Catégorie : Musique

  • Focus | La légende de Robert Johnson

     

     

    Robert Johnson n’est pas un bluesman parmi tant d’autres… Avant lui, il y eut bien quelques bluesmen fondateurs, de W.C. Handy à Charlie Patton, en passant par Tommy Johnson, parmi lesquels certains sont d’ailleurs passés à la postérité. Après lui, et jusqu’à nos jours, pléthore de bluesmen ont bien-sûr continué à écrire l’histoire de cette musique… Mais Robert Johnson est le blues.

     

    D’abord, cette vie… Une vie digne des plus beaux romans de Balzac, à la dramaturgie imparable, et où tous les ingrédients sont réunis pour forger la légende de Johnson, qui se confondra peu à peu avec la légende de cette musique qu’il aura contribué à rendre si populaire : le blues… Robert Leroy Johnson serait né le 8 mai 1911, à Hazlehurst, dans le sud du Mississippi, l’état alors le plus dur à l’encontre de la communauté noire, pourtant majoritaire. Enfant naturel et petit-fils d’esclaves, son existence d’affranchi n’a cependant rien à envier à celle de ses grands-parents. En effet, après l’abolition de l’esclavage en 1865, ces anciens esclaves sont devenus des employés exploités par ceux qui étaient jusqu’alors leurs « maîtres ». C’est donc dans ce climat de misère et de chaos familial que Robert Johnson vit sa plus « tendre » enfance et son adolescence, balloté entre une mère ayant déjà enfanté à dix reprises, un père « inconnu », Noah Johnson, que Robert n’aura de cesse que de rechercher toute sa vie, des beaux-pères successifs, mais aussi des villes, des écoles, et divers noms de famille, entre Spencer, Dodds ou Willis… Ca n’est d’ailleurs qu’à seize ans qu’il adoptera définitivement le nom de Johnson.

    A quatorze ans, Robert Johnson abandonne la guimbarde pour l’harmonica, qui restera pendant longtemps son instrument de prédilection. Mais c’est à la fin des années 20 qu’il rencontre deux figures mythiques du blues, qui lui enseignent les rudiments de cette musique : Charlie Patton (1891 – 1934), le père du « Delta Blues », une des toutes premières formes de blues, qui inspirera bon nombre de musiciens malgré sa courte carrière, de John Lee Hooker à Son House, en passant par Howlin’ Wolf, Robert Palmer, Bob Dylan, jusque The White Stripes et… Francis Cabrel, et Willie Brown (1900 – 1952), dont on sait peu de choses, si ce n’est qu’il collabora régulièrement avec Patton jusqu’à la mort prématuré de ce dernier.

    En 1929, à l’âge de dix-huit ans, Robert Johnson découvre donc le blues, et se met à la guitare, sans abandonner pour autant l’harmonica, pour lequel il a confectionné un support qui lui permet de jouer des deux instruments en même temps.

    Mais c’est en 1930 qu’un événement tragique le précipite définitivement dans les bras du blues, la « musique du diable »… Sa femme de seize ans perd la vie, ainsi que leur enfant, suite à un accident qu’il aurait lui-même provoqué. Robert Johnson est anéanti, et pour calmer son immense peine, il se réfugie corps et âme dans la musique. C’est à cette période qu’il rencontre Son House, qui le ridiculise en public lors d’un concert : « tu ne sais pas jouer de la guitare, tu fais fuir les gens ».

    Vexé par cet affront, Robert Johnson retourne s’installer à Hazlehurst, sa ville natale, et il y rencontre Ike Zinnerman qui deviendra son mentor et le poussera à prêcher la « mauvaise parole » du blues dans les états du Sud. Cet homme étrange disait devoir la maîtrise de son instrument à la fréquentation d’un cimetière ; il exerce une influence certaine sur Robert, qui répétera à maintes reprises avoir appris à dominer sa « six cordes » à minuit, sur les tombes…

    Lorsqu’il revient à Robinsonville deux ans plus tard pour montrer ses progrès à Son House et Willie Brown, ceux-ci sont stupéfaits par la virtuosité et le talent sans bornes du jeune homme. C’est à ce moment précis que nait la légende de Robert Johnson, selon laquelle il aurait conclu un pacte avec le diable, une nuit sombre, à un carrefour au fin fond du Mississippi. Car ces années d’apprentissage et de concerts minables dans tous les « juke-joints » de l’état ne peuvent pas expliquer une telle métamorphose…

    Voilà ce que relate sa chanson « Crossroads » (enregistrée en novembre 1936) : un soir, à minuit, en pleine misère et en plein désarroi, le Diable lui a rendu visite à ce carrefour, pour lui proposer un pacte : le talent en échange de son âme. Ainsi, le blues ne pouvait pas mieux justifier cette appellation de « musique du diable »…

    Mais en réalité, cette légende proviendrait de son homonyme, Tommy Johnson, qui aurait vendu son âme au diable en échange de sa virtuosité à la guitare. Et Robert n’aurait fait que reprendre cette légende à son compte, à moins qu’elle ne lui ait été attribuée par erreur. C’est d’ailleurs le personnage de Tommy Johnson qui apparait dans O’Brother des frères Coen. De quoi finalement continuer à alimenter la polémique, et donc la légende de Robert Johnson…

    Et pour parachever le tout, Robert Johnson n’aura gravé durant sa courte carrière, sur vinyle et à la postérité, que 29 chansons en tout et pour tout, enregistrées lors de deux uniques sessions studio, en novembre 1936 à San Antonio, puis en juin 1937 à Dallas. La légende veut qu’il aurait écrit une 30ème chanson, mais que le Diable l’aurait gardée pour lui… Ce morceau qu’il n’a pas eu le temps d’enregistrer serait « Mister Downchild », repris ensuite par Sonny Boy Williamson.

    Mais Robert Johnson, c’est aussi trois uniques photos prises de son vivant, ainsi que trois tombes réparties dans l’état du Mississippi, son lieu de sépulture le plus probable étant Morgan City, où l’on peut lire sur la pierre tombale dressée en 1991 : « Ci-git Robert Johnson, roi des chanteurs du Delta Blues. Sa musique fit vibrer un accord qui continue de résonner. Ses blues s’adressaient à des générations qu’il ne connaîtrait jamais, et transformaient en poésie ses visions et ses peurs ».

    Le 16 août 1938, Robert Johnson meurt des suites d’un mystérieux empoisonnement… par un mari jaloux, après avoir agonisé pendant trois jours, dira encore la légende. Il n’avait que 27 ans. Pour la petite histoire… Ou pour la grande, il est le tout premier membre fondateur du fameux « Club des 27 » réunissant les artistes morts à 27 ans.

    Robert Johnson accédera à un début de notoriété en 1961, avec la sortie de l’album « King of the Delta Blues Singers », et deviendra ensuite la référence absolue pour toutes les générations de musiciens qui lui ont succédé, au-delà des frontières du blues, de Muddy Waters à Jimi Hendrix, en passant par John Lee Hooker, Elmore James, Robert Lockwood, Eric Clapton, les Allman Brothers, ou encore les Rolling Stones.

    A noter que tous les enregistrements de Robert Johnson ayant pu être récupérés, y compris les inédits, sont disponibles sur le double CD : « Robert Johnson – The Complete Recordings » (Collection Roots N’Blues – Sorti chez CBS en 1990 et réédité chez Sony Music Entertainment en 1996).

    Et pour finir, vous pourrez visionner Crossroads, film américain de Walter Hill sorti en 1986, qui évoque Robert Johnson à travers l’histoire d’un jeune guitariste blanc qui part à la recherche de la « légendaire » 30ème chanson du bluesman.

    Pour toutes ces raisons, Robert Johnson est le blues…

    Et là, pour la peine, ça n’est pas une légende…

     

     

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    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Robert Johnson Blues Foundation

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »]  robertjohnson.fr

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Robert Johnson @ Deezer

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] La Chronique d’André Manoukian

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »]  Supernatural Crossroad Blues Intro

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »]  Eric Clapton – Session For Robert Johnson – Me And The Devil Blues

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »]  Robert Johnson – Supernatural – Crossroad Blues

     

     

     

  • Hervé Muller a rejoint son pote Jim…

     

     

    Son nom n’évoquera pas forcément grand chose aux jeunes générations, mais Hervé Muller était l’une des plumes les plus affutées des magazines Best, Actuel ou Rock & Folk, de la fin des années 60 au début des 80′. Il nous quittait le 22 mars 2021, sur la pointe des pieds…

     

    Le journaliste et auteur, né dans l’est de la France et âgé de 72 ans, souffrait depuis les années 80 de fibromyalgie, une maladie rare qui lui occasionnait, entre autres, de terribles troubles du sommeil. Entre la fin des 60’s et celle des 70’s, cet ami intime de Jim Morrison aura collaboré à Best, Actuel, Rock & Folk, Libé et le Matin de Paris.

    Si une de ses vieilles connaissances, une autre légende du journalisme musical, Gérard Bar-David, ne nous avait pas alertés, nous ne l’aurions probablement jamais su… Car cette triste nouvelle, nous aurions dû l’apprendre dans les colonnes de Libération ou de Rock & Folk, deux médias amnésiques qui existent pourtant toujours aujourd’hui, avec lesquels Hervé Muller avait pendant longtemps collaboré et apposé sa fameuse signature au bas de nombreux articles. Hélas, plus personne au sein de ces rédactions ne semble vouloir s’en souvenir…

    Hervé Muller était pourtant un immense rock-critic, même s’il était aussi doté d’un solide caractère de cochon. Fameux journaliste rock à Actuel, Best, Rock & Folk, correspondant aux USA de Libé, auteur à succès et biographe de Jim Morrison, Hervé était un vrai héros du rock, jusqu’à ce que la maladie le rattrape au crépuscule des années 80.

     

     

     

    Au printemps 1971, c’est chez Hervé Muller qu’échoue Jim Morrison une nuit, ramassé ivre mort devant la porte de la Cantine du Circus par un ami du journaliste, Gilles Yepremian. Les deux hommes se lieront d’amitié. Muller consacrera une première biographie au Roi Lézard en 1973, « Jim Morrison, au-delà des Doors », puis nous livrera sa version des faits sur les derniers jours du leader des Doors à Paris, avec « Jim Morrison, mort ou vif », publié en 1991, vingt ans après la disparition de Morrison.

    A la fin des années 70, Hervé Muller assure la rubrique rock du Matin de Paris. Au même moment, après avoir produit le premier album éponyme de Trust en 1979, il devient le manager d’un jeune espoir de la variété-rock hexagonale, du nom de Jean-Patrick Capdevielle. La même année, ce dernier cartonne avec son hit « Quand t’es dans le désert », extrait de son premier 33 tours. Mais au début des années 80, Hervé Muller s’installe à New York et disparaît des écrans-radars. On le retrouve à Paris quinze ans plus tard, en 2006, lorsqu’il témoigne dans un documentaire de Michaëlle Gagnet consacré à Morrison, intitulé « Les derniers jours de Jim Morrison ».

    Son vieux compère Gérard Bar-David lui rendait ainsi un dernier hommage, dans un article intitulé « Le dernier voyage d’Hervé Muller », publié sur son site Gonzo Music le 11 mai 2021 : « Atteint de de fibromyalgie, une maladie rare qui lui occasionnait, entre autres, de terribles troubles du sommeil, il pouvait s’endormir en un clin d’œil, en plein jour, comme s’il tombait en état de léthargie instantanée. Il souffrait également du « Complexe de Diogène », entassant chez lui tout ce qu’il pouvait. Sans doute aussi la solitude devait lui peser. Hervé ne devait pas vraiment supporter l’homme qu’il était devenu.

    Gravement malade, il devait absorber une foultitude de médicaments, dont certains contre l’hypertension artérielle. Or il semblerait que ces derniers temps, il aurait omis de suivre son traitement. Le médecin-légiste a conclu qu’il était décédé d’un arrêt cardiaque. Et aujourd’hui, nous avons enfin pu accompagner Hervé Muller pour son dernier voyage. C’était au Père-Lachaise, juste à côté de là où repose son vieux pote Jim depuis déjà un demi-siècle et, de surcroit, le jour anniversaire de la mort de Bob Marley. Un signe !  Nous sommes le mardi 11 mai 2021… So long Hervé Muller… »

     

     

     

  • Jim Morrison, derniers jours à Paris

     

     

    Fondé en juillet 1965 à Los Angeles, The Doors n’aura existé que huit ans. Huit années et six albums studio enregistrés par la formation originelle, qui ont suffi à faire entrer ses membres dans la légende. D’abord avec des titres emblématiques qui ont jalonné la carrière du groupe, comme « Break On Through » ou « Light My Fire », mais aussi et surtout grâce à son leader, le chanteur Jim Morrison.

     

    Poète maudit, véritable performer, cet artiste charismatique et tourmenté a eu une vie pour le moins tumultueuse, faite d’excès en tout genre. Sa disparition précoce, le 03 juillet 1971 à Paris, a contribué à créer la légende mais a mis un terme à l’une des aventures musicales parmi les plus novatrices du 20ème siècle. The Doors sera finalement dissout en 1973, deux ans après la mort de son chaman. Six ans plus tard, la voix de Jim Morrison sur le titre « The End » contribuera à façonner une autre légende, celle du film de Francis Ford Coppola :  « Apocalypse Now ».

    Lorsqu’il arrive à Paris le 12 mars 1971, Jim Morrison a 27 ans et il semble décidé à tourner définitivement la page de ses années Doors. Condamné par la justice américaine pour son comportement jugé obscène lors de la première date de leur grande tournée américaine, à Miami le 1er mars 1969, après un an et demi d’un procès qui l’aura terriblement éprouvé, il souhaite changer de vie, se réinventer, et surtout laisser derrière lui son pire ennemi : l’alcool. Gilles Yepremian a fréquenté le chanteur à l’époque, après l’avoir recueilli un soir, ivre mort. « Le rock le fatiguait. Il s’autodétruisait à petit feu, pour casser cette image de rock star qui lui collait à la peau ».

     

     

     

    « A 27 ans, je suis trop vieux pour être chanteur de rock… »

    Jim Morrison, très affecté par les disparitions récentes de Brian Jones, Janis Joplin ou Jimi Hendrix, n’a plus goût à rien, à part pour la poésie, mais qui ne parvient cependant pas à lui rendre un semblant d’équilibre et de sérénité. Sam Bernett dirigeait alors le Rock’n’Roll Circus, une boîte à la mode, dont l’ex-leader des Doors devint un client assidu. « C’était un garçon dont le comportement pouvait changer du tout au tout en l’espace d’une minute. Il pouvait être agréable, adorable, de bonne compagnie et de bonne conversation, mais le problème, c’est qu’il buvait énormément, et dès lors qu’il avait dépassé la limite, il devenait vite insupportable et ingérable ».

    Le Rock’n’Roll Circus, cette discothèque parisienne où se retrouvaient les célébrités du moment, en ce début des années 70. De nombreuses anecdotes racontent les nuits sulfureuses durant lesquelles se croisait toute la faune d’artistes aux tenues excentriques, de Michel Polnareff à Yves Saint Laurent et Pierre Bergé, venus s’encanailler avec les mauvais garçons, les dealers et les groupies accrochées aux pattes d’eph’ de Keith Richards, Mick Jagger ou Jimi Hendrix.

     

    « Pourquoi je bois ? Pour pouvoir écrire de la poésie… »

    A Paris, Jim Morrison chine chez les bouquinistes, sur les quais de Seine. Lui qui veut devenir poète, il lit beaucoup et aime s’asseoir durant des heures sur un banc, place des Vosges, pour écrire ce qui ne restera que l’ébauche de son oeuvre littéraire. « Il dit qu’il veut mener les adolescents au-delà de l’odyssée juvénile traditionnelle. Il veut leur faire atteindre le champ symbolique de l’inconscient, dans le cadre d’un projet à la fois culturel et poétique. » (Hervé Luxardo, historien, Université Paris III Sorbonne).

     

    « Jim Morrison est mort, mais son corps bouge encore. » (Le Figaro, juillet 1971)

    Mais dans la nuit du 2 au 3 juillet 1971, le corps sans vie de Jim Morrison est retrouvé à Paris, dans la baignoire de l’appartement qu’il occupe avec sa compagne Pamela Courson, au 3ème étage du 17/19 Rue Beautreillis, dans le quartier du Marais. Ce décès aux circonstances mystérieuses ne sera rendu public que quelques jours plus tard par ses amis Agnès Varda et Alain Ronay, qui organiseront à la hâte ses obsèques au Père Lachaise, auxquelles n’assisteront d’ailleurs que cinq personnes. Arrêt cardiaque ? Overdose ? Suicide ? Complot de la CIA ? Étrangement, la police n’ordonne aucune autopsie, suscitant des interrogations qui n’en finiront plus, dès lors, de nourrir le mythe du chanteur poète au destin tragique.

    Avec cette mort brutale, Jim Morrison rejoint le Club des 27, constitué de ces icônes libertaires, parmi lesquelles Janis Joplin, Brian Jones, Jimi Hendrix ou Robert Johnson, toutes foudroyées à 27 ans, et qui se seront, chacune à leur manière, brûlé les ailes dans un combat perdu d’avance contre leurs démons intérieurs. En 1970, il ironisait, en déclarant à qui voulait bien l’entendre : « Vous êtes en train de boire avec le numéro 4 », comme pour conjurer le sort. Ou pas…

     

     

     

    Entre espoir et dérive, en éclairant les circonstances de la disparition du Roi Lézard et ses zones d’ombre, le documentaire d’Olivier Monssens, « Jim Morrison, derniers jours à Paris », produit en 2021 pour Arte, tente ainsi de percer le mystère de l’homme derrière la légende, et en particulier de celui qu’il était devenu ces derniers mois à Paris, après avoir fui les États-Unis, laissant derrière lui sa panoplie de rock star.

    Dans cet exil volontaire, le génie tourmenté balance entre espoirs d’une nouvelle vie auprès de ses héros littéraires, Rimbaud en tête, et errance autodestructrice dans un Paris où la contreculture commence à flirter avec l’héroïne. Enrichie de nombreuses archives, une enquête sur un cold case, doublée d’un portrait brossé par ceux qui l’ont connu pour, peut-être, refermer le dossier Morrison, un demi-siècle après sa mort. Entre portrait documenté et investigation, un retour sur les derniers mois du chanteur des Doors, Jim Morrison, dont la mort brutale et mystérieuse à Paris en juillet 1971 n’a cessé de nourrir le mythe.

    A checker également l’ouvrage « Jim Morrison, mort ou vif » publié en juin 1991 par le chroniqueur Hervé Muller, qui nous a quittés en mars 2021. On lui doit d’ailleurs certains des tout derniers clichés de Morrison saisis à Paris, parmi lesquels la photo à la une de cet article… So long, Mr Muller.

     

    Quand je jette un regard en arrière sur ma vie
    Je suis frappé par des cartes postales
    Instantanées, détériorés,
    Posters fanés d’un temps qui m’échappe…

     

    Documentaire d’Olivier Monssens (France, 2021, 52 mn)

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    Documentaire de Michel Dailloux (France, 2006, 50 mn)

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  • Alexandre Desplat, le plus hollywoodien des compositeurs français

     

     

    Avant de parcourir de manière éclectique et subjective la discographie d’Alexandre Desplat, on doit d’abord se demander pourquoi autant de talents, à l’instar de cet ancien élève du Conservatoire de Paris, préfèrent les collines hollywoodiennes aux verts pâturages français. Pour Alexandre Desplat, cette migration date de 2003, depuis que son travail pour le film « La Jeune Fille à La Perle » lui ouvrit des portes et des fenêtres sur un monde plus large et probablement plus reconnaissant.

     

    Tout comme les scénaristes, les compositeurs pour le cinéma ne nagent pas vraiment dans l’opulence, au pays de Molière et de Berlioz. Et même si ce flûtiste accompli croule désormais sous les sollicitations des réalisateurs étrangers, il faut bien reconnaître qu’outre-Atlantique, on prend bien plus au sérieux la discipline de la musique pour le cinéma. Sans compter que les projets proposés là-bas sont en général plus excitants que ceux qui peuvent se monter en France.

    Même si Alexandre Desplat collabore depuis longtemps avec Jacques Audiard ou Roman Polanski, avec la même fidélité que celle qui lie depuis toujours John Williams et Steven Spielberg, ou fut un temps Danny Elfman et Tim Burton, force est de constater que le cinéma français est bien trop étriqué pour satisfaire les ambitions du compositeur des bandes originales de « The Ghost Writer » ou « Un Prophète ».

     

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    Mais grand bien lui en prit, car depuis une vingtaine d’années, un nombre considérable de films américains auront vu leurs histoires enluminées de ses partitions raffinées et exigeantes.

     

    Même si Alexandre Desplat se revendique souvent des grands maîtres hollywoodiens, tels que John Williams ou Bernard Herrmann, il puise également ses influences dans un héritage bien français, de Ravel à Poulenc, en passant par Saint-Saëns et Debussy. Car c’est bien la sophistication des accords, des enchaînements ou des trouvailles purement formelles qui caractérise le mieux sa musique. En marge de ces illustres références, l’ancien collaborateur de Karl Zéro et Eric Morena a également étudié très consciencieusement les musiques brésiliennes et africaines.

    Mais il est vrai que nombre de ses compositions surfent sur le travail du grand John Williams. Nous pensons évidemment à la B.O. du film de David Fincher, « Benjamin Button », le plus williamesque de ses scores. C’est d’ailleurs en découvrant « Star Wars » dans une salle de cinéma en 1977 qu’il réalisa que ce qu’il voulait vraiment faire, c’était composer de la musique pour des films. La puissance symphonique au service d’images sur un écran déclencha cette vocation, comme une absolue évidence.

     

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    Mais plus encore qu’un Hans Zimmer, autre compositeur européen plébiscité et apprécié des réalisateurs américains ainsi que du grand public, Desplat sait sans cesse se réinventer et repousser à l’extrême les limites de ses inspirations. Il n’y a qu’à constater le travail accompli pour une autre grande collaboration qu’est celle avec Wes Anderson, pour se rendre compte de la richesse des thématiques de ce compositeur « Frenchy ».

    S’il aime avant tout l’ampleur orchestrale, Desplat aime aussi chercher, fouiner du côté des instruments du monde et leurs sonorités originales. Wes Anderson justement, et ses films comme « The Grand Budapest Hotel » ou « L’île aux Chiens », dans lesquels sont convoquées des sonorités traditionnelles, avec des instruments peu ou jamais utilisés dans des productions de ce type. Les Biwa, Koto, Konghou et Yamatogoto pour le Japon, ou encore l’Atabaque, le Conga, le Pandeiro pour l’Europe de l’Est.

     

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    Alexandre Desplat va donc au fond des choses, en ne se contentant pas simplement d’illustrer des séquences. Il a besoin de comprendre et d’aimer ce qu’il voit. De cette même nature intransigeante qu’un Ennio Morricone, avec cette même façon d’appréhender l’histoire, il va apporter une résonance, une vérité aux images. Sa propre imagination va ainsi se réapproprier le film en question, avec toute la profondeur nécessaire. Et sa musique va s’enraciner profondément, prenant parfois le pas sur l’image, en permettant au film d’exister encore plus.

    Avec ses œuvres les plus significatives, notamment « Un Prophète », « Birth », « Le Discours d’un Roi », « Rise of The Gardians » ou « Les Frères Sisters », Alexandre Desplat fait en sorte de ne jamais resservir le(s) même(s) (Des)plat(s)… [Humour] Avec plus de 150 œuvres composées pour le cinéma, la télévision ainsi que le spectacle vivant, celui qui est derrière le thème délicat de présentation des Studio Canal, avec cette flûte aérienne, parvient toujours à se renouveler et surprendre son auditoire.

     

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    En 2019, il crée son premier opéra dit de chambre, d’après un roman japonais intitulé non sans humour « En Silence ». Quelques dates seulement seront prévues pour découvrir un travail plus personnel et introspectif. Nommé huit fois aux Oscars entre 2007 et 2020, Alexandre Desplat est sacré à deux reprises, pour « The Grand Budapest Hotel » de Wes Anderson en 2015 et pour « La Forme de l’Eau » de Guillermo del Toro en 2018.

    Malgré le succès, Desplat a appris l’humilité à Hollywood et la gestion intransigeante de son égo. Il connaît sa place et sait d’où il vient. Ce travailleur acharné, ce stakhanoviste infatigable et digne héritier de George Delerue, insuffle sans cesse dans son œuvre ces ambiances lyriques et délicates qui font sa marque de fabrique, ce romantisme sans fausse pudeur pour ourler les histoires que l’on nous raconte.

    Même pour des partitions enlevées et spectaculaires, comme pour le dernier épisode de « Harry Potter », « Godzilla », « Syriana » ou « Argo », Alexandre Desplat impose toujours une douceur qui enrobe le tout, malgré le tumulte des coeurs et autres cuivres de circonstance. En tout cas, difficile de comprendre comment ce magicien s’y prend. C’est sans doute pour ses recettes secrètes que les Américains font si souvent appels à ses services, tant il possède cette faculté d’apaiser les moments les plus furieux de ses partitions, contrairement à un Jerry Goldsmith, pourtant grand mélodiste.

    Deux Oscars, trois Césars, un Ours d’argent, une pléthore de Grammy Awards, Golden Globes, Etoile d’Or et encore tant d’autres récompenses à la chaîne, viennent souligner sa maestria et son génie protéiforme. Car Alexandre Desplat a bel et bien cette façon à lui de concevoir la musique, afin de tapisser les univers qu’il explore, pour chaque nouvelle quête.

    A bientôt 60 ans, aussi à l’aise dans le film intimiste que d’action, en passant par le fantastique, la science-fiction ou le film historique, Alexandre Desplat est aussi prolifique qu’intransigeant, et n’a pas encore abattu toutes ses cartes. Gageons donc qu’il nous réserve encore quelques beaux moments musicaux dans les années à venir.

     

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  • Comment le titre de Phil Collins « In the Air Tonight » a influencé Michael Mann, le réalisateur de « Miami Vice »

     

     

    Il y a 40 ans, le 09 janvier 1981 précisément, sortait le titre « In The Air Tonight », premier extrait de l’album « Face Value » de Phil Collins. Ce morceau constituera la première incartade en solo du batteur / chanteur, suite à sa prise de distance avec Genesis deux ans plus tôt, et marquera le début d’une carrière très prolifique. A tous ceux qui avaient entre 15 et 20 ans en 1981, cette chanson parle forcément et rappelle quelques souvenirs gravés à jamais dans leur mémoire, entre slows langoureux et échanges de salive interminables…

     

    Dans « In The Air Tonight », Phil Collins exprime toute la colère ressentie suite au divorce d’avec sa première femme, Andrea Bertorelli. On y trouve ainsi des paroles d’une violence rare, telles que « If you told me you were drowning, I would not lend a hand » (« si tu me disais que tu te noyais, je ne te tendrais même pas la main »). Le chanteur dut d’ailleurs se justifier plus tard, en expliquant que la noyade à laquelle il faisait allusion était purement symbolique.

    « In The Air Tonight » devint le titre emblématique de la carrière de Phil Collins, pour sa production atmosphérique, l’originalité de sa structure, son thème sombre et l’intensité de sa rythmique. Avant qu’il ne sorte en single, Phil Collins proposa le morceau à son groupe de l’époque, Genesis, mais ses acolytes refusèrent de l’intégrer à leur répertoire, jugeant la chanson trop « simple ». Le succès de l’album « Face Value » fut tel qu’il incitera pourtant Genesis à changer ensuite radicalement de direction musicale. Le clip de la chanson, réalisé par Stuart Orme, a été parmi ceux diffusés le premier jour de lancement de MTV en 1984.

    Une légende contemporaine est née autour de cette chanson : les paroles feraient référence à un fait divers, à savoir une noyade accidentelle durant laquelle un proche de la victime ne lui vint pas en aide, tandis que Collins aurait été témoin de la scène mais n’aurait pas pu intervenir à temps. Parmi les différentes variations de cette légende urbaine, certaines prétendent que le chanteur aurait invité par la suite cette personne à l’un de ses concerts et l’aurait fixée du regard durant toute la chanson, ou bien qu’un projecteur aurait été braqué sur elle. Eminem fait également référence à « In The Air Tonight » dans son tube « Stan ». Le Stan en question, qui s’adresse dans la chanson à son idole, Eminem lui-même, compare sa situation personnelle à la noyade décrite dans la chanson de Phil Collins.

    Mais quel rapport avec Michael Mann et la série « Miami Vice », me direz-vous ?

     

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    I can feel it coming in the air tonight
    Oh, Lord
    And I’ve been waiting for this moment for all my life
    Oh, Lord
    Oh, Lord…

     

    Le 16 septembre 1984, deux mois après le lancement de la chaîne musicale MTV le 19 juillet de la même année, le premier épisode de la série « Miami Vice » produite par Michael Mann est diffusé sur le réseau NBC. « Miami Vice représentait un changement radical vis-à-vis de tout ce qui était produit pour la télévision à l’époque ». Pour la première fois, une série est construite autour de la musique qui est censée l’habiller. Et pour cause, le cahier des charges qualifie le projet de série « MTV Cops ». C’est ainsi que « Miami Vice » se distingue par sa mise en scène faisant constamment référence à la culture new wave et à la musique des années 1980, avec pour coeur de cible la « Génération MTV ».

     

    « J’ai beaucoup regardé MTV, à l’époque, et « In the Air Tonight » était mon morceau de musique préféré », dit Mann, qui réalisera et produira ensuite quelques monuments du cinéma des années 90, entre « Heat », « The Insider » et « Ali ».

     

    Ça n’est donc pas un hasard si nous retrouvons « In The Air Tonight » dans la playlist du premier jour de diffusion de MTV aux Etats-Unis en juillet 1984, dans le pilote de « Miami Vice » comme dans le tout premier volet de la série, intitulé « Brother’s Keeper », diffusé le 16 septembre 1984 sur NBC… Car Michael Mann conçoit chaque épisode comme un clip vidéo, où la musique est forcément omniprésente. Contrairement aux autres séries de l’époque qui utilisent des réinterprétations de chansons rock, les producteurs de « Deux Flics à Miami » destinent plus de 10.000 dollars par épisode à l’achat des droits d’auteur des tubes de l’époque. Et pour un musicien, pouvoir placer un de ses titres sur la série était immanquablement un gage pour stimuler ses ventes. De nombreux artistes ont ainsi vu une ou plusieurs de leurs chansons habiller des scènes de « Miami Vice ».

    Dans la bande-son de ce premier épisode, outre l’habillage musical du compositeur d’origine tchèque Jan Hammer, également responsable du générique, on retrouve The Rolling Stones, Cyndi Lauper, Lionel Ritchie et Rockwell. Quant au titre de Phil Collins, il illustre magistralement la séquence devenue culte, lorsque Ricardo Tubbs et Sonny Crockett, au volant de sa fameuse Ferrari Daytona Spyder noire, se rendent à un rendez-vous avec le trafiquant de drogue colombien Esteban Calderone. Le non-moins célèbre fill de batterie intervient au moment où Crockett sort d’une cabine téléphonique et monte à bord de la voiture.

     

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    « C’est probablement la séquence-prototype de Miami Vice », déclarait le réalisateur de l’épisode, Thomas Carter, au magazine TIME en 1985, tout en se félicitant d’avoir eu l’idée de génie d’utiliser la chanson de Collins pour cette scène.

     

    Mais parmi les centaines de titres qui furent utilisés dans les 108 épisodes de 52 minutes, ainsi que dans les trois épisodes de 90 minutes, Michael Mann avouera plus tard que c’est vraiment « In The Air Tonight » qui aura le plus collé au rendu visuel souhaité par le producteur. « Cette chanson est tellement bonne, en termes d’ambiance et de mélodie. Elle aura définitivement marqué de sa patte le programme ». Mann a étudié à la London Film School dans les années 60 et il cite souvent en référence « Alexandre Nevski », la composition de Sergei Prokofiev adaptée à l’écran par le réalisateur Sergei Eisenstein, « la plus parfaite collision entre la musique et l’image ».

    Car Mann voulait dès le départ insuffler à la série une sorte de sens hollywoodien du spectacle. « Avec Miami Vice, nous faisions des films d’une heure, pour la télévision ». Et qui dit cinéma et grand écran dit musique et bande-son. C’est ainsi qu’ils adoptèrent une méthodologie différente de ce qui pouvait se pratiquer sur les séries concurrentes de l’époque. Les rushes des épisodes étaient livrés chez Jan Hammer, qui jouait directement sur l’action qui se déroulait à l’écran, sans être dirigé par Michael Mann. Ce dernier n’intervenait ensuite que pour d’éventuels ajustements. Quant au montage final de chaque épisode, il se faisait en fonction de la bande-son, quitte à couper ou à raccourcir certaines scènes pour qu’elles collent parfaitement à la musique.

    A noter également que « Miami Vice » fut la première série-télé a être diffusée en stéréo. Tout ça pour dire, Michael Mann doit beaucoup à la chanson de Phil Collins…

    Pardon ? Comment ça, « In The Air Tonight » n’est pas un slow ?? Mais… Mais je me vois encore, à quinze ans, danser langoureusement sur cette chanson !

     

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  • De Gainsbourg à Gainsbarre : seul l’amour est un art

     

     

    Serge Gainsbourg est un monde à lui tout seul, un concept. Une immensité aussi grande que contrastée. C’est un océan puissant, profond et tour à tour sombre, étincelant, élégiaque ou vociférant, en fonction des flux et reflux du temps. Et la lune, maîtresse argentée, l’a souvent brinquebalé, en yo-yo schizophrénique.

     

    Capable de composer des chansons aux mélodies sublimes et aux textes ciselés comme de sorties publiques plus problématiques, Serge Gainsbourg était ce Docteur Jekyll et Mister Hyde soumis à l’astrologie et aux femmes, esclave de son signe zodiacal et de son thème astral. Ses frasques et ses attitudes sont aussi célèbres que ses chansons. Gainsbourg était bélier ascendant poisson, l’eau et le feu. Il a véhiculé, tout au long de ces trente années passées sous les feux de la célébrité, autant de paradoxes, d’excès et de fulgurances, dans le seul but de se construire un personnage de légende ; plus qu’une carrière, une épopée.

     

    « Je t’aime et je crains de m’égarer et je sème des grains de pavot sur le pavé de l’anamour. »

     

    Peintre et romancier avorté, nourri de poésie et de littérature du 19ème siècle, Gainsbourg voue un culte et une obsession à Rimbaud, Musset, Baudelaire, Edgar Alan Poe, et chez les écrivains, à Oscar WildeLe Portrait de Dorian Gray ») ou Benjamin ConstantAdolphe ») ; mais surtout à sa bible absolue, la matrice de toute son œuvre et de ses pulsions, « A Rebours » de Joris-Karl Huysmans. Et c’est ainsi qu’il deviendra ce dandy flamboyant, cynique et passablement méchant, qui jette sur le monde un regard désinvolte.

     

    « Ce mortel ennui qui me vient quand je suis avec toi… »

     

    Vous ne lui trouverez pas d’équivalent créatif et artistique dans le reste du paysage musical et lexical. Sans le savoir, Gainsbourg a su remixer avant l’heure Brahms, Chopin, Beethoven, Schumann, Khatchaturian, Sibelius, Dvořák, pour reprendre ces mélodies appartenant à l’inconscient collectif et leur apporter sa prose et ses humeurs.

    Ce fils de parents juifs russes ayant fui le communisme n’aura jamais autant rendu leurs lettres de noblesse à la langue française comme à ces illustres compositeurs. Et ce qu’il aura raté ou perdu dans la peinture, il le retrouvera dans la musique et la chanson, qu’il appelait pourtant un art mineur.

    Plus encore que ses quelques percées dans la réalisation pour le cinéma ou la publicité, il composera également des musiques de films (« La Horse », « Ce Sacré Grand-Père », « Je T’aime Moi Non Plus », « Mister Freedom », « Slogan », « Cannabis », « Manon 70 »…), en leur apportant une plus-value indéniable, tant en termes de qualité que d’émotion, qui transcenderont les longs-métrages eux-mêmes. Des mélodies, des sonorités à la modernité évidente, qui se dissocient instantanément des images et dont on se souvient encore aujourd’hui, contrairement aux films qu’elles habillèrent…

    De la fin des années 50 jusqu’au début des années 90, le petit Lucien Ginsburg, qui deviendra tour à tour Serge Gainsbourg puis Gainsbarre, en une lente et sinueuse métamorphose, nous aura gratifié d’une œuvre himalayesque. Ce petit garçon juif arborant fièrement son étoile jaune comme on porte une étoile de shérif, sans doute déjà enclin à l’anti-conformisme et avec sa vision du monde toute personnelle, cet enfant malingre aux oreilles décollées, transportera longtemps une pelletée de complexes. Se sachant laid ou pensant l’être, il cultivera toute sa vie un art de la provocation et du bon mot, quitte parfois à être méchant en blessant les autres.

     

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    Telle la petite chenille, il a commencé simple pianiste sous la houlette de Boris Vian, puis s’est déployé comme un papillon noir et or. Son œuvre n’a eu de cesse que de croître, à raison de tubes incontournables et de chansons inoubliables. Il fut toujours à la recherche de collaborateurs rares et talentueux, entre Alain Goraguer pour la patte jazzy, Michel Colombier et l’avènement pop, Jean-Claude Vannier pour les expérimentations psychédéliques ou Jean-Pierre Sabard pour des sons plus « FM ». Autant d’inspirations et de rencontres, pour mieux créer encore et canaliser toute cette passion, ce sacerdoce imposé par une exigence sans limite. Ces arrangeurs ont servi les créations de Gainsbourg comme des écrins et les diamants qu’ils renferment.

    Chaque décennie recèle un ton et évoque un univers bien défini, où Serge surfe allègrement sur les genres et les attentes, pour dépasser aussi les lignes imposées par l’époque. Il ne veut pas simplement se contenter de recracher de petites chansons à succès, bien sages, à l’image d’un Claude François, car son objectif ultime est de sublimer le moment et s’inscrire toujours, à la manière d’un Ronsard, d’un Baudelaire, dans un(e) geste définitif(ve).

    Ces volutes Gitanes, la fragrance Van Cleef & Arpels, cette verve au débit saccadé et narquois, ont séduit les plus belles femmes. Et il en a fait chanter plus d’une… Blondes, brunes, rousses, elles se sont toutes bousculées pour venir roucouler les mots que Gainsbourg leur sculptait sur mesure, tel un Michel-Ange torturé, fougueux et génial. Certaines sont restées plus longtemps que d’autres, avec ce privilège d’être dans l’intimité de l’homme à la Rolls Royce, comme un collier de perles qu’on ne quitte jamais, même pour dormir. Bardot, Gréco, Deneuve, Bambou

    Et puis il eut Jane, à qui l’auteur de « Je t’aime moi non plus » consacra tout un album, « Histoire de Melody Nelson », probablement son chef-d’œuvre. Pour l’ex-épouse du compositeur anglais John Barry, Gainsbourg déploie toute son imagination et écrit ses textes les plus forts, les plus fous, ceux qui donnent l’impression de léviter.

     

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    « Ecoute ma voix, écoute ma prière. Écoute mon cœur qui bat, laisse-toi faire… »

     

    A Jane Birkin, Gainsbourg offre autant de chansons sublimes. Il n’a pas peur de les rendre meilleures, et bien plus encore que celles qu’il se réserve. L’amour rend aveugle. L’amour rend fou. L’amour rend meilleur aussi. Si Serge Gainsbourg ne sait pas dire « je t’aime », parce que tout compte fait, sa pudeur et sa timidité souvent le rongent, il s’emploie par des moyens détournés à déployer sa prose et son lyrisme, pour hurler ses sentiments en des élégies somptueuses et des musiques sophistiquées.

    Il était un poète à fleur de peau qui se cachait derrière la subversion et l’insolence…

    Jane Birkin possède une voix fragile et candide, mais en théorie pas celle conçue pour chanter. Et pourtant, c’est toute l’histoire de la chanson française que cet artiste au physique étrange révolutionne. Les mots collent ici au plus près de la tessiture de la petite Anglaise. Ce sont presque des feulements qui parfois expriment autant de caresses, de désirs et de tristesse. La chanson va devenir intime, tellement proche. Une fois de plus, Gainsbourg étonne, innove. Avec l’élégance dont il s’entoure pourtant et cette manière de ne pas y toucher, il grave tout un répertoire dans le marbre.

    En 1971, sort dans les bacs le nouvel album du propriétaire du 5 bis rue de Verneuil. S’inspirant des riffs langoureux et hypnotiques de Jimi Hendrix, Serge Gainsbourg imagine toute une histoire dans laquelle il décrit un personnage sorti tout droit d’un roman caché de Lewis Caroll. Presque androgyne et encore enfant, Gainsbourg tient la ligne de crête dans ses descriptions, avec des allusions qui aujourd’hui l’enverraient tout droit au tribunal, accusé par nos nouveaux inquisiteurs, serviteurs infatigables de la bien-pensance.

     

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    « Comment tu t’appelles ? Melody ! Melody comment ? Melody Nelson ! Melody Nelson a les cheveux rouges et c’est leur couleur naturelle. »

     

    Tout dans ce nouvel opus n’est que somptuosité et magnificence. Avec cette « Histoire de Melody Nelson », Gainsbourg tutoie les astres. Hélas, ces idiots qui constituent le public de l’époque préfèrent se bâfrer de Mike Brant et autres chanteurs bellâtres du moment. C’est un échec commercial et critique cinglant, avec moins de 18.000 copies vendues. Gainsbourg en gardera longtemps une aigreur et une douleur, tel un ulcère. Mais il va prendre sa revanche, à sa façon.

    Avec « L’Homme à Tête de Chou », qui sort cinq ans plus tard, Gainsbourg réitère pourtant avec le principe de l’album-concept. Ce nouvel opus peut s’écouter comme l’autre versant de celui de 71. Une version plus glauque, plus sordide, de cette Melody, être diaphane et fantastique, devenue désormais une simple humaine prénommée Marilou. Une coiffeuse un peu vulgaire et passablement intéressée, qui rend dingue celui qui est tombé en pâmoison sous ses charmes de shampouineuse. Elle le mènera à sa perte, avant que celui-ci, dans un éclair de lucidité, ne lui fasse la peau en lui fracassant le crâne à coup d’extincteur d’incendie.

     

    « … elle a sur le lino, un dernier soubresaut, une ultime secousse.
    J’appuie sur la manette, le corps de Marilou disparaît sous la mousse… »

     

    Gainsbourg aura tout testé, tout tenté, avec des fortunes diverses, même avec deux albums Reggae et un ultime album Funk, très dispensable.

    Si Serge Gainsbourg, à l’instar d’un Gilbert Bécaud, ne tombera jamais dans l’oubli, c’est parce qu’il était habité par l’amour et sa passion des femmes. C’est ce qui reste et qui vibre à chaque nouvelle écoute de son œuvre. Qu’il les chante ou qu’il les ait fait chanter, chacune d’entre elles nous habite et nous subjugue. De la petite chansonnette (« Le Poinçonneur des Lilas », « L’Ami Caouette ») à la définitive (« 69 Année Erotique », « Je suis venu te dire que je m’en vais »), cette précision du mot, cette musique et ses arrangements, alliés à la désinvolture qui le caractérisait, ne peuvent pas nous faire oublier que ce dandy absolu était d’une ultra et hyper-sensibilité qui lui permettait ainsi de voler au-dessus des contingences et des hommes. Son œuvre polymorphe et précieuse s’enracine dans notre culture. On a chacun une chanson, un air, une phrase, une rime, de celui qui fumait des Gitanes lorsque Dieu, lui, préférait les Havane.

     

    « Sorry angel, sorry so, c’est moi qui t’ai suicidée mon amour, moi qui t’ai ouvert les veines.
    Je sais maintenant tu es avec les anges pour toujours, pour toujours et à jamais. »

     

     

     

  • Daft Punk : Voilà, c’est fini…

     

     

    Une fois de plus, les Daft Punk sont là où on les attend le moins… Tandis que des rumeurs persistantes couraient depuis déjà plus d’un an sur la sortie imminente de leur cinquième album, sept ans après « Random Access Memories », ou encore sur la composition de la musique du prochain long-métrage de Dario Argento, ce lundi 22 février, nous apprenions leur séparation, annoncée laconiquement par le biais d’une vidéo intitulée « Epilogue », publiée sur YouTube.

     

    Comme quoi la vie est parfois étrange… Il y a quelques jours, nous pensions célébrer prochainement les 25 ans de l’album de Daft Punk, « Homework », certes sorti en France le 20 janvier 1997, mais réalisé en 1996. Car avec ce premier Lp du duo français, on parle bien de la pierre philosophale de la French Touch.

    Quelques années après que Laurent Garnier et Erik Rug eurent commencé à faire résonner le son français hors de nos frontières, et que dans leur sillon, d’autres artistes posaient les bases du mouvement au tout début des années 90, de La Funk Mob (Cassius) à Dimitri from Paris, en passant par DJ Yellow, Bob Sinclar, Jack de Marseille, Jérôme Pacman ou Shazz, St Germain publiait son immense « Boulevard » en septembre 1995, Motorbass nous gratifiait de son sublime « Pansoul » en 1996, Etienne de Crécy nous balançait son emblématique « Super Discount » la même année. Ces trois albums essentiels connaissent un succès mondial et sont encensés par la presse internationale.

    Et pendant ce temps… Thomas Bangalter, né à Paris le 03 janvier 1975, et Guy-Manuel de Homem-Christo, né à Neuilly-sur-Seine le 08 février 1974, se rencontraient au Lycée Carnot le 06 juin 1986. En 1992, les deux adolescents fondent Darlin’ avec Laurent Brancowitz, futur guitariste du groupe versaillais Phoenix, en hommage à la chanson des Beach Boys.

     

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    Même si la carrière de Darlin’ est éphémère et confidentielle, le premier et unique single éponyme du groupe inspirera à Dave Jennings, un journaliste du magazine anglais Melody Maker, une critique passablement cinglante, en qualifiant la musique du trio de « daft punky trash », littéralement « déchets de punk idiot ».

     

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    En 1993, reprenant à leur compte la citation du fameux journaliste, Thomas et « Guy-Man » fondent le duo Daft Punk. Quelques mois plus tard, en septembre 93, durant une rave organisée à EuroDisney par le Dj anglais Nicky Holloway, les deux comparses rencontrent Stuart McMillan et Orde Meikle, les patrons du label écossais Soma Quality Recordings et membres du duo techno Slam, qui se produisent également ce soir-là.

     

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    Le lendemain, les deux Slam se rendent chez les parents de Thomas Bangalter, à Montmartre. Ils y écoutent quatre titres, dont trois vont se retrouver sur le Ep « The New Wave », paru chez Soma au printemps 1994. Ce maxi passe relativement inaperçu, mais à défaut du succès escompté, la « techno adolescente française » de Daft Punk retient malgré tout l’attention de quelques journalistes et critiques anglais….

     

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    En revanche, confidentiel, le second single du duo qui sort en mai 1995, toujours chez Soma, ne le restera pas longtemps… Le morceau « Da Funk » (SOMA 025), avec sa basse surpuissante et sa boucle acid entêtante, va marquer les années 1990 et bien au-delà. Le brûlot électro paraît dans la foulée sur la compilation « Soma Quality Recordings – Volume 2 » le 30 octobre 1995.

     

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    Toujours en 1995, tandis que Thomas Bangalter crée son propre label Roulé, avec comme première sortie le fameux « Trax On Da Rocks », « Da Funk » traverse la Manche d’une traite – retour à l’envoyeur – pour atterrir sur la compilation « Future Funk » de Radio Nova. Après un troisième et ultime Ep publié chez Soma, « Indo Silver Club » (SOMA 035), le duo français signe finalement chez Virgin Records en octobre 1996. La révolution est en marche…

     

     

     

    « Que sait-on exactement de Daft Punk, à quelques jours de la sortie de son premier album Homework ? Que ce duo est effrontément jeune. Qu’il est français mais émoustille l’étranger (Angleterre, Etats-Unis) comme peu d’autres avant lui. Que ses membres gardent chacun leur label indépendant tout en ayant signé avec la multinationale Virgin pour leur projet commun. » (David Blot pour Les Inrocks, janvier 1997)

     

    Le 20 janvier 1997, « Homework » sort dans les bacs, et c’est une grosse claque dans la gueule. La Daft Punk Mania déferle sur le monde et rien ne pourra plus l’arrêter. A l’instar du livret intérieur de l’album, qui expose toutes leurs obsessions musicales (du poster de Kiss à l’autocollant d’Andy Gibb, de la pochette de Chic à la carte postale des Beach Boys, en souvenir de leur premier groupe Darlin’), ils révèlent une machine à danser et à penser la musique électronique. Même si le disque divise une partie de la critique, personne n’imagine encore la déflagration, la secousse tellurique qu’« Homework » va produire sur l’échelle de Richter de la planète musicale.

    Comme si les deux compères pressentaient déjà ce qui les attendaient et cherchaient à se protéger de cette tornade qui allait tout embarquer sur son passage, ils se réfugient derrière de simples masques, achetés pour un shooting photo par leur manager Pedro Winter dans un magasin de farces et attrapes. Puis, au fil du temps, le duo travaille son image et crée sa légende. Tandis que les masques deviennent des casques futuristes pour la promotion de leur deuxième album, « Discovery », Thomas Bangalter et Guy Manuel de Homem-Christo s’éloignent des médias pour parfaire leur art de l’absence. Et Daft Punk devient une griffe, une abstraction, un concept…

     

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    Alors voilà, 28 ans de carrière, quatre albums studio, quelques pas de côté et 10 millions de disques plus tard, les Daft Punk se séparent. Et on se dit d’abord un truc du genre « oui, ok, encore un coup de com… ». Et puis, en y réfléchissant bien, on se dit ensuite « 28 ans, quand même… », et peu à peu, les souvenirs reviennent.

     

    Avril 1995, Camden Market à Londres, avec Jojo (Jojo comme Jean-Sebastien Bach…), des affiches fleurissent sur les murs de la ville : Daft Punk Live. Quelques mois plus tard, « Da Funk » commence à tourner sur Nova et ça ne ressemble pas vraiment à ce qu’on a l’habitude d’entendre… Toujours en 1995, on découvre « Trax On Da Rocks » d’un certain Thomas Bangalter, sans faire tout de suite le lien avec Daft Punk.

     

     

     

    Janvier 1997, de retour de soirée au petit matin, chez Jojo (toujours Jojo, comme Jean-Sebastien Bach…)… On déchire le cellophane et on pose « Homework » sur la platine. « Ah ouais, quand même… ». Le 11 avril 2013, la boucle est bouclée. 18 ans presque jour pour jour après avoir découvert pour la première fois le nom de Daft Punk sur une affiche à Londres, un teaser de 1:51 min est diffusé sur l’écran géant du Festival de Coachella, devant un public en fusion. Une semaine plus tard, « Get Lucky » déferle sur les radios et chaînes de Tv du monde entier. Daft Punk rentre dans la légende.

     

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    Et on réalise que les Daft Punk font finalement partie du décor depuis toujours, qu’ils ont participé comme les autres artistes cités au début de cet article aux prémices de la French Touch, mais qu’ils en sont ensuite devenus les véritables accélérateurs. Car sans qu’on s’en rende vraiment compte, ils ont intégré la bande-son de nos trente dernières années, à l’instar d’un Jimi Hendrix ou d’un James Brown, en d’autres temps, et on s’est habitué à ce rythme auquel ils nous ont astreints, entre absence, attente et buzz mondial. En l’espace de 25 ans, ils ont su imposer la musique électronique au monde entier, en écrivant leur partition réglée au cordeau, avec intelligence et détermination, mais sans jamais vendre leur âme ni céder aux sirènes du remix facile. Alors oui, petit pincement au coeur…

     

    « L’underground, c’est un mot con. Si tu veux faire de la musique et que tu veux en vivre, tu ne cherches pas l’underground. Être underground, c’est être inconnu. Le simple fait de vendre cinq mille disques dans le monde, ça suffit à sortir de l’underground. La vraie différence se fait entre ce qui est authentique et ce qui est calibré. » (Thomas Bangalter, interviewé par David Blot pour Les Inrocks, janvier 1997)

     

    Daft Punk : « Epilogue » (1993 – 2021)

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  • Marie Pélissier : « #MeToo », premier extrait de son album « Résilience »

     

     

    En 2014, nous faisions la connaissance de Marie Pélissier, à qui nous consacrions, à l’époque, un article à sa peinture. Et nous gardons un souvenir nostalgique des premiers artistes que nous avions eu la chance de rencontrer, lorsque nous étions encore tout petits. Alors, le fait de garder contact, malgré le temps qui passe, nous remplit de joie et d’espoir. Et c’est ainsi que nous retrouvons Marie, après toutes ces années, avec de nouveaux projets, et c’est comme si nous nous étions quittés la veille.

     

    Tarnaise depuis quelques années, Marie Pélissier a pourtant fait ses premiers pas dans la vie et en musique en plein coeur de la campagne normande. Petite fille sensible à la nature et au monde qui l’entoure, elle apprend le piano et se lance dans l’écriture à seulement huit ans. Autant de passions qui ne la quitteront plus…

    Deux ans plus tard, elle foule avec détermination les planches d’une classe de théâtre, avant de rejoindre les bancs du prestigieux Cours Florent à Paris, dont elle sort diplômée à 20 ans. Parallèlement à sa carrière naissante de comédienne, qui lui vaut quelques rôles dans des courts-métrages, Marie poursuit inlassablement ses rêves…

    En coulisse ou dans la lumière des projecteurs, elle travaille sans relâche et s’épanouit dans son art, au sein de divers groupes musicaux ; de Baobab à Matty, Marie devient, au fil de son voyage initiatique, auteur, compositeur, interprète, et joue ses propres chansons à guichet fermé dans des salles parisiennes mythiques, comme le Gibus ou le New Morning.

    En 2014, c’est sa rencontre avec Julien David B, musicien et producteur arrivé tout droit d’Australie, qui l’encourage à explorer des terres inconnues. Le duo aux influences electro, baptisé M’Jay, sort quatre titres en Anglais et collectionne les vues sur YouTube, notamment avec son titre « Sensitive », diffusant un message altruiste sur le monde de demain, la nature et l’amour de l’être humain. Des valeurs que Marie partage également avec Fredo Volovitch, membre du célèbre groupe de chanson française Volo, qu’elle rencontre grâce à internet et qui la pousse à exaucer son souhait le plus cher : enregistrer un album solo.

    Sous le regard bienveillant de son mentor, tout en profitant du confinement pour peaufiner cet opus tant attendu et désiré, intitulé « Résilience », Marie a choisi, comme une évidence, la chanson « #MeToo » comme premier extrait de son album. Encouragée par l’émergence irrépressible d’un phénomène de société auquel elle se sent étroitement liée, Marie témoigne avec sensibilité, délicatesse et poésie sur son parcours pourtant chaotique de survivante d’inceste. Tout simplement pour que l’injustice cesse…

    Avec « #MeToo », elle nous raconte cette sale histoire qui est la sienne, avec beaucoup de dignité, de détachement, de recul et de classe. La prod de Julien B David est parfaite, minimaliste à souhait, dépouillée, avec juste ce qu’il faut là où il faut. A écouter d’urgence, pour les mots forts que cette chanson véhicule, avant de pouvoir découvrir prochainement l’album « Résilience », qui porte bien son titre, car il faut être taillée dans la plus dure des pierres précieuses, pour parvenir à traverser ce genre d’épreuves et en sortir indemne, en apportant la preuve qu’on n’est pas forcément condamnée à accepter la fatalité sans se battre…

     

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    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

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  • Jimi Hendrix : born under a bad sign…

     

     

    Difficile de se rendre compte aujourd’hui du choc provoqué par « Are You Experienced » à sa sortie en 1967, alors que le monde découvre, ébloui, un jeune guitariste américain hallucinant, incandescent, qui manie sa guitare électrique comme un flambeau, un encensoir, une femme dont il serait fou amoureux, voire une arme létale… Et de surcroît, Jimi Hendrix chante comme s’il était l’incarnation même du blues.

     

    Trente-deux ans après que Robert Johnson ne soit passé de vie à trépas en écrivant sa légende, le 18 septembre 1970, à 27 ans, Jimi Hendrix, fauché en pleine gloire après une carrière aussi courte que fulgurante, rejoignait le maître au panthéon des icônes du blues. Ses prestations subversives à Monterey en juin 1967 ou Woodstock en 1969, sa façon révolutionnaire de placer la guitare au centre de tout, son enfance douloureuse, ses déboires avec de multiples groupes et les critiques acerbes de leurs performances, tout a participé à élever le prodige au rang de mythe. Si son destin tragique a renforcé l’influence de cette comète du rock ’n’ roll, Jimi Hendrix a fondamentalement changé les codes du genre, influençant durablement les groupes qui lui ont succédé en marquant à jamais les esprits.

     

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    « La nuit où je suis né, Seigneur, je le jure, la lune était rouge feu. » (Voodoo Child)

     

    Il aura suffi d’une guitare acoustique à cinq dollars, achetée par son père dans les années 1950, pour que s’écrive l’une des plus grandes légendes musicales du siècle dernier. Alors que le rock’n’roll fait ses débuts, Jimi Hendrix s’entraîne à répéter les morceaux des grands maîtres qui formeront son style inimitable, mélange de blues, de rock et de psychédélisme.

    Après quelques années passées aux côtés de Little Richard ou de Wilson Pickett, au cours desquelles il fait l’apprentissage de la scène, il est repéré en 1966 par la petite amie de Keith Richards, à Greenwich Village. Elle lui présente Chas Chandler, musicien du groupe The Animals, qui cherche à se lancer dans la production. C’est sous sa houlette, au sein du Londres insomniaque des Swinging Sixties, que Jimi Hendrix forme son groupe, The Jimi Hendrix Experience, et s’envole vers le succès.

     

    « Un dieu de la guitare, Puissant, sexuel, génial. »

     

    Les amis de Jimi Hendrix, interrogés dans le documentaire « Jimi Hendrix : l’indétrônable » diffusé depuis le 11 septembre 2020 sur Arte, ne tarissent pas d’éloges sur l’icône du blues rock psychédélique. Fauché à 27 ans, le 18 septembre 1970, au sommet de sa gloire, le musicien a marqué de son génie plusieurs générations d’artistes qui voient en lui le plus grand guitariste de l’histoire du rock. Que dire, par exemple, de sa réinterprétation hallucinée de l’hymne américain à Woodstock ? Avec ses nombreux témoignages (dont celui de Paul McCartney) et ses archives inédites de concerts mythiques de Hendrix, ce documentaire magistral brosse un portrait électrisant du musicien.

    Symbole d’une génération traversant de profonds changements sociaux, « Are You Experienced », premier album du trio The Jimi Hendrix Experience, fait sa propre révolution dans le rock. Tel un best of, les classiques s’enchaînent et révèlent également Mitch Mitchell et Noel Redding, une section rythmique à la sensibilité jazz rock qui sert la virtuosité du guitar hero. La puissance de « Purple Haze » ou « Manic Depression », le lyrisme de « Hey Joe » et « The Wind Cries Mary », l’ardeur de « Fire » ou encore « Foxy Lady » : la guitare rock ne sera plus jamais la même après.

     

    « Hendrix joue le Blues du Delta, mais ce Delta-là, se trouve sur Mars… » (Rolling Stone Magazine)

     

    Lancé à peine cinq mois après la bombe « Are You Experienced », l’audacieux second album du trio, « Axis: Bold as Love », témoigne de l’évolution fulgurante de l’exceptionnel guitariste. Il confirme le talent d’auteur-compositeur-interprète du génie du rock, plus axé sur des chansons que sur la virtuosité, avec des ballades blues rock cultes comme « Little Wing », « Bold As Love », « If 6 Was 9 » ou « Castles Made of Sand ». Flirtant avec le funk sur « Up from the Skies » ou « Wait Until Tomorrow », le trio rappelle que son alchimie repose aussi sur le basse-batterie exceptionnel de Noel Redding et Mitch Mitchell.

    Sur son troisième et dernier album studio, « Electric Ladyland », Jimi Hendrix approfondit les possibilités et techniques novatrices des studios d’enregistrement. Rencontrant psychédélisme, rock et blues, ces explorations incarnent la quintessence du trio. Tout est surprenant et fondamental avec « Electric Ladyland », y compris ses invités, dont Steve Winwood de Traffic à l’orgue et Jack Casady de Jefferson Airplane à la basse. Alors que les prémices du hard rock apparaissent sur « Crosstown Traffic », « Voodoo Chile » et « Voodoo Child (Slight Return) » établissent un pont entre blues et heavy rock. La reprise de Bob Dylan « All Along the Watchtower » deviendra un hymne à l’image du guitariste, immortel…

     

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  • Moodymann : Suivez le guide

     

     

    Le 28 novembre 2002, Moodymann, l’un des derniers grands mythes de la techno de Detroit, faisait son retour au Rex, après y avoir livré presque huit ans plus tôt, le 05 janvier 1995, probablement un des Dj sets parmi les plus mythiques de toute l’histoire des musiques électroniques.

     

    Tout ça pour dire, une prestation de Moodymann à Paris, ça ne se rate pas… Alors, certes, le garçon était connu pour être d’une humeur quelque peu changeante et fantasque. Mais cette année-là, Kenny Dixon Jr. s’était engagé à ne pas nous faire faux bond à la dernière minute. En échange de cette promesse, les promoteurs du show acceptaient de masquer la cabine du Rex d’un drap blanc, afin de protéger le DJ misanthrope du regard des petits blancs dans la salle, ou des photographes indiscrets venus tenter de saisir l’événement sur papier glacé ; un nouveau caprice qui en rajoutait encore un peu plus à la réputation d’un musicien qu’on disait assez incontrôlable et imprévisible, tellement attaché à la cause de ses « frères noirs » qu’il en devenait lui-même passablement extrémiste…

    Si sa personnalité et ses positions radicales restaient contestables, ses disques faisaient en revanche l’unanimité chez ces mêmes petits blancs, pour qui tant Moodymann que la musique venue de Detroit faisaient l’objet d’un culte absolu. Nourri de soul, de blues et de techno, chacun de ses albums est en effet un voyage mélancolique au coeur du ghetto, ainsi qu’une plongée dans sa psyché tourmentée. Très discret depuis la sortie deux ans plus tôt de son opus « Forevernevermore », Moodymann semblait vouloir prendre peu à peu ses distances avec Planet E, la maison de disques de son camarade Carl Craig, pour reprendre son destin en main avec son propre label, KDJ Records.

    En l’espace de 26 ans, depuis 1994 et la sortie de son premier single « I Like It », Kenny Dixon Jr., sous son nom de baptême ou sous ses divers pseudos, entre Moodymann, Jan, Mr House ou encore Pitch Black City, nous a crédité d’une douzaine d’albums et d’un nombre incalculable de singles ou d’Eps, passés depuis pour certains d’entre eux à la postérité, sans avoir pu bénéficier d’une large diffusion à l’international. Car il faut bien reconnaître que le garçon a toujours été d’un naturel discret… Il n’en reste pas moins qu’avec ses pairs originaires comme lui de Detroit, Theo Parrish, Rick Wilhite ou Marcellus Pittman, Moodymann va poser les bases de la House Music et de la Deep House, en permettant à ces genres musicaux de sortir du cercle confidentiel de la Motor City pour se répandre comme une traînée de poudre dans le monde entier, à partir des années 1994/1995.

    A l’instar de J. Dilla aka Jay Dee, un autre pionnier de cette scène de Detroit, en s’appuyant sur une connaissance encyclopédique et éclectique de la musique, entre Motown Soul, Disco, Jazz, Electro, Acid, Techno, Gospel ou Folk, comme en attestera plus récemment le légendaire 52ème volume de la série « DJ Kicks » qui lui était consacré en 2016, Moodymann se lance dans le beatmeaking, sample, triture, déchire et réinvente. Comme il le concédait à l’occasion d’une interview donnée il y a quelques années, avec la dialectique certes assez radicale qui le caractérise souvent : « Mes chiennes et mes putes sont mes MPC, mon SP-1200, ma basse, mes claviers ». A défaut de privilégier la mécanique parfaite d’une House propre et réglée au cordeau, Moodymann lui préfère le vinyl qui craque, les bottes crasseuses et les pneus usagés d’un bon vieux Cutlass… Ses tracks les plus célèbres conservent certes l’habituel kick qui caractérise la House Music, mais ils affichent toujours une certaine tendance à sortir des clous. Le swing est jazzy, le beat irrégulier et incertain, et les samples se superposent et se répondent. 

    L’homme avance toujours masqué, depuis les tréfonds de la cabine de Dj, mais il reste l’un des derniers dinosaures de la scène house originelle. Il est encore aujourd’hui une référence et inspire les productions tant de musiciens respectés, de Four Tet au canadien Caribou, en passant par Motor City Drum Ensemble, que de nouveaux venus, comme Channel Tres. Même Drake s’est payé le luxe de sampler le maître… 

     

    Allez, c’est parti ! Pour les nostalgiques d’une époque à jamais révolue, remontons dans le temps 25 ans en arrière, jusqu’au 05 janvier 1995, avec un extrait du DJ set mythique de Moodymann au Rex Club… Vous la sentez, la bonne odeur du parquet, du gin tonic bon marché et de la fumée de cigarette ? Vous les voyez, tous ces boules, remuer au son des titres qui nous ramènent avec nostalgie à Radio Nova et aux fondations d’un mouvement qui s’installait pour durer ? So now, back to basics !

     

     

    Track List / K7 Side A

    [00] Ebony Soul : « I Can Hardly Wait (Dub) »

    [02] Backintyme : « Come Get It »

    [06] Boz Scaggs : « Lowdown »

    [09] House Of Jazz : « Hold Your Head Up »

    [13] Blaze : « Moonwalk »

    [19] Moraes Featuring The Peacemakers : « For Love And Peace (For The Bar Heads – Sunset Mix) »

    [23] Giant Wheel : « Retrash (Far Out Mix) »

    [25] DJ Oji : « Oji Disco Pt 2 (Hangin’ Out At The Disco) »

    [30] Fibre Foundation : « Don’t You Ever Stop (Club) »

     

    Track List / K7 Side B

    [00] Fibre Foundation : « Don’t You Ever Stop (Club) »

    [01] Daniel Wang : « The Twirl »

    [05] Drew Sky : « Razzmatazz »

    [11] Tim Harper : « Eugene Harper »

    [13] Theo Parrish : « Lake Shore Drive »

    [18] Nature Boy : « The Livin’ Groove »

    [22] Soul Creations : « Never Over (Club Mix) »

    [24] iO : « Claire »

    [29] The Junkhunters : « Hanging Out »