimes » laisse cependant pressentir l’attirance naissante des Anglais pour les sons d’influence Blues. C’est également avec cet album que Depeche Mode entame sa collaboration avec Anton Corbijn, qui deviendra bientôt le clippeur attitré de tous les singles à venir. Il est l’autre pendant évident à l’imagerie du groupe, avec sa sensibilité, son âme et son humour curieux, décalé.

     

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    A raison d’un album par an, Depeche Mode semble ne plus vouloir faire de pause dans son ascension effrénée… C’est au printemps 1987 que sort un nouveau single qui remporte aussitôt un énorme succès un peu partout. Car désormais le moindre morceau du groupe est attendu comme le messie. « Strange Love » est bien moins sombre et torturé que ce que nous avait proposé le groupe avec son précédent opus.

     

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    « Music For The Masses » ne sort qu’à l’automne de la même année. Avec le choix de ce titre, qui peut sembler de prime abord quelque peu sarcastique, le nouvel album de Depeche Mode, tout en séduisant toujours plus d’auditeurs sur le Vieux Continent, va partir à la conquête des Etats-Unis. Le groupe a fait appel au producteur des Tears For fears, David Bascombe, qui avait déjà cassé la baraque avec « Songs From The Big Chair » deux ans plus tôt..

    Le son de l’album est toujours plus ample et les morceaux sont taillés pour être joués désormais dans des stades de foot. « Never Let Me Down Again », qui ouvre le disque, en est la parfaite illustration, calibré à la perfection pour entamer un concert et donner la chair de poule à tous les aficionados dès les premières notes. « Strange Love » semble avoir été conçu comme un leurre, car le reste de l’album se drape comme à l’accoutumée d’ambiances plus sombres, ésotériques et désespérées, dont émane un souffle nouveau, très cinématographique.

    Alan Wilder n’y est pas étranger, tant il y poursuit ses expérimentations, à la recherche de sons et d’ambiances inédites. Mais il commence à se sentir quelque peu à l’étroit, dans ce format Pop que lui imposent la loi du marché et surtout l’identité du groupe. Beaucoup plus intimiste et expérimental, Wilder peut cependant sans gêne démontrer toute l’étendue de son talent, avec ses créations personnelles sorties en marge de Depeche Mode à partir de 1988 et signées sous le pseudo Recoil.

     

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    S’ensuit une énorme tournée aux Etats-Unis, durant laquelle Depeche Mode devient encore plus populaire que dans son propre pays d’origine, qui semble lui tourner le dos toujours un peu plus, album après album. De ce voyage initiatique en Amérique et de cette très longue tournée sont tirés en 1989 un film documentaire ainsi qu’un double album live sobrement baptisé « 101 » (le cent unième et dernier concert).

    Et c’est là que l’on réalise que Depeche Mode tient aussi bien le haut du pavé en studio que sur une scène. On y découvre une foule extatique totalement assujettie au jeu scénique de David Gahan, grand showman, véritable rockstar, à l’instar d’un Mike Jagger ou d’un James Brown ; ce qui une fois de plus vient bousculer les idées reçues sur ce groupe que beaucoup de détracteurs se plaisent à détester, ne pensant voir que de tristes sirs derrière leurs machines, sous prétexte que leurs sons proviennent uniquement de boites à rythmes et de séquenceurs.

    Suite à cette consécration absolue, plus un mois ne passe sans qu’il n’y ait une nouveauté DM dans les bacs, entre singles, maxis ou divers remixes. En 1989, Depeche Mode sortent leur 23ème single, « Personal Jesus », mais il faudra encore attendre sept mois avant de découvrir ce que renferme le nouvel album dont est extrait ce titre. Cette fois-ci, la guitare est partie « prégnante » du morceau. Un son bluesy à souhait, franc et puissant, qui surprend d’abord l’auditeur avant de le ravir. Une fois de plus, on a affaire à un tube en puissance, innovant, avec son gimmick si entêtant.

     

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    En ce début 1990, soit tout juste dix ans après la formation hésitante d’un duo et de leurs premières chansonnettes pop, « Violator » paraît à la fin de l’hiver, tout en majesté, racé, arrogant, supérieur, magnifique et envoutant, avec sa pochette entièrement noire tranchée au centre par une rose rouge. Les thèmes de prédilection de Martin L. Gore, qui compose toujours tous les textes des chansons, sur les rapports humains, l’amour, la domination, la religion, le bien et le mal, vont coller parfaitement à ses nouvelles compositions, agrémentées d’un son pur et glacial.

    Un chef d’œuvre ne se rationalise pas, ne se commande pas et ne s’imagine même pas. Ici, en l’occurrence, c’est la conjoncture de plusieurs talents réunis au diapason, en phase, qui a permis à neuf morceaux absolument parfaits d’être ainsi créés. Un album clair, évident, sec. Si des velléités soul déjà suggérées précédemment sur l’album « Black Celebration » se sont affirmées sur le premier single extrait du disque, « Personal Jesus », le reste de la production revient à des fondamentaux intemporels.

    Et c’est « Enjoy The Silence » qui deviendra finalement leur plus gros tube et le single le plus entendu partout dans le monde. A l’origine, ce qui ne devait être qu’une ballade guitare-voix devient la chanson que l’on connaît, sous l’impulsion d’Alan Wilder qui en accélère le tempo avant de la réarranger et de la remixer. « Halo », « World In My Eyes », « Policy Of True » constituent la liste des autres énormes tubes de l’album, tous d’une redoutable efficacité.

    Chaque morceau est parfait, ciselé comme un bijou. Neuf titres, pas un de plus… Neuf chansons, pour prétendre à l’excellence et à une certaine forme de perfection gravée dans le marbre. A compter de « Violator », impossible désormais d’échapper à Depeche Mode et encore moins à cet album qui sacre le groupe définitivement.

    Au point que les quatre compères pourraient s’arrêter là et tout laisser en plan, car après un tel disque, une telle apogée, on ne peut oser affronter la réalité de l’aspect absolument vertigineux de ce qui est en train de se passer, que l’on a besoin de calme et de silence pour réfléchir à l’après. C’est à l’image d’ailleurs de ce clip dans lequel Dave Gahan, portant une couronne et une cape rouge à col d’hermine, s’assied sur son transat pliant au sommet de la montagne.

    Un roi, certes, mais toujours avec des doutes…

     

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