Catégorie : House

  • Moodymann : Suivez le guide

     

     

    Le 28 novembre 2002, Moodymann, l’un des derniers grands mythes de la techno de Detroit, faisait son retour au Rex, après y avoir livré presque huit ans plus tôt, le 05 janvier 1995, probablement un des Dj sets parmi les plus mythiques de toute l’histoire des musiques électroniques.

     

    Tout ça pour dire, une prestation de Moodymann à Paris, ça ne se rate pas… Alors, certes, le garçon était connu pour être d’une humeur quelque peu changeante et fantasque. Mais cette année-là, Kenny Dixon Jr. s’était engagé à ne pas nous faire faux bond à la dernière minute. En échange de cette promesse, les promoteurs du show acceptaient de masquer la cabine du Rex d’un drap blanc, afin de protéger le DJ misanthrope du regard des petits blancs dans la salle, ou des photographes indiscrets venus tenter de saisir l’événement sur papier glacé ; un nouveau caprice qui en rajoutait encore un peu plus à la réputation d’un musicien qu’on disait assez incontrôlable et imprévisible, tellement attaché à la cause de ses « frères noirs » qu’il en devenait lui-même passablement extrémiste…

    Si sa personnalité et ses positions radicales restaient contestables, ses disques faisaient en revanche l’unanimité chez ces mêmes petits blancs, pour qui tant Moodymann que la musique venue de Detroit faisaient l’objet d’un culte absolu. Nourri de soul, de blues et de techno, chacun de ses albums est en effet un voyage mélancolique au coeur du ghetto, ainsi qu’une plongée dans sa psyché tourmentée. Très discret depuis la sortie deux ans plus tôt de son opus « Forevernevermore », Moodymann semblait vouloir prendre peu à peu ses distances avec Planet E, la maison de disques de son camarade Carl Craig, pour reprendre son destin en main avec son propre label, KDJ Records.

    En l’espace de 26 ans, depuis 1994 et la sortie de son premier single « I Like It », Kenny Dixon Jr., sous son nom de baptême ou sous ses divers pseudos, entre Moodymann, Jan, Mr House ou encore Pitch Black City, nous a crédité d’une douzaine d’albums et d’un nombre incalculable de singles ou d’Eps, passés depuis pour certains d’entre eux à la postérité, sans avoir pu bénéficier d’une large diffusion à l’international. Car il faut bien reconnaître que le garçon a toujours été d’un naturel discret… Il n’en reste pas moins qu’avec ses pairs originaires comme lui de Detroit, Theo Parrish, Rick Wilhite ou Marcellus Pittman, Moodymann va poser les bases de la House Music et de la Deep House, en permettant à ces genres musicaux de sortir du cercle confidentiel de la Motor City pour se répandre comme une traînée de poudre dans le monde entier, à partir des années 1994/1995.

    A l’instar de J. Dilla aka Jay Dee, un autre pionnier de cette scène de Detroit, en s’appuyant sur une connaissance encyclopédique et éclectique de la musique, entre Motown Soul, Disco, Jazz, Electro, Acid, Techno, Gospel ou Folk, comme en attestera plus récemment le légendaire 52ème volume de la série « DJ Kicks » qui lui était consacré en 2016, Moodymann se lance dans le beatmeaking, sample, triture, déchire et réinvente. Comme il le concédait à l’occasion d’une interview donnée il y a quelques années, avec la dialectique certes assez radicale qui le caractérise souvent : « Mes chiennes et mes putes sont mes MPC, mon SP-1200, ma basse, mes claviers ». A défaut de privilégier la mécanique parfaite d’une House propre et réglée au cordeau, Moodymann lui préfère le vinyl qui craque, les bottes crasseuses et les pneus usagés d’un bon vieux Cutlass… Ses tracks les plus célèbres conservent certes l’habituel kick qui caractérise la House Music, mais ils affichent toujours une certaine tendance à sortir des clous. Le swing est jazzy, le beat irrégulier et incertain, et les samples se superposent et se répondent. 

    L’homme avance toujours masqué, depuis les tréfonds de la cabine de Dj, mais il reste l’un des derniers dinosaures de la scène house originelle. Il est encore aujourd’hui une référence et inspire les productions tant de musiciens respectés, de Four Tet au canadien Caribou, en passant par Motor City Drum Ensemble, que de nouveaux venus, comme Channel Tres. Même Drake s’est payé le luxe de sampler le maître… 

     

    Allez, c’est parti ! Pour les nostalgiques d’une époque à jamais révolue, remontons dans le temps 25 ans en arrière, jusqu’au 05 janvier 1995, avec un extrait du DJ set mythique de Moodymann au Rex Club… Vous la sentez, la bonne odeur du parquet, du gin tonic bon marché et de la fumée de cigarette ? Vous les voyez, tous ces boules, remuer au son des titres qui nous ramènent avec nostalgie à Radio Nova et aux fondations d’un mouvement qui s’installait pour durer ? So now, back to basics !

     

     

    Track List / K7 Side A

    [00] Ebony Soul : « I Can Hardly Wait (Dub) »

    [02] Backintyme : « Come Get It »

    [06] Boz Scaggs : « Lowdown »

    [09] House Of Jazz : « Hold Your Head Up »

    [13] Blaze : « Moonwalk »

    [19] Moraes Featuring The Peacemakers : « For Love And Peace (For The Bar Heads – Sunset Mix) »

    [23] Giant Wheel : « Retrash (Far Out Mix) »

    [25] DJ Oji : « Oji Disco Pt 2 (Hangin’ Out At The Disco) »

    [30] Fibre Foundation : « Don’t You Ever Stop (Club) »

     

    Track List / K7 Side B

    [00] Fibre Foundation : « Don’t You Ever Stop (Club) »

    [01] Daniel Wang : « The Twirl »

    [05] Drew Sky : « Razzmatazz »

    [11] Tim Harper : « Eugene Harper »

    [13] Theo Parrish : « Lake Shore Drive »

    [18] Nature Boy : « The Livin’ Groove »

    [22] Soul Creations : « Never Over (Club Mix) »

    [24] iO : « Claire »

    [29] The Junkhunters : « Hanging Out »

     

     

  • Mémoires de Respect par Jérome Viger-Kohler

     

     

    J’ai parfois l’impression que ma vie de noctambule est derrière moi : j’ai trente-cinq ans, je suis papa.… Mais pour être honnête, il arrive encore que la nuit m’ouvre ses bras – et même “plus que jamais”. Il y a quinze jours, par exemple, nous étions à Ibiza avec un de mes frères d’armes de Respect. Et nous étions toujours les derniers couchés. Rassurant ? Inquiétant ? C’est selon…

     

    Reprenons. J’écris ici pour témoigner de mes dix ans de night clubbing avec « Respect », soirée que nous avons fondée, David Blot, Fred Agostini et moi-même, à l’âge de 25 ans. Soit en quelques clichés : la French Touch, la fin des années 90, les breakdancers sur la piste, la vie de DJs stars, les hôtels de luxe à Miami, la Playboy Mansion…… Tous ces Polaroïds qui sentent bon l’avant onze septembre, l’avant crise de l’industrie musicale, l’avant réchauffement climatique, l’avant néo-conservatisme, bref le revival d’insouciance discoïde qu’ont connu les dernières années du vingtième siècle. « Party like it’s 1999 » dit Prince ? Nous l’avons suivi au pied de la lettre…

    Sauf que cette période-là est finie depuis belle lurette. Et pour la séquence nostalgie, faudra vous adresser ailleurs. Pas envie de tout reprendre à zéro – ou si, tiens, juste histoire de poser une pierre blanche : première « Respect » le mercredi 2 octobre 1996 au Queen. Entrée gratuite sur les Champs Elysées. 1700 personnes sur la piste. La première nuit d’une saga qui nous emmènera jusqu’à Hollywood.

    Imaginez maintenant qu’il y a un mur devant vous, celui qui me fait face, dans notre bureau de Belleville. Et scotchés dessus : des flyers, des photos, des cartes postales et quelques babioles……

     

     

     

    Souvenir Un. Une carte postale du fanzine eDEN, avec ce slogan : « La tension monte” ». eDEN était le fanzine du début des années 90 consacré à la House Nation, l’un des seuls médias français à soutenir ce courant musical. Avec eDEN, deux radios faisaient du bon boulot : Nova et FG et un seul magazine : Coda. Mais pour le reste, c’était affligeant. Il faut croire que tous les autres médias musicaux et généralistes s’étaient ralliés contre la House et la Techno. Résultat : “La tension monte” ! Un milieu underground de musiciens, DJs, labels, clubbers, ravers, fait de la résistance contre l’adversité mainstream, et disons-le, rock. Difficile à imaginer aujourd’hui. Et pourtant, c’est dans ce contexte que « Respect » voit le jour.

     

     

     

     

    Souvenir Deux. Un flyer du Twilo, énorme club new-yorkais fermé en 2001 suite aux pressions policières. C’est une soirée Respect. Vous lisez bien, nous avons tenu une résidence parisienne à Manhattan pendant plus de trois ans, soit une trentaine de soirées en tout, rien qu’à New York, dont la moitié au musée d’art contemporain PS1. Plateau de cette soirée : Dimitri from Paris et Junior Vasquez. Anecdote : chaque DJ avait une cabine séparée – les deux se faisant face. A 6h00 du matin, quand Junior a posé son premier disque, notre cabine s’est mise à trembler. Un frisson : cinq ans après notre première au Queen, nous vivons l’apogée de la croisade Respect à l’étranger.

     

     

     

    Souvenir Trois. Le flyer “Daft Club” doré, format carte de visite. Les Daft Punk jouaient toujours gratuitement pour la Respect, le patron devait juste arroser les potes de tickets consos. Entrée gratuite, file d’attente qui remonte les Champs sur quelques centaines de mètres. Et le feu à l’intérieur. Des dizaines de breakers. Un mélange de looks et de générations comme on ne l’avait plus vu depuis… les années 80. Des racailles à la cool, des vogueurs en action, Monsieur Calvin Klein qui retarde son retour à New York pour être là, et tout ce que Paris comptait de DJs et de producteurs à buzz.… La date ? Mercredi 15 avril 1998. C’est une autre date culminante, celle des Respect au Queen. La résidence sur les Champs s’arrêtera en juillet 1999… Ennui, lassitude, formatage musical. D’autres résidences nous attendaient à New York, Bruxelles, Copenhague. Et d’autres fêtes partout ailleurs : de Caracas à Sydney en passant par Kuala Lumpur.

     

     

     

    Souvenir Quatre. Un flyer « Kill the DJ »  photocopié avec cette mention : « Ton avis nous intéresse : comment ferais-tu pour tuer un DJ ?” ». On peut le dire, Kill the DJ, c’était la dark side de Respect. La force obscure. D’ailleurs, un secret : le nom “Respect”, c’est Ivan Smagghe (résident de KTD) qui nous l’a soufflé. Respect pour « Respect the DJ ». À un moment, il faut bien tuer ses héros, surtout quand ils se prennent pour des idoles. À force de voyager, notre retour à Paris en 2002 ne sera pas facile. Perte de repères : le Paris branché veut la peau du DJ. On s’y fera, et on passera de très bonnes nuits au Pulp.

     

     

     

    Souvenir Cinq. Un bracelet rose, “été d’Amour”. En 2002, Respect ouvre sa résidence saisonnière sur un bateau au coeur de Paris. Un “été d’Amour” qui vient de clôturer sa cinquième édition le 21 septembre dernier. Mots d’ordre : éclectisme musical, mélange des bandes, et une fête grand écart de la fin d’après-midi au lever du jour. Des DJs historiques, des selectors qui n’en font qu’à leur tête, des lives à gogo, mais pas (encore) de révolution musicale à l’horizon. En revanche, des dizaines de nouveaux couples et des millions de baisers. Sans exagérer.

     

     

     

    On arrêtera là pour aujourd’hui. Des madeleines comme ça, il y en aurait autant que de soirées. Des questions pour finir ? Non, non, on n’a pas fait fortune, loin de là. Non, nous n’avons pas révolutionné les nuits mondiales. Ni même les nuits parisiennes. Mais oui, on s’est bien amusé. Le futur ? On verra bien. Nous avons tenu dix ans – ça vaut bien une fête d’anniversaire, non ?

     

     

     

     

     

    5 Titres en Bande Sonore :

    ✓ Aretha Franklin : « Respect »
    ✓ Norma Jean Bell : « Baddest Bitch (Motorbass Mix) », extrait de la compilation « Respect Is Burning vol.2 ».
    ✓ Stetasonic : « Talking All That Jazz (Dimitri from Paris Remix) », extrait de la compilation « A Night At The Playboy Mansion ».
    ✓ Kimara Lovelace : « Misery (Lil Louis Extended Club & Harmony Mix) », extrait de la compilation « Respect to DJ Deep ».
    ✓ Grace Jones : « Feel Up (Danny Tenaglia Remix) », extrait de la compilation « After the Playboy Mansion ».

     

    Souvenirs de Jérome Viger-Kohler sur des Photos d’Agnès Dahan, pour Brain Magazine (05 juin 2007)

     

     

     

     

     

  • Touche Française : Quand Arte décrypte la French Touch (Episodes 1 + 2)

     

     

    Touche Française : les principaux acteurs de la French Touch reviennent sur les secrets de cette musique, leurs influences et décryptent le phénomène.

     

    Arte vous propose une plongée visuelle et sonore au cœur d’un mouvement qui a su replacer la France sur la carte du divertissement international. Du pionnier Laurent Garnier aux influences métissées de Motorbass, des révolutionnaires Daft Punk aux électrons libres et pop Sebastien Tellier ou Air, en passant par l’electroclash de Vitalic, Touche Française revisite la French Touch, qui a fait danser et rêver la planète, à travers une playlist de douze morceaux emblématiques de la musique électronique française de 1995 à aujourd’hui.

    Une websérie documentaire de 12 x 6’ écrite par Jean-Francois Tatin, réalisée par Guillaume Fédou et Jean-Francois Tatin, et coproduite par Arte France et Silex Films.

     

    Episode 1/12 : « Black Chimie », les « Flying Fingers » de Motorbass

     

    Les ex-Motorbass Philippe Zdar et Etienne de Crécy reviennent sur la création de l’album « Pansoul » (1996), entre les synthés de leur coloc à Montmartre et les rencontres en studio, quand un certain Jimmy Jay, producteur de MC Solaar, a posé ses « Flying Fingers ». Considéré par beaucoup comme l’album fondateur de la French Touch, « Pansoul » est révélateur du son métissé de l’époque, un « Son » house influencé par le Hip-Hop et le Funk. C’est aussi le temps des raves mémorables qui ont contribué au succès de la Techno, où l’on danse encore ensemble et pas encore devant le DJ…

     

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    Episode 2/12 : « Techno Combat », le « Flashback » de Laurent Garnier

     

    Le pionnier de la « House » Laurent Garnier raconte comment « Flashback » a réussi à faire entrer la culture Techno sur la bande FM – jusqu’aux Victoires de la Musique ! – tout en respectant les quotas de chanson française imposés par le gouvernement, à une époque où la musique électronique a pour ennemie sa propre image, celle d’une musique de voleurs et de drogués. Un succès qui croit avec le développement des soirées comme les « Wake Up » qu’il organise alors au Rex Club à Paris.

     

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    « Touche Française » est à découvrir dans son intégralité sur Arte, et c’est ici !