Catégorie : Culture

  • 1979, l’année qui changea le monde, Episode 07 : Actuel

     

    [kleo_pin type= »circle » left= »yes » right= » » top= » » bottom= » »]          « FOCUS » : un article de fond sur un thème que nos rédacteurs ont sélectionné.

     

     

    L’année 1979 est définitivement une année-charnière, comme la fin d’un cycle. Elle scelle le sort des dernières utopies. Le monde prend une pelle et enterre à la hâte les cadavres encore fumants de nos illusions perdues. Après 1979, rien ne sera plus vraiment comme avant…

     

    Coincée à la fin d’une décennie qui paraît un peu creuse, durant laquelle les dirigeants politiques semblent manquer de charisme (le pâle Carter face au cowboy médiatique Reagan, VGE après De Gaulle et Pompidou), l’année 1979 n’attire décidément pas les flashes. Et pourtant… Que d’événements considérables ont eu lieu cette année-là, autant de tremblements qui ont marqué la face du monde et dont on ressent encore les répliques quarante ans plus tard.

    Révolution iranienne, arrivée de Saddam Hussein au pouvoir en Irak, début de la Guerre d’Afghanistan qui mènera à la chute de l’URSS et à l’apparition du terrorisme islamiste, second choc pétrolier et crise économique mondiale, paix entre Israël et l’Egypte, fin des Khmers Rouges… Il n’est pas insensé de penser que 1979 a en réalité été l’année la plus importante de l’après-Seconde Guerre Mondiale.

     

    En France, malgré les Trente Glorieuses et l’embellie économique qui prévaut depuis la fin de la seconde guerre mondiale, mais qui ne rime pas forcément avec bien-être populaire, un besoin de liberté et de changement souffle dans l’air du temps depuis la fin des années 60 et la mort de De Gaulle. Le premier choc pétrolier va venir cristalliser les peurs de la société quant à son avenir.

     

    C’est dans ce contexte que naît le magazine Actuel ; d’abord un simple petit journal consacré au free jazz et aux musiques alternatives, fondé par Claude Delcloo en 1967, Actuel est ensuite repris par Jean Karakos (Mr Lambada) et devient à partir de 1970 le principal périodique underground francophone, qui couche alors sur papier le manifeste des mouvements libertaires post-mai 68 et popularise le journalisme Gonzo. En 1970, donc, nouvelle équipe, nouvelle formule, autour de Jean-François Bizot (directeur), Michel-Antoine Burnier (rédacteur en chef), Patrick Rambaud, Bernard Kouchner, puis Claudine Maugendre, Jean-Pierre Lentin, Léon Mercadet et beaucoup d’autres.

    Le journal se démarque de la presse gauchiste & langue de bois de l’époque et devient vite le magazine de référence de la génération hippie en France. Parmi les sujets traités, tout ce qui a trait à la contre-culture, en phase avec ce qui se passe dans d’autres pays comme les USA, l’Angleterre, l’Allemagne ou la Hollande : la route, les communautés, la drogue, le rock, le cinéma, le féminisme ou l’écologie.

    Tout s’arrête à l’automne 75, dans un climat de sympathique lassitude, comme un ultime pied de nez, la première année où le journal fait des bénéfices (5000 F !)…

     

     

     

    Après deux almanachs, Actuel renaît donc de ses cendres en 1979, sous une nouvelle formule. Cette fois-ci, l’accent est davantage mis sur les reportages au long cours, autour du monde, avec de nombreuses photos et une grande diversité dans les sujets abordés. Mais l’esprit défricheur est toujours là… Pour la petite histoire, c’est dans Actuel que nous entendrons parler pour la première fois en France de l’Internet, au début des années 90.

     

     

     

    Puis l’équipe d’Actuel se lance dès 1972 dans l’aventure Nova Press, la société de média éditrice des magazines Nova Mag ou City Magazine, un peu trop superficiel et avec peu d’articles de fond, qui s’arrêtera en 2004. Alors, peut-être un jour Actuel renaîtra-t-il une nouvelle fois de ses cendres ? Parallèlement, Bizot et sa bande créaient en 1981 Radio Nova, la station de la « Sono Mondiale ». Il a aussi repris « La Radio Jazz », avec Frank Ténot (ancien de « Pour ceux qui aiment le jazz » et « Salut les Copains » sur Europe 1), devenue TSF Jazz en 1999. Son immense discothèque était sa fierté.

    Dans « Un Moment de Faiblesse » paru en 2003, Jean-François Bizot racontait son combat contre le cancer, qu’il appelait « Jack le Squatter ». Mais Jack a fini par l’emporter le 8 septembre 2007…

    Pour ceux qui souhaitent aller plus loin dans la découverte ou la re-découverte de ces années Actuel, vous pouvez vous référer à l’ouvrage passionnant et extrêmement bien documenté, « Les Années Actuel, Histoire d’une Contre-Culture » de Perrine Kervran et Anaïs Kien, paru en 2010 aux éditions Le Mot et le Reste.

     

     

     

    Lieu de contre-culture emblématique des années soixante-dix, Actuel reste ignoré par l’histoire en général et celle de la presse en particulier. Jean-François Bizot, riche héritier, mécène dans l’âme et mao repenti, a eu sa révélation aux Etats-Unis. II y rencontre la freak culture et la free press, qui vont le conforter dans son désir de faire un journal. II ne concevra dès lors la vie et le travail que dans le collectif.

    Ce livre, construit autour des témoignages de ses collaborateurs, est l’écho de cette aventure collective. II dessine le portrait d’une jeunesse bourgeoise, cultivée, imprégnée de la guerre d’Algérie, de l’héritage sartrien, de la décolonisation et des grandes aventures de la presse d’après-guerre. Ces jeunes gens sont politisés, passés par Sciences-Po, revenus du militantisme gauchiste, attirés par l’underground et désireux de participer aux révolutions minuscules et à la contestation rigolarde qui se sont substituées au « Grand Soir » de Mai 68. Ce collectif qui donne naissance au journal Actuel ou à Radio Nova va créer un style qui imprègne aujourd’hui encore le paysage médiatique et audiovisuel français.

     

     

     

    « Tellement fiers d’évoluer dans un système parallèle, où les valeurs de base étaient pelle-mêle, Peace, Unity, Love and Having Fun, le Hip-Hop n’a jamais eu besoin de guns ni de gangs, mais plutôt de la foi de ceux qui en défendent la mémoire et l’éthique, les valeurs essentielles, celles qui créent encore l’étincelle, lorsque je me rappelle des premières heures du terrain vague de la Chapelle. A l’époque, les héros s’appelaient Actuel… » (Suprême NTM, 1995)

     

    Et pour finir, si nous devions choisir un titre parmi tant d’autres qui symbolise le mieux l’esprit Actuel, alors ce serait probablement celui-ci…

     

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  • Vincent Delerm rend hommage aux moments intimes qui font une vie

     

     

    Vincent Delerm publie un nouvel album, « Panorama », accompagné du documentaire « Je ne sais pas si c’est tout le monde » sorti en salle le 23 octobre. L’un et l’autre viennent ajouter une pierre à l’édifice que représente l’œuvre de Vincent Delerm depuis quelques années : un travail intime et sensible, un hommage aux moments modestes de la vie.

     

    Voilà un disque qui tient la promesse que font toutes les chansons : simple, basique, de celles qui aident à se sentir moins seul quand on les écoute. Un des morceaux qui le composent, « Je ne sais pas si c’est tout le monde », a donné son titre au documentaire qui l’accompagne. Cette phrase, on se l’est tous dite un jour, probablement…

     

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    « Je ne sais pas si c’est tout le monde » est aussi le titre du documentaire de Vincent Delerm, sorti en salle mercredi 23 octobre ; un film fait de souvenirs dits, ou lus, par des inconnu·e·s ou des connu·e·s, parmi lesquels on retrouve Jean Rochefort, auquel le film est dédié. Car Vincent Delerm et Jean Rochefort étaient amis, et Rochefort lui a dit vouloir lui offrir la dernière journée de tournage de sa vie. C’est chose faite.

     

    « Cette femme, je l’avais vue des étés entiers. Je savais quel était son geste pour retirer son soutien-gorge, tard le soir… Sa technique pour faire pisser les filles entre deux voitures, sur un parking bondé à Toulon. » (Jean Rochefort)

     

    A la fin du plan, tout le monde a applaudi le bonhomme, son oeuvre, sa vie… Au cinéma ou en chanson, Vincent Delerm livre ses admirations. Il ne se contente pas de les citer, il raconte surtout comment elles entrent dans sa vie. Il y a Raymond Carver, Nick Drake, Alain Souchon. Et dans ce nouvel album, Agnes Varda

     

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    Si Vincent Delerm s’est fait connaître au début des années 2000 avec des chansons écrites comme des scénarios de poche, depuis quelques albums, ses textes sont plutôt faits d’instantanés : rien de spectaculaire, mais des instants furtifs que notre mémoire archive sans qu’on l’ait décidé. Ses chansons rendent hommage aux moments modestes qui font une vie.

     

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    Vincent Delerm s’est imposé une contrainte digne de Georges Perec pour les dix morceaux de ce nouvel album : il en a confié les arrangements à dix artistes différent·e·s. Delerm a écrit les paroles dans un deuxième temps, en s’adaptant aux ambiances inventées par ses acolytes : Clément Ducol et Maxime Le Guil, Peter von Poehl, Keren Ann, Yael Naïm Dan Lévy, ou le groupe belge Girls in Hawaii.

    Dans la chanson « Fernando De Noronha », Delerm parle de son fils aîné. Il écrit comme si l’on suivait le fil de ses pensées à voix haute.

     

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    Pour son premier film, Vincent Delerm prolonge donc son travail ultrasensible sur l’intime, la mémoire et le rapport aux autres. Qu’est-ce qui nous construit ? Que ressentent les gens autour de nous ? Nos émotions et sensations n’appartiennent-elles qu’à nous ?

     

    Chaque personnage, célèbre ou anonyme, livre à Vincent Delerm quelque chose de lui, définissant sa sensibilité et sa manière de voir l’existence. Témoignages qui font sourire parfois, serrent le coeur souvent, conjuguent l’intime et l’universel. En filigrane, les propres émotions de l’auteur se dessinent le long d’un film musical, photographique, dont la narration est comme un fil invisible.

     

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    « Panorama », c’est le titre de son nouvel album, « Je ne sais pas si c’est tout le monde », c’est le titre de son film. Vincent Delerm est en concert à la Cigale à Paris, à la fin du mois d’octobre, au début des mois de novembre et de décembre. Il arpentera ensuite la France en 2020 et son film sera également projeté dans la plupart des villes de sa tournée, au moment de son passage.

     

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    Sources : France Inter / Wikipedia

     

     

     

  • Philippe Cohen Solal : La naïveté de croire

     

     

    « Il n’y a pas de stratégie, et encore moins de recettes marketing. J’ai juste la naïveté de croire que si un disque est bon, ça va se savoir. Je compte sur la curiosité de chacun ». C’est ainsi qu’est né au milieu des années 90 le label ¡Ya Basta! Records, « en référence au sous-commandant Marcos, bien-sûr, mais aussi pour dire à la scène tek-house qui commençait à ne faire que se copier : ça suffit, passons à autre chose ».

     

    ¡Ya Basta!, un label de qualité fondé par un artiste éclectique, Philippe Cohen Solal, qui avant d’en arriver là, a déjà accumulé bon nombre d’expériences qui ont façonné la curiosité de cet amoureux de musiques. D’abord réalisateur-programmateur, puis animateur sur les fréquences des radios « libérées », il fut pendant trois ans directeur artistique chez Polydor, avant de s’illustrer au tournant des années 90 avec la première vague électronique française, sur la compilation « Paris Union Recording ».

    Après son expérience « pénible » chez Polydor, il le reconnaîtra plus tard, Philippe Cohen Solal profite de cette courte période de transition professionnelle pour vagabonder, flâner à sa guise. C’est ainsi qu’il découvre un jeune artiste, alors totalement inconnu, qui joue devant les terrasses des cafés parisiens, Keziah Jones. Il produit ensuite un album tek-house, « Bass Academy », un projet finalement avorté, qui l’amène à revenir chez Virgin Sound, « pour éponger les dettes »…

     

    « Je suis devenu producteur et éditeur malgré moi. J’ai trop vu de majors saccager les projets des artistes. Si j’avais pu rencontrer la bonne personne, je n’en serai pas là. Un label, ça prend du temps ». La durée, telle sera l’autre fil inducteur de ¡Ya Basta!…

     

    Mais ¡Ya Basta!, c’est aussi et surtout une histoire d’amitié, symbolisée par un Crew, décliné au fil du temps en de multiples identités : Boyz From Brazil, Stereo Action Unlimited, Fruit Of The Loop… C’est d’ailleurs ce qu’évoque la première compilation du label sortie en 2000, « Rue Martel », qui a connu plus qu’un simple succès d’estime, avec son « Hi-Fi Trumpet » qui a tout du classique, même si Philippe Cohen Solal et Christoph H. Müller, musicien venu de la sphère électronique suisse et son alter ego sur la plupart des projets, l’ont bel et bien couché sur le papier.

    Après une poignée de vinyles et une pelletée de remixes, ils publieront d’ailleurs en cette même année 2000 la suite de leurs aventures, intitulée « The Boyz From Brazil », avant que ces deux sculpteurs de sons redécollent leurs oreilles pour le projet Gotan, initié avec le guitariste Eduardo Makaroff, un Argentin installé de longue date à Paris.

     

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    Avec Gotan Project, direction d’autres cieux, plus mélancoliques, du côté de l’Argentine… Quelques maxis et le premier album « La Revancha del Tango » sorti en 2001 suffisent à imposer sur les pistes noires du monde entier l’improbable succès de cet autre « Nuevo Tango » auquel peu croyait au tout début. Depuis, les trois compères ont creusé leur propre sillon, en donnant une suite au projet originel, de moins en moins électronique, de plus en plus cinématique… Avec à la clef un chapelet de chansons qui s’inspirent des compositeurs les plus emblématiques du style portègne, de celles qui font tout le cachet de l’album studio suivant paru en 2006, « Lunático »…

    Et puis en 2010, un « Tango 3.0 » est venu boucler ce triptyque autour de la rénovation du tango, inscrivant sur l’étendue de la Toile internet cette musique que l’on crut du passé. Dépassée ? Tout le contraire, Gotan Project ose avec cet album des rencontres inédites (entre autres avec le son de la Nouvelle-Orléans et la guitare Surf) au cœur du nouveau millénaire, redonnant au Tango sa définition première : un hybride qui n’en finit plus d’étendre ses connexions.

    Quinze ans pour une kyrielle de maxis et divers remixes, mais juste six disques labellisés ¡Ya Basta!. Dix si l’on ajoute ceux de David Walters, un jeune homme à tout faire tout seul, signé sur le label en 2002, celui de Féloche, un drôle de musicien voyageur qui a mis une décennie à fignoler tel un artisan son premier disque, impur choc des cultures qui le place quelque part entre la Louisiane et la banlieue parisienne, et enfin celui d’El Hijo de la Cumbia, le bad boy du nouveau soundclash made in Buenos Aires.

    Certes, le catalogue affiche peu de sorties. Mais ce choix affirme une cohérence, un label de qualité en ces temps de frénésie discographique. Car moins, c’est souvent mieux. « J’ai toujours voulu sortir peu de disques. Juste les bons. Et me donner les moyens de soigner chaque détail, à commencer par l’artwork et le visuel ». C’est aussi cela la marque de fabrique de ¡Ya Basta!. Chaque pochette, le moindre flyer, tous les clips répondent à une exigence esthétique, à des parti-pris en rupture avec les clichés. Une signature spécifique, celle du regard oblique et élégant de la vidéaste et plasticienne Prisca Lobjoy.

     

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    Le sens de ce nécessaire superflu fit la différence de cette entité qui s’épanouit au moment même où la fameuse French Touch explosait les charts de la planète musique. ¡Ya Basta! en fit partie, mais en électron libre. C’est d’ailleurs outre-Manche que le label obtiendra ses premiers soutiens, les plus fidèles et attentifs à leur univers, que l’on ne peut se résoudre à classer dans un registre bien particulier. « J’ai toujours souhaité inclure des musiques du monde entier, sans jamais chercher à faire des fusions du genre World Music ». Le menu de chaque galette se compose ainsi d’une somme d’ingrédients ajoutés avec parcimonie pour concocter une mixture au goût d’inédit. Entre science et mélodie, pour paraphraser l’appellation de leurs Editions, inspirée de William Orbit.

     

    « Chez ¡Ya Basta!, il y a ce souci permanent de composer, et pas simplement de recycler. Nous, on voulait vraiment créer notre propre univers. Gotan Project n’aurait pu être constitué que de reprises. Nous n’en avons fait que quelques-unes, et à chaque fois, il s’agit de repères, et encore assez flous. » 

     

    A l’image du « Chunga’s Revenge » de Frank Zappa convoqué dans le premier opus de Gotan Project… On trouvera d’autres reprises dans l’album  « The Moonshine Sessions », entre une version imparable d’Abba et une vision improbable des Sex Pistols. Encore une galette préparée avec soin, plusieurs années d’allers et retours, de détours aussi. Du bluegrass trempé dans un drôle d’alambic : un bain de jouvence rétrofuturiste. Le futur, parlons-en justement : « Au lieu de vouloir grossir en signant des projets à tout prix, je préfère me concentrer sur quelques projets auxquels je crois vraiment. J’ai envie d’en faire avant tout mon laboratoire d’idées, sans me prendre la tête. Ce qui ne veut pas dire que je ne suis pas ouvert aux collaborations. Bien au contraire ». D’une référence au mouvement zappatiste à une mise en application de la théorie de la décroissance, ¡Ya Basta! a décidément de la suite dans les idées.

     

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    Aujourd’hui, en marge de Gotan Project, Philippe Cohen Solal continue à cultiver son goût immodéré pour les collaborations, notamment avec La Dame Blanche (Yaité Ramos et Baby Lotion). Ils reprennent ensemble la chanson populaire parigote « A Paris » de Francis Lemarque, dans une version Caliente chantée par la cubaine au cigare, qui arpente les scènes internationales depuis plusieurs années en égrénant son Cuban Trap. Ici, le rythme Cumbia avec accordéon et programmation électronique n’en finit pas de rendre un chaleureux et dansant hommage à Paris.

     

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  • « Le Regard de Charles » : Le film d’une vie

     

     

    Au lendemain du premier anniversaire de la mort du chanteur, un film plein de surprises de Marc Di Domenico sort en salle cette semaine : « Le Regard de Charles ». Ce documentaire étonnant réunit des images intimes tournées par Aznavour lui-même entre 1948 et 1982, entrecoupées d’archives télévisuelles rares. 

     

    En 1948, Edith Piaf offre sa première caméra à Charles Aznavour, bien avant que le succès ne lui tombe dessus ; une Paillard, qui ne le quittera plus. Jusqu’en 1982, le chanteur impressionnera des heures de pellicules qui formeront le corpus de son journal filmé. Aznavour filme sa vie et vit comme il filme, pied au plancher, à l’instinct. Partout où il va, sa caméra est là, avec lui, à portée de main. Elle enregistre tout. Les moments de vie, les lieux qu’il traverse, ses amis, ses amours, ses emmerdes…

    Quelques années avant sa mort survenue le 1er octobre 2018, Aznavour dévoile à Marc Di Domenico son trésor : des centaines de bobines, conservées, rangées, à l’abri des regards. Le temps presse… Les deux hommes se lancent alors dans le dérushage de ces films Super 8 et le chanteur décide finalement d’en faire un film, son film.

     

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    « Le Regard de Charles » est monté par thèmes, entre voyages, amours, emmerdes et la magie opère. Aznavour sait filmer, cadrer ; il veut d’abord graver dans le marbre les preuves de sa réussite, comme s’il n’y croyait pas lui-même, puis il se met en scène, confie la caméra à quelqu’un d’autre, partout. Il filme les gens de la rue, ceux qui, comme ses ancêtres, ont connu la misère et l’exil.

     

    « Instinctivement, il place le miroir. Il n’a pas fait de psychanalyse dans sa vie. Mais justement, pour moi, ces images, ce film, cette démarche… On est sur la preuve de l’inconscient. On est dans son esprit. » (Marc Di Domenico, réalisateur)

     

    Le narrateur du « Regard de Charles » n’est autre que l’acteur Romain Duris. Au travers de ses textes et des images d’archives, les spectateurs en apprendront plus sur la vie de Charles Aznavour, de sa relation avec l’Arménie à ses liens avec ses épouses ou même ses enfants. Une manière de prolonger un peu plus les chansons d’un artiste qui a marqué l’histoire de la musique française. « Sans doute là-haut, il sera content de voir qu’il arrive encore à apporter du bonheur aux gens », avoue son fils Misha.

    Sur le tournage du « Taxi pour Tobrouk », Aznavour met sa caméra sur le capot de la jeep et on le voit aux côtés de Lino Ventura. L’été, il filme Françoise Sagan au bord d’une plage, et dans un pas de deux amoureux, il cadre sa femme Ulla qui le filme aussi. « Le Regard de Charles » revient également sur les heures sombres, la mort de son fils, les moments de vanité. Aznavour qui aurait aimé réaliser un film, nous offre celui de sa vie.

     

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    Avec « Le Regard de Charles », c’est un nouveau regard sur Charles Aznavour… par le biais de son propre regard. Celui, à la fois perçant et très humain, qu’il portait sur le monde, la vie, l’amour, sa carrière…

     

    Durant des décennies, Charles Aznavour a fait l’actualité. L’actualité musicale, cinématographique, télévisuelle… et parfois l’actualité tout court. Comme le dit malicieusement la voix de l’acteur Romain Duris au début du documentaire, l’observation ne s’est pas faite à sens unique. « Vous m’avez vu, mais ce que vous ne savez pas, c’est que moi aussi, je vous ai vus… ».

    Dans ce type de film, il faut un narrateur. C’est donc Romain Duris qui a été choisi pour incarner, via son phrasé nerveux, juvénile, direct, le grand Charles. Les textes, qui puisent dans des biographies et interviews, ont été validés par Mischa Aznavour, l’un des fils du chanteur. Ils sonnent très juste, quand on se souvient que Charles Aznavour n’était pas homme à se forcer à enjoliver artificiellement les choses ou à se complaire dans la flagornerie, fût-elle à son propre bénéfice.

    Mais revenons à ce « regard »... Dans ce film fascinant, il est pluriel. Il y a d’abord un regard presque ethnographique, avec ces images en plans larges de voyages en Afrique, en Amérique latine, en Asie… On ressent une volonté de filmer les peuples, les gens, savourant la communication silencieuse enclenchée par le seul regard d’une caméra braquée sur eux. Aznavour le dit dans le documentaire : la misère qu’il percevait en filmant des enfants dans la rue le renvoyait à celle qu’il avait connue durant sa propre jeunesse. Une misère rendue indolore par l’amour que ses parents lui portaient, à lui et à sa sœur Aïda. « On n’avait rien. On avait tout. Je me demande s’ils ont des parents comme ça ».

     

     

     

    Il y a des regards plus intimes encore. Celui, plein d’amitié et d’admiration, porté sur Lino Ventura qu’il a filmé durant le tournage du film « Un Taxi pour Tobrouk ». Enfants, le petit Arménien et le petit Italien vendaient tous les deux des journaux à la criée pour gagner quelques sous. Aznavour nous offre d’autres images, lumineuses, du cinéma d’antan. La beauté de son ami Jean-Pierre Mocky et celle d’Anouk Aimée, captées en marge d’un tournage.

    Il y a le regard amoureux de Charles. Un regard ardent, puis amer, porté sur Évelyne, qui fut sa deuxième épouse, avec laquelle la belle histoire tourna court. Et, bien-sûr, les sublimes images de la femme de sa vie, Ulla, qu’il a épousée en 1967. « Tu ne vois pas mes yeux quand je te filme, ils sont brillants d’émotion », confie le narrateur.

     

     

     

    Il y a le regard de Charles en tant que fils de Mischa et Knar Aznavourian, émigrants arméniens dont il se revendiquait avec autant de fierté que d’émotion contenue. Ce père tant aimé, lui-même artiste, apparaît sur des images personnelles, mais aussi sur d’émouvantes et rares archives de l’ORTF. Et, plus bouleversant encore, il y a le regard de Charles en tant que père. Le père heureux d’une fille aînée, Seda, qu’il a eue avec sa première épouse Micheline, et des trois enfants que lui a donnés Ulla.

    Fait unique dans le documentaire, on l’entend dialoguer avec l’un de ses jeunes fils en même temps qu’il le filme. Mais aussi, le père hanté par la disparition prématurée de son fils Patrick, né d’une liaison dans les années 50, victime d’une overdose à 25 ans. « Je n’en parle pas beaucoup. À chaque fois que j’y pense, la tristesse est infinie et mes yeux pleins de larmes. Il était doux, adorable et secret ».

     

     

     

    Il y a aussi le regard de l’homme sur lui-même, sa carrière, le succès. Un regard d’une sincérité crue, sans complaisance. Presque celui d’un enfant grandi trop vite et qui retourne la caméra contre lui pour vérifier que ce qui lui arrive est bien vrai, que c’est bien lui, le petit Arménien disgracieux sur lequel personne ne misait un kopeck, qui côtoie les grandes stars de son temps… « J’existe. Je me filme, donc j’existe ». Puis le regard de l’homme qui goûte au succès et assume pleinement les plaisirs matériels qui y sont liés. « Je gagne beaucoup d’argent et ne m’en cache pas », assène le narrateur sur des images de piscine luxueuse.

    Il y a enfin les derniers mots du documentaire qui nous sont adressés, et qui nous serrent un peu le cœur quand on se souvient que Charles Aznavour n’a pas eu le temps de voir le résultat de ce travail captivant. Ce livre qui s’est refermé, c’est un peu le nôtre aussi.

    « Le Regard de Charles », un film de Charles Aznavour réalisé par Marc di Domenico, est sorti en salle le 2 octobre 2019, après avoir été projeté en avant-première lors de la clôture du Festival du Film Francophone d’Angoulême le 30 août 2019.

     

    Sources : France Info Culture / France Info

     

     

     

  • Porter des Baskets by Hubert

     

     

    Dans ma série de billets d’humeur devenue culte, « Hubert a des p*bip*ains de problèmes dans la vie », je souhaitais aborder aujourd’hui : Porter des Baskets.

     

    Il n’y a pas aujourd’hui un podium de Fashion Week où les mannequins hommes ou femmes ne défilent pas avec aux pieds des baskets dessinées pour l’occasion par les stylistes de la marque représentée. Et je vous laisse deviner le prix boutique qu’il vous faudra débourser pour un article de ce genre chez Givenchy, Balmain, Dries Van Noten ou Dior… Juste à titre d’exemple, la maison Margiella qui revisite les Fred Perry affiche des tarifs autour de 800 euros. 1200 euros chez Balenciaga, 2000 euros chez Rick Owens… Et tout cela évidemment fabriqué le plus souvent en Chine, en mode plastique et caoutchouc.

    Allo la terre ?? On les a perdus… Mais qu’est-ce qui s’est passé ? Comment en est-on arrivé là ? Mais… Mais flûte, comment ??

    Conçue pour pratiquer des activités physiques, la basket était donc naturellement portée à l’origine, je vous le donne en mille, par des sportifs ; pour être ensuite adoptée dans les années 80 par une communauté dite « de banlieue » et par les rappeurs, assortie au total look survêtement. Et il faudra finalement attendre le courant des années 90 pour que cet article soit récupéré d’abord par la communauté LGBT, désireuse de s’encanailler en singeant les dites « caillera » et afficher ainsi les codes ostentatoires du parfait lascar. Soit…

    Au début des années 2000, c’est au tour du métrosexuel d’arborer la fameuse Fred Perry ou encore la All Star (Converse), avec un jean et la petite veste qui va bien, afin de casser les codes, paraître cool, free dans sa tête, et pouvoir en toute décontraction aborder tous les sujets, de l’art à la politique, en passant par les faits de société, tout en faisant des clins d’œil insistants à la jeunesse. C’est non seulement l’apparition du jeunisme (syndrome Peter Pan), mais aussi du phénomène des bobos. Cependant, à cette époque, la « fashion sphère » s’intéresse encore assez peu à cette nouvelle tendance. Ici et là, il y a bien quelques percées chez Gaultier ou Yamamoto, mais qui restent tout de même assez confidentielles.

    Les souliers en cuir, Derby, Richelieu et diverses bottines vont cependant sacrément prendre du plomb dans l’aile à la fin des années 2010… Car les Lanvin, Saint Laurent et même Berluti entrent dans la danse et commencent eux aussi à proposer leurs modèles de baskets, à des prix bien-sûr un peu plus « fou-fou ». L’étiquette assure à elle seule la plus-value…

    Alors, pour justifier ces tarifs prohibitifs, les plus imaginatifs des créateurs (Kris Van Assche, Raf Simons ou Rick Owens) vont redoubler d’efforts et de roublardise pour concevoir des modèles les plus tarabiscotés possible, à grand renfort de lacets dans tous les sens qui empêchent presque de rentrer le pied dans la chaussure, de semelles ou de languettes surdimensionnées qui ne permettent de toute façon pas de marcher correctement. En d’autres termes, pas confortables et qui vous donnent une allure assez improbable. Mais en même temps, qu’est-ce qu’on se marre !

    Aujourd’hui, la basket est ainsi devenue le signe de la fainéantise absolue, à l’instar de la paire de blue jeans enfilée avec fausse négligence, pour s’habiller sans se tracasser outre mesure… En substance, comment apparaître, paraître et finalement être. Un réflexe qui en dit long sur notre époque. Comme un uniforme pour se sentir en phase avec les autres, avec son milieu, sa communauté. Et ce qui distinguera le pauvre de celui qui a les moyens, ce sera la marque de la chaussure.

    Une chaussure élevée au rang de signe de reconnaissance ultime, et qui supprimerait comme par enchantement cet insupportable no man’s land entre les classes sociales. En fait non… Poussons encore plus loin l’absurdité de cette utopie, dans la mesure où ceux qui en ont les moyens seront prêts à débourser une coquette somme, tout ça pour un objet à l’obsolescence programmée, et ce depuis sa conception. Car les prix que j’indiquais plus haut à titre d’exemple sont clairement le marqueur sociétal absurde mais concret, pour bien délimiter la frontière entre ce qui est hype et ce qui ne l’est pas.

    Dans ce renversement des valeurs généralisé, il est amusant de constater que cet accessoire devenu incontournable dans tout vestiaire qui se respecte est désormais plus cher et prestigieux qu’un bon vieux soulier en cuir, robuste, solide, qui quant à lui vieillira bien. Eh oui, il faut se rendre à l’évidence, l’autre spécificité de la basket, c’est que cet objet vieillit extrêmement mal. Certes, neuf, il peut paraître séduisant et clinquant, mais après quelques mois voire quelques semaines, il commencera immanquablement à montrer des signes de fatigue, car souvent mal entretenu et trop porté. La forme s’affaissera et la fameuse basket finira par ressembler à une grosse Charentaise.

    A l’inverse, un vrai soulier de qualité va vieillir sagement, en évoquant à celui qui le regarde une histoire, des histoires… La chaussure en cuir va ainsi devenir un témoin du temps qui passe, en soulignant la personnalité de celui qui la porte. Un objet plein de poésie et de mélancolie. Quand la basket ne vivra qu’au présent et sera le miroir qui ne renvoie que l’image du vide et du néant. L’objet séduit et flatte l’instant, le moment donné. Mais dès le lendemain, il n’y a déjà plus rien car un nouveau modèle a déjà supplanté le précédent.

    La basket, c’est la laideur d’un monde sans âme, un imposteur, une usurpatrice.

    Mais vous n’êtes pas obligés de me croire…

     

     

     

     

  • Le vendeur d’une boutique de prêt-à-porter de luxe by Hubert

     

     

    Dans ma série de billets d’humeur devenue culte, « Hubert a des p*bip*ains de problèmes dans la vie », je souhaitais aborder aujourd’hui : le vendeur dans une boutique de prêt-à-porter de luxe.

     

    Il ne s’agit là évidemment que d’un point de vue très subjectif sur ce sujet précis, puisqu’il vous faudra déjà posséder une bonne dose de snobisme pour détecter toutes ces apparences en trompe-l’œil. Vous devrez également avoir digéré tous les romans de Jane Austen, Edward Morgan Forster ou Kasuo Ishiguro, suivi de l’intégralité de la série « Downton Abbey », afin de mieux comprendre les attitudes cryptées chez tout ce beau monde, entre la Upper Class et ceux qui oeuvrent à son service et qui, en toute logique, doivent reprendre les mêmes tics et divers autres protocoles, entre savoir-vivre et étiquette, pour pouvoir évoluer même à titre d’ombre dans ce milieu.

    Comprenez que si jadis personne n’était dupe du jeu de chacun et de sa place respective dans la société, l’égalité ou le nivellement des classes quelles qu’elles soient ont au fil du temps fini par mélanger les cartes et brouiller les pistes, pour en arriver à cette inversion des codes et des valeurs, mais cela serait un tout autre débat d’ordre civilisationnel, en ces temps nouveaux où s’affirme cette idiocratie patentée.

     

    Safari Urbain

    Tout d’abord, à titre expérimental et en tant que première immersion, vous pourrez vous rendre dans ces grands magasins, tels que les Galeries Lafayette, le Printemps ou autre Bon Marché, pour tomber nez à nez avec ce genre de spécimen. Alors bien-sûr, ce n’est pas au rayon fromages que vous le débusquerez mais plutôt du côté des corners dédiés aux vêtements couteux et trendy.

    Et là, vous aurez en général affaire à un individu de type caucasien, pas très grand et extrêmement mince. On peut le repérer car il se trouve souvent devant le stand d’une marque dite « de prestige ». Approchez-vous sans faire de bruit, sur la pointe des pieds. Evitez de porter des vêtements trop voyants ou trop banals car cela risquerait de le faire fuir. Si au contraire vous êtes habillé de manière branchée et cool, cela va attirer son attention, voire même le tétaniser tel le lièvre pris dans les phares d’une voiture.

    Ce démonstrateur peut avoir entre 20 et 40 ans. Il ne vous sourira jamais, mais en revanche ne manquera pas de s’esclaffer avec d’autres individus de son espèce, qui semblent tous issus du même moule, à chaque fois qu’ils verront passer un client qui ne rentrerait pas dans le cadre étriqué des normes instaurées entre eux par ces petits majordomes. Cette catégorie d’humain n’existe que pour le principe futile de pouvoir porter, parce que c’est leur passion, des vêtements onéreux qu’ils ne pourraient jamais s’offrir en temps normal, ce qui génère forcément frustration et colère au bout de l’allée…

    Vous connaissez sans doute le proverbe, « Il n’y a pas de sots métiers, il n’y a que de sottes gens ». Il se trouve que dans ce cas précis, justement, non seulement le métier est sot mais ces gens-là sont sottes, ou finissent inmanquablement par le devenir. Appréciant la mode mais jamais pour les bonnes raisons, les spécimens en question confondent hype et luxe, tout en arborant une insupportable arrogance, afin de masquer une petite vie mesquine, sans éclat et sans panache. Ces êtres constamment énervés ne se voient qu’en deux dimensions, alors qu’ils tentent de remporter sans cesse le vain combat des égos. Retirez juste les beaux atours et il ne restera plus que vulgarité, avec comme fond musical, non pas le hit dance du moment mais un simple bruit de pet…

    Mais il existe encore le stade supérieur… Une sorte d’Olympe de cette activité de niche ; en l’occurence, le vendeur qui officie dans la boutique principale, le show-room, la maison-mère. Au terminus des prétentieux, toujours plus près des étoiles, il est l’élu ! Sans oublier qu’il y a marques… et marques. Plus qu’une griffe, un nom, une renommée qui s’inscrit dans le temps, tels certaines légendes, vous avez la mode et puis les créateurs. Là, c’est encore autre chose. Le pinacle, le Nirvana, une adresse rue du Faubourg Saint-Honoré, rue Cambon ou encore la galerie de Valois au Palais Royal. Oui, vous l’aurez compris, à ce niveau-là, on tutoie les anges, on caresse la joue de Dieu.

    Imaginez… Un autre monde, une dimension parallèle où le temps semble suspendu, voire même lyophilisé… Oui c’est ça, du temps en poudre. Une grande boutique blanche, immaculée, à l’abri de toute souillure terrestre, un lieu où les lois de la gravité n’ont plus d’effet, loin de tous ces primates, ces barbares renâclant sur ces trésors d’hyper-tendance, qui devancent, qui transcendent de mille ans la naissance même de la mode. Que dis-je, de l’espèce humaine… Composée principalement d’infâmes personnages perclus de grossièreté, ne pouvant comprendre, percevoir et encore moins ressentir ce que le « Maîîîtrrr » a voulu exprimer avec sa dernière collection (tout simplement suuuupeeeerbb), aussi loin que les barrières Vauban le permettent de ces groins putrides et humides, condamnés par Mère Nature à se gaver, s’empiffrer jusque mort s’ensuive de Zara ou de H&M. Mais quelle horrreurrr !

    THE Boutique est donc posée là, élégante mouche sur une joue à la teinte d’albâtre, perdue dans cet univers urbain hostile. Sur la rue s’étirent ainsi ces grandes vitrines, avec derrière… rien… ou si, plutôt, Le Rien. En approchant plus près le visage de la paroi du bocal, vous aurez peut-être la chance d’apercevoir à l’intérieur des vendeurs immobiles, figés, flottant dans l’espace tels le spermatozoide dans le liquide séminal ; tableau étrange, en y regardant de plus près, comme s’ils évoluaient au gré de l’indicible, du merveilleux, parmi les habits-rares-installés sur de sobres cintres métalliques ou sur des meubles minimalistes.

    Nous voici donc au cœur de la nef, car ça n’est pas une simple boutique. Le lieu est religieux. Un temple voué à des rites qui nous sont sûrement pour toujours inconnus, nous, les profanes. Il faut rentrer dans ce lieu d’exception pour comprendre ce qui s’y passe vraiment. Et voici les vendeurs. Ils bougent un peu, à peine, en fait. Ils sont trois, observant chacun une posture très étudiée. Les bras sont croisés ou le long du corps, une main sur la hanche, l’autre légèrement surélevée et suspendue dans le vide, la tête un peu de biais, moue de la bouche, yeux hagards… Ou alors le bras passant entre les deux jambes dont l’une, croisée, passe par dessus la tête…

    Lorsque vous aurez l’outrecuidance de vous diriger vers eux, ils vous gratifieront peut-être d’un regard distant, pourront éventuellement se laisser aller à vous faire un signe de la tête, voire même articuler un « bonjour », que vos modestes ouïes percevront comme une sorte de « bowjaune ». Ce « bowjaune » devrait être accompagné d’une moue des lèvres accentuée, qui pourrait vouloir signifier : « bienvenue dans le royaume triomphant des exceptions vestimentaires, qui ne sont plus de simples assemblages de tissus et d’ingéniosités, mais toute bonnement… des vérités ». Quant à moi, je crois que… que je viens juste de… jouir…

     

    « Ici, tout n’est que luxe, rareté, beauté, perfection. Mais même si vous achetez quelque chose, nous ne sourirons pas davantage. »

    Allez, faisons fi de ce satané instinct d’infériorité qui nous colle à la peau depuis que nous avons passé la porte et hasardons-nous à nous rapprocher, afin de contempler de plus près certaines pièces, tout en respectant le silence monacal du sanctuaire. Vestes, manteaux et chemises défilent sous nos yeux ébahis. Nous sommes marqués à la culotte par l’un des vendeurs-cénobites-cerbères qui replace aussitôt, dans un alignement que lui seul maîtrise, et selon des règles que lui seul comprend, ces augustes vêtements sur lesquels nous avons osé poser nos vilains gros doigts boudinés.

    Nous contemplons ensuite de magnifiques pulls, en l’occurence au nombre de trois, qui se battent en duel sur une gigantesque table en métal mat à 10.000 dollars. Juste à côté, deux ceinturons enroulés, trois porte-monnaie et quatre paires de chaussettes alignées. Ces objets, accessoires et divers artéfacts auraient-ils appartenu à Napoléon Bonaparte ? Ou à Marilyn Monroe qui, selon la rumeur, portait des chaussettes pour dormir ?

    Nous esquissons alors une ébauche de dialogue avec l’un de ces archanges non-répertoriés par les Saintes Ecritures : « Veuillez m’excuser, auriez-vous ce modèle en médium ? ». L’être en deux dimensions s’approche de nous, comme s’il flottait dans les airs. En effet, je regarde à ce moment précis ses pieds et force est de constater qu’ils ne touchent pas le sol. L’être vaporeux qui défie la gravité ne manque cependant pas de se contempler au passage dans un grand miroir. Il doit avoir été assez satisfait de ce qu’il y a vu pour arborer ensuite une sorte de sourire, même si l’image renvoyée par la glace est restée étrangement impassible. Il nous lance alors, dans un chuintement singulier : « en mîdiôm, m’avez-vous dit ? »

    C’est avec une grande dextérité et la plus extrême souplesse dans les doigts, mouvement que nos grosses paluches roturières ne pourraient en aucun cas reproduire, que l’ectoplasme à deux dimensions extrait une petite étiquette de l’intérieur du pull que nous venons de lui désigner, posé au beau milieu de la table en métal mat à 10.000 boules. Une rotation de la tête à 180 degrés et un geste souple de la main plus tard, il interroge un autre xénomorphe : « Eugenio, y a-t-il encore le modèle B en… Mîdiôm ? ».

    L’autre marque un temps d’arrêt (Attention : la scène d’action du film !), puis disparaît derrière une petite porte dérobée, comme happé par la réserve du magasin, pour en ressurgir quelques minutes plus tard. Il semble effondré (il vient probablement d’apprendre un décès dans sa famille) : «  Nooooon, nous n’avons plus ce modèle, hélaaaas ». Et là, réaction en chaîne ! Le premier xénomorphe semble lui aussi soudainement gagné par une tristesse sans bornes. Les deux se regardent en dodelinant de la tête. Nous parvenons finalement à sortir de cette torpeur quelque peu angoissante en demandant à essayer un autre modèle dans un autre coloris. « … Oui c’est très joli aussi en noir. Vous pouvez le porter comme ça, avec le petit chose, là, voilà, avec le petit chemise aussi ou alors avec le petit maille. C’est très joli aussi avec le petit maille… ». Mais… Mais qu’est-ce qu’y dit ?

     

    Bon, nous prendrons celui-ci…

    Le vendeur, extatique, prend notre vêtement comme s’il tenait le petit Jésus, puis se dirige religieusement vers la caisse. Nous emboîtons ses pas, dans une lente procession sur ce chemin pavé de dalles en béton brossé aussi grises que notre âme, résignés à donner l’extrême-onction à notre carte bancaire.

    Voici maintenant venu le moment de l’emballage du vêtement susnommé. Pas simple, pour tout dire… Devant nos yeux ébahis, les deux moines trappistes se mettent à plier avec un soin infini l’article, le tout dans un silence teinté de sacralité et d’absolu. Le premier enveloppe le pull dans un immense papier de soie. L’autre, presque collé au premier, attend fébrilement, un second emballage cartonné à la main. L’ensemble est introduit dans un grand sac. Le cérémonial s’achève par la délicate mise en place d’un petit lacet ciré pour fermer le tout. J’ai cru un instant entendre chanter des anges juste au-dessus de nos têtes. Pour l’encaissement, nous assistons à une mise en scène à peu près identique. L’un des vendeurs nous jette alors de petits sourires complices…

    On nous remet le paquet et nous nous retirons enfin, sur la pointe des pieds, sans bruit. La grâce nous accompagne jusqu’à la porte. Les vendeurs, eux, sont restés plantés à la même place. Sans doute sont-ils branchés sur des socles, derrière le comptoir, pour se régénérer. Ils se contentent avec le peu d’énergie qui leur reste de nous dire au revoir (attention, prononcez « awu-voy »). A peine la porte franchie, nous voici replongés dans le maelström de la vulgarité crasse. C’est fini, tout reprend son rythme et le sentiment d’immortalité nous quitte peu à peu. Nous venons ainsi de goûter quelques moments à l’essence même de ce que vivent tous les jours ces garçons pétris d’extase. Au-delà de la mode et au-delà du temps.

    Mais vous n’êtes pas obligés de me croire…

     

     

     

  • Marion Gervais : « Louis, c’est nous »

     

     

    Après « Anaïs s’en va-t’en guerre » et « La Belle Vie », Marion Gervais nous donne à voir son nouveau documentaire « Louis dans la Vie », en replay sur France TV jusqu’au 4 août.

     

    Louis fête ses 18 ans, l’entrée dans l’âge adulte et dans le monde du travail, comme apprenti en CAP peinture. Premier amour, premier appart, premier job, premier argent propre…  L’amorce d’une vie rangée, après les coups durs, la violence, les déviances. Mais ça cogne dans la tête de Louis. Il étouffe. Ces maisons vides dont il peint les murs pour un salaire de misère, c’est pas pour lui ! Louis rêve de tailler la route au volant de son camion, partir loin. Sans bien savoir où. Il se fait tatouer une boussole sur le torse. Mais le nord c’est où, c’est où le sud ?

    Pendant un an, la caméra de Marion Gervais suit Louis qui avance dans la vie comme un funambule aux gestes brusques, sous le regard de sa mère, son amoureuse, sa tutrice… et Marion elle-même, qui ont peur pour lui.

     

    Connais-tu Louis depuis longtemps ?

    J’ai rencontré Louis avec « La Belle Vie », au Skate Park. J’ai tout de suite eu un rapport très fort avec ce môme. J’ai été saisie par sa puissance de vie et son énergie rare. Après « La Belle Vie », j’ai dit à Juliette (ndlr : Juliette Guigon, productrice, Squaw Productions) que j’aimerais tellement filmer Louis, sa façon d’être sur un fil, comme ça, sa façon de trébucher et de se relever. De chercher son issue… C’était un petit combattant de la vie, il n’avait que 15 ans à l’époque !

    Son truc, c’était de jouer à piquer la casquette des flics, de voler une barre de Crunch au supermarché, ou un barbecue aux bonnes sœurs qu’il allait rendre après l’avoir utilisé. Il y avait de l’espièglerie, on n’était pas du tout dans la délinquance. Et puis, sa route a pris une voie plus dure. A un moment, je craignais pour sa vie, il a fait partie d’un gang. Il me semblait en danger, j’avais vraiment peur qu’il meure. Il allait avoir 18 ans. Il risquait la prison. Il m’a dit : « Marion, si je vais en prison, je deviens fou ! ». C’était le moment de prendre ma camera et d’accompagner Louis dans ce combat. Quand je lui ai demandé s’il voulait faire le film, il m’a dit « Pour toi, Marion, je le fais. Allez go go go ! ».

     

    Tu filmes et tu es là pour tes personnages…

    Ma caméra, c’est comme je suis aussi dans la vie. On est là les uns pour les autres. Cette caméra, elle prend, elle observe, elle enregistre, mais elle peut soutenir, elle peut aider. Louis vient chez moi régulièrement, comme les skateurs, comme Anaïs. Je ne vais pas filmer avec ma vie qui reste à côté. Tout est imbriqué, en définitive.

     

    Quel lien fais-tu entre tes documentaires ?

    Je filme les rites de passage, cette façon de passer d’une rive à une autre. Louis, il quitte l’adolescence pour devenir un jeune adulte, avec les choix et les renoncements que cela implique. Des choix cruciaux, dans un univers chaotique. Il renonce à l’argent facile de la délinquance et à l’adrénaline, pour devenir apprenti peintre chez Saint Maclou.

    Alors se posent à lui des questions brutales : Comment faire pour rentrer dans ces clous, lorsqu’on rêve de surf, de mer et d’espace ? Au-delà de l’amour que je lui porte, je voulais être là pour Louis, pour comprendre, pour assister à cette transition. Comme « La Belle Vie », comme « Anaïs », le tournage creuse toujours le terrain fragile, fébrile, de ces êtres qui cheminent sur des sentiers caillouteux et pentus, à la recherche d’eux mêmes.

     

    Et qui peinent à trouver leur place…

    Oui, parce qu’en définitive, on a toujours de la peine à trouver sa place dans la société. Ce n’est pas au sein d’une société qu’on trouve sa liberté, c’est avec sa propre intériorité. Long cheminement… C’est à eux de trouver cette place, c’est beaucoup plus compliqué, mais plus vibrant. Ils cherchent, ils cherchent. Pour Anaïs, elle a réussi, grâce à sa détermination et sa rage, à se construire sa place. Pour Louis, le combat commence. Sortir de la délinquance, apprendre un métier pour gagner « de l’argent propre » puis partir, peut-être, avec son surf…

     

    Ils y arrivent ?

    Je ne sais pas encore pour Louis. Il doit s’apaiser. Il y a de la souffrance chez lui, mais sa puissance de vie est hors norme. Si « Anaïs » et les garçons de « La Belle Vie » finissent par réaliser leurs rêves, Louis se sert du rêve pour rester vivant. Je ne sais pas si Louis réussira à partir à l’autre bout du monde avec sa planche de surf… En tout cas, les cartes sont entre ses mains, mais il lui faut du temps, grandir encore. Son instinct est fort. Il me fait penser à l’un de mes héros, Neal Cassady, alter ego et compagnon de route de Jack Kerouac, qui lui inspira son héros de « Sur La Route » et qui avait cette énergie semblable. Ce sont des êtres qui ont la vie qui déborde de partout. Presque trop vivant pour les possibilités de ce monde.

    A côté de Louis, les autres semblent être à l’arrêt, les piles à plat ! Les hyperactifs comme Louis sont des êtres condamnés au mouvement permanent, avec des crises d’angoisse qui montent. Il lui arrivait régulièrement de monter dans les tours. « Arrête avec ta camera, ça me casse les couilles ! ». Et quelques secondes après, c’est terminé, tout est effacé par le présent. Louis a des valeurs fortes. Il est romanesque, c’est une sorte de gentleman. Il est droit dans ses bottes.

     

    Tu as une responsabilité énorme vis-à-vis de ce jeune homme dont la vie est rendue publique. Comment vit-il cela ?

    On l’a fait venir à Paris pour le visionnage du film monté, avec Louis, Juliette, ma productrice, Ronan Sinquin, le monteur de mon film, son petit frère et moi. On était tous bouleversés. A la fin, Louis m’a regardée et m’a dit « C’est stylé Marion ! ». Il était content, mais il était aussi angoissé de la sortie du film. Il ne sait pas trop ce que tout cela veut dire. C’est pour cela que je ne veux pas l’exposer, l’emmener aux projections. C’est un sauvage, il a besoin de ses repères.

     

    Louis est dans son monde mais il nous renvoie à nous mêmes…

    Oui, il touche à quelque chose d’universel, qui est de l’ordre de l’humain dans cette société, cette brutalité du monde où l’on doit courber l’échine, où la place de l’homme passe par son asservissement, d’une manière ou d’une autre. Là où il travaille, dans le bâtiment, c’est très apparent, mais à plein d’autres endroits, cette soumission existe, plus édulcorée, moins visible mais bien là. Je trouve que Louis nous permet de réfléchir sur nos vies et je le remercie pour ça. C’est fort, notamment dans les scènes avec sa tutrice, sur les chantiers. Lui du haut de ses 18 ans, elle, de ses 50 ans. Avec cette question en toile de fond, « que faisons-nous de nos existences ? Ça veut dire quoi choisir sa vie ? ».

     

    Ce film l’a-t-il changé ?

    Ils sont très contents de lui dans sa nouvelle entreprise. Je ne sais pas si c’est lié au film, mais j’observe qu’il est plus posé, il donne des leçons aux gars de la bande du Skate Park maintenant, comme un grand frère. Il est en train de réparer les blessures d’une enfance… Louis est toujours accompagné de ses rêves, passer son permis, avoir son camion et partir. J’espère de tout mon cœur qu’il arrivera à les réaliser. Je lui ai dit l’autre jour « N’éteins pas ta flamme, Louis. Dans deux ans, avec un métier dans la poche, tu traces ta route ! ». Il a juré, craché !

     

    Propos recueillis par Anne Rohou pour Instant City.

    « Louis dans la Vie » de Marion Gervais, à revoir en Replay sur France-Tv jusqu’au 04 août

     

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  • Léonard de Vinci : Les 1119 pages du Codex Atlanticus désormais consultables en ligne

     

     

    C’est à la bibliothèque Ambrosienne de Milan que vous pourriez, si l’occasion se présentait, découvrir cet intrigant recueil de dessins, créés par Léonard de Vinci en personne. Le « Codex Atlanticus » et ses fameuses notes écrites en miroir contient plus de 1100 feuillets, noircis entre 1478 et 1519. Après avoir numérisé en totalité les 12 volumes qui le composent, le site codex-atlanticus.it le rend accessible gratuitement.

     

    L’ouvrage qui inspira le célèbre « Da Vinci Code » de Dan Brown regroupe en tout 1 119 planches en grand format (64 x 43 cm). Son nom, « Codex Atlanticus », évoque la similarité de format entre cette œuvre et les grands atlas de l’époque. Il parcourt tous les champs de réflexion que le génie italien explora : anatomie, architecture, plans de machines complexes… Débuté en Toscane, il fut achevé en France, interrompu par la mort de Léonard de Vinci.

    Pour la première fois numérisé, fruit d’un partenariat entre la société The Visual Agency et la Bibliothèque Ambrosienne, le « Codex Atlanticus » est à découvrir par le biais d’une application web, offrant au visiteur une classification globale, par date, sujet ou thématique.

    On constate ainsi que géométrie et algèbre constituent la majeure partie du livre, suivis de la physique et des sciences naturelles — 1141 occurrences contre 1004. Viennent ensuite les instruments et machines, avec 906 occurrences, puis l’architecture et les arts appliqués, avec 496 documents, et enfin les sciences humaines avec 429 références.

     

     

     

    Il est cependant regrettable que l’application n’offre pas un moteur de recherche pour explorer différemment les entrées – et une meilleure fluidité de répartition (entre notes et dessins, par exemple, quand cela est possible). Le classement permet également de déterminer des périodes de création, mettant en lumière que c’est probablement entre 1507 et 1508 que Léonard fut le plus productif, avec plus d’une centaine de pages réalisées.

    Mais le Codex ne se contente pas de proposer des dessins d’une impressionnante précision ; on y retrouve également des fables, maximes, aphorismes, et divers commentaires, inspirés par la littérature florentine. Et par-dessus tout, le fameux « curriculum vitae » de Léonard de Vinci, envoyé au Duc de Milan, détaillant en neuf points ses qualifications pour le poste d’ingénieur militaire.

     

     

     

    Ce 2 mai 2019, on célébrait le 500ème anniversaire de la mort du peintre, ingénieur, penseur et immense génie de la Renaissance. De nombreuses célébrations partout dans le monde sont organisées à cette occasion, et la diffusion de ce manuscrit dématérialisé s’inscrit donc dans cet ensemble.

    Pour découvrir l’ensemble des pages, c’est ici, et vous pourrez y observer un véritable travail d’analyse de données…

     

     

     

     

  • Bienvenue au Club : 25 ans de musiques électroniques [Arte]

     

     

    Comment la Techno, une musique alternative à la réputation sulfureuse – musique du ghetto, synonyme de violence et d’usage de stupéfiants – et trop souvent caricaturale, s’est-elle imposée pour devenir « le » courant musical fédérateur et universel, venu à la rescousse d’une industrie du disque moribonde ?

     

    Inspirée par l’écoute de l’album « Autobahn » du groupe précurseur allemand Kraftwerk, sorti en 1974, la Techno émerge à Detroit vers 1986, avec les trois pères fondateurs, Juan Atkins, Derrick May et Kevin Saunderson.

    Elle envahit d’abord l’Europe via Manchester et Berlin, avant de donner naissance aux raves et autres afters organisés dans des endroits sauvages, voire « interdits ». Bientôt, partout dans le monde, les DJs libèrent émotions et inhibitions et l’ecstasy dope les dancefloors, avant l’interdiction en Angleterre des raves. Laquelle suscite aussitôt une radicalisation du mouvement avec le phénomène des free parties. Spiral Tribe érige la Techno en mode de vie et les Daft Punk remettent la France sur la carte mondiale du genre, avec leur premier album « Homework » en 1997.

    Boostée par les soirées « Respect » organisées au Queen à Paris, la « French Touch » s’exporte, et le clubbing redevient branché. Omniprésentes aujourd’hui, des plages de Croatie à l’Ultra Music Festival de Miami, les musiques électroniques, hier diabolisées, sont devenues très bankable. Réunissant images d’archives et témoignages vibrants de figures emblématiques de la planète Techno, ce film impeccablement mixé revisite un quart de siècle de bandes son techno pour un retour vers le futur de la dernière grande révolution musicale.

     

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  • Lunettes Noires pour Nuits Blanches

     

     

    En 1988, Thierry Ardisson réinvente l’interview télé. Il y aura un avant et un après « Lunettes Noires pour Nuits Blanches », même si l’émission du samedi soir n’a duré que deux ans.

     

    « Salut bande de nazes ! », « C’est en exclu, Lulu ! » ; ces formules en voix off de Thierry Ardisson, ponctuant son émission pour couche-tard du samedi soir, « Lunettes Noires pour Nuits Blanches », résonne encore dans bien des têtes. Elle n’a pourtant duré que deux ans, de septembre 1988 à juin 1990. À l’époque, Ardisson s’est fait connaître avec « Scoop à la Une », sur TF1 et « Bains de Minuit », sur la Cinq.

     

    « Si on vous donnait la tranche horaire des Enfants du Rock, qu’est-ce que vous feriez ? » Claude Contamine, alors directeur des programmes d’Antenne 2, n’attend pas longtemps la réponse à la question qu’il pose à Thierry Ardisson, convoqué dans son bureau. « Je ferais non pas une émission de rock, mais une émission rock, rétorque l’intéressé. Je parlerais non seulement de chanteurs, mais aussi d’écrivains, de peintres, de comédiens. Le rock est plus un état d’esprit et une culture qu’une musique. »

     

    Ardisson propose donc un magazine d’une heure 30, coproduit avec Catherine Barma, avec « 50 % de musique, 25 % d’interviews et 25 % de reportages », n’en déplaise aux amoureux du rock’n’roll, orphelins de leur émission. « Et comment vous l’appelleriez ? », interroge Contamine. En face, le jeune loup se souvient d’un slogan imaginé pour l’annonceur d’un journal « underground » où il travailla neuf ans plus tôt, dans le quartier des Halles. « J’avais trouvé un titre pour les Lunettes Glamor : lunettes noires pour nuits blanches » ; une des nombreuses griffes de l’ex-publicitaire, à qui l’on doit aussi les célèbres « Ovomaltine, c’est de la dynamite ! », « Vas-y Wasa ! » et « Lapeyre, y’en a pas deux ! ».

    « À partir de ce moment-là, ce qui était génial, c’est qu’on avait une liberté quasi totale », raconte Ardisson. Séquence nostalgie. En cette fin des années 80 souffle un vent de liberté qui touche tous les secteurs et presque tous les pays. En 1988, en URSS, Gorbatchev accélère les réformes qui vont aboutir, un an plus tard, à l’effondrement du rideau de fer soviétique, le mur de Berlin tombe, le dictateur roumain Nicolae Ceausescu est renversé, la France célèbre le bicentenaire de sa révolution.

    Dans l’air du temps, l’animateur invente un ton, sarcastique et provocateur. Antenne 2 veut une émission « branchée ». Lui déglingue les codes de l’interview, inquisiteur émoustilleur des intimités du show-biz. Une bouffée d’air frais salutaire, quand tous les autres animateurs font simplement de la promo. Son arme choc : l’interview-concept. Il y a en aura jusqu’à cinquante…

     

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    « À l’époque, on connaissait le questionnaire de Proust. C’était la seule interview formatée. Pourquoi toujours commencer par Bonjour, comment allez-vous ? ». Voici le « chouchou », « le jeu le plus naze de la télé », « l’antiportrait chinois » (« Si vous étiez une cicatrice », « Si vous étiez une catastrophe »), les « questions cons » (qui vont faire un tabac), le « blind test » (retrouver les titres de tubes), « l’auto-interview » (celle de Gainsbourg/Gainsbarre fait toujours le buzz sur la Toile aujourd’hui), sur fond de « Night Clubbing », musique du générique de l’émission signée Iggy Pop, au rythme de laquelle défilent les photos des invités « warholisés » ; portraits pop jaune, vert, rose et flanqués de lunettes noires.

    Le combat avec les invités-victimes semble pourtant douteux. L’émission ne se déroule pas en direct, et Ardisson a tout loisir de faire sauter au montage les dérapages incontrôlés. Celui-ci s’en défend. « Je n’ai jamais voulu faire l’émission en direct. Non pas par peur, mais parce que vous ne tenez pas les gens jusque tard dans la nuit si vous ne coupez pas les moments où on s’ennuie ». Aucune séquence n’a été censurée ? « Jamais, jure-t-il. Quand on dit montage, on pense souvent censure. C’est faux ! ». La censure vient d’ailleurs. « À un moment, il ne fallait pas inviter Jean-Edern Hallier parce qu’il avait écrit un pamphlet qui s’appelait « L’honneur perdu de François Mitterrand » », se souvient-il. Or, le président socialiste venait d’être réélu. « Il ne fallait pas non plus inviter maître Vergès parce qu’il avait défendu Klaus Barbie. C’était hallucinant ! Dieu sait si je hais Barbie, mais quand même ! »

     

    Les invités ne savaient pas à quelle sauce ils allaient être cuisinés. « Sauf Juppé, qui était alors secrétaire général du RPR », se souvient Ardisson qui s’exclame : « Il faisait l’auto-interview. C’est là que j’ai compris qu’il ne ferait jamais carrière. Il y avait une partie où moi je lui posais des questions. Et une autre où il chaussait les lunettes noires et où lui se posait les questions. C’était surréaliste ! Il n’y arrivait pas, jouait faux, jouait mal. Je me suis dit qu’il avait du souci à se faire, lui qui se lançait dans une carrière politique ! »

     

    L’enregistrement a lieu au Palace. La célèbre discothèque parisienne n’en est plus à ses heures de gloire, mais elle n’en reste pas moins l’endroit où il y a des mignonnes. Les langues s’y délient et les tabous explosent. Ardisson adopte un ton libertaire et libertin, parle sexe, drogue, « comme on en parle dans la vie ». Dès la première, le 17 septembre, il lance à Guesh Patti, qu’il tutoie : « Es-tu pour la légalisation de certaines herbes magiques ? » La chanteuse du hit « Etienne, Etienne », réplique : « Je trouve plus sympathique de l’avoir en douce ».

    La Marie-Jeanne, que l’animateur « ne considère pas comme une drogue », est omniprésente, du moins verbalement, chaque semaine. Mais quand Ardisson affirme que « la drogue, ce n’est pas de la merde », la ligne rouge est franchie. On n’est plus dans une transgression du langage. C’est du dérapage. Les Inconnus l’étrillent dans une parodie qui tourne toujours sur YouTube. L’époque est à une prise de conscience. 1988, c’est aussi l’année de la première conférence mondiale sur le sida.

     

    « L’époque autorisait certains débordements », jus­tifie le producteur qui assure avoir été « juste naturel ». Il plaide encore : « Je n’ai jamais fait la propagande de la cocaïne, moi qui ai eu tant de mal à m’en sortir. Je trouve toujours ridicule de dire que la drogue, c’est de la merde, car jamais personne ne va payer 120 sacs un gramme de merde. Partant de là, il faut aller au fond des choses pour expliquer pourquoi mieux vaut ne pas en prendre. »

     

    Deux mois après le lancement de l’émission, en 1988, deux millions de téléspectateurs sont au rendez-vous le samedi soir, souvent des night-clubbers qui attendent le générique de fin pour aller s’encanailler. Le succès vient aussi de la mise en scène. Ardisson arrive devant la discothèque en 404 coupée. En réalité, « elle était tirée par un camion spécial parce que je ne savais pas conduire ».

    Puis il y a l’ambiance, les volutes de fumée des clopes tirées comme si chacune était la cigarette du condamné, les rythmiques des clips (marque de fabrique des années 1980) qui montent à la tête, les verres d’alcool avalés comme autant de ponctuations, les figurants rasés, cloutés, badgés. « Il fallait donner tous les signes de la nuit, se souvient le producteur. Je procédais comme pour un film, en usant au maximum de l’illusion ».

    Ardisson a sabordé « Lunettes »… « Ma connerie est d’avoir annoncé dès le début la fin, pour juin 1990. Il fallait être fou ! Je ne voulais plus faire d’antenne ». Mais n’affiche aucun regret. Vingt ans après, les Dechavanne, Ruquier, de Caunes, Fogiel étaient-ils ses héritiers ? L’orgueilleux réfute ces ambitieux qui « ont tellement envie de faire de la télé », alors que lui, n’en voulant pas, pétrifié par le trac, aura gravi les marches du succès, simplement mû par le plaisir, interviewant en deux ans 800 stars, dans un esprit de pionnier.

     

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    Trente ans après la rencontre avec Gainsbourg, l’émission reste une référence dans la carrière d’Ardisson. Sur la Toile, les internautes commentent encore cette séquence durant laquelle l’animateur « parvient à faire sauter la carapace du fumeur de gitanes, dévoile un personnage attachant, tantôt pudique, tantôt outrancier, toujours libre ». L’auto-interview reste un moment d’anthologie. L’animateur, lui, se souvient ému de la genèse de cette « histoire » diffusée le 8 avril 1989.

     

    « Un jour, j’ai reçu un coup de fil de Philippe Lerichomme, qui était l’homme de confiance artistique de Gainsbourg. Serge veut faire une émission spéciale avec toi. Il veut que ce soit tourné l’après-midi. Moi, l’après-midi, je trouvais ça nul mais bon, je n’avais pas le choix. Avec Catherine Barma, on monte l’émission, on lui fait rencontrer Antoine Blondin, Béatrice Dalle et d’autres artistes qu’il voulait voir. Je n’en revenais pas. »

     

    Ardisson admire Gainsbourg… Il évoque avec gourmandise comment il a passé ses invités à la moulinette de l’interrogatoire. L’actrice au parfum de scandale, révélée quatre ans plus tôt dans « 37°2 le Matin », brille par son ennui. Gainsbarre ironise sur ses frasques en trinquant avec l’auteur des « Enfants du Bon Dieu », son complice « d’alcool et de commissariats ».

    Sur la scène du Palace, Étienne Daho chante « Heures Hindoues ». Gainsbourg taquine Bambou et parle, comme s’il n’avait pas le temps, de leur garçonnet, Lulu. On dirait une émission testamentaire. Ardisson se souvient : « À la fin de l’enregistrement, j’ai demandé à Lerichomme : Pourquoi est-ce que Gainsbourg m’a fait ce cadeau ? Et là, il m’a répondu : Gainsbourg rentre à l’hosto demain, il a une chance sur deux d’y rester et il a voulu faire sa dernière télé avec toi. J’étais pratiquement en larmes ».

     

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    Interview de Thierry Ardisson publié dans Le Figaro Culture le 17.08.2009