Étiquette : Starshooter

  • French Connection (1978-1982) : Episode 04

     

     

    Plongée dans la France de la toute fin des années 70, les années Giscard : période des grands bouleversements sociétaux et d’un certain sentiment de modernité, entre libéralisation du divorce et éclatement de l’ORTF. Pourtant, la jeunesse s’ennuie et se réfugie alors dans l’émergence de nouvelles scènes rock et new-wave. Parmi les groupes qui s’imposent : Téléphone, Starshooter ou Bijou.

     

    C’est la nouvelle vague, plastique et fluo et Skaï
    Super dégaine spéciale, électricité en pagaille
    C’est la nouvelle vague, sans paradis artificiels
    Sans illusions superficielles, sans mémoire…

    Starshooter, 1979

     

    Mais la nouvelle vague, cette année-là, reste essentiellement celle des musiciens du groupe Téléphone, qui en ce début de l’année 1979, enregistrent à Londres leur 2ème album, « Crache Ton Venin ». Les textes réalistes abordent de front les thèmes de société, entre menace atomique (« La Bombe Humaine »), révolte et conflits familiaux des adolescents. Porté par une pochette conçue par le photographe Jean-Baptiste Mondino, l’album consacre le groupe, trois ans à peine après son tout premier concert. Même si, en marge de cette nouvelle scène rock, d’autres courants musicaux sont alors en gestation.

     

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    « C’est pour essayer de penser à autre chose, parce que c’est tellement triste, tout ce qui arrive, qu’il faut bien s’étourdir. Sortir le plus possible, sortir toute la nuit, aller boire, aller danser. Avant de mourir, il faut prendre du plaisir et jouir de l’instant présent. » (Alain Pacadis sur le plateau d’Apostrophes, 07/04/1978)

     

    A l’image de l’étrange et provocateur Alain Pacadis, chroniqueur déglingué des nuits parisiennes, notamment pour le quotidien Libération, apparaissent alors les nouveaux punks, ces dandys urbains et sophistiqués qui se défoncent à l’héroïne, dorment le jour et arpentent la nuit les institutions festives qui s’ouvrent en cascade. Il y eut d’abord La Main Bleue, ouverte en 76 dans un ancien centre commercial de Montreuil, près de Paris. Initialement fréquentée par tous les Africains et les Antillais qui se faisaient refouler des boîtes parisiennes, La Main Bleue devient un lieu branché investi par les bourgeois bohèmes blancs de la capitale.

     

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    En mars 78, dans un ancien théâtre à l’Italienne situé près des Grands Boulevards ouvrait ensuite l’inévitable Palace, sous l’impulsion de Fabrice Emaer, devenant le comble des sociabilités « People », des vanités chics et délurées. Plus intimistes, les Bains-Douches sont inaugurés en décembre de la même année, Rue du Bourg l’Abbé, près du Marais, rachetés par deux antiquaires qui en confient la décoration à Philippe Starck. Le premier soir, deux-mille personnes se pointent et la Préfecture de Police, qui redoute des débordements, a posté huit cars de CRS de part et d’autre de la rue.

     

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    En l’espace de quelques mois, avec le concours actif des médias, Libération ou Actuel en tête, la danse en boîte de nuit, le « Clubbing », comme on l’appelle, devient l’horizon incontournable de la jeunesse urbaine française, ou du moins parisienne. Parmi les créateurs, les couturiers, les stars ou les vedettes de passage, on y croise aussi Gainsbourg et la jeune garde du rock français, comme les membres du groupe Bijou, qui en 1979, sortent sur leur deuxième album une reprise des « Papillons Noirs » gainsbouriens.

     

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    « Les Papillons Noirs » signé Gainsbourg, que ce dernier avait enregistré en 1966 avec Michèle Arnaud, est repris en 1979 par le groupe Bijou, trio arty, mélange de rock dur et de romantisme, sur son album « Ok Carole ». En février 1980, le magazine Actuel intitule un article d’une formule efficace, qui allait devenir une appellation musicale, pour résumer l’époque : « Les jeunes gens modernes aiment leurs mamans ». Entre les Rennais de Marquis de Sade, Jacno ou Marie et Les Garçons, les groupes n’ont pas grand chose à voir entre eux, mais peu importe…

    Associé à cette mouvance, le groupe parisien Edith Nylon, formé là encore par des lycéens de bonne famille autour de la chanteuse Mylène Khaski, enregistre son tout premier album en 1979, pendant les vacances scolaires. Mylène et sa chevelure de feu s’y autoproclamant « femme bionique, artères antistatiques, perruque de nylon, utérus en Téflon, seins gonflés silicone, lèvres glacées de chrome… Edith Nylon, c’est moi… ».

     

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    « Edith Nylon » par le groupe du même nom, dont les paroles évoquent la société d’alors, le féminisme, mais aussi les périls futurs, comme les manipulations génétiques ou le transhumanisme, et dont la new-wave inspirera par la suite des groupes comme les Rita Mitsouko. Pour l’heure, ce changement de décennie est surtout marqué par le rock et l’émergence d’un nouveau groupe, Trust.

    Formé en 1977 par deux mecs de banlieue parisienne, le chanteur Bernie Bonvoisin venu de Nanterre et le guitariste Norbert « Nono » Krief originaire des Mureaux, Trust, après avoir passé trois longues années dans l’ombre de Téléphone, connaît un immense succès à partir de 1980 avec la parution de son second album « Répression », dénonçant le sort de Jacques Mesrine dans la chanson « Le Mitard » ou encore l’ensemble du système, dont les dés sont pipés. Il s’en écoule plusieurs centaines de milliers d’exemplaires dès sa sortie.

     

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    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »]  French Connection (1978-1982) : Episode 01

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] French Connection (1978-1982) : Episode 02

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] French Connection (1978-1982) : Episode 03

     

     

     

  • Philippe d’Anière : « Pressing », chroniques de sa seconde vie

     

     

    « Pressing, c’est le pseudo que j’ai pris à vingt ans pour faire batteur de Starshooter. Et je croyais vivre les années les plus rock de ma vie… Je rigole… J’ai jamais été aussi entouré, chouchouté, assisté, invité. C’est après que ma vie est devenue vraiment Punk. »

     

    Bon, je dois admettre que les mémoires d’un punk, je n’adhère pas forcément au concept. De surcroît, pour ceux qui suivent Philippe d’Anière sur Facebook, puisque c’est bien de lui qu’il s’agit, ils pourraient aisément en tirer des conclusions hâtives, tant les sorties du bonhomme semblent souvent reposer sur de la provocation gratuite, sans réel fondement objectif. Il n’en reste pas moins qu’au fil de ses « Chroniques Californiennes », acides et sarcastiques, on est en droit de se poser tout de même quelques questions…

    Le mec était le batteur de Starshooter, certes. Il l’évoque souvent mais sans jamais vraiment s’appesantir sur le sujet, et il ne semble pas y avoir une quelconque nostalgie dans ses références à cette époque, comme si, finalement, ça n’était plus pour lui qu’un passé lointain. Tandis que Kent, le chanteur du groupe, ou les autres gloires éphémères de ces temps révolus, ont continué, de près ou de loin, tant bien que mal, à évoluer dans le domaine de la musique ou de l’écriture, Phil Pressing a repris son nom de baptême et a tracé la route… Disparu des écrans radars… Hasta la vista, baby.

    Alors, lorsque j’apprends que le gaillard se décide finalement à nous en dire un peu plus et à lever le voile sur sa vie après la musique, malgré mes réticences, je dois admettre que je suis curieux d’en savoir plus. Je me procure donc un exemplaire de ce bien énigmatique « Pressing », dès sa sortie. Tiens, publié chez Amazon. Petite surprise qui n’en est pas une, finalement. Avec le recul, je ne suis pas convaincu qu’une maison d’édition française classique aurait accepté de se lancer dans une entreprise qui pouvait se révéler quelque peu hasardeuse, au vu des positions assez tranchées affichées par Philippe d’Anière dans ses chroniques facebookiennes…

    La couverture de « Pressing » participe à ma curiosité grandissante. Voir son auteur ainsi, avant même de commencer à nous raconter son histoire, affublé d’épaisses lunettes noires, le visage à moitié coupé, le bras droit couvert de tatouages lorsqu’on soupçonne le gauche d’en être dépourvu, comme si, par pudeur ou par timidité, il rechignait dans un premier temps à nous permettre de dépasser la première impression que nous pourrions avoir de lui. Et des palmiers, toujours des palmiers…

     

     

     

    Il faut dire que l’homme a changé. Le Phil Pressing des débuts de Starshooter, à l’allure fine et svelte, est devenu plus massif. Et même si on peut partir du postulat que nous sommes tous égaux face au temps qui passe, la couverture de « Pressing » atteste que la seconde vie de Philippe d’Anière ne fut pas forcément toujours un long fleuve tranquille…

     

    « C’est ma vie, c’est sex, violent, business, drôle, plein d’amour, pas du tout politically correct et ça fait 382 pages. »

     

    A la lecture de « Pressing », le moins que l’on puisse dire, c’est que Philippe d’Anière va plutôt « straight to the point », tant le livre semble être constitué de notes écrites à la volée sur des bouts de papier, comme autant de souvenirs d’une vie capturés avant qu’ils ne s’effacent. Le trait est direct, sans fioriture, dans une sorte d’urgence qui nous fait vite oublier une ponctuation approximative, les quelques coquilles et les petites lourdeurs de style. Mais, après tout, quelle importance ? Car le récit nous happe rapidement et on se surprend à dévorer l’ouvrage, en faisant au fil des 382 pages le grand écart entre Lyon et L.A., entre plans panoramiques et serrés, comme entre les séquences d’un road movie épique…

     

    « Un bateau est plus en sécurité quand il est au port mais ce n’est pas pour cela qu’ont été construits les bateaux. » (Paulo Coelho)

     

    De la contrainte de départ, Philippe d’Anière est parvenu à en faire son idéal. Forcé de quitter la France à l’âge de 29 ans, l’ex-batteur de Starshooter s’envole pour la Californie, avec 300 $ en poche. Il laisse derrière lui sa famille, sa compagne et tout ce qu’il possède. « Je suis arrivé à Los Angeles avec $300 en poche, accompagné de mon pote Franck Dubary. Nous partagions une chambre de West Hollywood, j’ouvre la télé au milieu de la nuit et… Freedom !… Je tombe sur HBO, movies all night ! Quand en France on en était encore à l’ORTF, dodo et grésillage à partir de minuit, après Pimprenelle et Nicolas !  Le déclic fut révélateur. Tout semblait possible. »

    Flashback arrière… Retour à Lyon en 1975. « Avec Kent et Jello, nous sommes au bahut ensemble, au lycée Saint-Exupéry. Mickey est arrivé un peu après. Les gens de Marie et les Garçons, ainsi que ceux d’Electric Callas, le fréquentent également. On commence à répéter chez moi, dans une cabane au fond du jardin. Je choisis la batterie parce qu’il n’y a pas besoin de savoir jouer. Je ne sais toujours pas jouer, d’ailleurs… Ça n’est que très récemment que j’ai commencé à prendre des cours ».

     

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    Après quatre albums studio et une douzaine de singles sortis entre 1977 et 1982, des concerts mémorables, des fauteuils cassés et des lendemains qui ne demandaient qu’à chanter, l’aventure Starshooter s’arrête comme elle avait commencé… « Il faut bien comprendre que quand on est arrivé, il n’y avait personne. Ça n’existait pas en 1977, un groupe de rock chantant en français. Mais on réalisait aussi qu’on ne se voyait pas vieillir dans ce business. Les Stones nous paraissaient déjà extrêmement vieux, à nous qui n’avions que 20 ans. Alors, on a convenu qu’on arrêterait à 25 ans ».

    Chacun trace la route. Phil Pressing redevient Philippe d’Anière, ouvre une bijouterie à Lyon et rencontre en 1984 celle qui allait déterminer la suite de son existence : Kiki, une prostituée lyonnaise dont il tombe éperdument amoureux. Bon, seul petit hic, et non des moindres, Kiki n’est autre que la femme de Gaëtan Zampa, le célébrissime et redouté parrain du milieu marseillais, qui vient tout juste de mourir en prison…

     

    « C’était une nuit de pleine lune, j’ouvrais la fenêtre et criais « Freeeeeeedom » ! J’étais à Los Angeles pour n’en plus repartir. »

     

    C’est précisément à cet instant que commence la seconde vie de Philippe d’Anière, embarqué dans une nouvelle aventure qui le mènera des rues trop étroites pour lui du Lyon de son enfance aux larges avenues rectilignes de Los Angeles, où il s’acharnera à accomplir son rêve américain. Mais la suite est à découvrir dans « Pressing »…

    Il n’en reste pas moins qu’au fil du récit, nous obtenons les réponses aux nombreuses questions que nous nous posions avant sa lecture. Et nous comprenons mieux le sens profond des « Chroniques Californiennes »… Car passée la première impression de sorties uniquement muées par la provocation facile et le détachement, nous découvrons, derrière cette façade de dur que Philippe d’Anière a été forcé de se construire, avant tout pour se protéger et surmonter les ups & downs de sa vie américaine, un homme plus sensible qu’il n’y paraît, attaché à ses racines et fidèle en amitié. Il suffit juste qu’il enlève ses lunettes noires pour s’en rendre compte. Et lorsqu’il évoque alors la France, ça n’est pas de l’amertume qu’on peut lire dans ses yeux, mais de la déception…

     

     

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    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] « Pressing » sur Amazon

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Interview par Christian Eudeline (Novembre 2019)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Interview par Jérôme Enez-Vriad (Juin 2015)

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Interview pour Gonzo Music (Septembre 2015)

     

     

     

  • French Connection (1978-1982) : Episode 03

     

     

    Plongée dans la France de la toute fin des années 70, les années Giscard : période des grands bouleversements sociétaux et d’un certain sentiment de modernité, entre libéralisation du divorce et éclatement de l’ORTF. Pourtant, la jeunesse s’ennuie et se réfugie alors dans l’émergence de nouvelles scènes rock et new-wave. Parmi les groupes qui s’imposent : Téléphone, Starshooter ou Bijou.

     

    Jusque là, la scène rock et pop progressive française, malgré son succès auprès de la jeunesse, qu’on songe aux groupes Magma, Ange, Triangle ou aux Variations, ne bénéficie presque d’aucune promotion de la part des maisons de disques. Et par conséquent d’aucun passage à la radio ni à la télé. L’explosion du mouvement punk en Grande-Bretagne allait sacrément rebattre les cartes… Avant même cela, le punk, au début des années 70, trouve déjà des adeptes dans le petit monde parisien de la musique. Ne jurant que par les Stooges d’Iggy Pop, le Velvet Underground ou les New York Dolls, le journaliste Yves Adrien s’en fait l’écho dès 72 dans les colonnes de Rock & Folk.

    Prônant une révolution rock électrique pour ceux qui aiment le rock violent, éphémère et sauvagement teenager, il écrit : « des teenagers qui préfèrent le bubble gum au Marxisme, et c’est heureux. La rock music n’a que faire des slogans. L’aventure gauchiste n’est pas, dans le concept musical et électrique qui nous préoccupe, plus importante que la mode du twist ou des bottes à semelles compensées ». Le punk, dont on trouve les disques importés des Etats-Unis chez Open Market, éphémère disquaire parisien créé par Marc Zermati, tête chercheuse musicale et fondateur déjà en 1972 du label Skydog. A peine trentenaire, Zermati avait ouvert sa boutique dans le quartier des Halles, alors en plein chamboulement après la destruction des Halles Baltard et la prochaine ouverture du Forum des Halles et du Centre Pompidou.

     

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    La cave située sous sa boutique du 58 Rue des Lombards accueille les répétitions des Havrais du groupe Little Bob Story ou des Parisiens du groupe Asphalt Jungle, formé en 1976 par le jeune critique rock Patrick Eudeline, âgé de vingt-deux ans. L’été 76, Marc Zermati organisait à Mont-de-Marsan, dans les Landes, le premier festival punk français. Un an plus tard, il remet ça. Deux jours de concert, début août, qui attirent 4000 spectateurs. En têtes d’affiche, les Britanniques de The Clash et d’Eddie & The Hot Rods, précédés chaque soir sur scène de plusieurs groupes français : Strychnine, les Lou’s, un groupe de punk 100 % féminin, Shakin’ Street, Marie et les Garçons, Bijou ou encore Asphalt Jungle.

    La jungle de l’asphalte, dont le chanteur et leader Patrick Eudeline, qui a fait ses études au très conservateur collège Stanislas à Paris, est devenu dix ans plus tard critique musical pour le magazine Best. Eudeline, qui traîne par ailleurs souvent au Gibus, une petite salle située à un jet de pierre de la Place de la République, où l’on peut dîner jusque tard et écouter de la musique. Il y décroche un engagement pour son groupe et en profite pour ouvrir la scène à d’autres formations, lors d’un mini-festival de musique punk qui aide à la promotion de ce nouveau courant. Asphalt Jungle, qui sortira en 78 son titre « Poly Magoo », hommage au film de William Klein et aux paroles aussi énigmatiques que son oeuvre inspiratrice : « Quelque chose de bubble gum, à chemin nos uniformes, habitude bien trop étrange, je veux être Poly Magoo… »

     

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    « Poly Magoo », troisième single du groupe Asphalt Jungle, sorti en 1978. Pourtant, le groupe ne durera pas et se séparera l’année suivante. Les punks, qui se retrouvent donc les soirs au Gibus, ou bien dans les premiers McDo qui ouvrent en France. Le tout premier, sur les Champs-Elysées en 1973 ; à 6,30 Francs le BigMac et 3,20 Francs les super-frites congelées… « Les plus beaux musées du 20ème siècle », comme les avait qualifiés Andy Wharol, deviennent les rendez-vous gastronomiques obligés des punks parisiens, souvent fauchés. Du moins pour se nourrir… Christian Eudeline, le frère de Patrick, qui chroniquera lui aussi ces années-là, écrit : « La plupart des premiers punks étaient très sensibles, gentils, doux, souvent timides, ce qui contrastait avec la violence de leur musique et de leurs textes. Ils carburaient au Fringanor, une amphétamine, ou encore à l’héroïne, mettant un point d’honneur à ne pas fumer de joints, qu’ils considéraient comme des trucs de babas… ».

    Cette année 78 est votée la loi « Informatique et Liberté » dont l’article 8 énonce « l’interdiction de collecter des données à caractère personnel faisant apparaître les origines raciales, ethniques, les opinions politiques, philosophiques, religieuses ou syndicales, de même que les orientations sexuelles ». Vingt ans avant l’avénement d’Internet, la France posait ainsi l’un des premiers jalons en la matière. Même si, à vouloir protéger les citoyens des intrusions et de la surveillance des grandes bases de données dont les administrations commençaient à se doter, la France ne réalisait pas qu’elle manquait en fait d’informations essentielles, et qu’entre sa jeunesse et elle, un angle mort s’était peu à peu formé… Comme en témoigne cette archive Ina du 09 décembre 1978, « La France des adultes ne connaît pas les jeunes » (Jean-Claude Bourret et Dominique Laury, TF1).

     

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    Or, malgré le scepticisme ambiant, une frange des jeunes commence à s’agiter. Illustration de cette agitation naissante, juillet 1978 à l’Olympia, où est organisé le festival « Le Rock d’Ici ». Trois soirs de concert montés par Philippe Constantin, qui travaille à l’époque chez Pathé Marconi. Sur scène, neuf groupes rock ou punk font face à 2000 spectateurs, dans une ambiance particulièrement déchaînée. Ainsi, le groupe Metal Urbain ne joue-t-il que trois ou quatre morceaux, le temps que son clavier, imbibé de bière, ne se prenne les pieds dans les câbles de ses synthés et que tout n’explose… Le reste est à l’avenant.

    En coulisse, les groupes se foutent joyeusement sur la gueule pour faire modifier l’ordre de passage, tandis que sur scène, Kent, le chanteur de Starshooter, fait remarquer à la foule qu’à l’époque de Bécaud, les gens pétaient les fauteuils. Qu’à cela ne tienne, la foule de 1978 se retrousse les manches et en fait de même. Un à un, les fauteuils sont déposés sur scène, comme autant d’offrandes à la contestation. Résultat : 200 fauteuils arrachés, et une sulfureuse mais efficace publicité pour la manifestation.

    Starshooter, qui ce soir-là pendant sa prestation, accueille une performance de Marie-France, actrice et figure des nuits interlopes parisiennes ; laquelle se pointe sur scène sapée en diva-rock et entame un strip tease irréel. Sauf que Marie-France, militante du Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire et du groupuscule des Gazolines, n’est pas encore arrivée au bout de sa transformation chirurgicale… A l’avant-dernière étape de son effeuillage sur scène, les punks ont la mâchoire qui se décroche… La nouvelle vague n’a décidément peur de rien et elle ose tout.

     

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    Source : Amaury Chardeau pour Juke Box / Ina

     

     

  • French Connection (1978-1982) : Episode 02

     

     

    Plongée dans la France de la toute fin des années 70, les années Giscard : période des grands bouleversements sociétaux et d’un certain sentiment de modernité, entre libéralisation du divorce et éclatement de l’ORTF. Pourtant, la jeunesse s’ennuie et se réfugie alors dans l’émergence de nouvelles scènes rock et new-wave. Parmi les groupes qui s’imposent : Téléphone, Starshooter ou Bijou.

     

    La France où jusqu’alors, malgré les cafés, les flippers, les MJC, la jeunesse s’ennuyait ferme. Et même si le moule traditionnel commençait à se fissurer. Giscard, propulsé en 1974 à l’Elysée, avait abaissé l’âge de la majorité de 21 à 18 ans. Mais en dehors de ça, rien ne semble bouger. La société reste guindée, conservatrice. Aux yeux de la jeunesse, la partie est jouée, les dés sont pipés et la génération d’avant reste aux commandes. Certes, depuis 75, les couples peuvent divorcer plus simplement. Mais les jeunes, eux, s’en foutent, ils ne sont pas mariés. Quant à l’ORTF, dont la mission s’affichait fièrement, « satisfaire les besoins d’information, de culture et de distraction du public », mais qui se trouvait de plus en plus concurrencée par les radios périphériques, elle est démantelée.

    Car la jeunesse semble ne plus croire en rien. Elle a fini par se faire à l’idée que la société, dans ses travers, n’est pas réformable. L’effervescence post-68, le fameux « esprit de mai », tend à se dissoudre peu à peu. Le sociologue Jean Duvignaud, qui vient de passer deux ans à son chevet,  publie en 1975 les résultats de son enquête, « La Planète des Jeunes », dans laquelle il pointe du doigt tant sa soudaine dépolitisation que la perte d’influence progressive du gauchisme sur celle-ci. Selon Duvignaud, la jeunesse deviendrait passive et serait repliée sur ses problèmes personnels. Devant l’échec des croyances, des idéologies, des utopies, elle se réfugie de plus en plus dans ce que le sociologue qualifie de « niches » ; appartements plus chaleureux, métiers plus isolatoires, mais surtout bals, boîtes et drogues…

     

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    « Attitudes » par Marie et Les Garçons. Le groupe se forme à Lyon en 1976, au sein d’une bande de lycéens. Fin 77, leur premier single, « Rien à Dire », un rock efficace, sortait et se retrouvait dans la foulée entre les mains de John Cale, illustre membre du Velvet Underground. Excusez du peu… Quelques mois plus tard, au printemps 78, Marie Girard, d’abord chanteuse puis batteuse du groupe, se retrouve avec les autres à New York, où le groupe enregistre ce deuxième single, « Attitudes », avec le même John Cale au piano. Mais n’allons pas trop vite en besogne… En effet, la new wave et la cold wave à la Française n’arriveront qu’un peu plus tard. Pour l’heure, disons que la jeunesse locale se cherche justement de nouvelles… attitudes.

     

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    De nouvelles attitudes, donc. Des échappatoires, des lieux rien qu’à eux. A Paris, c’est notamment le Golf Drouot, un ancien salon de thé, poussiéreux, quoique pourvu d’un étrange mini-golf de neuf trous, mais ne comptant pas beaucoup plus de clients… Et qu’un type, un certain Henri Leproux, transforme finalement en discothèque. Mais aussi en véritable temple du rock, y installant une scène permettant depuis le début des années 60 à de jeunes groupes de se faire connaître, à l’occasion de tremplins organisés le vendredi soir. C’est sur cette scène qu’avaient démarré tous les pionniers français, de Johnny Hallyday aux Chaussettes Noires. Puis Le Golf Drouot accueille les premières stars anglo-saxonnes, The Who, David Bowie, pour devenir un incontournable de la scène rock tant française qu’internationale.

     

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    « Au Golf Drouot, première surprise, on ne descend pas dans la boîte, on y monte. D’abord, un escalier, un escalier gigantesque… Dont Henri Leproux, le propriétaire des lieux, dira qu’il est plus facile à descendre qu’à monter. Et parfois, c’est pratique. » (Reportage au Golf Drouot – Archive Antenne 2, 21 avril 1976)

     

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    1978, Starshooter et son « Betsy Party »… Starshooter, groupe lui aussi Lyonnais, formé peu de temps auparavant autour du chanteur Kent Despesse, dit Kent Hutchinson ou encore Kent Cokenstock, les musiciens s’affublant tous de noms potaches à consonance anglo-saxonne. Il y a Mickey Snack à la basse, Phil Pressing à la batterie ou Jello à la guitare. Ils ont vingt ans et s’attirent rapidement les éloges de la critique. A sa sortie, « Betsy Party » passe d’ailleurs en boucle sur l’antenne d’Europe 1. Leurs concerts impressionnent par la puissance scénique déployée, malgré les provocations et les jets de canettes de bière. Eux aussi, dès 1977, s’étaient produits sur la petite scène du Golf Drouot.

     

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    Source : Amaury Chardeau pour Juke Box

     

     

     

  • French Connection (1978-1982) : Episode 01

     

     

    Plongée dans la France de la toute fin des années 70, les années Giscard : période des grands bouleversements sociétaux et d’un certain sentiment de modernité, entre libéralisation du divorce et éclatement de l’ORTF. Pourtant, la jeunesse s’ennuie et se réfugie alors dans l’émergence de nouvelles scènes rock et new-wave. Parmi les groupes qui s’imposent : Téléphone, Starshooter ou Bijou.

     

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    Dans la foulée de son accession à l’Elysée en 1974, Valéry Giscard-d’Estaing initie plusieurs grandes réformes sociétales : abaissement de l’âge de la majorité de 21 à 18 ans, instauration du divorce par consentement mutuel, éclatement de l’ORTF, dépénalisation de l’avortement… Pourtant, la jeunesse française s’ennuie. Le sociologue Jean Duvignaud pointe dans « La Planète des Jeunes » (Stock 1975) leur dépolitisation et, face à l’échec des utopies soixante-huitardes, leur repli sur leurs problèmes personnels.

    La révolution Punk s’immisce ainsi dans la brèche et voit l’ouverture des grands clubs parisiens. Le rock français, boudé jusque-là par les grands médias, se fraie un chemin. C’est le début des années Téléphone, Starshooter ou Trust, mais aussi de l’émergence des scènes post-punk et new wave, celles des Edith Nylon ou Taxi Girl. Bref, une certaine idée de la France branchée qui basculera en 81 avec l’élection de Mitterrand, dans laquelle on croise des gens de bonne famille, des fauteuils de velours arrachés, des dandys déglingués et des frites congelées. Retour sur cette période 1978 – 1982…

     

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    Le transistor posé sur la table en acajou du salon, personne ne semble l’écouter. Ni monsieur, enfoncé dans son fauteuil à lire le journal, ni madame qui termine son repassage… C’est un intérieur cossu, confortable. L’année dernière, ils ont installé partout une moquette bégasse, dont ils sont très contents. Dans l’entrée de l’appartement aussi, où trône le téléphone familial. Son fil tirebouchonné, reliant le socle au combiné, a été étiré comme un élastique, jusque sous une porte fermée, derrière laquelle s’est adossée une jeune fille, en pleine conversation.

    Elle souffle sur la mèche qui lui barre le visage, tandis que face à elle, ses idoles rock la toisent, sur papier glacé. Elle échange encore quelques mots à voix basse, puis se contorsionne pour éviter d’arracher le fil. Elle se relève, enfile une veste de cuir achetée la semaine précédente et se glisse sans un bruit hors de l’appartement, loin des causeries présidentielles.

     

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    Dans la ville, ce mardi soir, la nuit est tombée, crevée par les néons des pharmacies ou des PMU. Les juke-box diffusent à plein tube, parmi les papiers gras. Cette France où Giscard, débonnaire, annonce que ça risque encore de se compliquer pendant un moment, que la crise est là. Notre jeune fille en suit les rues anonymes, puis parvenue devant un bar, elle attend en face du kiosque à journaux. Sa copine est en retard et elle hésite à entrer dans le rade, retenue par la présence d’une dizaine d’habitués, avinés au comptoir.

    Par la vitrine, elle avise aussi un groupe de jeunes types, penchés sur un flipper. Elle les trouve pas mal, alors elle les regarde un moment jouer et tirer sur leur clope. Elle n’a pas le son… Elle s’apprête à s’éloigner et faire quelques pas, quand soudain la belle tignasse brune accoudée au flipper tourne la tête vers elle, la dévisage et lui sourit.

     

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    « On te donne trois balles, la première, t’es un môme. Tu prends la cadence, tu entres dans la danse. Dans la violence des chocs, tu comprends ta chance. Tu sais maintenant comment ton histoire commence. »… Signé Louis Bertignac, ce « Flipper » qui clôt le premier album du groupe Téléphone, raconte cette jeunesse qui joue sa vie, de bumper en bumper. Téléphone, qui avait vu le jour le 12 novembre 1976, à la faveur d’un concert donné au Centre Américain de Paris, Boulevard Raspail, à l’emplacement de l’actuelle Fondation Cartier.

    Jean-Louis Aubert, un jeune des beaux quartiers, se rebelle contre son éducation de scout et d’enfant de choeur, et doit s’y produire avec son pote de lycée, le batteur Richard Kolinka. Sauf qu’il leur manque deux musiciens. Pour l’occasion, Ils recrutent donc le guitariste Louis Bertignac et sa copine de l’époque, la bassiste Corine Marienneau. Tous deux avaient joué dans un groupe de hard-rock francilien, les Shakin Street. L’affluence ce soir-là au Centre Américain, 5 à 600 personnes, raconte quelque part l’impatience qui tiraille alors la jeunesse française. 

    Téléphone et sa formule gagnante allait devenir, en l’espace de deux albums et trois années, l’incarnation du renouveau du rock français…

     

    Source : Amaury Chardeau pour Juke Box