Catégorie : By Hubert

  • La Trottinette by Hubert

     

     

    Dans la série désormais célèbre « Hubert a des P*bip*ains de problèmes dans la vie », aujourd’hui : La Trottinette.

     

    Je trottine, tu trottines… Nous trottinons… Ils trottinette(nt)…

    C’est en 1916 qu’un brevet est déposé par un inventeur américain du nom d’Arthur Hugo Cecil Gibson, que le constructeur allemand Krupp reprendra à son compte pour produire cet engin en version motorisée de 1919 à 1922. En 1967, Roland Puisset réalise les premières esquisses de ce qui deviendra quarante ans plus tard la trottinette électrique.

    Voilà pour l’histoire…

     

     

     

    Ce petit bidule à roulettes, donc, jusqu’à un présent aléatoire, a toujours été l’apanage des enfants (de 3 à 11 ans… 12… Allez, 13, mais n’y revenez pas…). Avec cette technique consistant à déambuler en se servant du pied pour s’élancer et se propulser sur quelques mètres, l’enfant avait son propre moyen de locomotion, sa manière à lui de signifier à ses parents une certaine autonomie.

    La trottinette ou un bon compromis, avant de passer à la bicyclette, puis au Solex et un jour à la voiture, ultime symbole de liberté mais aussi de fierté masculine… Un phallus à moteur, en quelque sorte.

     

    Mais alors, qu’est-il arrivé, au juste ? Comment est-on parti de la voiture, de la moto ou du vélo, pour se rabougrir à ce point et finir par s’enticher de ce moyen de locomotion aussi désuet que tartignole ?

     

    Sans l’ombre d’un doute, sans un quelconque questionnement philosophique (être ou ne pas être naze…), l’homo Erectus de nos grandes cités, débarrassé de toute dignité et de toutes valeurs intrinsèques, a opté pour le ridicule qui ne tue pas… mais qui ridiculise, en fait.

    Il est cependant vrai que cette atrophie subite du bulbe rachidien se remarque surtout dans les grandes villes. A la campagne, par exemple, on ne verra jamais un cultivateur se rendre à son champ ou à sa grange le matin au chant du coq avec cette, ce… truc… non, non.

    L’émergence (voire le tsunami…) de cette planche à roulettes munie d’un guidon tient aussi sûrement de la boboïsation manifeste (autre grand fléau de nos société occidentales) de nos us et coutumes, avec comme maître-mot de toujours paraître « coooool », « sympaaaaaa » et hyper, super, hyper… Super… Sup… Tout ça, quoi…

    C’est avec les prises de conscience actuelles, de l’écologie au pain au chocolat plutôt que la Chocolatine, en passant par Netflix ou le smoothie, tout cela mélangé au blender chauffant dans les cerveaux de tous ces métro-sexuels barbus en veste trop courte Zadig et Voltaire ou Sandro, et spécialistes en professions liées au digital, que la décision fût prise.

    Voyez-les passer sous votre nez partout dans la rue, sur les pistes cyclables ou autres trottoirs, droits comme des I, fiers comme Artaban, le regard hiératique chaussé de lunettes Tom Ford… Contemplez-les ainsi dans leurs vies, vaquer à leurs activités quotidiennes, toujours entre deux rendez-vous.

    C’est là qu’une petite voix intérieure me chuchote : « napalm, cocktail Molotov, grenade à fragmentation ou juste quelques petites billes… ? ». Non, je dois prendre sur moi et remballer mes pulsions homicides fatwaïesques…

    Aujourd’hui, donc, la trottinette est devenue électrique. Elle se loue, même. Une démocratisation de l’ineptie, comme un besoin collectif de se sentir moins con, puisque tout le monde le fait.

    Vivement l’évolution ultime de ce moyen de transport, avec comme prochaine étape la trottinette collective… Euh… En fait, la brouette… mais électrique.

    Et vous n’êtes pas obligés de me croire…

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

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    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : Photographe dévoreur d’images

     

     

     

  • Et si le sac à main se portait sur la tête ?

     

     

    Dans la série « Hubert a de gros gros problèmes dans la vie », aujourd’hui une question fondamentale est posée : « Et si le sac à main se portait sur la tête ? »

     

    C’est un phénomène culturel et comportemental qui existe depuis l’invention de cet accessoire de maroquinerie, destiné en théorie à la gente féminine. On a tout de suite en tête les années 50-60, avec ces femmes coquettes, façon Mad Men, ou bien ces héroïnes hitchcockiennes qui exhibaient des micro-sacs munis de anses, accrochés à l’avant-bras légèrement infléchi, avec à son extrémité, la main tenant nonchalamment une paire de gants. Ce maintien relevait toute la silhouette, avec la robe coordonnée et le chapeau inclus. C’était structuré, géométrique, sophistiqué, imparable. Autant d’images caractéristiques et surannées que l’on se plaît toujours à revoir aujourd’hui, dans tout ce qui exploite cette époque.

    Depuis quelque temps, soit un demi-siècle plus tard, cette manière désuète de tenir un sac à main que j’appellerais donc pour l’occasion, « Le Porté Main », a refait son apparition. Stupeur et surprise générale. Oui, quoi, pourquoi, comment, pardon, qui ? Nostalgie d’une époque ultra-codifiée, quand la différence entre les femmes et les hommes était donc surlignée à tout point de vue, mimétisme temporel singé ou bêtement réévalué ? Il se trouve que ce qui était anodin, standard dans ces années-là pour les femmes citadines, est réinterprété de nos jours en toute désinvolture, et ce, malgré toute cette eau qui entre-temps a coulé sous nos ponts.

    Je parle de la femme émancipée de cette fin des années soixante, puis de la femme qui avorte, de celle qui prend la pilule, qui travaille, qui vote, de la femme qui divorce et qui n’a donc plus besoin de ce colifichet, ne pouvant contenir de toute façon qu’un tube de rouge à lèvres, un fard à paupière et un micro porte-monnaie. Pour tous ces féministes courroucés, l’objet incriminé est le symbole abject de l’avilissement, de la stigmatisation et l’enfermement de la femme dans le rôle d’une potiche guindée.

    Ce même objet qui pour certains autres messieurs aussi est à jamais indissociable de la femme. Cette femme, qu’ils idéalisent en la conceptualisant jusqu’à l’abstraction, l’alignant parmi d’autres mots clefs de leur propre moteur de recherche. Séduction, coiffure, sein, escarpin, jambe, rouge à lèvres, blonde… Analogie suggestive, fantasmée et fétichiste. Vision définitive de ce que doit être une femme… Ou leur maman ?

    Relayé pendant trois décennies à l’usage exclusif des grand-mères ou de Madame de Fontenay, le sac à main redevient d’un seul coup furieusement tendance courant 2000. Un ou deux panneaux publicitaires plus tard, il suffira d’une happy few aperçue dans la rue avec, pendouillant à son bras, l’un de ces articles de la marque OhLaLaCéboCécher, ainsi qu’un affolement général dans toutes les rédactions des magazines de mode, et Hop La ! Le rouleau compresseur de la fatalité se met en marche. Ce qui est d’abord un désir, une envie, devient caprice puis se change en nécessité, en obligation et enfin, le stade ultime de la névrose, l’obsession morbide, un but dans la vie. Si la Rolex pour le mâle était le signe incontestable de sa réussite (avec gros pénis en option), le sac griffé inabordable en serait l’équivalent pour la femme.

    Mais revenons sur l’attitude et la façon de tenir le dit objet. Mal arboré, cela peut s’avérer désastreux pour celles ou ceux qui tenteraient d’en faire une attitude chic. Premier problème de taille, avec le temps, les sacs à main se sont agrandis tandis que les cerveaux, eux, rétrécissaient. On peut donc à loisir croiser dans les rues des jeunes filles qui semblent s’être jetées avidement sur ce qu’elles ont cru être la nouvelle tendance ou le comble du swagg, sans réfléchir au préalable au le sens même d’une telle démarche.

    Dès que toutes celles qui ont obtenu une longueur de cheveux suffisante et assimilé après un long travail de recherche devant leur miroir les mouvements adéquats pour faire vivre leur double capillaire… ou d’autres encore qui ont appris le maintien, l’élégance et la sobriété en regardant studieusement à la télévision Les Anges Ch’tis de Marseille à Miami, peuvent donc déjà passer à un stade supérieur et s’exercer avec n’importe quel genre de placébo, qu’il soit en plastique, en toile ou autre, petit ou démesuré, en attendant d’avoir un vrai. Elle le laissent ainsi pendre à l’avant-bras toujours infléchi, et à la place de la paire de gants dans la main, désormais, un smartphone dans sa coque protectrice aux mille couleurs de l’arc en ciel.

    Notre époque en est rendue à un tel niveau d’absurdité en tout genre et d’ignorance crasse que sur ce seul exemple du sac à main, il est aisé, par exemple, de voir une jeune fille en survêtement qui, à défaut de posséder un de ces coûteux sacs, n’en exploite que le maintien avec un simple sac en plastique rempli des achats effectués dans un magasin. En province, on dit poche : « je peux avoir une poche pour mettre mes courses, s’il vous plait ?! »… Y en a qui disent aussi pochon… Oui, c’est comme chocolatine, là… Mais bon…

    Cette caricature involontaire où l’on joue à la « madame » a pourtant un avantage évident, celui de muscler le long supinateur, biceps et triceps, avec au bout d’un mois, comme résultat, un bras hypertrophié… (cocasserie). Alors, forcément, à un moment donné, ce phénomène exponentiel va dépasser le cadre fillette-fifille-dadame pour se retrouver aussi chez certains jeunes hommes (oh), envieux sans doute de cette exclusivité féminine. Et là, l’ineptie monte encore d’un cran. Allez, deux…

    Avec le petit Trench ceinturé jusqu’à l’asphyxie, le cheveu court plaqué sur le côté, la silhouette slimmy, les joues creusées et la démarche rapide et saccadée de celui qui n’a pas que cela à faire dans la vie, tous ces vendeurs de grandes enseignes ou de boutiques de luxe, qui ont dégoté tous ces gros sacs en cuir de marque pour une bouchée de pain à des soldes presse ou à des ventes privées, arborent donc leur Prada, Gucci et autres Tom Ford au bout du bras en équerre, abolissant ainsi tout critère de jugement et définitivement toute limite.

    Mais non, il y a sûrement une autre explication, une vérité plus terrible encore. Peut-être qu’ils ne peuvent pas faire autrement parce qu’on les y a tout bonnement obligé. Qui ? Eh bien ces malfaisants qui retiennent leur mère en otage, avec comme seule condition pour leur remise en liberté l’obligation de porter dans la rue, à la vue de tous et de sotte façon, un gros sac à main encombrant, sachant que s’ils ne coopèrent pas, les mamans seront torturées, violées puis exécutées de la pire manière (l’ordre de cette horrible description peut être bien entendu inversé).

    Petit rappel sur l’évolution de l’aspect de cet ustensile sur trois décennies, ainsi que son déplacement géographique sur le corps de son ou sa propriétaire. Tout d’abord, les années 80, avec le sac à dos qui comme son nom l’indique, se positionne… Et oui sur le dos. Dans les années 90, il va se porter en bandoulière et migre alors sur le devant du corps ou sur le côté. Il est communément appelé DJ Bag dans le Marais (à Paris) et Besace (à Saint-Cloud)… Pouvions-nous imaginer que dans les années 2000, ce sac finirait son périple anatomique pendu de manière aussi saugrenue au bout des avant-bras ? « NOOOOON !!! » (foule en colère ralliée à ma cause). Quoi qu’il en soit, on sait maintenant que le ridicule ne tue pas, car si c’était vrai, cela ferait belle lurette que la terre serait devenue un vaste désert.

    Il resterait bien une dernière possibilité pour porter son cabas, sa gibecière, son bagage, son sacotin ou que sais-je encore… Mais je ne suis pas sûr de pouvoir le dire. Allez d’accord, si vous insistez… Là, maintenant, en avant-première, pour peut-être une prochaine mouvance, une nouvelle attitude cool à adopter, une façon, « La Façon » qui ferait que, Ah oui, c’est ça ! Le porter… sur la tête ! Bah, c’est une technique que j’ai en fait chipée à ces femmes ou à ces hommes qui dans certains pays du monde transportent de l’eau ou des choses lourdes ainsi. Un moyen traditionnel, immuable et efficace qui offre paradoxalement à celle ou celui qui l’utilise, une silhouette particulière, une allure altière et gracieuse.

    Imaginez ce spectacle dans les rues de nos villes, femmes et hommes avec leurs vies sur la tête, leurs nécessités, leur but. Et enfin, l’élégance…

     

     

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  • Gourmand Croquant

     

     

    Dans la série « Hubert a des putains de problèmes dans la vie… »

     

    Aujourd’hui, penchons-nous sur ces deux nouvelles expressions qui désormais encombrent sans cesse le champ lexical restreint de bon nombre de nos contemporains. S’ils s’expriment dans la langue de Molière, bien-sûr… Deux expressions qui d’ailleurs, au passage, ne peuvent pas trouver leur équivalent dans une autre langue, puisqu’elles ne sont absolument pas françaises. Tel est le contexte dans lequel elles sont généralement formulées. Ajoutons à cela le fait qu’elles ne veulent rien dire du tout, et ne font finalement que souligner une certaine vacuité, un manque total de personnalité de la part de celles et ceux qui s’expriment de la sorte.

    Ces deux sottes expressions sont donc :

    A – être sur quelque chose…

    et

    B – partir sur…

     

    Exemple…

    Dans un contexte défini, ça peut donner : « Alors là, on est sur une vraie bonne nouvelle… »

    et

    « Alors là, on peut partir sur un gris chiné… »

     

    Ces deux niaises formulations sont ainsi refourguées à toutes les sauces, sur tout et n’importe quoi. Ceux qui les emploient souhaitent sûrement donner une intention précise, presque technique, souligner un fait, une évidence qu’on ne pourra plus jamais remettre en cause après.

    On avait commencé à entendre ces deux crétines articulations syntaxiques tout d’abord dans des émissions culinaires. Vous savez, ces émissions où l’on voit des gens habillés en cuisinier hyper anxieux, en train de découper une tomate avec leur visage à un centimètre du légume de la famille des solanacées, avec cette précision que seuls possèdent les chirurgiens de l’œil.

    Et là, en commentaire annexe à la démonstration, le chirurgien oculaire, qui se trouve être en l’espèce découpeur de tomates en rondelles, balance avec un sérieux pédagogique et une prestance d’universitaire : « On va partir sur une déclinaison de tomate mozzarella avec du gourmand, du croquant… ». Et pour finir, en conclusion de sa démonstration dingue : « Et là, on est vraiment sur une note fraiche et estivale… Et ça, ça fait du bieng… »

    Vous noterez qu’au passage, quelques autres mots assez insupportables en ont profité pour se glisser dans ces saillies photocopiées et crispantes.

    Gourmand

    Croquant

    Cette expression immonde, « Et ça, ça fait du bien », ayant supplanté une autre plus usitée au début des années 2000, prononcée partout dans les émissions de télé, sur les radios, et tout aussi ignoble : « C’est que du bonheur ! ». Si vous entendez encore aujourd’hui, en 2017, quelqu’un dire dans votre entourage, au travail, dans le métro, dans les WC, « C’est que du bonheur ! », alors vous avez le droit de le gifler.

    Pour revenir précisément à :

    A – Partir sur…

    et

    B – On est sur…

    Des serveurs zélés mais définitivement cons se sentent aujourd’hui obligés, pensant que c’est le comble du chic, de la classe ou du swag, de prononcer à tour de bras le A et le B en toute désinvolture à la façon de Lord Brett Sinclair. Ils peuvent tout à fait vous les balancer si vous leur demandez un conseil sur le vin : « Alors là, on est sur une note de fruit rouge avec un peu d’épice »…

    C’est à dire qu’on y est vraiment, là. On est dans le fruit avec le serveur. On est là avec lui et qu’est ce que c’est beau, putain ! C’est beau un fruit dedans, en fait.

    Peut-être un conseil sur la blanquette ? « Si je puis me permettre, vous pourriez plutôt partir sur le plat du jour »… Oui, on part avec le serveur vers le plat du jour, la main dans la main. On part, c’est chouette, c’est chaud. Le plat du jour comme un couché de soleil.

    Mais ne blâmons pas trop nos amis de la restauration, car dans le milieu de la viennoiserie, de la parfumerie, de la banque même, on n’est pas non plus en reste : « Bon ben là, on est sur un vrai beau découvert et on va partir sur une belle interdiction bancaire ». Vous noterez d’ailleurs que le banquier a quant à lui fait une doublette, soit les deux expressions dans une même phrase et ça, ça n’a pas de prix.

    Merci qui ?

     

     

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  • Os & Vanité

     

     

    Notre fin de civilisation n’en est pas à un paradoxe près…

     

    Une société où plus personne n’est censé mourir de faim, où l’abondance et la diversité des aliments se trouvent même jusque dans les containers à ordure des grandes surfaces qui préfèrent jeter que de redistribuer (mais ça c’est un autre débat).

    Pourtant, il existe une religion, avec ses croyances et ses pratiques radicales, qui n’est pas le salafisme ou une de ces doctrines orthodoxes monothéistes connues. Il s’agit de ce royaume étrange de la mode et de ses sortilèges.

    Un monde parallèle fait de luxe, d’exception et de beauté, qui de petits ateliers et de salons cramoisis pour belles bourgeoises d’avant-guerre, se mua décennie après décennie en un concept commercial qui finalement réussit à se fondre dans notre vie de tous les jours.

    Des Saint Laurent, des Courrèges, des Cardin, ont voulu démocratiser les belles étoffes et les finitions savantes pour vendre plus mais surtout faire de la couture un produit de pop culture, accessible… Cette révolution, d’abord noble et candide, engendra des monstres que sont aujourd’hui les H&M et autres Zara. Les petites structures artisanales d’antan qui faisaient travailler des couturières émérites ne sont plus.

    Les grands groupes textiles ont piétiné les valeurs de la confection et du savoir-faire pour embrasser la mondialisation en se nourrissant tel l’ogre de petits enfants, chair à canon, pour gagner sans panache cette guerre globale de l’anéantissement des valeurs morales et humanistes.

    Cyniques ou aveugles, nous acceptons sans broncher, heureux d’acquérir ces vêtements ersatz à moindre frais, en prenant soin de ne pas penser aux petits bras s’attelant à la tâche à l’autre bout du monde en échange d’un salaire de misère… Et c’est sans compter ces artificiers que sont les publicitaires et les départements marketing pour rediriger la foule anonyme vers de nouveaux besoins. Mais là encore, c’est toujours un autre débat.

    Il aura fallu certes du temps mais nous y sommes, en plein dedans. Ce fameux futur Orwelien où tout est devenu slogans, tels des litanies martelées à longueur de journée et reprises en cœur par toutes celles et ceux qui ont le pouvoir de les relayer. Au cinéma, à la télévision, dans la presse et les magazines.

    Ce monde hermétique rempli de falbalas, devenu finalement le dieu suprême à vénérer, avec ses rituels, ses obédiences et ses fidèles. Ce monde devenu triste mais où on nous oblige à être beaux, souriants, légers, en commençant par tous ceux qui deviennent célèbres et riches et qui doivent impérativement être sûrs d’eux, drôles, attrayants et minces, oui minces, toujours plus minces, en rêvant à l’épaisseur d’une feuille de papier comme but ultime à atteindre.

    Cette idée de la minceur comme une victoire sur la vie ou une revanche sur toutes nos frustrations existentielles mutées en obsessions quasi journalières, où l’on préfère désormais porter un pantalon en taille 32 que de se nourrir convenablement. Arborer une silhouette osseuse, famélique, flottant dans une veste XS avec une pomme et un bouillon comme seul repas de la journée.

    Cette fixation sur la maigreur, après avoir supplanté celle de la minceur, est vécue donc comme une normalité, soit une règle absolue, aussi bien pour les femmes que pour les hommes, et maintenant même pour les enfants. Pour vous en convaincre, les mannequins hommes vus dans les derniers défilés Vuitton, Balenciaga ou Rick Owens, arboraient des visages crayeux, les yeux fiévreux, les pommettes du visage comme des lames.

    On se souvient aussi de la silhouette osseuse et blanche de David Bowie dans le film « L’Homme Qui Venait D’ailleurs », période albums « Station To Station », « Low » et « Heroes », quand une abondance de cocaïne le faisait ressembler à un grand cadavre exsangue.

    Regardez-les, tous ces cintres mouvants sur les podiums comme dans la rue, qu’un simple courant d’air peut balayer de la surface de la terre. Voici donc cette image démultipliée qui représente si bien cet univers qui prend tous les jours un peu plus des couleurs de fin du monde, absurde, violent, grotesque et dément.

    … Et ces êtres décharnés si bien habillés, superposant la hype et les tendances, qui se frôlent dans la rue avec d’autres êtres devenus quant à eux obèses et monstrueux, à force d’ingérer toutes les heures de la journées du gras et du sucre. Spectacle de « Freaks » que n’aurait pas renié Tod Browning.

    Cette anorexie collective triomphante s’invite jusque dans les restaurants des grands chefs où il est formidable de dépenser une fortune pour se faire servir des assiettes immenses et vides, où l’aliment lui-même est remplacé par des formulations pompeuses déclamées par des maîtres d’hôtel taillés comme des épingles et qui vous regardent sournoisement si vous avez le malheur de demander si le plat choisi est copieux.

    Quand on sait que le premier à avoir exigé cette maigreur chez les modèles hommes ou femmes s’appelle Hedi Slimane, lui-même physiquement étranger au concept de nourriture. Relançant la mode du « Slim », cette silhouette post Punk-Rock de la fin 70 et du début 80, lorsque beaucoup des figures populaires ou underground de cette époque naviguaient toutes entre Héroïne et Cocaïne, avec à la clé une fin prématurée.

    Cette vision romantique mais morbide d’une époque ou d’un courant musical qui est devenue avec tous ces directeurs artistiques, à commencer par celui de la marque Saint Laurent, une norme standard. Karl Lagerfeld a succombé également à ce chant des sirènes pour se transformer en une poupée effrayante tout droit sortie d’un épisode des « Sentinelles De L’Air ».

    Pas un vêtement acheté dans la grande distribution qui désormais ne sera pas « Slimy », ou soit veste étroite, chemise resserrée à la taille et pantalon tube. Les ventres et les bourrelets sont donc cruellement recalés. Régime et sport sont devenus obligatoires pour chacun d’entre nous, si nous ne tenons pas à encaisser chaque jour de petites phrases assassines, ou même de simples regards accusateurs sur nos parties de corps incriminées.

    On se croirait vivre sur une terre, à l’instar du film « Body Snatchers », où nos différences risquent de se retourner contre nous à tout moment et où il serait tellement plus simple de devenir comme tous les autres, dans une uniformisation confortable et sereine, ces autres qui s’échangent un petit sourire et un mouvement de tête entendu lorsqu’ils se croisent.

    La tyrannie du beau, du mince, du maigre, du lustré, du sans poil, instaurée par tous ces gens qui gravitent dans un univers où on ne vit décidément pas comme le tout un chacun.

    Des moutons de Panurge, des veaux, c’est ce qui définit le reste d’une société anxieuse de pouvoir devenir aussi comme l’un de ces mannequins de 16 ans vu dans une revue, ou même encore pouvoir ressembler à un acteur de cinéma qui pour les besoins d’un film doit perdre 15 kilos en deux semaines et voir son corps devenir hyper musclé à grand coup de stéroïdes, d’injections et d’endoctrinement coachisé 24 heures sur 24.

    Ceci n’est pas la réalité. Ceci n’est pas réel. Pourtant, comme un pied qui ferait du 44 et qui à l’aide d’un chausse-pied voudrait absolument rentrer dans une ballerine en 38, nous sommes obnubilés par ces silhouettes filiformes qui nous entourent, dans un cauchemar qui a déjà commencé.

    Autrefois, les femmes plus girondes portaient des corsets, puis plus tard des gaines pour affiner la taille. Aujourd’hui, pour paraître aussi plates que des limandes, les plus riches se font enlever des côtes, liposucer… On transforme son corps, on le modifie, on le travestit, on le profane à la gloire de cette déité païenne. Des romanciers comme J.G. Ballard avaient vu juste sur le devenir de l’être humain.

    Quant à nos rêves de voyage dans les étoiles, il est peu probable que cela nous soit permis un jour, tant toutes nos pensées sont réduites, recroquevillées sur l’inconséquente et insignifiante petite enveloppe qui nous sert de corps. Cette science fiction qui nous faisait tellement rêver enfant est réduite à bien peu de chose…

    Sous tous ces prétextes fallacieux du « bien vivre », du « saint, équilibré, léger », à grand renfort d’écrans, de caméras et d’objectifs nous scrutant en boucle, de montres au poignet qui contrôlent, surveillent tous nos faits et gestes, le nombre de marches montées et les calories perdues, nous perdons à vitesse grand V tout ce qui restait d’humanité en nous. De trop nous regarder dans ces miroirs magiques pour nous rassurer sans arrêt quant à la perfection de notre dentition blanche et parfaite, nos muscles si bien dessinés, notre coupe de cheveux si réussie, nous devenons aussi lisses que ces surfaces réfléchissantes, aussi transparents qu’une vitre, aussi vides qu’un courant d’air. Oui, nous disparaissons ainsi de la surface de la terre. Nous nous effaçons.

    Et il ne reste que des os et de la vanité…

     

     

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    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Dévoreur Hubertouzot

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : Photographe dévoreur d’images

     

     

  • Hubert Touzot : Photographe dévoreur d’images

    Hubert Touzot : Photographe dévoreur d’images

     

     

    Hubert Touzot aime raconter des histoires. A 46 ans, il a déjà un parcours bien rempli : il y a eu la bande dessinée, l’écriture de scénarii, de poésies et même la scène. Aujourd’hui, c’est avec la lumière qu’il souhaite écrire la suite de l’aventure en se consacrant à la photographie.

     

    Instant City a souhaité lui poser quelques questions afin de mieux connaître l’artiste et son travail.

    Sur sa page facebook, Hubert Touzot se présente comme un « Photographe dévoreur ». 

     

    IC : Pourquoi « Dévoreur » ?

    C’était à la base le nom que j’avais trouvé pour une série de photos à la thématique évoquant l’Afrique mystérieuse, ses esprits ancestraux et la magie des corps. « Dévoreur » m’était venu un peu comme ça. Plus tard, c’est en songeant à la manière dont j’allais signer mes photos que j’ai pensé à mettre un pseudo à l’évocation intrigante plutôt que de mettre mon vrai nom dont personne ne se souviendrait. Il m’a semblé que ce pseudo étrange serait plus efficace pour s’en rappeler. J’aime bien aussi l’analogie entre l’univers de mes photos assez « corsetées » et ce qu’inspire le mot « Dévoreur » où l’on pense à un monstre, un croque-mitaine, quelque chose qui vient vous faire peur la nuit.

    La photographie est vite devenue pour Hubert Touzot, alias « Dévoreur », une passion. « C’était devenu pour moi une évidence ». Mais ce qui l’intéresse, c’est davantage les possibilités qu’elle offre en tant qu’art qu’en tant que technique. Elle est un moyen d’expression et de partage d’idées. « Ce qui m’intéresse, c’est de mettre en forme ce qui me trotte dans la tête ».

     

    IC : Qu’est-ce pour vous, « une excellente photo » ?  

    Comme une chanson, une pièce musicale, un film, un poème, une peinture, c’est l’émotion qui s’en dégage. Quelque chose en vous qui remonte du passé ou d’ailleurs, quelque chose qui va vous envelopper, vous étreindre et ne plus vous lâcher, vous obséder, quelque chose que vous avez l’impression au fond de connaître.

    Trois photographes ont marqué son parcours : Joël-Peter Witkin, Robert Mapplethorpe et Sebastião Salgado « Parce qu’ils essaient de rendre sacré ce qu’ils photographient » : la mort ou la guerre, la souffrance, la douleur, la jouissance, la beauté sombre du monde.

     

    IC : Quelle est votre quête en tant que photographe ? 

    Je recherche la beauté en n’ayant jamais peur de pousser parfois les choses jusqu’au seuil du ridicule ou du pompeux. Essayer de toucher la pureté dans un geste, un regard, cela peut parfois prêter à sourire, surtout aujourd’hui.

     

    IC : Quelle est votre photographie fétiche ? (parmi les vôtres)

    C’est peut être celle de la série « Baobab ». Ce n’est d’ailleurs presque plus une photo tellement je l’ai saturée. L’ensemble est pratiquement noir avec un baobab au centre qui se découpe sur ce qui semble être un incendie tout autour et un éclair rougeoyant à droite comme sorti du sol.

     

    IC : Donnez-vous des noms à vos albums (vos séries), des titres à vos photos ?

    Pour les séries oui, toujours des noms comme les histoires, les films, les chansons… Parce que lorsque je me lance dans une nouvelle direction, il y a une thématique. C’est toujours un projet. Les choses se font naturellement sans se forcer. Une histoire va surgir d’après une idée. Il va y avoir un fil conducteur. Je ne fais jamais une photo isolée. D’autres suivront toujours.

    Plusieurs séries sont à découvrir sur sa page facebook. Parfois il s’agit de commandes comme l’album « Haute Couture », réalisé pour un ami couturier Benois Pons ou  les séries « Bassirou’s Tricks »  et « Sa Majesté », qui sont des books pour des mannequins. Parfois il s’agit d’une balade champêtre : « Je pars de la ville monochrome pour m’abandonner dans une nature élégiaque. Cette nature où lorsque l’on prend le temps de bien regarder, on peut peut-être croiser un faune ou une licorne ». Certains albums sont plus politiques, comme « Tourisme » et « Tourisme 2 », qui évoquent l’immigration et les pays du sud, ou la série « Noé Noé » qui délivre un message écologique à travers des animaux figés, non pas par le photographe, mais par le taxidermiste. Il y est également question d’usines chimiques et autres ensembles industriels.

    Dans l’album « Giallo », qui signifie « jaune » en italien, Hubert Touzot fait référence au style littéraire devenu également un courant cinématographique transalpin (Dario Argento) très à la mode dans les années 60 et 70, aussi surnommé « L’horreur à l’italienne ». Il s’agissait de mettre en scène l’assassinat tout à la fois sadique et sophistiqué de magnifiques jeunes femmes dans des appartements luxueux. « J’ai composé une sorte de roman-photo hommage. Cette série peut d’ailleurs être vue en clip sur Youtube ».

     

    IC : Présentez-nous l’album « Belial » :

    J’ai souhaité utiliser des vitraux d’église en occultant leur dimension première et pourquoi ils ont été réalisés. J’ai souhaité les assimiler à de pures représentations esthétiques, graphiques, grâce à l’association de photos de portraits qui n’ont strictement rien a voir avec le sacré. Désacraliser les idoles et sacraliser le commun.

    Le thème prédominant parmi tous ces albums reste ce qu’Hubert Touzot nomme « la négritude ». Celle-ci tient une place prédominante dans sa vie affective et artistique.

     

    IC : Présentez-nous l’album « Noir de Lumière » :

    Noir de Lumière… Tout est dit dans le titre. La négritude à travers des siècles d’histoire avec tous les clichés ainsi véhiculés. La confrontation entre l’homme blanc dit occidental, sa culture, sa civilisation et le plus vieux continent du monde, le berceau de l’humanité. Toujours avec cette passerelle très mince entre la poésie et l’image. Comme avec des vers ou des métaphores, je suis adepte des ruptures, des cassures, des changements de tons brusques et bien-sûr des oxymores. photos, poésie, même combat. L’homme noir est pour moi un sujet inépuisable. C’est un peu une obsession, une sorte de malédiction qui revient sans cesse car il y a quelque chose en moi que je trimballe depuis des années, comme une sorte de résonance qui viendrait de vies antérieures si l’on se raccrochait aux lois karmiques.

     

    IC : Est-ce vous qui choisissez la mise en scène de vos photos (costumes, maquillage) ?

    En effet, j’aime tout contrôler, du maquillage à la coiffure, les décors, les costumes, tout. Pour certaines séries qui sont des commandes, je me fais aider par un maquilleur professionnel et j’ai la chance d’avoir un ami couturier-styliste, Benois Pons, qui peut m’aider le cas échéant pour l’habillage, me fournir des vêtements et aussi me donner des idées lors du shooting. C’est assez difficile d’arriver à se concentrer sur le sujet, la photo, la lumière et en même temps sur le maquillage, la coiffure, le décor, les accessoires. C’est pour cela qu’une séance photo réussie, c’est avant tout en amont de la préparation. Tout doit être noté, pensé afin que le jour J, la séance ne soit plus que pur amusement et joie.

     

    IC : Plutôt couleur que Noir et Blanc, semble-t-il. La couleur apporte un élément visuel supplémentaire ? (série : un soleil jaune, une veste jaune)

    Cela dépend à quel temps vous souhaitez conjuguer votre photo. Pour ma part le N&B renvoie au passé et à la nostalgie. Le N&B est comme un filtre qui va d’abord flatter ce que vous avez photographié, le figer dans une petite solennité. Ensuite la démarche artistique, le processus créatif, seraient complètement différents qu’avec la couleur.

    Je préfère de toute façon la couleur pour son aspect graphique et frontal. Je fonctionne beaucoup plus comme un peintre qu’un réel photographe, avec le principe des aplats de couleur et en me moquant de la profondeur de champ, du relief, des ombres, etc, tout ce dont on doit tenir compte en principe dans la photo et qui plus est pour le N&B. J’aime beaucoup le principe de l’iconographie.

    Etant autodidacte, j’apprends au fur et à mesure. Ce sont souvent des peintres, d’ailleurs, qui m’ont influencé, plus que des photographes, de par la façon dont je compose mes cadres et les zones de couleurs. Klimt et Bacon pour ne pas les citer sont toujours là quelque part.

     

    IC : J’ai remarqué que vous aimiez bien mettre deux images en parallèle.

    Oui, les diptyques côte à côte ou haut et bas à la verticale et plus récemment depuis un an avec deux images superposées. J’utilise tout ce qu’il m’est possible de faire pour arriver à ce que j’ai dans la tête. Le fait également de travailler à l’intuition, sans argent ni moyens confortables, m’aide sans doute à toujours pousser plus loin les expériences. Parfois c’est loupé, parfois c’est encourageant pour la suite.

     

    Pour la rentrée, Hubert Touzot planchera sur une nouvelle série de photographies sur le thème « Le revival esthétique des années 80 ». A suivre donc…

     

     

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

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