Auteur/autrice : Instant-Chris

  • 1979, l’année qui changea le monde, Episode 11 : Breakfast In America

     

    [kleo_pin type= »circle » left= »yes » right= » » top= » » bottom= » »]          « FOCUS » : un article de fond sur un thème que nos rédacteurs ont sélectionné.

     

     

    L’année 1979 est définitivement une année-charnière, comme la fin d’un cycle. Elle scelle le sort des dernières utopies. Le monde prend une pelle et enterre à la hâte les cadavres encore fumants de nos illusions perdues. Après 1979, rien ne sera plus vraiment comme avant…

     

    Coincée à la fin d’une décennie qui paraît un peu creuse, durant laquelle les dirigeants politiques semblent manquer de charisme (le pâle Carter face au cowboy médiatique Reagan, VGE après De Gaulle et Pompidou), l’année 1979 n’attire décidément pas les flashes. Et pourtant… Que d’événements considérables ont eu lieu cette année-là, autant de tremblements qui ont marqué la face du monde et dont on ressent encore les répliques quarante ans plus tard.

    Révolution iranienne, arrivée de Saddam Hussein au pouvoir en Irak, début de la Guerre d’Afghanistan qui mènera à la chute de l’URSS et à l’apparition du terrorisme islamiste, second choc pétrolier et crise économique mondiale, paix entre Israël et l’Egypte, fin des Khmers Rouges… Il n’est pas insensé de penser que 1979 a en réalité été l’année la plus importante de l’après-Seconde Guerre Mondiale.

     

    Le morceau « Breakfast in America » du groupe anglais Supertramp a donné son nom à un album mythique, sorti il y a 40 ans, le 29 mars 1979. Retour sur un succès international et une pochette controversée.

     

    Ce sixième opus de Supertramp est également l’album qui fera entrer le groupe anglais, formé dix ans plus tôt, dans la légende. « Breakfast in America » s’est en effet vendu depuis sa sortie en 1979 à plus de 20 millions d’exemplaires et a reçu deux Emmy Awards. C’est d’autre part le 4ème album le plus vendu en France de tous les temps, après ceux de Céline Dion, Francis Cabrel et Michael Jackson.

    En 1979, le disco a investi toutes les pistes de danse de la planète, mais Supertramp va venir jouer les trouble-fêtes avec son album « Breakfast in America », qui se hisse au sommet des charts et s’y maintiendra durant plusieurs semaines, aux Etats-Unis, en France ou encore en Allemagne. Dans d’autres pays, on lui a préféré cette année-là le disco de « Y.M.C.A. ». Etrange, d’autant que de Village People, nous n’aurons finalement vraiment retenu que ce titre. Alors que « Breakfast in America », hormis le titre éponyme, c’est aussi « The Logical Song », « Goodbye Stranger », « Take the Long Way Home » ; que des tubes…

     

    « Au moment où on enregistrait cet album, je savais qu’on tenait là une série de très bonnes chansons. C’était une époque où j’avais le sentiment qu’il n’était pas utile de refaire un album concept comme « Crime of the Century ». Il fallait que ce soient des chansons qu’on aurait plaisir à jouer, avec de bonnes mélodies et une belle énergie. » (Roger Hodgson)

     

    En mars 1979, donc, le titre « The Logical Song » est le premier single extrait de l’album, et il devient dès sa sortie un succès planétaire. Paul McCartney en fait d’ailleurs sa chanson préférée de l’année 1979. A noter qu’en Angleterre, « The Logical Song » devient le titre le plus étudié à l’école. Autre extrait incontournable de l’album, le morceau « Breakfast In America » que Roger Hodgson compose en Californie, où le Britannique réside depuis déjà six ans.

     

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    « Alors, il y a pas mal de moments dans l’album « Breakfast in America » où le groupe joue fort. C’est aussi une époque où on se sentait bien, on était heureux d’habiter en Californie, et je crois que ce disque recèle l’esprit de la Californie, bien plus que tous les autres albums de Supertramp. » (Roger Hodgson)

     

    Et pour la petite histoire, Supertramp comme « Breakfast in America » ont bien failli ne jamais exister… Retour en 1969, Roger Hodgson monte un groupe. Son nom : Argosy. A ses côtés pour ce projet, un certain Reginald Kenneth Dwight. Les deux compères enregistrent leur premier single, « Mr Boyd / Imagine » qui sera un échec commercial. Suite à cette déconvenue, Hodgson participe à l’audition « Genuine Opportunity », organisée par Rick Davies.

     

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    Rick Davies, fasciné par la voix d’Hodgson le choisit finalement. La première version de Supertramp est alors composée de Rick Davies, du chanteur guitariste, bassiste et pianiste Roger Hodgson, ainsi que de Richard Palmer (guitare, balalaïka, chant), un passionné de The Band et de Traffic, qui plus tard deviendra parolier pour King Crimson, et de Robert Bob Millar (batterie, percussions et harmonica). À cette époque, d’ailleurs, on ne peut pas dire que l’entente entre les membres du groupe soit des plus parfaites…

    Le groupe va brièvement se choisir le nom de Daddy pendant quelques mois, avant de devenir, sur les conseils de Richard Palmer, Supertramp, d’après le titre d’un roman écrit par William Henry Daviesen en 1908, intitulé « The Autobiography of a Super-Tramp » (« L’Autobiographie d’un super-vagabond »).

    Quant à Reginald Kenneth Dwight, il se fera connaître sous le nom d’Elton John, devenu l’icône pop absolue et le performer de tous les records, avec ses 50 ans de carrière au compteur et plus de 300 millions d’albums vendus.

     

    Une pochette aussi mythique que controversée

    Quant à la pochette de « Breakfast in America », elle est devenue tout aussi mythique, et elle a d’ailleurs fait perdre la tête à quelques-uns. En effet, elle montre une vue de Manhattan prise depuis un avion. Au premier plan, la comédienne Kate Murtagh en serveuse, qui prend la pose de la Statue de la Liberté. Or, des adeptes des théories du complot ont eu l’idée de placer un miroir face à la pochette : les lettres « UP » de Supertramp qui dominent les tours jumelles sont alors devenues respectivement 9 et 11. Ils ont ensuite pris une loupe et repéré un avion dessiné sur le menu que tient la serveuse. Serveuse dont le jus d’orange posé sur le plateau semble enflammer les tours…

     

     

     

    Ajoutez à cela que les événements de ce terrible 9/11 ont eu lieu à l’heure du breakfast. Et que « Breakfast in America » est sorti 22 ans avant… Il n’en faut pas plus pour que plusieurs théories conspirationnistes ne naissent pour expliquer le 11 septembre : l’une d’entre elles vise les francs-maçons qui auraient planifié de longue date ce vol à destination des Twin Towers. Or, le milliardaire qui a soutenu financièrement le groupe lors de sa formation a été vu avec un pendentif maçonnique. « Je pense que c’est un amas d’idioties, d’âneries ! C’est dingue ce que les gens peuvent penser ou faire », rétorque sentencieusement le musicien John Helliwell.

    Une explication pour le moins extravagante, mais qui a l’intérêt de nous rappeler la devise du théoricien du complot : pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Et c’est comme ça qu’il se retrouve à détailler une pochette de disque avec un miroir et une loupe…

     

     

     

  • 1979, l’année qui changea le monde, Episode 10 : Le deuil des sacrifiées

     

    [kleo_pin type= »circle » left= »yes » right= » » top= » » bottom= » »]          « FOCUS » : un article de fond sur un thème que nos rédacteurs ont sélectionné.

     

     

    L’année 1979 est définitivement une année-charnière, comme la fin d’un cycle. Elle scelle le sort des dernières utopies. Le monde prend une pelle et enterre à la hâte les cadavres encore fumants de nos illusions perdues. Après 1979, rien ne sera plus vraiment comme avant…

     

    Coincée à la fin d’une décennie qui paraît un peu creuse, durant laquelle les dirigeants politiques semblent manquer de charisme (le pâle Carter face au cowboy médiatique Reagan, VGE après De Gaulle et Pompidou), l’année 1979 n’attire décidément pas les flashes. Et pourtant… Que d’événements considérables ont eu lieu cette année-là, autant de tremblements qui ont marqué la face du monde et dont on ressent encore les répliques quarante ans plus tard.

    Révolution iranienne, arrivée de Saddam Hussein au pouvoir en Irak, début de la Guerre d’Afghanistan qui mènera à la chute de l’URSS et à l’apparition du terrorisme islamiste, second choc pétrolier et crise économique mondiale, paix entre Israël et l’Egypte, fin des Khmers Rouges… Il n’est pas insensé de penser que 1979 a en réalité été l’année la plus importante de l’après-Seconde Guerre Mondiale.

     

    En 1979, Reza et son frère Manoocher ont photographié la révolution iranienne. Pour Arte Reportage, ils exhument et commentent aujourd’hui 40 photos réalisées dans les premières années de la jeune révolution. Leur pays vivait alors des moments historiques. L’islam radical s’installait au pouvoir et le monde ne serait plus jamais comme avant. C’était il y a 40 ans.

     

    « Prison d’Evin, 1983. Cette image est peut-être belle mais elle est en même temps si triste… Ces jeunes filles étaient prisonnières depuis plusieurs années parfois. Certaines étaient des opposantes au régime, mais pas toutes. Contraintes de porter le tchador, elles étaient obligées de prier et de chanter à la gloire de Khomeiny. Je me demande ce qu’elles sont devenues. On ne le saura jamais. » (Rachel Deghati)

     

    « Je me souviens très bien de ce jour, quand je suis rentré dans cette prison. La prison d’Evin en Iran, une des prisons les plus redoutables au monde… Parmi les milliers de prisonniers qui y étaient enfermés, très peu ont survécu. Il y avait des milliers de jeunes femmes, de jeunes garçons, qui avaient été arrêtés dans la rue, pour avoir dit un mot contre Khomeini ou contre l’Islam. » (Manoocher Deghati)

     

    « Sur cette photo, on voit le visage triste de ces jeunes filles. La composition de l’image est peut-être belle, mais je suis content que ça renvoie aussi un message de tristesse. Parce que la plupart d’entre elles ont été exécutées. Dans la loi islamique, on ne peut pas exécuter des femmes vierges. Il faut donc les violer avant de les exécuter… C’est un des aspects les plus horribles de cette loi. » (Manoocher Deghati)

     

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »]  Arte Reportage : « Iran, au coeur de la révolution » 

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »]  Arte Reportage : « Le Deuil des Sacrifiées » 

     

     

     

  • 1979, l’année qui changea le monde, Episode 09 : Les Radios Libres

     

    [kleo_pin type= »circle » left= »yes » right= » » top= » » bottom= » »]          « FOCUS » : un article de fond sur un thème que nos rédacteurs ont sélectionné.

     

     

    L’année 1979 est définitivement une année-charnière, comme la fin d’un cycle. Elle scelle le sort des dernières utopies. Le monde prend une pelle et enterre à la hâte les cadavres encore fumants de nos illusions perdues. Après 1979, rien ne sera plus vraiment comme avant…

     

    Coincée à la fin d’une décennie qui paraît un peu creuse, durant laquelle les dirigeants politiques semblent manquer de charisme (le pâle Carter face au cowboy médiatique Reagan, VGE après De Gaulle et Pompidou), l’année 1979 n’attire décidément pas les flashes. Et pourtant… Que d’événements considérables ont eu lieu cette année-là, autant de tremblements qui ont marqué la face du monde et dont on ressent encore les répliques quarante ans plus tard.

    Révolution iranienne, arrivée de Saddam Hussein au pouvoir en Irak, début de la Guerre d’Afghanistan qui mènera à la chute de l’URSS et à l’apparition du terrorisme islamiste, second choc pétrolier et crise économique mondiale, paix entre Israël et l’Egypte, fin des Khmers Rouges… Il n’est pas insensé de penser que 1979 a en réalité été l’année la plus importante de l’après-Seconde Guerre Mondiale.

     

    Mai 1981, les radios libres s’emparent des ondes. Presque quarante ans plus tard, il faut bien admettre que le concept de la bande FM est bien éloigné des premiers idéaux qui ont amené à sa libéralisation à l’époque. Retour sur ces années…

     

    Jusqu’en 1981, sept radios seulement émettent en France : trois de service public (France Culture, France Musique et France Inter) et quatre radios périphériques (Europe 1, RMC, RTL, Sud Radio) qui se partagent le territoire. Valéry Giscard d’Estaing veille instamment au respect de ce monopole, et tout piratage est sévèrement puni…

    Antoine Lefébure fut l’un des premiers à s’intéresser à la liberté des ondes en France. Il avait commencé à se pencher sur le sujet dès la fin des années 60, à l’époque des radios pirates, comme Radio Caroline ou Radio London, qui émettaient vers l’Angleterre à partir de bateaux amarrés en dehors des eaux territoriales. Après quelques premières expériences assez confidentielles, comme à la Fac de Jussieu, il fonda en 1974 avec Philippe Lorrain la revue « Interférences » consacrée à ces sujets.

    En 1977, il reçoit l’aide du magazine Actuel et grâce à une alliance pirates / écolos, il crée Radio Verte, dont la première émission historique date du 13 mai, diffusée avec l’aide de Brice Lalonde depuis le domicile de Jean-Edern Hallier (décidément dans tous les coups !). La voie était ouverte !

     

     

     

    L’idée de créer une radio libre trotte en fait dans la tête d’Antoine Lefébure depuis le début des années 70. Après une tentative avortée en 1975, le grand jour arrive à l’occasion des élections municipales de 1977.

    Le dimanche 20 mars 1977, Brice Lalonde annonce en direct sur le plateau d’Antenne 2 la naissance de Radio Verte. En réalité, ce qu’il fait entendre sur un transistor n’est qu’une émission factice, préenregistrée et diffusée à l’aide d’un émetteur FM compact dans un rayon de quelques mètres par son complice, Antoine Lefébure, présent en coulisses. Cette anecdote, maintes fois racontée, a surtout contribué à faire connaître auprès du grand public l’existence des radios libres et à encourager leur essor.

    La véritable première émission sera diffusée le 13 mai 1977, depuis l’appartement de Jean-Edern Hallier sur la fréquence 92 MHz, à l’aide un émetteur de 50 W bricolé par Sylvain Anichini et Jean-Luc Sendowski. Pour cette émission, Radio Verte devait d’abord émettre depuis les locaux du Nouvel Observateur, mais son directeur Claude Pedriel n’était pas favorable à cette idée. L’émission fut donc enregistrée et réalisée par Andrew Orr et Jean-Marc Fombonne dans les studios de France Culture, et sera ensuite diffusée intégralement et sans brouillage.

    Radio Verte émet ensuite de nouveau les 16 et 17 mai, puis le 18 juin 1977, subissant le brouillage implacable de TDF. Elle reprend ensuite l’antenne depuis les locaux du Matin de Paris du 12 au 14 juillet 1977, en direct cette fois-ci. Les dernières émissions seront diffusées quasiment sans discontinuer tous les jours du 7 décembre 1977 à la mi-mars 1978. Mais après les élections législatives de mars 1978, la radio devient muette. Elle ne réapparaitra qu’entre les deux tours de l’élection présidentielle de 1981.

    Radio Verte sera ensuite autorisée en partage de fréquence avec NRJ ; mais elle n’émettait déjà plus depuis longtemps. Une partie des membres de Radio Verte rejoindra plus tard Radio Nova.

     

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    Un autre de ces pionniers des premières radios libres fut Patrick Van Troeyen, influencé par Michel Lancelot et son émission « Campus » sur Europe 1 en 1969, un des rares espaces de liberté radiophoniques à l’époque. Il participa en 73 à la Fac de Jussieu à Radio Entonnoir (le surnom de Michel Debré, ministre de De Gaulle puis de Pompidou), avant de créer Radio Nid de Coucou en 1978 (toujours les asiles…).

    Radio Ivre, « La Radio-Pirate des Parisiens », une station locale parisienne d’expression, créée le 19 novembre 1978 par Jean-Marc Keller, Stéphane Billot et Patrick Leygonie, émet depuis une chambre de bonne située dans le 16ème. Elle existait déjà sous une première version et diffusait du reggae depuis Colombes, puis Courbevoie… Les trois compères sont vite rejoints par Jean-François Aubac, créateur de Radio Noctiluque, et Patrick Van Troeyen, créateur de Radio Nid de Coucou, deux autres pionniers de la diffusion FM pirate sur Paris.

     

    « Nous étions tous trois assis dans mon salon du 37 avenue Gambetta Paris 20ème, à l’automne 1978 : Patrick VanTroeyen, Claude Monnet, qui créera ensuite Oblique FM, et moi-même. s’ensuivirent 18 mois de cache-cache avec TDF (brouillages), les RG, etc… avant que nous rencontrions Patrick Leygonie et Jean-Marc Keller qui avaient lancé depuis peu une station exclusivement reggae appelée Radio Ivre, émettant depuis une chambre de bonne dans le 16ème. Je sais qu’Annick Cojean a pensé que ces 18 mois étaient anecdotiques, mais ils étaient le plus clair du temps passés à réellement faire de la radio pirate. » (Jean-François Aubac)

     

    En septembre 1979, Ivre, Coucou et Noctiluque fusionnent alors dans une association (ADRI), pour donner naissance à la nouvelle « Radio Ivre », qui émettra jusqu’au 10 mai 1981, dans un premier temps uniquement les nuits du vendredi et samedi. L’objectif était de « créer le média par le média », sans recours à la presse écrite comme les mouvements de radios libres politiques.

    L’équipe de Radio Ivre s’installe progressivement dans des émissions en continu, tandis que le studio change constamment d’endroit, pour des raisons évidentes de sécurité, parmi lesquels la Tour Eve, la tour de la CLT sur le front de Seine, l’immeuble au dessus de Montparnasse, le duplex chez Brigitte Rouan au Panthéon, avenue Gambetta, chez le fils Bécaud à la Défense, au Palace, l’appartement de la rue d’Hauteville (n°70 ?) chez Alain Blanc, autrement nommé « Bretzel Liquide » ou « Bretzel Gazeux », chez Alain Corrieras, 26 rue du Plateau, aux Buttes Chaumont (la radio n’avait jamais été aussi bien « captée »), chez José Gerson, le sculpteur de la place Léon Blum, chez Doumé, dans une ancienne usine rue de Palikao dans le 20ème, au Théâtre Noir dans le 12ème, et pour finir place du Tertre, après l’épisode de « Radio Liberté ». Patrick Van Troeyen en sera le leader et porte parole.

     

     

     

     

    Née avant l’abolition du monopole d’Etat de radiodiffusion, Radio Ivre est la première radio pirate parisienne à disposer de vrais programmes et d’un émetteur de qualité. Elle émet sur 98 MHz puis sur 88.8 MHz. Après 1981, Ivre se porte candidate à l’attribution d’une fréquence légale, qu’elle obtiendra en 1982 par l’intermédiaire du mariage avec le projet Radio Nova. le 14 juillet 1982, l’équipe de Radio Ivre célèbre ainsi la fin de sa diffusion pirate, en organisant un grand bal populaire place du Tertre.

    Elle revient sur les ondes en septembre 1982 sous le nom de Nova Ivre, pour devenir Radio Nova en 1983. Avec cette fusion, Radio Ivre perdit son âme dans une union contre nature entre l’une des radios les plus spontanées de l’histoire et une autre, à l’époque plus « expérimentale » et « robotisée », sous l’influence d’anciens de France-Culture (J.M. Fonbonne, Pierre Lattes, Andrew Orr), et où il était même mal vu de faire du direct ; c’était trop « commun »… Par la suite, la tendance s’inversa, et Nova devint la station de la « Sono Mondiale ». Il ne restait malheureusement déjà plus grand monde de l’équipe originelle de Radio Ivre. Mais ça, c’est une autre histoire…

     

     

     

    « A l’époque, je participais très activement à cette épopée en créant le 1er avril 1978 Radio Noctiluque. Nous étions nombreux à attendre de Giscard D’Estaing le droit d’émettre, mais le premier juillet de la même année, l’assemblée nationale en décida autrement. C’est à cette occasion que j’ai rencontré Patrick VanTroeyen et que nous avons décidé de fusionner nos « stations » et de continuer d’émettre alors que tous les autres s’arrêtaient. C’est ce que nous avons fait jusqu’en 1980 sous le nom de « Noctiluque-Nid de Coucou ». Pas facile à mémoriser, non ? » (Jean-François Aubac)

     

     

     

    Nous continuons à évoquer cette période bénie des radios libres avec Ici & Maintenant, et son site internet resté bien dans son jus. A visiter, c’est du roots ! Fondée en 1980 par Didier de Plaige, Gérard Lemaire et Guy Skornik, cette radio a depuis sa naissance joué la carte de l’interactivité : libre antenne aux auditeurs, qui pouvaient aussi composer des programmes et les diffuser par le réseau téléphonique.

     

    « A la suite de quelques discussions téléphoniques avec Skornik et Deplaige en 80, j’ai aidé à la première installation d’un studio stable pour la radio chez Guy (près du Trocadéro), en fournissant platine et table de mixage, lesquelles seront confisquées plus tard par les flics lors de leur descente sur I&M. Descente diffusée d’ailleurs pour partie en direct à l’antenne… » (Xavier « Gideon » Gentet)

     

    A signaler aussi qu’une solution originale avait été trouvée pour diffuser les programmes : ce n’étaient pas le studio et l’émetteur qui bougeaient ensemble de lieu en lieu dans Paris, comme pour Radio Ivre, mais l’émetteur seul qui voyageait entre cinq ou six hôtes équipés d’antennes, et une simple réception de ligne PTT venant du studio permettait à Ici & Maintenant d’émettre. Il est d’ailleurs arrivé que l’émetteur voyage seul en taxi d’un point à un autre ; c’est ainsi, pour un simple problème d’adresse, qu’il s’est perdu pendant 36 heures dans la nature…

    Un des animateurs historiques de cette radio est Jean-Paul Bourre, un personnage très intéressant et talentueux : il a écrit de nombreux livres, souvent en rapport avec l’ésotérisme, et fait des émissions passionnantes dans lesquelles il raconte ses souvenirs pendant des heures entières. Parmi ses thèmes favoris, les années psychédéliques, mais il parle tout aussi bien de Nietzsche, des débuts du Rock, des Blousons Noirs, de l’histoire de France, de l’Italie ou de l’Atlantide.

    Ici & Maintenant fut interdite par le CSA en 1995, sous prétexte de dérapages trop fréquents lors d’interventions d’auditeurs. Finalement, en 1997, le Conseil d’Etat lui donnait raison contre le CSA et les programmes pouvaient reprendre.

     

    Comment parler des premiers pas de ces radios libres sans évoquer évidemment Carbone 14. Au début des années 80, le monopole d’Etat sur la radiodiffusion explose et des centaines de radios libres investissent la bande FM. Le 14 décembre 1981, la radio Carbone 14 émet pour la première fois sur Paris. Elle va connaître un succès grandissant avant d’être interdite par l’Etat en 1983.

    « Carbone 14, le Film » rend compte de l’ambiance survoltée de cette radio hors-norme qui comptait parmi ses animateurs : Supernana, Jean-Yves Lafesse, David Grossexe, Robert Lehaineux, José Lopez… Radio irrespectueuse, devenue mythique, Carbone 14 était l’une des stations les plus inventives et drôles de sa génération.

    Sélectionné au festival de Cannes en 1983, ce film ovni constitue l’un des rares témoignages en images sur le mouvement des radios libres. Il sort de la clandestinité en 2011, à l’occasion des 30 ans de Carbone 14 et de la libération de la bande FM.

     

    [arve url= »https://vimeo.com/24003687″ align= »center » title= »Carbone 14, le Film » maxwidth= »900″ /]

     

     

    Parmi les autres radios pionnières, on pourrait également citer Radio Tchatch, fondée par Serge Kruger, l’une des premières stations à programmer essentiellement de la musique black, Salsa, Antillaise ou Africaine, Radio Onz’Débrouille 102 MHz fondée par Alain Léger, qui émit sur Paris tous les jours du 15 février 1978 jusqu’à la fin juillet 78, puis depuis la Fac de Vincennes, avec un grand direct lors de l’arrivée de la grande marche des paysans du Larzac, Gilda avec Patrick Fillioud, le fils du ministre, Radio Tomate (Bruno Guattari), Aligre FM, avec Philippe Vannini, Nova, La Voix du Lézard (devenue Skyrock), Carol FM, Oblique, Cité Future (Le Monde), NRJ, RFM, Boulevard du Rock, et bien d’autres…

     

    1979 : le Parti Socialiste se lance dans la bataille des radios libres, alors non autorisées, en lançant le 28 juin « Radio-Riposte », station pirate créée spécialement par le Parti socialiste pour dénoncer la mainmise sur les réseaux d’information par le président Valéry Giscard d’Estaing.

     

    Le 28 juin 1979, donc, sur Radio Riposte, François Mitterrand dénonce dans une allocution préenregistrée la situation scandaleuse de l’information et sa confiscation giscardienne. Le message est brouillé par les forces de l’ordre qui, vers 20 heures, donnent l’assaut au 12 de la cité Malesherbes, à Paris, annexe du siège du PS, d’où est  diffusée l’émission. Laurent Fabius et François Mitterrand seront inculpés pour infraction au monopole.

    Autant dire que le 10 mai 1981, soir de l’élection présidentielle, lorsque apparaît sur les écrans de télévision le visage de François Mitterrand, les ailes des candidats à la libération des ondes poussent à grande vitesse. En quelques heures à peine, dès la nuit venue, des centaines de radios se mettent à émettre dans toute la France. Une semaine plus tard, elles seront trois mille…

     

    Sources : SchooP / Wikipedia

     

     

     

  • 1979, l’année qui changea le monde, Episode 08 : « The Wall » by Pink Floyd

     

    [kleo_pin type= »circle » left= »yes » right= » » top= » » bottom= » »]          « FOCUS » : un article de fond sur un thème que nos rédacteurs ont sélectionné.

     

     

    L’année 1979 est définitivement une année-charnière, comme la fin d’un cycle. Elle scelle le sort des dernières utopies. Le monde prend une pelle et enterre à la hâte les cadavres encore fumants de nos illusions perdues. Après 1979, rien ne sera plus vraiment comme avant…

     

    Coincée à la fin d’une décennie qui paraît un peu creuse, durant laquelle les dirigeants politiques semblent manquer de charisme (le pâle Carter face au cowboy médiatique Reagan, VGE après De Gaulle et Pompidou), l’année 1979 n’attire décidément pas les flashes. Et pourtant… Que d’événements considérables ont eu lieu cette année-là, autant de tremblements qui ont marqué la face du monde et dont on ressent encore les répliques quarante ans plus tard.

    Révolution iranienne, arrivée de Saddam Hussein au pouvoir en Irak, début de la Guerre d’Afghanistan qui mènera à la chute de l’URSS et à l’apparition du terrorisme islamiste, second choc pétrolier et crise économique mondiale, paix entre Israël et l’Egypte, fin des Khmers Rouges… Il n’est pas insensé de penser que 1979 a en réalité été l’année la plus importante de l’après-Seconde Guerre Mondiale.

     

    Certains disques deviennent cultes pour des raisons parfois assez obscures, qui défient les lois métaphysiques voire tout simplement l’entendement, et c’est définitivement le cas de « The Wall » de Pink Floyd. Culte, ce double-album l’est indiscutablement, d’autant plus qu’il a été adapté ensuite au cinéma par Alan Parker. Et une chose est sûre avec cet opus : il ne laisse pas indifférent. On aime ou on déteste, souvent les avis sont très tranchés, mais il déchaîne les passions.

     

    Car « The Wall », c’est un peu le début de la fin de Pink Floyd, en fait… Tout commence par un concert durant lequel Roger Waters commet l’irréparable : cracher sur un fan au premier rang, qui l’agaçait particulièrement. Après cet incident, Waters va donc rêver de pouvoir s’isoler en montant un mur autour de lui, qui ne l’empêcherait pas de jouer sur scène, mais qui lui permettrait en revanche de ne pas voir le public dans la salle. À partir de là, à mesure que Waters sombrait peu à peu dans la paranoïa, le concept de « The Wall » prenait forme. Il en composait d’ailleurs presque tous les titres, dans un climat qui devenait détestable, avec son lot de tensions, notamment avec Wright.

    Waters fait alors appel à Bob Ezrin, qui a accédé à la notoriété dans les années 70 en produisant des albums devenus célèbres, notamment pour Alice Cooper, mais aussi pour Lou Reed, Aerosmith, Peter Gabriel ou encore Kiss, et également réputé pour certaines boursouflures dont il a le secret. Wright voulait quant à lui être impliqué dans la production, au même titre qu’Ezrin, Gilmour et Waters, mais selon certains témoins de l’époque, il avait beaucoup de mal à bouger de sa chaise. Et selon le claviériste, Waters se montrait tellement parano durant l’enregistrement de l’album, au point d’emporter les bandes après les sessions de studio, qu’il était difficile de trouver sa place. Ambiance, ambiance…

    « The Wall » se démarque aussi complètement des deux productions précédentes de Pink Floyd, en paraissant sous la forme d’un double album-concept. Une bonne façon de se distinguer, d’ailleurs. Bref, il est double et ça n’est pas un détail, mais il est surtout constitué essentiellement de titres très courts. Beaucoup font d’ailleurs office d’interludes et sur les vingt-six morceaux qui composent l’album, seuls trois dépassent les cinq minutes.

    Waters ne laisse en revanche aucun temps mort, tout est lié, l’histoire se déroule, sombre, implacable, jalonnée de réminiscences de sa jeunesse anglaise : un père mort à la guerre, une mère trop possessive, un système scolaire qui tente de le faire entrer dans un moule trop étroit pour lui… Tout cela, l’auditeur va pouvoir le vivre pleinement à travers le personnage de Pink (bon, pour les noms, il faut reconnaître que le bassiste ne s’est pas trop foulé…), qui construit un mur imaginaire pour se protéger de ce qui l’entoure, avec tous les dysfonctionnements qui en résultent.

    Pink va devenir une rock star, se marier, être cocu et sombrer dans une folie quasi schizophrénique, qui va le conduire à s’imaginer en dictateur fasciste. Seul un procès, dont il serait à la fois l’accusé et le plaignant, pourrait lui rendre son humanité. Difficile aussi de ne pas y voir des indices quant à la mégalomanie grandissante de Waters…

     

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    Le concept est donc très ambitieux. La musique de Pink Floyd va se faire moins aérienne, moins éthérée que par le passé. Elle se veut plus directe, certainement moins fine également. « In The Flesh? » surprend d’ailleurs par son aspect assez rude. On remarque rapidement le travail fait sur la guitare, claire, limpide. La rythmique se résume quant à elle à sa forme la plus primaire, presque primale, et elle ne se montre jamais aventureuse. Mais Gilmour est toujours bien présent, son jeu permet de rehausser certains passages, pourtant sujets à caution (« Another Brick In The Wall Part II », adulée ou détestée, tellement loin des standards auxquels nous avaient habitués le groupe).

    De nombreux moments forts ressortent, depuis le morceau-titre, divisé en trois parties, dont la seconde deviendra un tube planétaire et un véritable cri de révolte pour tout élève comprenant l’anglais, au « Comfortably Numb », qui porte la patte de Gilmour et ressemble le plus au Pink Floyd traditionnel, mais qui divise également ; entre ceux qui y voient un des plus grands titres des Britanniques et ceux qui n’entendent qu’une tentative ruinée par la production de Ezrin. Chacun se fera son avis, mais le fait que beaucoup de groupes (dont Anathema) aient repris cette chanson devrait pourtant nous donner une vague idée de sa qualité intrinsèque.

    En revanche, certains passages de l’album s’avèrent plus étranges. La fin de l’album part en roue libre et on sent là l’influence de Bob Ezrin. Ce dernier est d’ailleurs crédité sur « The Trial », mais à l’écoute de ce morceau, on se dit que ce n’est pas du Pink Floyd. On se croirait plus face à une chute de studio de « Welcome To My Nightmare » d’Alice Cooper, avec ses chœurs presque dissonants, dans l’exagération, pour apporter la théâtralité nécessaire à un tel concept. On grincera peut-être des dents face aux paroles de « Waiting For The Worms », racistes et dérangeantes, qui expriment la haine du Pink version dictateur, on soufflera face aux nombreux titres servant d’interludes, qui font entre trente secondes et une minute trente et qui ne servent vraiment qu’à faire du liant, pour que la musique ne se taise pas, même si cela plombe parfois la dynamique de l’ensemble.

     

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    On peut faire un parallèle entre « The Wall » et l’album « The Lamb Lies Down On Broadway » de Genesis, avec lequel il partage de nombreux points communs : vision différente de la musique pratiquée (chez Genesis, cela se traduisait par des parties instrumentales plus développées, avec une guitare qui savait se faire Heavy quand il le fallait), le format double, le départ d’un membre important à l’issue de leur enregistrement : Peter Gabriel de Genesis, Richard Wright de Pink Floyd.

    Mais surtout, « The Wall », malgré son concept qui parle d’enfermement volontaire, brise les murs entre les genres. Il est devenu l’archétype du concept-album grand public ainsi que certainement le disque le plus connu de Pink Floyd, avec sa pochette simple, épurée, mais d’une efficacité rare et son hit que l’on fredonne plus facilement qu’un « Shine On You Crazy Diamond », par exemple.

    Et de surcroît, il fut un pont et une source d’inspiration pour de nombreuses formations Metal qui cherchaient à enrichir leur discours. Trent Reznor, pour ne citer que lui, ne s’est pas caché du fait qu’il s’en soit inspiré pour le terrible « The Downward Spiral » de Nine Inch Nails et qu’il apporta un souffle nouveau au Prog’ Anglais, entre concept fort et nihilisme Punk, en participant à sa mutation.

    D’où le paradoxe de « The Wall ». Album culte, précurseur, inventif et fédérateur comme rarement un album a pu l’être, mais qui tourne le dos à ce qu’était intrinsèquement Pink Floyd au moment de sa sortie, au point que des petits malins affirment qu’il s’agit tout simplement du premier album solo de Waters, entouré de « Guests » de luxe. La production, menée par Ezrin, modifie également le langage d’une formation en y amenant ses propres idées, ses propres délires, qui ne sont pas forcément ceux des Anglais, mais qui se marient tant bien que mal, à condition qu’on adhère à cela.

    « The Wall », c’est un album en déséquilibre constant, où le meilleur peut côtoyer le pire, mais qui demeure malgré tout une pierre angulaire du Rock dans sa dénomination la plus large. Et c’est ainsi qu’il s’avérera être le début de la fin pour un groupe qui se dissolvait petit à petit et qui malgré la gloire, vivait ses derniers moments avant un split inévitable…

     

    Sources : « Nightfall in Metal Earth » / « Rock Fever » / « Le Figaro Culture »

     

     

     

  • 1979, l’année qui changea le monde, Episode 07 : Actuel

     

    [kleo_pin type= »circle » left= »yes » right= » » top= » » bottom= » »]          « FOCUS » : un article de fond sur un thème que nos rédacteurs ont sélectionné.

     

     

    L’année 1979 est définitivement une année-charnière, comme la fin d’un cycle. Elle scelle le sort des dernières utopies. Le monde prend une pelle et enterre à la hâte les cadavres encore fumants de nos illusions perdues. Après 1979, rien ne sera plus vraiment comme avant…

     

    Coincée à la fin d’une décennie qui paraît un peu creuse, durant laquelle les dirigeants politiques semblent manquer de charisme (le pâle Carter face au cowboy médiatique Reagan, VGE après De Gaulle et Pompidou), l’année 1979 n’attire décidément pas les flashes. Et pourtant… Que d’événements considérables ont eu lieu cette année-là, autant de tremblements qui ont marqué la face du monde et dont on ressent encore les répliques quarante ans plus tard.

    Révolution iranienne, arrivée de Saddam Hussein au pouvoir en Irak, début de la Guerre d’Afghanistan qui mènera à la chute de l’URSS et à l’apparition du terrorisme islamiste, second choc pétrolier et crise économique mondiale, paix entre Israël et l’Egypte, fin des Khmers Rouges… Il n’est pas insensé de penser que 1979 a en réalité été l’année la plus importante de l’après-Seconde Guerre Mondiale.

     

    En France, malgré les Trente Glorieuses et l’embellie économique qui prévaut depuis la fin de la seconde guerre mondiale, mais qui ne rime pas forcément avec bien-être populaire, un besoin de liberté et de changement souffle dans l’air du temps depuis la fin des années 60 et la mort de De Gaulle. Le premier choc pétrolier va venir cristalliser les peurs de la société quant à son avenir.

     

    C’est dans ce contexte que naît le magazine Actuel ; d’abord un simple petit journal consacré au free jazz et aux musiques alternatives, fondé par Claude Delcloo en 1967, Actuel est ensuite repris par Jean Karakos (Mr Lambada) et devient à partir de 1970 le principal périodique underground francophone, qui couche alors sur papier le manifeste des mouvements libertaires post-mai 68 et popularise le journalisme Gonzo. En 1970, donc, nouvelle équipe, nouvelle formule, autour de Jean-François Bizot (directeur), Michel-Antoine Burnier (rédacteur en chef), Patrick Rambaud, Bernard Kouchner, puis Claudine Maugendre, Jean-Pierre Lentin, Léon Mercadet et beaucoup d’autres.

    Le journal se démarque de la presse gauchiste & langue de bois de l’époque et devient vite le magazine de référence de la génération hippie en France. Parmi les sujets traités, tout ce qui a trait à la contre-culture, en phase avec ce qui se passe dans d’autres pays comme les USA, l’Angleterre, l’Allemagne ou la Hollande : la route, les communautés, la drogue, le rock, le cinéma, le féminisme ou l’écologie.

    Tout s’arrête à l’automne 75, dans un climat de sympathique lassitude, comme un ultime pied de nez, la première année où le journal fait des bénéfices (5000 F !)…

     

     

     

    Après deux almanachs, Actuel renaît donc de ses cendres en 1979, sous une nouvelle formule. Cette fois-ci, l’accent est davantage mis sur les reportages au long cours, autour du monde, avec de nombreuses photos et une grande diversité dans les sujets abordés. Mais l’esprit défricheur est toujours là… Pour la petite histoire, c’est dans Actuel que nous entendrons parler pour la première fois en France de l’Internet, au début des années 90.

     

     

     

    Puis l’équipe d’Actuel se lance dès 1972 dans l’aventure Nova Press, la société de média éditrice des magazines Nova Mag ou City Magazine, un peu trop superficiel et avec peu d’articles de fond, qui s’arrêtera en 2004. Alors, peut-être un jour Actuel renaîtra-t-il une nouvelle fois de ses cendres ? Parallèlement, Bizot et sa bande créaient en 1981 Radio Nova, la station de la « Sono Mondiale ». Il a aussi repris « La Radio Jazz », avec Frank Ténot (ancien de « Pour ceux qui aiment le jazz » et « Salut les Copains » sur Europe 1), devenue TSF Jazz en 1999. Son immense discothèque était sa fierté.

    Dans « Un Moment de Faiblesse » paru en 2003, Jean-François Bizot racontait son combat contre le cancer, qu’il appelait « Jack le Squatter ». Mais Jack a fini par l’emporter le 8 septembre 2007…

    Pour ceux qui souhaitent aller plus loin dans la découverte ou la re-découverte de ces années Actuel, vous pouvez vous référer à l’ouvrage passionnant et extrêmement bien documenté, « Les Années Actuel, Histoire d’une Contre-Culture » de Perrine Kervran et Anaïs Kien, paru en 2010 aux éditions Le Mot et le Reste.

     

     

     

    Lieu de contre-culture emblématique des années soixante-dix, Actuel reste ignoré par l’histoire en général et celle de la presse en particulier. Jean-François Bizot, riche héritier, mécène dans l’âme et mao repenti, a eu sa révélation aux Etats-Unis. II y rencontre la freak culture et la free press, qui vont le conforter dans son désir de faire un journal. II ne concevra dès lors la vie et le travail que dans le collectif.

    Ce livre, construit autour des témoignages de ses collaborateurs, est l’écho de cette aventure collective. II dessine le portrait d’une jeunesse bourgeoise, cultivée, imprégnée de la guerre d’Algérie, de l’héritage sartrien, de la décolonisation et des grandes aventures de la presse d’après-guerre. Ces jeunes gens sont politisés, passés par Sciences-Po, revenus du militantisme gauchiste, attirés par l’underground et désireux de participer aux révolutions minuscules et à la contestation rigolarde qui se sont substituées au « Grand Soir » de Mai 68. Ce collectif qui donne naissance au journal Actuel ou à Radio Nova va créer un style qui imprègne aujourd’hui encore le paysage médiatique et audiovisuel français.

     

     

     

    « Tellement fiers d’évoluer dans un système parallèle, où les valeurs de base étaient pelle-mêle, Peace, Unity, Love and Having Fun, le Hip-Hop n’a jamais eu besoin de guns ni de gangs, mais plutôt de la foi de ceux qui en défendent la mémoire et l’éthique, les valeurs essentielles, celles qui créent encore l’étincelle, lorsque je me rappelle des premières heures du terrain vague de la Chapelle. A l’époque, les héros s’appelaient Actuel… » (Suprême NTM, 1995)

     

    Et pour finir, si nous devions choisir un titre parmi tant d’autres qui symbolise le mieux l’esprit Actuel, alors ce serait probablement celui-ci…

     

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  • Vincent Delerm rend hommage aux moments intimes qui font une vie

     

     

    Vincent Delerm publie un nouvel album, « Panorama », accompagné du documentaire « Je ne sais pas si c’est tout le monde » sorti en salle le 23 octobre. L’un et l’autre viennent ajouter une pierre à l’édifice que représente l’œuvre de Vincent Delerm depuis quelques années : un travail intime et sensible, un hommage aux moments modestes de la vie.

     

    Voilà un disque qui tient la promesse que font toutes les chansons : simple, basique, de celles qui aident à se sentir moins seul quand on les écoute. Un des morceaux qui le composent, « Je ne sais pas si c’est tout le monde », a donné son titre au documentaire qui l’accompagne. Cette phrase, on se l’est tous dite un jour, probablement…

     

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    « Je ne sais pas si c’est tout le monde » est aussi le titre du documentaire de Vincent Delerm, sorti en salle mercredi 23 octobre ; un film fait de souvenirs dits, ou lus, par des inconnu·e·s ou des connu·e·s, parmi lesquels on retrouve Jean Rochefort, auquel le film est dédié. Car Vincent Delerm et Jean Rochefort étaient amis, et Rochefort lui a dit vouloir lui offrir la dernière journée de tournage de sa vie. C’est chose faite.

     

    « Cette femme, je l’avais vue des étés entiers. Je savais quel était son geste pour retirer son soutien-gorge, tard le soir… Sa technique pour faire pisser les filles entre deux voitures, sur un parking bondé à Toulon. » (Jean Rochefort)

     

    A la fin du plan, tout le monde a applaudi le bonhomme, son oeuvre, sa vie… Au cinéma ou en chanson, Vincent Delerm livre ses admirations. Il ne se contente pas de les citer, il raconte surtout comment elles entrent dans sa vie. Il y a Raymond Carver, Nick Drake, Alain Souchon. Et dans ce nouvel album, Agnes Varda

     

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    Si Vincent Delerm s’est fait connaître au début des années 2000 avec des chansons écrites comme des scénarios de poche, depuis quelques albums, ses textes sont plutôt faits d’instantanés : rien de spectaculaire, mais des instants furtifs que notre mémoire archive sans qu’on l’ait décidé. Ses chansons rendent hommage aux moments modestes qui font une vie.

     

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    Vincent Delerm s’est imposé une contrainte digne de Georges Perec pour les dix morceaux de ce nouvel album : il en a confié les arrangements à dix artistes différent·e·s. Delerm a écrit les paroles dans un deuxième temps, en s’adaptant aux ambiances inventées par ses acolytes : Clément Ducol et Maxime Le Guil, Peter von Poehl, Keren Ann, Yael Naïm Dan Lévy, ou le groupe belge Girls in Hawaii.

    Dans la chanson « Fernando De Noronha », Delerm parle de son fils aîné. Il écrit comme si l’on suivait le fil de ses pensées à voix haute.

     

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    Pour son premier film, Vincent Delerm prolonge donc son travail ultrasensible sur l’intime, la mémoire et le rapport aux autres. Qu’est-ce qui nous construit ? Que ressentent les gens autour de nous ? Nos émotions et sensations n’appartiennent-elles qu’à nous ?

     

    Chaque personnage, célèbre ou anonyme, livre à Vincent Delerm quelque chose de lui, définissant sa sensibilité et sa manière de voir l’existence. Témoignages qui font sourire parfois, serrent le coeur souvent, conjuguent l’intime et l’universel. En filigrane, les propres émotions de l’auteur se dessinent le long d’un film musical, photographique, dont la narration est comme un fil invisible.

     

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    « Panorama », c’est le titre de son nouvel album, « Je ne sais pas si c’est tout le monde », c’est le titre de son film. Vincent Delerm est en concert à la Cigale à Paris, à la fin du mois d’octobre, au début des mois de novembre et de décembre. Il arpentera ensuite la France en 2020 et son film sera également projeté dans la plupart des villes de sa tournée, au moment de son passage.

     

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    Sources : France Inter / Wikipedia

     

     

     

  • Les Dessins d’Alex Tavoularis pour Francis Ford Coppola

     

     

    Dans les collections de la Cinémathèque se trouve une série de dessins et de storyboards signés Alex Tavoularis. Ces planches se rapportent à cinq films de Francis Ford Coppola : « Apocalypse Now », « Outsiders », « Le Parrain 2 », « Rusty James » et « Tucker ».

     

    Tour à tour crédité en tant que directeur artistique ou production designer, métiers que le cinéma français connaît mal, Alex Tavoularis a aussi fait partie des équipes décoration de « King of New York » et « Snake Eyes » d’Abel Ferrara, ou encore dessiné quelques storyboards pour le premier épisode de « La Guerre des Étoiles » (1977). Mais son activité principale fut surtout celle, un peu mystérieuse, d’illustrateur pour le cinéma, la plupart du temps en étroite collaboration avec son frère Dean Tavoularis, le légendaire directeur artistique qui accompagna Coppola sur presque tous ses projets, du « Parrain » en 1972 à « Jack » en 1996 – à l’exception de « Cotton Club » et « Dracula ».

     

     

     

    Dans un entretien pour les Cahiers du Cinéma (n° 665, mars 2011), il décrit ainsi leur collaboration : « C’est surtout mon frère Alex qui a fait les storyboards des films sur lesquels j’étais production designer ; il était comme mon assistant. On s’en occupait parfois pour une séquence particulière complexe, ou parfois pour un film entier, comme ça a été le cas pour Tucker de Coppola ». Les deux frères ont commencé à travailler ensemble sur « Little Big Man » d’Arthur Penn (1970). Dean avait quant à lui débuté quelques années plus tôt avec le même Arthur Penn sur le film qui a symboliquement lancé le Nouvel Hollywood : « Bonnie and Clyde » (1967).

    Parmi les dessins conservés à la Cinémathèque se trouvent notamment dix planches de storyboards du « Parrain 2 » (1974) ; le storyboard des séquences finales du « Outsiders » (1983) ; des croquis du bateau PBR et de l’hélicoptère Huey sur « Apocalypse Now » (1979) ; un magnifique dessin de la rutilante voiture Torpedo de « Tucker » (1988) ; et une scène de cimetière disparue de « Rusty James » (1983).

     

     

     

    LE MEURTRE DE DON FANUCCI DANS LE PARRAIN 2

    On se souvient de cette lancinante évolution parallèle en travellings entre le gros mafieux en habit, Don Fanucci (Gastone Moschin), qui parade dans la rue un jour de fête, et Vito Corleone (Robert De Niro), qui le suit des yeux depuis les toits avant de s’introduire dans son immeuble, d’enlever une ampoule pour rester dans l’obscurité, et de l’abattre sur son palier. Alex et Dean Tavoularis ont fait eux-mêmes le parcours et ont entièrement storyboardé cette séquence, « faisant le film sur le papier », comme le décrit Dean Tavoularis, qui livre une anecdote passionnante sur la scène en question : « On avait tout tourné précisément, sauf un plan. Et on ne pouvait filmer ce plan manquant que le jour où on quittait New York pour aller tourner la suite du film en Italie. Or, quand on est arrivés, le propriétaire était absent. On a été obligés de forcer la porte, le proprio est rentré furieux, il a mis tout le monde dehors, et on a dû reconstruire cet étage avec l’escalier à Rome, pour un seul plan ! ».

    Détail amusant : l’épisode culte de l’ampoule dévissée par De Niro ne se trouve pas dans le storyboard imaginé par les deux frères. Mais le chat que la victime tient dans ses bras au moment du crime a disparu de la scène filmée. Remplacer un chat par une ampoule électrique, voici l’une des curieuses modifications opérées par le passage du dessin au cinéma…

     

    LES « ANIMAUX » D’APOCALYPSE NOW

    Des dessins de l’hélicoptère Huey (surnom donné aux appareils américains de type Bell UH) et du PBR (le Patrol Boat River, bateau de l’US Navy utilisé pendant la guerre du Vietnam) se dégage une certaine beauté, une sorte d’affection pour l’objet dessiné, comme s’il s’agissait d’un être, d’un animal, doté d’un petit nom, en particulier le « Huey », qui est même affublé de dents sur le devant de l’habitacle. Ces dents peintes proviennent des recherches menées sur les hélicoptères utilisés pendant la guerre du Vietnam : certains étaient ainsi personnalisés.

    Alex Tavoularis raconte : « Chaque jour du tournage nous dépendions de ce que la Philippine Air Force voulait bien nous prêter ce jour-là. Certains de nos hélicos décorés étaient utilisés pour leurs actions à Mindanao ou dans d’autres régions troublées, alors que nous avions déjà peint nos décorations dessus. Donc même s’ils n’apparaissaient pas dans le film, ils ont été vus par les rebelles de Mindanao !… ». Quant au bateau, dont il est bien spécifié sur le dessin qu’il correspond à un état de « vieillesse » plus important que le PBR A, il devait montrer des signes de désolation. Le dessin comporte ainsi diverses indications manuscrites : « Ordures sur le pont, canettes, drapeau crasseux ». Alex Tavoularis ajoute que ces précisions sur l’état du bateau étaient particulièrement utiles, puisque le tournage se déroulait hors continuité.

     

     

     

    LA VOITURE DE TUCKER

    La célèbre voiture de « Tucker » semble quant à elle beaucoup plus rutilante, et fait plaisir à voir avec ses trois phares innovants. Les frères Tavoularis ont pratiquement entièrement storyboardé ce film, à partir de discussions dans la propriété de Coppola à Napa Valley avec le cinéaste et le chef opérateur Vittorio Storaro. Tous gardent de ce film-autoportrait de Coppola – le constructeur illuminé bâtit son usine de voitures alternatives aux grandes marques, comme Coppola a fondé son studio Zoetrope en marge des studios hollywoodiens – un souvenir d’amusement extrême, que laisse transparaître ce dessin gai et volontaire.

     

     

     

    OUTSIDERS ET RUSTY JAMES, DEUX FILMS-FRÈRES

    Au printemps 1983, Coppola tourne « Outsiders » à Tulsa, Oklahoma et annonce à son équipe une semaine avant la fin du tournage qu’ils vont finalement rester pour tourner un second film dans la foulée. Ce sera « Rusty James », qui est comme le grand frère turbulent et âpre du « Outsiders ». « Outsiders » est en couleurs, dominé par les tonalités dorées de couchers de soleil, quand « Rusty James » est en noir et blanc, extrêmement graphique, strident, revendiquant des racines expressionnistes. Plus sauvage. Le premier est classique, le second expérimental. C’était la volonté de Coppola.

    De toute sa collaboration avec le réalisateur, « Rusty James », avec ses partis pris graphiques très forts, est le film préféré d’Alex Tavoularis, qui a entre autres dessiné une superbe scène de cimetière fantôme. Fantôme, car elle ne figure pas dans le montage final du film. Le dessin est très beau, et fourmille d’indications pratiques sur les bougies alimentées au gaz, la limousine, les types de projecteurs à fournir pour la scène. Le storyboard des scènes finales de « Outsiders » est passionnant car on y retrouve quasiment tout l’enchaînement des événements qui constituent la fin du film.

     

     

     

    On comprend aussi comment la mise en scène trouve des raccourcis pour faire avancer le récit plus fiévreusement. Un exemple : dans le storyboard, Dallas (Matt Dillon), poursuivi par la police, fait d’abord un arrêt dans la réserve d’une blanchisserie, éponge sa blessure, reprend sa fuite et trouve ensuite une cabine téléphonique d’où il appelle ses copains. Dans le film, il trouve la cabine téléphonique dans la réserve de la blanchisserie, y passe son coup de fil, et laisse derrière lui une tache de sang sur un amas de linge blanc. Le cinéma va plus vite que le crayon…

     

     

     

    En observant tous ces dessins, les souvenirs plus ou moins vifs se mettent bien sûr à affluer, et l’on est tenté de rechercher les similitudes avec le film existant. Mais c’est une fausse piste. Il faut plutôt regarder ces croquis comme une manière de cartes postales paradoxales. Des cartes postales que quelqu’un enverrait avant de partir en voyage. Car souvent tel storyboard ou tel dessin ne correspond plus à la forme finale du film ; on n’en reconnaît çà et là que quelques bribes. Le film lui-même, le processus de tournage ont modifié cette forme, l’ont digérée, l’ont même parfois niée. Ce sont des rêveries instantanées d’une forme possible du film.

    Comme l’explique modestement Alex Tavoularis : « Les dessins spécifiquement faits pour le cinéma ne sont que des outils pour aider le réalisateur, le directeur de la photo et le production designer à visualiser des choses qui n’existent pas encore. Ils sont faits pour ça et uniquement pour ça. La reconnaissance de ces travaux en dehors de leur fonction initiale ne peut être que dans une perspective historique ». Il n’empêche que lorsqu’on se plonge dans la contemplation de ces dessins, un peu de magie oubliée affleure… « Peux-tu changer la couleur des montagnes ? » demandait Michelangelo Antonioni à Dean Tavoularis, trouvant les roches trop grises sur le tournage de « Zabriskie Point »… Non, mais imaginer un film avant qu’il existe, ce n’est pas si différent.

     

    Source : La Cinémathèque Française

     

     

     

  • 1979, l’année qui changea le monde, Episode 06 : « Apocalypse Now »

     

    [kleo_pin type= »circle » left= »yes » right= » » top= » » bottom= » »]          « FOCUS » : un article de fond sur un thème que nos rédacteurs ont sélectionné.

     

     

    L’année 1979 est définitivement une année-charnière, comme la fin d’un cycle. Elle scelle le sort des dernières utopies. Le monde prend une pelle et enterre à la hâte les cadavres encore fumants de nos illusions perdues. Après 1979, rien ne sera plus vraiment comme avant…

     

    Coincée à la fin d’une décennie qui paraît un peu creuse, durant laquelle les dirigeants politiques semblent manquer de charisme (le pâle Carter face au cowboy médiatique Reagan, VGE après De Gaulle et Pompidou), l’année 1979 n’attire décidément pas les flashes. Et pourtant… Que d’événements considérables ont eu lieu cette année-là, autant de tremblements qui ont marqué la face du monde et dont on ressent encore les répliques quarante ans plus tard.

    Révolution iranienne, arrivée de Saddam Hussein au pouvoir en Irak, début de la Guerre d’Afghanistan qui mènera à la chute de l’URSS et à l’apparition du terrorisme islamiste, second choc pétrolier et crise économique mondiale, paix entre Israël et l’Egypte, fin des Khmers Rouges… Il n’est pas insensé de penser que 1979 a en réalité été l’année la plus importante de l’après-Seconde Guerre Mondiale.

     

    Palme d’or à Cannes en 1979, le film de Coppola a marqué l’histoire du cinéma par son tournage apocalyptique, les caprices de Marlon Brando et les millions de dollars engloutis. Mais quarante ans plus tard, le cinéaste impose sa maestria et sa maîtrise avec un superbe nouveau montage, baptisé « Apocalypse Now Final Cut ».

     

    C’était il y a quarante ans, les écrans de cinéma rougissaient de flammes sur la musique des Doors, des palmiers brûlaient en torche… Le fantasque lieutenant-colonel Kilgore bombardait une plage du Vietnam au son de « La Chevauchée des Walkyries » de Wagner. Et lâchait ces mots comme une bombe de plus dans ce déluge de feu : « J’adore l’odeur du napalm au petit matin »…

    Avec cette réplique et cet assaut d’hélicoptères, comme avec d’ailleurs beaucoup d’autres scènes mémorables au fil du voyage halluciné du capitaine Willard (Martin Sheen), traquant le colonel Kurtz (Marlon Brando) pour l’éliminer, en pleine guerre du Vietnam, « Apocalypse Now » a fini par prendre la place qu’il méritait dans l’histoire du cinéma. Majestueusement… Pourtant, c’est dans l’incertitude totale que le film de Francis Ford Coppola commença sa carrière, en 1979.

     

    [youtube id= »KlsfM2BmsJU » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    Fort du succès des « Parrain I et II », Francis Ford Coppola présente en 1979 au Festival de Cannes son nouveau projet inspiré du roman de Joseph Conrad, « Au Cœur des Ténèbres » (non crédité au générique). Il obtient la palme d’or ex-aequo avec « Le Tambour » de Volker Schlöndorff. Un destin inespéré pour un film dont le tournage fut tout bonnement catastrophique. Entre les crises du réalisateur, les caprices des acteurs, les maladies tropicales et la drogue, rien ne prédestinait « Apocalypse Now » au succès dont il fut couronné à l’époque.

    Pourtant, dès sa toute première projection à Cannes en 1979, Coppola n’est pas franchement satisfait du résultat et considère cette première version comme étant toujours « a work in progress ». Il en proposera donc une nouvelle version 22 ans plus tard, en 2001, rallongée de 49 minutes et renommée « Apocalypse Now Redux ». Aujourd’hui, le réalisateur récidive en sortant « Apocalypse Now Final Cut », qui devrait (selon ses propres dires…) être la version ultime de son chef d’oeuvre absolu. 40 ans, c’est le temps qu’il aura fallu à Coppola pour être enfin satisfait de son film le plus emblématique…

     

     

     

    « Apocalypse Now n’est pas un film sur le Viêt Nam, c’est le Viêt Nam. Et la façon dont nous avons réalisé Apocalypse Now ressemble à ce qu’étaient les Américains au Viêt Nam. Nous étions dans la jungle, nous étions trop nombreux, nous avions trop d’argent, trop de matériel et petit à petit, nous sommes devenus fous. » (Francis Ford Coppola)

     

    « Apocalypse Now » nous conte donc l’histoire du Capitaine Willard, missionné en pleine guerre du Vietnam pour trouver et éliminer le Colonel Kurtz, officier des forces spéciales, brillant mais soupçonné de mener sa propre guerre. Ce qui ne devait être qu’une simple opération va se transformer en voyage initiatique et en une prise de conscience choquante de l’horreur de la guerre. Pour être au plus près de la réalité, Coppola n’a d’ailleurs pas hésité à utiliser de vrais cadavres pour certaines scènes…

    Le film s’ouvre sur le jeune capitaine Willard, cloîtré dans une chambre d’hôtel de Saïgon, mal rasé, imbibé d’alcool et sorti de sa prostration par une convocation de l’état-major américain. Le général Corman lui confie une mission qui doit rester secrète : éliminer le colonel Kurtz, un militaire aux méthodes quelque peu expéditives et qui sévit au-delà de la frontière cambodgienne.

     

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    Coppola nous livre à travers son film une sévère critique de la guerre du Vietnam, ce qui sera cependant contredit par certains journalistes ou chroniqueurs à l’époque de sa sortie. Rappelons que l’opinion publique était dans son ensemble défavorable à l’engagement américain en Indochine et que lorsque les vétérans finirent par rentrer au pays, ils furent accueillis non pas en héros, mais plutôt comme des parias et des criminels. En plus de la violence et des abus inhérents à tout conflit, l’inutilité de la présence de l’armée américaine était au cœur des critiques.

    « Apocalypse Now » reflète ainsi le manque de conviction notoire de ces soldats américains, désœuvrés, perdus, qui ne savent même plus pourquoi ils se battent. Ce n’est pas pour rien que dans la scène de la colonie française, le propriétaire de la plantation assène à Willard : « Vous les américains, vous vous battez pour rien du tout ». L’isolement et l’absence de but les poussent donc à toutes les folies.

     

     

     

    Au milieu de ce chaos, Martin Sheen, l’implacable Willard, à la tête de son commando improbable, progresse le long de la rivière, bien décidé à trouver le fameux Kurtz. Au fil de l’eau, il devient spectateur d’un monde complètement à la dérive et comprend peu à peu les raisons qui ont pu faire sortir le brillant colonel des Forces Spéciales du droit chemin. Ce dernier reste d’ailleurs une énigme jusqu’à la toute fin. Le suspense quant à son identité et sa véritable apparence monte crescendo, jusqu’à ce que l’on découvre, sortant de l’ombre, un Marlon Brando métamorphosé. À la fin du film, les deux personnages ne font pratiquement plus qu’un, tant leurs visions respectives de cette guerre et plus généralement du monde semblent désormais liées pour toujours.

     

     

     

    En 1979, à Cannes, la présidente du jury, Françoise Sagan, restera absolument hermétique à « Apocalypse Now », pour lequel le Festival avait été contraint d’accepter au préalable tous les ordres, contre-ordres, caprices et diverses contraintes techniques. Sagan ne jure en fait que par « Le Tambour » de Volker Schlöndorff… Gilles Jacob, conscient quant à lui de l’ampleur de l’œuvre de Coppola, déroge même à la règle qui interdit à un cinéaste déjà lauréat de la Palme d’or de revenir en compétition (Coppola l’avait obtenue cinq ans plus tôt pour « Conversation Secrète »).

    Car un vent nouveau souffle sur Cannes cette année-là… En fait, tout a basculé trois ans plus tôt avec la palme d’or à Martin Scorsese pour « Taxi Driver », qui a fait l’effet d’un électrochoc. On dit que le vieil Hollywood, celui des John Ford et des Vincente Minnelli, est à l’agonie. La relève est là, piaffante d’impatience. On les surnomme les garnements (Movie Brats). Ils détestent les grands studios – Fox, MGM, Warner, Columbia, Universal, Artistes Associés – et inventent déjà le cinéma du XXIème siècle avec des superproductions délirantes.

    C’est une tribu qui rêve de gloire et va qui va révolutionner le cinéma mondial, en pesant « accessoirement » des milliards de dollars au box-office : Roger Corman, Steven Spielberg, George Lucas, Martin Scorsese, Paul Schrader, Michael Cimino, Brian de Palma et Francis Ford Coppola. Justement, ce dernier a choisi son heure pour débarquer en force à Cannes en 1979, avec son film spectaculaire et nietzschéen, présenté en première mondiale. Car après ce festival, rien ne sera plus comme avant… La suite est à lire dans l’excellente série d’articles du Point parue en août 2019, à l’occasion du 40ème anniversaire du chef d’oeuvre de Coppola et de la sortie du « Apocalypse Now Final Cut », version restaurée en 4 K Dolby Atmos, conçue par le réalisateur comme ultime et définitive…

     

     

     

    « Apocalypse Now » en 8 Minutes by Blow Up (Arte)

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    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] « Apocalypse Now, la faillite de l’histoire » (Le Monde Diplomatique, 1979) 

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »]  Wikipedia

     

     

     

  • 1979, l’année qui changea le monde, Episode 05 : « Le Forum des Halles »

     

    [kleo_pin type= »circle » left= »yes » right= » » top= » » bottom= » »]          « FOCUS » : un article de fond sur un thème que nos rédacteurs ont sélectionné.

     

     

    L’année 1979 est définitivement une année-charnière, comme la fin d’un cycle. Elle scelle le sort des dernières utopies. Le monde prend une pelle et enterre à la hâte les cadavres encore fumants de nos illusions perdues. Après 1979, rien ne sera plus vraiment comme avant…

     

    Coincée à la fin d’une décennie qui paraît un peu creuse, durant laquelle les dirigeants politiques semblent manquer de charisme (le pâle Carter face au cowboy médiatique Reagan, VGE après De Gaulle et Pompidou), l’année 1979 n’attire décidément pas les flashes. Et pourtant… Que d’événements considérables ont eu lieu cette année-là, autant de tremblements qui ont marqué la face du monde et dont on ressent encore les répliques quarante ans plus tard.

    Révolution iranienne, arrivée de Saddam Hussein au pouvoir en Irak, début de la Guerre d’Afghanistan qui mènera à la chute de l’URSS et à l’apparition du terrorisme islamiste, second choc pétrolier et crise économique mondiale, paix entre Israël et l’Egypte, fin des Khmers Rouges… Il n’est pas insensé de penser que 1979 a en réalité été l’année la plus importante de l’après-Seconde Guerre Mondiale.

     

    Cette année 2019 est ponctuée de deux anniversaires. Il y a 50 ans, du 28 février au 2 mars 1969, les « Halles Centrales » partaient à douze kilomètres de Paris, à Rungis. Dix ans plus tard, le 4 septembre 1979, était inauguré le Forum des Halles, en présence de Jacques Chirac, Maire de Paris. 

     

    Il y a soixante ans, le 6 janvier 1959, au terme de longs débats, le Conseil des Ministres décide par ordonnance de transférer les Halles de Paris à Rungis et à la Villette. Malgré la mobilisation d’une partie de l’opinion en faveur du maintien des pavillons de Baltard in situ, leur démolition commence en 1971, deux ans après le déménagement des Halles Centrales et l’ouverture du nouveau marché de Rungis, au sud de Paris, devenu le plus grand marché de produits frais au monde en approvisionnant plus de 18 millions de personnes.

    Pour mieux appréhender ce microcosme et ses usages avant qu’il ne disparaisse à jamais, Daniel Karlin partait en 1969 à la rencontre de ces travailleurs du marché des Halles Centrales, aussi surnommées par Zola « le Ventre de Paris ». On y croisait ces témoins de métiers aujourd’hui disparus : une approvisionneuse qui vendait les produits qu’elle achetait aux maraîchers, un tasseur qui montait des tas de légumes sur le carreau des Halles, Marius dont le bistrot était face au Pavillon de la Marée ou encore le plus ancien mandataire de viande, arrivé aux Halles en 1915.

     

    Mémoires d’un vieux quartier | ORTF | 08/10/1969 (Images d’archive INA)

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    Suite au déménagement en 1969 des Halles de Paris, installées depuis le 12ème siècle en plein coeur de la capitale, dans l’actuel 1er arrondissement, vers la banlieue de Rungis (Val-de-Marne), des habitants du quartier, d’anciens commerçants, vendeurs et « Forts des Halles » témoignent, avec nostalgie, de cette époque révolue où, du fait de sa localisation au centre de Paris, il existait une réelle ambiance et confraternité entre les résidents des Halles. Commentaire sur images factuelles et d’archives, interviews, témoignages et explications de ce qui sera construit à la place des anciennes Halles, sur fond de travaux publics, d’ouvriers, de chantier des nouvelles Halles et d’images du quartier, constituent la base de ce reportage tourné en 1977.

     

    Images d’archive INA | 19/12/1977

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    Ce déménagement permet ainsi de concevoir une vaste opération d’urbanisme au cœur même de la capitale, pour redynamiser le centre de la rive droite. Le projet du Forum des Halles voit le jour, afin de créer une véritable ville souterraine, liée aux transports en commun et comportant des équipements commerciaux, culturels, sportifs et de loisirs. Cette orientation est confirmée par la décision gouvernementale d’y réaliser le point central d’interconnexion du RER, le Réseau Express Régional, situé à plus de 20 mètres sous terre.

    Durant l’été 1971, la démolition des Halles Baltard est donc rendue nécessaire afin de créer, à ciel ouvert, la gare souterraine du RER. Le vide et l’espace vacant laissé sur la partie ouest du site reçoivent rapidement le surnom de « Trou des Halles ». Au cinéma, le site sert, en 1973, à la transposition en plein Paris des aventures de Buffalo Bill, du général Custer et des indiens dans « Touche pas à la Femme Blanche », interprété par Marcello Mastroianni et Philippe Noiret. On l’aperçoit également dans « Les Gaspards », ayant pour thème les grands travaux de cette époque.

    Ce « Trou des Halles » symbolisera durant plusieurs années cette France en pleine mutation, entre traditions séculaires et modernité, et marquera l’entrée du pays dans la société de consommation et des loisirs. Malgré les résistances, c’est un monde qui disparaît avec la fin des « Halles Centrales ». La faune du quartier des Halles dans ces années 70, entre petits maquereaux, receleurs, dealers et punks, s’accroche à ses dernières chimères…

     

    Aujourd’hui Magazine | Antenne 2 | 19/12/1977 (Images d’archive INA)

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    A partir de 1979 et l’inauguration du Forum des Halles, le quartier des Halles verra déferler massivement, grâce à l’interconnexion du RER, une jeunesse en mal de consommation et de loisirs, fuyant l’ennui des cités-dortoirs. Les petites frappes de la décennie précédente se voient supplantées peu à peu par la nouvelle délinquance à la mode « banlieue », bâtissant la triste réputation du quartier jusqu’à sa nouvelle réhabilitation dans les années 2010.

    L’inauguration du Forum des Halles a lieu le 4 septembre 1979, en présence de Jacques Chirac, maire de Paris. 190 enseignes s’installent sur 43.000 m2 répartis sur quatre niveaux. L’ensemble de cette première tranche comprend 70.000 m2, auxquels il faut ajouter 50.000 m2 de parcs de stationnement.

     

    Sources : Wikipedia / Ina Vintage

     

     

     

  • 1979, l’année qui changea le monde, Episode 04 : « Sugarhill Gang »

     

    [kleo_pin type= »circle » left= »yes » right= » » top= » » bottom= » »]          « FOCUS » : un article de fond sur un thème que nos rédacteurs ont sélectionné.

     

     

    L’année 1979 est définitivement une année-charnière, comme la fin d’un cycle. Elle scelle le sort des dernières utopies. Le monde prend une pelle et enterre à la hâte les cadavres encore fumants de nos illusions perdues. Après 1979, rien ne sera plus vraiment comme avant…

     

    Coincée à la fin d’une décennie qui paraît un peu creuse, durant laquelle les dirigeants politiques semblent manquer de charisme (le pâle Carter face au cowboy médiatique Reagan, VGE après De Gaulle et Pompidou), l’année 1979 n’attire décidément pas les flashes. Et pourtant… Que d’événements considérables ont eu lieu cette année-là, autant de tremblements qui ont marqué la face du monde et dont on ressent encore les répliques quarante ans plus tard.

    Révolution iranienne, arrivée de Saddam Hussein au pouvoir en Irak, début de la Guerre d’Afghanistan qui mènera à la chute de l’URSS et à l’apparition du terrorisme islamiste, second choc pétrolier et crise économique mondiale, paix entre Israël et l’Egypte, fin des Khmers Rouges… Il n’est pas insensé de penser que 1979 a en réalité été l’année la plus importante de l’après-Seconde Guerre Mondiale.

     

    Sorti en 1979, le tube « Rapper’s Delight » de Sugarhill Gang fut le premier tube de l’histoire du rap. Alors coup de génie ou imposture ? Peut-être un peu des deux, mon capitaine…

     

    C’est à eux que le hip-hop doit son immense popularité aujourd’hui. Bien avant que Jay-Z, Snoop Dogg et Kanye West ne débarquent dans nos vies… Et quand, il y a quarante ans, en 1979, ils ont eu la brillante idée d’enregistrer le morceau « Rapper’s Delight », le premier succès rap de l’histoire, The Sugarhill Gang ne se doutait pas une seule seconde qu’il allait propulser le hip-hop, alors un mouvement éphémère local, au rang de phénomène culturel mondial. « J’aurais jamais cru que ça prendrait de telles proportions. À l’époque, on nous décourageait de faire du hip-hop, personne ne respectait ça », explique à l’Agence France-Presse Grandmaster Caz. Ce pionnier est l’un des co-auteurs de « Rapper’s Delight », même s’il n’a jamais été officiellement crédité pour ses paroles.

    Sorti en 1979, ce morceau s’est inscrit dans l’histoire comme le premier tube de rap, permettant au monde entier de découvrir un genre musical nouveau. Surtout, il a permis de graver dans le vinyle cette musique née dans les « block parties » du quartier new-yorkais du South Bronx. « Avoir enregistré en studio est la chose la plus intelligente qu’on pouvait faire pour le hip-hop », se remémore pour l’Agence France-Presse Master Gee, l’un des trois rappeurs de The Sugarhill Gang, interviewé au cours de l’inauguration d’un musée à Washington en janvier. « Commercialement, on était les premiers. C’est comme si on avait marché sur la Lune », explique le rappeur, âgé aujourd’hui de 57 ans.

     

    Tout commence le 6 mars 1979, dans un loft de Manhattan…

    Le soir de son anniversaire, Sylvia Robinson, chanteuse et productrice noire américaine de R’n’B, découvre une musique dont elle ignorait jusqu’à l’existence : le Rap. A cette époque, l’Amérique danse sur les tubes disco de Donna Summer et le Royaume-Uni ne jure que par le « Post Punk » de Police, The Clash ou The Cure. Les rappeurs, eux, se produisent depuis une décennie sur les trottoirs du Bronx et de Harlem, mais personne n’a encore songé à capturer leurs sons. En vingt-quatre heures, flairant le gros coup, Sylvia va monter son label, Sugar Hill Records, et réunir dans un studio trois rappeurs inconnus. Le groupe, baptisé « The Sugarhill Gang », enregistre sur-le-champ une chanson, « Rapper’s Delight », qui deviendra le plus grand tube de l’histoire du rap (15 millions de singles vendus en quinze ans) et lancera cette musique dans le monde entier.

    Retour sur cette nuit de mars 1979 où Sylvia reçoit « un coup de poing en pleine figure ». Ce soir-là, les DJ font scratcher sur les platines les riffs de James Brown. Portés par ces tempos endiablés, des rappeurs prennent tour à tour le micro, improvisant des joutes verbales saccadées. « Ils ont créé l’ambiance extatique d’un choeur de gospel, raconte-t-elle, mais leurs rythmes étaient imprégnés de groove, de blues et de jazz. La foule répondait, chantant aussi énergiquement qu’elle dansait sur le beat ». En rentrant chez elle, Sylvia compose un morceau dont la mélodie, simple mais poignante, s’appuie sur la ligne de basse du célèbre « Good Times » de Chic. Reste à trouver des interprètes…

     

    Mais Sylvia ne connaît aucun rappeur…

    « A l’époque, j’avais 16 ans, se rappelle son fils, Joe Robinson. Je connaissais une pizzeria où travaillait un certain Big Bank Hank, 21 ans, pizzaiolo le jour, rappeur la nuit. J’ai immédiatement emmené ma mère l’auditionner ». Enthousiaste, Big Bank chasse ses clients, ferme sa devanture et commence à rapper dans la voiture de Sylvia. Sur le trottoir, Master Gee, 16 ans, les entend et se lance dans un duel vocal avec Big Bank. Sur ce débarque un troisième rappeur, Wonder Mike, 21 ans. La productrice les conduit dans un studio et recrute six musiciens supplémentaires. Les neuf ne s’étaient jamais rencontrés avant. Le temps d’écouter la composition de Sylvia, et Master Gee attaque : « I said a hip hop the hippie the hippie to the hip hip hop, a you don’t stop… ». Wonder Mike prend le relais : « See, I am Wonder Mike and I like to say hello: to the Black, to the White, the Red and the Brown… ». Les autres enchaînent. Une seule prise suffit : quinze minutes de rap improvisé jusqu’à l’épuisement sur une musique Funky.

    Une semaine plus tard, le single fait un carton. « Tout le monde se demandait d’où venait cette musique étrange : une suite d’onomatopées, de flashs sonores et de mots destinés à frapper l’auditeur », se remémore Joe, qui, depuis 1985, est devenu un membre du groupe. Le public était envoûté et les mots « Rap » et « Hip-Hop » ont envahi le circuit commercial. « Rapper’s Delight » devient ainsi l’hymne du Rap et déferle sur les pistes de danse.

    Toutefois, son accueil dans les milieux du Bronx est moins chaleureux : un soir, un DJ de New York passe le tube dans un club et se retrouve avec un pistolet pointé sur la tempe. « Je te fais exploser la cervelle si tu ne jettes pas cette merde à la poubelle ! », menace ce puriste de la vieille école. Pour lui, Sugarhill Gang ne représente pas l’esprit des pionniers et diffuse des rimes sans contenu. Bambaataa ira jusqu’à dire que cette formation de Noirs se prostitue en imitant les niaiseries des Blancs. Et pourtant, un an après la sortie de ce tube, la première émission radiophonique de rap, « Mr Magic’s Rap Attack », annonce au monde l’arrivée d’un nouveau courant musical…

     

    D’une musique pour draguer les filles…

    « Rapper’s Delight » s’est donc vendu à des millions d’exemplaires à travers le monde et a même eu l’honneur d’être introduit en 2011 à la très prestigieuse Bibliothèque du Congrès à Washington. C’est à quelques minutes de là que s’est ouvert début 2019 un musée éphémère du Hip-Hop, où étaient exposés plusieurs centaines de micros dédicacés, disques de platines, produits dérivés, posters… La parfaite représentation de quarante ans d’histoire, dont les trois acolytes Hen Dogg (décédé depuis), Wonder Mike et Master Gee sont à l’origine. Loin de lui, pourtant, l’idée de marquer la musique quand Master Gee se met derrière un micro à la fin des années 1970. « Je voulais juste avoir un rencard avec une fille ! » rigole-t-il. « J’étais au lycée, je rappais à des fêtes de mon quartier. Je voulais juste me décrire pour m’assurer que les gens sachent qui j’étais ».

    À l’époque, le Hip-Hop est une culture balbutiante dont le Rap est l’expression musicale et qui tourne autour de quatre éléments : la danse, le graffiti, le « MCing » (la manière de rapper) et le « DJing » (la maîtrise des platines). Pour enregistrer « Rapper’s Delight », The Sugarhill Gang se paie donc le luxe de reprendre la célèbre ligne de basse de « Good Times », le tube du groupe de disco Chic, également utilisée en 1980 par Queen dans « Another One Bites the Dust ». « Avant de rapper, j’étais un DJ et le disco était à la mode à l’époque. Il y avait le funk avec des artistes comme Parliament-Funkadelic, Nile Rodgers… On prenait des éléments dans toutes les musiques autour de nous », explique Master Gee.

     

    … à l’émergence d’un rap « conscient »

    À ses débuts, le rap est festif et aborde des thèmes légers, comme la fête, la drague et l’amour de cette musique, médium utilisé par une minorité noire et discriminée pour s’exprimer. « C’était une libération, un nouveau moyen marrant de s’exprimer », rembobine Grandmaster Caz, qui, du haut de ses 57 ans, continue d’arborer avec fierté ses chaînes « bling-bling ». Au musée de Washington, Grandmaster Caz et The Sugarhill Gang se sont produits pour un concert « old school » avec un autre précurseur du genre : Melle Mel. Ce dernier faisait partie du groupe Grandmaster Flash and the Furious Five, qui en 1982 a sorti une autre pierre angulaire du rap : « The Message ».

    Ce morceau est le premier à avoir décrit avec réalisme la vie et la pauvreté dans les ghettos. Un style « conscient » qui a profondément marqué cette musique, souvent vue, notamment en France, comme le moyen d’expression des sans-voix. Et encore une fois, la révolution est arrivée par accident. « Je voulais juste faire quelque chose de différent, pour me démarquer des textes de base », se rappelle Melle Mel, âgé également de 57 ans. « Il s’est avéré que c’était du rap conscient, mais je voulais juste changer de style ». Si Melle Mel estime maintenant que leur chanson est « la plus importante de l’histoire du rap », le pari était loin d’être gagné lors de son enregistrement.

     

    « Personne n’y croyait vraiment. Je ne pensais pas que ça allait être un succès populaire, parce que c’était un morceau sérieux. Le hip-hop était une manière de s’échapper. Les gens voulaient s’amuser. »

     

    La recette a pourtant pris : grâce à ce tube, les membres du groupe sont devenus les premiers artistes Rap à être introduits au Rock and Roll Hall of Fame, panthéon du rock et de la musique populaire américaine, en 2007. « Cela a permis de mettre notre musique au niveau où elle devait être : aux côtés de tous les autres grands genres », ajoute Melle Mel. Et même si les nouveaux artistes du moment ne connaissent pas forcément leur nom et leurs tubes, les pionniers restent confiants quant à l’évolution du Rap. « On n’arrête pas ce qui est inéluctable et on ne tue pas ce qui est immortel. C’est ça le hip-hop », sourit Master Gee.

     

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    Sources : Le Point / L’ExpressTélérama