Étiquette : Tod Browning

  • Channel Zero, la Peur In… American Horror Story, la Peur Out…

     

     

    Allez, rendons-nous à l’évidence, depuis combien de temps n’avons-nous pas eu peur au cinéma ? Cette peur viscérale, irrationnelle, celle que l’on ramène ensuite chez soi et qui nous saisit jusque dans notre lit…

     

    Vous allez me dire que tout est une question de subjectivité… Certes. Car chacun possède son propre bagage émotionnel et ne réagit pas de la même façon en fonction de la situation donnée. Je mettrai donc tout le monde d’accord si je cite la mort et la souffrance comme vecteurs incontournables de ce qui peut engendrer la véritable peur originelle, même si cette perception est désormais souvent galvaudée par un surplus de représentation graphique gérée par le biais d’images virtuelles. Mais on confond hélas bien souvent gore et peur, dégoût et imagination.

    Ces thèmes sont pourtant bien présents dans tout ce que l’on nous propose en salle depuis longtemps, mais la mode des « Jump Scares » a peu à peu supplanté ce qui était auparavant élaboré tout au long du récit pour nous faire ressentir au maximum les craintes des protagonistes. On a désormais tout au plus affaire à des trains fantômes, des attractions de fête foraine qui nous provoquent un petit frisson, mais qui s’oublient dès que nous avons quitté la salle.

    Les « Conjuring », « Anabelle », « Insidious » et autres « Dame Blanche » ne sont que de petits goûters à grignoter, avec ça et là quelques idées intéressantes et des mises en perspective nous rappelant les phobies de notre enfance. On joue avec nos nostalgies et nous sommes des peureux consentants…

    Mais pour un véritable festin tel que « L’Exorciste » premier du nom, dans sa version d’origine avec surtout le doublage français, « Massacre à la Tronçonneuse », « Henry, Portrait of Serial Killer » et même le premier « Amytiville », il nous faudra désormais nous tourner vers la télévision pour savourer et regarder la terreur dans les yeux. Renouer avec cette peur qui vous étreint, vous enveloppe et vous met mal à l’aise…

    L’avantage indéniable qu’il y a avec les séries, c’est que les scénaristes peuvent déjà élaborer leur histoire et peaufiner les personnages, en prenant le temps qu’il faut. Ainsi, la peur n’est plus un prétexte ou une simple nécessité cosmétique pour masquer l’indigence d’un scénario bâclé et parvenir sur une heure trente de métrage à essayer de contenir un suspense artificiel.

    Nous allons à présent nous pencher sur deux séries télévisées américaines récentes qui partagent la même ambition, à savoir : terrifier. Cependant, si l’une réussit son pari, l’autre, en revanche, si elle n’avait pas trop mal commencé, s’est ensuite asphyxiée, ne sachant tout bonnement pas comment se renouveler, restant tellement accrochée à son idée de départ qu’elle en a oublié ses principales motivations.

     

    American Horror Story

    Ambitieuse, opportuniste ou éclairée, cette série tout d’abord séduit. En admettant que la plupart des téléspectateurs ont la mémoire cinéphilique plutôt courte et que les autres qui découvriront ce spectacle ont une culture comblée en références prestigieuses, on peut alors s’amuser et prendre beaucoup de plaisir à suivre les aventures de cette première saison sur le thème de la maison hantée.

    Les créateurs de ce show affichent des inspirations des plus pointues, du « Sixième Sens » à « Rosemary’s Baby », en passant par « Beetlejuice », « Le Loup-Garou de Londres » ou « The Day of the Locust »… Autant de grands films qui ont servi de modèles à cette première salve d’épisodes. Et il en sera de même pour les huit saisons qui suivront, chacune partant d’un postulat et d’une thématique forte. Après la maison hantée, l’asile psychiatrique avec en bonus des nazies, des tueurs en série et même des extra-terrestres pour la Saison 2. Pourquoi pas…

    Pour la troisième saison, on plonge dans l’univers de la sorcellerie, avec son lot de magiciens, de sorts jetés, de vaudou et d’animaux fabuleux issus de folklores en tout genre. La quatrième saison ravive quant à elle l’âme du film mythique de Tod Browning, « Freaks », et le monde du cirque, avec forcément en bonus un serial killer sous les traits d’un clown maléfique.

    Dans la cinquième saison, on aborde les vampires dans le cadre étrange d’un hôtel à la sauce « Shining » ; la sixième saison, le survival campagnard mâtiné de cultes païens et de sacrifices humains. La septième saison a tout naturellement pour contexte l’élection de Donald Trump, en référence au titre même de la série, et montre une réelle prise de position des auteurs. La huitième et dernière saison à ce jour a pour thèmes l’Apocalypse et le Diable, et marque le retour en force des sorcières de la Saison 3.

    Tel un shaker géant que l’on aurait rempli de tout ce qui a cours depuis près de 60 ans, en clichés ou autres idées sur la question, le cocktail obtenu est parfois un peu épais, un peu riche. Mélangeant des traumatismes et faits divers ayant secoué l’Amérique ces dernières années à d’autres légendes urbaines, le tout agrémenté par des ambiances de Soap Opera façon « Desperate Housewives », « American Horror Story » devient ainsi le rejeton (im)parfait, qui justifie son existence en commentant les névroses dont souffre la société américaine depuis toujours, à savoir ses divers complexes de culpabilité vrillés par la religion et son manque, voire son absence, de culture et d’histoire.

    Avec cette galerie de personnages, mortels et fantômes, qui se confondent, s’affrontent, s’aiment et se déchirent, et même si le résultat est parfois confus, des épisodes nous réservent tout de même, à défaut de vrais frissons, des images, des idées formelles sublimes, des acteurs inspirés et surtout, le clou, la cerise, une Jessica Lange impériale.

    Si « American Horror Story » n’est pas la série effrayante et malsaine que l’on espérait (trop d’humour, de décalage et d’enrobage esthétique léché, qui donnent parfois plus l’impression de feuilleter un art book qu’une histoire filmée), on apprécie tout de même l’audace de l’entreprise et sa générosité.

     

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    Channel Zero

    « Channel Zero » est une série qui ne va pas chercher à faire jolie avec de faux concepts et un casting à répétition. On pense tout d’abord à une autre série anglaise intitulée « Black Mirror ». Ici on ne surfe pas sur la mythologie classique ; sorcières, vampires, fantômes, monstres en tout genre, psychopathes actuels pour faire joli et revendications queers sur le dessus, en un fourre-tout façon fête foraine. On s’intéresse davantage à notre société et l’évolution de nos us et coutumes.

    Si « Black Mirror » s’appuie sur notre rapport à la technologie et les dérives que cela entraîne, conséquence et fatalité, dans des récits d’anticipation où chaque point de départ est une projection de ce que l’on vit au présent, « Channel Zero » va plutôt utiliser l’époque actuelle et la tordre façon « Twilight Zone », avec des préoccupations bien ancrées dans le réel.

    Pour l’ambiance générale, on navigue dans des réminiscences très « Lynchiennes ». Les protagonistes vont constamment être confrontés à des situations remettant leur équilibre mental et leur existence même en doute. Il y est question de légendes urbaines remaniées et agrémentées de concepts assez fous. Les visions, les situations que vivent tous les personnages, sont dans leur genre assez inédites. La peur fonctionne systématiquement grâce à l’empathie des personnages, suffisamment neutres, pour que l’on puisse se projeter assez rapidement en eux.

    Que ce soit une émission pour enfants qui ne peut être vue que par les enfants eux-mêmes et qui les transforme en monstres, une maison noire qui apparaît et disparaît à sa guise dans une banlieue pavillonnaire quelconque et qui renferme un monde inversé, une famille ayant pactisé avec une divinité funeste pour obtenir la vie éternelle ou une femme capable de faire surgir ses amis invisibles de son enfance afin de se venger, ce sont autant de thématiques passionnantes dont on peut aimer avoir peur, mais tout en réfléchissant sur notre existence et notre rôle à jouer dans cette vie qui nous est allouée.

    L’inventivité des scénaristes conjuguée au talent indéniable des réalisateurs et producteurs apportent tout le sel à ce programme brillant, innovant et totalement dérangeant. Chacun de ses thèmes tient sur une saison de six épisodes, au cours de laquelle les concepteurs de la série prennent vraiment le temps de développer l’intrigue.

    Avec « Channel Zero », nous avons indubitablement affaire à la série la plus aboutie, la plus moderne et définitive dans ce registre, avec toujours cette peur en filigrane, qui ne se cache plus derrière la porte ou dans un recoin sombre pour nous faire sentir sa présence ; mais une peur qui ne joue plus avec des références empruntées aux classiques de la littérature, ni avec les codes en vigueur ou les règles usitées.

    Et force est de reconnaître que les séries sont aujourd’hui de précieux laboratoires pour nos imaginaires et notre appétit insatiable de nouveauté…

     

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    Quant à la prochaine Saison 9 de la série « American Horror Story », elle se dévoile dans un teaser sombre et mystérieux…

     

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  • Os & Vanité

     

     

    Notre fin de civilisation n’en est pas à un paradoxe près…

     

    Une société où plus personne n’est censé mourir de faim, où l’abondance et la diversité des aliments se trouvent même jusque dans les containers à ordure des grandes surfaces qui préfèrent jeter que de redistribuer (mais ça c’est un autre débat).

    Pourtant, il existe une religion, avec ses croyances et ses pratiques radicales, qui n’est pas le salafisme ou une de ces doctrines orthodoxes monothéistes connues. Il s’agit de ce royaume étrange de la mode et de ses sortilèges.

    Un monde parallèle fait de luxe, d’exception et de beauté, qui de petits ateliers et de salons cramoisis pour belles bourgeoises d’avant-guerre, se mua décennie après décennie en un concept commercial qui finalement réussit à se fondre dans notre vie de tous les jours.

    Des Saint Laurent, des Courrèges, des Cardin, ont voulu démocratiser les belles étoffes et les finitions savantes pour vendre plus mais surtout faire de la couture un produit de pop culture, accessible… Cette révolution, d’abord noble et candide, engendra des monstres que sont aujourd’hui les H&M et autres Zara. Les petites structures artisanales d’antan qui faisaient travailler des couturières émérites ne sont plus.

    Les grands groupes textiles ont piétiné les valeurs de la confection et du savoir-faire pour embrasser la mondialisation en se nourrissant tel l’ogre de petits enfants, chair à canon, pour gagner sans panache cette guerre globale de l’anéantissement des valeurs morales et humanistes.

    Cyniques ou aveugles, nous acceptons sans broncher, heureux d’acquérir ces vêtements ersatz à moindre frais, en prenant soin de ne pas penser aux petits bras s’attelant à la tâche à l’autre bout du monde en échange d’un salaire de misère… Et c’est sans compter ces artificiers que sont les publicitaires et les départements marketing pour rediriger la foule anonyme vers de nouveaux besoins. Mais là encore, c’est toujours un autre débat.

    Il aura fallu certes du temps mais nous y sommes, en plein dedans. Ce fameux futur Orwelien où tout est devenu slogans, tels des litanies martelées à longueur de journée et reprises en cœur par toutes celles et ceux qui ont le pouvoir de les relayer. Au cinéma, à la télévision, dans la presse et les magazines.

    Ce monde hermétique rempli de falbalas, devenu finalement le dieu suprême à vénérer, avec ses rituels, ses obédiences et ses fidèles. Ce monde devenu triste mais où on nous oblige à être beaux, souriants, légers, en commençant par tous ceux qui deviennent célèbres et riches et qui doivent impérativement être sûrs d’eux, drôles, attrayants et minces, oui minces, toujours plus minces, en rêvant à l’épaisseur d’une feuille de papier comme but ultime à atteindre.

    Cette idée de la minceur comme une victoire sur la vie ou une revanche sur toutes nos frustrations existentielles mutées en obsessions quasi journalières, où l’on préfère désormais porter un pantalon en taille 32 que de se nourrir convenablement. Arborer une silhouette osseuse, famélique, flottant dans une veste XS avec une pomme et un bouillon comme seul repas de la journée.

    Cette fixation sur la maigreur, après avoir supplanté celle de la minceur, est vécue donc comme une normalité, soit une règle absolue, aussi bien pour les femmes que pour les hommes, et maintenant même pour les enfants. Pour vous en convaincre, les mannequins hommes vus dans les derniers défilés Vuitton, Balenciaga ou Rick Owens, arboraient des visages crayeux, les yeux fiévreux, les pommettes du visage comme des lames.

    On se souvient aussi de la silhouette osseuse et blanche de David Bowie dans le film « L’Homme Qui Venait D’ailleurs », période albums « Station To Station », « Low » et « Heroes », quand une abondance de cocaïne le faisait ressembler à un grand cadavre exsangue.

    Regardez-les, tous ces cintres mouvants sur les podiums comme dans la rue, qu’un simple courant d’air peut balayer de la surface de la terre. Voici donc cette image démultipliée qui représente si bien cet univers qui prend tous les jours un peu plus des couleurs de fin du monde, absurde, violent, grotesque et dément.

    … Et ces êtres décharnés si bien habillés, superposant la hype et les tendances, qui se frôlent dans la rue avec d’autres êtres devenus quant à eux obèses et monstrueux, à force d’ingérer toutes les heures de la journées du gras et du sucre. Spectacle de « Freaks » que n’aurait pas renié Tod Browning.

    Cette anorexie collective triomphante s’invite jusque dans les restaurants des grands chefs où il est formidable de dépenser une fortune pour se faire servir des assiettes immenses et vides, où l’aliment lui-même est remplacé par des formulations pompeuses déclamées par des maîtres d’hôtel taillés comme des épingles et qui vous regardent sournoisement si vous avez le malheur de demander si le plat choisi est copieux.

    Quand on sait que le premier à avoir exigé cette maigreur chez les modèles hommes ou femmes s’appelle Hedi Slimane, lui-même physiquement étranger au concept de nourriture. Relançant la mode du « Slim », cette silhouette post Punk-Rock de la fin 70 et du début 80, lorsque beaucoup des figures populaires ou underground de cette époque naviguaient toutes entre Héroïne et Cocaïne, avec à la clé une fin prématurée.

    Cette vision romantique mais morbide d’une époque ou d’un courant musical qui est devenue avec tous ces directeurs artistiques, à commencer par celui de la marque Saint Laurent, une norme standard. Karl Lagerfeld a succombé également à ce chant des sirènes pour se transformer en une poupée effrayante tout droit sortie d’un épisode des « Sentinelles De L’Air ».

    Pas un vêtement acheté dans la grande distribution qui désormais ne sera pas « Slimy », ou soit veste étroite, chemise resserrée à la taille et pantalon tube. Les ventres et les bourrelets sont donc cruellement recalés. Régime et sport sont devenus obligatoires pour chacun d’entre nous, si nous ne tenons pas à encaisser chaque jour de petites phrases assassines, ou même de simples regards accusateurs sur nos parties de corps incriminées.

    On se croirait vivre sur une terre, à l’instar du film « Body Snatchers », où nos différences risquent de se retourner contre nous à tout moment et où il serait tellement plus simple de devenir comme tous les autres, dans une uniformisation confortable et sereine, ces autres qui s’échangent un petit sourire et un mouvement de tête entendu lorsqu’ils se croisent.

    La tyrannie du beau, du mince, du maigre, du lustré, du sans poil, instaurée par tous ces gens qui gravitent dans un univers où on ne vit décidément pas comme le tout un chacun.

    Des moutons de Panurge, des veaux, c’est ce qui définit le reste d’une société anxieuse de pouvoir devenir aussi comme l’un de ces mannequins de 16 ans vu dans une revue, ou même encore pouvoir ressembler à un acteur de cinéma qui pour les besoins d’un film doit perdre 15 kilos en deux semaines et voir son corps devenir hyper musclé à grand coup de stéroïdes, d’injections et d’endoctrinement coachisé 24 heures sur 24.

    Ceci n’est pas la réalité. Ceci n’est pas réel. Pourtant, comme un pied qui ferait du 44 et qui à l’aide d’un chausse-pied voudrait absolument rentrer dans une ballerine en 38, nous sommes obnubilés par ces silhouettes filiformes qui nous entourent, dans un cauchemar qui a déjà commencé.

    Autrefois, les femmes plus girondes portaient des corsets, puis plus tard des gaines pour affiner la taille. Aujourd’hui, pour paraître aussi plates que des limandes, les plus riches se font enlever des côtes, liposucer… On transforme son corps, on le modifie, on le travestit, on le profane à la gloire de cette déité païenne. Des romanciers comme J.G. Ballard avaient vu juste sur le devenir de l’être humain.

    Quant à nos rêves de voyage dans les étoiles, il est peu probable que cela nous soit permis un jour, tant toutes nos pensées sont réduites, recroquevillées sur l’inconséquente et insignifiante petite enveloppe qui nous sert de corps. Cette science fiction qui nous faisait tellement rêver enfant est réduite à bien peu de chose…

    Sous tous ces prétextes fallacieux du « bien vivre », du « saint, équilibré, léger », à grand renfort d’écrans, de caméras et d’objectifs nous scrutant en boucle, de montres au poignet qui contrôlent, surveillent tous nos faits et gestes, le nombre de marches montées et les calories perdues, nous perdons à vitesse grand V tout ce qui restait d’humanité en nous. De trop nous regarder dans ces miroirs magiques pour nous rassurer sans arrêt quant à la perfection de notre dentition blanche et parfaite, nos muscles si bien dessinés, notre coupe de cheveux si réussie, nous devenons aussi lisses que ces surfaces réfléchissantes, aussi transparents qu’une vitre, aussi vides qu’un courant d’air. Oui, nous disparaissons ainsi de la surface de la terre. Nous nous effaçons.

    Et il ne reste que des os et de la vanité…

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

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