Catégorie : Dessin

  • Ghost in the Shell, quand le cyberpunk du Soleil Levant devient une référence mondiale – Partie 3

     

     

    « Ghost in the Shell » est le titre anglophone d’une œuvre de science-fiction de Masamune Shirow, publiée entre 1989 et 1991, et qui donna lieu par la suite à de nombreuses déclinaisons, le plus souvent réussies. Afin de célébrer dignement le trentième anniversaire de la franchise de cyberpunk nipponne qui a popularisé le genre dans le monde entier, au point de devenir la référence ultime du genre dans la pop-culture de science-fiction, un tour d’horizon de « Ghost in the Shell » ainsi que des thèmes qu’elle aborde s’impose…

     

    Ghost in the Shell: Solid State Society

    Ce téléfilm de 90 minutes datant de 2006 est en fait la suite de la seconde saison, et conclut les sujets mis en suspens lors de la saison précédente.

    On apprend dans ce film dont l’action se déroule en 2034 que le major Motoko Kusanagi a quitté la Section 9 et travaille désormais à son compte. « Solid State Society » relate une nouvelle enquête, entre usurpation d’identités, enlèvement d’enfants et vol de ghosts, impliquant un mystérieux hacker surnommé le Marionnettiste (Puppeteer ou Puppet Master en Anglais). Le major au visage de poupée de porcelaine rejoint finalement la Section 9 dirigée par Togusa, qui travaille sur la même affaire. Le téléfilm « ressuscite au passage les Tachikoma, dont la mémoire avait été sauvegardée (ou quand l’informatique permet des ficelles scénaristiques…).

    Le staff pour ce téléfilm à gros budget est le même que celui des deux saisons de « Stand Alone Complex » et Yōko Kanno en signe de nouveau la bande originale. A noter que les scénaristes profiteront de ce téléfilm pour faire résoudre des intrigues en suspens depuis la deuxième saison par leurs personnages, mais en amenant au passage de nouvelles interrogations et en faisant de nombreux clins-d’œil aux films de Mamoru Oshii.

     

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    Ghost in the Shell: Arise

    Cette série de 2013 se déroule en 2027, et il s’agit en fait d’une préquelle de toutes les saisons qui la précèdent. On y retrouve ainsi une Motoko plus jeune et plus nerveuse. Son physique la fait ressembler à une adulte à peine sortie de l’adolescence, et son caractère est encore « en construction », tout comme son corps cybernétique différent de sa version manga (et par extension de sa version dans « Stand Alone Complex »). Dans une série de cinq OVA d’une heure, on suit les aventures d’une Section 9 tout juste formée par le gouvernement. On assiste dans « Ghost in the Shell: Arise » à la construction progressive des relations entre les divers personnages. Par exemple, les décisions d’Aramaki y sont contestées par ses subordonnés, alors qu’il est au contraire très respecté dans les autres œuvres.

    On note toutefois dans cette série quelques incohérences, comme le fait de voir tous les membres de l’équipe déjà présents depuis un certain temps, voire un temps certain, tandis que Togusa était présenté comme un « bleu » dans « Stand Alone Complex ». De plus, pourquoi donner cet aspect « adolescent » à Motoko, alors que le postulat de base de la saga nous la présente comme une militaire accomplie et que, de surcroît, son passé avait déjà été dévoilé dans « Ghost in the Shell: The Stand Alone Complex, 2nd Gig », où elle avait déjà un corps d’adulte ?

    Pour cette nouvelle saison, le staff est différent, même si c’est toujours Production I.G qui est aux manettes. L’aspect graphique des dessins est toujours aussi bluffant, mais les réflexions métaphysiques sont moins présentes et le récit fait plus place à l’action et aux manœuvres politiques que dans les autres séries. Cela n’empêche cependant pas les morceaux de bravoure, comme l’affrontement entre la Section 9 et une horde de robots lancée à sa poursuite. Côté technologie, on découvre les prédécesseurs des Tachikoma, les Logikoma, de taille beaucoup plus imposante et moins sophistiqués, montrant la progression de la technologie entre les différentes séries.

     

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    Ghost in the Shell: The New Movie

    Ce film fait suite à « Ghost in the Shell: Arise » et tente de réinventer le contexte de la franchise, tout en conservant les fondamentaux, ce qui donne un sentiment de manque de continuité flagrant, même si Production I.G est de nouveau à la tête du projet, avec une animation toujours aussi bluffante.

    Malgré ses qualités graphiques indéniables, cet opus ne convainc pas le public. Motoko et l’équipe ne semblent pas être les mêmes et surtout, on note une rupture nette avec les scénarios aux histoires complexes auxquels « Ghost in the Shell » nous avait toujours habitués.

     

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    Ghost in the Shell, le film Live

    Dans ce nouvel opus-événement de la franchise, l’actrice Scarlett Johansson incarne le Major Kusanagi. Et l’histoire prend délibérément le contre-pied de l’œuvre originale, en nous présentant le Major comme le premier cyborg intégral, avec la volonté affichée de rendre le personnage unique (pour le rendre plus impressionnant ? Ou bien Hollywood serait-il tombé dans le piège du « Special Snowflake » ?), tandis que les cyborgs intégraux pullulent et sont fabriqués en série dans le Manga originel comme dans le film de 1995 ou les différentes séries.

    L’intrigue y est plus simple, voire simpliste, et certaines scènes ne font que reprendre ce que l’on avait déjà vu dans le film d’animation de 1995. Si vous attendez un scénario aussi peu manichéen que dans les séries et les films de Mamoru Oshii, alors passez votre chemin…

    Dans ce long-métrage sorti en 2017, Motoko Kusanagi lutte contre un terroriste qui s’en prend à une société en particulier, car cette dernière, qui avait déjà fabriqué le corps du Major, a ensuite fait du terroriste le premier cyborg intégral. Mais le prototype est raté, contrairement au Major. Notre antagoniste principal a désormais comme objectif sa vengeance, pure et simple, ce qui l’éloigne sensiblement du caractère du Puppet Master du Manga originel, retors et calculateur.

    Malgré cela, on notera une tentative assez maladroite, comparée à l’œuvre d’origine, de faire de notre Major préférée un personnage en quête d’identité. Elle apprendra qu’elle était à l’origine Japonaise (et s’appelait… Motoko Kusanagi), puisque cette fois l’action se déroule à Los Angeles, et que cette identité lui avait été cachée par la société qui en a fait une cyborg, après, bien-sûr, lui avoir lavé le cerveau.

    Et sa quête d’identité ne commence qu’au moment où elle a des flash-backs. Bref, on retombe dans le cliché de la méchante-corporation-qui-manipule-tout-le-monde, et le questionnement de Kusanagi sur son identité et son individualité est rapidement abordé, sans la profondeur du Manga originel, voire du film d’animation de 1995.

    Tout bien considéré, le scénario du film et la recherche d’identité du Major nous renvoient de manière assez évidente à l’intrigue du « Robocop » de Paul Verhoeven, sorti  trente ans plus tôt, en 1987. En effet, Le personnage de Murphy y est cybernétisé par une entreprise (l’OCP), afin de servir dans les forces de police. Mais Murphy finit par partir à la recherche de son identité, après avoir découvert qu’on lui avait lavé le cerveau. Ce qui donne malheureusement au film avec Scarlett Johansson un sentiment de réchauffé désagréable à voir, tant l’oeuvre originelle est peu respectée.

    La version 2017 de « Ghost in The Shell » ne rencontre finalement pas le succès escompté, malgré la présence de la star américaine, et certains n’hésitent pas à dire que pour une œuvre abordant les thèmes de l’âme et de la nature humaine dans un monde hyper-technologique, le film manque justement… cruellement d’âme, en passant à côté du sujet, pour simplifier l’histoire. Ce qui s’avère être l’erreur fatale des studios Paramount et Dreamworks, sachant que c’est la complexité de l’intrigue qui a fait la renommée du film de Mamoru Oshii et du Manga originel, avec une Motoko Kusanagi qui connaissait son identité depuis le début, même si elle doutait souvent d’elle-même. Tout ça passe à la trappe, pour donner ce bien pâle Robocop au féminin…

     

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    Ghost in the Shell SAC_2045, la série Netflix

    C’est la suite directe des séries « Stand Alone Complex » et du téléfilm « Solid State Society ». On y retrouve le même staff à la production, mais le dessin est désormais en 3D et les premières images que nous avons pu voir en 2020 étaient pour le moins décevantes, tant certains des personnages y sont méconnaissables. Les quelques extraits visibles l’année dernière dévoilaient aussi une animation au ralenti, là où la série 2D faisait des merveilles, en termes de fluidité comme de rapidité.

    On a quand même la crainte d’un traitement de cette franchise identique à celui que « Les Chevaliers du Zodiaque » ont subi, avec cet aspect « playmobil » des dessins.

     

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    Conclusion pour un océan de données pas si virtuelles

    Faire un article sur « Ghost in the Shell » est une tâche ardue, tant le contenu des histoires est riche et fouillé (qui a dit fouillis ?). Et il y a tellement à dire que le risque est de  finir par s’y noyer…

    « Ghost in the Shell » puise ainsi dans les poncifs du genre Cyberpunk, tout en y apportant ses propres codes visuels, techniques et narratifs, dans un genre de science-fiction dont l’un des enjeux est de concevoir de l’anticipation dans un futur proche, d’où une très grande maturité dans les thèmes abordés par les différentes adaptations de l’œuvre de Masamune Shirow.

    Mais la franchise-star démontre aussi que l’animation au Japon est désormais un média mûr et adulte, en abordant des sujets qui sont d’habitude propres aux histoires policières et d’espionnage. Car « Ghost in the Shell » ne se cantonne plus à la catégorie « œuvre pour enfants », au vu du sérieux des thèmes abordés. On peut ainsi constater que les fans occidentaux du Manga ont bien intégré cette réalité ; l’animation japonaise est dorénavant capable d’aborder tous les sujets, du plus enfantin au plus mature.

    Pour en revenir à l’œuvre, si dans le Manga originel de Masamune Shirow, l’action se passe dans un futur proche, en 2021, soit trente ans après sa première publication, on devrait à présent plutôt évoquer un futur très proche… Certes, aujourd’hui, on ne croise pas (encore…) dans la rue de cyborgs intégraux comme dans « Ghost in the Shell », la technologie pour greffer un cerveau dans un corps mécanique étant encore science-fictive.

    Il n’en reste pas moins que, d’un point de vue scientifique et technologique, il existe déjà depuis 2012 des prototypes de prothèses mécaniques commandées directement par les nerfs-moteurs des patients. Et la même année, une autre équipe de chercheurs avait réussi à redonner le sens du toucher à un patient amputé, toujours via une prothèse. Tout ça pour dire, ça n’est plus de la science-fiction.

    Aujourd’hui, les deux techniques sont associées pour d’autres prototypes, rendant une partie du corps de nouveau fonctionnelle à la personne équipée, même si le coût de ces prothèses artificielles reste encore prohibitif. Mais il ne serait pas impossible que dans dix ou vingt ans, ce type de prothèses soit de plus en plus répandu. Et c’est ce qui fait du genre Cyberpunk et de « Ghost in the Shell » en particulier des œuvres qui nous interpellent.

    Les mondes qui y sont décrits sont parfois bien proches du nôtre, notamment dans les relations entre entreprises et états, avec des sociétés devenues si puissantes qu’elles affichent un chiffre d’affaires parfois équivalent au PIB d’un état. Et ça, vous en conviendrez, ça n’est déjà plus de la fiction, avec les GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple).

    Avec l’évolution actuelle de la technologie et des réseaux d’information, particulièrement omniprésents avec Internet et les smartphones, on peut même se demander si le Web n’évoluera pas pour finir par ressembler au Net de « Ghost in the Shell ». Et on peut également se poser la question suivante : le Cyberpunk est-il un genre visionnaire ou ne fait-il qu’extrapoler, voire de broder sur ce qui existe d’ores-et-déjà ?

    En constatant aujourd’hui la montée en puissance du mouvement transhumaniste, avec comme but ultime, en tout cas pour ses membres les plus extrémistes, de faire fusionner l’Homme et la Machine, on peut revoir « Ghost in the Shell » à l’aune de l’interrogation suivante : quelle est le rapport actuel entre l’Homme et la Machine, ou avec la technologie ? Car c’est bien cette question centrale que pose l’œuvre, en se nourrissant des symboles du passé et des inquiétudes du présent sur l’avenir.

    Certes, il s’agit là d’un avis personnel, de surcroît à 200 % subjectif, mais s’il n’y avait qu’une seule œuvre à recommander dans le genre Cyberpunk, ça serait donc celle-là, tant l’univers décrit nous semble à la fois familier et éloigné. Et je recommanderais à tout fan de science-fiction de regarder la première saison de « Stand Alone Complex ». L’univers de Masamune Shirow y est parfaitement retranscrit par Kamiyama, même s’il y apporte sa propre touche. L’oeuvre du maître a offert au Cyberpunk la référence dont le genre avait besoin pour être connu d’un plus large public, en sortant du cadre strict des seuls fans de SF, et ce grâce à son approche de l’œuvre adaptée pour le petit écran, mêlant enquêtes policières et brigades d’intervention.

    « Ghost in the Shell » est ainsi devenue une œuvre de science-fiction parmi les plus incontournables, en inspirant par exemple les frères Wachowski pour leur trilogie « Matrix », ou en bluffant James Cameron, lui qui ne tarit pas d’éloge lors de la sortie du film de 1995, en qualifiant l’oeuvre de Mamoru Oshii de visionnaire.

    Alors, n’hésitons pas à nous plonger à corps perdu (ou nous replonger) dans l’univers de Masamune Shirow et les aventures de ces cyborgs, dans un monde entre chair et métal, entre traditions du passé et futur incertain, où l’individu se cherche, au coeur du flux de données réelles et informatiques.

     

     

    « Ghost in the Shell, quand le cyberpunk du Soleil Levant devient une référence mondiale », c’est fini… Retrouvez prochainement de nouveaux articles consacrés à l’univers du Manga dans le Magazine Instant City…

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Dans les Episodes Précédents » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Ghost in The Shell, la Saga – Partie 1 

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Ghost in The Shell, la Saga – Partie 2

     

     

     

  • Ghost in the Shell, quand le cyberpunk du Soleil Levant devient une référence mondiale – Partie 2

     

     

    « Ghost in the Shell » est le titre anglophone d’une œuvre de science-fiction de Masamune Shirow, publiée entre 1989 et 1991, et qui donna lieu par la suite à de nombreuses déclinaisons, le plus souvent réussies. Afin de célébrer dignement le trentième anniversaire de la franchise de cyberpunk nipponne qui a popularisé le genre dans le monde entier, au point de devenir la référence ultime du genre dans la pop-culture de science-fiction, un tour d’horizon de « Ghost in the Shell » ainsi que des thèmes qu’elle aborde s’impose…

     

    Ghost in the Shell, le film d’animation de 1995

    Film d’animation à gros budget pour le Japon à l’époque, il est réalisé, en coproduction avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni, par Mamoru Oshii qui avait déjà travaillé sur d’autres longs-métrages d’animation, comme « Patlabor 2 ».

    « Ghost in the Shell » garde l’intrigue principale du manga original sur le Puppet Master et se concentre d’ailleurs uniquement dessus. Pour la petite anecdote, le film a droit à une sortie française en 1996, dans quelques salles, et j’eus la chance de le voir à l’époque. Dès le générique, qui suit une scène d’action correspondant au premier chapitre du manga, on est frappé par le mélange des premières images de synthèse avec un dessin sur celluloïd particulièrement soigné, narrant la construction d’un cyborg, en l’occurence le major Motoko Kusanagi en personne.

    Mais ce n’est pas tout… Le film (et le générique) est servi par une bande-son signée Kenji Kawai, utilisant à la fois des instruments traditionnels (tambours, clochettes) et des chœurs japonais, le tout rehaussé par des instruments modernes, comme le synthétiseur, pour donner une impression de froideur se mélangeant à des chœurs aux voix plus chaudes et plus aiguës, en particulier sur le générique (intitulé « making of cyborg »). Et cette bande-son qui s’avère presque envoûtante se marie parfaitement bien à l’univers Cyberpunk de Masamune Shirow et le sublime, tant l’impression d’un conflit entre le Japon traditionnel et un avenir hyper-technologique transparaît dans le film.

    « Ghost in the Shell » met intelligemment en exergue le questionnement du major sur son individualité et l’importance d’être un individu unique à la personnalité bien définie, dans un monde ultra-connecté par un réseau internet complètement hypertrophié (réalité virtuelle et augmentée). Mais dans les scènes du film, on voit surtout des ruelles étroites et délabrées inspirées par Hong Kong, des musées désaffectés, des personnes aux souvenirs modifiés par le pirate nommé le Puppet Master, donnant l’impression que malgré une haute technologie, une partie du monde se délite sous les yeux cybernétiques des héros. On retrouve d’ailleurs principalement les personnages du major Kusanagi et de Batō, mais aussi de Togusa et Aramaki.

    Autre anecdote : on voit dans un passage du film de nombreux cyborgs ressemblant au major, montrant que le corps cybernétique qu’elle incarne est produit en série, ce qui accentue son besoin de se différencier en tant que personne vis-à-vis des autres. Cette scène n’est pas présente dans le manga, les corps cybernétiques étant « customisables » selon les désirs du cyborg.

    La fin du film est presque la même que dans le manga, à la seule différence qu’elle se déroule dans un ancien musée d’histoire naturelle, lorsque le major affronte un tank arachnoïde qui lui tire dessus, détruisant au passage une peinture murale représentant l’arbre de l’évolution jusqu’à l’homme, en accentuant cette impression que l’humanité se flingue elle-même, avec toute cette cybernétique incontrôlée.

    Lors de la scène finale, le corps cybernétique du major, qui a été particulièrement endommagé, est remplacé par un corps cybernétique d’apparence enfantine, pour lui permettre de survivre à l’assaut du tank et à sa fusion avec le Puppet Master, insistant sur l’idée d’un nouveau départ pour le major et d’une renaissance.

    Petite anecdote, la voix française de Batô n’est autre que celle de Daniel Beretta, qui double habituellement Arnold Schwarzenegger (mimétisme volontaire de la part de la société de doublage, avec l’apparence du personnage ?).

    Si le film est aujourd’hui une référence en matière de SF, en démontrant que l’animation est devenue un média à part entière, à maturité, ça a néanmoins bien failli ne pas être le cas. En effet, à sa sortie en 1995, le film marche mal au Japon, dont les habitants ne sont pas forcément les plus friands du genre Cyberpunk, mais il fonctionne en revanche très bien en Occident, malgré une distribution assez confidentielle. Les réflexions, le questionnement interne de l’héroïne, la maturité, mais aussi la musique et la beauté des images suscitent un excellent bouche-à-oreille chez les fans de science-fiction.

    De plus, les ventes de vidéos permettent à Mamoru Oshii de rentrer dans ses frais et sauve le film. Ce qui lui permettra finalement de réadapter l’œuvre en série télévisuelle de 26 épisodes, et c’est un protégé de Mamoru Oshii, Kenji Kamiyama, qui s’y colle, avec comme objectif de toucher le public hors de l’archipel du Soleil Levant.

     

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    Ghost in the Shell: The Stand Alone Complex, la première série

    Cette série produite en 2003 a toujours comme cadre l’univers Cyberpunk de Masamune Shirow, ce dernier étant consultant artistique et designer. Même si « Ghost in the Shell: The Stand Alone Complex » semble se dérouler avant le film, dont l’action se situe en 2030, cette première série se passe quant à elle en 2032. Ce qui en fait plus un remake qu’une préquelle, avec les mêmes personnages au générique que dans le manga.

    Le format étant plus long – 26 épisodes de 30 minutes chacun – les personnages sont plus fouillés que dans le film et le manga, permettant des scénarios variés aux intrigues policières solides, mettant parfois en avant un des membres de l’équipe en particulier. C’est au studio Production I.G. que la mise en scène des aventures des cyborgs de la Section 9 est confiée.

    Côté musique, c’est l’excellente Yōko Kanno, forte de son succès avec la série « Cowboy Beebop », qui nous délivre une bande-son éclectique, allant de la techno au jazz, et permettant à chaque personnage et à chaque scène d’avoir ses propres identité et saveur.

    La série bénéficie même d’un budget doublé, par rapport aux séries d’animation de l’époque (environs 300.000 dollars par épisode) et il faut bien admettre que cela se voit, même encore en 2020. Et le succès sera mondial…

    Dès le début de la série, on assiste à l’arrivée de Togusa, ancien policier, au sein de la Section 9. L’idée dans cette intégration, c’est de se servir de ce personnage pour introduire le spectateur à l’équipe de cyborgs de la Section 9. Togusa se révélera être le membre le plus humain de la section, et c’est un personnage auquel les spectateurs pourront plus facilement s’identifier.  De surcroît, Togusa est marié et père d’un enfant, tandis que les cyborgs comme Motoko et Batô ne peuvent se reproduire, même s’ils ne sont pas asexués, ni même dépourvus de sexualité.

    Après quelques épisodes d’introduction à la série, durant lesquels la Section 9 affronte espions et terroristes, on passe ensuite aux épisodes qui, comme dans le manga, vont entretenir un fil rouge. Un pirate informatique nommé « Le Rieur », cette fois bien humain, pirate les cyber-cerveaux de ses victimes pour dénoncer un scandale politico-financier, et la Section 9 essaie de tirer les choses au clair, dans cette affaire impliquant un ministère entier. Le complot sera dénoncé et le scandale mis au jour, non sans l’aide du Rieur, dont le nom et la phrase d’introduction – « I thought I had to pretend that I was one of those deaf-mutes » – sont inspirés d’un livre de Salinger.

    Dans la série, outre des scènes d’action très réussies et des histoires qui ne figurent pas dans le manga original, les scénaristes prennent le temps et la peine de donner un passé aux personnages principaux. Par exemple, Motoko Kusanagi est un cyborg depuis l’enfance, suite à la contraction d’une maladie dégénérative. Quant à Batô, il est un ancien soldat qui s’est battu dans les jungles d’Asie, et ce passé remontera à la surface lorsqu’il poursuivra un tueur en série.

    Contrairement au manga, chaque personnage a son Origin Story, et tous voient leur passé exploré et révélé, pour la plus grande joie du spectateur, en donnant aux personnages ce petit supplément d’âme caractéristique de l’œuvre.

    Si l’atmosphère de certains épisodes est parfois lourde (on parle d’exploitation, voire parfois de maltraitance…), la série passe aussi par des moments comiques, avec en particulier les robots arachnoïdes dits « Tachikoma », des intelligences artificielles s’exprimant comme des enfants, et découvrant le monde avec la Section 9. Même si les Tachikoma sont le « Comic Relief » de la série, ils n’hésitent pas à prendre part à l’action si besoin est, et ils évoluent au cours de la saison, en développant un ghost.

    Aujourd’hui, on peut raisonnablement affirmer que cette série est LA référence absolue en matière de Cyberpunk, tant le soin extrême apporté aux scénarios, à la musique ou aux dessins, semble définir l’oeuvre.

     

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    Ghost In The Shell 2: Innocence, le second film sur la franchise

    C’est en 2004 que la suite du film de 1995 sort sur grand écran, et sera même présentée à Cannes, démontrant à tous ceux qui en doutaient encore qu’on assistait à un début de reconnaissance de l’animation japonaise.

    Chose très importante à noter, c’est toujours Mamoru Oshii qui est aux commandes de ce nouvel opus, permettant ainsi une continuité évidente avec le premier film, « Ghost in the Shell 2: Innocence » en étant la suite directe. Et Batô en est cette fois le héros principal.

    Quant au scénario, il pioche dans plusieurs des histoires parallèles du manga, en particulier avec l’intrigue du Puppet Master, tout en les remaniant afin de rester dans la continuité du film de 1995. La Section 9 s’avère être très peu remaniée, et seule l’arrivée du personnage original d’Azuma apporte un léger changement à la constitution de l’équipe originelle.

    L’histoire de ce deuxième volet oppose donc la Section 9 à des robots qui se mettent soudainement à éliminer leurs propriétaires. Mais avant de s’en prendre à Batô, l’un des androïdes crie « aidez-moi », ce qui est somme toute assez inattendu. La Section 9 est sur le coup, car les androïdes défectueux s’avèrent être des « sexaroïdes », à savoir une classe d’androïdes qui répondent à tous les désirs de leur propriétaire. Nul besoin de deviner de quels désirs il s’agit…

    La piste suivie amène la section jusqu’à un Hong Kong futuriste, où l’on découvre que la chaîne de montage des robots-à-usage-intime copie le ghost de jeunes filles et le charge dans le processeur afin de rendre les robots plus « attachants » (même dans le futur, il y a des gens atteints…). Le sauvetage des jeunes filles entraîne la libération fortuite des androïdes, avant qu’ils n’attaquent Batô, qui ne devra son salut qu’à l’intervention du major Motoko Kusanagi. Celle-ci se télécharge dans une des sexaroïdes pour un assaut final, expliquant au passage qu’elle est désormais un esprit qui se balade dans le monde virtuel du Réseau et joue le rôle de l’ange gardien de Batô.

    Outre une animation encore plus peaufinée que sur le précédent opus, les détails fourmillent dans ce deuxième volet au cinéma, au point de nécessiter plusieurs visionnages, « Ghost in the Shell 2: Innocence » étant très dense, parfois trop… Il s’impose néanmoins comme un véritable festival de couleurs, où la 3D et les images entièrement générées par ordinateur s’incrustent dans le film de façon souvent très réussie, mais aussi de manière parfois trop évidente, sans parler d’un scénario mêlant références religieuses (Animisme et Christianisme), philosophiques et technologiques.

    Pour ce qui est de la musique, Kenji Kawai est de nouveau mis à contribution et nous livre une composition encore plus recherchée, notamment lors du combat final, volontairement très proche du générique du premier film, avec encore la fameuse utilisation des chœurs japonais (ainsi que des chœurs de chorale à l’occidentale, pour les oreilles les plus attentives).

    Comme dans le premier opus, cette suite n’oublie pas la métaphysique, comme nous l’évoquions plus haut, et est remplie de citations d’auteurs, notamment occidentaux (Descartes, pour ne citer que lui), mettant en exergue le blues de Batô, à qui le major manque finalement, laissant un vide pour le personnage comme pour le spectateur. Une fois l’affaire classée, Motoko Kusanagi retourne sur le net, telle l’ange-gardien une fois sa mission terminée, même si cette vision nous laisse entendre que l’on pourrait la revoir un jour…

    Il est parfois dit que Mamoru Oshii aurait mis ses inquiétudes et réflexions personnelles sur le futur dans ce film, d’où une oeuvre très dense et touffue, qui peut parfois perdre le spectateur, et nécessite qu’il soit extrêmement attentif, sous peine d’être rapidement désorienté, ne percevant plus la direction prise par le réalisateur.

    Les références mythologiques, ésotériques et littéraires abondent, dans un tourbillon parfois difficile à suivre (notamment sur le Golem, être artificiel issu des croyances juives). Les références cartésiennes (l’âme humaine est « placée » dans un corps qui fonctionne comme une machine) s’opposent à celles qui stipulent que l’âme humaine est le fruit de la complexité de son corps et de son cerveau. Mais néanmoins, ce film mérite une redécouverte, vu la densité et le nombre de thèmes abordés.

     

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    Ghost in the Shell: the Stand Alone Complex, 2nd Gig

    Derrière ce titre assez long se cache la seconde saison de la série d’animation, où l’on retrouve toute l’équipe de la saison 1, ainsi que les Tachikoma qui apportent toujours leur dose de réflexions comiques.

    Dans cette saison, suite au scandale que la Section 9 a révélé au grand jour, le gouvernement change et le premier ministre avec (madame la premier ministre devra même être protégée par la section dans un des épisodes). Suite à une prise d’otage réglée avec succès par le major et son équipe (à moins que ça ne soit Aramaki et son équipe), la Section 9 est réintégrée de manière officielle dans le ministère.

    Aux commandes de la saison, on retrouve le même staff que celui de la première saison et Yoko Kanno crée une bande-son tout aussi réussie que pour la précédente.

    De nombreux épisodes contiennent d’ailleurs des clins d’œil à d’autres œuvres, telles que « Taxi Driver », « Les Ailes du Désir » ou encore le manga « Cat’s Eye ».

    Cette fois, le fil rouge de la série mêle le thème du nationalisme au complot politique, tant à l’intérieur du pays qu’au niveau international, sur fond de crise migratoire (thème étonnamment actuel, alors que la série a été produite en 2004), avec un groupuscule nationaliste inspiré de celui qui avait tenté un coup d’état au Japon le 15 mai 1932.

    Là où l’intrigue devient plus dense et plus complexe, c’est que le complot se sert de fanatiques religieux (les 11 individuels) comme de pions. L’un des buts des fanatiques et de ceux qui les manipulent est l’anéantissement des réfugiés (d’origine asiatique) et du ghetto dans lequel on les a installés.

    La série aborde ainsi des sujets qui peuvent entraîner une certaine controverse, et on découvre d’ailleurs que chaque membre de l’équipe a un avis différent sur la question, ce qui ne les empêche pas d’agir avec professionnalisme. Dans cette seconde saison, la géopolitique revêt plus d’importance.

    Par exemple, on avait appris que les Etats-Unis d’Amérique étaient scindés en deux, les Etats-Unis à proprement parler et l’empire américain qui regroupe les états du Sud.  Au passage, cette seconde saison raconte également le « passé » de ce monde futuriste. Dans un épisode, on nous raconte comment Motoko, alors soldat, a recruté Saito, au coeur d’un conflit mondial. Cette saison permet de creuser un peu plus dans le passé des protagonistes, notamment celui de Paz, l’ancien Yakusa.

    Autre sujet abordé, la place d’un androïde (le nommé Proto), à l’intelligence artificielle suffisamment développée pour passer pour un être humain. En effet, ce dernier est un prototype qui essaie de se faire passer pour humain. Proto a peur de dévoiler sa vraie nature, craignant d’être rejeté par ses collègues de la section 9, ayant surtout affaire à des androïdes au comportement trop prévisible ou enfantin.

    Ce détail scénaristique fait écho au phénomène psychologique parfois controversé dit de la « vallée de l’étrange ». Un robot est accepté par les humains, soit s’il est d’apparence très éloignée de celle des humains, comme les Tachikoma ou R2-D2 de Star Wars, ou au contraire d’apparence très humaine comme Proto. Entre les deux, un robot n’ayant pas une apparence « assez » humaine peut provoquer, d’après les tests, un sentiment de rejet, voire de peur. L’endosquelette androïde du Terminator en étant un parfait exemple dans la fiction (même si c’est volontaire de la part des scénaristes et de James Cameron de lui donner cette apparence macabre).

    La série se referme sur une Motoko Kusanagi au cœur brisé (l’un des fanatiques était un amour de jeunesse). Quant aux Tachikoma, ils se sont sacrifiés pour permettre le succès de l’équipe et ils sont remplacés par les Fujikoma (un clin d’œil au manga)…

     

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    « Ghost in the Shell, quand le cyberpunk du Soleil Levant devient une référence mondiale – Partie 3 », à lire très prochainement dans le Magazine Instant City…

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Dans les Episodes précédents » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Ghost in the Shell – Partie 1

     

     

     

  • Les Barbapapa ont 50 ans !

     

     

    Avec cette année 2020 qui vient tout juste de s’achever, et qui aura été si particulière à bien des égards, nous avons presque failli oublier que les Barbapapa avaient fêté leur cinquantième anniversaire. Comment ça, les Barbapapa ont cinquante ans ?! Eh oui, déjà, car c’est bien en 1970, précisément le 19 mai, à Paris, que Talus Taylor et Annette Tison imaginaient ces personnages parmi les plus mythiques de la télévision française des années 70.

     

    L’histoire commence comme ça, au débotté, par le petit bout de la lorgnette… Annette et Talus se promènent paisiblement au jardin du Luxembourg. Soudain, Talus Taylor est perturbé par les cris stridents d’un enfant, sans doute insupportable, même pour l’époque, réclamant à ses parents une chose qu’il balbutie en ces termes : « Baa baa baa baa ».

    Talus Taylor, ne parlant pas français, demande aussitôt à Annette Tison ce que le « petit chiard » a voulu dire. Dans la seconde, et sans reprendre son souffle, Annette Tison lui explique que le bambin réclame tout simplement une friandise… dont le nom est « barbe à papa ». Et voilà !

    Un peu plus tard, au restaurant, le couple se met à dessiner sur la nappe un personnage inspiré par la friandise… Le résultat est rose et tout en rondeur. Et lorsqu’il s’agit de lui donner un nom, Barbapapa s’impose tout naturellement.

     

    « En me promenant dans le jardin du Luxembourg, ne comprenant pas le français, j’entendais les enfants prononcer « Baa baa baa baa », j’ai demandé à Annette Tison ce que ça voulait dire. Elle a rigolé en me disant que c’était de la barbe à papa, car avant d’être colorée en rose, la barbe à papa était blanche, comme celle du grand-père. Un peu plus tard, au restaurant, nous avons dessiné sur la nappe notre nouveau personnage. Et puis, il a fallu lui donner un nom. Nous sommes tombés d’accord sur Barbapapa, et comme je ne savais pas le prononcer, je ne savais pas non plus l’épeler, et je l’ai écrit en un seul mot ! C’est ainsi que Barbapapa est né, un peu au Jardin du Luxembourg, et un peu sur le coin d’une nappe en papier de la Brasserie Zeyer. » (Talus Taylor)

     

    Un très bon anniversaire aux Barbapapa et accessoirement à notre enfance !

     

    La famille Barbapapa, créée en 1970 par Talus Taylor et Anette Tisson

    © 2020 Alice Taylor & Thomas Taylor (All Right Reserved)

     

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  • Ghost in the Shell, quand le cyberpunk du Soleil Levant devient une référence mondiale – Partie 1

     

     

    « Ghost in the Shell » est le titre anglophone d’une œuvre de science-fiction de Masamune Shirow, publiée entre 1989 et 1991, et qui donna lieu par la suite à de nombreuses déclinaisons, le plus souvent réussies. Afin de célébrer dignement le trentième anniversaire de la franchise de cyberpunk nipponne qui a popularisé le genre dans le monde entier, au point de devenir la référence ultime du genre dans la pop-culture de science-fiction, un tour d’horizon de « Ghost in the Shell » ainsi que des thèmes qu’elle aborde s’impose…

     

    Alors déjà, le cyberpunk, qu’est-ce que c’est ? 

    Car avant d’aborder en profondeur le monument « Ghost in the Shell », il faut d’abord faire un petit saut dans le passé, en commençant par évoquer ce genre de science-fiction dont l’action se situe spécifiquement dans un futur proche. En effet, les premières œuvres caractéristiques du genre « Cyberpunk » sont littéraires et reposent sur des thèmes comme la place de la technologie dans la société et son rapport à l’Homme (voire l’inverse, ce qui n’est pas anodin…). Ces œuvres se situent généralement dans les années 2030-2040, ce qui à l’époque de la parution des premiers livres du genre dans les années 70 et 80, pouvait sembler encore assez lointain.

    Le « Cyberpunk » met en scène des sociétés où la technologie est reine et l’informatique omniprésente. L’Internet — oh pardon, je voulais dire le Réseau — permet aux hommes de voyager dans un monde virtuel, en raccordant directement leurs cerveaux à l’ordinateur via des implants cybernétiques. Il va sans dire que le piratage existe également dans la réalité virtuelle, dans laquelle chaque personne évolue et s’y bat, en prenant la forme d’un avatar.

    C’est déjà le cas dans le livre « The Neuromancer » de William Gibson (1984), où un pirate informatique est chargé de s’emparer des données d’une société pour l’un de ses concurrents, via le réseau informatique mondial de la « Matrice » (Internet n’était pas encore vulgarisé au moment de la rédaction de l’œuvre, et restait surtout à usage militaire, voire scientifique). Petit détail important, le Réseau (nommé la « Matrice », « Matrix » en anglais) et la réalité virtuelle ne font désormais plus qu’un…

    Les prothèses et divers implants cybernétiques sont courants, et on trouve des cyborgs à tous les coins de rue. Quant aux membres et organes endommagés, ils peuvent être aisément remplacés par des prothèses plus efficaces que les éléments organiques. Ces prothèses sont ainsi connectées au système nerveux des cyborgs, la chair fusionnant avec le métal. Vous vous souvenez de la série « L’homme qui valait trois milliards » ? Eh bien voici le parfait exemple du cyborg, dont la mission est de lutter contre espions et criminels ; la série est d’ailleurs tirée d’un livre dont le titre est… « Cyborg ».

    Autre œuvre fondatrice du genre « Cyberpunk », la nouvelle de Phillip K. Dick, « Do androids dream of electric sheeps ? », parue en 1966, et dont l’adaptation au cinéma quelques années plus tard, « Blade Runner », mettra en scène des robots si sophistiqués qu’ils semblent s’humaniser peu à peu, en développant émotions et réflexion.

    Le point commun entre les deux œuvres, « The Neuromancer » et « Do androids dream of electric sheeps ? », est l’omniprésence des sociétés de l’informatique (et de l’information), de la robotique, voire même pharmaceutiques, qui deviennent plus puissantes que certains états, au point qu’elles finissent parfois par dicter leur loi et leurs volontés aux nations. Il en résulte ainsi une impression générale de perte d’humanité de la société, d’interrogation sur ce qu’est justement l’humanité et sur la direction qu’elle risque de prendre dans le futur.

     

    « The Ghost in the Shell », le manga fondateur d’une franchise féconde

    Avec « Ghost in the Shell », Masamune Shirow reprend tous ces thèmes et les développe dans son oeuvre, entre 1989 et 1991, en y ajoutant sa griffe personnelle. Certes, ça n’est pas son premier manga de SF — de 1985 à 1989, il publiait déjà son manga post-apocalyptique en quatre volumes, « Appleseed » — mais il nous y propose cette fois des thèmes très aboutis, et nous plongeons dans l’univers fouillé et dense de ce manga, comme on plongerait dans l’océan, à des profondeurs extrêmes.

    « Ghost in the Shell » nous conte les aventures de la Section 9, la branche anti-terroriste du Ministère de l’Intérieur du Japon, en 2030. Son titre s’inspire de celui de l’essai philosophique « The Ghost in the Machine » d’Arthur Koestler, dans lequel l’auteur britannique d’origine hongroise détaille les interactions entre les hommes et la machine.

    Dès les premières pages du manga, le contexte de malversations et de « copinage » entre les membres du gouvernement et certaines sociétés sert de base à l’histoire. Les héros auront ainsi fort à faire, entre les coups tordus des groupes terroristes, ceux tout autant tordus d’un gouvernement corrompu, sans parler des espions et divers terroristes que la Section 9 est chargée de faire disparaître. Bref, le monde présenté dans « Ghost in the Shell » se révèle être un véritable panier de crabes, où les héros ne pourront s’appuyer que sur leur réseau d’amis (et le réseau informatique…) pour espérer pouvoir s’en sortir.

    En aparté, le titre original du manga est « Kōkaku kidōtai », ce qui pourrait se traduire par « équipe d’intervention armée ». L’auteur avouera que c’est bien le titre « Ghost in the Shell » qu’il avait en tête à l’origine et qui définissait au mieux, selon lui, l’histoire qu’il voulait nous raconter, mais que son éditeur, Kōdansha Ltd, était intervenu pour le changer. Ce n’est que lors de sa traduction en langue anglaise que le titre voulu par l’auteur sera finalement repris.

     

     

     

    Quant à la notion de réseau d’influence évoquée précédemment, elle se voit notamment dans la composition de la Section 9, aux membres d’élite aux compétences complémentaires et soudés par un très fort esprit d’équipe. Ainsi, pour comprendre l’histoire originale et ses différentes adaptations, il faut au préalable décrire les principaux protagonistes :

    Le major Motoko Kusanagi (en bas, à droite) : cyborg intégral de sexe féminin, c’est une personne d’apparence svelte et athlétique, mais son corps est entièrement mécanique, à l’exception de son cerveau qui est encore (au moins partiellement) organique, donc d’origine dans l’œuvre initiale. C’est une femme dont le passé est mystérieux et elle-même a des doutes sur son identité. Ses souvenirs sont-ils bien les siens ? Etait-elle une femme avant de se cybernétiser ? Bref, sous des dehors espiègles, cyniques et parfois caustiques, se cache une femme qui n’est pas toujours sûre de ce qu’elle est, et dont la personnalité évolue au cours de l’histoire. Elle est très compétente en techniques de piratage informatique et en tactiques d’assaut, se montrant furtive et agile comme une panthère.

    Batō (en bas, à gauche, souvent orthographié « Batou » en Français comme en Anglais) : c’est un ancien soldat, dont les points forts sont la force physique, sa maîtrise des armes d’assaut et des techniques de combat rapproché. Il se montre attentionné avec le major et sans doute en pince-t-il un peu pour elle. Tout comme Motoko Kusanagi, c’est un cyborg intégral, dont il ne reste d’humain que le cerveau et la moelle épinière. Il se pose moins de questions philosophiques que le major, mais reste très fidèle envers ses coéquipiers. Son apparence est clairement inspirée de celle de l’acteur Arnold Schwarzenegger dans « Terminator » (qui a dit encore un cyborg ?).

    Daisuke Aramaki (au centre) : C’est le chef de la Section 9. Entièrement humain, c’est un fin psychologue, rompu aux manigances politiques de tous types, dans le seul but de protéger la section et ses membres. La guerre des services faisant rage dans le manga, ses manœuvres ne seront d’ailleurs pas de trop. Afin de préserver son équipe (et lui-même, sans doute), il ira jusqu’à provoquer un « mystérieux accident » fatal à un membre de la Section 1, qui avait comme objectif d’assassiner tous les membres de la Section 9.

    Paz (en haut, le plus à droite) : Ancien yakuza, il a encore des contacts avec la pègre du Soleil Levant. Son corps serait cybernétique, comme pour le Major et Batō.

    Togusa (à gauche de Paz) : C’est un ancien policier, et l’un des meilleurs, ce qui lui a valu d’être intégré dans l’équipe. C’est également l’un des membres les plus humains de l’équipe. Il n’a en implant qu’une connexion neurale pour se brancher sur le réseau, son cerveau et son corps étant entièrement organiques, hormis cet implant. Il est armé d’un revolver à barillet qui est son arme fétiche.

    Ishikawa (à gauche de Togusa) : C’est l’expert en informatique du groupe ; un pirate informatique de haut vol, capable de craquer même le meilleur firewall. Il peut déceler la moindre modification dans un programme informatique et il reste souvent en retrait lors des interventions de la section.

    Borma (à gauche d’Ishikawa) : probablement un expert en armes lourdes, c’est un cyborg intégral qui n’apparaît que rarement dans le manga.

    Saito (à gauche de Borma) : C’est le sniper du groupe. Un de ses yeux, le gauche, est une prothèse qui permet de viser ses adversaires en utilisant une liaison par satellite.

     

     

     

    Après avoir planté le décor et présenté les personnages, on peut se hasarder à dire que le succès de « Ghost in the Shell » est largement lié à la façon dont le manga aborde le thème du transhumanisme via la cybernétique, mais aussi à deux autres éléments, à commencer par une particularité scénaristique intéressante.

    Outre la présentation d’aventures qui ne sont pas reliées entre elles, certaines le sont néanmoins par une sorte de fil rouge et s’attardent sur la recherche d’un pirate informatique nommé le « Puppet Master », capable de cracker le cerveau des gens qui ont des implants permettant la connexion au réseau, ce qui rend par exemple possible d’implanter de faux souvenirs dans l’esprit des malheureuses personnes piratées, voire des cyber-cerveaux, c’est-à-dire des cerveaux hautement cybernétisés ou entièrement artificiels, capables d’accueillir le Ghost, à savoir l’âme d’une personne. Le coup de théâtre de l’intrigue sera la révélation que le Puppet Master est en fait un virus informatique répondant au doux nom de code de « Projet 2501 ».

    Ce virus est tellement sophistiqué qu’il s’est éveillé à la conscience et est devenu une intelligence artificielle. C’est alors que Projet 2501 demande l’asile politique au Japon via un corps cybernétique qui lui sert de réceptacle et questionne les protagonistes sur la définition de la vie. Car le Projet 2501 se considère en fait comme une forme de vie à part entière, issue des réseaux de l’information.

    La deuxième clé du succès de « Ghost in the Shell », hormis son scénario complexe sortant de l’ordinaire, est le dessin même de Masamune Shirow. Il est détaillé à l’extrême, et la colorisation de certains chapitres aide à faire ressortir la perfection de ses dessins. Les détails et les éléments technologiques abondent, dans un Japon futuriste, grouillant même dans certaines planches, découpées par ailleurs d’une manière très japonaise, en soulignant l’action par ces traits de vitesse qu’Osamu Tezuka avaient mis au point en son temps.

    De ce fait, chaque page contenant de l’action la met en exergue par cette impression de rapidité et de danger immédiat auxquels se trouvent parfois confrontés les héros de l’histoire. D’autre part, Masamune Shirow n’hésite pas à donner, en encart ou en bas de page, des explications sur la technologie et la géopolitique abordées dans son œuvre ; technique narrative qui sera reprise plus tard par Yukito Kishiro dans son œuvre « Gunnm ».

    En dehors de ces éléments, outre le transhumanisme cybernétique, l’un des thèmes centraux de l’œuvre, c’est la définition de la vie, voire de l’âme, car dans cet univers de science-fiction, si un virus informatique s’éveille à la conscience et que certaines machines, comme les robots assistant la Section 9 dans ses missions, commencent à réfléchir tant sur ce qu’ils sont que sur le sens de leur existence ; qu’est-ce qui fait une âme et un être humain, dont le corps peut être bardé d’implants cybernétiques ?

    Ainsi, le titre « Ghost in the Shell » provient en partie du fait que, dans l’univers de l’auteur, la technologie est à ce point sophistiquée qu’elle permet d’avoir accès à l’âme, à l’esprit même d’une personne via la cybernétique. Cette partie accessible et piratable est appelée un « ghost » dans le manga, et les corps cybernétiques ne sont plus que des réceptacles pour cette âme, des carapaces modifiables, si besoin est (d’où le terme « shell » en anglais), sans parler des nombreuses références au Shintoïsme, religion propre au Japon, qui mélange polythéisme et animisme.

    Ce thème de la frontière entre Homme et Machine, ainsi que de leurs limites respectives, est certes récurrent dans le genre cyberpunk, mais il est ici abordé en profondeur et développé à l’extrême dans « Ghost in the Shell », parfois de manière fort complexe, pour ne pas dire compliquée (voire alambiquée). D’autant plus que le Puppet Master fait remarquer au major (alors blessé de manière quasi-fatale) dans la scène finale du manga qu’étant au départ un virus informatique, il est coincé dans son évolution.

    Il ne peut pas se reproduire comme un organisme vivant, ce qui l’empêche de s’adapter à un monde changeant et en perpétuelle mutation. Il lui propose donc de fusionner leurs ghosts, ce que Motoko, à l’article de la mort, accepte, non sans se demander où son propre ghost ira. Le Puppet Master la rassure en lui expliquant qu’il finira sur le Réseau. Dans les dernières pages, le major se réveille dans un nouveau corps, chez Batō, mais le major lui révèle qu’elle n’est plus la même personne et se demande de quoi son futur sera fait. Le réseau est si vaste…

    On comprend de la discussion entre le major et le virus cherchant à évoluer que le Net est devenu une sorte de réalité à part entière, et sa sophistication est telle que le terme de réalité virtuelle prend un sens presque métaphysique dans l’œuvre de Masamune Shirow, se superposant au monde réel. Même si tout cela semble quelque peu capillotracté, cela met au jour les interrogations de l’auteur quant à cette technologie galopante, presque hors de contrôle et évoluant désormais par elle-même. Il y a sans doute chez Masamune Shirow une fascination doublée d’une forme de crainte, face à cette technologie et à l’évolution des sociétés dans lesquelles elle devient indispensable.

     

    The Ghost in the Shell 2.0 : Man-Machine Interface

    Le deuxième volet de « Ghost in the Shell » est publié de 1991 à 1997. On y retrouve le major, qui a changé après sa fusion avec le Puppet Master. Devenue freelance et travaillant pour un conglomérat international, elle se fait désormais appeler Motoko Aramaki et elle est capable de transplanter sa personnalité dans plusieurs cyborgs pourvus de cyber-cerveaux, donnant l’impression que le major a acquis une forme de don d’ubiquité, lui permettant d’intervenir à plusieurs endroits à la fois.

    De plus Masamune Shirow fait de Motoko une quasi-déesse omnipotente dans le réseau informatique. L’action de la série est centrée sur une affaire de vol de recherches sur l’Intelligence Artificielle, et c’est un détective doué de pouvoirs psychiques qui va croiser la route du major lors de son enquête.

    Si le premier opus évoquait la notion d’individu et sa relation à la technologie, la suite insiste trop sur la personnalité quasi-divine de Motoko, ce qui a tendance à perdre le lecteur, et ce malgré un dessin très recherché et travaillé, rempli de détails mettant aussi en valeur les formes féminines.

    On notera également que le manga est cette fois entièrement en couleur (chose rare pour un manga) et que, pour ce second volet, Masamune Shirow utilise beaucoup le dessin par ordinateur. Mais malgré cela, ces innovations ne sauveront pas un récit que beaucoup trouveront trop hermétique et pseudo-philosophique, là où le premier opus visait juste, avec les interrogations humaines et personnelles de Motoko (ainsi que ses références cartésiennes) et sa relation à la cybernétique.

     

    « Ghost in the Shell, quand le cyberpunk du Soleil Levant devient une référence mondiale – Partie 2 », à lire très prochainement dans le Magazine Instant City…

     

     

     

  • Jim, interview fleuve…

     

     

    On ne présente plus « Une Nuit à Rome », cette saga en quatre tomes éditée chez Grand Angle et dont le premier opus est paru en 2012. Instant City avait déjà rencontré son auteur et dessinateur, Jim, pour une première interview en 2015. Le temps passe… Il passe aussi pour Marie et Raphaël, qui dans le premier cycle (tomes 1 et 2) avaient quarante ans et qui en ont maintenant cinquante (deuxième cycle, tomes 3 et 4).

     

    Pour ceux qui ne connaissent pas la saga, Marie et Raphaël se sont aimés lorsqu’ils étaient tous deux étudiants aux Beaux-Arts, et se sont promis, avant que la vie ne les sépare, de se retrouver pour une seule nuit, à Rome, le jour de leurs quarante ans. Et de renouveler leur promesse pour leurs cinquante ans.

    A Instant City, nous étions très curieux de savoir comment les personnages allaient évoluer entre : que sont-ils devenus ? Où en sont-ils dans leur vie ? Est-ce que Raphaël est resté fidèle à Sophia ? Est-ce que Marie a enfin trouvé un homme qui lui aura donné envie de rester ?

    Nous étions aussi désireux et heureux de retrouver un auteur, Jim, son univers, ses personnages, son trait, sa bande de copains. Car à côté des histoires d’amour des personnages principaux se raconte aussi toute l’évolution d’un groupe d’amis qui traversent le temps. Ce temps qui se fixe sur des objets, des décors, des changements d’atmosphère.

    Et puis nous étions, comme tous les lecteurs assidus de la série, fébriles de savoir de quelle manière Marie aurait physiquement vieilli sous le crayon de Jim. L’écriture scénaristique du second cycle a dû être extrêmement délicate. L’auteur aura-t-il osé vieillir Marie ou sera-t-elle restée une icône pop éternellement jeune et jolie ? Et Raphaël ? Comment le dessin rendra-t-il son vieillissement ? Aurons-nous affaire à de « vieux beaux » ou Jim aura-t-il osé en faire des gens ordinaires comme vous et moi ?

    On imagine bien les voir se retrouver plus mûrs, plus stables, plus ancrés dans leur vie, plus heureux et épanouis, autour d’un verre, d’une table de restaurant, juste pour partager un repas, riant et discutant à tout rompre, rattrapant dix ans de vie sans nouvelles. Puis décider d’un simple regard entendu de s’en tenir là et de se dire au-revoir en bons amis.

    De nombreuses questions taraudent ainsi les amoureux de la saga : on se demande si on va repartir sur un nouveau rendez-vous à soixante ans ou pas. Sans doute que non, on imagine bien que ce serait un peu redondant. Mais alors, comment va se terminer cette histoire ? Quelle fin suffisamment inattendue pour réussir à surprendre les fans de la BD tenus en haleine depuis huit ans ?

    C’est très intéressant de voir de quelle manière chacun d’entre nous aura sa propre imagerie de la scène de retrouvailles. Vont-ils se revoir, vont-ils s’aimer ? Vont-ils enfin se mettre en couple ?  autant de scénariis possibles que de lecteurs.

    Voilà, à notre avis, le plus grand défi que Jim avait à relever : faire vieillir Marie, vraiment, et proposer un scénario suffisamment surprenant et original. Une fin digne de Marie, en somme !

     

     

     

    L’INTERVIEW-FLEUVE

     

    IC : Bonjour Jim. Alors ça y est, c’est fini…. Vous venez de boucler le cycle 2 (tome 4) de la saga « Une Nuit à Rome » ?

    Jim : Eh oui, la parenthèse se referme. J’avoue ne pas avoir le sentiment de les quitter parce que j’en ai fait le tour, mais parce qu’il serait étrange de lier sa vie d’auteur à deux personnages… Besoin et envie de raconter d’autres histoires. Et puis, la force de cette histoire, c’est ce morceau de vie, ce sont les questionnements autour de leur promesse d’origine…

     

    IC : Est-ce que vous pouvez nous retracer un peu la chronologie de cette saga ? Comment ça a commencé, ce qu’il s’est passé durant ces huit années ?

    Jim : « Une Nuit à Rome » est né de mon intérêt pour les films français sensibles, ce type d’histoires… et d’une envie de me dépasser graphiquement, après quinze ans de dessin humoristique… j’avais envie de découvrir d’autres façons de faire…

     

    IC : Qu’est-ce que ça fait de mettre le dernier coup de crayon à une histoire qui dure depuis huit ans ?

    Jim : Un album, c’est deux ans… Là, j’avais surtout la problématique au jour le jour d’avancer mes planches, et de voir que je me rapprochais de la fin. Chaque album est une montagne à gravir, arriver à la fin est un vrai plaisir, on va enfin pouvoir voir si ce qu’on a prévu dans son coin touche les gens, les emporte, et les bouleverse… Tant qu’on est seul, c’est très théorique, on espère des ressentis proches du sien, mais on ne sait jamais vraiment. On espère, on se projette…

     

    IC : « Je redoutais un peu la fin de l’histoire. J’avais peur d’être déçu ou frustré » écrit Lys 1656 sur un site de vente. Racontez-nous toute la période de création du scénario de fin : avez-vous ressenti une grande pression liée à l’attente des lecteurs que vous pouviez imaginer et à votre volonté de ne pas les décevoir ?

    Jim : L’enjeu était énorme, une mauvaise fin pouvant gâcher toute la série, finalement. Je ne cérébralise pas beaucoup. J’ai eu l’idée de cette fin, et je savais que c’était la fin. Comme si c’est quelque chose qui arrivait à des personnes réellement, et que je devais raconter ça. Il ne nous viendrait pas à l’idée de changer la vie des gens autour de soi, ce qui leur arrive est ce qui leur arrive. Et bien là c’est pareil, je raconte leur vie, comme si elle existait…

     

    IC : Avez-vous beaucoup échangé avec votre entourage pour recueillir leur avis ?

    Jim : Quand j’ai une idée, j’en cause, oui, toujours. Pas comme un test, mais qui vit dans mon entourage est obligé de partager mes emballements, donc je balance toujours les idées. Et je vois comment elles accrochent, effectivement. Souvent, on vérifie ainsi que c’est bien ressenti, si on a besoin de régler quelque chose. Je crois que je frotte souvent mon enthousiasme aux autres, qui sont des lecteurs possibles. Ainsi, je prends la mesure en temps réel.

     

    IC : Avez-vous changé plusieurs fois de version ? Pouvez-vous nous faire la confidence des autres fins que vous aviez imaginées et avec lesquelles vous avez hésité ?

    Jim : Absolument aucune autre (Rires). Si j’étais mystique – ce que je ne suis pas – je dirais que c’est comme capter des vies qui existent, et juste devoir les raconter. Je savais que c’est ce qu’ils devaient vivre, parce que c’était une pirouette, pas un happy end cul-cul, et que ça me semblait le sens de la vie… Les emmerdes ne sont jamais loin, il ne faut jamais baisser sa garde… et je savais que Raphaël avait déconné la nuit de ses cinquante ans. En réalité, il y a beaucoup d’éléments dans le tome 3 qui allaient dans ce sens… mais n’en disons pas plus pour ceux qui n’ont pas lu !

     

    IC : Quelle a été la décision la plus difficile à prendre ?

    Jim : Aucune idée, il n’y a pas de décision difficile à prendre quand on est instinctif. On sent que ça doit être ça. D’un point de vue graphique, choisir une couverture est sans doute la décision la plus difficile à prendre, car c’est se priver de toutes les autres options. Sur la couverture, Delphine et moi avons beaucoup cherché sur les couleurs, car elles ne venaient pas facilement…

     

    IC : De quelle idée êtes-vous le plus heureux ?

    Jim : L’idée de départ de la série. « A vingt ans, ils se sont promis de passer ensemble la nuit de leurs quarante ans. » C’est limpide, et ça va être difficile d’avoir une nouvelle idée comme ça. Et une page dans le tome 4 où Raphaël appelle sa maman. Les héros de BD ont rarement de parents, et je trouvais au contraire particulièrement intéressant de faire un point sur sa vie, et de penser à sa maman encore en vie. De s’arrêter, de la remercier, de la rassurer sur ce qu’on vit. C’est évidemment une façon pour moi de le dire à ma maman.

     

    IC : Quels retours avez-vous de votre public ?

    Jim : Je suis très serein, maintenant que le tome 4 est sorti, de voir combien il accomplit sa mission de clore la série. J’ai eu de très beaux retours de lecteurs. Il faut dire que j’ai ajouté vingt planches, je tenais à ce qu’il soit le plus complet possible, et à l’écrire sans avoir le sentiment de me restreindre narrativement. Je crois qu’il est bien plein, riche.

     

    IC : A la lecture des commentaires sur le net, il semble que le tome 4 apparaisse comme étant le plus « abouti », c’est un mot qui revient souvent.

    Jim : C’est une vraie chance. Ça veut dire que nous avons été dans la même direction, les lecteurs et moi. Personnellement, j’adore écrire les fins. Je trouve ça passionnant à écrire. Je réalise que jamais je n’ai écrit un album aussi vite, d’ailleurs. Je pense qu’il s’est écrit en quatre ou cinq jours. Mais en réalité, pendant toute l’écriture du tome 3, dès que j’avais des idées, je les notais dans un fichier que je ne relisais pas. À la fin du tome 3, j’ai réouvert le fichier, j’ai tout relu, et il a suffi d’agencer les idées, de trouver leur ordre, de faire les liens. Tout le tome 4 était là. En réalité, je l’ai écrit en cinq jours… et deux ans.

     

    IC : Finalement, l’amour, c’est mieux à cinquante ans ?

    Jim : Je ne crois pas. C’est mieux quand on est amoureux, surtout.

     

    IC : A la lecture des réactions des lecteurs, changeriez-vous quelque chose au scénario ?

    Jim : Ça c’est une vraie question que je ne me pose pas. Par flemme, et parce que l’idée est de ne pas y revenir, donc laisser les quatre tomes comme ça, et place aux projets futurs. C’est nettement plus emballant !

     

     

     

    IC : La ville de Rome tient une place encore plus importante que dans les trois précédents volumes. Des planches entières, absolument magnifiques, montrent la ville. Combien de voyages avez-vous effectué à Rome au cours de ces huit années ? Comment fonctionnez-vous ? Vous prenez des photos ? Vous allez sur internet ? Rome ne va-t-elle pas aussi vous manquer ?

    Jim : Rome ne sera jamais trop loin… J’ai dû aller six fois à Rome. J’ai fait beaucoup de photos effectivement, et réfléchi à l’histoire sur place. Certains éléments s’écrivent en fonction de choses vues, comme ce couple âgé en terrasse dans la lumière du soir. C’est une photo prise en marchant vers le festival BD de Rome où j’étais invité. J’aimais l’image, et elle m’a inspiré cette vision. Mais je vais essayer de ne plus trop aller à Rome, j’ai plutôt envie d’aller dans de nouveaux endroits, m’inspirant de nouvelles histoires…

     

    IC : Sète sert également de décor dans ce tome 4. Parlez-nous de cette ville et du lien qui vous attache à elle.

    Jim : Sète, c’est du copinage. J’habite à côté. Graphiquement, c’était intéressant, et géographiquement idéal, car sur le parcours, à mi chemin entre Paris et Rome. Je ne suis pas particulièrement attaché à Sète, en réalité, je me sens plus proche de Montpellier, qui est plus… ma ville.

     

    IC : Quelques bonnes adresses ?

    Jim : À Sète, je conseille le marché du dimanche matin, et quelques restos à ambiance type « La Mauvaise Réputation », quand mon ami Christian nous y embarque…

     

    IC : Un lecteur évoque, je cite, « des morceaux de musique emblématiques de l’époque, réalisant comme une bande-son de l’histoire » (Commentaire de Bdotaku). Parlez-nous des ces morceaux de musique choisis.

    Jim : Dans le tome 1, j’ai placé quelques titres emblématiques, comme Gerry Rafferty… C’est plus un jeu personnel, comme quand j’évoque l’âge d’Étienne Daho, qui m’a toujours paru un grand frère symbolique. Je me souviens de mon effroi quand j’avais vingt ans, de découvrir qu’il en avait trente. Je le trouvais si proche de mon univers, et en même temps, qu’il ait dix ans de plus que moi me paraissait incompatible… mon Dieu, c’était un vrai adulte, déjà…

     

    IC : Que restera-t-il de cette tranche de vie ? Pouvez-vous nous citer quelques « meilleurs » et « pires » souvenirs liés à cette aventure ?

    Jim : Je ne crois pas avoir de pire souvenir, je n’en vois aucun, en tout cas. Les meilleurs sont liés aux rencontres, aux visages, au gens, au plaisir d’avoir touché certaines personnes, la façon d’en parler, d’être attaché à cette histoire, le lien qui s’est créé entre Marie, Raphaël, et eux. Souvent, les lecteurs ont le sentiment de me connaître en venant vers moi en dédicace, car nous avons partagé quelque chose en commun. Jeté un même regard sur certains éléments de la vie, sans doute ?

     

    IC :  Il suffit de regarder un peu votre page facebook pour comprendre qu’ « Une Nuit à Rome » et Jim sont devenus deux éléments d’un même mythe, au point de ne faire plus qu’un. « Une Nuit à Rome », c’est une communauté de 3 750 followers, une saga qui dure depuis huit ans, des fans qui se retrouvent pour des dédicaces, des éditions spéciales (neuf albums différents pour quatre tomes), des fêtes, des rencontres, des chats entre lecteurs. En résumé, c’est plus qu’une BD, c’est un univers tout entier avec vos fans.

    Jim : En réalité, ce ne sont pas neuf albums différents, mais aujourd’hui dix-huit albums différents en langue française… sans compter les coffrets et les traductions à l’étranger. Oui, c’est assez dingue, ce qui se passe avec cette série, il y a un aspect magique, quand un tel pont se crée entre un public et une histoire.

     

     

     

    IC : Cet engouement, on le doit beaucoup au personnage de Marie et à vos dessins sexy à souhait. Elle est belle et plaît beaucoup. Posters, puzzles, mugs, sacs en toile, étiquettes sur une bouteille de vin ou de champagne, calendriers… On retrouve Marie sous toutes les déclinaisons.

    Jim : Le personnage de Marie a su toucher un public, et je suis régulièrement contacté par des gens qui souhaitent la décliner sur différents supports. Et j’avoue apprécier cette idée, c’est toujours un plaisir, si les produits sont de qualité. On a même poussé la vanne avec mon ami Gaston en faisant croire que des préservatifs Marie allaient sortir. Il avait fait un visuel avec un imprimé de Marie sur le latex, et je l’avais fait suivre sur mon facebook. Je me souviens qu’on nous a demandé à quels parfums étaient les préservatifs. La réponse « Parmesan et Mozzarella » a achevé de nous trahir… (Rires).

     

    IC : Dans combien de pays la BD a-t-elle été traduite ? Comment se vend la saga à l’étranger ?

    Jim : Néerlandais, Espagnol, Italien, Allemand, Croate… Maintenant que la série est complète, j’espère qu’elle va s’exporter davantage…

     

    IC : « Une Nuit à Rome », c’est aussi une affaire de famille. Vous rédigez le scénario, dessinez les planches. Votre épouse, Delphine, coloriste, met en couleur et prête ses traits à l’héroïne. Votre fils, Ulysse, transcrit la BD en roman. Votre frère Philippe a co-écrit avec vous plusieurs courts-métrages. Vous avez aussi une fille, Emma. Cela vous agace-t-il que l’on vous parle d’une affaire de famille ou au contraire, êtes-vous ravi de pouvoir travailler en famille ?

    Jim : Ce n’est pas un choix, c’est venu comme ça. Au plus simple. Après, j’ai dû travailler avec une trentaine d’auteurs, et tous n’étaient pas des cousins éloignés, je vous rassure (Rires). Mais parfois, des rapprochements se font naturellement, c’est le cas ici. J’ai souvent embarqué des amis et des copains dans des projets, c’est surtout lié à un talent précis, à l’envie, et à la disponibilité le moment venu. Il est clair que pour adapter le récit en roman, Ulysse était idéal.

     

    IC : Parlons cinéma, votre autre passion.

    Jim : J’avoue avoir un petit penchant pour les acteurs et les images qui bougent avec du son, oui.

     

    IC :  Lors de notre dernière Interview en 2016, vous nous disiez que 2017 serait l’année des tournages. Vous aviez plusieurs projets en cours. Vous parliez d’une co-réalisation avec Stéphane Kot, d’une autre avec le réalisateur Bernard Jeanjean et d’une adaptation de votre BD en deux tomes, « L’érection ».

    Jim : Eh bien nombre de ces projets sont toujours dans les tuyaux, mais ont changé de producteurs, ou sont en recherche de réalisateur… et j’envie l’optimisme que j’avais en 2016, qui prenait des couleurs de naïveté ; mais le monde de la BD donne de mauvaises habitudes, on signe avec un éditeur, on sait que l’album va sortir. On signe avec un producteur, lui-même ne sait pas si le film se fera un jour. En 2020, j’ai donc progressivement appris à ne plus la ramener sur les projets en cours, et j’essaie de n’en parler que lorsqu’ils sont du présent.

     

    IC : En 2016, il y a eu aussi l’adaptation au cinéma de votre BD « L’invitation », un film de Michaël Cohen avec également Nicolas Bedos.

    Jim : Un joli film, très fidèle à la BD et une rencontre formidable avec Michael, une bien belle personne.

     

    IC : Le film a fait combien d’entrées ?

    Jim : Je n’ai pas de chiffres, mais bien trop peu. Ça m’a permis de voir de l’intérieur combien le jour J des sorties dépend de la distribution en salle, de la distribution des acteurs, du budget alloué, de la concurrence en face, du désir simplement des spectateurs, de la météo, et que les films ne sortent pas tous logés à la même enseigne.

     

    IC : Quels ont été, côté cinéma, après la sortie du film « L’invitation », les retours positifs et négatifs pour vous en tant qu’auteur et scénariste ?

    Jim : Je ne crois pas qu’il y ait eu de lien. Il eut fallu que ce soit une tempête au box office pour parler de changement, mais là il n’y a pas eu de tempête.

     

    IC : Quels sont vos projets côté cinéma ?

    Jim : « Une Nuit à Rome » est toujours dans les tuyaux, « L’érection » aussi. « Détox » aussi. Et je travaille sur deux scénarios, dont un en tournage, « Belle Enfant ». Ce sera mon premier film, et c’est une très belle aventure. Mais même en le tournant, je n’en dirai pas plus, tant que ce n’est pas fini. La prudence reste de mise, pas d’effet d’annonce. Juste le nez à hauteur du guidon, et nous travaillons avec l’équipe.

     

    IC : Côté BD, vous avez démarré un projet avec Antonin Gallo : « Détox ». Le tome 1 est sorti en 2019, le tome 2 cette année. L’histoire de Mathias d’Ogremont, un chef d’entreprise hyper actif qui part pour une cure de désintox, sans smartphone ni connexion.

    Jim : Inspiré par mon ami Christian, qui a vécu un stage détox. Il y avait deux solutions, le suivre et aller vivre un stage détox pour essayer d’approcher ces sensations, ou… faire deux albums de son expérience, et me l’approprier en restant tranquillement chez moi (Rires). C’est aussi la découverte du travail avec Antonin Gallo, qui a été un magnifique partenaire sur ces deux albums.

     

    IC : Est-ce que c’est facile de passer à autre chose, ou bien Marie restera t-elle toujours présente dans votre vie finalement ?

    Jim : Je travaille beaucoup sur « Belle Enfant », et c’est donc très facile de passer à autre chose. Mon souci actuel est que le film me prend tout mon temps, et m’empêche de me relancer dans un autre projet BD (hormis « L’étreinte », un projet que nous travaillons avec Laurent Bonneau au dessin).

     

     

     

    IC : Peut-on dire que Marie, c’est LA deuxième grande rencontre de votre vie ?

    Jim : On peut le dire, même si c’est un peu sentencieux, non ? C’est une création, un personnage de papier… mais il est clair qu’il y a un avant et un après sa création… mais j’espère bien faire de nouvelles belles rencontres de papier prochainement… !

     

    IC : « Raphaël et Marie vont beaucoup me manquer »  commente Arnaud V. Certains fans réclament, non pas une suite, mais un prologue : un cycle qui raconterait les jeunes années d’étudiants aux Beaux-Arts de Marie et Raphaël.

    Jim : Si j’écoutais les fans, je ferais une suite, c’est ce qu’ils me demandent en dédicace… L’idée de leur rencontre à vingt ans, c’est plutôt une idée perso. Comme un pied de nez, une façon de ne plus avoir à dessiner Marie âgée. On a ce pouvoir, donner à vivre des personnages sans être prisonnier du temps, comme nous le sommes dans la réalité. Pourquoi s’en priver ? C’est surtout l’idée de parler de la jeunesse dans les années 80, 90, comme une sorte de manifeste anti-nostalgie. Je ne pense pas que c’était mieux avant, j’aime les téléphones, j’aime qu’on puisse filmer en 4K, avoir des GPS pour se retrouver, des ordinateurs…

     

    IC : Quelle est la question qu’on ne vous a jamais posée en interview et à laquelle pourtant vous auriez plaisir à répondre ?

    Jim : Je crois bien que ce n’est pas celle-ci, et j’avais dû essayer de m’en tirer également par une pirouette (Rires).

     

    IC : Et pour finir, comment imaginez vous la suite ?

    Jim : La suite en général ? C’est compliqué comme question. J’aimerais surtout garder le goût d’inventer des histoires, que ça ne me quitte pas. Que le plaisir soit toujours là, ce plaisir amateur de tester des choses. C’est curieux, c’est comme si certaines personnes savaient profiter de la vie, de l’instant présent… et d’autres la regardent, un petit pas à côté, se disant que la raconter, ou s’en inspirer, ça peut donner des choses insensées…

    En avançant en âge, le nombre de livres à faire diminue. Trop de livres à écrire et si peu de temps à venir… Longtemps, je suis parti comme un chien fou : une idée m’amusait, je la développais en BD. Maintenant, je vais faire encore quoi ? Dix ? Vingt livres ? Une part d’innocence a disparu, je n’ai plus envie de partir comme un chien fou sur un livre qui prendrait la place d’un autre…

    J’aimerais aller vers des récits qui touchent vraiment les gens, aller plus droit vers l’intime, les ressentis importants, ceux qu’on tait… Je suppose que ce sont des questionnements qui touchent tous les quinquas, aller à l’essentiel. On commence à être chatouillés par l’urgence… J’ai le sentiment d’avoir une chance folle, je fais des projets qui me plaisent, et j’ai la chance d’avoir des lecteurs qui me renvoient beaucoup en retour. Si ça peut juste continuer…

    J’aimerais arriver à un 50/50 BD et Ciné, est-ce que ce sera le cas ? Je ne sais pas. J’y travaille, mais comme dit le petit sage vert : « difficile à prévoir… Sans cesse en mouvement est l’avenir… ». Alors on fait ce qu’on a à faire et on attend. Et on verra bien.

     

    Jim c’est aussi :
    Un cœur qui bat…

    Des livres coups de cœur :
    Je lis soit des livres de développement personnel, soit des livres de cinéastes ou d’acteurs…

    Des sons coups de cœur :
    Boum-boum, boum-boum.

    Des films coups de cœur :
    « Juste un Baiser », encore et toujours. Et la série « Succession », pur bonheur. Et tellement d’autres !

    Un apéro coup de cœur :
    Le prochain…

    Un plat coup de cœur :
    À huit ans, mon cousin Laurent, du haut du plongeoir. Une belle envolée pourtant, on y croyait tous très fort. Et puis plaf. Le ventre a tout pris. Il est ressorti de la piscine mort de rire, et je crois que ça reste le meilleur plat qu’il m’ait été donné d’apprécier. Avis de fin gourmet…

     

    Propos recueillis par Anne Feffer

    Photos utilisées dans l’article avec l’aimable autorisation de © Jim Thierry Terrasson

     

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] « Bande Dessinée : Une Nuit à Rome (2012) » (24 juillet 2015)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] « Jim, de la bande dessinée au cinéma » (05 septembre 2015)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] « Jim, les coulisses de la création » (16 mai 2016)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] « Michael Cohen, l’invitation » (19 mai 2016)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] « L’érection selon Jim » (02 juillet 2016)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] « Ulysse Terrasson, un auteur plein de promesses » (26 mai 2016)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] « Jim et Hubert Touzot, exposition croisée à la galerie Octopus » (14 décembre 2018)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] « Ulysse Terrasson, l’interview Nuit à Rome » (30 juillet 2020)

     

     

     

  • Le Street Art au temps du Coronavirus

     

     

    Face à l’avancée du coronavirus, les street-artists donnent à voir tout leur talent sur les murs de la planète. D’Europe au Brésil, en passant par les Etats-Unis, l’Inde, l’Afrique et l’Amérique latine, ils ont souvent réalisé leurs oeuvres juste avant les injonctions de confinement, à l’image du Parisien C215. Et parce que les rues sont depuis désertées, toutes ces merveilles auront peu l’occasion d’être admirées de près. Voici donc un tour du monde des plus belles fresques que nous avons dénichées pour vous.

     

    C215 (Paris)

    Premier street artist à nous livrer sa vision de l’épidémie, l’artiste parisien C215 a lancé une édition d’art de son « Amour au Temps du Coronavirus » au profit de la Fondation des Hôpitaux de France, « Pour soutenir le personnel hospitalier en première ligne dans la lutte contre le COVID-19 ».

    Portraitiste de rue temporaire, armé de sa bombe et de son spray, C215 redonne aux murs gris et sales un nouveau souffle esthétique. Il les habille de portraits colorés, réalisés au pochoir ou à main levée. Ses modèles ? Sa fille, Nina, bien souvent, mais aussi de nombreux anonymes qui peuplent les quartiers qu’il arpente inlassablement, à la recherche du spot parfait.

     

    https://www.instagram.com/p/B97GedgllG5/?utm_source=ig_embed

     

     

    Fake (Amsterdam, Pays-Bas)

    « Super infirmière, c’est son titre. J’ai peint cette « ode » aux professionnels de santé autour du monde ! », a commenté sur Instagram le street-artist allemand Fake, basé à Amsterdam.

    Fake est né le 15 mai 1980 et pratique le graffiti depuis plus de vingt ans. Ayant grandi dans un environnement gris et ennuyeux, il a vite ressenti le besoin de faire sourire les visages des autres par le biais de l’ironie et de l’humour. Après avoir découvert le pouvoir du pochoir, il en est finalement tombé accro. Autodidacte, Fake a commencé à expérimenter et à combiner les styles dès ses débuts, pour parvenir à une signature graphique unique.

     

    https://www.instagram.com/p/B-ACb_4lMCf/?utm_source=ig_embed

     

     

    Pobel (Bryne, Norvège)

    « En ces temps difficiles, j’espère que cette pièce peut être une contribution positive et apportera de la joie. Soyez prudents et prenez soins les uns des autres », a écrit Pøbel, en précisant le titre de l’oeuvre : « Lovers ».

    Originaire d’Oslo en Norvège, Pøbel a commencé à utiliser des pochoirs à la fin des années 90, pour ensuite peindre des fresques en extérieur dans le courant des années 2000. Mais la Norvège ne comportant pas de très grandes agglomérations, Pøbel s’est vite senti à l’étroit et a eu l’idée d’amener la culture urbaine à la campagne, là où on ne l’attend pas.

     

    https://www.instagram.com/p/B9rmlkagxkA/?utm_source=ig_embed

     

     

    Hijack (Los Angeles, Californie)

    « En tant qu’humains, nous aimons penser que nous sommes maîtres de notre propre coin de l’univers. Mais de temps à autre, une entité microscopique vient nous rappeler que nous ne le sommes pas », commente Hijack.

    Né à Los Angeles, Hijack s’est imposé en quelques années comme l’un des artistes les plus prometteurs du street art. En avril 2013, à 20 ans, alors qu’il expose dans la prestigieuse galerie Mead Carney à Londres, Hijack y est encensé par la critique et considéré comme le nouveau Banksy. La même année, son exposition au Mexique est prolongée de plusieurs mois, et la galerie Moretti & Moretti présente ses œuvres à la manifestation « Street & Pop ». En 2014, une exposition en solo lui permet de donner à voir et à rêver de nouveaux horizons.

     

    https://www.instagram.com/p/B92H7YxpSVh/?utm_source=ig_embed

     

     

    Nello Petrucci (Pompei, Italie)

    Un collage baptisé « Sweet Home » représentant la famille Simpson et pour nous rappeler de rester à la maison (regardez les trois images en suivant la flèche à droite).

    Pour Nello Petrucci, les coupures de journaux, les photographies et les affiches de films sont le point de départ d’un monde à plusieurs niveaux. Ses œuvres allient collage et peinture, de façon unique. À partir des compositions et des graphiques solides qu’il appelle des « images capturées », Petrucci décompose ces images en leurs composants et les rassemble de nouveau, en nous offrant d’autres perspectives.

     

    https://www.instagram.com/p/B9l3pbaIrnw/?utm_source=ig_embed

     

     

    RBS Crew (Sénégal)

    Le collectif sénégalais RBS Crew a choisi de mettre ses bombes de peinture au service de la lutte contre le coronavirus. Il multiplie les fresques de prévention avec un rappel des gestes barrières, comme ici (faites défiler les différentes photos en suivant la flèche).

     

    https://www.instagram.com/p/B-FAGnGnUeF/?utm_source=ig_embed

     

     

    Darion Fleming (Charlotte, Etats-Unis)

    « Pure’ll Gold » (Notez le message « Nouveau ! Disponible nulle part » sur le flacon de cette splendide fausse publicité de gel hydro-alcoolique). « J’espère que cela pourra offrir un peu de soulagement comique dans cette période grave et éprouvante pour l’humanité. Restez à l’abri, restez en bonne santé et restez créatifs », a écrit Darion Fleming sur Instagram.

     

    https://www.instagram.com/p/B-AI3E7ptUc/?utm_source=ig_embed

     

     

    Tyler (Mumbai, Inde)

    « Keep calm and corona », a simplement écrit l’artiste Tyler.

     

    https://www.instagram.com/p/B9we_-Jps7n/?utm_source=ig_embed

     

     

    Onemizer (France)

    « L’amour est la clé », a écrit l’artiste français Onemizer, alias Cyril Valade.

    Onemizer puise son inspiration dans les classiques du Pop Art tels que Basquiat, Warhol… ainsi que plus simplement dans sa vie quotidienne, ce qui l’entoure, et dans la scène street art. Il aime travailler les lettrages, revisiter les portraits de personnalités ou objets qui ont marqué l’Histoire ou son histoire personnelle.

     

    https://www.instagram.com/p/B94jse4ILJJ/?utm_source=ig_embed

     

     

    TV Boy (Barcelone, Espagne)

    Le street-artist italien TV Boy a réalisé cette oeuvre à Barcelone. « Divided We Stand, United We Fall », a-t-il écrit, ajoutant #Stay Home. En détournant cette image de l’Oncle Sam (qui personnifie les Etats-Unis), il a souhaité critiquer le président Trump qui a tardé à admettre l’ampleur de la crise sanitaire. En inversant le slogan habituel : « Restons unis, divisés nous tombons » en « Restons divisés, ensemble nous tombons », il souligne la nécessité de la distanciation sociale.

     

    https://www.instagram.com/p/B9pmhqEqWVs/?utm_source=ig_embed

     

     

    Jilly Ballistic (Brooklyn, New York, Etats-Unis)

    « Un autre nouveau normal », a écrit l’artiste américain Jilly Ballistic autour de ce collage réalisé à New York, qui appelle avec humour à la distance sociale.

     

    https://www.instagram.com/p/B-KcLtVp5EE/?utm_source=ig_embed

     

     

    Gnasher (Essex, Angleterre)

    « A la vôtre, restez en sécurité… Je ne mange pas de pâtes ni ne m’essuie le cul ce soir… mais j’ai plein de bières », a écrit cet artiste anglais. #washyourhands

     

    https://www.instagram.com/p/B9pU46Fp3v6/?utm_source=ig_embed

     

     

    Pony Wave (Venice Beach, Los Angeles, Californie)

    « J’ai réalisé ce mural il y a plusieurs jours. Maintenant je reste à la maison, comme tout le monde », a tenu à préciser la street-artist Pony Wave. « Restez à l’intérieur, s’il-vous-plaît ! Je promets de revenir à Venice lorsque ce sera terminé et de peindre ».

     

    https://www.instagram.com/p/B-H0sOrAa-l/?utm_source=ig_embed

     

     

    Airá Ocrespo (Brésil)

    « Masque de Bolsonaro contre le coronavirus », a écrit l’artiste brésilien Airá Ocrespo sur son oeuvre. « Menteur, psychopathe, répugnant, vil, mesquin… », le street artist brésilien n’a pas de mots assez durs pour qualifier le président brésilien Bolsonaro dans son post Instagram. « Vous pouvez ajouter votre pire insulte contre cette crapule », conclut-il.

     

    https://www.instagram.com/p/B94FWBCJ1_F/?utm_source=ig_embed

     

     

    Muckrock (Miami, Etats-Unis)

    L’artiste californien Muckrock a réalisé cette oeuvre représentant Anna Nicole Smith avec un masque barré du mot « Peur », alors qu’il se trouvait à Miami au début de la panique des Américains devant l’arrivée du coronavirus. Pourtant, a-t-il écrit dans son post, « Miami est un bon endroit pour être en confinement ».

     

    https://www.instagram.com/p/B9poiVfpLHJ/?utm_source=ig_embed

     

     

    Teachr1 (Miami, Etats-Unis)

    Sans commentaire…

     

    https://www.instagram.com/p/B9yaxYYpMYH/?utm_source=ig_embed

     

     

    The Rebel Bear (Glasgow, Ecosse)

    « Un jour viendra où les masques pourront tomber, les frontières réouvriront et les connexions pourront reprendre – espérons-le plus fortes que jamais. Plein d’amour et prenez-soin de vous », a écrit l’artiste écossais.

     

    https://www.instagram.com/p/B94pLZYjrny/?utm_source=ig_embed

     

     

    Source : France Info

     

     

     

  • Les Dessins d’Alex Tavoularis pour Francis Ford Coppola

     

     

    Dans les collections de la Cinémathèque se trouve une série de dessins et de storyboards signés Alex Tavoularis. Ces planches se rapportent à cinq films de Francis Ford Coppola : « Apocalypse Now », « Outsiders », « Le Parrain 2 », « Rusty James » et « Tucker ».

     

    Tour à tour crédité en tant que directeur artistique ou production designer, métiers que le cinéma français connaît mal, Alex Tavoularis a aussi fait partie des équipes décoration de « King of New York » et « Snake Eyes » d’Abel Ferrara, ou encore dessiné quelques storyboards pour le premier épisode de « La Guerre des Étoiles » (1977). Mais son activité principale fut surtout celle, un peu mystérieuse, d’illustrateur pour le cinéma, la plupart du temps en étroite collaboration avec son frère Dean Tavoularis, le légendaire directeur artistique qui accompagna Coppola sur presque tous ses projets, du « Parrain » en 1972 à « Jack » en 1996 – à l’exception de « Cotton Club » et « Dracula ».

     

     

     

    Dans un entretien pour les Cahiers du Cinéma (n° 665, mars 2011), il décrit ainsi leur collaboration : « C’est surtout mon frère Alex qui a fait les storyboards des films sur lesquels j’étais production designer ; il était comme mon assistant. On s’en occupait parfois pour une séquence particulière complexe, ou parfois pour un film entier, comme ça a été le cas pour Tucker de Coppola ». Les deux frères ont commencé à travailler ensemble sur « Little Big Man » d’Arthur Penn (1970). Dean avait quant à lui débuté quelques années plus tôt avec le même Arthur Penn sur le film qui a symboliquement lancé le Nouvel Hollywood : « Bonnie and Clyde » (1967).

    Parmi les dessins conservés à la Cinémathèque se trouvent notamment dix planches de storyboards du « Parrain 2 » (1974) ; le storyboard des séquences finales du « Outsiders » (1983) ; des croquis du bateau PBR et de l’hélicoptère Huey sur « Apocalypse Now » (1979) ; un magnifique dessin de la rutilante voiture Torpedo de « Tucker » (1988) ; et une scène de cimetière disparue de « Rusty James » (1983).

     

     

     

    LE MEURTRE DE DON FANUCCI DANS LE PARRAIN 2

    On se souvient de cette lancinante évolution parallèle en travellings entre le gros mafieux en habit, Don Fanucci (Gastone Moschin), qui parade dans la rue un jour de fête, et Vito Corleone (Robert De Niro), qui le suit des yeux depuis les toits avant de s’introduire dans son immeuble, d’enlever une ampoule pour rester dans l’obscurité, et de l’abattre sur son palier. Alex et Dean Tavoularis ont fait eux-mêmes le parcours et ont entièrement storyboardé cette séquence, « faisant le film sur le papier », comme le décrit Dean Tavoularis, qui livre une anecdote passionnante sur la scène en question : « On avait tout tourné précisément, sauf un plan. Et on ne pouvait filmer ce plan manquant que le jour où on quittait New York pour aller tourner la suite du film en Italie. Or, quand on est arrivés, le propriétaire était absent. On a été obligés de forcer la porte, le proprio est rentré furieux, il a mis tout le monde dehors, et on a dû reconstruire cet étage avec l’escalier à Rome, pour un seul plan ! ».

    Détail amusant : l’épisode culte de l’ampoule dévissée par De Niro ne se trouve pas dans le storyboard imaginé par les deux frères. Mais le chat que la victime tient dans ses bras au moment du crime a disparu de la scène filmée. Remplacer un chat par une ampoule électrique, voici l’une des curieuses modifications opérées par le passage du dessin au cinéma…

     

    LES « ANIMAUX » D’APOCALYPSE NOW

    Des dessins de l’hélicoptère Huey (surnom donné aux appareils américains de type Bell UH) et du PBR (le Patrol Boat River, bateau de l’US Navy utilisé pendant la guerre du Vietnam) se dégage une certaine beauté, une sorte d’affection pour l’objet dessiné, comme s’il s’agissait d’un être, d’un animal, doté d’un petit nom, en particulier le « Huey », qui est même affublé de dents sur le devant de l’habitacle. Ces dents peintes proviennent des recherches menées sur les hélicoptères utilisés pendant la guerre du Vietnam : certains étaient ainsi personnalisés.

    Alex Tavoularis raconte : « Chaque jour du tournage nous dépendions de ce que la Philippine Air Force voulait bien nous prêter ce jour-là. Certains de nos hélicos décorés étaient utilisés pour leurs actions à Mindanao ou dans d’autres régions troublées, alors que nous avions déjà peint nos décorations dessus. Donc même s’ils n’apparaissaient pas dans le film, ils ont été vus par les rebelles de Mindanao !… ». Quant au bateau, dont il est bien spécifié sur le dessin qu’il correspond à un état de « vieillesse » plus important que le PBR A, il devait montrer des signes de désolation. Le dessin comporte ainsi diverses indications manuscrites : « Ordures sur le pont, canettes, drapeau crasseux ». Alex Tavoularis ajoute que ces précisions sur l’état du bateau étaient particulièrement utiles, puisque le tournage se déroulait hors continuité.

     

     

     

    LA VOITURE DE TUCKER

    La célèbre voiture de « Tucker » semble quant à elle beaucoup plus rutilante, et fait plaisir à voir avec ses trois phares innovants. Les frères Tavoularis ont pratiquement entièrement storyboardé ce film, à partir de discussions dans la propriété de Coppola à Napa Valley avec le cinéaste et le chef opérateur Vittorio Storaro. Tous gardent de ce film-autoportrait de Coppola – le constructeur illuminé bâtit son usine de voitures alternatives aux grandes marques, comme Coppola a fondé son studio Zoetrope en marge des studios hollywoodiens – un souvenir d’amusement extrême, que laisse transparaître ce dessin gai et volontaire.

     

     

     

    OUTSIDERS ET RUSTY JAMES, DEUX FILMS-FRÈRES

    Au printemps 1983, Coppola tourne « Outsiders » à Tulsa, Oklahoma et annonce à son équipe une semaine avant la fin du tournage qu’ils vont finalement rester pour tourner un second film dans la foulée. Ce sera « Rusty James », qui est comme le grand frère turbulent et âpre du « Outsiders ». « Outsiders » est en couleurs, dominé par les tonalités dorées de couchers de soleil, quand « Rusty James » est en noir et blanc, extrêmement graphique, strident, revendiquant des racines expressionnistes. Plus sauvage. Le premier est classique, le second expérimental. C’était la volonté de Coppola.

    De toute sa collaboration avec le réalisateur, « Rusty James », avec ses partis pris graphiques très forts, est le film préféré d’Alex Tavoularis, qui a entre autres dessiné une superbe scène de cimetière fantôme. Fantôme, car elle ne figure pas dans le montage final du film. Le dessin est très beau, et fourmille d’indications pratiques sur les bougies alimentées au gaz, la limousine, les types de projecteurs à fournir pour la scène. Le storyboard des scènes finales de « Outsiders » est passionnant car on y retrouve quasiment tout l’enchaînement des événements qui constituent la fin du film.

     

     

     

    On comprend aussi comment la mise en scène trouve des raccourcis pour faire avancer le récit plus fiévreusement. Un exemple : dans le storyboard, Dallas (Matt Dillon), poursuivi par la police, fait d’abord un arrêt dans la réserve d’une blanchisserie, éponge sa blessure, reprend sa fuite et trouve ensuite une cabine téléphonique d’où il appelle ses copains. Dans le film, il trouve la cabine téléphonique dans la réserve de la blanchisserie, y passe son coup de fil, et laisse derrière lui une tache de sang sur un amas de linge blanc. Le cinéma va plus vite que le crayon…

     

     

     

    En observant tous ces dessins, les souvenirs plus ou moins vifs se mettent bien sûr à affluer, et l’on est tenté de rechercher les similitudes avec le film existant. Mais c’est une fausse piste. Il faut plutôt regarder ces croquis comme une manière de cartes postales paradoxales. Des cartes postales que quelqu’un enverrait avant de partir en voyage. Car souvent tel storyboard ou tel dessin ne correspond plus à la forme finale du film ; on n’en reconnaît çà et là que quelques bribes. Le film lui-même, le processus de tournage ont modifié cette forme, l’ont digérée, l’ont même parfois niée. Ce sont des rêveries instantanées d’une forme possible du film.

    Comme l’explique modestement Alex Tavoularis : « Les dessins spécifiquement faits pour le cinéma ne sont que des outils pour aider le réalisateur, le directeur de la photo et le production designer à visualiser des choses qui n’existent pas encore. Ils sont faits pour ça et uniquement pour ça. La reconnaissance de ces travaux en dehors de leur fonction initiale ne peut être que dans une perspective historique ». Il n’empêche que lorsqu’on se plonge dans la contemplation de ces dessins, un peu de magie oubliée affleure… « Peux-tu changer la couleur des montagnes ? » demandait Michelangelo Antonioni à Dean Tavoularis, trouvant les roches trop grises sur le tournage de « Zabriskie Point »… Non, mais imaginer un film avant qu’il existe, ce n’est pas si différent.

     

    Source : La Cinémathèque Française

     

     

     

  • Quand Jim Fitzpatrick créait la pochette de l’album « Black Rose, a Rock Legend »

     

     

    Suivons les étapes successives de la conception de la pochette de l’album mythique de Thin Lizzy « Black Rose, a Rock Legend » par le dessinateur Jim Fitzpatrick en 1979.

     

    Voici quelques-unes des planches préliminaires du design de la pochette de l’album de Thin Lizzy sorti en 1979, « Black Rose, a Rock Legend », commentées par son créateur lui-même…

    En général, le travail de conception du design d’une pochette d’album démarre par un brief avec le groupe ou la maison de disques, mais dans ce cas précis, le dessinateur Jim Fitzpatrick deala à l’époque uniquement avec Phil Lynott, en solo.

    Les deux compères se connaissaient déjà plutôt bien et Phil Lynott participa activement à la création de cette pochette devenue mythique, en s’appuyant d’abord sur des esquisses brutes tracées au crayon ou sur de simples griffonnages, voire au téléphone… Vous savez, à cette époque bénie où un simple coup de fil depuis Dublin à Londres coûtait un bras…

    Dans le cas de « Black Rose », Phil Lynott souhaitait dès le départ une pochette assez réaliste. « Rien de bien compliqué », comme il se plaisait à le dire. Mais compliqué, ça le fut finalement. Car l’idée de départ d’une rose noire assez réaliste s’avéra en fait beaucoup plus complexe à réaliser que prévu.

    Lynott avait demandé auparavant à un photographe londonien de lui soumettre des clichés d’une rose noire pour la pochette d’un single extrait du futur album. Pour prendre ces photos, une belle rose rouge avait été pulvérisée avec de la peinture noire et fanée artificiellement pour les besoins de la photo. Le résultat ne fut pas vraiment satisfaisant et la rose paraissait plus morte qu’un clou de cercueil…

    Pendant ce temps, Jim Fitzpatrick faisait de son coté quelques essais, en partant de clichés en noir & blanc de roses qu’il tentait de coloriser. Mais Lynott n’était pas plus convaincu.

    Voici donc quelques ébauches de la fameuse pochette que Jim Fitzpatrick a déterrées pour nous…

     

    01. Esquisse brute d’une rose noire, tirée d’une photo de vraie rose, mais qui semblait quelque peu… morte.

     

     

     

    02. Phil suggéra aussi l’idée d’une pochette un peu sexy, suite à une conversation assez arrosée un soir au Bailey Pub à Dublin. Le dessinateur imagina donc une rose noire tatouée sur la cuisse d’une femme, mais l’idée ne fut pas retenue, jugée trop sexiste et macho. Une version en couleur existe, mais toujours enfouie à ce jour dans le fatras du grenier de Fitzpatrick…

     

     

     

    03. Une composition brute utilisant une police de caractère de type élisabéthain fleuri.

     

     

     

    04. Une autre composition griffonnée au crayon de bois, se rapprochant déjà plus du résultat final.

     

     

     

    05. Jim Fitzpatrick part finalement sur cette dernière idée et dessine au crayon cette magnifique rose noire. Après quelques tentatives infructueuses, le résultat lui semble assez satisfaisant pour le soumettre à Lynott qui lui donne son feu vert quelques jours plus tard. « J’adore, Jimmie. Tu peux partir là-dessus. »

     

     

     

    06. Le croquis final au crayon de bois, avec logo et lettrage du titre.

     

     

     

    07. L’étape suivante de la pochette ainsi que le lettrage définitif du titre de l’album restent introuvables au fin fond du grenier de Fitzpatrick…

     

     

     

    08. Le lettrage définitif du titre de l’album au stylo et à l’encre, de style élisabéthain, inspiré du travail du célèbre typographe anglais Herb Lubalin pour le magazine « Avant-Garde » qui paraissait à la fin des années 60.

     

     

     

    09. Le croquis final réalisé au crayon, très détaillé, fut ensuite photographié, tracé et redessiné à l’aérographe, puis peint à l’aide d’encres transparentes afin de laisser les lignes de crayon apparentes. Le fond était composé de plusieurs couches successives de peinture bleue, séchées et fixées au vaporisateur.

     

     

     

    10. Le résultat final, avec l’ajout de gouttes de sang sur la rose, pour que la pochette ne se résume pas à un vulgaire croquis botanique. L’idée de ces gouttes de sang surgit juste avant que la maquette ne soit livrée pour impression.

     

     

     

    Quant à l’idée initiale de la pochette de l’album « Black Rose, a Rock Legend », elle provient d’un poème qu’on apprenait à l’école en ce temps-là, un de ces vieux poèmes irlandais dont Phil Lynott s’inspirait tant : « I See His Blood Upon The Rose », écrit en 1916 par le leader nationaliste irlandais Joseph Mary Plunkett, qui fut exécuté durant l’écrasement de l’insurrection la même année et qui en reste encore aujourd’hui l’icône.

    Lorsque Fitzpatrick soumit l’idée à Lynott, il fut emballé. Le dessinateur avait besoin d’un ou deux jours supplémentaires pour finaliser la maquette définitive, mais pressé par le temps, il fut contraint de travailler toute la nuit pour pouvoir livrer son oeuvre à la maison de disques.

    Quarante ans après la sortie de l’album mythique de Thin Lizzy, Jim Fitzpatrick est toujours aussi fier d’en avoir réalisé la pochette, en collaboration avec son ami Phil Lynott, disparu en 1986 : « Yep, Philip, really, really loved this one, and the rest is only rock history ».

     

     

     

  • Bande Dessinée : Tintin fête ses 90 ans

     

     

    Tintin, le célèbre personnage créé par Hergé en 1929, reste à ce jour l’un des plus grands héros de BD, comptant partout dans le monde des fans inconditionnels et très fins connaisseurs de son histoire.

     

    Tout a donc commencé le 10 janvier 1929, lorsqu’un nouveau personnage apparaît dans le supplément jeunesse d’un grand journal belge. Ce journal c’est « Le Vingtième Siècle », et son supplément, c’est « Le Petit Vingtième »… Quant au dessinateur, c’est Georges Remi, alias Hergé, qui a reçu une commande de son rédacteur en chef.

    Et la commande est relativement sommaire : un héros, reporter du « Petit Vingtième », qui part en URSS… C’est la naissance de Tintin et de son fidèle compagnon Milou. Tintin, reporter du « Petit Vingtième »… Publiées d’abord en feuilleton, ces premières aventures de Tintin sortent finalement en album en septembre 1930.

    L’album en question, c’est « Tintin au pays des Soviets », longtemps introuvable et qui fait l’objet d’un culte absolu chez les Tintinophiles. Un album tabou, plus encore que « Tintin au Congo », tout du moins au départ ! On accuse en effet Hergé d’avoir versé dans l’antisoviétisme primaire, et d’être à la solde de l’extrême droite…

    Hergé rééditera 500 exemplaires de cet album en 1966, à compte d’auteur et simplement pour ses amis. En 1969, une édition pirate est saisie chez les libraires, mais en 1973, Casterman le réédite enfin en même temps que les deux albums suivants, « Tintin au Congo » et « Tintin en Amérique ». L’occasion pour Hergé de revenir sur la genèse de « Tintin au pays des Soviets »… Il est ici l’invité de Bernard Pivot dans « Ouvrez les Guillemets », l’ancêtre d’Apostrophes.

     

    « Il est certain que ça se passait dans un journal catholique, d’extrême droite, anti-soviétique. » (Hergé)

     

     

     

    Le contexte mondial auquel Hergé fait allusion pour justifier la genèse de « Tintin au pays des Soviets », il ne va finalement jamais cesser d’y coller.

    C’est aussi l’Anschluss, dans une aventure très antifasciste publiée en 1938-1939, « Le Sceptre d’Ottokar », avec comme grand méchant le terrible Müsstler, mi Mussolini, mi Hitler.

    Dans l’aventure suivante, « Tintin au pays de l’or noir », terminée seulement à la fin des années 40, c’est le pétrole, nouvel enjeu géopolitique majeur, non seulement au  Moyen-Orient mais bientôt partout dans le monde.

    C’est encore la conquête spatiale, avec deux albums, « Objectif Lune » en 1953 et « On a marché sur la Lune » en 1954. Et quand les Soviétiques envoient en orbite Spoutnik avec la chienne Laika en 1957, vers qui les journalistes se précipitent-ils ? Eh bien, vers Hergé bien sûr !

     

    « Monsieur Hergé, que pense Tintin du lancement de Spoutnik ? »

    « Ah, Tintin évidemment admire profondément l’exploit réalisé là. Mais il est un peu inquiet, car s’il ne connaissait pas le professeur Tournesol comme il le connaît, il aurait été tenté de le soupçonner d’avoir communiqué aux Soviétiques les plans de sa fusée lunaire ! »

     

    Hergé dira de Tintin qu’il est apolitique, mais la politique est partout dans Tintin, et même quand celui-ci ne fait « jamais » de politique…

    Le moins politique des aventures de Tintin est sans doute « Tintin au Tibet », album magnifique de 1959, où le blanc domine ; l’album préféré d’Hergé, une belle histoire d’amitié, dans laquelle Tintin part retrouver Tchang, perdu depuis « Le Lotus Bleu » en 1934. Une histoire sans méchant, qui marque d’ailleurs pour Hergé la fin d’une très longue période de dépression. Tintin y pleure de joie en retrouvant Tchang, après avoir pleuré une première fois, de tristesse, en quittant le même Tchang, 25 ans plus tôt.

    Et même cet album a une portée géopolitique majeure, finalement. Alors que Hergé n’y dit pas un mot de la répression chinoise et du départ du Dalaï Lama, ce même Dalaï Lama déclarera en 2006 : « Ne vous y trompez pas, « Tintin au Tibet » a permis à un nombre de personnes considérable de par le monde de connaître l’existence du Tibet. Hergé a contribué à une prise de conscience internationale beaucoup plus aigüe du Tibet. En nous envoyant son reporter, son rôle fut très significatif ».

    Voilà qui en dit long sur l’importance politique et historique d’un petit bonhomme à la houppette né il y a 90 ans.

     

    Mais comment est né le célèbre reporter créé par Hergé ?

    Au gré des 24 aventures de Tintin, il n’y a officiellement qu’un seul secret, celui de la Licorne. En réalité, la vie du nonagénaire Tintin regorge d’autres petits secrets.

    D’abord, d’où vient le nom de Milou ? Hergé n’a pas cherché très loin pour baptiser le fidèle compagnon de Tintin, omniprésent dans ses aventures. « C’était le surnom de la première petite amie de Hergé quand il était adolescent. Elle s’appelait Marie-Louise, mais on l’appelait Milou », révèle Benoît Peeters, auteur de « Hergé, fils de Tintin ».

     

    Les petits secrets du capitaine Haddock

    Quant aux Dupont, les fameux policiers aussi jumeaux que stupides, on les reconnaît grâce à leurs moustaches : l’une est droite, l’autre rebique sur les côtés. Deux piètres policiers sortis de l’inconscient de Hergé.

    Le capitaine Haddock a lui aussi ses petits secrets. Un personnage haut en couleur, présent sur la plupart des couvertures d’albums. Concernant les jurons qui nourrissent ses colères, c’est Hergé lui-même qui a essuyé la première insulte du genre un jour sur un marché, et ça l’a inspiré…

     

    A noter que Tintin devrait bientôt avoir droit à son deuxième film au cinéma, à l’initiative du duo Peter Jackson-Steven Spielberg, mais aussi peut-être à un album inédit, a indiqué le directeur éditorial des éditions Casterman : « J’aimerais beaucoup publier cette année, je ne désespère pas de le faire, un inédit, « Tintin et le Thermo-Zéro », a annoncé Benoît Mouchart. C’est vraiment un témoignage intéressant, beaucoup plus complet que l’Alph’art. L’histoire est terminée, le dessin n’est pas totalement encré ».

    A suivre, donc…

     

     

     

  • Mickey célèbre ses 90 ans en 2018

     

     

    À l’occasion des 90 printemps de la plus célèbre des souris, Disney proposera à ses fans une exposition interactive, « Mickey : The True Original Exhibition » à découvrir à New York, à partir du 8 novembre prochain.

     

    D’après la légende, Walt Disney avait coutume de dire : « N’oublions pas que tout a commencé par une souris ». Et c’est à cette petite souris âgée aujourd’hui de 90 ans que la firme Disney rend hommage cette année, à travers une exposition-événement. Celle-ci embarquera son visiteur pour un voyage dans le temps, aux débuts de la souris en noir et blanc dans « Steamboat Willie » jusqu’à son passage à la couleur dans plus d’une centaine de dessins animés.

    D’abord, cette exposition exceptionnelle qui présentera des dessins et toiles originales d’artistes contemporains rendant hommage à Mickey, dans un espace de 1500 m² à New York qui lui sera entièrement dédié. Et puis, en marge de l’événement, trois oeuvres seront présentées dans des galeries éphémères aux Etats-Unis. Celles-ci célèbreront trois produits dérivés Disney parmi les plus mythiques : la montre, le T-Shirt et la peluche Mickey.

     

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    Celle de Kenny Scharf, d’abord, qui s’est fait connaître comme artiste de rue au début des années 1980, prendra la forme d’une caverne cosmique, inspirée par la fameuse montre, à retrouver au Minnesota Street Project à San Francisco jusqu’au 1er octobre.

    Quant à Amanda Ross-Ho, qui a exposé son travail aux musées d’art contemporain de Los Angeles ou Chicago, mais aussi chez Art Basel en Suisse, elle prépare un T-Shirt Mickey géant qui sera dévoilé à l’Art Expo de Chicago du 27 au 30 septembre.

    Enfin, Shinique Smith, connue pour ses sculptures monumentales conçues avec des tissus et des vêtements, présentera à Los Angeles en octobre des installations qui rendront hommage à l’influence de la fameuse peluche.

     

    « Mickey : True Original Exhibition » du 8 novembre 2018 au 10 février 2019 à New York, au 60 10th Avenue,
    ✓ Du mardi au dimanche de 10h à 20h (38$ par personne)