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  • Brian de Palma : Le cinéma réflexible

     

     

    Rétrospectivement, il y a plusieurs façons d’appréhender le cinéma de Brian de Palma, car certains pans de son œuvre nous questionnent sur ce médium, tant comme divertissement que sujet de réflexion. Tout au long de sa filmographie, le réalisateur de « Carrie » n’a eu de cesse que de proposer des œuvres tour à tour référentielles ou purement formelles, dérangeantes, innovantes ou mettant en avant des idées militantes, voire polémiques.

     

    Issus d’un mouvement baptisé le « Nouvel Hollywood » qui, dès la fin des années 60, va durant toute la décennie suivante remodeler le paysage cinématographique américain, dans sa manière de filmer et de raconter une histoire, et de par les sujets abordés, rendre le cinéma peut-être plus adulte, plus concerné par la réalité sociale et économique du pays, les jeunes réalisateurs qui vont apparaître à cette période auront tous cette façon viscérale, organique, de traiter leurs sujets, mais surtout d’interroger le cinéma.

    Brian De Palma va appartenir à cette prestigieuse bande d’amis, et surtout de cinéastes en devenir, tels que George Lucas, Francis Ford Coppola, Steven Spielberg et Martin Scorsese. Tous partagent de grandes aspirations quant à cette passion qui les dévore. Avant tout des cinéphiles nourris au cinéma européen, qu’il se nomme « Nouvelle Vague » en France ou « Néoréalisme » en Italie, ils vont transcender, chacun avec sa propre sensibilité, le 7ème Art. Mais ça n’est pas simplement sous l’impulsion de leur goût pour les films venus d’Europe… Il va s’agir d’une vraie prise de conscience, d’un choc, qui vont trouver leur sens et faire écho à des événements liés aux États-Unis eux-mêmes.

    Comme beaucoup de cinéastes de cette époque, avant la guerre du Vietnam et ses répercussions, il y a surtout le 22 novembre 1963, date fondatrice. Ce jour-là, des millions de téléspectateurs assistent en léger différé à la télévision à l’assassinat de John F. Kennedy… Cette scène, filmée en Super8 par un caméraman amateur, constituera le premier film gore du cinéma américain et va rentrer dans l’imaginaire collectif, en imprimant les rétines à tout jamais ; le président des Etats-Unis abattu d’une balle dans la tête, et ce morceau de crâne que l’on voit s’en détacher, alors qu’il est en train de saluer la foule venu l’accueillir à Dallas. C’est un électrochoc pour toute une génération de réalisateurs, et bientôt une nouvelle manière de penser les images et ce qu’elle disent. La mort d’un homme en direct à la télévision va tout simplement bouleverser la manière de concevoir un film.

    Jusqu’à cette sombre date du 22 novembre 1963, certaines images ne pouvaient en aucun cas être montrées à l’écran, telles que la représentation crue de la nudité, de la violence et même du sang. En 1967, le réalisateur Arthur Penn va être un précurseur, avec son film « Bonnie and Clyde », en figurant des impacts de balle qui sonnent vrai. Le sang est omniprésent et le film, à sa sortie, connaît un véritable retentissement, puisque non seulement son contenu est graphiquement très violent, mais de surcroît les héros du film sont les méchants de l’histoire et la police, dans une inversion des rôles, ceux que l’on déteste. On n’avait encore jamais vu cela au cinéma.

     

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    En 1970, c’est aussi ce même réalisateur qui traitera dans son film « Little Big Man » du génocide des Amérindiens. Là encore, on sera bien loin du cinéma de John Ford ou de Howard Hawks, avec cette bonne vieille ganache de John Wayne, l’ultime symbole de la suprématie blanche hégémonique et triomphante.

     

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    Oui, le cinéma est bel et bien en train de muter et cette révolution, plutôt que d’être contenue, est acceptée par les grandes majors, qui voient ici le moyen de redevenir une industrie forte et prospère, après avoir perdu de sa superbe avec l’avènement de la télévision dans les foyers américains. Le temps des westerns et des comédies musicales est révolu…

     

    Après une série de courts-métrages réalisés durant ses années passées en tant que jeune professeur de cinéma, Brian De Palma commence à tourner des longs-métrages dès la fin des années 60, notamment avec un débutant prometteur, Robert De NiroGreetings », « The Wedding Party », « Hi Mom! »). Et c’est d’ailleurs avec le film « Greetings » que De Palma remporte son premier succès public et critique, ce qui va lui ouvrir les portes des grandes majors. C’est un film sur la guerre du Vietnam, mais surtout une comédie qui traite de l’obligation morale de s’enrôler dans l’armée pour aller combattre.

    Ainsi, au lieu d’assister dans « Greetings » à des combats valeureux et des scènes où de vaillants Américains clament à la face du monde pourquoi il faut faire la guerre au nom de la liberté, cette oeuvre fondatrice évoque en fait une bande d’amis qui va tout faire justement pour ne pas avoir à la faire. Si le film est caustique et traite d’un sujet grave qui s’appuie sur des intentions légères, on y perçoit pourtant toute la matrice du cinéma de De Palma, dont fait déjà partie l’assassinat de Kennedy. En effet, De Palma fut durablement marqué par ces deux évènements historiques majeurs, et probablement plus encore que les autres cinéastes de sa génération, et il n’eut de cesse que de déployer ensuite, tout au long de son œuvre, les thèmes de la paranoïa, des faux-semblants et du mensonge.

     

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    De Palma fut précurseur de ce mouvement que l’on va donc dénommer rétrospectivement le « Nouvel Hollywood », et d’autres réalisateurs vont lui emboîter le pas, en proposant des films totalement en dehors des moules et des canons en vigueur dans l’industrie du cinéma à cette époque. La guerre du Vietnam va aussi passer par là, avec son lot de traumatismes qui vont venir imprimer durablement l’inconscient de tout un pan de ces jeunes réalisateurs. En ce qui concerne les noms précités, leurs aspirations vont très vite se démarquer de celles de leurs coreligionnaires : Hal Ashby, Alan J. Pakula, Sydney Pollack, Milos Forman, Sydney Lumet, Jerry Schatzberg, Nicolas Roeg, William Friedkin, ou même celui qui fut considéré comme le fossoyeur de ce courant, Michael Cimino, avec son film « La Porte du Paradis » à l’aube des années 80.

    En 1972, De Palma réalise « Sœur de Sang » avec Margot Kidder, la future Lois Lane de « Superman ». Au-delà de ses velléités et de ses engagements vis-à-vis de la politique de son pays dans laquelle il ne se reconnaît pas, il lorgne alors vers un cinéma tout en référence, en emprunt et en hommage. Il va s’agir de variations sur des thèmes, des films et des réalisateurs qui ont créé des formes nouvelles, à commencer par Alfred Hitchcock, qu’il vénère par dessus tout, mais surtout Fritz Lang (sorte de matrice du cinéma à lui tout seul). Imaginez Bach et son apport à la musique, puis des tas de petits Mozart qui suivraient derrière…

    « Sœur de Sang » sera ainsi le premier film d’une longue liste d’œuvres, que l’on peut citer comme sa série « maniériste », auquel succèderont « Obsession », « Pulsions », « Blow Out », « Body Double », « L’esprit de Caïn » et plus récemment, « Passion » en 2012. Totalement obsédé par le cinéma du réalisateur de « Vertigo », il n’aura alors de cesse que de disséquer les films d’Hitchcock.

     

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    Pourtant moins cité dans ses listes d’influences et de chocs esthétiques, il y a également Dario Argento et ses films « Profondo Rosso », « Suspiria » et « Inferno », avec leur façon de destructurer un récit en mélangeant, comme dans un grand trip onirique, les références artistiques, la photographie et surtout le ressenti, l’ambiance. Alors que le réalisateur transalpin est contemporain de son homologue américain, il va durablement influencer ce dernier dans son processus de création de dispositifs. Brian De Palma ira même jusqu’à repomper allègrement certaines façons de filmer. On pense notamment au plan tourné à la Louma dans le film « Ténèbres » d’Argento et réutilisé pour l’ouverture de « Body Double » ; ce regard abstrait qui passe de fenêtre en fenêtre, afin d’espionner des filles dans un immeuble, sans que l’on puisse raisonnablement imaginer qu’un être humain normalement constitué puisse effectuer une telle prouesse physique…

     

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    Ce sont en effet à chaque fois des projets dans lesquels De Palma se triture le cerveau, en malaxant autant les références que les techniques narratives, les clins d’oeil appuyés à ses maîtres et l’énumération de tout ce qui a construit jusque-là le cinéma américain ; la figure de la femme fatale, blonde ou brune, les coups de théâtre et la manière d’ériger le décor comme personnage à part entière.

    On y trouve également le thème du voyeurisme évoqué dans « Fenêtre sur Cour » d’Alfred Hitchcock, qui va devenir une constante dans le cinéma de De Palma (« Body Double »). Ce que l’on voit ou ce que l’on croit avoir vu… Il va même pousser le concept jusqu’au bout, avec ce que l’on entend ou ce que l’on croit avoir entendu (« Blow Out », en référence au « Blow Up » d’Antonioni, où un photographe croyait voir un meurtre dans une photo prise dans un parc, tandis que dans le film de De Palma, John Travolta croit entendre dans une prise-son le cri de quelqu’un que l’on est en train de tuer).

    Si cette série de films a souvent énormément divisé ou prêté à sourire, c’est parce qu’au-delà des histoires que ces films racontent, sous forme de récits-prétextes, ils revisitent notre imaginaire fait de noirceur, de meurtre et de sexe. De la sexualité, il en est effectivement beaucoup question chez De Palma, aussi bien des références psychanalytiques freudiennes que des questionnements sur nos propres libidos, qui se voient projetés ainsi à l’écran, sans pudeur ni mode d’emploi.

    Ce que l’on aime chez Brian De Palma (ou pas, d’ailleurs…), c’est justement ce sadisme, cette sophistication dans la perversité avec lesquels le réalisateur joue constamment. Ce que Hitchcock laissait entendre dans tous ses films, avec lesquels il devait slalomer pour éviter que la censure ne lui tombe dessus à tout bout de champ, De Palma, en ces décennies 70 et 80, d’une liberté retrouvée et débarrassée (pour un temps) de la bigoterie et de la bien-pensance, peut pousser les curseurs plus loin encore que ne l’aurait fait ce vieil Alfred, à grand renfort de scènes frontales et sans ambages.

    Mais ce qu’apporte en plus le réalisateur de « Mission To Mars », c’est également cette mise en abyme ludique et méta qui donne l’impression d’un cinéma à plusieurs reflets et différents points de vue ; des films sur le cinéma comme autant de passionnantes relectures. A la manière de grands mixes décomplexés, ces œuvres créent finalement un nouveau genre en soi, au point qu’elles-mêmes deviennent pour la plupart des références, avant d’être juste de pures objets vaniteux.

     

    C’est ce qui rend aussi passionnants les films de Brian De Palma, même les plus mineurs, car le réalisateur va constamment questionner le cinéma et grossir le trait intentionnellement, parfois jusqu’au mauvais goût ou la vulgarité.

     

    Et puis il y a une filmographie plus « mainstream », avec des commandes de studio de facture imparable, qui rencontrent en général un large public, au point de devenir cultes pour certaines d’entre elles : « Les Incorruptibles », « Mission Impossible », « Scarface ». Ces films sont pourtant des réussites formelles indéniables, qui s’inscrivent dans leur époque. Brian De Palma est ce réalisateur protéiforme, aussi à l’aise dans le cinéma d’auteur et personnel que dans celui à forte portée commerciale.

    Car si Brian De Palma accepte ce genre de projets, c’est pour mieux mettre en œuvre ensuite des projets plus personnels et compliqués à monter. On pense bien-sûr et surtout à « Casualties of War », titré « Outrages » en France. A l’instar de « Platoon » d’Oliver Stone et « The Deer Hunter » de Michael CiminoVoyage au Bout de l’Enfer »), la guerre du Vietnam y est montrée de la manière la plus crue, la plus douloureuse, et évoque tout ce que la guerre provoque et engendre comme dommages collatéraux terribles.

     

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    Ça n’est d’ailleurs pas pour rien que ce film avec Sean Penn et Michael J. Fox est le préféré du réalisateur. Ici, pas d’effets de style, de figures cryptées ou d’hommage appuyé. C’est frontalement et sans faux-semblant que De Palma affronte ce cauchemar américain et le spectateur n’en ressort pas indemne. Si le film divise, scandalise ou émeut, il n’en reste pas moins une œuvre définitive sur le thème de la guerre et des traumas qu’elle engendre.

    En 2007, Brian De Palma récidive avec le genre du film de guerre en nous proposant « Redacted ». Il s’agit là d’un faux documentaire dont l’action se déroule cette fois durant la guerre en Irak, où l’on assiste de nouveau, impuissant, aux exactions auxquelles se livrent des soldats américains sur des civils, à savoir tortures, viols et meurtres. Là encore, De Palma ranime sa sensibilité très à gauche, qui n’est d’ailleurs pas du goût de tout le monde à Hollywood. Si le film est plébiscité en Europe, ça ne sera pas le cas aux Etats-Unis.

    Si nous devions choisir un autre chef d’œuvre dans la filmographie de De Palma, ce serait sans conteste « L’Impasse » (« Carlito’s Way »). Avec cette idée de l’inéluctable et de la destinée, cette tragédie déguisée en polar offre à Al Pacino probablement l’un de ses plus beaux rôles au cinéma. Sa trame, pourtant éculée, est assez proche de celle du magnifique film de Jean-Pierre Melville avec Lino Ventura, « Le Deuxième Souffle ».

    Un ancien truand, sorti de prison grâce à un avocat véreux (l’excellent et toxique à souhait Sean Penn), tente de reprendre une vie normale et honnête, avec comme projet de partir finir sa vie aux Bahamas avec sa petite amie. Mais « Carlito’s Way » est un opéra à la Puccini. On assiste à la chute inévitable et tragique de ce héros fatigué. Tout est parfait dans ce film, jusqu’au brillant et bouleversant final.

     

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    Et puis, forcément, il y a « Phantom of the Paradise ». Le chef d’œuvre absolu de Brian De Palma surgit à l’écran sans prévenir en 1974. Car voilà bien un film qui n’a jamais perdu de son étrangeté et de sa fulgurance. Reprenant des éléments des trames du « Fantôme de l’Opéra » de Gaston Leroux et de l’opéra en cinq actes de Gounod, « Faust », De Palma, après une expérience professionnelle traumatisante vécue sur le tournage d’un film pour la Warner, « Get to Know Your Rabbit », imagine une comédie musicale qui serait un mélange de film d’horreur et d’amour, et qui traite du thème de la dépossession de son œuvre.

    A une époque où tout était encore possible, l’imagination et la singularité avaient encore du poids, lorsqu’il s’agissait de monter un film qui ne devait ressembler à rien que l’on ait déjà vu ; précisément tout le contraire d’aujourd’hui, avec des films qui se suivent et qui se ressemble tous. Dans ce contexte, « Phantom of the Paradise » reste un objet fascinant, toujours aussi culte, que l’on regarde avec toujours autant d’émoi et de fascination.

     

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    Mais la filmographie du réalisateur de « Furie » comporte aussi de nombreux faux pas. « Femme Fatale », « Passion », « Mission to Mars », « L’Esprit de Caïn », « Domino : La Guerre Silencieuse », « Le Dahlia Noir » sont autant de projets, certes excitants sur le papier, et qui se sont tous avérés faibles, bancals, voire complètement ratés sur l’écran. A différents niveaux et pour diverses raisons, il est d’ailleurs étonnant de constater comment une production – car un film, c’est surtout un travail d’équipe et de longue haleine – peut dérailler et devenir un train incontrôlable qu’il faut, quoi qu’il arrive, mener à terme…

    Chez Brian De Palma, ses échecs artistiques sont paradoxalement assez spectaculaires et à l’image de leur auteur, pourtant souvent capable du meilleur. On pense ainsi à Steven Spielberg, pouvant accoucher de chefs d’œuvre absolus, mais aussi susciter l’étonnement avec des films ratés, voire catastrophiques (« Le Bon Gros Géant », « Indiana Jones et le Royaume du Crâne de Cristal », « 1941 », « Le Terminal », « Hook », « Amistad »). Car même les plus grands cinéastes comptent tous à leur passif de magnifiques ratages. Et cela leur confère en tout cas un supplément d’âme.

    Mais Brian De Palma a suffisamment contribué au bonheur cinéphilique de nombreux spectateurs pour ne pas se voir refuser la place qui lui revient, parmi les plus grands. Tour à tour singuliers, étranges, ratés, puissants et toujours passionnants, nombreux sont les films de ce réalisateur qui même aujourd’hui participent encore de notre envie, de notre appétit de cinéma…

     

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  • « Shining » : le mystère Overlook qui attend toujours sous la neige

     

     

    Voilà bien un film qui, depuis sa sortie en salle en 1980, aura fait couler beaucoup d’encre. On ne dénombre plus les articles, les livres ou les documentaires retraçant l’histoire de « Shining ». Des journalistes, des cinéphiles, des professeurs de cinéma, voire des réalisateurs eux-mêmes, s’y sont confrontés, dans leur travaux comme dans leur questionnement sur ce qu’est une œuvre cinématographique, son sens et ses images.

     

    « Shining » appartient ainsi à la race de ces films disséqués, analysés, autopsiés, tant il reste encore aujourd’hui un objet de fascination, plus étrange même que l’histoire qu’il nous raconte. Beaucoup voudraient voir dans la filmographie de Stanley Kubrick, le réalisateur de « Full Metal Jacket », une manière démiurgique et définitive d’aborder chacun des projets dans lesquels il put se lancer.

    Que ce soit avec le polar (« Le Baiser du Tueur », 1955), la science-fiction (« 2001, l’Odyssée de l’Espace », 1968), le genre psychanalytique (« Eyes Wide Shut », 1999), la comédie (« Docteur Folamour », 1964), le film de guerre (« Les Sentiers de la Gloire », 1957) ou le péplum (« Spartacus », 1960), celui qui rêvait de porter à l’écran le personnage de Napoléon Bonaparte a toujours exprimé un certain sens du détail et une lecture toute personnelle du sujet qu’il abordait. Stanley Kubrick reste aujourd’hui encore un personnage assez mystérieux, finalement. Il n’aura dirigé que treize films sur une période d’une quarantaine d’années, quand d’autres en réalisent un par an…

    Car le moins que l’on puisse dire, c’est que Kubrick prenait son temps et préparait beaucoup en amont. Il ne faut pas voir en lui un quelconque génie zélé qui rechercherait absolument le diable qui se cacherait dans les détails, mais plus un perfectionniste, un peu misanthrope, qui aurait eu du mal à déléguer et qui aurait surtout voulu tout faire lui-même…

    Lorsque vous prenez Steven Spielberg, à qui d’ailleurs Kubrick confia un autre projet qui lui tenait à cœur, « A.I. (Intelligence Artificielle) », le réalisateur de la saga « Indiana Jones » a toujours su s’entourer de collaborateurs de confiance, à qui il peut déléguer un certain nombre de tâches, ce qui lui permet de se concentrer sur l’essentiel. Stanley Kubrick, quant à lui, aura finalement consacré plus de temps à des projets avortés qu’à des films menés à terme, justement à cause de ce pêché d’orgueil.

    Au point qu’on pourrait presque le comparer à Terrence Malick, qui lui aussi, jusque dans le courant des années 2000, ne nous avait livré que trois films, impressionnants de maîtrise, avant qu’il ne vive une crise existentielle et que des producteurs « cinéphiles » mais peu scrupuleux ne viennent frapper à sa porte, avec des mallettes remplies de billets verts, pour qu’il finisse par se mettre à tourner depuis vingt ans avec la (presque) frénésie d’un Claude Lelouch…

    Parfois pour le meilleur (« Le Nouveau Monde », « The Tree of Life », « Une Vie Cachée »), mais le plus souvent pour le pire (« A La Merveille », « Knight of Cups », « Song To Song »…), en attendant « The Last Planet » qui devrait sortir dans les prochains mois, avec une histoire consacrée à Jésus et ses apôtres. Une deuxième partie de filmographie en tout cas principalement axée sur la foi, l’amour, la place de l’homme dans l’univers, et des films qui se répondent les uns les autres, avec plus ou moins de bonheur.

    Pour en revenir à Stanley Kubrick, l’affaire est en revanche plus intéressante, tant chacun de ses films reste différent du précédent, avec toujours la volonté de recommencer depuis le début, de tout reprendre à zéro. On pourrait même se hasarder à faire une comparaison avec Sergio Leone, et la volonté presque systématique qu’affichaient les deux réalisateurs de constamment réinventer le cinéma et son langage.

    En adaptant un roman de Stephen King, il semblait évident que Kubrick ne voulait pas seulement satisfaire un caprice, qui eût pris la forme d’un film d’épouvante, à base de scènes grandiloquentes et de seaux d’hémoglobine. Kubrick avait bien peu d’égard pour l’écrivain du Maine et pour son œuvre en général. Et le livre n’était bel et bien qu’un prétexte, ce qui n’empêche cependant pas le film de comporter quelques scènes hyperboliques, assorties de litres et de litres de sang versés.

    Comme si Kubrick, avec son humour particulier, avait cherché à évacuer ainsi tout ce qui pouvait constituer les éléments prédominants de ce style de films, afin de passer ensuite à autre chose, qui l’intéresserait davantage et qui serait sa définition personnelle du « film qui fait peur ». Car il y a bien une méprise avec l’histoire de « Shining, l’Enfant Lumière », qui une fois passée par son prisme n’est plus un film pour simplement faire peur aux midinettes. On est bien loin des « Conjuring » et autres « Sinister », qui tiennent plus du train fantôme que de l’œuvre viscérale. En 1980, on croyait encore au pouvoir des images, sans cynisme ni récupération opportuniste.

     

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    Depuis sa sortie il y a quarante ans, « Shining » a pourtant marqué bien des esprits, en devenant une sorte de modèle du genre. S’il déjoue les pronostics et se détourne des obligations d’usage avec ce genre de récits, Kubrick décode et démonte le logiciel dit « horreur » pour nous emmener encore plus loin, dans un voyage personnel et intuitif. Car « Shining » n’est pas un simple film d’épouvante, mais avec le réalisateur de l’iconique « Orange Mécanique », aurait-il pu en être autrement ?

    Il n’y a pas que nos nerfs qui y sont sollicités, mais également nos souvenirs. Kubrick en appelle à tout ce que l’on trimballe en nous depuis notre enfance. Toutes ces peurs nourries de l’irrationnel et de ces choses tapies dans l’ombre, auxquelles on ne peut donner de nom. La peur et le dégoût de nous-même…

    « Shining » s’éloigne donc du roman initial et laisse de côté tant les références aux Indiens que celles aux pouvoirs du petit Danny ou du vieux cuisinier de l’hôtel, Dick. Kubrick survole rapidement ces thèmes et préfère jouer avec ses propres motifs. Et ses propres obsessions… Le pouvoir appelé « Shining » n’est finalement plus qu’un prétexte au film. Il faudra attendre sa suite directe sortie il y a environ un an, « Doctor Sleep », avec Ewan McGregor, pour se rapprocher davantage du matériau de base du roman de Stephen King, lui qui a d’ailleurs toujours affirmé détester l’adaptation de Kubrick.

     

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    Découvrir « Shining » à sa sortie en 1980, c’était un peu comme recevoir le même coup de hache dans le ventre que reçoit l’un des personnages de l’histoire. Heureux celles et ceux qui n’avaient pas découvert le roman avant de voir le film, et qui pouvaient ainsi ne pas être influencés par le récit de King.

    Et puis, il y a Jack Nicholson, bien-sûr ! Difficile d’imaginer un autre interprète, tant le travail accompli pour incarner cet écrivain qui devient progressivement fou à lier confine au sublime. Les sourcils de l’acteur n’ont jamais aussi bien servi un personnage et justifié ainsi la démence qui le ronge. Nicholson devient incontournable avec ce film, au même titre que le décor même de l’hôtel OverLook, qui est un protagoniste à part entière de l’histoire.

    Car tout dans ce lieu exprime une intention, un doute, une respiration. Des motifs de la moquette sur laquelle roule la voiture à pédales de Danny à ceux à fleurs de l’étage où dorment les Torrance, en passant par les éléments en bois, les escaliers de la grande salle de séjour, la cuisine, les couloirs, les dépendances, tout y devient très vite suffoquant et l’angoisse que l’on ressent ne va que crescendo jusqu’au climax vécu presque comme une libération, comme si on parvenait à ressortir la tête de l’eau. L’hôtel est filmé à la manière d’un corps, organique, et ceux qui y rentrent deviennent des intrus que le bâtiment se devra d’expulser ou de phagocyter ; et c’est ce qui arrivera justement à Jack.

     

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    Plus qu’un simple trip sous acide, le film est également un voyage mental et temporel, où toute notion de temps y est abolie, pour mieux nous laisser exsangue à la fin… « Shining » ne se résume pas à une simple adaptation du livre ou à une lecture en image ; il en va d’ailleurs de même pour sa suite, « Doctor Sleep », intéressante à plus d’un titre, même si elle reste malgré tout un peu trop conforme au roman, pour que le malaise attendu ne puisse s’installer…

    En tout cas, l’adaptation de Kubrick, même si elle fut tant abhorrée par Stephen King, s’avérera pourtant très importante pour le cinéma, en évoquant ce qui est tapi derrière nous, dans les angles morts. Gageons qu’un cinéaste comme David Lynch aura récupéré à son compte cette lecture inédite de la présence des esprits anciens parmi nous, afin de créer son propre univers, en particulier avec son « Twin Peaks: Fire Walk with Me ». Et plus généralement, les emprunts sont évidents dans d’autres productions du réalisateur du magnifique « Elephant Man », lui aussi sorti en 1980.

    A l’heure des jump scares et des effets gore, aussi outranciers qu’inoffensifs, replonger dans ce film impie et immersif nous rappelle à tout moment que nous ne sommes pas seuls et que l’on nous épie. Le mal n’attend que le moindre faux pas pour passer à l’action… Stanley Kubrick abordera au moins à cinq reprises dans ses films le thème de la folie, sous des angles différents. Un monde parallèle en soi…

    « Shining », le film a ouvert une brèche pour nous faire accéder à un autre monde qui nous était jusqu’alors interdit. Et personne, depuis, ne semble vouloir la refermer. On se complaît ainsi à fixer ce miroir, où l’on y voit nos propres abysses.

     

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  • John Williams : Quand la musique devient du cinéma (Partie 04)

     

     

    Dès la fin des années 90, la musique de John Williams va évoluer et muer, et ce tout au long de la décennie suivante. Hormis peut-être pour sa contribution aux trois films de la saga « Harry Potter »,  où il y déploie une orchestration encore toute Williamesque, ses nouvelles compositions vont paraître de moins en moins clinquantes et de plus en plus minimalistes. Il va peu à peu délaisser ses influences allemandes et slaves pour leur préférer des tonalités plus françaises (Debussy, Ravel, Poulenc, Satie…)

     

    Au cours de cette décennie 2000, le jazz s’invite ainsi dans l’oeuvre de John Williams, d’abord sur la B.O de « Catch Me If You Can », avec un tempo que n’aurait pas renié Henry Mancini, puis sur le film « Tintin » presque dix ans plus tard ; ce qui, avec le recul, n’est pas très étonnant, puisque Williams vient précisément de cette mouvance. Il faut se souvenir qu’il est pianiste de formation et qu’il a commencé avec le jazz dans les années 50 puis 60…

     

    A.I.

    En 2001, Steven Spielberg renoue avec la science fiction, avec « A.I. ». Un projet de longue haleine, initié par Stanley Kubrick, mais qu’il ne pourra jamais mener à terme, malgré un scénario abouti et des recherches préparatoires sur les effets spéciaux supervisées par le réalisateur de clips visionnaires et de génie, Chris Cunningham (celui qui mettra également en image l’univers onirique et cauchemardesque du musicien Aphex Twin ou de la chanteuse-elf Björk).

    C’était un souhait que le réalisateur de « Barry Lyndon » avait formulé, quant à son projet d’adaptation au cinéma du roman de Carlo Collodi. A savoir que s’il ne pouvait pas le réaliser lui-même, ce serait à Steven Spielberg de s’en charger, car Kubrick considérait qu’il était le seul (après lui…) à pouvoir mettre en image cette histoire, tant les visions des deux hommes étaient similaires, en particulier dans la façon d’approcher le matériau d’origine. John Williams est forcément de la partie, pour illustrer et ajouter aussi de la profondeur supplémentaire au film.

    Pour ce faire, Williams crée une thématique qui pourrait renvoyer à la musique du film « E.T. », puisque là encore tout s’écoute du point de vue de ce que ressent l’enfant, ici, un petit robot. Et cette fois-ci, la musique ne s’oriente pas vers Prokofiev et des accents de cuivres tonitruants, mais beaucoup plus vers Debussy, Leo Delibes, Berlioz ou Sibelius. Bref, pratiquement que des influences françaises, à l’exception d’un finlandais. Autre nouveauté, Williams va pour la première fois utiliser l’électronique, et même le son d’une guitare électrique.

     

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    Cette histoire, qui renvoie à celle de Pinocchio, donne au film et à sa musique des accents d’une tristesse insondable, comme nous n’avions jamais eu l’occasion de le ressentir auparavant dans un film de Steven Spielberg. Ce petit enfant-robot, qui veut être aimé par une maman humaine, tente coûte que coûte d’exaucer son vœu. Il y parviendra finalement, grâce à une génération de robots qui a survécu à l’homme bien des millénaires plus tard, alors que la terre est désormais recouverte de glace.

    Mais c’est seulement pour 24 heures qu’il pourra partager son amour avec un clone recréé pour l’occasion, et qui clôturera le film, lorsque l’enfant et la maman s’endorment tous les deux, après avoir passé une journée comme il en avait toujours rêvé, dans un sommeil éternel. Il s’agit sans nul doute de l’une des fins les plus bouleversantes pour un film du réalisateur de « Schindler’s List », et surtout déchirante pour un film trop court…

    La musique dispense un thème élégiaque au piano, avec quelques touche de violoncelle et une voix de soprano lointaine et enveloppante ; ce thème qui revient sans cesse dans le film, et pour le final, en une longue caresse qui commence par une musique atonale et blanche, comme le décor que nous fait découvrir Spielberg, avec ces étendues recouvertes de neige, puis l’apparition de ces robots humanoïdes, filiformes et translucides. Lorsqu’ils remettent en fonction le petit robot, seul témoin d’un monde qui n’existe plus, les notes chaudes du piano reviennent, annonciatrices du passé revisité et de sa mélancolie.

    Ce thème est aussi bien dédié au petit garçon artificiel qu’à la maman revenue d’entre les morts, grâce à une mèche de cheveux dont l’ADN va permettre de la faire revivre une journée, mais pas plus. Cette musique délicate et tragique accompagne ainsi la journée parfaite, comme l’avait toujours souhaité l’enfant synthétique. Une journée fantasmée, durant laquelle seule la mère et sa progéniture sont en parfaite symbiose.

    Il s’agit en tout cas de l’un des plus beaux scores que John Williams ait pu composer pour un film. Un film qui lui-même est l’un des plus beaux mais aussi des plus tristes qu’ait réalisé son auteur.

     

     

    Minority Report

    « Minority Report » sort en salle en 2002, soit un an après « A.I. ». Décidément, le réalisateur d’« Amistad » est inarrêtable. L’histoire, tirée cette fois d’une nouvelle de Philip K. Dick, dépeint, dans un futur pas si éloigné, la mission d’une police travaillant de concert avec des médiums qui annoncent les crimes et forfaits avant même qu’ils ne soient commis par leurs auteurs présumés. Steven Spielberg propose ici une société déprimante et un futur anxiogène. Entre un monde kafkaïen et orwellien, tout ce qui nous est montré semble plausible et c’est d’autant plus effrayant…

     

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    Et c’est exactement ce que John Williams va imaginer pour sous-tendre au mieux cette histoire paranoïaque à souhait. Avec « Minority Report », deux thématiques se confrontent. La première colle aux basques d’une action incessante et survoltée, dans laquelle on suit ces policiers en jet pack virevolter dans tous les sens. Williams nous assaille avec une musique dont les accents tout droits sortis des scores d’un cinéma des 70’s rappellent un tempo Jazzy, même si l’ensemble est symphonique, finalement très proche du travail de Lalo Schifrin sur le film « Bullitt ».

    L’autre ambiance s’articule autour du personnage de Sean, le fils du personnage central incarné par Tom Cruise, mort noyé. Doux et mélancolique, et dans lequel les cordes ont la part belle, ce thème se décline à différents passages, en leitmotiv, lorsque le héros se souvient de son fils. C’est à la fin du film qu’un second thème plus apaisé apparaît, pour se muer ensuite en générique final. Dans ces deux cas, la musique n’appartient pas aux personnages ou à leur représentation. Elle exprime un état général. La suite orchestrale qui clôture « Minority Report » propose enfin une résolution et de la douceur qui ouvrent ainsi sur de nouvelles perspectives. Cette même musique entendue auparavant simplement par petites touches, et qui signifiait dans ces cas précis l’espoir.

    Avec « Minority Report », c’est aussi la première fois que la musique composée est mise en retrait par rapport aux séquences fortes du film. Elle ne fait qu’accompagner les péripéties, sans jamais être envahissante… Et c’est en réécoutant le score après avoir vu le film qu’on la redécouvre pleinement.

    Mais Steven Spielberg n’en a pas encore fini avec la science fiction… Il boucle ainsi cette trilogie, au début des années 2000, avec un remake, et toujours et encore John Williams à la musique. De science fiction, il en sera d’ailleurs de nouveau question plus récemment avec « Ready Player One », sorti en 2018, mais cette fois sans son compositeur fétiche… C’est Alan SilvestriRetour vers le Futur ») qui se voit confier la composition du score.

     

     

    La Guerre des Mondes

    Vu par le prisme spielbergien, cette histoire d’invasion extra-terrestre tirée d’un roman de H.G. Wells datant de 1898, qui avait déjà connu une adaptation pour la radio en 1938 (réalisée par l’immense Orson Welles) puis pour le cinéma en 1953, devient un cauchemar cinématographique, dans lequel les spectres du 11 septembre et de la Shoah se mélangent pour offrir un spectacle magistral mais éprouvant.

    John Williams, fort de ces données, compose pour « La Guerre des Mondes » une musique anxiogène, brutale, où même les moments d’accalmie, notamment à la fin avec la résolution, n’offre ni apaisement ni espoir…

     

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    Tout au long du film, il flotte dans l’air comme une interrogation, un doute… Même si « La Guerre des Mondes » se clôture par un happy end en demi-teinte, le score se garde bien de toute fanfare qui pourrait célébrer une quelconque victoire des humains sur ces féroces forces extra-terrestres. En effet, ce qu’imagine le compositeur de « Munich » pour signifier l’impuissance totale des hommes contre les machines martiennes, c’est une musique qui n’est jamais victorieuse, mais qui repose plutôt sur un sentiment de passivité et de fatalisme.

    La défaite et la mort des envahisseurs ne pourront finalement être imputées qu’aux plus petits êtres que notre terre ait engendrés : les microbes. C’est donc bien à un film amer et fataliste que nous convient Steven Spielberg et son compositeur attitré. L’Amérique n’est plus montrée comme une nation triomphante, avec ses héros et leurs morceaux de bravoure. Le personnage principal, pourtant incarné de nouveau par l’indestructible Tom Cruise, passe le plus clair de son temps à fuir ou à se terrer comme un lapin apeuré.

    Une des superbes idées qu’a également Williams pour signifier la présence létale des extra-terrestres, outre ce son épouvantable produit par les tripodes avant qu’ils ne fassent feu sur les foules en panique, c’est dans la musique elle-même qu’on la trouve, avec l’emploi de chœurs féminins utilisés comme des percussions, censés exprimer ainsi une dangerosité menaçante et implacable dans les desseins de ces créatures belliqueuses.

    Tout le score est glaçant, sans une once de chaleur ou de patriotisme bon teint, dont seuls les Américains sont en général capables de se fendre. Là aussi, John Williams va à rebrousse-poil des thèmes tonitruants qu’il eut l’habitude de composer par le passé.

    Nous sommes bien dans une ère de défaitisme et d’incertitude absolue quant à l’évolution du monde. Steven Spielberg et John Williams, que l’on a souvent taxés de niais, voire même de partisans d’un américanisme primaire, nous rappellent que l’être humain n’a jamais été aussi proche de sa fin.

     

    A l’instar d’un Ennio Morricone, John Williams est sans nul doute le dernier des compositeurs vivants à avoir autant créé pour le cinéma, reconnu entre ses pairs non seulement pour la qualité de ses musiques de films, mais aussi pour l’impressionnante diversité des œuvres composées. Et il ne connaît aucun rival, qui pourrait lui arriver ne serait-ce qu’à la cheville. Même si cela n’est pas forcément un gage de qualité, il faut tout de même noter sa longévité dans l’industrie du cinéma et ce souci constant de se remettre en question, d’innover et de tenter de créer avec toujours l’humilité et la candeur qui le caractérisent.

    Autant dire, la marque des plus grands…

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »]  « John Williams : quand la musique devient du cinéma (Part 01) » 

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »]  « John Williams : quand la musique devient du cinéma (Part 02) »

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »]  « John Williams : quand la musique devient du cinéma (Part 03) »

     

     

     

  • John Williams : Quand la musique devient du cinéma (Partie 03)

     

     

    John Williams… Quand la musique est bonne, bonne, bonne, quand elle ne triche pas !!! Euh, désolé… Allez, revenons à nos moutons… « Star Wars », « Superman », « Harry Potter », « Jurassic Park »… Quel serait l’empreinte laissée par ces films sans leur thème d’ouverture ? Car lorsque l’on se remémore l’une de ces œuvres, c’est en premier lieu sa musique qui nous vient en tête, avant même les images.

     

    La tétralogie Indiana Jones

    A l’instar de ces marches et de ces mélodies reconnaissables entre mille, et dans le monde entier, John Williams va composer pour le nouveau projet de George Lucas et Steven Spielberg, en 1981, un autre thème incontournable, parmi tous ces grands standards cinématographiques : « Les Aventuriers de L’Arche Perdue ».

    Indiana Jones, c’est d’abord cette silhouette légèrement voûtée, surmontée du chapeau Traveller de la chapellerie anglaise Herbert Johnson, et le fouet. C’est Harrison Ford, bien-sûr, mais aussi cette musique, avec ces cuivres  qui surgissent de nulle part, comme une invitation au voyage et à l’aventure. Puis le thème s’envole et vous met du vent dans les cheveux, avec cette irrépressible envie d’action, de découverte et de course-poursuite.

    Steven Spielberg, qui rêvait de réaliser un épisode de James Bond ou encore d’adapter Tintin au grand écran, va combler en partie cette frustration en mettant en scène ce personnage imaginé par son ami George Lucas.

     

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    Car John Williams a toujours eu ancré en lui ce génie de la synthèse. A savoir qu’en quelques simples notes, il parvient à rendre caduque tout ce qui a pu être produit ou entendu précédemment, dans un registre similaire. Pour un personnage fort comme Indiana Jones, il lui faudra donc un hymne qui puisse venir compléter sa panoplie à la perfection et ainsi participer à sa légende.

    Et c’est imparable… Après avoir découvert au cinéma en 1981 « Les Aventuriers de L’Arche Perdue » et sa musique, il vous sera dès lors impossible d’imaginer ou d’apprécier tout autre thème écrit pour un sujet similaire. Tant le compositeur de « La Dernière Croisade » assoit encore un peu plus le genre avec chacun de ses scores. Ses créations deviennent non seulement les génériques des films qu’elles illustrent, mais en même temps le générique en tant que tel du genre qu’elles développent.

    Ainsi, non seulement ce film mêlant archéologie, spiritisme, action et fantaisie, fait office d’œuvre définitive sur le sujet, mais de surcroît, sa musique devient instantanément un classique. Tel un alchimiste, John Williams va réaliser la fusion parfaite entre image et son, en composant une suite orchestrale tour à tour grandiose, lyrique, spectaculaire et mystique.

     

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    Il y a bien-sûr (et c’est la mode actuellement…) tous les insurgés, les scandalisés, ceux qui crient sans relâche au plagiat, au saccage auquel se livrerait John Williams, en dépossédant d’autres illustres compositeurs de leurs œuvres. Non et cent fois non ! Le compositeur de la marche des Jeux Olympiques de 1984 n’a jamais plagié qui que ce soit. Et je renvoie les accusateurs de tout poil à la définition exacte du verbe « plagier ».

    Oui, John Williams s’inspire beaucoup, c’est un fait, voire emprunte des thèmes qu’il transforme. Et j’ai d’ailleurs largement évoqué ses influences dans les deux précédentes parties. Certes, il utilise des matériaux connus pour les remettre à sa sauce. Mais je vous mets au défi de trouver dans ses propres partitions des copiés-collés de musiques déjà existantes et des mélodies en tous points identiques à celles qui auraient pu être créées par d’autres. On peut évidemment reconnaître parfois des emprunts à tel ou tel compositeur ou y déceler les influences dont il se nourrit.

    Mais John Williams n’a pas son pareil pour défricher, réarranger et souvent améliorer. Le procès que certains lui font sur ses prétendues impostures est ainsi dénué de tout fondement. Et avant de refermer cette parenthèse, la position de ceux qui souhaitent réduire ce compositeur multi-oscarisé au rang de vulgaire faussaire, d’escroc ou de petit faiseur à la solde d’Hollywood, est risible. Je renvoie donc tous ces censeurs à leur bûcher des vanités et à leur condescendance.

     

    Pour en revenir à Indiana Jones, car c’est après tout de cela dont il s’agit ici… John Williams déploie pour chacun des films de la série, y compris pour ce 4ème opus qui est à mon sens le plus faible (euphémisme…), des trésors de mélodie et d’ingéniosité. Même si je considère que « Les Aventuriers de L’Arche Perdue » et « Le Temple Maudit » restent sans conteste les deux meilleurs scores de la tétralogie, mais aussi les deux meilleurs films.

    Pour le premier, John Williams reprend les principes opératiques allemands et italiens, tout au long des titres, et place peu à peu des motifs qui grandissent au fil de l’intrigue qui se précise, jusqu’au final ou le thème susurré jusque-là, explose en un maelström orchestral et choral, avec la manifestation divine qui déchaîne la colère de Dieu contre les nazis.

    Une autre des grandes prouesses de ce score reste le morceau intitulé « Desert Chase ». Il accompagne la fameuse course-poursuite en camion, quand Indiana Jones tente de récupérer l’Arche d’alliance, aux mains des Nazis. La musique épouse ici le moindre geste, le plus petit mouvement, que ce soit de la mise en scène ou des personnages ; une scène qui dure un peu moins de 8 minutes, mais qui est un bijou de découpage et d’idées filmiques. Une fois de plus, la musique de Williams ne cherche pas à voler la vedette à la séquence, mais uniquement à la sublimer.

     

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    Le Temple Maudit

    Là encore, cette composition suit le film à la virgule près. Ce deuxième opus est bien plus rapide que le précédent, mais aussi beaucoup plus sombre. John Williams réinvente encore une fois le score, puisqu’il imagine de nouveaux thèmes et de nouvelles sensations. Si le premier proposait une musique aux accents bibliques, pour « Le Temple Maudit », on est dans le serial pur et les films de Fritz Lang, entre « Le Tigre du Bengale » et « Le Tombeau Hindou ». Les chœurs ne sont plus divins mais lugubres, presque païens.

    Tout le film de Spielberg se conçoit comme une longue course-poursuite. Il pousse même le concept jusqu’à imaginer la scène des wagonnets dans la mine à la manière d’une attraction de fête foraine, un grand huit où le spectateur serait lui aussi convié, aux premières loges. Même si le film est plus cynique, sa musique n’en demeure pas moins réussie.

    Les morceaux « Children In Chains » et « Slave Children’s Crusade » figurent parmi ces nouveaux thèmes forts et inspirés qui viennent s’incruster comme jamais dans l’univers des films Indiana Jones. « The Temple Of The Doom », autre morceau-phare qui renvoie au « Carmina Burana » de Carl Orff, apporte là-aussi une nouvelle thématique dans l’œuvre du maestro, avec ces percussions et ces chœurs possédés et maléfiques.

     

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    Indiana Jones et La Dernière Croisade

    Si ce nouvel opus, malgré la présence de Sean Connery, s’avère être plus faible et moins inspiré que les deux précédents, force est de reconnaître que John Williams garde toujours la main. Là encore, il joue avec les thèmes déjà existants, pour mieux les malaxer, les transformer.

    Toujours prompt à trouver de nouvelles mélodies, c’est autour du Graal et d’une noblesse oubliée, celle des Chevaliers de la Table Ronde, que Williams construit ici le score du troisième film de la série. Il parvient à relier les thèmes existants aux nouveaux et ainsi inscrire le personnage d’Indy dans la légende.

     

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    Indiana Jones et Le Royaume des Crânes de Cristal

    Tout le monde s’accorde à dire que ce 4ème volet de la série est une véritable gabegie. Une bouillie scénaristique, numérique et filmique. Pourtant, John Williams ne ploie pas sous le poids de la catastrophe et compose avec pas grand-chose de fort à se mettre sous la dent un score tout à fait honorable. On ferme les yeux, on écoute la musique de ce film et on se prend à rêver d’une aventure mystérieuse et palpitante.

    Tout est virevoltant et léger. John Williams, comme il a pu le faire avec les Star Wars, revisite les thèmes connus. Il les inclut dans les nouvelles compositions, pour mieux inscrire le film dans une continuité. Ce qui n’est pas tâche aisée, quand on assiste à la catastrophe qu’est ce 4ème volet des aventures d’Indiana Jones, à tous les niveaux. Même si Steven Spielberg ne parvient pas cette fois-ci à sauver quoi que ce soit dans ce naufrage, il reste encore et toujours la musique. La musique de John Williams…

     

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    Pour la 4ème et dernière partie consacrée à John Williams, j’évoquerai « Minority Report », « A.I. » et « La Guerre des Mondes ».

     

     

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    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »]  « John Williams : quand la musique devient du cinéma (Part 01) » 

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »]  « John Williams : quand la musique devient du cinéma (Part 02) »

     

     

     

  • John Williams : Quand la musique devient du cinéma (Partie 02)

     

     

    La richesse d’une collaboration au long cours entre un cinéaste et un compositeur, qui va perdurer durant des années et donner lieu à de nombreux films, c’est que chacun se nourrit de la sensibilité de l’autre ; comme dans un couple (de cinéma…), il en résulte une forme de quintessence, dont le résultat à l’écran est une osmose parfaite entre le son et l’image.

     

    Bernard Herrmann et Alfred Hitchcock, Pino Donaggio et Brian De Palma, Danny Elfman et Tim Burton, Ennio Morricone et Sergio Leone, Angelo Badalamenti et David Lynch, James Newton Howard et M. Night Shyamalan, Hans Zimmer et Christopher Nolan, Eric Serra et Luc Besson… Bon, le dernier exemple, c’était plus pour rire… Et puis bien-sûr John Williams et Steven Spielberg… Avec comme seules entorses au contrat, « Purple Color » dont la bande originale fut composée par Quincy Jones, « Amblin’ » et le téléfilm « Duel » avec Billy Goldenberg.

    Avec « Rencontres du Troisième Type » sorti en 1977, c’est donc la troisième collaboration entre Williams et le réalisateur de « Schindler’s List ». Steven Spielberg avait été impressionné par le travail musical accompli par John Williams sur des films sortis en ce début des années 70 ; « L’Aventure du Poséidon » (1972), « La Tour Infernale » (1974), « Tremblement de Terre » (1974), mais surtout avec « Reivers » (1969) et « Images » de Robert Altman en 1972. Il s’avère que John Williams est non seulement à même de composer la musique de trois films par an en moyenne, mais il sait de surcroît différencier chaque projet qu’il entreprend. La richesse thématique qu’il est capable de mettre en œuvre et cette facilité avec laquelle il peut jongler entre les différents projets en cours sidèrent Steven Spielberg…

     

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    Pour « Rencontres du Troisième Type », la visite des extraterrestres sur terre ne va pas se solder par une éradication totale de l’espèce humaine, avec force désintégration en bonne et due forme, auxquelles le public était jusqu’alors habitué. Non, déjà afin de ménager un certain suspense, John Williams doit cette fois avoir une approche faite de mystère, tout en instillant une ambiance assez anxiogène.

    Comme il avait pu le faire avec le score du film « Images » d’Altman, Williams s’essaie ici à un style atonal à base de percussions, de sonorités étranges et dissonantes, le tout rehaussé par des chœurs inquiétants. Ce travail presque expérimental rappelle immédiatement le style de Ligeti et son requiem, utilisé d’ailleurs pour l’ouverture de « 2001, l’Odyssée de l’Espace ». En effet, au début du film de Steven Spielberg, on ne connaît pas encore vraiment le dessein de ces visiteurs extraterrestres et la nature de leur démarche.

     

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    Toute une partie du score de « Rencontres du Troisième Type » fera en sorte d’appuyer les spéculations empreintes d’inquiétude des scientifiques en quête de réponses, ainsi que les personnages de Richard Dreyfuss et Melinda Dillon, quant à eux en quête de vérité. On laisse planer le doute jusqu’au final, lorsque John Williams retrouve l’essence du merveilleux. Il reprend donc le thème des cinq fameuses notes jouées au tout début de la grande scène finale, afin de tenter de communiquer avec les extraterrestres, en une suite orchestrale qui fédère ainsi aussitôt les humains et les visiteurs de l’espace. C’est alors une communion musicale qui accompagne le dernier segment du film, tandis que nos divers protagonistes révèlent leurs véritables rôles respectifs dans toutes ces conjonctions, avant le grand départ.

    Avec ce score, nous avons affaire à une musique totalement habitée, inspirée et riche en motifs ; une bande originale qui révolutionne le rôle de la musique au cinéma, puisqu’elle y est également intra et extra-diégétique. La musique est ici un élément-clef dans le processus créatif et dans ce que raconte le film ; dedans, autour et après. On ne peut imaginer alors un autre compositeur que John Williams pour non seulement accompagner les images, mais les redéfinir.

     

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    « E.T., l’Extra-Terrestre » sort en 1982. On peut voir ce film comme le pendant parfait à « Rencontres du Troisième Type » ; une sorte de suite ou de point de vue autre sur cette thématique. Une extension dont le traitement, même s’il reste universel, sera plus linéaire, plus simple, plus pur.

    Pour illustrer cette fois-ci ce récit intime dans lequel la visite d’un extraterrestre est vécue du point de vue d’un enfant, John Williams et Steven Spielberg optent paradoxalement pour une musique orchestrale puissante. Ne craignant pas les envolées lyriques totalement assumées, le compositeur de « Jaws » illustre ici avec beaucoup de force et de mélodie le ressenti du personnage principal, Elliott, face au monde des adultes, et d’autre part l’instauration de sa relation avec son nouvel ami venu de l’espace.

    Pour les amateurs de musique classique, on pense tout de suite à l’univers de Sergueï Prokofiev et notamment « Pierre et le Loup » ou le ballet « Roméo et Juliette ».  Les cors, ainsi que les autres cuivres, employés de manière puissante, créent un relief saisissant, avec cependant des ambiances générales plus douces. John Williams utilise de nouveau le leitmotiv. Chaque personnage aura son thème ou plutôt chaque camp aura son propre motif.

    En effet, l’idée pertinente du projet réside dans le fait que le réalisateur de « A.I. Intelligence Artificielle » a souhaité faire un film à hauteur d’enfant. On regarde donc « E.T. » du point de vue d’Elliott, le jeune héros, avec ses émotions qui se trouvent démultipliées. En s’identifiant à lui, les curseurs du merveilleux et du ressenti sont poussés au maximum et cette musique n’est que l’émanation des sentiments du petit terrien âgé de dix ans.

     

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    John Williams a su également installer des mélodies douces comme jamais il n’en avait composées jusqu’à présent, pour figurer cette enfance, avec son innocence et sa magie. Le piano et la clarinette contrebalancent ainsi les cuivres, dont les cors, qui représentent quant à eux les adultes, et notamment les mystérieux agents du gouvernement qui recherchent le fugitif intergalactique. Ce balancement entre force orchestrale et des modes musicaux plus doux et délicats, en d’incessantes ruptures de ton, rappellent aussi les constructions inattendues et étonnantes d’un autre immense compositeur de la fin du 19ème et début du 20ème siècle, Gustav Mahler.

    On ne peut nier les similitudes avec la symphonie # 1, ou « Titan », du compositeur autrichien, dont le premier mouvement évoque une ambiance de sous-bois et de mystère végétal. Le début d’« E.T. » et cette petite flûte aérienne, à l’instar d’une symphonie, rend hommage au dieu Pan, dieu de la forêt et de la nature, et inscrit de suite cette oeuvre de Spielberg dans une forme classique, définitive et intemporelle.

    Et comme cette musique n’a pas pris une ride depuis 1982, elle enveloppe le film, dans une aura de grand spectacle indémodable, et ce malgré des effets spéciaux qui ont pris un sacré coup de vieux. « E.T. », au même titre que beaucoup d’autres compositions de John Williams, se réécoute aisément comme une partition séparée. L’univers sonore dépeint ou proposé dans le film peut dès lors se décliner pour toute autre rêverie personnelle, tant il est riche et profond, au point qu’il y est impossible de ne voir dans ce score qu’une simple illustration formatée.

     

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    Pour s’en convaincre, ce morceau de bravoure musicale et élégiaque final intitulé « Escape, Chase, Saying Goodbye », où l’on revient à la façon d’un medley sur tous les thèmes entendus dans le film, pour exploser en un bouleversant bouquet final, lorsque E.T. et Elliott se font leurs adieux, que le vaisseau décolle et disparaît dans le ciel. A ce moment-là, les poils sur les bras sont au garde à vous et les larmes brouillent la vue.

    La prochaine partie de cette petite anthologie sur John Williams traitera de la musique pour les films sur l’archéologue le plus célèbre du cinéma d’aventure.

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] « John Williams : quand la Musique devient du Cinéma (Part 01) »

     

     

     

  • Indiana Jones, retour sur l’archéologue le plus célèbre du cinéma

     

     

    « Indiana Jones & Les Aventuriers de l’Arche Perdue » sort en 1981. Spielberg, Lucas, John Williams, Harrison Ford, comme un quarté gagnant, une martingale… Exactement ce dont rêvait un public avide de ce nouveau cinéma que propose Hollywood depuis 1977 avec « Star Wars », et qui portera un coup fatal à ce que l’on appelait Le Nouvel Hollywood. 

     

    Avec « Les Dents de la Mer » en 1975 (titre original « Jaws »), Steven Spielberg entérine un cinéma qui se veut plus adulte, dépressif et sombre. Voici donc venu le temps de ce qu’on allait désormais appeler les « Blockbusters »… Car il faut bien reconnaître qu’à partir de ce film, les compteurs du box office américain et mondial allaient sacrément s’affoler. Mais c’est probablement la Saga « Indiana Jones » qui va le plus contribuer à propulser le réalisateur et producteur au rang de cinéaste le plus rentable de l’histoire du cinéma.

    C’est George Lucas qui apporte ce projet sur un plateau à son ami Steven Spielberg. Lucas est depuis sa plus tendre enfance un fan de ces séries télévisées appelées « Serials », et suite au triomphe de la « Guerre des Etoiles », il voudrait créer une nouvelle franchise de ce type. De son côté, Steven Spielberg vient d’essuyer un refus pour acheter les droits d’adaptation de la bande dessinée « Tintin ». En outre, il rêve également de réaliser un épisode de James Bond mais là encore, fin de non-recevoir de la famille Broccoli

    Pour Spielberg, frustré et amer suite à ces deux refus consécutifs, la proposition de Lucas tombe à point nommé et pourrait constituer un beau lot de consolation… D’autant que Spielberg vient pour la première fois de sa courte carrière de mordre la poussière avec le film « 1941 », qui est un flop retentissant. Le tandem va ainsi concocter une relecture du serial et du cinéma à l’ancienne en y injectant de la vitesse, des nazis, de la magie et le savoir-faire inimitable du réalisateur de « Duel ». C’est ainsi que dès sa sortie en 1981, « Indiana Jones & Les Aventuriers de l’Arche Perdue » devient le film d’aventure ultime par excellence.

     

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    Son triomphe absolu au box-office appelle donc une suite. Mais Spielberg traîne la patte… Il n’aime pas particulièrement le concept de la franchise, et le principe de devoir revenir sur ses œuvres, surtout s’il considère avoir tout donné dès le premier essai, tant en terme de spectacle que d’émotion. Entretemps, en 1982, sort ce qui ne devait être qu’un petit film intimiste tourné relativement vite et qui deviendra contre toute attente son plus gros succès : « E.T., l’Extra-Terrestre ».

    Pourtant, « Indiana Jones et le Temple Maudit », qui sort en 1984, sera aussi un énorme succès, malgré le ton plus cynique et désabusé de l’histoire. L’ambiance plus sombre et anxiogène peut surprendre un temps mais parvient à donner au film une certaine patine et un statut d’œuvre culte, avec ses scènes de gore totalement décomplexées, tout droit inspirées de deux films de genre et d’aventure de Fritz LangLe Tombeau Hindou » et « Le Tigre du Bengale »), en plus glauque encore. En tout cas, ce « Temple Maudit » constitue un bel exemple de cinéma borderline qui contrebalance avec le premier volet, extrêmement tenu.

     

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    Pour des tas de raisons qui vont probablement du contractuel aux desiderata de George Lucas, un nouvel Indy voit le jour et sort en 1989. Un troisième épisode, « Indiana Jones et la Dernière Croisade », censé être d’ailleurs le dernier, qui vient un peu tardivement et n’a déjà plus le bon parfum, ni dans l’énergie ni dans l’envie, du plaisir de cinéma. On a plutôt affaire à un film à la limite du remake du premier volet, dans lequel Spielger a remplacé l’Arche par le Saint Graal…

    Les nazis y font leur grand retour et on y retrouve à peu de choses près les mêmes scènes, poursuites et péripéties incluses. Personne ne semble y croire, même pas John Williams… Le film va cependant pas trop mal marcher, mais son succès ne repose plus que sur de la pure nostalgie.

     

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    En 2008, presque vingt ans après le premier opus, sort en grande pompe, en ouverture du Festival de Cannes, « Indiana Jones et le Royaume du Crâne de Cristal »… A l’annonce de ce 4ème volet, nous pouvions raisonnablement être quelque peu dubitatifs, mais en même temps, force était de reconnaître que cette bonne vieille fibre nostalgique titillait encore notre curiosité malsaine…

    Voir un Indiana Jones vieillissant, accompagné cette fois-ci de son fils dans cette nouvelle aventure. Allez, pourquoi pas… Cet ultime volet pouvait laisser présager quelques belles et surtout inédites idées dans le scénario. Sachant qu’avec le chemin parcouru par Spielberg depuis « Les Dents de la Mer » et les films qu’il avait enchaînés depuis, on pouvait s’attendre à un vrai concentré d’aventure, d’humour, d’ironie, un mélange de références et de gros morceaux de bravoure. Mais le résultat fût bien pire que tout ce que l’on aurait pu imaginer…

    Le spectacle auquel on assiste devient vite dérangeant, tant Spielberg, Lucas, Williams, Ford et les autres, ont de toute évidence renoncé dès les premières minutes à cette entreprise. Mais le doigt déjà bien pris dans l’engrenage infernal, ils vont devoir aller jusqu’au bout… Car ce dernier volet d’Indiana Jones est une longue agonie sinistre. Les scènes dites d’action sont tellement boursouflées, recouvertes d’effets numériques pour masquer tant bien que mal l’effondrement interminable de l’ensemble, qu’elles n’ont plus rien de cohérent.

    Catastrophe paroxysmique du film, la scène dans la jungle, lors de la fuite des trois protagonistes qui se font finalement rattraper très vite par la méchante, est à l’image du reste de ce bien piteux Royaume du Crâne de Cristal. Tournée dans un décor minable, on assiste médusé à un échange entre Harrison Ford, qui tente de sauver les meubles, et Karen Allen, toute momifiée, fronçant les sourcils et levant les bras au ciel… Un spectacle pathétique et vexant pour tous les fans, qui ne voient en ce dernier volet qu’une sombre histoire de contrat arrivant à échéance et la nécessité absolue d’achever la bête agonisante. Bien curieuse façon pour Spielberg de remercier son public…

     

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    … Et pour les plus masochistes, rien n’est encore perdu car même au fond du trou et de la boue jusqu’à la taille, l’entreprise de démolition Lucas, Spielberg & Co creuse encore à la recherche d’un hypothétique filon encore inexploité à ce jour, en annonçant pour 2021 un Indiana Jones 5 ! Alors, elle est pas belle la vie ?