« Ma mère était une sainte, et elle l’est toujours. Elle eut trois enfants, dont deux jumeaux. Dont moi… Tout gamin, j’échafaudais des projets magnifiques. Je pensais à la peinture, à la musique, à l’architecture, à la sculpture… Et à la poésie…
Mon passé ne m’a rien appris sinon que le seul moyen de conserver la vie était de la laisser aller à la dérive et de voir ce qui se passerait.
J’ai perdu mon père il y a quelques années. Il est toujours vivant dans ma mémoire. J’avais six mois, je pense, quand j’entendais Rapsody In Blue. Il était pianiste de boîte de nuit. Après, j’ai entendu durant une quinzaine d’années tous les jours cette rapsodie. Bon, ici, 1935, 36, mes souvenirs chavirent, mais mon père est toujours là.
Joseph Ginsburg, marié à Brucha Goda Besman, donnent naissance en 1928, à un petit garçon qu’ils appellent Lucien. Lucien Ginsburg, devenu Serge Gainsbourg, justement par ce voyage initiatique. Nous sommes ici au 11bis de la rue Chaptal, et je passe la porte. En 1935, juste à côté de l’école des filles se trouve, ici prémonition de la guerre, on dirait bazooka, se trouve donc, disais-je, la porte de l’école maternelle que j’ai franchie à l’âge de 5 ou 6 ans. Et comme une prémonition, flash forward, à côté de cette école maternelle se tenait la Société des Auteurs Compositeurs et Editeurs de Musique. Le bas relief date de 1937, 38, je pense… 37, je crois. Il y avait Beethoven qui me narguait de la hauteur de son génie. Et puis, et puis ici s’ouvraient… Mes fantasmes.
J’étais un assez bon élève à l’école communale…
L’orchestre jouait un brillant tango Dans ses bras il tenait sa belle Moi, sur la table, j’ai pris un couteau Et ma vengeance fut cruelle
Oui, j’étais grise, j’ai fait une bêtise J’ai tué mon gigolo Devant les copines comme une coquine Dans le coeur j’y ai mis mon couteau…
Voilà… C’est Fréhel qui chantait ça. Je n’ai pas chanté ça gratuitement. Nous sommes toujours rue Chaptal, et j’avais reçu la croix d’honneur, parce que j’étais bon élève, et Fréhel m’invita dans ce café. Je me souviens très bien, 1938. Diabolo grenadine. Elle, elle était au rouge. Et voilà le trottoir que je prenais Rue Henner jusqu’à la rue Paul Escudier, en patins à roulettes… »
Au lendemain de son triomphe sur scène à l’Apollo de Londres le 20 novembre, Christine & The Queens faisait une halte sur BBC 1 pour une session live exclusive. Après avoir interprété son single « 5 dollars » en anglais (extrait de son second album « Chris » également sorti dans la langue de Shakespeare), Héloïse Letissier s’est réapproprié une chanson de Rihanna en y intercalant le refrain du mythique « Wuthering Heights » de Kate Bush. A checker…
Entourée de ses danseurs et de ses musiciens, Héloïse Letissier alias « Chris » de Christine & The Queens, a repris « Kiss is Better » de Rihanna en y intercalant le refrain de « Wuthering Heights » de Kate Bush. Un « Mashup » audacieux, interprété de façon très impliquée, avec une voix renversante, et soutenu de bout en bout par de splendides arrangements dominés par les choeurs.
Le concert de Christine & The Queens à l’Eventim Apollo de Londres, la veille de cette prestation, a été unanimement salué par la presse anglaise, impressionnée, et en particulier par le réputé New Musical Express.
« Depuis le début, l’art de Christine & The Queens consiste à explorer ses douleurs profondes et à les surpasser », écrit El Hunt dans le NME. « Chris a de nombreux talents – production, imagination, voix, créativité physique – mais sa qualité majeure est sa capacité à se connecter directement à son public. Quand elle chante, on sent la douleur des blessures. C’est une des choses les plus rares qui soient ; quelque chose d’instinctif qu’il est impossible de simuler. »
La tournée française de Christine & The Queens se conclut le mois prochain par deux haltes à Paris Bercy (Accor Hotel Arena), les 18 et 19 décembre. Auparavant elle sera le 4 décembre à Nantes (Zénith), le 5 décembre à Bordeaux (Arkea Arena), le 6 décembre à Montpellier (Zénith), le 11 décembre à Genève (Suisse), le 12 décembre à Strasbourg (Zénith), le 14 décembre à Lyon (Halle Tony Garnier) et le 15 décembre à Toulouse (Zénith).
[kleo_pin type= »circle » left= »yes » right= » » top= » » bottom= » »] « FOCUS » : un article de fond sur un thème que nos rédacteurs ont sélectionné.
L’année 2014 commémorait à la fois le centenaire de la naissance de Romain Gary (1914-1980) et le trentième anniversaire de la mort de François Truffaut (1932-1984). Entre les deux auteurs, apparaissent des symétries, des parallèles, des points de convergence, à commencer par leur amour partagé de la littérature et du cinéma.
Nommé Consul Général à Los Angeles en 1956, Romain Gary côtoie le tout Hollywood, épouse l’actrice Jean Seberg (pressentie par Truffaut pour le rôle de Jacqueline Bisset dans « La Nuit Américaine »), s’essaye à la mise en scène (01), et plusieurs de ses romans sont adaptés au cinéma (02). Quant à François Truffaut, d’abord critique dans « Arts » et dans « Les Cahiers du Cinéma », auteur d’un livre d’entretiens avec Alfred Hitchcock, il aurait certainement embrassé une carrière de romancier s’il n’avait été cinéaste. Passionné de littérature, il s’inspire de romans pour plusieurs de ses films (03), dont certains passages sont commentés d’une voix off, celle de Madame Jouve, par exemple, dans « La Femme d’à Côté » (1981). Et il n’est pas rare de voir les héros truffaldiens lire ou taper à la machine à écrire.
Leur destin d’auteurs prend naissance dans un même schéma familial : un père absent et une figure maternelle déterminante.
Dans son premier film « Les 400 Coups » (1959), Truffaut fait le portrait à charge d’une mère autoritaire, volage, encombrée par un fils qui trouve refuge dans les livres et les salles obscures. Dans « La Promesse de l’Aube » (04), Romain Gary rend hommage à sa mère juive qui « n’était qu’amour » et voyait en lui un héros en devenir.
« Avec l’amour maternel, la vie vous fait, à l’aube, une promesse qu’elle ne tient jamais. Chaque fois qu’une femme vous prend dans ses bras et vous serre sur son cœur, ce ne sont plus que des condoléances. On revient toujours gueuler sur la tombe de sa mère comme un chien abandonné. Jamais plus, jamais plus, jamais plus ».
Le cinéma de Truffaut comble un vide. « Le cinéma m’a sauvé la vie » déclare-t-il (05). Ferrand, le metteur en scène de « La Nuit Américaine » (1973), joué par Truffaut, sermonne son acteur Alphonse, interprété par Jean-Pierre Léaud : « Ne fais pas l’idiot, Alphonse. Tu es un très bon acteur, le travail marche bien. Je sais, il y a la vie privée, mais la vie privée est boiteuse pour tout le monde. Les films sont plus harmonieux que la vie, Alphonse. Il n’y a pas d’embouteillages dans les films, il n’y a pas de temps morts. Les films avancent comme des trains, tu comprends ? Comme des trains dans la nuit ».
Pour Romain Gary, l’écriture libère d’un trop plein. Un besoin qu’il qualifie de « physiologique » le pousse à écrire dix heures par jour ! « L’écriture est un processus d’élimination, indispensable à mon équilibre psychique. Après je sors soulagé » (06). Se libérer des espoirs – voire de la mythomanie – de sa mère.
Ambassadeur de France ! C’est ainsi qu’elle le rêvait. La France, patrie des Droits de l’homme, le paradis sur terre, aux yeux de Mina, juive polonaise, acharnée dans sa lutte pour survivre. En 1928, cette francophile invétérée quitte Vilnius et émigre à Nice avec son fils de 14 ans… Toute la vie de Gary est conditionnée par l’exigence maternelle. « Il me fallait tenir ma promesse, revenir à la maison couvert de gloire, après cent combats victorieux, écrire Guerre et Paix, devenir Ambassadeur de France, bref, permettre au talent de ma mère de se manifester » (04). Il s’engage dans les Forces aériennes françaises libres, rejoint De Gaulle à Londres, Leclerc en Afrique du Nord, risque sa vie plus d’une fois, est nommé Compagnon de la Libération, Commandeur de la Légion d’honneur, devient Consul Général de France en Californie et obtient deux fois le prix Goncourt (07) !
Né Roman Kacew, il s’invente un premier pseudonyme, Romain Gary, pour « Education Européenne » (1945, Prix des Critiques). Gary veut dire « brûle » en russe. Après trois autres prête-noms, Fosco Sinibaldi, Shatan Bogat (le « vagabond opulent » ou selon les sources, « le riche Satan » en russe) et Lucien Brûlard, Gary s’efface derrière Ajar, qui signifie « braise » en russe (08).
Brûle, brûlard, braise… Faut-il y voir un hommage à Blaise Cendrars (de son vrai nom Frédéric Louis Sauser), avec la fille duquel il eut une courte liaison, qui comme lui, vit un temps en Russie, combat dans l’armée française, se passionne pour l’Afrique, est naturalisé Français, fait Commandeur de la Légion d’honneur, signe une oeuvre prolifique… ? Il ne serait pas étonnant que Gary se soit trouvé des affinités avec le poète dont l’oeuvre mêle autant réel et imaginaire.
Pas plus qu’à Truffaut qui s’imagine un double cinématographique en Antoine Doinel, la vie ne suffit à Gary… au point qu’il s’en invente plusieurs. « Je lisais au dos de mes bouquins : plusieurs vies bien remplies… Aviateur, diplomate, écrivain… Rien, zéro, des brindilles au vent, et le goût de l’absolu aux lèvres. La vérité est que j’ai été très profondément atteint par la plus vieille tentation protéenne de l’homme : celle de la multiplicité. Une fringale de vie, sous toutes ses formes et dans toutes ses possibilités, que chaque saveur goûtée ne faisait que creuser davantage ». Le vrai, le faux s’emmêlent et s’alimentent comme des vases communicants. Gary travestit sa vie dans « La Promesse de l’Aube », qualifiée pourtant d’autobiographique, et fait de sa vraie vie une oeuvre romanesque dans laquelle il s’amuse à changer souvent de rôle. « Je me suis toujours été un autre » écrit-il dans « Vie et Mort d’Emile Ajar ».
Gary écrit la légende, s’invente « un mélange de sang juif, cosaque et tartare », une naissance dans un wagon aux confins des steppes russes. Et dit se souvenir « des coups de feu, de la Révolution de 1917… Ma mère était comédienne au théâtre. Elle jouait pour les soldats, pour les comités d’ouvriers, pour les Soviets. On allait d’usine en usine, en traîneau, en plein hiver. Ma mère m’emmenait partout. Je me souviens des soldats de l’Armée Rouge qui étaient tous très gentils avec moi… » (04).
« La vie, c’était l’écran » (05) pour Truffaut, tout autant attaché à fuir le monde réel. « Mon cinéma est un prolongement de la jeunesse avec un refus de voir la vie telle qu’elle est, le monde dans son état réel, et, en réaction, le besoin de créer quelque chose qui participe un peu du conte de fées ».
Les femmes, précieuses alliées
La vie ne suffisant pas à Gary, les femmes vont lui être utiles. « Chaque fois que vous aimez une femme, vous changez de peau » (09). Comme Truffaut qui tombe amoureux de la plupart de ses actrices, qui se projette dans « L’homme qui aimait les femmes » (1977) en un Charles Denner obsédé par les jambes féminines, Gary multiplie les conquêtes et les aventures à un rythme quasi obsessionnel. Si bien que l’âge venant, il est terrorisé à l’idée de perdre sa vigueur sexuelle. Il traduit sa crainte dans l’un de ses plus savoureux romans, « L’Angoisse du roi Salomon » (1979, Mercure de France) et prévient dans plusieurs interviews : « Je ne connaîtrai jamais la vieillesse. D’une manière ou d’une autre, je ne veux connaître cet état absolument effrayant où l’on devient vraiment vieux… Je crois que je peux prendre cet engagement devant vos spectateurs » (09).
A 36 ans, François Truffaut décide de rechercher l’identité de son père, qu’il n’a jamais connu. Il s’en remet à Albert Duchenne, patron de l’agence de détectives Dubly, rencontré pour « Baisers Volés » (1968). Après quelques semaines, l’enquêteur lui révèle le nom de son père, Roland Lévy, son origine juive, son métier, chirurgien-dentiste, son adresse. En septembre 1968, Truffaut se rend à Belfort observer discrètement son père sortir de son immeuble pour sa promenade du soir. Truffaut découvre un homme d’une soixantaine d’années, seul, de corpulence assez forte. Truffaut reste caché et repart avec ses questions sans réponses… finir la soirée dans une salle de cinéma.
L’identité paternelle ? Gary préfère s’en amuser. Il affirme que son père est Ivan Mosjoukine, plus grande star russe du cinéma muet, un bel homme à fière allure que sa mère adulait, et en qui il se trouve une certaine ressemblance… Information formellement démentie par Myriam Anissimov dans sa remarquable biographie (10) : le père de Gary, Arieh-Leïb Kacew, s’avère être en réalité un polonais juif, propriétaire d’un magasin de fourrures à Vilnius.
Apprenant l’origine juive de son père, Truffaut s’en émeut mais ne s’en étonne pas. Le cinéaste « s’est toujours senti juif. Cette judéité, il l’associe à son penchant pour les proscrits, les martyrs, les marginaux, à l’affirmation de cet autre qu’il dit avoir été tout au long de sa jeunesse » (11).
Le rapport à la judéité est aussi complexe chez Gary qui l’a tour à tour assumée, littérairement exploitée (« Gros-Câlin », « La Vie Devant Soi »…) et cachée, notamment en temps de guerre. « Tout ce que je leur avais dit à Paris lorsqu’on m’a interrogé… c’est que j’étais demi-juif. Je ne renie pas mes origines, je prends simplement des précautions pour l’avenir » (12).
Aucun des deux n’est croyant, cela n’empêchant pas une certaine forme de mysticisme. Julien Davenne, joué par Truffaut, dans « La Chambre Verte » (1978), rejette la présence du prêtre et se construit sa propre liturgie dans un culte rendu aux morts, si intense qu’il prend le pas sur la vie.
« Mes rapports avec la vie sont très mystiques, mais les religions organisées, les dogmes me sont totalement étrangers, confie Romain Gary. Je me sens épouvanté par le rituel. Ceci dit, je suis incapable de croire qu’il n’y ait rien d’autre que nous… » (06)
Les deux hommes sont des esprits libres, tendres et cruels, critiques à l’égard de leur oeuvre, tourmentés, d’une sensibilité tendant à la mélancolie, d’une indépendance confinant à la solitude, et paradoxalement, inlassables curieux de la nature humaine. Alors que Truffaut en explore souvent les ressorts dans l’espace triangulaire de la passion amoureuse (« Jules et Jim », « Le Dernier Métro »…), qu’il n’a jamais vraiment milité que pour la défense du cinéma, Gary est agité de questionnements plus politiques.
Gary est un combattant acharné ; « même si aucun livre au monde ne pourra briser le cou à la haine », il porte en lui un grand « espoir de fraternité », pilier de toute son oeuvre. Dans « Les Racines du Ciel », le personnage principal se bat contre le massacre des éléphants en Afrique. Morel est l’allégorie de Gary, révolté par la privation de liberté, l’abus de pouvoir, l’injustice, le racisme, le fanatisme, la lâcheté… « Tous mes personnages sont des contestataires. C’est peut-être le seul fil conducteur de toute mon oeuvre. Il n’existe pas un roman de moi qui ne soit une protestation… C’est mon rôle d’écrivain de gueuler comme un écorché » estime Gary (06), toujours fidèle aux idéaux de sa mère. « Quand on pense à l’histoire de l’homme, on s’aperçoit que la plus grande puissance spirituelle humaine, c’est la Connerie, avec un C majuscule ». Ecœuré par l’indignité, la fin de la grandeur européenne, la médiocrité humaine…, Gary ne renonce pas. « Mes airs amusés et ironiques ne tromperont personne : le phénomène humain continue à m’effarer et à me faire hésiter entre l’espoir de quelque révolution biologique et de quelque révolution tout court » (13). Gary assouvit sa soif de changer le monde et les hommes dans ses romans, où in fine l’humour et l’innocence triomphent.
En 1975, Gary porte la mystification à son paroxysme, en organisant l’escroquerie littéraire du siècle. Il change de nom pour signer « La Vie Devant Soi ». « Il y avait la nostalgie de la jeunesse, du début, du premier livre, du recommencement… C’était une nouvelle naissance. Tout m’était donné encore une fois. J’avais l’illusion parfaite d’une nouvelle création de moi-même par moi-même » (12).
La duplicité va plus loin. Dans un mouvement contraire au processus créatif classique, qui va du vrai à la fiction, Gary fait de son invention une réalité et trouve l’idée géniale de donner vie à son identité virtuelle. Il choisit Paul Pavlowitch, son petit cousin, pour endosser le rôle d’Emile Ajar. Duperie mémorable qui lui vaut, à ce jour, d’être le seul détenteur de deux prix Goncourt. Mais la mystification dépasse l’auteur. Gary enrage d’être enfermé dans « la combine métaphysique infernale » qu’il a lui-même échafaudée, et ne supporte pas de voir Paul Pavlowitch tirer gloire de sa propre création. Gary n’est plus maître de l’histoire et n’arrive plus à tirer les fils de sa marionnette.
C’est la fin
La vie échappe à Gary et ne lui suffit définitivement plus. Reste à écrire le mot fin. Le 1er décembre 1980, dans son appartement parisien, il se tire une balle dans la bouche… Ce n’est qu’à titre posthume que Gary tombe le masque.
L’imposture est révélée dans « Vie et Mort d’Emile Ajar », publié le 17 juillet 1981. Mais là encore, le 3 juillet 1981, sa doublure, Paul Pavlowitch, préempte le devant de la scène et lui grille la vedette dans un témoignage lumineux d’intelligence, sur le plateau d’Apostrophes, pour la parution de son livre « L’homme que l’on croyait ». Paul Pavlowitch s’interroge : « Je ne sais pas si Gary était vraiment, je ne sais pas s’il a vécu par lui-même. J’ai tendance à croire qu’il n’existait pas »… (14)
Quatre ans plus tard, Truffaut succombe d’une tumeur au cerveau.
De leur vivant et encore aujourd’hui, l’un et l’autre obtiennent un succès international. Truffaut obtient l’Oscar du meilleur film étranger pour « La Nuit Américaine » en 1974. Il est admiré de Spielberg qui, en 1977, lui confie un rôle dans « Rencontres du Troisième Type ». Gary est un écrivain adulé en Allemagne, en Pologne et aux Etats-Unis.
Leurs films et romans se relisent et se revoient avec un plaisir changeant à mesure que nos vies passent. Et quand l’un et l’autre s’amusent à faire résonner l’écho d’une oeuvre à l’autre, qu’on reconnaît des répliques déjà prononcées, comme fiers d’avoir saisi le clin d’œil, on a cette délicieuse impression de les avoir approchés.
01. « Les Oiseaux vont mourir au Pérou », titre d’une de ses nouvelles, (Folio Gallimard, 1962); Kill! (1972).
02. « Les Racines du Ciel » de John Huston (1958) ; « Clair de Femme » de Costa-Gavras (1979) ; « Au-delà de cette limite, votre ticket n’est plus valable » de George Kaczender (1981) ; « La Vie Devant Soi » de Moshé Mizrahi (1977) ; « Les Cerfs-volants » de Badel (1984) et de Jérôme Cornuau (2007) ; Adaptation de « La Tête Coupable », « The Impostors » réalisé par Frédéric Blum.
03. « Tirez sur le pianiste » de David Goodis, 1960; « Jules et Jim » de Henri-Pierre Roché, 1961 ; « Farenheït 451 » de Ray Bradbury, 1966 ; « La mariée était en noir » 1967 et « La Sirène du Mississippi » 1969, de William Irish.
04. « La Promesse de l’Aube » (1960, Gallimard)
05. « Les films de ma vie » de François Truffaut, Flammarion, 1975.
06. « Romain Gary, Le Nomade multiple », 2 CD, entretien avec André Bourin, Archives Sonores, Les grandes heures Ina / France Culture, diffusées sur France Culture en mai et juin 1969.
07. « Les Racines du Ciel » de Romain Gary en 1956 et « La Vie Devant Soi » d’Emile Ajar en 1975.
08. Il signe Emile Ajar « Gros-Câlin » en 1974, « La Vie Devant Soi » en 1975 et « L’Angoisse du roi Salomon » en 1979, Gallimard.
09. Entretien télévisé avec Jacques Busnel dans l’appartement parisien de Romain Gary, archives Ina.
10. « Romain Gary, le caméléon » de Myriam Anissimov, Ed. Denoël.
11. « François Truffaut » d’Antoine de Baecque et Serge Toubiana, Biographies, Ed. Gallimard, 1996.
12. « La Nuit Sera Calme », 1974, Gallimard.
13. Citation de Romain Gary, au sujet du recueil de nouvelles « Les oiseaux vont mourir au Pérou (Gloire à nos illustres pionniers) », Folio, 2009.
14. Apostrophes, interview de Paul Pavlowitch, 1981, Antenne 2, archives Ina.
Trente-trois ans que le type à la casquette a cassé sa pipe. Et voilà, enfin, un documentaire qui ne se contente pas d’empiler les dialogues qui flinguent. Dans ce portrait, il y a d’ailleurs plus d’images de vélo que de scènes de films, et plus de littérature que de cinéma.
Il était une fois, donc, un gosse abandonné du 14ème arrondissement, qui passe son certif et puis c’est marre, veut devenir coureur cycliste, mais finit livreur de journaux, puis journaliste, puis critique de cinéma, puis auteur de polars, puis dialoguiste, parce que les mots lui viennent plus vite que le petit blanc coule au zinc.
Il était une fois, surtout, un mec à genoux devant Rimbaud et Céline, mais faisant mine de ne pas être intello par pudeur et pour emmerder la Nouvelle Vague ; un grand désillusionné, aussi, depuis que, tout jeune homme, il fut le témoin écoeuré de l’épuration, avec lynchage par les « braves gens » d’une petite nana trop peu farouche avec l’occupant et qu’il aimait bien.
« Se méfier des hommes et n’en aimer qu’une poignée », telle était la ligne de conduite de ce grand partisan des « copains d’abord », qui faisait ses deuils en silence et avec de l’encre (« La Nuit, le Jour et toutes les autres nuits » est disponible en poche). On connaît les copains les plus célèbres : Blier, Ventura, Serrault, Gabin, Carmet, Maurice Biraud et… Mireille Darc, et ils sont tous là dans des archives épatantes et rieuses. En bonus d’intelligence : Jacques Audiard, qui décrypte si bien son père. On sort de ce documentaire ému, instruit, et moins con.
Et cadeau de la maison, un florilège de citations d’Audiard…
✓ « On est gouvernés par des lascars qui fixent le prix de la betterave et qui ne sauraient pas faire pousser des radis. » (Les Tontons Flingueurs)
✓ « Si on mettait un point rouge sur la tête de tous les cons, le monde ressemblerait à un champ de coquelicots. » (Les Tontons Flingueurs)
✓ « Moi, les dingues, j’les soigne, j’m’en vais lui faire une ordonnance, et une sévère, j’vais lui montrer qui c’est Raoul. Aux quatre coins d’Paris qu’on va l’retrouver, éparpillé par petits bouts, façon puzzle… » (Les Tontons Flingueurs)
✓ « Moi, quand on m’en fait trop, j’correctionne plus, j’dynamite, j’disperse, j’ventile. » (Les Tontons Flingueurs)
✓ « Les cons, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît. » (Les Tontons Flingueurs)
✓ « Les ordres sont les suivants : on courtise, on séduit, on enlève et en cas d’urgence on épouse. » (Les Barbouzes)
✓ « Quand les types de 130 kilos disent certaines choses, ceux de 60 kilos les écoutent. » (100 000 dollars au soleil)
✓ « La tête dure et la fesse molle, le contraire de ce que j’aime. » (Comment réussir quand on est con et pleurnichard)
✓ « Un pigeon, c’est plus con qu’un dauphin, d’accord, mais ça vole. » (Faut pas prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages)
✓ « Mais pourquoi j’m’énerverais ? Monsieur joue les lointains ! D’ailleurs je peux très bien lui claquer la gueule sans m’énerver ! » (Le cave se rebiffe)
✓ « Quand on mettra les cons sur orbite, t’as pas fini de tourner. » (Le Pacha)
✓ « La justice, c’est comme la Sainte Vierge. Si on la voit pas de temps en temps, le doute s’installe. » (Pile ou Face)
✓ « Si la connerie n’est pas remboursée par les assurances sociales, vous finirez sur la paille. » (Un Singe en Hiver)
✓ « Deux intellectuels assis vont moins loin qu’une brute qui marche. » (Un Taxi pour Tobruk)
✓ « Vous savez quelle différence il y a entre un con et un voleur ? Un voleur, de temps en temps, ça se repose. » (Le Guignolo)
✓ « Dans la vie, il faut toujours être gentil avec les femmes, même avec la sienne. » (Série Noire)
✓ « Je suis pas contre les excuses, je suis même prêt à en recevoir. » (Les Grandes Familles)
✓ « Il vaut mieux s’en aller la tête basse que les pieds devant. » (Archimède le Clochard)
✓ « Quand on a pas de bonne pour garder ses chiards, eh bien on en fait pas. » (Mélodie en Sous-Sol)
✓ « Plus t’as de pognon, moins t’as de principes. L’oseille, c’est la gangrène de l’âme. » (Des pissenlits par la racine)
✓ « Deux milliards d’impôts ? J’appelle plus ça du budget, j’appelle ça de l’attaque à main armée. » (La chasse à l’homme)
✓ « Je suis ancien combattant, militant socialiste et bistrot. C’est dire si, dans ma vie, j’en ai entendu, des conneries. » (Un idiot à Paris)
✓ « Le flinguer, comme ça, de sang froid, sans être tout à fait de l’assassinat, y’aurait quand même comme un cousinage. » (Ne nous fâchons pas)
✓ « A travers les innombrables vicissitudes de la France, le pourcentage d’emmerdeurs est le seul qui n’ait jamais baissé. » (Une Veuve en Or)
Le métier d’écrivain, c’est avant tout de raconter une histoire. Et pour certains d’entre eux, la réalité finit par rejoindre la fiction, quand ils essaient de faire de leur propre vie une oeuvre d’art. Le 25 novembre 1970, le romancier japonais Yukio Mishima met fin à ses jours par Seppuku, un événement qui a marqué le monde entier, tout autant que la longue liste de livres qu’il a laissée derrière lui.
Né en 1925 sous le nom de Kimitake Hiraoka, Yukio Mishima écrit sa première histoire à l’âge de 12 ans. Sous l’aile bienfaitrice de l’écrivain Yasunari Kawabata, le jeune homme publie son premier roman « Tōzoku » en 1948. Mais c’est avec le suivant, « Confession d’un Masque », paru l’année suivante, que la carrière de Mishima explose internationalement. Il écrira ensuite plus de 40 ouvrages tout au long de sa courte vie.
« Je n’aime pas la littérature… C’est un peu comme un Don Juan, mais qui n’aime pas les femmes. »
De cette bibliographie prolifique sont nées de nombreuses adaptations au cinéma ou au théâtre. Dès 1958, le grand Kon Ichikawa réalise « Le Pavillon d’Or », très fidèle à l’esprit du roman qu’il porte à l’écran. En 2017, c’est « A Beautiful Star » de Daihachi Yoshida qui débarque dans les salles au Japon. Ce métrage reconceptualise le roman « Utsukushii Hoshi » à notre époque en racontant l’histoire d’une famille qui pense être composée d’extraterrestres.
Quant à la scène internationale, elle se prête également au jeu de l’interprétation. Le très érotique « L’école de la Chair » du Français Benoît Jacquot (Orsan Productions), avec Elisabeth Huppert, sort chez nous en 1998.
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Mais ce qui a marqué la postérité, ce n’est pas nécessairement la quantité de romans et de nouvelles produits par Yukio Mishima, mais bien sa vie elle-même. Car l’existence de cet écrivain fut tout aussi romanesque que celle d’un personnage de fiction. Son parcours inspire d’ailleurs au réalisateur américain Paul Schrader un film en 1985, « Mishima, une vie en quatre chapitres ». Il y relate la vie de Mishima en quatre parties distinctes, dont trois sont inspirées de ses livres. Quant au quatrième chapitre, il raconte la mort de l’écrivain, ô combien dramaturgique, le tout accompagné par la sublime B.O. de Philippe Glass.
Néanmoins, le rapport de Mishima au corps ne se situe pas que dans la souffrance… Il multiplie les histoires d’amour, notamment avec l’acteur androgyne Akihiro Miwa auprès de qui il fait une apparition dans « Le Lézard Noir » de Kinji Fukasaku. Malgré des écrits explicites et de nombreux amants, l’homosexualité de Mishima est encore aujourd’hui un tabou au Japon.
Dans « Mishima Boys », manga scénarisé par le très politique Eiji Otsuka, c’est en grand patron du nihilisme que Yukio Mishima est représenté. Il guide trois jeunes gens vers des actes extrêmes, sur fond de théâtre Nô. Même dans ce discours, la dramaturgie n’est jamais loin, et Mishima y apparaît autant comme metteur en scène que maître à penser.
« Pardon ? Vous me demandez ce que c’est, la morale ? La réponse est très simple : la morale, c’est la cage. »
Et pour cause, son passé politique est des plus ambigus. L’homme est un nationaliste convaincu, qui rassemble autour de lui un petit groupe de gens armés, afin de défendre les valeurs du Japon traditionnel. Comme le montre le film « 25 Novembre 1970 : Le jour où Mishima choisit son destin » de Kōji Wakamatsu (Disidenz Films), c’est en suivant une rhétorique stricte, prônant aussi bien le culte du corps que le Bushido, le code des principes moraux que les samouraïs japonais étaient tenus d’observer, que Yukio Mishima décide de perpétrer un coup d’état.
Quand il se fait huer par l’armée et réalise que son plan est un échec, il décide de se donner la mort à la manière des samouraïs.
« Je me demande quel dénouement tu vas choisir pour conclure ta vie. Comme on dit : « La voie du samouraï est la mort ». »
Marguerite Yourcenar considère à raison que sa mort était son oeuvre la plus « travaillée ». Difficile d’en douter quand on voit le film « Yūkoku, rites d’amour et de mort », écrit et réalisé par l’écrivain lui-même en 1965, soit cinq ans avant son suicide. « Yūkoku », patriotisme en Français, raconte en effet le dernier jour de Takeyama Shinji, lieutenant fictif incarné à l’écran par l’écrivain. Après un coup d’état raté, le personnage se trouve dans l’obligation de mourir par Seppuku, pour sauver son honneur.
Le film est adapté d’une nouvelle éponyme écrite par Mishima et semble prédire avec précision le destin tragique de son auteur. La fascination pour sa propre fin et le cérémonial qui l’accompagne sont évidents. Maudit, détruit, ce film de 30 minutes en noir et blanc, réalisé en deux jours seulement, unique réalisation de Mishima qui joue lui-même le rôle du lieutenant Takeyama Shinji, est ressorti au Japon grâce à une pellicule miraculeusement retrouvée en 2005.
Le film a longtemps été le Saint Graal de tout admirateur de Mishima. Il était en effet réputé perdu, sa femme ayant demandé la destruction de tous les négatifs et copies existantes et interdit la diffusion des copies restantes après le suicide de son mari. Cependant, la Cinémathèque Française n’a jamais pu se résoudre à détruire sa copie et l’aurait projetée de façon confidentielle pendant des années. On pensait donc que le film était perdu à jamais pour le grand public jusqu’à la mort de Yuko, la veuve de Mishima. Sa disparition en 2005 a permis la « découverte » du négatif et d’un certain nombre de copies positives.
« Yūkoku » est ainsi l’unique film laissé par l’un des plus grands écrivains du siècle. Suivant exactement la narration d’une nouvelle de Mishima, « Patriotisme », écrite quelques années plus tôt, ce film montre de façon stylisée la dernière étreinte amoureuse et le Seppuku d’un jeune lieutenant entièrement dévoué à l’honneur samouraï, le Bushido : répétition de la mort spectaculaire que l’écrivain choisira de se donner, le 25 novembre 1970, à Tokyo.
Film ultra-esthétique, cinéma wagnérien, prolongement filmique du théâtre Nô ou encore document historique, « Yūkoku » occupe une place unique dans l’art cinématographique du XXème siècle. Ce film est surtout connu pour préfigurer le suicide de Mishima par Seppuku en novembre 1970 lors de l’échec de sa tentative de coup d’état avec sa milice d’auto-défense la Tate no Kai (la société du bouclier).
Il est aujourd’hui complexe de cerner l’homme derrière la légende que Yukio Mishima s’est lui-même forgée. Artiste aux multiples facettes, il reste autant une énigme qu’une intarissable source de fascination.
A l’heure du Black Friday et des périodes de soldes incessantes, de la surconsommation et de l’achat compulsif, Steve Cutts nous livre sa version animée du monde actuel, entre folie collective et schizophrénie.
Avec son court-métrage d’animation « Happiness », primé aux Webby Awards 2018, dans la catégorie « Animation », Steve Cutts nous conte l’histoire de la recherche implacable du bonheur et de l’accomplissement personnel d’un rongeur, pris dans une course effrénée, funeste et sans but.
Le regard de l’illustrateur anglais est acerbe et féroce sur le monde qui l’entoure, à la manière des caricaturistes d’un autre temps ou des Freak Brothers. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que tout passe à la moulinette impitoyable de son trait de crayon, des marques internationales aux excès de la société de consommation, en passant par notre mode de vie ou notre addiction au téléphone portable.
Dans les illustrations de Steve Cutts, le consommateur en prend pour son grade, représenté comme un être décérébré et hideux, gavé à la mal-bouffe et aux anxiolytiques. On pourrait penser que Cutts va trop loin, mais quelques scènes hallucinantes filmées ces dernières années à l’occasion du Black Friday aux Etats-Unis ou d’opérations promotionnelles en France (pour une pâte à tartiner, ça vous dit quelque chose ?) nous ramènent au triste constat que la réalité dépasse souvent la fiction…
A noter que Steve Cutts a réalisé un des « Couch Gags » de la série d’animation « The Simpsons » en 2016 ainsi que le clip vidéo animé du titre de Moby, « Are You Lost In The World Like Me ? ».
Et en prime, le « Couch Gag » réalisé pour la série The Simpsons en 2016, le clip vidéo du titre de Moby « Are You Lost In The World Like Me ? », ainsi que quelques illustrations de Steve Cutts…
MATEL appartient à la tribu de ces Parisiens heureux qui s’évertuent à répandre le French Kiss partout dans le monde, comme un signe d’amour.
Ce qui les différencie des autres groupes pacifiques indépendants, c’est le fait qu’ils communiquent à travers des visuels et des sons. Ils ne parlent pas, et ne se rencontrent que dans l’obscurité, pour y partager des images par le biais de leurs appareils portables. Nous prétendons qu’une image équivaut parfois à des milliers de mots, et bien ce sont des milliers d’images que ces Parisiens s’échangent…
Paris et New York, comme beaucoup d’autres grandes villes, ont de nombreux points communs : transports, infrastructures, monuments historiques…
MATEL, avec son film créé pour la compagnie aérienne française OpenSkies, souhaitait explorer les points de comparaison entre les deux villes, pour mieux en faire ressortir leurs différences, en exposant leur beauté et leur singularité.
« Belle du Seigneur », le pavé incontournable écrit par Albert Cohen, sorte d’extrapolation de « L’amour dure trois ans » de Beigbeder, a cinquante ans. Que sa taille imposante ne vous rebute pas, l’hiver est propice à la lecture de ce genre de classique, où l’on ne s’ennuie jamais, à condition de garder le fil !
Les cent premières pages décrivent le contexte social années 30 des principaux protagonistes, issus de la bourgeoisie et vivant à Genève. Ensuite sont évoquées les parentés, souvent dépeintes de façon cocasse, d’un côté petits bourgeois conservateurs, de l’autre bouillants céphaloniens… Vient après le poste du mari, Adrien Deume, jeune oisif empâté et fort soucieux de lui-même, qui doit son avancement soudain à la Société des Nations grâce à un supérieur manipulateur, qui va l’éloigner de son épouse dans le but de la séduire.
Après avoir résisté, essentiellement pour le principe, la belle tombe dans les mailles du filet de ce beau parleur, qui décrit les affres de la passion avec moultes détails. Le mari parti durant trois mois, les premiers temps de leur passion sont décrits par le menu, chacun voulant se mettre en valeur pour faire perdurer l’amour naissant, ils ne peuvent passer quelques heures loin l’un de l’autre… Stendhal ou Marivaux n’auraient pas pu mieux l’écrire… Hélas, le mari rentre plus tôt que prévu, par conséquent les oncles hauts en couleur de l’amant l’assistent pour enlever la belle ! Un véritable vaudeville ! D’autant plus que l’époux éperdu envisage de mettre fin à ses jours.
Aux temps heureux succèdent les jours sans grâce où l’on s’ennuie, peu à peu, où tous les détails, autrefois charmants, deviennent insupportables… Solal est un paria, l’antisémitisme gronde en 1935, sa nationalité française est révoquée et il n’a plus l’apanage de son rang social à la Société des Nations. Les hôtels de luxe où l’on ne sait que faire pour passer le temps, où l’on rencontre des gens dits de la bonne société qui vous fuient comme la peste… A présent l’heure est grave, l’ennui s’installe durablement, et Solal ne sait plus quel subterfuge inventer pour conserver l’intérêt d’Ariane, si fantasque au début.
Il connaît tout d’elle, ses moindres réactions, ses souvenirs d’enfance, sa famille… Ses emballements et ses centres d’occupations sont taris… Ils s’installent dans une villa nommée la Belle de Mai, alors qu’Ariane s’occupe des préparatifs (et notamment l’installation de wc supplémentaires), Solal essaie désespèrement de reprendre possession de son niveau social auprès de ses anciens amis de Paris. Point de souci d’argent, juste la passion qui n’est plus… Coup de théâtre, la belle avoue à son amant qu’elle a fréquenté alors qu’elle était mariée à son petit Deume. Il devient fou, ne cesse de la tourmenter pour connaître les détails, la repousse, la bat…
Cela redonne d’abord du panache à leur amour éteint, mais cela finira mal, forcément ! ils sont exclus, ils sont encore jeunes mais n’ont pas d’avenir… Bref, je vous conseille à tous niveaux de vous lancer à corps perdu dans cette peinture d’une époque, qui trouvera écho dans notre actualité, qui voit la montée des extrémismes affronter la mollesse de certains pachas, ronflant odieusement dans leurs fauteuils de velours.
A l’heure où les canons étaient sur le point de se taire, le 09 novembre 1918, s’éteignait une étoile dans le firmament de la poésie française : Guillaume Apollinaire. Retour sur la vie du poète, critique d’art, témoin d’une révolution esthétique et précurseur du courant surréaliste, qui mourut trop jeune, deux jours, donc, avant la fin de la Grande Guerre.
« Et toi mon coeur pourquoi bats-tu
Comme un guetteur mélancolique
J’observe la nuit et la mort »
Il faut associer la mémoire de Guillaume Apollinaire à la célébration de ce 11 novembre 1918 ; ce jour de fête, ce jour du souvenir, ce jour où dans les rues de Paris, les hommes et les femmes criaient leur joie et comptaient leurs morts. Dans les rues de Paris, bien-sûr, et même dans ce boulevard Saint-Germain, où les gens passaient, joyeux, heureux, tumultueux et où, tout là-haut, sous les toits, un poète était mort.
Guillaume Apollinaire s’était en fait éteint deux jours plus tôt, le 9 novembre, et à cause de l’armistice, il ne fut enterré que le 13 novembre. Durant ces quelques jours, il attendait là-haut, entouré de ses amis. Ses amis dont nous retrouverons quelques-uns dans le documentaire exceptionnel « L’art et les hommes » réalisé par Jean-Marie Drot et diffusée sur l’ORTF le 29 mai 1960 ; quelques-uns qui le rejoignirent, plus tard… Ce qui est frappant dans ce film, c’est la fragilité de tout ce qui est humain, la fragilité des souvenirs.
Apollinaire, dont les écoles de France, avec les meilleures intentions, sans doute, ont servi jusqu’à plus soif, peut-être, les « Alcools » à leurs élèves, lesquels n’en retiennent bien souvent, comme l’a noté Olivier Barbarant dans la revue « Europe », « que son appartenance à une avant-garde aux contours assez flous, ainsi que des images embrouillées de Tour Eiffel, d’avions, de papes et d’un soleil audacieusement décapité. »
Quand on pense à Apollinaire, on pense bien entendu à ce rire, « immense et homérique », dont parlait Paul Faure : « Apollinaire semblait un roi riant devant son peuple. Vive le puissant rire de Guillaume dans le Paris d’Apollinaire ! ». Mais on pense aussi à la mélancolie, à l’élégie, au chagrin d’amour, à « La chanson du mal-aimé ». Sans que rien ne prédomine, tout cela se conjugue, se télescope, se superpose, se suit. Apollinaire est tout cela à la fois…
Si Paul Faure évoque ce rire, c’est qu’Apollinaire était un homme d’amitié et d’enthousiasme, un homme curieux et un poète expérimentateur. Ce rire, c’est à la fois un grand éclat de rire franc, direct, massif, de quelqu’un qui aimait la vie, manger, l’amour, mais aussi un rire plus sombre, fait d’humour noir et d’ironie : « Mon verre s’est brisé comme un éclat de rire ». Il pourra être ironique dans une partie de sa poésie de guerre comme dans sa critique d’art, cultivant souvent l’ambiguïté.
Apollinaire était pris dans un réseau d’amitiés extrêmement dense, et lorsque l’on se rappelle ce grand poète, on se rappelle évidemment cet aspect de sa personnalité complexe. Et peut-être que le fait d’avoir permis à tant d’artistes membres de ce réseau d’avoir pu se rencontrer et se fédérer au sein de ce qui allait devenir un même mouvement artistique fait aussi quelque part partie de son oeuvre.
Car Apollinaire était un homme de réseau, avec une facilité naturelle à mettre les gens en relation, un homme qui comprend, qui jauge sans juger, et qui perçoit à merveille leur potentiel et ce qu’ils seraient susceptibles de réaliser ensemble. Il recevait beaucoup à son dernier domicile du boulevard Saint-Germain, de Robert et Sonia Delaunay à Chagall, en passant par Blaise Cendrars ou Vassily Kandinsky. C’est par exemple lui qui mettra en contact Giorgio de Chirico avec son premier marchand à Paris, en la personne de Paul Guillaume.
« Apollinaire habitait Boulevard Saint-Germain, dans un appartement constitué de plusieurs petites pièces reliées les unes aux autres par des escaliers de navire. Il s’y mouvait, il y déchiffrait les astres, il y hissait ses voiles en uniforme bleu, sous un émouvant turban de linge, parmi les statues nègres, les toiles cubistes, les livres, les jeunes revues, ses portraits de Marie Laurencin ou du Douanier Rousseau. Il écrivait, dans la plus haute cabine, où ses fétiches de navigateur étaient un exemplaire des « Serres Chaudes » de Maeterlinck et « L’Oiseau du Bénin » sur ses pattes de cuivre. » (Jean Cocteau)
Avec Apollinaire, on a l’impression d’une vie de mouvement perpétuel. A commencer par son enfance, mouvementée, presque trouble… Le poète a toujours vécu dans cette sorte d’instabilité, et probablement qu’une de ses ambitions fut de faire de cette instabilité une vertu, une qualité, une force.
Guillaume Apollinaire est né à Rome en 1880, enfant naturel et illégitime d’une mère française issue de la noblesse polonaise, Angelika de Kostrovitsky, et d’un père qu’il n’a pas connu, même si le nom de François Flugi d’Aspermont, ancien officier d’état-major du roi des Deux-Siciles, fut souvent évoqué.
Vivant à Rome de ses charmes et du jeu, Angelika de Kostrovitsky est une aventurière. Demi-mondaine, femme galante, entretenue, à la vie marginale et dissolue, elle y a une grossesse non désirée. Wilhelm naît le 25 août 1880 mais est déclaré à la mairie le 26 sous le nom italien d’emprunt Dulcigny, d’un père inconnu et d’une mère voulant rester anonyme. Angelika ne reconnaîtra l’enfant que quelques mois plus tard devant notaire, sous le nom de Guglielmo Alberto Wladimiro Alessandroi Apollinare de Kostrowitzky.
Pour mieux brouiller les pistes, Angelika Kostrowicka russifiera son nom pour devenir Angelika de Kostrovitsky. Et comme sa mère, Wilhelm Albert Wodzimierz Apolinary de Kostrovitsky, après une enfance placée sous le signe de l’errance, se construira à son tour en s’inventant. A 19 ans, il devient donc Guillaume Apollinaire. Apollinaire comme Apolinary, le prénom de son grand-père maternel.
Il n’y aura d’ailleurs pas dans son oeuvre de poursuite ou de quête du père. En revanche, on y trouvera une interrogation, une inquiétude constante sur l’origine…
« Il avait la voix courte, comme essoufflée. Ses yeux, ses doigts, semblaient ne toucher que des choses exquises et légères. Je ne sais pas pourquoi, je l’imagine toujours en train de dérouler le fil de quelque cerf-volant. Je pense aussi à ses hardiesses aériennes lorsque Notre-Dame porte le gui charmant d’un échafaudage. Il savait que l’ange de la poésie boite et louche, et qu’il en tire ses grâces. Son souffle givrait les vitres. Il n’avait qu’à passer une feuille, la plier et la déplier pour épanouir les terribles dentelles du rêve. » (Jean Cocteau)
Cet homme dont l’appartement ressemblait à un navire, dont Jean Cocteau construit la légende de manière si lyrique en l’imaginant « déroulant le fil de quelque cerf-volant », était quelqu’un de très terrestre, terrien, affichant un goût immodéré de la vie et de la sensualité, et en même temps cet artiste qui cultivait sans cesse son imagination en s’intéressant à des choses rares, afin de prolonger son rêve d’absolu.
Plus que de dire ce qu’Apollinaire a été, de fait, et montrer l’écart entre la légende et sa vie, il est captivant de voir comment cette légende s’est construite, et pour quelles raisons, finalement, il est resté à ce point dans les souvenirs des uns et des autres, des artistes, des peintres ou des poètes, comme cette figure à la fois onirique et très charnelle…
Après une enfance marquée au sceau de l’errance, entre l’Italie et Monaco, puis d’autres villes, Spa, Aix-les-Bains, la famille Kostrovitsky finit par arriver à Paris en 1900, dans un assez grand dénuement. Et c’est là, à l’aube de ce XXème siècle qu’il marquera de son empreinte, que le jeune Wilhelm va peu à peu devenir celui qu’il devait devenir… Il choisit son pseudonyme, Apollinaire, et choisir ce pseudonyme, c’est aussi choisir la langue française et se faire un nom afin de commencer à écrire son histoire.
Car la France, pour le jeune Wilhelm, c’est la nation la plus sensée, la plus mesurée, « la fille ainée du monde latin », une terre d’accueil et de culture. Du point de vue des lettres et des arts, la France, et Paris en particulier, faisait figure de phare dans cette Europe du tournant du siècle. Tous les artistes venaient à Paris. Certains choisissaient Munich, Londres ou Madrid, mais Paris avait cette réputation de liberté absolue, de créativité. C’était à Paris qu’il fallait être…
Sa mère le voit banquier. Il va déjouer les plans maternels pour devenir écrivain et poète pour des revues parisiennes…
Apollinaire travaille donc la journée dans une banque, mais entame une seconde journée le soir venu en allant trainer ses guêtres dans tous les lieux de Paris où bat le coeur artistique et bouillonnant de la ville. Officiellement, il vivra chez sa mère, au Vésinet, jusqu’à 27 ans, mais rares sont les nuits où il rentrera dormir chez elle. C’est à cette époque que commence le parcours initiatique du jeune Wilhelm, ces années durant lesquelles sa vocation littéraire s’affermit.
En juillet 1901, il écrit son premier article pour Tabarin, hebdomadaire satirique dirigé par Ernest Gaillet, puis en septembre 1901 ses premiers poèmes paraissent dans la revue La Grande France sous son nom de naissance, Wilhelm Kostrowiztky. De mai 1901 au 21 août 1902, il est le précepteur de la fille d’Élinor Hölterhoff, vicomtesse de Milhau, d’origine allemande et veuve d’un comte français. Il tombe amoureux de la gouvernante anglaise de la petite fille, Annie Playden, qui refuse ses avances. C’est alors la période « rhénane » dont ses recueils portent la trace (La Lorelei, Schinderhannes).
De retour à Paris en , il garde le contact avec Annie et se rend auprès d’elle à deux reprises à Londres. Mais en 1905, elle part pour l’Amérique. Le poète célèbre la douleur de l’éconduit dans Annie, La Chanson du mal-aimé, L’Émigrant de Landor Road, Rhénanes.
Dans ses premiers écrits, on retrouve déjà toutes les qualités qui caractériseront plus tard l’oeuvre d’Apollinaire, même s’il est encore très attaché au symbolisme. Il n’aura de cesse, toute sa vie, que de remettre continuellement en cause ses acquis, et ne fera jamais la même chose, au mépris de ce dont il pouvait être satisfait antérieurement. Les premiers contes qui seront repris dans « L’Hérésiarque et Cie » (Contes publiés chez Stock en 1910) marquent une étape majeure dans sa façon d’écrire.
Et puis, il y aura La Chanson du mal-aimé…
« Soirs de Paris ivres du gin Flambant de l’électricité Les tramways feux verts sur l’échine Musiquent au long des portées De rails leur folie de machines
Les cafés gonflés de fumée Crient tout l’amour de leurs tziganes De tous leurs siphons enrhumés De leurs garçons vêtus d’un pagne Vers toi toi que j’ai tant aimée
Moi qui sais des lais pour les reines Les complaintes de mes années Des hymnes d’esclave aux murènes La romance du mal aimé Et des chansons pour les sirènes »
Apollinaire publie ce poème en 1909. il aura mis six ans à l’écrire, tant sa genèse fut douloureuse pour les raisons évoquées plus haut, mais cette oeuvre marque le début d’une période qui conduira le poète sur le chemin du succès. Cette même année, L’Enchanteur pourrissant, son œuvre ornée de reproductions de bois gravées d’André Derain est publiée par le marchand d’art Daniel-Henry Kahnweiler.
Entre 1902 et 1907, il travaille pour divers organismes boursiers et parallèlement publie contes et poèmes dans des revues. C’est à cette époque qu’il prend pour pseudonyme Apollinaire, d’après le prénom de son grand-père maternel, Apollinaris, probablement en référence à Apollon, dieu de la poésie. En novembre 1903, il crée un mensuel dont il est rédacteur en chef, Le festin d’Ésope, revue des belles lettres, dans lequel il publie quelques poèmes ; on y trouve également des textes de ses amis André Salmon, Alfred Jarry, Mécislas Golberg, entre autres…
Entre 1910 et 1914, Apollinaire est partout… En 1910, il devient critique d’art à L’Intransigeant, et on le croise dans tous les salons littéraires, les galeries et les ateliers de la capitale. Apollinaire commence à se faire un pseudonyme et à écrire son histoire… Il devient à cette époque le tout premier défenseur du Cubisme, mouvement pictural qui vient tout juste de naître et qui fait déjà scandale. Les débats sur le Cubisme monteront même jusqu’à l’Assemblée Nationale où le député Marcel Sembat prendra fait et cause pour le courant naissant face à ses détracteurs, pour qui le Cubisme était une dégénérescence du génie français.
Apollinaire est en première ligne et prend ainsi la défense de ses amis peintres. Visionnaire, curieux de tout et sans cesse à l’affut des tendances de demain, le poète sent bien qu’avec le Cubisme, un vent nouveau s’apprête à souffler sur le paysage artistique français. Picasso, Braque ou Marie Laurencin sont à l’origine de ce mouvement qui pourrait bien changer radicalement le regard du public, face à un tableau qui a ses lois propres et qui n’imite plus la réalité, balayant toute notion de perception rétinienne ou de perspective linéaire telle qu’elle fut inventée à la Renaissance.
Le , accusé de complicité de vol de La Joconde, pour avoir hébergé Géry Pieret, une de ses relations qui avait dérobé en 1907 des statuettes au Louvre, et qui furent ensuite revendues à Picasso, Apollinaire est emprisonné durant une semaine à la prison de la Santé ; cette expérience le marquera profondément. Cette année-là, il publie Le Bestiaire ou Cortège d’Orphée orné des gravures de Raoul Dufy. En 1913, les éditions du Mercure de France éditent Alcools, somme de son travail poétique depuis 1898.
« Je ne me souviens pas précisément de ma rencontre avec Apollinaire. Je me souviens surtout que deux ou trois jours plus tôt, j’avais rencontré Picasso chez Clovis Sagot. Picasso, quant à lui, avait dit à Guillaume Apollinaire qu’il venait de rencontrer sa fiancée… Tout à fait par hasard, Apollinaire est venu le même jour que moi chez Sagot. Et c’est ainsi que nous nous rencontrâmes. Nous sortîmes et Guillaume me parla immédiatement de sa chère Masoche… Ça m’a étonné, un garçon qui parlait de masochisme à une inconnue… » (Marie Laurencin en 1952)
Lorsque Marie Laurencin rencontre Guillaume Apollinaire en 1907, elle est une jeune peintre de 24 ans qui débute aux côtés de Georges Braque. Picasso fait sa connaissance quelques jours plus tôt et dira à Apollinaire : « J’ai rencontré ta fiancée ». Quant à Apollinaire, après avoir rencontré la peintre chez le marchand d’art Clovis Sagot, il fera dire à l’Oiseau du Bénin par Croniamantal dans Le poète assassiné au sujet de Tristouse Ballerinette (Marie Laurencin) : « J’ai rencontré ta femme »…
Le poète et la peintre entretiendront une relation chaotique et orageuse pendant cinq ans, mais durant laquelle il connaîtront tous les deux une ascension fulgurante, s’appuyant sur une forte émulation mutuelle et un échange artistique de tous les instants. Apollinaire continuera d’écrire à Marie Laurencin et la soutiendra jusqu’au bout… Ils ont probablement toujours regretté intimement, sans se l’avouer l’un à l’autre, que cela n’ait pas été possible.
Il n’en reste pas moins que leur relation correspond à la période la plus prolifique et créative de la peintre. Après la guerre et la disparition de son plus fidèle ami et soutien, Marie Laurencin aura tendance à se répéter et à faire toujours un peu la même chose. Le Douanier Rousseau immortalise le couple en 1909 et Apollinaire raconte qu’avec cet instantané du couple capturé par le peintre, intitulé « Le poète et sa muse », son regard changera à tout jamais sur la peinture.
Il y a des petits ponts épatants Il y a mon cœur qui bat pour toi Il y a une femme triste sur la route Il y a un beau petit cottage dans un jardin Il y a six soldats qui s’amusent comme des fous Il y a mes yeux qui cherchent ton image
Il y a un petit bois charmant sur la colline Et un vieux territorial pisse quand nous passons Il y a un poète qui rêve au ptit Lou Il y a une batterie dans une forêt Il y a un berger qui paît ses moutons Il y a ma vie qui t’appartient Il y a mon porte-plume réservoir qui court qui court Il y a un rideau de peupliers délicat délicat Il y a toute ma vie passée qui est bien passée Il y a des rues étroites à Menton où nous nous sommes aimés
Il y a une petite fille de Sospel qui fouette ses camarades Il y a mon fouet de conducteur dans mon sac à avoine Il y a des wagons belges sur la voie Il y a mon amour Il y a toute la vie Je t’adore
Guillaume Apollinaire, « Poèmes à Lou » (posthumes)
« Poèmes à Lou » est un poème d’amour, tout simplement… Un poème d’amour dans lequel on trouve tout ce qui, chez Apollinaire, peut nourrir et alimenter les sensations, les sentiments, que ce soit la sensualité, l’intensité amoureuse, le spectacle du monde, la nostalgie ou le souvenir de la femme aimée. Et en même temps, c’est un poème d’éloignement. Leur histoire est terminée, et le poète est sur le départ. C’est aussi un poème qui tente de faire revivre quelque chose, en captant des instants qui s’éloignent peu à peu.
En août 1914, Apollinaire tente de s’engager dans l’armée française, mais le conseil de révision ajourne sa demande car il n’a pas la nationalité française. Il part pour Nice où sa seconde demande, en , sera acceptée, ce qui lancera sa procédure de naturalisation. Peu après son arrivée, un ami lui présente Louise de Coligny-Châtillon, lors d’un déjeuner dans un restaurant niçois. Divorcée, elle demeure chez son ex-belle-sœur à la Villa Baratier, dans les environs de Nice, et mène une vie très libre. Guillaume Apollinaire s’éprend aussitôt d’elle, la surnomme Lou et la courtise d’abord en vain.
Puis elle lui accorde ses faveurs, les lui retire et quand il est envoyé faire ses classes à Nîmes après l’acceptation de sa demande d’engagement, elle l’y rejoint pendant une semaine, mais ne lui dissimule pas son attachement pour un homme qu’elle surnommait Toutou. Une correspondance naît de leur relation ; au dos des lettres qu’Apollinaire envoyait au début au rythme d’une par jour ou tous les deux jours, puis de plus en plus espacées, se trouvent des poèmes qui furent rassemblés plus tard sous le titre de Ombre de mon amour puis de Poèmes à Lou.
« Poèmes à Lou » est un poème à une femme d’une très grande liberté, de ces femmes qui fascinent. Elle se voulait moderne, les cheveux un peu plus courts que les autres. Elle ne porte pas de corset, mais plutôt le pantalon. Lou est une aristocrate, descendante directe de Gaspard de Coligny, de lignée prestigieuse. Elle collectionne les amants, ce qui fait dire aux maldisants qu’elle est probablement nymphomane…
« Vous ayant dit ce matin que je vous aimais, ma voisine d’hier soir, j’éprouve maintenant moins de gêne à vous l’écrire. Je l’avais déjà senti dès ce déjeuner dans le vieux Nice où vos grands et beaux yeux de biche m’avaient tant troublé que je m’en étais allé aussi tôt que possible afin d’éviter le vertige qu’ils me donnaient. » (Apollinaire à Lou, le 28 septembre 1914)
Le 2 janvier 1915, de retour d’un rendez-vous avec Lou à Nice, Apollinaire rencontre une jeune fille dans le train qui le ramène à Nîmes, Madeleine Pagès. Ils parlent de littérature et de poésie, de Verlaine et de François Villon. Quelque chose se noue entre eux et ils entament une relation épistolaire des plus enflammées. Mais pourtant, Apollinaire en épousera finalement une autre, quelques mois avant sa mort : Jacqueline Kolb. Picasso sera son témoin…
« Une musique barbare et ininterrompue Coups de canons français et boches de tout calibre Coups de fusil, mitrailleuses, Les fusées, les signaux En pluie, en gerbe, en globe persistants… »
Le 4 avril 1915, Apollinaire part avec le 38e régiment d’artillerie de campagne pour le front de Champagne. En novembre 1915, dans le but de devenir officier, Wilhelm de Kostrowitzky est transféré à sa demande dans l’infanterie dont les rangs sont décimés. Il entre au 96e régiment d’infanterie avec le grade de sous-lieutenant.
Le 9 mars 1916, il obtient sa naturalisation française mais quelques jours plus tard, le , il est blessé à la tempe par un éclat d’obus. Il lisait alors le Mercure de France dans sa tranchée. Évacué à Paris, il y sera finalement trépané le puis entame une longue convalescence au cours de laquelle il cesse d’écrire à Madeleine.
Fin octobre 1916, son recueil de contes, Le Poète Assassiné est publié et la parution est couronnée, le 31 décembre, par un mémorable banquet organisé par ses amis dans l’Ancien Palais d’Orléans.
En mars 1917, il crée le terme de surréalisme qui apparaît dans une de ses lettres à Paul Dermée et dans le programme du ballet « Parade » qu’il rédigea pour la représentation donnée le 18 mai de la même année.
Apollinaire meurt de la grippe espagnole à seulement 38 ans, le 09 novembre 1918, soit deux jours avant la signature de l’armistice, laissant ses amis orphelins ainsi que de nombreux projets en cours qui resteront à tout jamais inachevés, pendant que sous ses fenêtres du 202 Boulevard Saint-Germain, la foule défile en scandant « A mort, Guillaume ! »… Non pas mort au poète, mais à l’Empereur Guillaume II d’Allemagne qui abdique ce même jour. Ironie du sort, ironie de la vie et de la mort…
✓ « Apollinaire » de Laurence Campa, biographie somme parue en 2013 chez Gallimard.
✓ « Apollinaire, Correspondance avec les artistes 1903-1918 », texte établi, présenté et annoté par Laurence Campa et Peter Read édité chez Gallimard en 2009.
En 2015, Stromae réalisait un coup d’éclat retentissant, avec son clip « Carmen », dessiné par Sylvain Chomet, le réalisateur des Triplettes de Belleville, au scénario coécrit avec le rappeur Orelsan.
« Carmen », le single extrait de l’album « Racine Carrée » de Stromae, et vendu à plus de 2 millions d’exemplaires, est une sévère critique de Twitter. Le clip est des plus explicites : les utilisateurs sont consommés par le réseau social, et tout simplement réduits à l’état d’excréments.
Loin de se considérer au-dessus du lot, Stromae apparaît aussi dans le clip, une victime comme les autres, aux côtés d’Orelsan, Jay-Z, Beyoncé, Lady Gaga, Barack Obama, la reine d’Angleterre…
Le comble de l’histoire est que l’avant-diffusion de son clip anti-Twitter a été pensé pour faire le maximum de vues sur les réseaux. Et pour faire encore plus de buzz, Stromae a créé un compte Instagram, avec de faux selfies dessinés par Sylvain Chomet, le réalisateur des « Triplettes de Belleville ».
Bon, c’est pas le tout… mais, j’vais aller Twitter un peu !